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03/06/2020

KR'TNT ! 467 : LITTLE RICHARD / SAL MAIDA / ALICIA F! / MOUNTAIN ( VI )

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 467

A ROCKLIT PRODUCTION

FB KR'TNT KR'TNT

04 / 06 / 2020

 

LITTLE RICHARD / SAL MAIDA

ALICIA F ! / MOUNTAIN ( VI )

Texte + photos sur : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Richard cœur de lion

- Part Three

 

Quel est selon vous le plus bel hommage rendu au plus sauvage d’entre tous, Little Richard ? Sans doute la bio que lui consacre Charles White, aka Dr Rock, The Life And Times Of Little Richard, éditée en 1984 et rééditée en 2003. Sex & drugs & rock’n’roll ? Oui, la vie de Little Richard se résume à ces trois mots. Il ne vivait que pour ça, comme le font d’ailleurs la plupart des lapins blancs. Sans sex & drugs & rock’n’roll, la vie ne serait-elle pas d’un mortel ennui ? Oooh my soul !

Le génie de Charles White est de laisser parler Little Richard, comme le fit son homonyme George White avec Bo Diddley. La voix de Richard s’élève comme un soleil à la verticale des pages du livre et répand sa vérité. À la différence d’Uncle Sam, Richard ne prophétise pas, du moins pas encore, il te parle avec cette candeur candy d’être doux et sucré, il pose sa main sur la tienne et te raconte la pauvreté : «Tu sais que tu es pauvre quand tu n’as pas de bois pour faire du feu. J’ai vu des gens arracher des bouts de bois de leur maison pour faire du feu. C’est ça, la pauvreté. Nous faisions partie des gens qui arrachaient du bois de leur maison pour faire du feu.» Mais le naturel de Richard reprend vite le dessus et le voile qui ternissait ses yeux en forme d’amande disparaît. Au diable les mauvais souvenirs ! Son regard redevient espiègle et s’anime. Ses mains papillonnent. Il s’émerveille encore des artistes qu’il voyait dans sa jeunesse : «Barry Lee Gilmore levait une table ou une chaise avec ses dents. Il levait même une chaise avec quelqu’un assis dessus. Je l’admirais tellement que je me suis entraîné pour le faire aussi !». Il glousse d’un rire complètement juvénile. Il se souvient aussi d’un certain Bamalama, un borgne qui grattait un washboard et qui chantait ‘A-bamalam/ You shall be free and in the mornin’/ You shall be free.’ Le voilà tout surexcité. Il lève un doigt et rappelle que tout petit, il voulait être prêcheur, «comme Brother Joe May, the singing evangelist qu’on appelait the Thunderbolt of the West !». Puis il se rapproche de toi pour te chuchoter à l’oreille qu’un jour il chia dans un pot à confiture pour faire une farce à sa mère. Il imite la voix de Momma qui le cherche pour le gronder : «Richard ! Je sais que c’est toi !». Elle est tellement désespérée qu’elle se plaint aux voisines qui pensent que Richard est possédé par le diable, et il ajoute, sur un ton solennel : «Une dame m’a jeté un sort. Elle a dit que j’allais mourir à 21 ans. Alors je l’ai toujours cru, parce qu’elle l’avait dit. Ça m’a rendu encore plus sauvage.» Awop Bop A Loo Mop Alop Bam Boom !

Johnny Otis est l’un des grands découvreurs de son temps : Little Esther Phillips, Hank Ballard, Little Willie John, Big Mama Thornton, Etta James, Jackie Wilson, Johnny Ace et Sugar Pie De Santo, c’est lui. Pourtant, quand il découvre Little Richard dans un club de Houston, Texas, en 1953, il en reste comme deux ronds de flanc. Ça se passe bêtement, comme souvent : un mec lui dit de filer dare dare au Matinee Club et d’aller voir ce dude in here. «Alors je suis entré et j’ai vu ce type très provoquant, très beau et très efféminé, coiffé d’une big pompadour. Il s’est mis à chanter et il était so goooood !». Puis il le voit se jeter au sol avec un grand écart. C’est un show très beau, bizarre et exotique à la fois, et soudain, Richard annonce qu’il est the King of the Blues et puis il ajoute après un petit blanc : «And the Queen too !». Tonnerre d’applaudissements. Les gens l’adorent - Boy, that’s something else ! - Houston ? Mais c’est la ville de Don Robey, the Black Caesar, le tzar du negro underwold, toujours armé d’un flingue et boss du label Peacock Records, sur lequel on trouve Clarence Gatemouth Brown, Bobby Blue Bland et Johnny Ace. Robey signe le groupe de Richard qui s’appelle les Tempo Toppers et les envoie en studio pour enregistrer quatre titres. Mais Richard veut garder sa liberté, il ne veut pas être contrôlé par Robey. Il lui tient tête. Quoi ? Tu veux tenir tête à Robey ? On va voir ça. Convocation au bureau pour une séance de recadrage. Richard entre : «Il m’a sauté dessus, m’a frappé à l’estomac et m’a envoyé au tapis. J’ai eu une hernie pendant des années. Ça fait mal. J’ai dû être opéré. Il m’a frappé dans son bureau, knocked-out au premier round. Pas de deuxième ni de troisième round. Il s’est juste levé de son bureau, a fait le tour et booom ! J’étais par terre. On savait qu’il frappait les gens. Il frappait tout le monde sauf Big Mama Thornton. Il en avait une peur bleue. Elle était forte comme un taureau.» Quand Big Mama apprit que Robey avait frappé Richard, elle alla le trouver, le chopa par le colbac et lui dit : «Si jamais tu touches encore une fois à cette petite chochotte, je reviens défoncer ton trou du cul tout jaune.»

Pour se débarrasser de Robey, Richard splitte les Tempo Toppers et monte une autre équipe avec des cracks originaires de la Nouvelle Orleans, le batteur Chuck Connors et le pianiste Lee Diamond Smith qui avaient accompagné les légendaires Shirley and Lee. Il rajoute deux joueurs de sax et baptise le groupe The Upsetters. Ils tournent dans tout le Sud et les voilà à Macon, la ville d’où vient Richard : «On se faisait chacun 15 dollars chaque soir, et en ce temps-là, on pouvait faire un tas de choses avec 15 dollars. On jouait trois ou quatre fois par semaine, ce qui nous faisait 50 dollars ! Et parfois on jouait dans un midnight dance à la sortie de Macon : ils nous donnaient dix dollars et tout le poulet rôti qu’on pouvait avaler. On jouait des cuts de Roy Brown, beaucoup de Fats Domino, quelques cuts de B.B. King, un ou deux de Little Walter, je crois bien, et d’autres de Billy Wright. J’admirais beaucoup Billy Wright. Je me coiffais comme lui.»

Dommage que Charles White ne s’attarde pas davantage sur Billy Wright. C’est Billy Vera qui s’en charge dans son très beau book sur Specialty, Rip it Up, The Specialty Records Story. Vera nous indique que Billy Wright enregistrait sur le label Savoy de Newark, New Jersey, et qu’il était chanteur, danseur et présentateur dans un club, le Royal Peacock, sur Auburn Avenue, où il se faisait appeler The Prince of the Blues. Il se maquillait, portait des fringues très colorées et une pompadour très haute. Richard vient en droite ligne de Billy Wright dont il pompait aussi, nous dit Vera, certaines chansons. L’autre grande influence de Richard fut Little Esther. C’est de là que vient, comme le suppose Vera, le Little de Little Richard. Oh, il y aussi Eskew Reeder Jr., plus connu sous le nom d’Esquerita. Quand Richard en parle, il s’anime plus que de raison : «Avec Jerry Lee Lewis et Stevie Wonder, il est l’un des plus grands pianistes. Il m’a appris beaucoup de choses sur la diction. Beaucoup.» S. Q. lui apprend surtout à faire un piano sound comme s’il savait jouer du piano. Selon Vera, Reeder n’était pas un grand chanteur, mais il portait plus de maquillage que Billy Wright et sa pompadour montait encore plus haut que celle de Billy. Il encouragea surtout Richard à multiplier les outrances scéniques. Mais d’où sortent tous ces personnages excentriques ? On finit par se poser la question. Ils sortent d’une culture de clubs privés qu’on appelait des frat houses, diminutif de fraternity houses, c’est-à-dire des clubs d’internats où les jeunes blancs se tapaient des bières et des spectacles exotiques, l’équivalent des lupanars pour bidasses. Vera nous raconte que les jeunes blancs adoraient voir des artistes noirs jouer de la musique de bastringue, et plus elle était vulgaire et plus ça leur plaisait, surtout quand Richard s’habillait en femme et qu’il chantait la version originale de «Tutti Frutti» qui ne parlait que d’enfilade. Sur le frat house circuit, il y avait aussi the Thirteen Screaming Niggers qui montaient sur scène vêtus d’imperméables qu’ils ouvraient pour révéler leurs érections, en jouant un cut loud and fast. Plus c’était vulgaire et plus ça bottait cette faune avinée.

Richard est fier de ses Upsetters. Il adore s’amuser. Il casse la baraque chaque fois qu’il monte sur scène. «L’une des chansons qui rendait les gens fous était Tutti Frutti. Les paroles étaient très coquines - Tutti Frutti, joli cul, si ça ne rentre pas, ne force pas - La foule adorait ça. Comme on avait pas de basse, Chuck devait frapper son tom bass real hard.» Bien sûr, lorsque plus tard il va enregistrer «Tutti Frutti» pour Specialty, il devra calmer le jeu et Tutter un Frutti moins salace.

C’est à Macon que Richard va rencontrer son destin qui ce soir-là prend l’apparence d’une grande star : «Lloyd Price était à Macon pour chanter à l’Auditorium et je l’ai rencontré. C’était une big star et il avait un big big big hit avec ‘Lawdy Miss Clawdy’. Il avait aussi une Cadillac noire et or. J’en voulais une comme la sienne. Il n’y avait pas beaucoup de Cadillacs à l’époque. Le seul qui en avait une dans le coin était le mec des pompes funèbres. Tu devais mourir pour monter dedans. Alors on a causé avec Lloyd Price et il m’a dit d’envoyer une bande à un mec nommé Art Rupe qui avait un label, Specialty Records, à Los Angeles.»

Richard suit le conseil de Pricey. Puis il attend. Pas de nouvelles de Specialty. Bon, c’est pas grave, il continue de s’amuser en attendant. Un vrai gosse : «Il y avait cette lady qui s’appelait Fanny. Je l’emmenais en ville dans ma voiture pour la regarder se faire sauter. Elle se mettait sur la banquette arrière, avec la loupiotte allumée, les jambes écartés et pas de culotte. On roulait et je regardais les mecs monter pour la baiser. Elle ne faisait pas ça pour de l’argent. Elle le faisait parce que je le lui demandais. Elle était assez jeune. Ça m’excitait de la voir se faire baiser. On m’a jeté en prison pour ça. Quand je suis allé à la station service, le pompiste a appelé la police. Ils m’ont arrêté. Ils appelaient ça un comportement obscène. Je suis resté quelques jours en prison. On ne m’a pas maltraité. Ma mère a trouvé un avocat du nom de Lawyer Jacob. Il a dit au juge : ‘Ce nègre va quitter la ville, vous ne le reverrez plus.’ Ils m’ont relâché et j’ai dû quitter Macon. Je ne pouvais plus y chanter. Alors on a pris la route.»

En 1955, Art Rupe qui a du flair sent que ça bouge dans le pays. La société se transforme et la musique aussi. Alors il confie la direction artistique de Specialty à Bumps Blackwell. Bumps est comme Johnny Otis, il sait flairer la piste d’un talent dans la forêt : «J’enregistrais Lloyd Price et aussi un mec nommé Eddie Jones, qu’on connaissait sous le nom de Guitar Slim. Son pianiste s’appelait R. C. Robinson, un petit jeune qui avait joué dans mon orchestre à Seattle et qui était venu s’installer à Los Angeles peu de temps après moi. Guitar Slim avait quelques bons hits, notamment ‘The Things That I Used To Do’, mais il picolait un peu trop. D’ailleurs, il en est mort. Quant à R. C. Robinson, il a changé de nom pour devenir Ray Charles, il a signé chez Atlantic et il est devenu superstar.» Bon, Bumps trouve la bande de Richard sur son bureau. Il la fait écouter à Rupe qui n’est pas convaincu. Bumps pense que Rupe ne voulait jamais prendre de décision, de peur de se tromper. Bumps ajoute une précision fondamentale : certains labels signaient des artistes noirs parce qu’ils savaient que les noirs n’entamaient pas de poursuites en cas de problème. Et il ajoute une autre précision qui fait la différence avec les arnaqueurs : Rupe payait toujours ce qu’il avait promis. «Même s’il ne s’agissait pas de grosses sommes, au moins il ne truandait pas les artistes.»

Pendant huit mois, Richard téléphone chez Specialty. Il les harcèle. Alors, quand est-ce que j’enregistre un disque ? - Has Mr Rupe heard my tape yet ? - Il ne harcèle pas que Specialty, il harcèle aussi Atlantic, comme le rappelle Jerry Wexler : «Cette espèce de dingue (crazy nutcase) nous pétait les roubignolles à Atlantic, disant qu’il était le plus gros truc depuis l’invention du pain en tranches.» Allo ? Allo ? À la fin Rupe n’en peut plus. Il craque. Il dit à Bumps de le signer. Mais comme Richard est encore engagé avec Don Robey, il faut racheter le contrat. Ils lui prêtent 600 dollars. Richard leur dit qu’il aime bien le son de Fats Domino, alors banco, Rupe et Bumps l’envoient directement à la Nouvelle Orleans, chez Cosimo Matassa, là où ils ont déjà enregistré Lloyd Price. Ça a marché pour Pricey, alors ça marchera pour Richard. Bumps se déplace pour superviser la première session : «Quand je suis arrivé à la Nouvelle Orleans, le propriétaire du studio Cosimo Matassa m’a dit : ‘Hey man, this boy’s down here, il vous attend.’ Je suis entré et j’ai vu ce cat en chemise bariolée avec sa pompadour de cinquante centimètres. Il parlait comme un cinglé. J’ai tout de suite senti la mega-personnalité. Dans le studio, on avait la crème de la crème de la Nouvelle Orleans : Lee Allen on tenor sax, Alvin Red Tyler on barytone sax, Earl Palmer on drums, Edgar Blanchard et Justin Adams on guitars, Huey Piano Smith et James Booker on piano, et Frank Fields on bass. C’étaient les gens qui accompagnaient Fats Domino.» Ce genre de petit paragraphe s’appelle un cœur de mythe. Bumps continue : «Le studio était juste une pièce à l’arrière d’un magasin de meubles. Une seule pièce pour tout l’orchestre. On entrait et on tombait sur un piano à queue. J’ai mis un micro sur le piano. Alvin Tyler et Lee Allen devaient aussi souffler dans ce micro. La batterie d’Earl Palmer était à l’extérieur de la pièce, avec un autre micro. Le bassman jouait à l’autre bout de la pièce. Le son de la basse dégueulait bien, alors on l’avait.»

C’est là dans cette arrière-boutique que Richard bâtit sa légende, comme Elvis un peu plus tôt chez Uncle Sam à Memphis. Toute la folie qui va envoyer des millions de cervelles tournoyer dans le grand manège universel sort de cette double conjonction Elvis/Sam/Scotty/Bill Black d’un côté et Richard/Bumps/Cosimo/Lee Allen/Earl Palmer/Red Tyler de l’autre. C’est exactement ce que dit John Lennon : «Elvis était mon dieu. Puis à l’école, t’as ce mec qui dit qu’il a disque d’un mec qui s’appelle Little Richard et qu’est meilleur qu’Elvis. On avait l’habitude d’aller chez lui après l’école pour écouter les 78 tours d’Elvis. On achetait des clopes au détail et des chips et on écoutait la musique. Ce nouveau disque s’appelait ‘Long Tall Sally’. C’était si bon que ça m’a coupé la chique. Je voulais rester avec Elvis, mais ce Little Richard était bien meilleur. On s’est tous regardés. Je ne voulais rien dire contre Elvis, même pas en pensée. Puis quelqu’un a dit que le chanteur était un nègre. Je ne savais pas que les nègres chantaient. Alors Elvis était blanc et Little Richard noir. C’était un soulagement. J’ai dit : ‘Merci Dieu.’» À sa façon de dire les choses, Lennon nous rappelle que le rock appartient aux kids. L’ado Bowie est aussi entré en religion grâce à Little Richard : «Quand je l’ai entendu, j’ai acheté un saxophone et je suis entré dans le music business. Little Richard was my inspiration.» James Brown rappelle lui aussi que Richard est son idole et Otis dit qu’il est devenu chanteur à cause de lui. Mais le plus fin des coups de chapeau est sans doute celui de Gene Vincent : «La première fois que j’ai vu Little Richard, je n’en croyais ni mes yeux ni mes oreilles. Mais je vais te dire une chose : j’ai compris à ce moment-là que je ne serais jamais aussi bon que lui sur scène. Et mon ami Jerry Lee est arrivé à la même conclusion. Jerry Lee et moi sommes pourtant devenus des pretty wild performers, mais on a jamais su générer autant d’excitation que Little Richard.» On trouve cinq pages d’hommages de cet acabit à la fin de la bio. Et dans sa préface, Dr Rock en rajoute une couche en affirmant que Richard dispose d’un extraordinaire pouvoir mental, celui dont sont dotés les prêcheurs et les chamanes - Richard incarne tout ce qui est américain, pas seulement l’Amérique des noirs. Little Richard IS America - Bill House qui joua longtemps de la guitare dans les Upsetters connaît bien Richard : «Je pense qu’il était surtout un voyeur. Il aimait bien regarder les autres baiser. Mais il n’était pas détraqué, comparé à d’autres que j’ai côtoyés sur la route. Il semblait incroyablement équilibré. Moralement parlant. C’est un être profondément moral, un peu christique. Je l’ai fréquenté pendant dix ans et il a toujours été extrêmement bienveillant. Et ce n’est pas courant chez les gens de cette importance.» Bumps tente de veiller aussi bien que possible sur Richard, mais il reconnaît que ce n’est pas facile : «Richard est la star suprême. Un talent qu’on ne voit qu’une seule fois par millénaire. Et comme tous les gens qui ont ce talent, il finit par devenir parano et je peux le comprendre. Il perd toute notion de temps et d’obligation. Ce n’est pas délibéré. Il est comme ça.» On retrouve cette notion d’animal sauvage dans sa musique. Richard est un être ivre de liberté. «Larry Williams était le plus mauvais producteur du monde. Il voulait que je sonne comme Motown mais je ne suis pas un artiste Motown. Ils m’ont fait enregistrer avec leur orchestre. Il n’y avait que des trompettes ! Je n’en pouvais plus de voir ces trompettes ! Je voulais jeter toutes les trompettes du monde dans la rivière. Ils ont voulu me faire essayer des trucs électroniques. Je ne voulais que le vrai truc, the real thing. Les vrais gens veulent toujours le vrai truc. Les enregistrements Okeh n’ont pas marché parce qu’Okeh était un label R&B, un black label.» Depuis le début, Richard sait très bien ce qu’il veut. Ses extravagances faisaient aussi marrer les gens à une époque. «J’étais très en avance sur mon temps, les gens me traitaient de pédale et de fiotte parce que je portais ces costumes. Maintenant tous les groupes en portent. Et tout le monde se trimbale avec une trousse de maquillage.» Et Richard entre à nouveau en éruption, les bras en l’air : «Les costumes à miroirs ! Mais j’en jeté des tas dans le public. J’en cousais moi-même et j’avais deux autres garçons qui m’en cousaient, Melvyn James de Detroit, Michigan et Tommy Ruth de Los Angeles. Lors d’une tournée, j’en ai tellement jeté que j’ai dû demander à Tommy Ruth de venir m’en coudre de toute urgence. Il cousait dans l’avion. Parfois, les gens se blessaient en s’arrachant mes costumes. Ils devaient pourtant savoir que c’était du verre. Les costumes me coûtaient six cent dollars, rien que pour le tissu. Je dépensais tout mon blé en costumes et je les jetais au public. Mais ça valait la peine car tout le monde parlait de moi. J’ai toujours utilisé le vieux fond de teint Pancake 31. Mon frère allait l’acheter au Columbia Drugstore, à l’angle de Sunset et Gower.»

En parcourant le monde, Richard a rencontré des tas des gens intéressants, comme Gene Vincent, qu’il côtoya pendant en tournée en Australie : «Gene était un bon copain, mais il pouvait devenir assez pénible. Quand il était soûl, il voulait te jeter hors de la voiture alors qu’on fonçait sur l’autoroute. La boisson le rendait fou.» Jimi Hendrix gravite lui aussi dans l’orbite de Richard, en tant que guitariste du backing-band. Marquette qui est le frère de Richard et son road-manager rappelle que Jimi a tout appris de son frère : «C’est là qu’il a appris le charisme.»

L’autre grande rencontre de sa vie, c’est la coke. Il en sniffe 1 000 dollars par jour et dit qu’il mériterait le surnom de Little Cocaine. Son dealer n’est autre que Larry Williams, un vieux collègue de Specialty. Voilà qu’il se pointe un jour avec un flingue pour réclamer le blé que lui doit Richard. Il lui fout une peur bleue : «Il m’aurait tiré dessus si je ne l’avais pas payé !».

Richard repose sa main sur la tienne, la serre bien fort et reprend, sur le ton de la confidence : «Tu sais, par la force des choses, beaucoup d’artistes deviennent des addicts. Tu te retrouves dans la loge avec les musiciens, dans la chambre d’hôtel avec d’autres gens et tu essayes des trucs pour t’envoyer en l’air, toutes sortes de trucs, ça va de la marijuana à l’angel dust, en passant par les barbituriques, l’alcool, la coke, l’héro et l’acide. Je prenais de plus en plus de drogues. Tout ce que je voulais, c’était planer et baiser de jolies femmes. Angel n’était pas ma seule copine. J’en avais des tas. Dans chaque ville, j’en avais au moins trois ou quatre. On prenait un truc pour s’envoyer dans le cosmos et on se déshabillait tous entièrement. Tout le monde à poil ! J’aimais bien voir de filles se caresser. C’était la plus belle chose du monde. J’aimais bien les filles qui faisaient ça ensemble. C’est la vérité. C’était mon truc. Je regardais. J’avais des amies dans toutes les villes. À New York j’en connaissais une qui s’appelait Chris et une autre qui s’appelait Evil. Elle ramenaient aussi des gens.» Richard adore se masturber : «J’aimais bien voir les filles se faire baiser par mes musiciens. Je me branlais en les regardant et quelqu’un me suçait les tétons. Ils auraient pu m’appeler Richard le voyeur ! Je me branlais six ou sept fois par jour. On me disait que je méritais un trophée pour ça.»

