Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

11/03/2020

KR'TNT ! 455 : ROWLAND S. HOWARD + FRIENDS / GORILLAS / THE UNCLE BIKERS / THE PESTICIDES / CHRIS THEPS / GAST / ALICIA F ! / LAIBACH /

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 455

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

12 / 03 / 2020

 

ROWLAND S. HOWARD + FRIENDS / GORILLAS

THE UNCLES BIKERS / THE PESTICIDES

CHRIS THEPS / GAST / ALICIA F ! / LAIBACH

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

La chanson de Rowland

 

Alors c’est à J.P. Shilo qu’échoit le job de l’ersatz. Et pas n’importe quel ersatz : celui de Rowland S. Howard, certainement l’un des guitaristes les plus originaux de son temps, comme le fut Robert Quine à New York. Pour s’en convaincre définitivement, il suffit de sortir de l’étagère n’importe quel Row disk, qu’il s’agisse de the Birthday Party, These Immortal Souls, Crime & The City Solution, ou bien des albums enregistrés en duo avec Lydia Lunch ou Nikki Sudden, ou encore ses deux albums solo : il s’y passe chaque fois des événements soniques assez uniques dans l’histoire de l’événementiel incriminé. Row fut un sculpteur de son exceptionnel, un authentique tisseur de soies, un Jaguar-man féérique, une espèce de force motrice qui sut, comme le fit Robert Quine avec Richard Hell, porter aux nues un rock ambitieux qui rompait les amarres avec le commun des mortels. Oh bien sûr, on ira pas jusqu’à dire que ce rock est à la portée de tous, mais il comblera d’aise les esprits curieux et enchantera les âmes aventureuses. Car c’est bien de cela dont il s’agit, d’une aventure sonique sans concession. Il ne s’agit plus de pop, ni de rock, il s’agit d’une course folle vers le néant, d’une soif d’inconnu, d’un aller simple pour les limbes. Cette musique sent parfois la mort, mais paradoxalement, son énergie la rend terriblement vivante. Les vampires incarnent eux aussi ce merveilleux paradoxe. Et Row l’incarnait mieux que personne : physiquement, artistiquement. Et J.P. Shilo ? Il fait de son mieux. On sent qu’il est fan, il était déjà là au temps de Pop Crimes, mais sa condition ne lui permet pas d’accéder à l’aristocratie.

C’est plus facile pour des invités comme Lydia Lunch ou Bobby Gillespie. Ils sont devenus légendaires et ils entrent dans le show comme s’ils étaient chez eux. Pas de problème, ça marche à tous les coups. Lydia Lunch est certainement la plus attendue. C’est aujourd’hui une vieille dame mais elle a suffisamment de métier pour ramener le focus sur les chansons. Elle sait encore shaker son shit, on l’a vue l’été dernier rendre un hommage spectaculaire à Alan Vega. Cette fois, elle salue la mémoire de Row dont elle fut la compagne avec un «Endless Fall» rocké jusqu’à l’os de l’ass, accompagnée par Mick Harvey à la guitare acide et Harry Howard au chant. Rien de tel qu’une New-yorkaise issue du sérail de la no-wave pour rocker Paname. Elle fait ensuite entrer Bobby Gillespie pour une somptueuse reprise du «Some Velvet Morning» de Lee Hazlewood. On ne sautait espérer meilleur cocktail de légendarité. C’est aussi un hit que Gillespie reprit en duo avec Kate Moss et dont on recommande l’écoute, chaque fois que l’occasion se présente. Lydia Lunch va ensuite reprendre «Still Burning», l’un de ses all times faves, dit-elle.

Mais c’est Bobby Gillespie qui va exploser le set un peu plus tard, avec une version demented de «Sleep Alone». Il fait son Jagger, danse le rock comme un dieu, le coule dans le groove infectueux que triture Shilo dans son coin. On croirait entendre Primal Scream, Gillespie shake le set en vieux pro du rock anglais, il ramène tout le saint-frusquin auquel on s’attache depuis cinquante ans. Gillespie fait son asperge, il en a les moyens physiques et spirituels. Encore un beautiful freak. Le tribute tourne à la féerie. C’est un peu comme si tous ces gens-là nous conviaient à un festin de mets délicieusement avariés.

L’autre totem de la soirée, c’est bien sûr Harry Howard, le frère de Row, le même genre de beautiful freak, même classe, même présence. Au début su set, il dédie «Marry Me (Lie Lie)» à Epic Soundtracks et le joue sur une basse Ricken rouge. Ce rock extrêmement désespéré ouvre le bal du premier album de These Immortal Souls, dont justement Epic était le batteur. Vers la fin du set, Harry Howard reviendra chanter «The Golden Age Of Bloodshed», l’une de ces chansons désespérantes qui finissent par donner le mal de mer. C’est un son dont il ne faut tout de même pas trop abuser. Ce tribute interminable va quand même durer plus de deux heures. On est content quand ça s’arrête. L’instigateur de cet événement n’est autre que Mick Harvey qu’on voit jouer de tous les instrument, principalement de la batterie. Le voilà devenu entrepreneur conceptuel. C’est aussi lui qui drive le tribute à Gainsbourg et qui s’entoure pour ce faire d’un aréopage de chanteuses nubiles, perpétuant ainsi la légende d’un Gainsbarre qui avait le bec fin en matière de chair fraîche. Mick Harvey gère le tribute à Row de la même manière, en invitant sur scène des petites gonzesses toutes plus roses les unes que les autres, notamment l’excellente Jonnine Standish qui chantait déjà en duo avec Row sur Pop Crimes, en 2009.