À la parution de sa bio en 1984, Richard fut émerveillé. Il disait lui-même qu’elle était the Bible of Rock’n’roll. Personne n’est mieux placé que lui pour parler de la Bible. Quoi de plus sex & drugs & rock’n’roll que la Bible ? La nature humaine a-t-elle évolué en trois millénaires ? Pas du tout. Ce serait une erreur de croire que l’homme peut changer. La nature humaine reste profondément humaine, avec sa soif de sexe, ses violents besoins de changement, son indicible aspiration à la spiritualité et sa pente naturelle à la barbarie. Parce qu’il est à la fois excessif et entier, Richard fut sans doute le plus humain des hommes, seulement préoccupé d’exister à cent pour cent. S’il est une chose que le rock enseigne, c’est à s’empiffrer de vie.

Signé : Cazengler, Little Ricard

Little Richard. Disparu le 9 mai 2020

Charles White. The Life And Times Of Little Richard. Omnibus Press 2003

Billy Vera. Rip It Up: The Specialty Records Story. BMG Books 2019

 

Live in style in Sal Maida Vale

- Part One

 

Le nom de Sal Maida vous dira sûrement quelque chose. N’a-t-il pas traîné du côté de Roxy Music et des Sparks ? Mais oui. Ce Maida-là glisse dans l’histoire du rock comme un fantôme sans qu’on sache d’où il vient ni où il va. Il pratique cette insoutenable légèreté de l’être chère à Kundera. Comme Johnny Gusftason qui lui aussi a fait le bassman dans Roxy, il apparaît pour mieux disparaître, mais comme l’escargot, il laisse derrière lui cette trace scintillante qui symbolise si bien la légende. Ne sommes-nous pas tous friand de légende ? Ce serait mentir que de vouloir prétendre le contraire.

Sal Maida vient de publier ses mémoires, un tout petit livre dont le titre ronfle comme une ligne de basse : Four Strings, Phony, Proof And 300 45s. Bel objet, que le pelliculage mat de la couverture rend agréable au toucher et que cette photo de scène rend infiniment séduisant : Sal Maida porte la veste en lamé argent et noir faite sur mesure par un tailleur hip londonien et joue sur sa Rickenbecker chérie. Bienvenue au paradis des glamsters.

L’intérieur est composé en petit corps 9 ou dix bien ferré à gauche et imprimé sur un satimat doux au doigt et de bonne main, sans doute un 100 g. L’éditeur s’appelle HoZac. Ce label-éditeur new-yorkais a le bon goût de mettre à son catalogue des gens comme Chris Bell (Big Star), Bob Bert (Chrome Cranks) ou encore Sal Maida, et, côté musique, des groupes aussi underground que Baby Grande, Kim & Leanie (c’est-à-dire Kim Salmon), Dwight Twilley Band, Timmy’s Organism, Electric Eels, ou encore England’s Glory, le premier groupe de Peter Perrett.

Mais c’est bien sûr le contenu du Maida book qui emporte tous les suffrages. Comme Sal Maida n’a pas grand chose à raconter, il découpe son récit en trois parties : les groupes dans lesquels il a joué et les gens qu’il a fréquentés, ses souvenirs d’enfance à Little Italy (d’où vient aussi Martin Scorsese), et last but not least, ses 300 singles préférés, sans doute la partie la plus captivante du book, car comme on va le voir, Sal Maida a l’élégance de n’aimer que les bons disques. C’est sans doute aussi la première fois qu’un mec consacre la moitié de son livre à l’examen critique de ses disques préférés. Sal Maida donne la parole au fan de rock qui est en lui, c’est un peu comme s’il nous invitait chez lui et qu’il nous passait ses disques un par un en les recommandant tous très chaudement. Est-ce qu’on l’écouterait aussi attentivement s’il n’avait pas joué dans Roxy ? Là n’est pas la question.

La vie de Sal Maida ressemble à un carnet mondain, mais les célébrités qu’il croise ne sont pas celles des magazines ‘people’, rassurez-vous, ce sont plutôt les gens qui font le sel de la terre, comme par exemple Kim Fowley qu’il rencontre grâce à Michelle Myers. Kim Fowley cherche un bassman pour monter une session avec Question Mark qui ne débouche pas, puis il l’embauche pour cinq autres sessions : Runaways, Orchids, Venus & The Razorblades, Cherie Currie et son album solo, Sunset Boulevard - Il mesurait environ deux mètres, avait un regard bleu très perçant, un corps sec comme un olivier (skinny as a rail), il se déplaçait comme une gazelle, mais il dégageait une énergie considérable. The ultimate Hollywood hustler, a Svengali and a rock’n’roll cult figure. Sa connaissance du rock était infinie, il pouvait te parler du Doo Wop de Pittsburg, des groupes psyché suédois des années soixante ou évoquer la philosophie des Tradewinds. Il n’en finissait plus de sortir des anecdotes sur Lou Adler, Phil Spector, Robert Plant, Gene Vincent, Gram Parsons, les Doors, P.J. Proby, Sky Saxon, etc., etc. Personnage fascinant ! - Oui on savait tout ça, mais c’est mieux quand un mec comme Sal le dit. Dans un autre paragraphe californien, Sal nous décrit un après-midi de rêve au bord d’une piscine en compagnie d’un Bryan Ferry tout vêtu de blanc. Sal lui recommande d’écouter Forever Changes. La fiancée de Bryan est alors Jerry Hall, mais pas pour longtemps. Elle prétexte une session photo en Italie pour aller retrouver Jagger. On est en 1978 et tout le monde grimpe dans un van pour aller voir le dernier concert des Sex Pistols au Winterland. Tout le monde ? Oui, Sal et ses copains de Milk ‘N Cookies, avec en plus Legs McNeil de Punk Magazine, Brett Smiley et Bill Inglot de Rhino. Excusez du peu. Sal évoque aussi ce concert légendaire. Il remarque que la basse de Sid n’est pas branchée, so it’s basically a two man band with Steve Jones and Paul Cook who are fantastic ! Il sortent un wall of sound that Rotten just SNARLS over... C’est Sal qui met les cap, bien sûr.

Bottin mondain ? Oui, ça continue. À Long Island, Johnny Thunders et Sable Starr viennent assister à une répète des Milk ‘N Cookies - A full on glammed-out N.Y. Doll and Sable in a feather boa with see-through everything - À Londres, Sal est invité à écouter le premier album solo d’Eno, Here Comes The Warm Jets. Dans le studio, se trouvent Eno, Chris Thomas and a very intense John Cale. Toujours à Londres, Rhett Davies demande à Sal de jouer sur deux cuts d’un album de Robert Calvert qu’il doit produire. Sal se retrouve en studio avec Paul Rudolph, Simon House, Nik Turner et Michael Moorcock, c’est-à-dire la crème de la crème du gratin londonien de l’underground dauphinois. L’album s’appelle Lucky Leif And The Longships, une sorte de petit must de derrière les fagots de Ladbroke Grove.

Ado, Sal met un point d’honneur à ressembler à Pete Townshend et ça marche : grand et sec avec un profil en bec d’aigle. En 1968, il a la chance de voir le Jeff Beck Group sur scène - They were spectacular, much better than the records and LOUD ! Ils jouaient si fort qu’à un moment, Beck s’est retourné vers Woody et a gueulé : ‘Turn the fuck down !’ - Il faut dire que Sal Maida est un anglophile incurable. Il ne jure que par les groupes anglais. Comme des tas de kidz américains, il prend la British Invasion en pleine gueule. Ce choc révélatoire se transformera aussitôt en vocation. Sal veut jouer de la basse dans un groupe anglais. Et son heure de gloire viendra lorsque Roxy l’embauchera pour une tournée.

Mais en attendant l’heure de gloire, Sal voit le MC5 sur scène en 1969 - They were like a Soul revue but with a killer Detroit rock’n’roll street vibe - Il traite Rob Tyner de wild front man, Fred Smith de great guitar exciting to watch et Wayne Kramer de mec qui danse sur scène comme James Brown. Il voit aussi les Faces chez Ungano et dans le public, il remarque les présences de Jimi Hendrix, Todd Rundgren et Leslie West. Il se présente à Jimi Hendrix qui lui serre la main et Sal est épouvanté de sentir sa main avalée par l’immense pogne de Jimi - His hands dwarfed mine - Il papote en 1967 aussi avec Jerry Garcia devant le Cafe Au Go Go et lui demande ce qu’il pense de Love. Garcia lui répond que c’est pas terrible sur scène. En août 1966, il voit les Beatles au Shea Stadium avec les Ronettes, Barry & the Remains, the Cyrcle et Bobby Hebb - When the Beatles came out, it was absolute pandemonium - Ils jouent des trucs tirés de Revolver et de Rubber Soul. Sal voit aussi les Stones deux fois avec Brian Jones, en 1965 et 1966 - Brian and Keith unleashing lethal guitar interplay - En 1966, ils jouent les cuts d’Aftermath qui pour Sal est le sommet des Stones de Brian Jones. Et en 1972 (avec Mick Taylor), ils sont, nous dit Sal, the greatest rock’n’roll band in the world. Avec les Stones de 1965 et les Rascals qu’il voit au Phone Booth, les Who sur scène sont ce qu’il a pu voir de mieux : c’est en 1967, au RKO Theatre de Manhattan, dans un festival organisé par Murray the K. Les Who ? - The most ferocious, brutal sound I’d ever heard - Mais attendez c’est pas fini, nous dit Sal, en plein «My Generation», Keith Moon s’écroule dans sa batterie et Pete Townshend explose sa guitare en mille morceaux. Le rideau tombe, silence dans la salle - Wow ! What the fuck was that ? - Les kidz américains n’avaient encore jamais vu un truc pareil. Sal adore les Who mais il dit un peu plus loin préférer the early pre-Tommy era. Il voit aussi les Kinks, bien sûr, et Led Zep, qui contrairement aux Kinks étaient toujours excellents sur scène. Un autre landmark avec les Beatles, les Stones et les Who : the Ziggy Stardust show en 1973 à New York. Pendant «Rock’n’Roll Suicide», Bowie s’évanouit sur scène. Les gens se demandent si c’est un vrai suicide. Mais Bowie se relève et quitte la scène - Le sentiment général est qu’on venait d’assister à l’un des meilleurs shows de tous les temps - En 1968, il voit aussi Traffic, Blue Cheer et Iron Buttlerfly au Fillmore East. Pour lui Blue Cheer n’était pas à la hauteur de sa réputation de loudest band in the world. Il voit la même année The Jimi Hendrix Experience avec a brand new band en première partie : Sly & the Family Stone. Il voit aussi les Doors à Long Island en 1967 - Confrontational and wickedly good - Plus l’audience est hostile et plus Jim Morrison la confronte. Il fout la main au cul de Robbie Krieger qui le repousse brutalement. What the fuck is going on there ? Les Doors n’en sont qu’à leurs débuts. Sal sent que ça va chauffer avec des mecs comme ça.

En 1968, il voit l’Electric Flag au Fillmore East - J’adorais leur son et leur album A Long Time Comin’, mais je ne m’attendais pas à voir ce groupe aussi bon sur scène. Ils semblaient jouer un peu plus vite que sur l’album et avec beaucoup plus d’énergie. Le public devenait fou - Au Fillmore il voit aussi Nice et Family qui aurait dû devenir énorme en Amérique. En plein délire, Roger Chapman balance sans le faire exprès un pied de micro sur Bill Graham qui le prend très mal, au point d’ordonner au groupe de quitter la scène en plein set. Terminé pour Family en Amérique. Sal voit aussi Procol - a group of magicians - et Moby Grape sur scène. Il aime bien aussi l’early Jethro Tull avec Mick Abrahams et l’album This Was. Il affirme que Mountain était the loudest band - Forget Blue Cheer - They were HEAVY rock, but in the best sense of the term - Il ajoute que Leslie West était une bête et que Felix Pappalardi avait le plus distorded/overdriven bass sound this side of Jack Bruce. Il voit aussi Marc Bolan avec Steve Peregrin Took. Par contre, ses groupes favoris comme les Byrds le déçoivent sur scène - But boy, they did not cut it live - Son autre groupe préféré est Love à propos desquels il ne tarit pas d’éloges - Da Capo just killed me - Sal se retrouve aussi à une époque dans un short-lived band nommé The California Bombers avec Earle Mankey et Thom Mooney, le batteur de Nazz. Quand on parle de gratin...

L’anglophile débarque à Londres pour la première fois en 1969. Il découvre le paradis - Respirer l’air de Hyde Park, voir les dolly birds dans la rue, les pubs, boire de la bière tiède, s’essuyer le cul avec du papier paraphiné, avoir des livres dans mon portefeuille et des shillings dans ma poche, se faire appeler ‘guv’nor’ par les chauffeurs de taxi, manger l’horrible bouffe anglaise, prendre le métro et monter dans les magic bus - Il fait ce que font tous les anglophiles : il trouve l’adresse de Paul McCartney et le guette pour lui demander un autographe. Il voit aussi Jagger et George Harrison. Mais le plus important, ce sont les concerts, bien sûr. Alors il voit tous les groupes qu’il rêvait de voir : The Idle Race, The Nice, l’early Yes avec Tony Banks et Tony Kaye, Jackie Lomax, Taste, Caravan, Blossom Toes, Spooky Tooth, Free et les Hollies. Que peut-on espérer de mieux ? Quand il revient en 1971, il prend un appart et commence à auditionner pour des groupes. Il partage l’appart avec un copain de Jack Lancaster, le sax de Blodwyn Pig et un soir Steve Took vient foutre le souk dans la médina. Il s’amuse à rayer l’album de Caravan, In The Land Of Grey And Pink, qui appartient à Sal et Sal le vire. Groovy times baby, comme il dit. Puis il sympathise avec l’une de ses idoles, Paul Kossoff qui justement cherche un bassman pour un nouveau projet. Ça aurait pu donner Kossoff Kirke Maida And Rabbit, mais ça ne débouche pas. Puis il rencontre Legs Larry Smith des Bonzos qui veut monter un groupe, Legs 11 avec Jimmy McCullough, Stan Webb et des choristes. Étonné, Sal dit à Legs que ces mecs jouent encore dans des groupes et Legs lui dit de ne pas s’inquiéter. Effectivement le Melody Maker annonce la semaine suivante que Thunderclap Newman splitte et le semaine d’après, c’est le tour de Chicken Shack. Le projet de Legs ne débouche pas non plus. Quand Sal appelle Legs chez sa mère à Oxford, celle-ci lui répond que Legs is drying out, c’est-à-dire qu’il fait une cure.

Charlie Whitney de Family invite Sal à une audition, car Rick Gretch vient de quitter le groupe pour rejoindre Blind Faith. Mais quand Sal se pointe, il y a déjà beaucoup de monde. Family recrute John Wetton qui va remplacer Sal dans Roxy. Étrange coïncidence. Autre coïncidence : il entend parler d’un job de bassman dans Hard Stuff, le groupe de John DuCann. Il doit y remplacer Johnny Gustafson qui curieusement a joué lui aussi dans Roxy. Il fait aussi la connaissance de Davey O’List et jamme un peu en trio avec lui. À ses yeux, Davey est un guitariste brillant, un cross between Hendrix and Syd Barrett - And an incredibly eccentric and funny character - Il faut aussi se souvenir que Davey O’List fit aussi brièvement partie de l’aventure Roxy. Tous les chemins ne mènent-ils pas à Roxy ?

Sal sympathise aussi avec Mick Ralph qui vient de quitter Mott. Wanna jam ? Ralph monte un projet avec Simon Kirke et Paul Rogers. Il cherche un bassman. Mais Sal lui dit qu’il vient d’être embauché par Roxy pour une tournée. Mick Ralph le congratule et s’en va monter Bad Co. Effectivement, Sal a passé l’audition dont il rêvait le plus : pour Roxy. Il doit jouer avec Paul Thompson, et derrière la vitre de la salle de contrôle, il y a Chris Thomas et tout le reste de Roxy - Extremely nerve racking - Il est engagé et on lui dit d’aller s’acheter des fringues - An anglophile from Little Italy now in the biggest band in the land - Oui, il faut se souvenir qu’à l’époque de Stranded, Roxy était le plus gros groupe anglais. Sal va chez Granny Takes A Trip se faire tailler un costard sur mesure. C’est là où s’habillent les Stones, les Small Faces, Bowie, Syd Barrett et Roxy. Gene Krell lui fait a special jacket for stage, la fameuse silver and black stripe jacket qu’on voit en couverture du book. Il se retrouve sur scène devant 10.000 personnes. Comme Bryan Ferry et Andy McKay ne sont pas venus aux répètes, le groupe monte sur scène un peu à l’aventure et Bryan Ferry leur dit, pour leur remonter le moral : «Well at last, on est toujours le groupe le mieux fringué d’Angleterre.» On peut entendre Sal jouer dans le live Viva, sur deux cuts, «Pyjamarama» et «Chance Morning». Les autres bassmen qu’on entend sur ce live sont bien sûr John Wetton, Johnny Gustafson et Rick Wills. Mais comme son permis de travail arrive à terme, Sal doit rentrer à New York. Fin de l’épisode Roxy. John Wetton prend sa place.

Et c’est là que les managers de Sparks John Hewlett et Joseph Fleury proposent à Sal de jouer dans un groupe de Long Island nommé Milk ‘N Cookies. Sal commence par refuser, car il pense pouvoir retourner à Londres faire carrière, mais Hewlett insiste en arguant que Milk ‘N Cookies va devenir énorme. Sal aime bien Hewlett car c’est un ancien John’s Children et ils ont en commun une profonde admiration pour les Blossom Toes et Halfnelson, les futurs Sparks. Sal finit par accepter et rencontre Justin Strauss, Ian North et Mike Ruiz qui sont encore des gamins. C’est le whiz kid Ian North qui écrit les chansons et qui a envoyé des démos à John Hewlett, d’où la connexion. Hewlett leur décroche un contrat chez Island et Muff Winwood produit leur album. Les Milk lui font écouter les disques de Sweet, de Slade, de T. Rex et des Raspberries comme modèles de son - Muff we want to sound like this ! - Ils veulent des big drums et des loud vocals, mais Muff fait à son idée et plante l’album. Les Milk détestent le son de leur album - For years we hated the production until the re-issue age when mastering pumped everything up to its full potential - C’est exactement ce qu’on ressent à l’écoute de cet album quasi-mythique et réédité à plusieurs reprises. L’une des bonnes rééditions est celle de RPM, en 2005, car en plus du remastering dont parle Sal, Nina Antonia signe les notes de pochette. Elle démarre en force : «A burst of pure pop exuberance, Milk ‘N Coolkies could have been the Ramones but they wanted to be the boys next door.» (Les Milk auraient pu être les Ramones, mais ils ont préféré être the boys next door). Elle situe merveilleusement bien les Milk qui détestaient le trash new-yorkais des mid-seventies : «They were fresh faced Lilie of the valley rather than the alley.» (Ils tenaient plus du lys dans la vallée que de la fleur de caniveau). Nina regorge de formules spectaculaires : «Forget boy bands, Milk ‘N Cookies were the original coy band», ce qui signifie groupe timide, et elle embraye aussi sec sur les bonus, comme on va le voir tout à l’heure : «Good Friends» qu’elle qualifie de «perfect fusion of the band’s sweet essence spliced with petulant rock rush». Et puis tout s’écroule quand lors d’une tournée en Angleterre, ils lâchent un mot de travers sur les Bay City Rollers qui sont alors intouchables. Les Écossais voient ça comme un régicide. Puis Island les vire, car Chris Blackwell n’aime pas leur son, alors le groupe rentre au bercail, la queue entre les jambes et entre dans le cirque local du CBGB avec notamment les Ramones qui vont devenir, nous dit Nina, une street version des Milk. Avec sa coiffure, Ian North aurait pu être un Ramone ou Joey Ramone un Cookie, mais le fond du problème, conclut Nina, c’est que les Milk ne voulaient pas être des punks - There was no way Milk ‘N Cookies could have become punks - Elle nous apprend ensuite que Sire, le label des Ramones, proposa un contrat aux Milk, mais Sal avait déjà rejoint les Sparks. Les Milk enregistrent alors 3 démos avec un autre bassman : «Not Enough Girls (In The World)», «Typically Teenage» et «Buy This Record», trois bombes. C’est là où les choses se compliquent : Island rappelle John Hewlett pour dire que finalement, ils vont sortir l’album des Milk en Angleterre et demandent à voir Ian North. Que Ian North. Une fois arrivé à Londres, ces enfoirés lui proposent une carrière solo. Okay. Quand North annonce qu’il quitte le groupe, Sire retire ses billes et c’est la fin des Milk. Une histoire triste comme il en existe des tonnes dans l’histoire du rock. L’histoire d’un mec qui a oublié les copains pour jouer sa petite carte perso. Cette trahison ne lui portera pas chance puisqu’il va disparaître dans une scène electro à la mormoille sans laisser de traces intéressantes.

Côté son, cette red RPM est extrêmement révélatrice : le son des bonus n’a rien à voir avec celui de l’album produit par Muff Winwood. C’est le jour et la nuit. L’album est trop poppy pour être honnête, on erre de cut en cut comme une âme en peine. «Tinkertoy Tomorrow» est trop pressé de jouir, c’est une pop exacerbée du gland, ça trempe dans le sugar hill bubble glam, «(Dee Dee You’re) Stuck On A Star» est du pur jus de braguette frétillante, c’est trop pubère et même assez déconcertant. Trop sucré, comme une pipe aux bonbons à l’anis. L’excès de sucre tue la crédibilité dans l’œuf. Ils tentent de redémarrer leur petite usine de power pop avec «Rabbits Make Love». Ils sont dans un trip léger et versatile, pas de viande. Ils auraient dû voir tout ça avec Kim Fowley. Le seul hit de l’album s’appelle «Chance To Play», Justin Strauss chante ça glam - C’mon give me a chance - On note un joli solo de Ian North dans «The Last Letter» et ils tentent le tout pour le tout avec «Ready Steady». On sent aussi un net effort de songwriting dans «Nots», mais le pauvre Justin Strauss n’a pas de voix. Finalement, c’est «Broken Melody» qui va rafler la mise car c’est un beau glam des enfers. Et soudain, tout s’éclaire avec le premier bonus, «Good Friends». Big sound ! On a tout de suite autre chose. Muff fuck off ! Les Milk retrouvent leur suprématie. Ce que confirme «Wok ‘n’ Woll» : c’est énorme, stompé dans l’art de la matière, alors on imagine l’album avec une vraie prod. Voilà le Sweet scuzz bop de stomp avec serti en son sein le killer solo flash de rêve. Les Milk pouvaient casser la baraque. Ex-plo-sif ! Ils restent dans le big sound avec «Not Enough Girls (In The World)», les voilà qui réverbent dans l’écho du temps des incredible enormities avec des chœurs demented a gogo. Ils sont aussi bons que Jook, avec un killer solo flash à la clé. Leur «Typically Teenage» sonne comme un hit des Beach Boys, ils le jouent soft mais avec des huge guitars, chant demented, plus rien à voir avec le chant produit par Muff Muff. Il n’avait rien compris aux Milk - There was a boy and there was a girl - C’est pourtant pas compliqué ! Ils terminent avec l’incitatif «Buy This Record». En fait les Milk ont subi le même sort que les Action et les Creation : victimes de l’incompétence du business.

À New York, les Milk ‘N Cookies jouent au CBGB avec les Ramones, Television, les Mumps et tous les autres ténors du barreau. Ils font partie de cette scène qui va réinventer le rock américain. Puis les frères Mael embauchent Sal pour jouer sur l’album Big Beat. Mick Ronson devait aussi jouer sur l’album, mais il retira ses billes et Sal conseilla Jeff Salen des Tuff Darts aux frères Mael. Sal fait aussi un focus sur l’un des ses groupes préférés, les Rascals - Certainly my favorite New York band - l’un des trois meilleurs groupes qu’il ait vu sur scène avec les Stones et les Who. Pour lui, Dino Danelli est le meilleur batteur qu’il ait jamais vu. Eddie Brigati was so exciting as he danced. Sal chope le guitariste Gene Cornish dans les gogues et lui demande d’où sort le son de basse. Gene lui répond qu’ils font jouer un bassman dans une autre pièce.

Puis Sal vivra d’autres aventures musicales avec Cracker, Mary Weiss, Ronnie Spector, Echo & the Bunnymen, Don Flemming et John Doe. Rien que du trié sur le volet. Il arrête brutalement son récit page 107, le date de 2017 et nous invite à venir le rejoindre au salon pour écouter sa collection de 45 tours. Il indique que le record collecting fait partie de son ADN. Surtout les 45 tours. Il en choisit 300 qui couvrent une période précise : des années 50 à 1978 et se limite à un seul disque par artiste.

Bon, il commence par les chouchous : Beatles («Paperback Writer»), Kinks («Waterloo Sunset»), Roxy Music («Virginia Plain») et passe directement à «God Save The Queen», one of the great British singles, qu’il met au même niveau que les singles classiques des Stones et des Who - Snarling vocals and one of the best guitar sounds ever recorded on a rock record - Monsieur Sal a le bec fin et c’est pour ça qu’on l’écoute attentivement. Il aime bien aussi «I Feel Free» de Cream pour sa punk energy et il ne tarit plus d’éloges sur Jack Bruce. Pour Sal, «A Whiter Shade Of Pale», c’est «When A Man Loves A Woman» fondu dans le moule de Blonde On Blonde. Bien vu Sal ! Il adore Procol Harum et nous aussi. Puisqu’il évoque Dylan, voilà «Like A Rolling Stone» - one of the cornerstone records of all time - et il salue le génie des Young Rascals avec «Ain’t Gonna Eat Out My Heart Anymore». Puisqu’on est dans les classiques intemporels, voici «Good Vibrations» (Another one for the top 10 of all time), «Papa’s Got A Brand New Bag» et «Reach Out I’ll Be There». Ah oui, Sal Maida adore la Soul - All the Motown hits were just the best records of all time - Il n’en finit plus de s’extasier sur tous ces singles et il a raison, car ça ne sert qu’à ça et ça fait soixante ans que ça dure. Sal salue l’énorme bassmatic de James Jamerson et pouf, il saute sur «Satisfaction», il parle de riff of the century - The greatest rock’n’roll record of all time ? Hell yeah ! - Retour aux hits de base avec «Be My Baby» des Ronettes (another in the all-time top 10) et revient à la Soul magique avec le «What’s Going On» de Marvin - Again, James Jamerson plays one of the all-time great bass lines - Comme on peut le constater, jusque là, tout va bien. Sal est incapable d’écouter un mauvais disque. Il ne brandit que des rondelles magiques. Voilà «My Girl» des Temptations, puis le Percy Sledge évoqué plus haut, suivi de «I Can Hear The grass Grow», holy shit, this is the best record to come out of England in 1967, il met les Move exactement au même niveau que les Beatles, les Stones, les Kinks, les Who - They are what exciting English rock is all about - C’est tout ce qu’il adore dans le rock anglais. Chapeau bas aussi pour «69 Tears», the ultimate garage rock classic, pour «Green Onions», pour «Keep On Running», avec la killer bassline de Muff Winwood, tiens comme par hasard, et puis voilà Wilson Pickett avec «99 and 1/2», my #1 Soul man, a true badass. Il cite Buffalo Springfied comme son deuxième favorite American band après les Byrds et ne tarit plus d’éloges sur les Raspberries («Tonight») qui combinent si bien le flair mélodique des Beatles avec le power des Small Faces. Bel hommage aux Miracles («Going To A Go-Go») et à Aretha, bien sûr («I Never Loved A Man (The Way I Love You)»), Fame Sound, Jerry Wexler and a bunch of white musicians - Link Wray dont il recommande «Rumble» - PLAY IT LOUD - Little Richard avec «Tutti Frutti» - This was the MOST exciting record to come down the pike - Dionne Warwick, les Shirelles, Martha And The Vandellas («Nowhere To Run») - And this is where Keith Richards gets the ‘Satsisfaction’ riff from ? - Dwight Twilley Band avec «You Were So Warm» - Sun records reverb and Beatles melodies - Walker Brothers («The Sun Ain’t Gonna Shine Anymore») - One of my favorite vocal performances of all time - Julie Driscoll & Brian Auger Trinity, Spinners, Zombies, Dusty chérie («I Close My Eyes And Count To Ten»), Easybeats, Moby Grape - My favorite debut album - Jackie De Shannon («When You Walk In The Room») - Elle fit la première partie des Beatles, écrivit des chansons pour les Byrds et Marianne Faithfull, elle avait Ry Cooder dans son backing band et eut une relation avec Jimmy Page - Jackie est une BIG personal favorite de Sal. Music Machine est son groupe garage préféré («Talk Talk»), et il adore les Ramones («I Wanna Be Your Boyfreind») - Thanks for saving rock’n’roll, Johnny, Joey, DeeDee and Tommy - et puisqu’on est dans les punks, il salue les Damned («New Rose»).

Et pouf, il saute sur Etta James («At Last») - Regarded as one of the greatest R&B voices of all time - Puis il enchaîne les Supremes («Stop In The Name Of Love») et les Velvelettes («Needle In A Haystack») - Some of the most exciting singles from Motown’s wonder years - puis il salue Darlene Love («Christmas (Baby Please Come Home)» - «Fine Fine Boy», this absolute monster is for me one of the best records of all time - Il revient en Angleterre avec les Birds («Say Those Magic Words») - Ronnie Wood and one of may bass heroes, Kim Gardner - Sir Douglas Quintet («She’s About A Mover», les Bee Gess («New York Mining Disaster 1941»), Bobbie Gentry, forcément, les Groovies avec «Slow Death» - Some of the best rock’n’roll this side of Atlantic - Puis les 13th Floor Elevators, Ann Peebles avec «I Can’t Stand The Rain» et son grinding Memphis groove. Il salue aussi le «Rock On» de Davis Essex parce que Herbie Flowers y joue de la basse. Sal dit de Flowers qu’il est l’équivalent blanc de James Jamerson et pour preuve il suffit d’écouter «Walk On The Wild Side», «Space Oditty» et le «Jump Into The Fire» de Nilsson. Bel hommage aussi à Sandie Shaw («Girl Don’t Come») et il compare le team Sandie Shaw/Chris Andrews au team Burt Bacharach/Dionne Warwick, ce qui est quand même un peu osé. Joli coup de chapeau aux Turtles puis aux Foundations («Build Me A Buttercup») - killa dilla soul record from the late 60s - The Mamas And The Papas («California Dreaming»), the Dave Clark Five («Anyway You Want It») - The DC5 gave The Beatles a run for their money - Sal parle de sheer brutal power et c’est vrai. Il salue aussi Todd Rundgren à l’époque de Nazz («Open My Eyes») - The monstruously talented Todd Rundgren - et il ajoute - The Nazz from Philadelphia were one of these bands that coulda, woulda, shoulda - Pas de meilleure définition ! Sal détecte chez les Nazz les British influences, le Who-like guitar solo et des harmonies vocales dignes des Association. Il salue aussi les Hollies («I Can’t Let Go») et dit que l’album Evolution est l’un de ses BIG faves. Voilà Delaney & Bonnie qui se sont fait piquer leur groupe par Clapton, puis Sly & The Family Stone («Everyday People») - With at least two stone geniuses in the band - il parle bien sûr de Sly et de Larry Graham. Pour Sal, c’est l’un plus grands groupes de tous les temps et il te met au défi de trouver quelqu’un qui osera dire le contraire. Les Troggs qu’il traite de «minimalist geniuses» et Ronnie Spector avec «Try Some Buy Some», le hit de George Harrison - mind-blowing wall of sound production by Phil Spector and the always fabulous Ronnie on vocals - Paul Revere & The Raiders («Him Or Me»), Love («7 & 7 Is») - Love were an insanely talented group of eccentrics, drug addicts, thieves and all round misfits - oui, des punks avant la lettre, et puis voilà les Remains («Don’t Look Back») et Emitt Rhodes au temps de Merry-Go-Round - And the most amazing record the Beatles never made, «Listen Listen» - Fleetwood Mac avec «Albatross», les Pretty Things avec «I Can Never Say» - The Pretty Things étaient plus chevelus et plus féroces que les Stones et c’est complètement dingue (it’s plain crazy) qu’ils ne soient pas devenus des stars - Oui, Sal, on est complètement d’accord avec toi. Il passe directement à «See Emily Play» - British psychedelia at its finest - et il traite Syd Barrett de biggest drug casulaty of the 60s. Après Traffic et les Moody Blues, il tape enfin dans les Small Faces avec «All Or Nothing» - Another band in my top 10 of all-time - S’ensuivent Donovan et les Creation («Making Time») - The greatest unknown band to come out of the UK, do yourself a favor and check these guys out - Them («Gloria/Baby Please Don’t Go») - The most iconic garage song of all time - Il ne tarit plus d’éloges sur les Blossom Toes et leur premier album, We Are Ever So Clean, et il passe directement à The Action avec «Shadows And Reflections» - Commercial failure, like the Creation - Sal s’incline jusqu’à terre devant Bobby Womack pour «Across 110th Street» et il a raison, car c’est une pure merveille, puis c’est au tour des Meters de passer à la casserole avec «Cissy Strut» - They are considered royalty in the Crescent City - Voilà les Standells avec «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» - It’s what trashy garage rock is all about - le MC5 avec «Tonight» - the fiercest kick-ass rock‘n’roll ever - Il rend aussi hommage à Jack Nitzsche («The Lonely Surfer»), aux Chantells dont on entend le «Look In My Eyes» dans le Goodfellas de Scorsese, my favourite film. Il n’oublie pas Chucky Chuckah («Promised Land»), ni Don Covay («Mercy Mercy»), Freddie Scott, avec «Am I Groovin’ You» produit par Bert Berns, of course, Buddy Holly («Oh Boy»), The Association, les Monkees («Porpoise Song») - Headquaters is one of the best albums of the 60s - BJ Thomas («Hooked On A Feeling») produit par Chips Moman, Bowie avec «Rebel Rebel» - This guy owns the 70s the way the Beatles owned the 60s - et il ajoute, en proie à la fièvre - It was so much fun to hear Rebel Rebel on a jukebox in 1974 - S’ensuivent Jerry Lee («Whole Lotta Shaking Goin’ On») - Forget Elvis, this guy was every parent’s nightmare - Fats Domino («I’m Ready») - The Fat Man’s 45 discography is an embarrassment of riches - Gene Vincent («Be Bop A Lula»), les Who («Anyway Anyhow Anywhere») - Leurs 10 premiers singles et leurs trois premiers albums sont mes trésors les plus précieux - et il ajoute : «There were certain bands that were religion to me.» Dont les Who, bien sûr. Il salue aussi Garnet Mimms («Cry Baby») - Another Bert Berns creation, and maybe his finest - Johnny Burnette avec «Train Kept A rolling», Vince Taylor avec «Brand New Cadillac», Bo Diddley avec «Bo Diddley», Billy Fury («A Wondrous Place»), Free («The Stealer») et puis voilà Dion, Solomon Burke, les Sonics. Et tu croyais qu’il allait oublier les Box Tops, Junior Walker et Sam The Sham ? Mais non, ils sont tous là, même Big Star avec «September Gurls», et le Velvet arrive avec «Sunday Morning», puis voilà Sam And Dave («Soul Man»), et les Dolls - one of the mosts dynamic records of the 70s - S’ensuit le Jimi Hendrix Experience («Wind Cries Mary/Purple Haze») - Sal est fan des trois premier albums qu’il considère comme les meilleurs. Jimi a beaucoup de chance nous dit Sal car Chas Chandler avait tout appris de Mickie Most pour la prod - Keep it simple, keep it focused and let’s make hit records - Puis Gene Clark («So You Say You Lost Your Baby») - A songwriting genius - Swamp Dogg, Lesley Gore, James Carr, les Isley Brothers, les Stooges - One of the most influential bands of the last 45 years - Et il ajoute en parlant des trois albums des Stooges : «All great, all essential, all the time.». Arrivent ensuite les Seeds, Bob & Earl, Honey Cone, histoire de rendre un nouvel hommage à Holland/Dozier/Holland, Captain Beefheart avec «Diddy Wah Diddy», Badfinger avec «Baby Blue» et il termine avec Al Green et l’infernal «Here I Am» - THE Soul singer of the 70s - Il n’a rien oublié. Effarant !

Et puis il y a les inconnus et les inconnues au bataillon, comme Claudine Clark, une pré-Beatles dont il dit grand bien à l’écoute de «Party Lights». Il recommande aussi les Soul Survivors avec «Expressway To Your Heart», puis les Grass Roots («Where Were You When I Needed You») parce que c’est le groupe de P.F. Sloan & Steve Barri. Puis il fait l’article pour Marmalade («I See The Rain»).

Sal défend aussi des artistes qu’on n’écoute pas forcément, comme Stevie Wonder, Sonny Bono solo («Laugh At Me»), the Left Banke («Walk Away Renée») ou encore les Searchers, the MOST under-appreciated British group of the 60s. Il recommande aussi vivement le «Stoned Out Of My Mind» des Chi-Lites et le «Pretty Flamingo» de Manfred Mann. Puis les 4 Seasons que Sal détestait en réaction des gens de son quartier à Little Italy qui vénéraient les 4 Seasons et qui haïssaient les Beatles. Comme Sal adorait les Beatles, alors il détestait les 4 Seasons, mais il avoue aimer la voix de Frankie Valli. Il recommande aussi les Beau Brummels, et pas seulement «Laugh Laugh» mais aussi l’un des albums de l’âge d’or, Bradley’s Barn. Il vante aussi les mérites de Reparata & The Delrons («I’m Nobody’s Baby Now») et de Jimmy Hughes qu’il faut effectivement ne pas perdre de vue - A treasure of the Muscle Shoals Soul.

Bon, il reste encore des tas de trucs, mais pour éviter l’overdose, on va en rester là.

Signé : Cazengler, sale merda

Sal Maida. Four Strings, Phony, Proof And 300 45s. Hozac Books 2018

Milk ‘N Cookies. RPM Records 200

 

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Le Rock c'est Ça ! C'était écrit en toutes lettres sur la pochette du premier 25 cm français de Vince Taylor. En ces temps originaires tout semblait simple. Depuis il en a coulé de l'eau de la Seine sous le Pont Mirabeau, de l'eau sur la scène Rock aussi ! A tel point que le secret du Ça s'est un peu perdu. L'est difficile d'y mettre la main dessus. Vous avez Le Livre du Ça de Georg Groddeck paru en 1923 qui nous raconte que le Ça serait une sorte de maladie auto-immune, une espèce d'embryon pathogène que notre corps et notre esprit engendreraient en une frénétique copulation contre-nature, que nous abriterions à l'intérieur de nous, une espèce d'Alien niché au-dedans de nous, un squatteur fou qui nous dirigerait. A notre insu, du moins comme notre conscience feint de faire semblant de le croire. Les Anciens Egyptiens et leur sagesse pyramidale connaissaient le Ça qu'ils nommaient Ka. Ils le définissaient comme cette part d'immortalité qui nous habitait et qu'il convenait de garder précieusement intacte en nous après notre mort pour accéder à l'immortalité. D'où la nécessité d'embaumer les cadavres et de veiller attentivement à la préservation de nos momies. Autrement dit le ça ou le ka serait notre principe de vie agissant. Tout ça en tant que préliminaires à notre chronique du premier disque d'Aliça F!, pardon d'Alicia F!

ALICIA F!

( Single / Damn101 )

Alicia Fiorucci : lead vocal / Tony Marlow : guitar, backing vocals / Fredo Lherm : bass, backing vocals / Fred Kolinski : drums, backing vocals.

D'abord une pochette bien sûr. Sans quoi ce ne serait pas une surprise. Car le rock se doit d'agresser les yeux autant que les oreilles. Artwork de Mike Cookson admirablement mis en page, du faussement très simple, une photo d'Alicia alignée à droite, un lettrage coqueluche de craquelures sur la gauche. Le tout baigné de d'obscurité. Qui resplendit de lumière. Le halo de feu autour des cheveux mi-longs d'Alicia – et ce regard vert de vipère qui darde et vous pétrifie à tel point que vous n'oseriez porter vos regard sur la blancheur irradiante de ce corps blanc, si ce n'était cette insolente attitude de souveraine indifférence aussi incisive que le tatouage barbelé qui enserre le haut d'une cuisse interdite.

La photo est issue d'une série d'Antoine '' TK PIX'' Newel dont nous reparlerons dans une prochaine livraison. Elle est reprise sur l'œil du disque, centrée sur le corps, une focale qui en accentue la lascivité.

My No-Generation : si l'on vous a déjà offert une vipère heurtante du Gabon et qu'elle vous a sauté au cou pour vous souhaiter la bienvenue en prenant garde d'enfoncer profondément ses longs crochets dans votre gorge vous pouvez écouter sans danger ce titre. Sans quoi vous risquez d'être surpris, le morceau n'a pas commencé que vous voici valdingué par un monstrueux vlan de guitare et la voix d'Alicia surgit et se plante en votre cœur tel un poignard meurtrier. Si vous croyez en être quitte pour la peur, vous vous méprenez. Reprenez vos esprits, c'est difficile, ça klaxonne de tous les côtés à la Ramones, et c'est fini. C'est quoi ce truc de madurle, deux minutes et trente-trois secondes de love suprême et c'est ignominieusement terminé. Question affirmation de soi, Alicia F! ne fait pas dans dentelle. A la manière dont elle prononce ses trois derniers I don't care, vous comprenez qu'il vaut mieux ne pas chercher à chipoter. D'ailleurs Fred Kolinski vous cloue le bec d'un dernier coup de marteau définitif. Adjugé. Plié. La purple panther a disparu. Quant à Marlow le filou fellow il s'est débrouillé pour placer dans tout ce tintamarre un destroy solo, genre parquet ciré glissant du Titanic quand il plonge vers les abysses, qui fera rockin' date.

I fought the law : une reprise – il n'y en aura que deux au grand maximum sur l'album en préparation – pas n'importe laquelle, l'hymne des rebelles du rock'n'roll écrit par Sonny Curtis qui enregistra avec Buddy Holly et Eddie Cochran – un titre qui colle à l'art natif de vivre d'Alicia F! je n'en fais qu'à ma tête car je suis un être humain libre comme ces animaux que les hommes surnomment sauvages. Aussi elle vous l'entonne à pleins poumons, à pleine joie, un vent impétueux qui courbe la cime des arbres, et derrière les musiciens reprennent en chœur, Kolinski s'offre une rafale insidieuse de battements névrotiques à la suite desquels Frédo Lherm en profite pour un lâcher de basse enragée. Marlow déploie tout du long l'oriflamme de sa guitare et Alicia vous force de son vocal pandémoniaque toutes les prisons et brise toutes les chaînes mentales qui nous emprisonnent à nous-mêmes.

L'air de quelque chose qui ressemblerait à un concept-single. Alicia a compris que le rock sans mythologie est insipide, qu'il faut incarner le fantasme de son propre personnage afin de phagocyter de sa propre volonté agissante l'imaginal cerveau de l'auditeur. L'idole n'incarne que son propre désir à être soi-même dans toute son unicité stirnérienne. Moi et rien d'autre que cet amour hargneux du rock. C'est lorsque l'on est définitivement devenu l'œuf germinal de sa propre solitude, de sa propre plénitude, que l'on peu devenir l'absolu et nécessaire miroir de tous les autres. Le rock'n'roll c'est ça.

Et rien d'autre. Que cette manipulation mentale. Magie musicale.

But we like it.

Et avec ce premier vinyle, Alicia F! y réussit magnifiquement.

Damie Chad.

 

MOUNTAIN ( VI )

 

1973

West, Bruce & Laing s'est terminé en queue de poisson, trop de drogue, trop d'égos, Jack Bruce parti, Leslie et Corky se retrouvent seuls, pas pour longtemps, plus de bassiste, même pas le temps de se retourner voici que Felix Pappalardi arrive ventre à terre. L'a un super plan à proposer : la reformation de Mountain. Mais pas que. Du fric à se faire : au Japon. A la clef de cette tournée au pays du Soleil Levant, les royalties d'un double album live, qui résisterait à une telle proposition ? Corky se désiste sans tarder. Ce n'est pas qu'il n'aime pas les Japonais, c'est qu'il voit les ennuis se profiler. Certes des étincelles à prévoir entre Felix et Leslie, mais ce n'est pas le pire. Pappalardi n'est certainement pas un mauvais bougre, par contre c'est un homme sous influence. Non ce n'est pas la mafia qui lui court après, c'est dommage, ce serait mieux, mais allez vous dépêtrer de sa diablesse d'épouse. Gail Collins est une peste. Bubonique. Faut qu'elle se mêle de tout. Qu'elle ramène son grain de sel à tous moments.

Balle au centre entre Felix et Leslie. L'arbitre Corky a démissionné. Justement Pappalardi connaît un autre batteur, c'est lui qui marque le point, lui reste encore à déstabiliser son redoutable adversaire : tu sais Leslie tu te débrouilles bien aux guitares toutefois si tu avais un gars pour te soutenir ce serait moins fatiguant pour toi. Leslie pare le coup : ok, pour cette tournée, mais à la prochaine I want Corky. Pas chaud le Leslie, toutefois qui cracherait sur une mountain d'or...

TWIN PEAKS

1974

Un double live made in Japan, enregistré le 30 août 1973, à Osaka. Pour l'artefact heureusement que Gail Collins est beaucoup plus imaginative que le sous-doué qui s'est chargé de la pochette du Deep Purple... Reste fidèle à son style. Sobriété démiurgique. L'on peut se perdre dans sa contemplation. La montagne est toujours là, mais sombre, massive, menaçante. Le ciel est rose, la couleur préférée des petite-filles, Gail impose le cachet de sa féminité, une manière d'affirmer qu'elle est autant Mountain que les musiciens. L'on a vite fait de se perdre dans les fluidités anguleuses du dessin. Quel est ce cygne qui semble aller de l'avant alors que son col infléchit déjà le chemin du retour, et cet être-soleil aux cheveux couronnés d'épis d'or qui semble l'accueillir, quel est-il ? Mais nous n'avons analysé que les deux tiers du dessin. Le troisième est au verso de la pochette. La montagne noire est toujours là, à croire que Gail ait voulu répéter deux fois la même scène, celle-ci se déroule avant celle du recto, la blancheur du cygne file telle une flèche, elle s'apprête à dépasser le prince-soleil autour duquel elle effectuera l'infléchissement du retour de sa trajectoire. Le bec pointu comme la flèche de Zénon qui vole et ne vole pas puisque tout instant est inscrit en sa propre solitude, en son propre espace. Si vous les additionnez les uns après les autres vous en déduisez le continuum d'une histoire, qui sort de votre imagination, peut-être vaut-il mieux comprendre que ces instants sont séparés et ne communiquent pas entre eux. Que la balle qui vous tue, n'a rien à voir avec cette autre qui a été lancée. Toute poésie picturée n'est-elle pas prémonitoire. Comme par hasard le quatrième tiers est un bandeau noir qui sert d'écritoire récapitulatif.

Allan Schwartzenberg ce n'est pas Corky, mais ce n'est pas le dernier venu. Musicien de session l'a joué avec tout le monde et les plus grands. Grand amateur d'Elvin Jones, il a acquis cette subtilité qui lui permet de trouver sa place dans n'importe que style. Pour rester dans le style de musique la même année que sa participation a Twin Peaks il travaille avec James Brown, l'année suivante Alan Douglas fera appel à lui pour rajouter la batterie sur six des huit pistes de l'album posthume et controversé de Jimi Hendrix Crash Landing.

Bob Mann, tout comme Allan Shwartzenberg il a accompagné Gloria Gaynor, Linda Ronstadt, Barbara Streisand... Pianiste et guitariste, capable de tout jouer et de tout arranger, de tout composer, du rhythm 'n' blues à la musique classique. Pappalardi n'a pas fait appel spécialement à des rockers mais à des mercenaires de haut niveau.

Leslie West : guitar, vocals / Felix Papparladi : vocals, bass, keyboards / Bob Mann : guitar, keyboards / Allan Schwartzberg : drums.

Never in my life : rien à dire le son est là, l'alchimie entre la vieille garde et les nouveaux embauchés se réalise, à cette différence près que le son est top léché, n'émane pas de ce premier morceau la force convulsive qui agitait les disques de la première période. Theme for an imaginery western : sur ce morceau plus lent le défaut du premier titre est moins apparent, la voix de Pappalardi couvre tout, dès qu'il se tait l'auditeur se met en attente de son retour, manque toutefois l'épaisseur de la la frappe de Corky. La deuxième guitare n'apporte rien, elle fluidifie le jeu de West mais ne lui donne pas davantage de furie. Blood of the sun : la voix de West fait sauter le barrage et emporte nos préventions et le caramel de l'assentiment, toutefois la cymbale de Schwartzberg est trop légère. Guitar solo : West tel qu'en lui-même, qui s'amuse, solo tout en douceur, haché de silence, idéal pour comprendre comment il construit son architecture, lorsqu'il se déchaîne l'on dirait qu'il s'overdube lui-même. Monte dans les aigus, un peu comme s'il se moquait de nous. Nantucket Sleighride : Pappalardi irradie. L'on en oublie que l'orchestration manque d'un peu d'ampleur. Poussez le son si vous voulez voler parmi l'écume et les embruns. Nous ne retrouvons pas l'émotion qui nous avait saisi lorsque nous l'avions chroniqué en diamant solitaire dans la suite consacrée au deuxième album de Mountain. Crossroader : un cabochon pour Leslie qui fait sonner sa guitare comme il se doit sur un morceau qui n'a pas la prétention de révolutionner le rock, ni de le porter à incandescence. Se débrouille pourtant pour en faire un des temps forts de l'album. Mississippi queen : le cordon de gloire de Corky, Schwartzberg fait gaffe à ne pas le rater et la guitare de Leslie vient en contrefort pour ne pas faire rougir son vieux copain absent. Silver paper : un vieux morceau, vous le découpent à la dentelle, c'est joli, c'est mignon tout plein. Tressent des guirlandes pour la fête de Noël. Vous le font durer, y prennent du plaisir. Nous aussi. Roll over Beethoven : en fait on préfère le bon vieux rock'n'roll. Ne vous demandez pas pourquoi.

Soyons franc, le disque ne nous convient pas tout à fait. Trop policé. Ressemble un peu à ces marches que l'on a taillées dans le rocher pour permettre aux touristes d'accéder à la forteresse de Montségur sans risquer de glisser et de basculer dans l'abîme. L'on est très loin des bootlegs de West, Bruce & Laing. L'adjonction des deux professionnels a permis une certaine efficacité mais ils ont masqué d'une brume sans mystère les abrupts de la montagne sacrée.

Plus tard West affirmera que ce japan tour n'était pas ce qu'il désirait. Repartir avec Mountain, ce n'était pas idiot, mais pas pour rejouer les mêmes éternels morceaux. L'était comme Baudelaire, recherchait du nouveau. Est-ce pour cela qu'il accepte de participer à un nouvel album ? L'a tout de même pris une assurance tout risque : Corky est revenu. La partie est tout de suite plus égale : Corky + Leslie d'un côté, Felix + Gail de l'autre. Bon prince, Leslie accepte un second guitariste, ce n'est pas ce qui lui fait peur.

AVALANCHE

1974

Leslie West : guitar, vocals / David Perry : Rythm guitar / Felix Papparladi : vocals, bass, keyboards / Corky Laing : drums.

Je vous avais demandé de garder en mémoire la pochette de Live 'n' Kickin', elle n'est pas de Gail Collins, elle est signée de Pacific Eye & Ear, studio-design à qui l'on doit de nombreuses couves d'artistes rock, une des plus célèbres étant par exemple le Berlin de Lou Reed. Nul besoin d'avoir fait une école d'art pour s'apercevoir que la structuration de la pochette d'Avalanche due à Gail Collins possède quelques ressemblances, des espèces de rappels à l'ordre, le cercle évidemment, les photographies des musiciens en pleine action dans la mire. Gail a choisi Leslie et Felix sur scène jouant et chantant, comme au bon vieux temps de Mountain. La citation circulaire empruntée à WB&L est là pour signifier que la brisure a déjà eu lieu que l'histoire de Mountain en est à son dernier acte. La montagne est d'un noir de deuil aveuglant. Le ciel coloré – espèce d'arc-en-ciel angulaire – témoigne de l'éclat d'un prestigieux passé. Le reste du dessin est typique du style de Gail, quel est cet étrange poisson volant et pourquoi l'oiseau sur sa racine ne s'envole-t-il pas, comme si quelque chose ne tournait plus rond ? Plus de cygne qui ne nous fasse signe. Un peu comme si drame était déjà consommé. Gail Collins avait-elle la prescience que c'était la dernière pochette de Mountain qu'elle dessinait. Sans doute était-elle au courant de la décision irrévocable de Pappalardi de mettre définitivement fin au groupe...

David Perry est originaire de Nantucket, autant dire qu'il s'inscrit naturellement dans la communauté Mountain. Il jouera dans Black Cats et dans The Dionysians avec Nick Ferrantella qui devint le road manager de Mountain et de West Bruce & Laing, l'on comprend qu'il ait pu être facilement accepté par Leslie et Corky. Nous le retrouverons en un autre épisode avec Felix Pappalardi.

Whole lotta shakin' goin' on : les classiques du rock, ce n'est pas le trésor du Capitaine Flint qui nécessite toute une expédition maritime, sont accessibles à tous, les coffres inépuisables largement ouverts débordent de diamants gros comme le Ritz, il suffit de se baisser et de puiser dedans à pleine mains. Généralement les groupes ne proposent ces dragées aux poivres de Cayenne explosives qu'en concert en guise de dernière faveur avant de s'esquiver. Mountain se moque de ces coutumes. Directement en ouverture de face A pour l'album studio censé marquer le grand retour. Ne doutent de rien, pas une énième reprise du old but eternal & young Berry, n'ont pas peur du grand méchant Jerry Lou, lui ont dérobé son épaule saignante de phacochère préférée, grands princes ils lui ont laissé son pumpin' piano, vous le font à la sauce Mountain, vocal à l'arrache, guitare gourmande et aigüe et Corky tout heureux qui mène le train. Ne closent même pas le débat d'un accord majeur, se permettent l'infini instrumental des rails qui courent jusqu'au bout du monde, juste pour nous faire regretter qu'ils ne l'aient pas laissé filer sur toute la face de l'album. Sister justice : pas de jaloux, à Felix le chat de prendre la relève. L'est comme ses jeunes filles qui mettent leur plus belle robe pour être sûre de vous séduire, sait très bien que son attrait numéro un c'est sa voix, vous l'estampille avec cette coquetterie qui vous pousse à coller un timbre de collection sur une lettre d'insultes à votre percepteur, vous la pose dès le début et ne se tait pas jusqu'à la fin, personne ne fait mieux que le boss, il vous trousse la ritournelle et vous êtes éblouis par ce qu'il révèle dessous, les trois autres jouent sous du velours, je ne dis pas qu'ils se roulent les pouces, ils assurent le job à la perfection, quand Orphée chantait les argonautes souquaient d'autant plus ferme. Grenadine fortement alcoolisée. Ne pas en abuser. Alisan : une petite compo de West, cristalline, avec quelques vols d'éventails sinon mallarméens du moins acoustiques, et hop ça part sur un son banjo, tout ce qu'il y a de plus country, vous ne glisseriez pas un feuillet de cigarette entre deux notes, l'on repart en berceuse, légèrement plus accentuée, sur ce balancement mordoré un bébé se croirait dans le ventrou de sa maman. Swamp boy : écrit par Monsieur et Madame Papplardi, l'on change d'endroit, chaleur et rythme poisseux, la basse de Félix qui clapote et le vocal genre poire d'angoisse hennit en douceur comme si un serpent lui passait entre les jambes. ( I can't get no ) Satisfaction : les deux précédents morceaux étaient beaux mais pas très avanlachiques à vous couper la chique, West jouait déjà ce hit avec The Vagrants avant Mountain, je ne sais plus qui a dit que c'était la plus belle reprise du chef d'œuvre ( parmi tant d'autres ) des pierres roulantes, peut-être que si Decca ne l'avait pas sorti avant qu'elle soit revue par les cinq voyous de bonne famille londoniens aurait-elle fini à ressembler à cette pétaudière à péter les chaudières... En tout cas elle n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd, nous verrons plus loin pourquoi, Corky a la bonne idée de ne pas tenter d'imiter Charie Watts, Felix en profite pour vraiment jouer de la basse et Leslie avec un bottleneck vous dépèce un serpent vivant et au lieu de se servir de sa guitare il nous offre les cris gémissants du reptile frémissant. Jamais plus vous n'obtiendrez de satisfaction aussi énamourante dans votre vie. Thumbsucker : encore un titre du couple infernal, le genre prise de cocaïne parfaitement inspirée, vous avez un guitare sur un mur qui picore du pain dur et vous êtes comme les petits poussins qui suivent leur mère les yeux fermés jusqu'à la prochaine rôtisserie. Seriez prêts à lécher n'importe quel doigt que l'on vous tendrait pour le réécouter en boucle. You better believe it : quand Corky tapote sur sa cloche à vaches, pouvez commencer à rédiger votre testament, plus la peine Leslie lui vient prêter assistance et c'est parti for the last devil's dance, le vocal de West ressemble à des hurlements de sioux lors de l'assaut contre le septième de Cavalerie, et derrière vous avez un de ces froissés de riffs, comme il ne s'en fait plus cette terre depuis au moins la cruci-fiction du Christ. Superbe, un des meilleurs titres de Mountain, vous pouvez me croire. I love to see you fly: une ballade pour Gail, pour une fois Leslie a aidé Felix pour l'écrire. Un moment de faiblesse masculine, Pappalardi a cueilli les plus belles roses pour sa compagne, Leslie a rajouter un épineux d'acoustique. Ne faut pas non plus souhaiter l'impossible, la vie est parfois assez dure dans sa réalité. Le genre de ballade vicieuse qu'auraient pu composer les Rolling, seraient-ils parvenus à être aussi cyniques ? Back where I belong : les petites fleurs même carnivores c'est beau, mais Corky et West ils préfèrent les gros riffs qui tâchent la nappe de gros cercles rouges. Vous le répètent en cœur, ils appartiennent au rock'n'roll. Parfait, nous aussi. Last of the sunshine days : une mélodie aigre douce, Gail et Pappalardi se préfigurent dans l'après-Mountain. N'ont apparemment aucune idée sur la manière de comment l'histoire se terminera, pas vraiment un morceau de rock, une chanson à la Tin Pan Alley, un rire amer pour tirer sa révérence. Celui qui s'amuse le plus dans ce final c'est Corky, on le sent soulagé, marque le rythme avec entrain, à se quitter autant que ce soit en bons amis.

Le titre laissait présager une avalanche de fureur, ce n'est pas le cas. Cet album est cependant mille fois plus inventif et créatif que Twin Peaks. Une époque se termine, qui nous laisse des regrets. Certes la cassure est évidente entre le pôle sud papparlidien davantage artiste et le pôle nord beaucoup tempétueux. Inutile de s'apitoyer, quand ça ne veut plus, ça ne peut plus. Pappalardi se retire, West décide de continuer. Corky le suit.

Comme ils ne peuvent pas utiliser l'appellation Mountain, West décide de miser sur son propre nom.

THE GREAT FATSBY

( Mars 1975 )

Leslie West : guitars, vocals / Corky Laing : drums / Mick Jagger : guitar / Kenny Hinckle : bass / Don Kretmar : bass / Nick Farrentella : drums / Marty Simon : piano / Joel Tepp : guitar / Howwie Wyeh : piano / Dana Valery : vocals / Jay Trenor : Vocals.

Don't burn me : ( titre éponyme de l'album du soulman Paul Kelly paru en 1973 ) : la guitare pleure et le vocal de Leslie arrache tout, Fatsby peut tout jouer, Fatsby peut tout chanter, il montre qu'il a l'âme plus profondément noire que la plupart, qu'il n'ignore rien des racines du rock'n'roll, qu'il existe aussi un versant moins ensoleillé que le studio Sun et moins country-rock-boy que Chuck Berry. Un chef d'œuvre inattendu. House of the rising sun : surprise n° 2, flûte ! une introduction aussi belle qu'un chant d'oiseau, l'on commence à comprendre ce que Leslie voulait dire lorsqu'il espérait ne pas refaire sempiternellement les vieux morceaux de Mountain, certes vous ne trouverez rien de plus ancré dans la tradition et dans la lignée de tout ce que le groupe a réalisé jusqu'à maintenant, et si la guitare semble reprendre les sentiers balisés, voici qu'après le premier couplet c'est la monstrueuse voix de Dana Valeri qui lui donne la réplique, tous deux donnent dans le mélodrame le plus pur, ponctuée d'un solo de cuivre et sur la fin de relents d'harmonica. Version des plus respectueuses et des plus originales. High roller : rajouter un ''s'' en dernière lettre et vous possédez le titre d'un album des Rolling Stones d'un concert public donné en 1997 à Las Vegas. L'on ne s'étonnera donc pas de savoir que Mick Jagger est venu jouer quelques licks de guitare durant les sessions. Un truc que Corky a salement mitonné derrière ses peaux. Que voulez-vous quand vous vous éloignez de la montagne, elle refuse de se se barrer de l'horizon, un joyeux bordel, des cuivres qui surgissent de partout, tout cela n'est pas sans évoquer les grands morceaux des Stones avec Mick Taylor, d'ailleurs il vient de quitter les Stones et le nom de Leslie a circulé pour le remplacer. I'm gonna love you thru the night : genre de déclaration qui ne doit pas rester vaine promesse, Leslie l'ouvre en grand et c'est parti pour la ballade grand spectacle, une pincée de pop dans le rock, les Stones le feront excellemment quelques années plus tard, guitare féline qui ronronne, agréable à écouter, l'on a l'impression que Leslie sort le catalogue de toutes ses possibilités. Esp : n'est jamais meilleur qu'à la guitare, alors il montre ce que l'on n'attend pas de lui, question tonitruance il a déjà donné, ici il envoie grave la nuance, sait travailler aussi dans la ciselure et le chromé-or qui arrache des cris d'admiration. M'étonne qu'un réalisateur de film n'ait jamais songé à utiliser cet acoustique, je le verrais très bien par exemple pour les scènes idylliques de Bilbo the Hobbit. Honky tonk woman : hot stuff, si vous voulez savoir si Leslie pourrait se faufiler dans les coulées fragmentées de Keith Richards, la réponse coule de source, même que si le Jag avait un soir une subite laryngite il pourrait lui donner un coup de main derrière le micro. If I still love you : une espèce de faux blues à moins que ce ne soit un blues totalement stoned, il y a des jours où l'on se sent plus vaseux que d'autres, une feuille d'automne mélancolique qui tombe de l'arbre, avec des chœurs grandiloquents derrière qui nous chantent combien la vie est triste. Doctor love : un fromage appuyé un peu trop pop à mon humble avis. Le premier clin d'œil de l'album à Free, comme si West avait vraiment besoin de cette référence. If I were a carpenter : le classique de Tim Hardin, par chez nous repris par Hallyday, question accompagnement, ce n'est pas renversant, West a dû l'enregistrer pour le plaisir d'étaler ses octaves, et le désir de laisser Dana Valeri poser sa voix, hélas trop peu de temps. Mignon mais pas craquant. Little of bit of love : un deuxième morceau de Free, c'est bien fait, mais un peu superfétatoire, heureusement que Dana Valeri montre de quoi elle est capable.

Un album un peu surprenant, Leslie semble marcher sur les traces de ce que Pappalardi enregistrera de son côté pour son propre compte. Avec ce titre ventripotent beaucoup de fans ont dû s'attendre à une apocalypse sonique monstrueuse, mais non, peut-être a-t-il été un peu mangé par tous les participants présents dans le studio, à moins qu'il ne soit à interpréter à l'aune de The Great Gatsby, le roman de la désillusion de Fitzgerald comme si se retrouvant seul Leslie se sentait un peu démuni, ne sachant trop vers quoi se diriger. Stones, Free, soul, pop... le gars un peu perdu, qui bricole dans son coin, avec Corky incapable de le cornaquer. De toutes les manières qui pourrait réussir le prodige de mener West par le bout du nez. L'est trop sûr de lui, trop orgueilleux pour ne pas décider de lui-même ce qu'il veut... Les ventes de l'album ne décolleront pas. Un bon disque certes, mais aux USA à l'époque il en sortait au minimum un par jour de cet acabit. Très symptomatiquement les titres sont souvent de jolies bluettes d'amour déçu. Drôlement bien foutues. Pas très longues non plus car Leslie est homme à cacher ses faiblesses et voiler ce sentiment insistant que le meilleur de la vie est désormais derrière lui.

THE LESLIE WEST BAND

( 1976 )

Leslie West : guitar, vocals / Corky Laing : drums / Mick Jones : guitar / Don Kretmar : bass guitar / Frank Vicari : horns / Sredni Vollmer : harp / Ken Ascher ; piano / "Buffalo" Bill Gelber : bass / Carl Hall, Hilda Harris, Sharon Redd, Tasha Thomas : backing vocals.

Money : les guitares, pour une fois l'adjacente n'est pas inaudible, c'est Mick Jones – en France, on l'appelait lorsqu'il officiait auprès de Johnny, Micky Jones, ce qui est marrant c'est que la frappe de Corky n'est pas sans évoquer celle de Tommy Brown son complice d'alors – ce n'est pas le vieux classique de Barrett Strong, mais un stuff tout aussi efficace, le Leslie quand il chante vous avez l'impression qu'il vous arrache une dent de sagesse à chaque mot, chaloupé sur une mer qui fraîchit salement, trop court, terriblement efficace avec en plus des chœurs féminins très clitoridiens. Dear Prudence : j'avoue un a-priori défavorable, le genre de morceau que j'ai toujours eu du mal à avaler sur le double-blanc des Beatles, comme quoi l'aspirine avec un peu d'arsenic ça passe mieux. Certes Leslie est un grand guitariste, mais il ne faudrait pas sous-estimer sa voix, ils ont même rajouté des chœurs féminins ce morceau sur les dangers de la méditation transcendantale acquiert un petit côté western, avec des mains qui tournent nerveusement autour du holster. En prime pour terminer sur une note exotique, vous avez une guitare qui se fait passer pour un sitar. Get It Up : le titre évoque James Brown mais l'on est carrément dans un orage zeppelinien, jusqu'à la voix qui n'est pas sans évoquer Plant, une batterie devenue folle et un harmo atteint de délirium tremens. Ne dépasse pas quatre minutes, mais puisque leur plumage se rapporte à leur ravage, ils sont les rois du heavy metal. Singapore Sling : une petite mélodie slingante à souhait. De l'acoustique sans à-coups. Leslie vous donne l'aubade. By The River : ce n'était qu'un intermède, l'on démarre sur un rythme à la Bo Diddley et l'on s'enfonce tous en chœur dans la forêt vierge avec des anacondas multicolores qui servent de guirlande entre les arbres. Dépaysement garanti. The Twister : rien à voir avec le twist des surboums des années soixante, Frank Vicari joue au jokari avec son sax, il nargue le grondement des guitares qui écrasent tout derrière vous et vous avez beau courir à toute vitesse, elles finissent par vous rattraper. Setting Sun : Leslie a toujours adoré les couchers de soleil romantique, avec des guitares dorées et des chœurs féminins nostalgiques, le beau chromo que vous trouvez accroché dans la chambre de tous les hôtels économiques. La dimension cheap du rock'n'roll. Tout le monde se tait, n'y a que Corky qui n'a pas compris que c'est le moment de l'introspection générale, se retrouve tout seul à tapoter sur sa sa batterie, et vous ne savez pourquoi votre cœur se serre. Que sont ces gouttelettes de rosée qui roulent comme des larmes de guitare sur vos joues ? Sea Of Heartache : la même chose que précédemment mais en beaucoup plus fort. Un festival de guitares en surimpression, les forces tumultueuses du destin s'approchent, vous recouvrent, s'éloignent et vous laissent dans votre solitude. We'll Find A Way : retour à l'enfer du rock urbain, les voix des filles qui vous poursuivent comme des sirènes d'usine, Corky vous dirige vers les quartiers du crime et de la jouissance, les guitares vous brûlent le sang, Leslie aboie après vous comme le chien de l'enfer. We Gotta Get Out Of This Place : reprise d'un des plus beaux morceaux des Animals ( facile ils n'ont enregistré que des perles pour nos oreilles de pourceauphiles ) impossible de faire mieux que ces satanées bestioles, alors le band à Leslie se colle dessus et se contente de suivre le mouvement. On aurait préféré un peu plus d'audace, surtout pour terminer l'album. Peu stratégique, les fans de base pensaient qu'ils allaient pulvériser le hit.

Ce deuxième album est meilleur que le premier. Il ne se vendra pas davantage. Tous deux partagent un même défaut, des morceaux trop courts qui ne dépassent guère les quatre minutes. A chaque fois, une belle idée, mais trop vite délaissée avant d'être exploitée. D'où systématiquement une déception que l'on se refuse à avouer...

Leslie aura du mal de se remettre de ses deux échecs successifs. Le bilan qu'il tire des trois dernières années n'est guère florissant. Il quitte New York pour Milwaukee dans le Wisconsin ce qui ne le rend pas plus fameux mais beaucoup plus loser... Se met au vert à la campagne. Essaie d'arrêter la drogue et tombe en dépression. L'on perd sa trace. Il ne croit plus en lui, il ne croit plus au rock'n'roll. Le monde change, les vieux groupes passent de mode, n'est plus qu'un éléphant en route pour le cimetière des dinosaures. Rien de ce qu'il entend ne l'agrée...

Mais si tu ne vas pas au rock'n'roll, le rock'n'roll vient à toi. C'est la guitare d'Eddie Van Halen qui le réconcilie avec l'idée qu'en ces temps de détresse le monde a encore besoin de bons guitaristes. La route du retour sera plus dure que prévu. Il reforme Mountain. Ne rêvons pas, il va de bar en bar et de ville en ville trouvant toujours un groupe local surexcité de l'accompagner pour un soir sous le nom de Mountain... Plus tard ils pourront dire : Moi j'ai joué avec Leslie West...

Au début des années 80 l'on proposa des millions de dollars aux Beatles pour qu'ils se reforment. Ils refusèrent. Mais l'idée était à creuser, tiens si Cream reprenait la route... et pourquoi pas Mountain... de quoi titiller Pappalardi qui se laisserait bien tenter... Suffit de retrouver Laing. N'est pas loin. Et West. Enfer et damnation, il se sert du nom de Mountain sans autorisation ! Pappalardi lui demande d'arrêter et de les rejoindre. Tête de mule n'avance ni ne recule. Niet ( je vous fais à la russe ). On est en Amérique, dans les cabinets les avocats se frottent les mains. Coup de théâtre, ce n'est pas Leslie qui rejoint Felix et Corky, c'est Corky qui rejoint Leslie. Felix est hors-jeu. Il n'aurait jamais dû annoncer à l'avance que Gail serait incluse dans la formation ! Corky + Leslie c'est déjà un Mountain presque au complet, nos deux tourtereaux se dépêchent d'étoffer leur crew, Miller Anderson à la basse et Keeth Hartley à la guitare sont recrutés. Ni une, ni deux, ils commencent à tourner, Mountain écrit en gros sur les affiches.

Que voulez vous que Pappalardi fît ? Qu'il mourût ! Et Felix le fit. Comme dans les grandes tragédies du dix-septième siècle. Pas de lui-même. Ce n'est pas qu'il y mit de la mauvaise volonté. C'est lui-même qui offrit l'arme du crime à son assassin. Un Derringer. Une arme de poing redoutable. Surtout lorsqu'il est tenu par une femme jalouse. Les relations entre les époux Pappalardi étaient tumultueuses. La drogue n'arrangeait rien. Et quand il apparut à Gail Collins que son mari était prêt à la quitter pour une certaine Valerie Merians âgée de vingt-sept ans... Le coup accidentel partit tout seul, plaida-t-elle devant les juges. Ils eurent l'incroyable bonté de ( faire semblant de ) la croire. La scène se serait déroulée au lit, Felix voulait lui apprendre à s'en servir... N'était-elle pas le seul témoin ? Elle fut libérée après quelques mois de prison.

Sur ce qui c'est vraiment passé les déclarations de West restent sarcastiques, offrez à vos belles, des fleurs, de la lingerie fine, de superbes limousines, par pitié évitez les armes... Corky parle en fatalo-philosophe, l'accident était inévitable, trop de drogues, trop de querelles, trop d'armes... Au procès de Gail, Frances l'épouse de Corky témoigne de la jalousie de Gail qui l'ayant aperçu se promener avec Felix l'aurait menacé de lui faire sauter le caisson si elle continuait...

GAIL COLLINS

Une fois libérée Gail continue à habiter à New York chez ses cousins. Une dizaine d'années plus tard on la retrouve à San Francisco. En 2005, elle déménage au Mexique pour vivre dans le village d'Ajijic près du Lac Chapala, très couru par les hippies. Sans doute vit-elle de ses royalties sur les chansons qu'elle a écrites. Il semble qu'elle ait travaillé à temps partiel dans un magasin de design tenu par une amie nommée Pearl. Elle crée des vêtements et des bijoux. Discrète elle utilise son second prénom et devient ainsi Delta Collins.

Atteinte d'un cancer – elle serait venue à Ajijic pour suivre des traitements novateurs dispensés localement - il appert qu'elle ait mis fin à ses jours. Par pendaison. Le six décembre 2013. On raconte qu'elle avait demandé sur son testament que ses trois chats fussent euthanasiés puis incinérés, et que leurs cendres fussent, telles celles d'Achille et de Patrocle, mêlées aux siennes. Ce qui la rend très sympathique aux amis des matous. Ce qui trahit aussi une personnalité propice aux anéantissements sans concession, aux engloutissements définitifs. Amour à mort.

L'on ne parle plus guère de Gail Collins. Nous terminerons sur le plus bel hommage qui lui ait été rendu, peut-être par hasard, quant à l'importance de sa participation à l'aventure Mountain. Il s'agit de la couverture d'une anthologie du groupe réalisée en 2004 en Angleterre par Columbia. The Very Best of Mountain regroupe vingt titres du groupe. Sur le fond noir de la pochette a été reproduit le bandeau coloré peint par Gail Collins qui surmontait la photo du groupe sur l'album Flowers of Evil. Sur ce faire-part de deuil, les vignettes colorées de Gail ressortent admirablement comme une main chaude et vibrante tendue depuis le royaume de la mort.

La saga de Mountain est loin d'être terminée. A suivre.

Damie Chad.

11/03/2020

KR'TNT ! 455 : ROWLAND S. HOWARD + FRIENDS / GORILLAS / THE UNCLE BIKERS / THE PESTICIDES / CHRIS THEPS / GAST / ALICIA F ! / LAIBACH /

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 455

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

12 / 03 / 2020

 

ROWLAND S. HOWARD + FRIENDS / GORILLAS

THE UNCLES BIKERS / THE PESTICIDES

CHRIS THEPS / GAST / ALICIA F ! / LAIBACH

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

La chanson de Rowland

 

Alors c’est à J.P. Shilo qu’échoit le job de l’ersatz. Et pas n’importe quel ersatz : celui de Rowland S. Howard, certainement l’un des guitaristes les plus originaux de son temps, comme le fut Robert Quine à New York. Pour s’en convaincre définitivement, il suffit de sortir de l’étagère n’importe quel Row disk, qu’il s’agisse de the Birthday Party, These Immortal Souls, Crime & The City Solution, ou bien des albums enregistrés en duo avec Lydia Lunch ou Nikki Sudden, ou encore ses deux albums solo : il s’y passe chaque fois des événements soniques assez uniques dans l’histoire de l’événementiel incriminé. Row fut un sculpteur de son exceptionnel, un authentique tisseur de soies, un Jaguar-man féérique, une espèce de force motrice qui sut, comme le fit Robert Quine avec Richard Hell, porter aux nues un rock ambitieux qui rompait les amarres avec le commun des mortels. Oh bien sûr, on ira pas jusqu’à dire que ce rock est à la portée de tous, mais il comblera d’aise les esprits curieux et enchantera les âmes aventureuses. Car c’est bien de cela dont il s’agit, d’une aventure sonique sans concession. Il ne s’agit plus de pop, ni de rock, il s’agit d’une course folle vers le néant, d’une soif d’inconnu, d’un aller simple pour les limbes. Cette musique sent parfois la mort, mais paradoxalement, son énergie la rend terriblement vivante. Les vampires incarnent eux aussi ce merveilleux paradoxe. Et Row l’incarnait mieux que personne : physiquement, artistiquement. Et J.P. Shilo ? Il fait de son mieux. On sent qu’il est fan, il était déjà là au temps de Pop Crimes, mais sa condition ne lui permet pas d’accéder à l’aristocratie.

C’est plus facile pour des invités comme Lydia Lunch ou Bobby Gillespie. Ils sont devenus légendaires et ils entrent dans le show comme s’ils étaient chez eux. Pas de problème, ça marche à tous les coups. Lydia Lunch est certainement la plus attendue. C’est aujourd’hui une vieille dame mais elle a suffisamment de métier pour ramener le focus sur les chansons. Elle sait encore shaker son shit, on l’a vue l’été dernier rendre un hommage spectaculaire à Alan Vega. Cette fois, elle salue la mémoire de Row dont elle fut la compagne avec un «Endless Fall» rocké jusqu’à l’os de l’ass, accompagnée par Mick Harvey à la guitare acide et Harry Howard au chant. Rien de tel qu’une New-yorkaise issue du sérail de la no-wave pour rocker Paname. Elle fait ensuite entrer Bobby Gillespie pour une somptueuse reprise du «Some Velvet Morning» de Lee Hazlewood. On ne sautait espérer meilleur cocktail de légendarité. C’est aussi un hit que Gillespie reprit en duo avec Kate Moss et dont on recommande l’écoute, chaque fois que l’occasion se présente. Lydia Lunch va ensuite reprendre «Still Burning», l’un de ses all times faves, dit-elle.

Mais c’est Bobby Gillespie qui va exploser le set un peu plus tard, avec une version demented de «Sleep Alone». Il fait son Jagger, danse le rock comme un dieu, le coule dans le groove infectueux que triture Shilo dans son coin. On croirait entendre Primal Scream, Gillespie shake le set en vieux pro du rock anglais, il ramène tout le saint-frusquin auquel on s’attache depuis cinquante ans. Gillespie fait son asperge, il en a les moyens physiques et spirituels. Encore un beautiful freak. Le tribute tourne à la féerie. C’est un peu comme si tous ces gens-là nous conviaient à un festin de mets délicieusement avariés.

L’autre totem de la soirée, c’est bien sûr Harry Howard, le frère de Row, le même genre de beautiful freak, même classe, même présence. Au début su set, il dédie «Marry Me (Lie Lie)» à Epic Soundtracks et le joue sur une basse Ricken rouge. Ce rock extrêmement désespéré ouvre le bal du premier album de These Immortal Souls, dont justement Epic était le batteur. Vers la fin du set, Harry Howard reviendra chanter «The Golden Age Of Bloodshed», l’une de ces chansons désespérantes qui finissent par donner le mal de mer. C’est un son dont il ne faut tout de même pas trop abuser. Ce tribute interminable va quand même durer plus de deux heures. On est content quand ça s’arrête. L’instigateur de cet événement n’est autre que Mick Harvey qu’on voit jouer de tous les instrument, principalement de la batterie. Le voilà devenu entrepreneur conceptuel. C’est aussi lui qui drive le tribute à Gainsbourg et qui s’entoure pour ce faire d’un aréopage de chanteuses nubiles, perpétuant ainsi la légende d’un Gainsbarre qui avait le bec fin en matière de chair fraîche. Mick Harvey gère le tribute à Row de la même manière, en invitant sur scène des petites gonzesses toutes plus roses les unes que les autres, notamment l’excellente Jonnine Standish qui chantait déjà en duo avec Row sur Pop Crimes, en 2009.

The Birthday Party ? Si on y revient, c’est à cause de Row. Un album comme Prayers On Fire ne s’écoute pas de la même façon si on l’écoute pour Row. Cave met le paquet mais Row veille au grain de l’ivresse. Il sort un son très particulier, comme s’il imaginait la grande finesse d’un chaos barbare. Il semble se faufiler dans les couches en jouant un funk androïde rusé comme un renard du désert. C’est en tous les cas l’impression que donne «Zoo Music Girl». On le voit ensuite jouer de la scie sur sa gratte pour créer le climax de «Cry», un cut tapé à l’excédée tétanique. Ces mecs n’en finissent plus d’allumer autour du feu et Cave fait le fou. Mais pour une raison qui nous échappe, aucune parenté ne s’établit avec les rois du scuzz-fuzz, les Chrome Cranks. Et pourtant, le Birthday Party vise le même genre de chaos sonique. On tombe plus loin sur un «Nick The Stripper» assez rampant. Ils créent une espèce de mousse de déstructuration. Seul le drive de basse ressemble à quelque chose. Row se promène dans la pampa. Il faut l’entendre gratter à l’intentionnelle ses tiguilis de gratté de poux. C’est un son gorgé de nuances d’inceste, plein d’horribles sous-entendus, un son qui se pervertit en permanence. Row joue en parallèle une suite de chorus des catacombes. Il a comme on dit le physique de l’emploi. On les voit tourner autour du pot avec «Figure Of Fun» et derrière, Row abat un travail considérable, comme s’il décorait la voûte d’une cathédrale. Ils passent à la heavyness avec «King Ink». Heavyness, chez eux, ça veut dire Max la Menace avec un Row en strapontin de résonance. Il ne joue qu’une matière de son et quand Cave arrête de déconner, Row est là. Ils tapent «A Dead Song» en mode rockab de catacombes. Au fond du boyau, fidèle au poste, Row sonne comme un écho moisi. Well this is the end, chaos supérieur stoppé net. Cave en fait trop dans «Yard». Ils reviennent à la grosse matière avec «Dull». C’est un album dont on ne sort pas indemne. Il faut le dire aux autres. Faites gaffe les gars, n’approchez pas trop près de ce truc. Il a peut être des maladies. Bon, Row fait son travail d’habillage habituel et quand ça s’emballe, alors attention aux yeux. En rééditant l’album, 4AD a rajouté deux cuts, «Blundertown» et «Kathy’s Kisses». Row fait des miracles dans «Blundertown». Il s’installe au fond du son et gratte comme un misérable à deux niveaux. Ses petits accords inoffensifs sonnent comme de la paille, et il double avec du ciselé florentin de bloblotte. Il tisse ses trames maladives dans l’air putride d’un mauvais squat. Terminus ! Tout le monde descend avec «Kathy’s Kisses». Il faut voir ce taré de Cave rentrer dans le lard de ce mauvais funk indus. Il fait le show avec une belle hargne. On comprend qu’il ait survécu à toutes ces horreurs.

Leur deuxième album s’appelle Junkyard. La pochette illustrée renvoie au garage des années de braise. Ce qui frappe le plus dans le bordel de «Blast Off», ce n’est pas la voix de Cave, mais le son de Row. Il est aussi nécessaire au son qu’un squelette l’est à une tombe. Il shake it hard. Il invente un genre nouveau, le catabeat des catacombes. C’est encore Row qui ramène de la crème dans la culotte de «She’s Hit». Il travaille aussi «Dead Joe» au corps de la matière. Pas vraiment de vision, Row semble lancer des attaques. Il sait qu’il faut surprendre l’ennemi, alors il en rajoute. Il amène des choses terribles. Dans «Hamlet», Cave pousse les cris du diable confronté à un bréviaire, mais «Big Jesus Trash Can» est trop exacerbé pour être honnête. Ils se lancent dans une extraordinaire aventure d’anti-rock. À l’époque, il fallait oser. De cut en cut, Cave continue de faire pas mal de ravages et Row reste derrière, toujours en embuscade. Il fait un excellent travail de couverture. «Kewpie Doll» sonne comme une entreprise de démolition, ils sont beaucoup plus secs et austères que les Chrome Cranks. Ils vont sur quelque chose de plus funéraire.

Quand le Birthday Party implose en 1983, Cave et Mick Harvey montent les Bad Seeds, mais sans Row. Probablement à cause de l’hérow. Alors en 1987, Row monte These Immortal Souls avec son frère Harry, Genevieve McGuckin et Epic Soundtracks. Leur premier album s’appelle Get Lost (Don’t Lie). Ils restent dans les big atmospherix avec des cuts comme «Hey Little Child» et «Once In Shadow Once In Sun». Row y va même de bon cœur, il monte vite son swagger de heavy hey en mayo howardienne, avec le festin de notes lunatiques habituelles. L’Once in shadow est même plutôt heavy, tapé dans l’excès, c’est rampé dans un absolu de gutter groove que Row chante à l’écœurette insensible maximaliste. C’est assez puissant. On se repaît de son Once. Ce mec sait de quoi il parle. C’est tentaculaire et impitoyablement drivé dans la tourmente. Quant au reste, ça demeure assez obscur. Si t’es paumé, tu te débrouilles. Tu as voulu faire le con avec ton trip d’acide, alors ne viens pas pleurer si tu n’as plus de repères. Avec Row, telle est la règle. Il envoie ses gerbes de beautiful dégueulis éclabousser le cul du culte. Il a raison de vouloir sanctifier la glorification de l’externalisation. Il sait roamer comme un vieux crocodile épuisé dans la vase, à bout de coke et de daze, ahhh, c’mon. Ce mec te plombe la soirée facilement. Extraordinaire. Disons qu’il poursuit la mission divine de Birthday Party. Il perpétue l’ornière du mec qui ne va pas bien. Il traîne son son comme une serpillière glacée et se prend pour un languide, c’est-à-dire une grosse langue de bœuf à deux pattes.

Le deuxième album de These Immortal Souls s’appelle I’m Never Gonna Die Again, et c’est là dessus qu’on trouve l’un des hauts lieux de Row, «The King Of Kalifornia». Tu as tout de suite le son du mec qui ne va pas bien. Ce génie ravagé de Row ravale la façade de son heavy rock déstructuré. On peut même dire qu’il joue à la folie. C’est jeté dans le mur. Ce dégueulis sonique ressemble à s’y méprendre à une œuvre d’art. The space guitar de Row hante ce cauchemar. Mais tout cela n’est rien en comparaison d’«Insomnicide». Row y sonne la charge des éléphants de Salâmbo Bovary, c’est monstrueux, aussi monstrueux qu’un shoot de Weird Omen. Il joue à l’embolie de dégoulinure fatale. On suivrait Row jusqu’en enfer. Il est capable d’exactions extraordinaires, il gonfle ses notes comme des crapauds. Il n’existe rien de comparable sur cette terre, non, rien de comparable à cette pulsion des mille et une nuits. C’est même monté sur un riff des Stooges. Row repeint le génie, avec ce côté anglican qui lui va si bien. C’est un cut fait pour être visité. Il tartine sa pop qui va mal à longueur d’album. En fait Row est influencé par un Cave qui va mal et qui ne veut pas aller bien. Row triture son son à n’en plus finir, il triture comme un maître tourmenteur de l’Inquisition, il pousse le rock dans ses retranchements, pour le forcer à avouer des péchés qu’il n’a pas commis. «Black Milk» ? Impossible ! Le lait ne peut être noir. Mais Row en décide autrement. Il t’empale et te prévient qu’il va t’empaler le crâne si tu le fais chier, alors fais-le pas chier. Ce monde ne nous correspond plus, c’est un monde biaisé. Laisse tomber, tu ne comprendras rien. Avec «Hyperspace», Row navigue à vue. Il laboure aussi à vue. C’est un laboureur suprême, digne des grands laboureurs du Soviet Suprême. Il peut exploser n’importe quel concept quand il veut. C’est titubé et bardé d’accords malencontreux. Tu as peu de cuts qui sonnent ainsi. Row ne s’intéresse qu’au nowhere land. Row claque son cut jusqu’au bout de l’Hyperspace. Quand il chante «All The Money’s Gone», tout s’assombrit. Pas facile d’être le pape de la Tombe Issoire. Et puis voilà, il termine avec «Crowned». Merci Row pour cette partie de plaisir coupable, thank you wonderful freak. Derrière, l’Epic bat ça sec.

Row participe aussi à l’aventure de Crime & The City Solution, avec son frère Harry, Epic Soundtracks, Mick Harvey et Simon Bonney. Un premier mini-album, Just South Of Heaven, parait en 1985. On les voit tous les cinq au dos de la pochette, frais émoulus du moulin à café. C’est Browyn Adams qui peint le ciel tourmenté de la pochette, une sorte de Boudin qui ne va pas bien. Boudin ? Eugène, bien sûr, l’empereur des ciels. Alors dès «Rose Blue», on voit que ça ne va pas. Ils sortent un son très caviste, extrêmement pesant. Ça va mal, oh la la. Voilà un disque dont on ne fera pas ses choux gras. Rien n’est au format chanson, Row et ses amis se complaisent dans le dark atmospherix, un monde opaque, sans port d’attache. En B, c’est Harry Rowland qui mène le bal avec son stomp de basse dans «Five Stone Walls» - Going to hate those walls/ Till the day I die - Puis Row fait la pluie et le beau temps dans «Trouble Come This Morning» avec un thème spatio-temporel assez admirable.

On retrouve Row sur le deuxième album de Crime & The City Solution, Room Of Lights, paru l’année suivante. On peut parler ici d’un album assez dense. Simon Bonney chante à la vraie voix et «No Money No Honey» renoue avec l’esprit howardien des cauchemars gériatriques. Soudain, Row fout le souk dans la médina avec «Hey Sinkiller». Epic bat le beurre. On retrouve chez Crime la passion du big atmopsherix, et quand Row mène le bal, ça tourne au puissant délire comateux. Simon Bonney ultra-chante son «Six Bells Chime». Ce mec est une force de la nature et les arpèges surnaturels de Row l’excitent au plus haut point. Row sculpte l’espace sonore en permanence et joue des arpèges qui ressemblent à des spectres. Chez eux, tout est chargé de nuages noirs. Simon Bonney plombe d’entrée de jeu «Untouchable» et Row décore le cut de notes rondes comme des boules de sapin de Noël. Il joue ses trucs avec un sens aigu de l’apesanteur et vise de toute évidence l’apocalypse. C’est un spécialiste de la descente aux enfers, ses notes stridentes sentent bon la folie douce. On le voit aussi allumer «Her Room Of Lights», hey hey, il gratte la java des catacombes, avec un son unique au monde, si dense et si proche du rrrrring d’une roulette de dentiste, ce mec rayonne comme un soleil noir, c’est battu à la Bo Diddley et d’une rare densité maladive. Sur la version CD, on trouve des bonus dont l’excellent «Five Stone Walls» monté sur un big bassmatic impérieux. Row revient teinter le clair de la lune dans «The Wailing Wall», il gratte dans l’espace temps, il navigue au niveau qui l’intéresse et ce n’est pas forcément le tien, d’où l’intérêt de la démarche. C’est Row qui décide, comme dans «Trouble Come This Morning». Il peut jouer dans sa résonance et trouver le moyen de sortir un son terrible. Il est partout dans le son, c’est un voyageur, il rôde en permanence, il joue tout ce qu’il peut jouer avec la parcimonie d’un vampire récalcitrant.

Nikki Suden et Rowland S. Howard ont enregistré pas mal de choses ensemble, notamment Kiss You Kidnapped Charabanc. C’est un album assez sombre que hante le fantôme Row. Il ne faut rien attendre de ces deux là, ils ne feront aucun effort pour se rendre aimables. Leur «Don’t Explain» est assez désespérant. Ils ne sortent pas de leur routine de coups d’acou. Tout est très plombé, comme privé d’avenir. «Better Blood» est presque une chanson de vampire. Nikki Sudden ne peut pas s’empêcher de faire du Sudden avec son «Debutante Blues». Il semble toujours gratter la même rengaine, avec des faux semblants de Stonesy. Par sa finesse, la partie de slide de Row rappelle celles de Brian Jones. D’ailleurs, Row tâte de tous les instruments, sur cet album, dulcimer, bouzouki, comme le fit jadis Brian Jones. Le cut captivant de l’album s’appelle «Sob Story», du pur jus de Row joué au sonic groove des catacombes.

I Knew Buffalo Bill fut longtemps considéré comme un album culte, car on y retrouve un sacré conglomérat : Jeremy Gluck, Nikki Sudden, Rowland S. Howard, Epic Soundtracks et Jeffey Lee Pierce. C’est le weird sound qui domine sur les quatre faces. «Looking For A Place To Fall» file sur un big easy drive de workout Rowlandish. On le sent rôder dans le son, il le gorge de stridences. Avec «Too Long», ils quittent le chemin de Damas et vont plus sur la pop. Tout au long de l’album, Row joue son petit rôle d’efflanqué du son dans les ténèbres, là-bas au fond du studio. Nikki Sudden domine largement l’ensemble avec ces délicatesses d’acou auxquelles il nous a tellement habitués. «Four Seasons Of Trouble» sonne comme du Sudden d’essor mesuré et prend enfin tournure dans un torrent de relentless. Nikki Sudden reste bel et bien le roi des mélancoliques, il n’en finit plus de tartiner sa plainte à la surface du rock anglais, c’est bardé d’ambiances superbes, de basses, de drums et de chœurs fêlés. Puis on voit Row venir hanter «All My Secrets» à la slide du cheval mort. Il est spectral, et certains relents de son renvoient aux Stones de «You Got The Silver». Row hante les corridors du son, il se passe des choses extraordinaires dans les couches du cut, il gratte à double dose. Le thème remonte à la surface après un blanc en forme de suspense. En rééditant l’album, Munster a rajouté un disque entier de démos et d’outtakes. Le «Burning Skulls Rise» rappelle le Brian Jonestown Massacre. Row et Lydia Lunch le reprendront ensuite sur scène. «The Proving Trail» est certainement le hit de l’album. On trouve aussi un «Threw This Away» monté sur la progression d’accords de «Like A Rolling Stone». Il se pourrait que Jeffrey Lee Pierce chante «Prayer Of A Gunman», tellement c’est désespéré. Tout cet album est bardé de son et d’allant.

Lydia Lunch & Rowland S. Howard enregistrent Honeymoon In Red en 1987. On y trouve une excellente version de «Some Velvet Morning». Elle duette avec un Row qui chante à la petite dégueulée. Aw my God, il se prend pour un Lee Hazlewood en difficulté et Lydia fait sa Nancy avec un ton atrocement faux de lullabye bye. Ils sont immondes. Ils enterrent vivant l’un des plus baux classiques de la pop américaine. Il ne faut pas s’aventurer trop loin dans les parages de cette femme. Elle cultive une sorte de goût pour la dérive mal intentionnée et l’ancolie sadiste. Avec «Three Kings», elle vient se couler dans un dirty groove de funk punkoïde orchestré par son ami Row. Ah comme ce mec est vénéneux ! Il fait aboyer sa guitare dans la nuit. Il joue le groove des squelettes dans une scène de George A. Romero, il vise le dénaturé implacable, il distille le malencontreux jerk des catacombes. On a encore du Row pur et dur avec «Still Burning». Il chante encore plus mal qu’elle. C’est à la fois mauvais et comique. Quasi-caricatural. Aussi inutile qu’une brebis périmée. Lydia Lunch fait encore des siennes sur «Fields Of Fire». Diable, comme elle chante mal, parfois. Elle tartine plus qu’elle ne chante. On serait presque tenté de plaindre cette pauvre fille. Mais on se régale de «Dead In The Head», balayé par les infernales pluies acides du grand Rowland S. Howard. Il chante derrière elle et gratte sa gratte avec une singulière appétence. C’est mortifère en diable. Il ne vit que pour la ferraille de son. Il frise régulièrement le génie.

Paru en 1991, Shotgun Wedding est le grand album classique de Lydia Lunch & Rowland S. Howard. C’est du Kill Bill avant la lettre. Quel album ! «Burning Skulls» fait partie des cuts qui ne devraient jamais s’arrêter. Sur un tempo bien heavy, Lydia écrase ses syllabes comme des mégots, avec l’insistance d’une prédatrice. Et ce diable de Row joue à la clameur délétère. C’est à la fois superbe, gothique et plombé, embrasé aux alentours et monté sur un beat qu’il faut bien qualifier de royal. Row vole le show. Il lancine atrocement et arrose le cut du meilleur jus d’acide disponible sur le marché. Ils font un duo historique avec «Endless Fall». C’est vrai, ils sonnent comme une bénédiction, Row crée des dynamiques à coups de renvois, people die, et ils relancent à deux. L’autre énormité de l’album s’appelle «Pigeon Town», riffé d’entrée de jeu. Row ne rigole pas avec la marchandise et cette garce de Lydia Lunch chante comme la plus vulgaire des putes. Ah ils sont jolis ! Row n’en finit plus de jouer à l’alerte rouge et se montre d’une incroyable théâtralité. Le son fait foi. Row joue ça jusqu’au trognon. Des mecs comme lui ne courent pas les rues. Tiens, voilà «Cisco Sunset», monté sur un heavy groove de basse. Lydia Lunch s’y glisse humidement. C’est du grand Lunch. Elle chante à la racine du beat, Row concasse ses septièmes d’accords de jazz pendant qu’elle part à la dérive dans le moonshine. Elle chante avec toute la maturité de chipie mal dégrossie dont elle est capable. En guise de clin d’œil à Alice Cooper, Row joue «Black Juju» à la pire clameur de l’univers connu. Cette diablesse de Lydia Lunch tente de calmer le jeu, mais à quoi bon ? Les bites lui échappent des mains, c’est foutu d’avance. Elle profite d’«In My Time Of Dying» pour rivaliser de nullité avec la Wendy O Williams des Plasmatics. Elle n’a aucune présence vocale. Elle bâtit sa réputation sur autre chose. Ils chauffent «Solar Hex» à blanc et tapent «What Is Money» au mood berlinois, avec tout l’undergut d’une femme qui a du vécu à revendre. Row gratte ses puces, il joue au circus géométrique de l’after-punk et Lydia Lunch se vautre dans la mélasse avec sa voix aigre et grasse d’une vétérante de la campagne de Russie. C’est encore du big heavy sound. On peut faire confiance à Row pour ça.

On retrouve la plupart de toutes ces merveilles sur un live paru chez Bang et intitulé Siberia. Row et Lydia Lunch jouaient au Paradiso en 1993 et foutaient le souk dans la médina avec «Pigeon Town». Row y multiplie les coups fourrés. Cette femme et cette guitare constituent sans doute l’une des meilleures associations de l’époque : junk new-yorkais + gothique howardien. On y entend un Row jouer dans les dernières convulsions du spasme ultime. Il ne fait que passer des tourmentes solotiques exceptionnelles. Ce mec sort du son à n’en plus finir. Il le monte en chantilly gothique. Encore des fantastiques climats soniques dans «What Is Memory». Lydia Lunch vient touiller ce brasier impérieux, en bonne touilleuse de braise qui se respecte. Elle élève le niveau de l’Atmopsherix à n’en plus finir. On voit bien que Row est lui aussi au sommet de son art tempestueux. Il joue des rafales extraordinaires. Ils bouclent leur bal d’A avec «Still Burning» qu’ils chantent à deux. Row hante le son, et plus la bassline est grasse, plus il est virulent. La B vaut elle aussi le détour, avec cet «Incubator» emmené à la grosse lancinance. Le gang de Row avance à pas d’éléphants et il tisse dans ce bordel d’infernales toiles de venin sonique. Tiens, voilà «Burning Skulls» et son riff de cathédrale. Plombé et magnifique à la fois. C’est leur hit le plus convaincu, il semble luire dans la nuit. Row tisse sa dentelle flamboyante dans le background du cut. Il est étincelant de présence, il irradie son son comme le ferait le soleil noir des légendes barbituriques. Ils terminent avec l’excellent «Black Juju» d’Alice Cooper. C’est visité par des vents terribles. Row est le prince du vent mauvais. Avec sa tête de piaf, il foutrait presque la trouille aux épouvantails. Beau final apocalyptique gratté à l’essaim bourdonnant par un Row en pleine crise mystique. Ah comme c’est puissant !

Dans Mojo, Andrew Perry décrit bien le style de Row : «He chanelled rock’n’roll through a cyclone of avant-noise.» Oui, c’est exactement ça, un cyclone d’avant-noise, un son unique. Mick Harvey raconte que Row l’appela en 1999 pour lui demander de venir en Australie l’aider à enregistrer son premier album solo. Row suivait un ‘weird’ traitement de détox et pendant deux semaines, dit Harvey, ils enregistrèrent intensively - It was like all the stars were aligned and he made his best record - Brian Hooper des Beasts Of Bourbon vint faire des overdubs de basse sur l’album, mais après. Harvey et Row enregistrèrent donc tous les deux, playing wild and free. Harvey ajoute que Row n’était pas un prolific guy. Il ne composait qu’une ou deux chansons dans l’année. Il soignait particulièrement ses textes et chaque vers tapait en plein dans le mille. Sur son premier album solo, les chansons représentent six ans de travail.

Ce premier album solo s’appelle Teenage Stuff Film. Il démarre sur un «Dead Radio» violonné à la grinçante malencontreuse - You’re there for me like cigarettes/ But I havn’t sucked enough on you yet - Voilà, le ton est donné. Il vise comme d’habitude le climatique tourmenté. Il chante son «Breakdown» d’une voix pâteuse très peu zélée - Sweet Jesus/ Ask for Christ - Joli breakdown, en vérité. En fait, Row tartine son miel. Il ne cherche pas à plaire. On est pas chez Stong. Il fait son job de loser patenté, avec des guitares latentes qui renvoient bien sûr au Velvet. On sent qu’«I Burnt Your Clothes» est déterminé à ne pas s’en sortir. C’est monté sur un bassmatic infâme. Row fait du pur Row, il erre comme un Fantôme du Bengale perdu dans la Nuit des Longs Couteaux, sur fond d’heartbeat orloffien. S’ensuit un «Exit Everything» arpenté au kilomètre et peu suivi d’effets. On trouve deux reprises sur l’album, «She Cried» de Jay & The Americans et «White Wedding» de Billy Idol, que Row admirait pour son funny side of rock-star posturing nonsense. Le groove de «Silver Chain» refuse lui aussi d’aller bien, porté par un orgue en point d’orgue. Parfois on écoute Row errer, parfois on passe au cut suivant. Le génie lugubre de Row peut fatiguer l’ouvrier, surtout au soir d’une rude journée de labeur. Il faut imaginer le pauvre ouvrier qui rame pour se payer un disk comme celui-là et qui dégueule de fatigue en écoutant son achat. Row ne se préoccupe pas du confort de la classe ouvrière, mais il n’est pas le seul. On sait que les intellos de gauche ne s’en préoccupent pas non plus. Ils pensent surtout à savonner leur savonnette. Alors que Row, c’est un peu moins pire, il ne songe qu’à rower dans les brancards. Il sort parfois des accords effervescents. «Undone» vaut pour un tour de Row long de 7 minutes. Big Row on the run. Mick Harvey : «Rowland was one of those rare guitar players with a completely distinctive sound and style, and he really cultivated that.» (Row était l’un de ces guitaristes capables de sortir un son très distinctif et il cultivait cette singularité). Et il ajoute : «Mostly he was working inside the song on what his guitar was adding to the atmosphere and how it was playing around the vocals.» (Row travaillait essentiellement à l’intérieur de la chanson, il enrichissait l’atmosphère et rôdait autour du chant).

En fait, le tribute à Rowland S. Howard programmé à la Maroquiqui porte le nom de son deuxième et dernier album solo, Pop Crimes, paru en 2009, l’année de sa disparition. Non seulement on y retrouve la plupart des cuts joués sur scène, mais aussi trois des principaux acteurs de la soirée : Mick Harvey, J.P. Shilo et Jonnine Standish qui, justement, se tape la part du lion dans l’album en duettant avec Row sur l’excellent «(I Know) A Girl Called Jonny». Elle chante à la langueur monotone, d’un ton qui colle au palais comme le bonbon colle au papier - I’m a Joan of Arc/ Of teenage lust - C’est excellent. La configuration du tribute est celle de l’album, puisque Mick Harvey bat le beurre et Shilo joue de la basse (et de la strangeness - sic). Row chante son «Shut Me Down» d’une voix incroyablement tentaculaire. Il va chercher les meilleurs effets dévastatoires. Il paraît jouer un son en constant glissement, c’est en tous les cas l’impression que donne «Life’s What You Make It», ces glissements de matières glacées qu’on filme dans les zones du globe inhabitables. Ça va même encore plus loin, puisque le son paraît enveloppé de son. Row ne cherche pas midi à quatorze heures, la clé des Pop Crimes, c’est l’absolu du son, c’est-à-dire le son pour le son. Autrement dit, une ambiance à l’arrêt, mais un arrêt un peu spécial, l’arrêt de mort, avec ses stridences de terminalité afférentes. Ça ne va pas au-delà. Row se montre pourtant assez héroïque. Il tente des virées spectaculaires, mais il faut que le groove s’installe pour qu’il puisse virer. Il y a du Artaud en Row, de toute évidence. Au bassmatic, Shilo fait bien son job de maître groover, il charge même ses lignes d’arrière-pensées, alors Row peut piquer sa crise. Il entre dans le morceau titre avec une étrange ferveur. Ce démon de Row arrose son groove des fièvres habituelles - Nothing good can comme out of this/ But the open hole of the zero/ And the open heart surgery kiss - Tout est moufté dans le son de Row et personne ne moufte. Il faudrait presque être initié pour écouter «Wayward Man» - And when I kiss you darling/ Does it stick in your craw ? - Fantastique shake de gutter shit - Was there a poverty of care/ When I cared for you - C’est explosif. Il faut en profiter tant qu’il est encore temps, car après ça, Row c’est fini. Comme le fit son frère Harry l’autre soir, Row boucle le set avec le lugubre «The Golden Age Of Bloodshed». Big heavy Row de fin de non-recevoir.

C’est à Mick Harvey que revient le mot de la fin : «Rowland was a very gentle person, and a gentleman, but he was carrying some things with him which were pretty negative as well.» (Row était un homme charmant et même un gentleman, mais il avait aussi des côtés extrêmement négatifs). Harvey rappelle que Row était furieux de voir Harvey et Cave continuer sans lui après Birthday Party, mais comme le précise perfidement Harvey, il n’a jamais compris pourquoi c’était nécessaire.

Signé : Cazengler, Roland Coward

Tribute to Rowland S. Howard. La Maroquinerie. Paris XXe. 8 février 2020

The Birthday Party. Prayers On Fire. Missing Link 1981

The Birthday Party. Junkyard. Missing Link 1982

These Immortal Souls. Get Lost (Don’t Lie). Mute 1987

These Immortal Souls. I’m Never Gonna Die Again. Mute 1992

Crime & The City Solution. Just South Of Heaven. Mute 1985

Crime & The City Solution. Room Of Lights. Mute 1986

Nikki Suden & Rowland S. Howard. Kiss You Kidnapped Charabanc. Creation Records 1987

Jeremy Gluck, Nikki Sudden & Rowland S. Howard. I Knew Buffalo Bill. Flicknife Records 1987

Lydia Lunch & Rowland S. Howard. Honeymoon In Red. Widowspeak 1987

Lydia Lunch & Rowland S. Howard. Shotgun Wedding. Triple X Records 1991

Rowland S. Howard. Teenage Stuff Film. Relient Records 1999

Rowland S. Howard. Pop Crimes. Liberation Music 2009

Lydia Lunch & Rowland S. Howard. Siberia. Bang Records 2017

 

Gare aux Gorilles - Part Two

 

En 1977, Giovani Damono déclarait dans Sounds : «The Gorillas are unashamesly out to make good-time rock’n’roll pure and simple. They’re the nearest in spirit to early Small Faces, Slade and The Who.» (Les Gorillas ne sont là que pour jouer du rock pur et dur, dans l’esprit des Small Faces, de Slade et des Who). Phillip King ressort cette coupure de presse pour célébrer la parution de Why Wait ‘Till Tomorrow 1974-1981, un double album compilatoire des Hammersmith Gorillas paru sur Just Add Water, ce petit label de San Francisco spécialisé dans la réédition de glam des seventies. Ils rééditent aussi Terry Stamp, Trevor White et les Coloured Balls. Go see their site.

En 1976, les Hammersmith Gorillas étaient en route pour la gloire. Rien ne pouvait les freiner. Ceux qui les connaissaient n’avaient aucun doute là-dessus. Le plus convaincu était bien sûr Jesse Hector qui décida un jour de se réinventer : «Un jour je me suis mis devant le miroir et j’ai coupé mes cheveux. Je voulais trouver un look that would kill. J’ai coupé court sur le sommet et gardé mes rouflaquettes. J’avais une coupe de skinhead par derrière, mod sur le sommet du crâne, avec des rouflaquettes de rockab et une raie au milieu. J’étais le seul à être coiffé comme ça. J’avais le plus beau look du monde. Mais je ne pouvais pas sortir. Dans la rue, les gens devenaient dingues en me voyant, les bagnoles se rentraient dedans, les chauffeurs livreurs me lorgnaient d’un sale œil. C’était génial. Ça marchait. C’était le commencement du mouvement punk.» Tout le monde trouve les Gorillas superbes, sauf Mickie Most : Jesse Hector et ses deux amis viennent le trouver chez lui à Maida Vale et Most les envoie sur les roses. En bande son de cet épisode tragi-comique, on entend ce fantastique hit mod digne des Small Faces, «I Live In Style In Maida Vale», terrific de délicatesse arty (qui figure d’ailleurs sur le double album compilatoire). Tout ce qui touche à Jesse Hector est d’une classe absolue, le moindre détail, la moindre anecdote tape en plein dans ce mille qu’on adore, qui fut aussi le mille des New York Dolls, des early Stones et tous les groupes qui y croyaient dur comme fer et qui savaient s’en donner les moyens. Dans ces cas qu’on peut qualifier d’extrêmes, il faut comprendre que le rock est une religion. Où comme le dirait Diderot, une vocation religieuse. C’est ça ou rien. Le rien n’est pas possible et dans le ça, tout est possible.

Sur scène, Jesse Hector en donne aux gens pour leur argent. Il leur fait du concentré de windmill, une sorte de résumé de Keith Richards et de Pete Townshend, il dynamite les dynamiteurs, c’est-à-dire les Kinks de Really Got Me, heavy bash in the face, dégelée d’Excalibur de barroom de bonne bourre, avec son look-out, son k-k-k-killer solo flash et son plombé de référence. Il redonne aussi au stomp ses lettres de noblesse avec «She’s My Gal». Jesse Hector annonce à Chris Welsh qu’il vont ravager l’Angleterre - We’re going to take the country by storm - et annonce fièrement qu’après l’Angleterre, ce sera le tour de l’Amérique. Et pouf, il préfigure les terribles provocations des frères Reid et des frères Gallagher dans la presse anglaise : «C’est simple. Je suis un mec très spécial. Bientôt les kids m’admireront autant qu’ils ont admiré Jagger, Townshend et Hendrix. Chacun son tour. C’est maintenant le mien !»

Dans ses liners d’une extraordinaire densité, Phillip King évoque la filiation Gorillas/Third World War («Hammersmith Guerilla») et les étapes qui ont précédé l’avènement des Gorillas : Crushed Butler (avec Darryl Read et Alan Butler) puis Helter Skelter dont le mini-album est régulièrement réédité. Comme Mickie Most a jeté les Gorillas, Jesse Hector se tourne alors vers Larry Page qui lui conseille de reprendre «You Really Got Me», le mesmerizer définitif qu’on trouve aussi sur le double album compilatoire. Lors de cette session historique avec Larry Page, les Gorillas enregistrèrent en plus «I Live In Style In Maida Vale» et une cover du «Luxury» des Stones - Working so hard/ I’m working for the company/Working so hard/ To keep you in the luxury - et le plus choquant de cette histoire, c’est que ces merveilles vont rester inédites jusqu’en 1999, quand paraît Gorilla Got Me sur Big beat. Histoire incompréhensible !

Pour vivre, les Gorillas doivent abandonner leurs rêves de gloire et bosser comme tout le monde. La batteur Gary Anderson travaille chez un imprimeur, alors que Jesse Hector et Alan Butler bossent early in the morning pour des boîtes qui font le ménage dans les bureaux. Jesse prend les choses du bon côté et dit que ça laisse du temps pour répéter dans la journée. Ils tentent plusieurs fois de redémarrer et enregistrent de nouvelles merveilles épouvantables, «Moonshine» et «Shame Shame Shame» qui, une fois de plus, restent inexplicablement lettres mortes. On entend pourtant de vieux relents de cocotage glam dans Shame. Pareil, ces trucs n’apparaîtront que beaucoup plus tard, sur Gorilla Got Me et bien sûr, Just Add Water n’oublie pas de les caser dans son trip compilatoire. C’est drôle, car on connaît tous ces cuts par cœur, mais chaque fois qu’on les recroise, ils produisent un effet particulier, un sorte d’émotion non feinte, comme si ces cuts d’apparence ordinaire frétillaient d’excitation. On retrouve aussi l’excellent «Miss Dynamite» en B, heavy boogie hectorien hanté par des chœurs dignes de ceux des Stones dans «Sympathy For The Devil». C’est un son très anglais, très pur, très proche de celui des Stones de l’âge d’or. Rien qu’avec sa «Miss Dynamite», Jesse Hector avait largement de quoi foutre le souk dans la médina.

Foutre le souk ? Nous y voilà. Le souvenir le plus spectaculaire des Gorillas est sans doute celui que Phillip King pointe dans Ugly Things. Comme vous le savez, Cyril Jordan publie dans chaque numéro d’Ugly Things un feuilleton de ses souvenirs intitulé The San Francisco Beat. Dans le numéro de l’été 2016, Cyril Jordan évoque une tournée des Groovies en France avec les Gorillas en première partie. Miam miam. Les voilà au Mans et à 9 h les Gorillas démarrent en trombe de blitz avec «Purple Haze». Cyril Jordan dit qu’ils jouent fort, encore plus fort que the Frost from Ann Arbor Michigan. Et pouf, le courant saute. Plus rien. Plus de lumières dans la salle. Panique générale. Plus de lumières non plus dans la rue, ni dans la ville, ni dans le département. Alerte rouge ! Holy shit ! fait Cyril ! Havoc ! Les gens fuient dans les ténèbres en poussant des hurlements, on entend des sirènes de police comme à Detroit en 1967. Les chars arrivent. Les Gorillas entrent dans la légende : kings of blackout !

Pour les ceusses qui ne disposent ni du Gorilla Got Me ni des singles, le double compilatoire que vient de pondre Just Add Water est une véritable aubaine, car tout y est, à commencer par le heavy glam de «Leavin’ ‘Ome» bien cocoté à l’undergut d’Hammersmith, mais aussi ces merveilles héroïques que sont «Gatecrasher», «Gorilla Got Me» et sa belle frenzy, avec un Alan Butler qui mène le bal du bassmatic, et puis cette incroyable dégelée tirée de l’album Message To The World (paru en 1978), «Outta My Brain». C’est joué dans l’urgence des Small Faces, hanté par le bas de manche d’Alan Butler et embarqué dans une sorte de spectaculaire précipitation. Power & style. On trouve aussi ces puissants coups d’épée dans l’eau que sont «I’m Seventeen», modèle absolu de claquemure hectorienne, comme si Jesse Hector donnait rendez-vous à tout ce qui fait la grandeur du rock anglais, et «Move It», dernier single des Gorillas, modèle de stomping ground véracitaire. La seule nouveauté se trouve sur la D : six cuts enregistrés live au Nashville Room en janvier 1997. Bon, le son n’est pas fameux et les Gorillas jouent extrêmement heavy, comme si les piles du magnétophone étaient usées. On sent qu’ils ont du mal à casser la baraque. Ils taillent la route à coupes de «Leavin’ ‘Ome» et de «Gatecrasher». Le «Come On Over» vaut pour une belle incitation à l’émeute des sens.

Apparemment, Jesse a plus de chance aujourd’hui qu’avant, car les canards anglais lui déroulent le tapis rouge. Le dernier en date, c’est Vive Le Rock, avec trois pages bien remplies, illustrées par la photo de pochette de l’album Message To The World. En guise de hors-d’œuvre, Jesse réaffirme sa foi inextinguible - I’m gonna die that way - Soixante-douze balais et toujours aussi incapable de se calmer - Rock’n’roll will always be there - Ça fait du bien de lire de telles déclarations. Le bon rock n’a-t-il pas toujours été l’affaire des esprits éclairés ? C’est un point sur lequel on vous laisse méditer. Mais l’embellie ne dure pas longtemps, car Hugh Gulland pose des questions à la con, du genre : «N’êtes-vous pas un pub rock band ?». Jesse est obligé de tout reprendre à zéro. Il rappelle qu’on les a considérés tour à tour comme un pub-rock band, un punk band, un glam band, un mod band ou un heavy metal band. Il est bien obligé de se marrer avec toutes ces conneries. Il se débarrasse du problème en disant que les Gorillas étaient un punk rock’n’roll Soul mod heavy band. What more do you want ? À ce moment là, Guilland comprend qu’il a raté belle une occasion de fermer sa gueule. Jesse affirme que les Gorillas étaient surtout un sixties band féru de Beatles, de Small Faces, de Who et de Jimi Hendrix, git it ? Il ajoute qu’il leur doit tout. Absolument tout. Il a observé leur façon de bouger sur scène, their unique way of moving, il s’en est inspiré en poussant le bouchon un tout petit peu plus loin. Du coup, Guilland s’étonne :

— Alors ça aurait dû marcher ?

— Non !

— Pourquoi ?

— Parce qu’on a fait les cons en quittant Chiswick et Ted Carroll pour aller chez Raw. Fatale erreur.

— Pourquoi ?

— Parce que c’est Ted Carroll qui organisait les tournées en Angleterre.

Jesse rappelle aussi qu’il a adoré les punks, car il revivait avec eux l’explosion du British Beat et de tous ces groupes ultra-énervés comme les Small Faces et les Who. Jesse n’en finit plus de dire que les punks méritent le respect, rien que pour ça et pour les accents politiques. En 1977, les Gorillas étaient ancrés dans les sixties et jouaient avec les punks, ce qui était assez inconfortable. On appelle ça le cul entre deux chaises.

— Les Dolls chez Biba ? Oui je les ai vus, mais je ne les ai pas approchés de trop près.

Il dit adorer leurs deux albums comme il adore le premier album des Stooges - It was fucking crazy wasn’t it ! Yeah we were with that, all the way through ! - Puis le voilà parti dans les hommages à ses pairs, Third World War et Jook - Look at Jook, their singles are all hits ! They should have gone to number one, all bloody five of them ! (Regarde Jook, tous leurs singles étaient des hits, ils auraient dû être des number one, tous les cinq).

— Alors pourquoi ça n’a pas marché ?

— La BBC voit des photos et dit : «Oh they’re hard, we don’t want ‘em». Et pouf terminé, à dégager.

On en vient enfin au point le plus important : la bonne santé de Jesse et son allure de rock star incroyablement bien préservée. Son secret ? Pas l’alcool ni de clopes ni de dope. Il fait un boulot très physique qui lui permet de s’entretenir et, pour finir, il fait gaffe à ce qu’il avale. Pas de junk food. Que de la bonne came : des crevettes et des coques. Coques en stock, as would say Captain Ad Hoc.

Signé : Cazengler, Vessie Hectare

Hammersmith Gorillas. Why Wait ‘Till Tomorrow 1974-1981. Just Add Water 2019

Hugh Gullang : Gorillas and the myth. Vive Le Rock # 69

 

BAGNOLET / 06 – 03 – 2020

ESPACE DENNIS HOPPER

UNCLES BIKERS / THE PESTICIDES

CHRIS THEPS / GAST / ALICIA. F !

 

Question épineuse. Rue de L'épine Prolongée. Ma vaste mémoire flanche, moi qui ai durant plusieurs années travaillé à Montreuil, où est-ce au juste ? Mais la Teuf-Teuf rigole et me console, ne fais pas la moue Damie c'est à la Noue, un jeu pour nous, t'inquiète, toutes les bagnoles connaissent Bagnolet, un coup de guignolet dans le réservoir, et hop mon fidèle destrier à quatre roues me dépose sans coup férir et sans GPS devant l'Espace Dennis Hopper. Lieu dédié à toutes les contre-cultures assure son FB. Toutes je ne sais pas, mais ce soir, indéniablement c'est bikers et rock'n'roll. Accueil sympathique et vaste local. Food-truck garé dans un hall immense rempli de véhicules, paddock à motos au fond de la salle à concert, sol cimenté, murs revêtus d'un noir fuligineux, endroit parfait pour des concerts de rock garage !

Entrée en haut d'un escalier extérieur, sur votre gauche le bar dans une pièce dans laquelle une cinquantaine de personnes tiendraient à l'aise, pour les amateurs de vieux films américains un billard trône dans une espèce d'antichambre, immédiatement suivie d'un incongru salon de vieux fauteuils rococo dépenaillés, décor idéal pour une de ces glauques nouvelles de fantômes dont Jean Lorrain possédait le génie angoissant. En tout cas le lieu oscille entre loft délabré d'artiste new-yorkais et local de MJC des années 70.

UNCLES BIKERS

Rien à dire une galure, ça file de l'allure, ça vous pose un homme. Demandez à Sonny Boy Williamson, le deuxième, pas le premier qui fut assassiné dans une rue de Chicago, mais celui qui venu à l'American Folk Blues Festival refusait de se départir de son chapeau melon. Est-ce pour cela pour que sur la balance le chanteur chapeauté des Uncles Bikers sortit son harmonica pour illustrer de longues trilles le Suzie Q de Dale Hawkins. En tout cas les Uncles Bikers sont plutôt sixties-seventies-road que Delta. Pas de surprise, groupe à reprises. Sixties-seventies. Z'aiment les Stones, cela tombe bien, nous aussi. Nous font un appel du pied avec ce vieux morceau ultra-macho, Under my thumb maintes fois cité dès sa sortie pour mettre en évidence l'irrespectueuse et cynique attitude des Rolling envers la gent féminine. Se débrouillent bien, même si Pascal à la batterie, nous semble marquer les temps forts avec trop de netteté. C'est que la frappe de Charlie Watts est des plus difficiles à imiter, à première oreille rien de plus carré, hélas avec des angles pas très droits, elle est marquée par un déséquilibre perpétuel, une instabilité chronique qui infuse à chaque morceau ce roulement d'avalanche qui reste la marque la plus prononcée du style stonien. Mais le Pascal va vite nous en mettre plein la vue pour quelques ronds de zinc. Au début l'on n'y croit, non ce n'est pas possible, ils n'oseraient jamais, comment peuvent-ils se permettre cette hérésie, certes ce tremblement de guitare, et ces avancées à pas de loups de la basse, indiscutable, c'est Riders on the storm, et l'orgue, ils ont oublié qu'il se taille la part du lion et la peau de la panthère sur ce titre culte des Doors, et c'est là que Pascal, nous azimute, pas besoin d'orgue puisqu'il a des cymbales et il vous trousse la mayonnaise au manganèse, vous installe l'ambiance, un incoercible bruissement de pluie sur la chaussée mouillée, qui aurait pu imaginer que l'on puisse rendre l'ambiance ouatée si particulière de ce chef-d'oeuvre sur une simple batterie. L'est sûr que sur sa basse Hervé ne chôme pas, vous dépose la noirceur du monde sur le bitume de l'âme. Rebel Rebel, ne dites pas bof oui, mais Bowie, un riff un tantinet bébête quand on y pense, un véritable casse-gueule, paraît facile, deux funambules, guitare et vocal, obligés de se croiser sur un fil unique, ne s'agit pas de s'emmêler les pinceaux, chacun à sa place, et que personne ne fasse un pas de trop sur les plates-bandes de l'autre. N'ont pas sorti toute la marchandise en une seule fois. Notamment Jean-Michel qui au début est resté discret, on le prenait presque pour un accompagnateur, et puis il faut réviser son jugement, ne s'est guère étendu dans les premières interventions de pyromane patenté, bien fait, toutefois le minimum syndical, mais à chaque fois il la ramène un peu plus, et bientôt vous vous espérez l'instant où il plante sa guitare dans un rayon de projecteur, et qu'il vous égrène ses soli solides à la lead, oui qu'il prenne son temps, qu'il vous envoûte, que vous puissiez vous délecter, et lui crier chapeau ! On l'avait oublié celui-là, il y a longtemps que maître corbeau s'en est débarrassé, nous apprend que c'est la deuxième fois qu'il joue en public avec le groupe, l'est à l'aise, le gaillard prend du plaisir à se pavaner sur le devant de la scène. L'est comme le Monsieur Loyal du cirque qui annonce le numéro du trapèze de la mort, ou du tigre mangeur d'hommes, mais c'est lui qui s'y colle sans souci, et il chante avec cette certitude courageuse du dompteur qui plonge sa tête entre les crocs sanguinolents du sauvage félin rayé, et c'est parti pour un Brown Sugar tumultueux qui ravit son monde. De temps en temps il sort son harmo pour glisser deux ou trois maux de plus au malheur bleu -ombre du monde, mais ce qu'il préfère c'est jouer avec la hampe du micro qu'il manipule avec l'adresse diabolique d'un spadassin arrêtant de son hallebarde une charge de cavalerie. Sont vivement applaudis. Pour deux raisons. D'abord ils ont mis le feu, ensuite avec avec leur interprétation, beaucoup plus incisive qu'au sound-check, de Suzie Q ils nous ont convaincu que la donzelle devait avoir un joli petit cul.

THE PESTICIDES

L'est seul. A la guitare. Vissé dans sa vareuse blanche, un look entre Brian Jones et Cyril Jordan. Mais un visage plus ravagé. En lame de couteau, sous des épanchements de cheveux blonds. Les affres de l'artiste maudit. Le génie incompris. Toute la légende dispersée du romantisme rameutée dans cette position de corps cassé en deux, comme penché au-dessus de l'abîme d'un naufrage. A ses pieds, delays et boîte à rythmes. Pas une accumulation. Le strict minimum. La beauté et la pose de l'ange déchu solitaire. Byronien.

Sont là toutes les deux. Trois pas en arrière. Sur sa gauche. Vous ne voyez qu'elles. Depuis un moment elles attirent tous les regards. Leurs pantalons rouges à carreaux écossais dardent toutes les brûlures. Talons-boots boostent leur silhouette. Le bas est d'amarante, le haut est de sable. Vous aimeriez monter plus haut, mais la blancheur pallide de la coupole de leurs seins qui dépassent un peu de l'échancrure de leur justaucorps noirs vous retient malgré vous. Blancs aussi les bras sous les rémiges alanguies de leur tunique noire, leur lèvres saignent telles les entailles d'une plaie mortelle, les ailes noires de leur longue chevelure encadrent leur visage. Noir, blanc, rouge. Couleurs du grand-œuvre alchimique. Filles charnelles, oui. Âme sœurs, oui. Mais l'une est l'autre. Et l'autre est l'une. Pour le moment immobiles. Sont-elles la vie qui s'offre ou la mort qui se refuse, toute deux en chacune indiciblement mêlées, cygnes blancs qui font signe et cormorans noirs de leurs corps mourant d'opalescence.

Le maître de cérémonie allume sur son cordier les zébrures électriques. Alors derrière les ballerines s'animent. Doucement. Elles chantent aussi. Mais pour l'instant vous ne voyez que leurs mouvements à l'unisson, presque saccadés, une pantomime qui se peu à peu se complexifie. Elles sont face à vous mais l'effet de miroir se déroule entre elles côte à côte. Si au début elles ont fait les mêmes gestes ensemble, bientôt ce haussement de la main gauche jusqu'au visage, l'autre l'exécute de la main droite et tout un enchaînement gesticulatif de jeux de psychés dissociés se suivent comme si le geste de l'une était le négatif photographique de l'autre. Vous êtes perdu dans un labyrinthe infini. Est-ce un hasard si ce premier morceau s'intitule Death Circle.

Mais le jeu se dédouble. Le même principe sera appliqué au chant. Elles alternent, chacune étant tour à tour l'écho de l'autre. Et puis elles se dissocient, chacune dans sa partie. Au début, les voix sont comme étouffées, mais elles prennent force et intensité. Une fission s'opère. Elles se séparent, chacune jouant sa partie, bizarre comme si elles chantaient a capella sur les stridences de la guitare. le sang afflue et gonfle les veines du désir. Elles étaient vestales et les voici lubriques vénustés. Sex Share.

Elles ont allumé le feu. Et lui qui ne les regarde pas subit cette pression dévorante du désir. Se munit d'un archet pour infliger une fessée à ses cordes, et le doigt ganté d'un bottleneck, pointé droit debout, symbole phallique prêt à appuyer sur le bouton atomique, elles viennent à lui, se collent à lui, l'une l'excite, l'autre l'incite, la guitare mugit comme le taureau de Pasiphaé, Take Me.

Il s'éloigne du devant de la scène, la musique hurle toute seule, elles chantent et lui revient, ouvre un cahier et nous restitue la signification des paroles anglaises. Prends moi, Attache-moi, Sois brutal, vous leur auriez donné le bon dieu sans confession et maintenant ce sont elles qui vous offrent leurs confessions de jeunes femelles désirantes, et si vous restez, le bon dieu lui s'est enfui pour ne pas entendre.

Le musicien de ces damoiselles appariée est revenu, il était vêtu de blanc candide mais il jouait la musique du diable, la musique vrombit, la guitare vous cisaille les oreilles, toutes deux sont déchaînées. Trashy twin girls. Elles engoulent l'appel des goules affamées le soir dans les cimetières, elles vous hélent pour que vous veniez vous joindre à cette nuit walpurgienne, le public s'est dangereusement rapproché, sex and rock'n'roll. Elles quittent la scène sur une dernière sarabande infernale C'mon let's go !

C'était leur première apparition publique. Un grand pas écologique vient d'être franchi dans votre vie. Vous n'avez plus peur des pesticides.

CHRIS THEPS

L'a une dégaine incroyable Chris Theps, vous donne l'impression que le grand Keith est un de vos potes. Mais ce soir il a encore mieux, un orchestre. Pas symphonique avec violons pleurnichards et harpe doucereuse. Un rock band. Un vrai. Avec des zicos qui savent jouer. Et qui ne s'en privent pas. Si par hasard vous n'aimez pas le rock, décampez avant qu'ils commencent, car sinon le piège se referme sur vous. Imaginez que vous êtes entré par hasard sans le faire exprès dans le Colisée juste à l'heure où l'Empereur Néron avait décidé d'octroyer leur nourriture à cinq ou six fauves affamés, je ne donne pas cher de votre peau. C'est exactement ce qui s'est passé lorsqu'ils ont lancé les hostilités. A la différence près que nous on adore les grandes tourmentes qui fondent sur vous et vous ratiboisent le cerveau en moins de deux.

Faut répartir les dommages. Au fond vous avez le batteur. Un fou furieux. Doivent le sortir de sa cellule capitonnée de Charenton juste pour les concerts. Un gars qui manque cruellement de vocabulaire, ne sait pas ce que veut dire des verbes tout simples comme s'arrêter ou respirer. N'est pas comme le Vésuve endormi depuis deux mille ans. Lui il vous détruit une Pompéi et un Herculanum systématiquement à chaque morceau. Attention pas une brute, un artiste. L'on se demande pourquoi il a deux mains, tape avec l'une et avec la seconde il s'amuse à imiter les majorettes avec sa baguette. Une frappe infernale, vous passe les breaks à une cadence folle, avec lui les peaux tendues de ses tambours ne chôment pas, ça résonne de partout, vous donne l'impression qu'ils les frappent toutes en même temps, c'est un peu comme les coups de fusil, l'est si rapide que le son claque après que la balle vous a déjà traversé le corps.

Le guitariste est peut-être encore pire. N'a pas joué un seul solo de toute l'heure. Non il n'était pas en grève.  Chris Theps a dû lui dire tu pourrais me faire un petit solo, et le guy il est entré en solo perpétuel. L'a la guitare qui agonise sans arrêt. Nous fait le coup du chant du cygne immortel qui ne parvient pas à mourir. Vous déverse des ribambelles de notes à n'en plus finir. Des traînées de poudre infinies. Guitar super-héros. Un maniaque de la six cordes, avec lui, ce n'est jamais trop. De temps en temps lorsque Chris l'appelle il s'avance et vous vous apercevez qu'il peut jouer encore plus vite, qu'il vous torpille les oreilles avec de notes encore plus aigües et vous avez l'impression que votre tête explose, touchée-coulée.

Les ennuis volent en escadrille. Vous pensiez que le pire était dans les deux paragraphes précédents. Erreur sur toute la ligne de basse. Il reste encore un criminel. L'a dû lire Il ne fait pas assez noir de Joë Bousquet, si vous comparez les deux artistes à un feu d'artifice, celui-ci est un générateur de nuit. A hautes fréquences. Des ondes scorbutiques qui vous déchaussent les dents. Un pervers. Apparemment il ne fait rien. Mais c'est un exponanteur. La tonitruance fracassante et le flamboiement de ses deux camarades, il a décidé de les rendre encore plus percutantes, plus perçantes. L'a compris que ce sont les obscurités indélébiles de la voûte céleste qui rendent les étoiles filantes encore plus visibles, alors il bouche tous les blancs sonores, vous noircit tout l'espace auditif, ce qui était avalanches d'éboulements il vous le compactise, vous le transforme en aérolithe monstrueux d'une extraordinaire densité qui fonce sur votre planète. Vous comprenez enfin ce qu'ont dû ressentir les dinosaures dans les instants qui ont précédé leur extinction.

Chris devrait être en crise. Comment voudriez-vous qu'il place un seul mot dans ce magma. Comme si de rien n'était. En plus il se met à votre portée, chante en français, pourquoi choisir la facilité du volapük d'outre-manche quand on sait faire plus compliqué en le vieil idiome des terres françoises. Ce qui est inquiétant avec Chris c'est son aisance. L'est aussi à l'aise parmi cet équipage de pirates que s'il faisait des entrechats pour présenter le gala de charité des petits rats de l'Opéra. L'a une grâce féline instinctive. Le rugissement du tigre aussi. Dès qu'il ouvre la bouche il couvre le vacarme de ses camarades. Attention l'a une science consommée du chant, sait quand il faut porter la voix, en ces moments de kérosène kairosique où il faut glisser la coque de son bateau entre les redoutables masses des icebergs qui s'entrechoquent.

Une loi innée du rock'n'roll. Si vous avez de bons musiciens c'est bien. Si vous y adjoignez un bon vocaliste c'est mieux. C'est-là que se fait la différence. Les deux parties se transcendent. Avec Chris c'est un régal. Vous invective de toute sa raucité. Vous prend à partie, vous menace. Elle n'est pas Belle la vie ? Commente comment il a écrit Paris en réaction à Charlie ( l'hebdo qui rencontra plus bête et plus méchant que lui ). Des paroles violentes Flinguez mais teintées d'optimisme. Le jour se lève.

Non je n'ai pas oublié. Sur certains morceaux, il y avait un sax et en plus sur la fin du concert Pascal à l'harmonica. Pas facile pour eux d'intervenir sur cette boule noire de forte compacticité, surtout avec un seul micro pour deux, mais ils ont réussi à dégoupiller quelques grenades dans les tranchées.

Un set uppercut, un grand moment de rock'n'roll, la force des Faces pour ceux qui connaissent.

GAST

Il aurait mieux valu suivre la programmation prévue. Mais Gast s'est précipité pour squatter la scène et passer avant Alicia F ! Un manque évident de courtoisie, une attitude pas vraiment rock'n'roll d'autant plus que les enjeux étaient minimes... En furent mal récompensés, le public qui déserta et des ennuis systématiques pour lancer les morceaux. Se définissent comme un groupe de Love Rock Metal. Une formule un peu curieuse. D'autant plus qu'ils n'ont guère manifesté d'amour...

Mi-figue, mi raisin. Pas résolument rock, pas résolument metal. Il semblerait que Gast mise avant tout sur les lyrics. Les titres ne sont pas sans une certaine grandiloquence : Le calme m'emporte, Odyssée, Le sacre de l'homme, d'où cette impression qu'ils veulent installer un certain climat poétique pour les accompagner. Une musique comme immobile, un océan au repos, mais qui couvre les paroles ce qui contrevient quelque peu au projet initial. D'autant plus dommage que les voix trafiquées doivent participer d'un projet dont on a du mal à envisager l'ampleur. Un parti-pris difficile par nature. Soit vous privilégiez le sens des vocables et toute la partie musicale se réduit en musique d'accompagnement – cela est patent sur leur soundcloud – soit vous favorisez l'aspect musical ce qu'ils ont fait sur scène mais alors il faut y aller franco de port. On a envie de leur dire d'écouter comment des groupes comme Yes ( celui des débuts ) ont agi pour réaliser l'équilibre voix /musique.

Gast possède les ingrédients, notamment Julio un batteur à la frappe très personnelle, un bon guitariste Jeco, mais ils n'ont pas encore la recette. Et puis, bien se rappeler une chose élémentaire : aucun groupe de rock n'est parvenu à sauver le monde.

ALICIA F !

Chez Kr'tnt ! on ne vous fait pas le coup des Vingt ans après à la Alexandre Dumas chez nous c'est carrément la semaine suivante. Vous avez aimé Alicia F ! dans la livraison 454, ce sera bis repetita, Farenheit 455 ! Mais attention ce n'est pas le retour à l'identique. Les circonstances ne sont pas les mêmes, comparée au timbre-poste de l'Holy Holster, la scène de L'Espace Denis Hopper c'est un terrain de foot. Vous savez les garnements plus on leur en donne, plus ils en prennent. Et puis quand ils montent sur scène sont encore un peu remontés, un reste de zeste de mauvaise humeur, personne n'aime qu'on lui subtilise sa place dans la file d'attente du cinéma, sont comme le boa constrictor contrarié.

Sont à leur poste en trente secondes. N'y a qu'à regarder Fred Kolinski, d'habitude il ne départit jamais d'une certaine attitude Olympienne au-dessus de la mêlée bassement humaine, mais ce coup-ci il a le visage marqué de la même expression déterminée que Ramsès II, quand lors de la bataille de Qadesh, il s'est saisi des rênes de son char de guerre pour mener la charge sur la cavalerie Hittite, et un et deux, l'a adopté la frappe cataphractaire, celle par laquelle il vous rapproche de votre catafalque mortuaire. Tony Marlow lui a emboîté le pas séance tenante. Pour les fioritures psychédéliques l'on verra la prochaine fois, cette fois il plonge direct dans l'ergonomie rock'n'roll, au plus près du riff, vous plante directement le harpon de la guitare dans le ventre de la baleine blanche, elle se démène comme une tornade, mais Tony la tient ferme, et l'on sait d'avance qui va gagner la partie. Même Fred Lherm en a oublié de sourire, l'en a la basse qui grimace de rage, d'habitude elle est plus coulante, plus détendue, cette fois-ci elle a les sourcils froncés et sur ses lèvres se dessine l'ombre d'un rictus vindicatif... Ce soir le plat de la vengeance sera servie brûlant. Comme par hasard l'assistance qui s'était éclipsée au set précédent rapplique en nombre.

Tout ça pour une fille ! C'est que vous n'avez jamais croisé ses yeux verts. Quand elle les pose sur vous vous ressentez les vipères de Cléopâtre qui rampent sur votre torse. Se tient sagement devant vous, une collégienne qui attend le feu vert du professeur pour réciter la leçon d'histoire. Toutefois une tenue un peu provocante d'élève rock'n'roll, sa mini-jupe, sa manière de la porter telle une corolle vénéneuse de pétales noirs, ses bras de nacre nue, ses jambes résillées, ses cheveux de flamme, ses tatous de ceux que l'on retrouve dessinés dans les marges des cahiers j'écris-ton-nom : désir ! Celui fiévreux des drames de Tennessee Williams.

Alicia chante rock'n'roll, c'est-à-dire qu'elle utilise aussi bien sa voix que son corps. Sa chair autant que son cœur. En un seul mot, cette quadrature se nomme l'esprit. Elle a une manière d'entrer dans un morceau, que ce soit un vieux classique mille fois repris ou ses propres compositions ( musique : Tony Marlow ), et de s'y impliquer avec une telle force que son interprétation vaut certificat d'authenticité. Elle restitue un héritage, d'instinct elle s'inscrit dans une lignée qui vient de loin, elle projette les mots comme des crachats de cobra du Mozambique, atteignent tous leurs cibles, à l'intérieur de vous, transpercent les nodosités de vos rêves, et pour qu'ils fassent encore plus mal, pour que la plaie purule davantage, elle pousse de temps en temps des cris qui s'enfoncent en vous comme des doigts de chirurgien dans une fracture ouverte.

Mais peut-être que ses prestations s'apparentent davantage à de la danse qu'à un tour de chant. Une espèce de ballet solitaire, tel que Mallarmé en a rêvé pour le finale des Noces d'Hérodiade. Juste le corps et le désir. Une espèce d'abstraction mise en scène aux yeux de tous pour exprimer, par les ulcérations du mime, les pulsions animales qui nous construisent et nous détruisent. Juste quelques pas sur Speedrock, l'hymne à son chat, mais cette manière de miauler et de déplacer que vous ne savez plus si c'est la peluche d'une petite fille qui s'anime à la manière d'un dessin animé ou le Seigneur Immémorial des Toits qui rôde à la recherche d'une proie pour sa cruauté de félin en chasse.

Vous avez eu le chat. Vous aurez l'autre face. La chienne vicieuse de I wanna be your dog, la voici à terre, sur le ventre, jambes écartées, elle lèche le micro-pénis qu'elle se tend à elle-même, et puis elle s'expose, s'assoit, ramène ses jambes devant vous, les écarte afin de vous montrer les rousseurs de ses dessous, elle vous aveugle de sa féminité, de sa liberté à vous lancer des miettes d'envie comme l'on nourrit les pigeons dans les squares municipaux. Et tout cela dans une vertigineuse retenue, elle ouvre l'abîme pour mieux le refermer. Elle a tout donné en vous empêchant de rien prendre. Alicia ou l'ambiguïté du rock'n'roll.

Un set torride. De bout en bout. A bout portant. Ils ont aussi joué I fought the law, et ils ont gagné.

Damie Chad.

P. S. : il restait encore deux groupes à passer, mais très tôt, le matin même, j'avais à faire. Sorry.

LAIBACH

 

Le livre n'arbore aucun titre. Il n'est pas facile à lire. Ce n'est pas que le texte soit d'une complexité inouïe, mais quand vous le tenez il vous brûle les mains. Pas du tout au sens métaphorique. C'est que sa couverture vous ébrèche les doigts, elle est réalisée en papier de verre. Particulièrement épais. D'un noir peu engageant. Celui que vous utilisez lorsque vous grattez la grille de votre portail que vous désirez ( est-ce vraiment un désir ? ) repeindre. En plus elle est agrémentée d'une croix en acier, pas un dessin, un objet, qui évoque quelque peu la croix nazie. Son titre relégué en bas de page de garde – teinte gris souris - intérieure risque de vous sembler énigmatique.

NSK

Neue Slowenishe Kunst

RENDEZ-VOUS GRENOBLE

( Editions Kasemate )

 

Les Editions Kasemate n'existent plus depuis décembre 2019. Elles ont été sabordées par leur éditeur-animateur Alexandre Thévenot. Dégoûté du milieu littéraire. Nous ne pouvons que le comprendre. Ce qui nous empêche pas de le regretter. Deux années d'existence auront suffi à faire d'elle un objet littéraire non identifié. Ses tirages minuscules, confectionnés à la main, encres, papiers, matières, formats, finement appariés sont appelés à devenir des objets de collection. Ce qui leur permettra de ne pas se perdre dans la mémoire humaines mais les inscrit d'office dans ces convulsions accapareuses qui motivent trop souvent les adeptes de la bibliophilie davantage intéressés par la valeur marchande d'un produit que par le contenu des idées manifestées dans ces brûlots idéens... Nous avions particulièrement apprécié ces plaquettes dédiées à la littérature symboliste et fin de siècle, par exemple cette réédition de poésies de Georges Rodenbach.

Ce NSK Rendez-vous Grenoble avait été préparé pour accompagner la semaine du 11 au 14 octobre 2018 consacrée en la cité grenobloise aux activités ( conférences, expositions, films, éditions ), de la NSK.

IL ETAIT UNE FOIS EN YOUGOSLAVIE

AURELIE DOS SANTOS

Qui se cache derrière les initiales NSK ? Un regroupement d'artistes slovènes. Notamment à partir du groupe Irwin ( voir plus loin ). Les membres du NSK, dont Laibach est un organe des plus importants, entendent promouvoir un art total. Cette volonté fait sans doute référence à l'idée d'art total initiée par Wagner qui entendait allier musique, chant, théâtre, danse, poésie, peinture, sculpture – pensez aux décors pour ces deux derniers ingrédients - dans ses opéras. L'idée de collectif artistique réside en le principe participatif que chacun des membres apporte selon ses moyens d'expression ses créations à l'émergence d'une vision commune. Mais il vaudrait mieux envisager cette notion d'art total en art totalitaire et même en art de dénonciation du totalitarisme politique. L'on aborde vite des terrains mouvants. Il ne s'agit en rien de dénoncer les totalitarismes en opposition aux vertus démocratiques. Ce genre de discours très en vogue de par chez nous sur les médias de masse n'était pas de mise dans la pratique du NSK, né en Tchécoslovaquie au début des années 80, sous le communisme.

Cet Art Total joue sur les symboles, ceux des iconographies communistes et fascistes, le but est de montrer que des régimes politiques qui se sont en leurs temps farouchement opposés et qui se sont livrés une guerre sans merci, relèvent d'une même pratique totalitaire. L'idée n'est pas neuve. A tel point que va naître le concept d'art-rétro-futuriste. Le NSK joue avec les représentations graphiques des régimes communistes et fascistes pour en dénoncer l'inanité pornographique représentative. Lorsque la Tchécoslovaquie sera démembrée et que ses différentes parties pourront goûter aux délices du capitalisme démocratique financier, celui-ci sera aussi considéré sous ses aspects totalitaires et aura droit aux mêmes dénonciations.

Le NSK se revendique autant du suprématisme que du constructivisme russe, autant de Dada que de l'Internationale Situationniste, autant de Marcel Duchamp que de Guy Débord, le tout en une espèce de dé-constructionisme déleuzienne... qui politiquement se manifestera dans les faits par l'éclatement de la Tchécoslovaquie en plusieurs états nations. L'on touche ici à une certaine contradiction, la dénonciation initiale de l'existence d'un état totalitaire qui se traduit par la création de plusieurs mini-états tout aussi totalitaires. L'on peut ainsi se dire que la partition de la Tchécoslovaquie n'a guère engendré sur le plan politique quelque chose de bien nouveau, et peut-être même en déduire que si la NSK a emprunté les vieilles formes des avant-gardes du début du vingtième siècle c'est qu'elle a été autant incapable de créer de nouvelles formes artistiques que la société tchécoslovaque - dont elle n'était qu'un surgeon et qu'elle voulait transformer - n'a réussi à fomenter de nouvelles esquisses associatives politiques. A tel point que la NSK en est venue à créer un Etat trans-national virtuel, une espèce d'utopie fantôme – si vous voulez rester optimiste vous le qualifierez d'organisme non gouvernemental - qui pour ma part évoque quelque peu la démarche de Robert Musil qui dans son roman L'Homme sans qualité transforme l'Autriche-Hongrie en Cacanie afin de dénoncer d'autant plus librement et vivement la folie des nations européennes en train de se précipiter tête baissée dans la guerre de 14-18, conflit dont l'inanité aura, entre autres, pour conséquences la germination des avant-gardes politiques du vingtième siècle et la naissance des totalitarismes fasciste et communiste... Le serpent se mord la queue mais a du mal à n'en faire qu'une bouchée...

'' WE COME IN PEACE '' : LAIBACH

OU L'ART DE LA FUGUE

FREDERIC CLAISSE

La NSK n'est pas sans rappeler l'éclosion du mouvement futuriste en Italie et en URSS. Deux pays comme par hasard dévorés par le fascisme et le communisme. Le futurisme fut un mouvement artistique multiforme dont les tentatives les plus significatives s'exercèrent en peinture et en musique. Question peinture nous renvoyons le lecteur à la troisième partie de cet ouvrage. S'il est une figure oubliée du futurisme, c'est celle du compositeur Luigi Russolo, il est l'auteur d'un manifeste intitulé L'Art des Bruits qui est au fondement de la musique bruitiste, électro-acoustique et industrielle. Il construisit ses propres instruments qu'il cacha dans un grenier parisien – il était réfugié anti-fasciste – mais qu'il ne retrouva pas après la guerre... Les esprits curieux peuvent aller sur You Tube écouter les rares documents sonores ( Serenata per intonarumori e strumenti, par exemple ) qui nous restent.

Laibach – ce nom n'a rien à voir avec l'expression américaine laid-back qui désigne une musique facile à écouter, il est le nom de la ville slovène Trbovlje lors de la présence allemande dans la région, ce qui équivalait à une provocation pour le régime communiste de Tchécoslovaque - est vraisemblablement le groupe constitutif du NSK le plus célèbre, il est même une des premières formations industrielles européennes à obtenir une aura internationale.

Musicalement Laibach ne me semble pas une réussite. Je ne veux pas dire qu'il joue de la mauvaise musique mais que celle-ci est tellement fidèle à l'idéologie du NSK qu'elle tourne à la parodie. Laibach s'en défend en affirmant que cet aspect est à entrevoir comme une ironie critique au deuxième degré. N'empêche que sa fausse musique pseudo-classique est peu évolutive, écouter un morceau de Laibach c'est un peu les entendre tous. Regarder une vidéo du groupe nous plonge dans la peinture pompière dans le plus mauvais sens de cette expression. Une question vient vite à l'esprit, se moque-ton du nazisme ou du spectateur ? Question stupide car elle en cache une autre ; celle des engrammes encéphalodiens, que veut-on au juste insuffler avec cette mimétique militaro-romanticico-nazie particulièrement cheap ? D'autre part la répétition de cette imagerie ne trahit-elle pas un essoufflement créateur ? Pour ne pas employer le terme d'infertilité incapacitante, celle-ci d'autant plus marquée que le groupe s'est vite adonné aux reprises, que ce soit l'album Let It Be des Beatles ou les hymnes patriotiques européens. Une démarche en quelque sorte idéologique, qui correspond à l'impossibilité actée ou théorisée de toute tentative d'élaboration de formes musicales nouvelles. Remarquons que si l'on compare l'enthousiasme créatrice des années 1920 à l'encéphalogramme artistique du début de nos années 2020, le fléau de la balance ne penche guère en notre faveur. Le rétro-futurisme nous semble beaucoup plus rétro que futuriste. La raison annonciatrice la plus prophétique reste la geste punk : No future !

IRWIN

LE PROGRAMME DU GROUPE IRWIN

Traduction : MARYLENE DI STEPHANO

Vous l'avez compris, je suis plus que circonspect quant à la teneur créatrice tant iconographique que musicale, et cela même en dehors de toute position politicienne, de Laibach. J'avoue par contre avoir été atterré par les cinq textes qui forment comme le manifeste du collectif de peintres Irwin. Que lit-on : un succédané de formules empruntées à Hegel. L'idée de Totalité certes, mais une totalité ajoutée pour emprunter une formule à la mode ces temps-ci. Que peut-on ajouter à la Totalité. Rien répondront les esprits simplistes. Que si, se hâtent de répondre nos théoriciens, ce qui est en dehors de la Totalité ! Vous ne voyez rien ? Mais Dieu voyons ! Philosophiquement parlant l'on pourrait arguer qu'ils ont mal lu la Phénoménologie d'Hegel qui au-dernier moment, en un tour de passe-passe tout-à-fait ironique, substitue l'Esprit à Dieu. Chacun fait le ménage a sa manière, multiples sont les coups de balai sur le vain plumage de Dieu dirait Mallarmé. Mais que reste-t-il à l'Homme si Dieu persiste à ne pas être tué. Et plounck ! La solution irwinesque retombe dans le vieux christianisme des familles : la souffrance ! Grand bien nous fasse !

L'on me répondra que c'est pour me plonger le nez dans le caca, que dans n'importe quel état terrestre national, nous ne connaîtrons qu'oppression. Que le seul refuge consiste en le NSK State in Time. L'état transnational par excellence qui n'existe pas en tant que Etat car ne reposant sous un aucune surface ou délimitation terrestre. Ce qui entre parenthèses n'abolit pas les Etats existants mais qui se révèle tout autant étatique que tous les autres Etats, certes il est trans-frontalier, une espèce de phalanstère emblématique d'artistes réunis au travers du monde, mais cet Etat in Time est porteur d'une esthétique aussi dirigiste que les élites de nos pays, et qui dit esthétique dit idéologie et qui dit idéologie dit absence de pensée puisque celle-ci est corsetée par des principes manifestes.

LAIBACH

D'autres lectures beaucoup plus libertaires de ce mouvement artistiques peuvent être établies. Nous ne les ignorons pas, mais nous nous en tenons à nos propres vues qui portent davantage sur l'implication philosophique de la démarche que sur ses réalisations objectivales. Cette chronique est à mettre en relation avec celle du livre de Max Ribaric, Blood Axis. Day of Blood. ( in Livraison 452 du 20 / 02 / 2020 ), groupe de Michael Moynihan dont l'entreprise paraît beaucoup plus authentique et moins artificielle. Tout ce qui sépare la dangerosité du loup solitaire d'une intelligentsia artistique qui joue sur la facticité miroitante de la société du spectacle.

Peut-être que Tomaz Hostnik chanteur du premier Laibach – plus proche d'un bruitisme exacerbé que du pompiérisme pseudo-classique que le groupe adopta par la suite - et qui en 1982 se pendit en une sorte de rituel sacrificatoire était-il plus près d'une démarche nationaliste plus radicale similaire à celle entreprise par le jeune adolescent Mickael Moynihan. Hostnik pose par son suicide une question essentielle : la copie à l'identique de l'idéologie fasciste est-elle une dénonciation ou une prise de position pro-nationaliste sincère ? Il semble qu'après la mort de Tomaz Hostnik, Laibach laisse à dessein planer l'ambiguïté laissant à chacun le soin de se positionner. Le groupe agissant comme un révélateur des affects politiques des spectateurs qui assistent à ses concerts soit en reconnaissant en son fort intérieur qu'il est partisan de cette forme d'autoritarisme soit en prenant conscience des dangers d'une société qui s'organiserait sur de telles modalités.

Le rock a souvent été décrit comme l'expression d'une révolte anti-sociale. Contre quoi au juste ? Comme tout art, il peut être la proie de manipulations idéologiques de toutes sortes. Il est bon de le savoir. Tout comme de se rendre compte qu'il s'inscrit aussi dans une filiation et des enjeux culturels, pas uniquement musicaux, qui remontent et s'inscrivent en des déploiements politiques dont il convient de ne pas être dupes.

Damie Chad.