The Birthday Party ? Si on y revient, c’est à cause de Row. Un album comme Prayers On Fire ne s’écoute pas de la même façon si on l’écoute pour Row. Cave met le paquet mais Row veille au grain de l’ivresse. Il sort un son très particulier, comme s’il imaginait la grande finesse d’un chaos barbare. Il semble se faufiler dans les couches en jouant un funk androïde rusé comme un renard du désert. C’est en tous les cas l’impression que donne «Zoo Music Girl». On le voit ensuite jouer de la scie sur sa gratte pour créer le climax de «Cry», un cut tapé à l’excédée tétanique. Ces mecs n’en finissent plus d’allumer autour du feu et Cave fait le fou. Mais pour une raison qui nous échappe, aucune parenté ne s’établit avec les rois du scuzz-fuzz, les Chrome Cranks. Et pourtant, le Birthday Party vise le même genre de chaos sonique. On tombe plus loin sur un «Nick The Stripper» assez rampant. Ils créent une espèce de mousse de déstructuration. Seul le drive de basse ressemble à quelque chose. Row se promène dans la pampa. Il faut l’entendre gratter à l’intentionnelle ses tiguilis de gratté de poux. C’est un son gorgé de nuances d’inceste, plein d’horribles sous-entendus, un son qui se pervertit en permanence. Row joue en parallèle une suite de chorus des catacombes. Il a comme on dit le physique de l’emploi. On les voit tourner autour du pot avec «Figure Of Fun» et derrière, Row abat un travail considérable, comme s’il décorait la voûte d’une cathédrale. Ils passent à la heavyness avec «King Ink». Heavyness, chez eux, ça veut dire Max la Menace avec un Row en strapontin de résonance. Il ne joue qu’une matière de son et quand Cave arrête de déconner, Row est là. Ils tapent «A Dead Song» en mode rockab de catacombes. Au fond du boyau, fidèle au poste, Row sonne comme un écho moisi. Well this is the end, chaos supérieur stoppé net. Cave en fait trop dans «Yard». Ils reviennent à la grosse matière avec «Dull». C’est un album dont on ne sort pas indemne. Il faut le dire aux autres. Faites gaffe les gars, n’approchez pas trop près de ce truc. Il a peut être des maladies. Bon, Row fait son travail d’habillage habituel et quand ça s’emballe, alors attention aux yeux. En rééditant l’album, 4AD a rajouté deux cuts, «Blundertown» et «Kathy’s Kisses». Row fait des miracles dans «Blundertown». Il s’installe au fond du son et gratte comme un misérable à deux niveaux. Ses petits accords inoffensifs sonnent comme de la paille, et il double avec du ciselé florentin de bloblotte. Il tisse ses trames maladives dans l’air putride d’un mauvais squat. Terminus ! Tout le monde descend avec «Kathy’s Kisses». Il faut voir ce taré de Cave rentrer dans le lard de ce mauvais funk indus. Il fait le show avec une belle hargne. On comprend qu’il ait survécu à toutes ces horreurs.

Leur deuxième album s’appelle Junkyard. La pochette illustrée renvoie au garage des années de braise. Ce qui frappe le plus dans le bordel de «Blast Off», ce n’est pas la voix de Cave, mais le son de Row. Il est aussi nécessaire au son qu’un squelette l’est à une tombe. Il shake it hard. Il invente un genre nouveau, le catabeat des catacombes. C’est encore Row qui ramène de la crème dans la culotte de «She’s Hit». Il travaille aussi «Dead Joe» au corps de la matière. Pas vraiment de vision, Row semble lancer des attaques. Il sait qu’il faut surprendre l’ennemi, alors il en rajoute. Il amène des choses terribles. Dans «Hamlet», Cave pousse les cris du diable confronté à un bréviaire, mais «Big Jesus Trash Can» est trop exacerbé pour être honnête. Ils se lancent dans une extraordinaire aventure d’anti-rock. À l’époque, il fallait oser. De cut en cut, Cave continue de faire pas mal de ravages et Row reste derrière, toujours en embuscade. Il fait un excellent travail de couverture. «Kewpie Doll» sonne comme une entreprise de démolition, ils sont beaucoup plus secs et austères que les Chrome Cranks. Ils vont sur quelque chose de plus funéraire.

Quand le Birthday Party implose en 1983, Cave et Mick Harvey montent les Bad Seeds, mais sans Row. Probablement à cause de l’hérow. Alors en 1987, Row monte These Immortal Souls avec son frère Harry, Genevieve McGuckin et Epic Soundtracks. Leur premier album s’appelle Get Lost (Don’t Lie). Ils restent dans les big atmospherix avec des cuts comme «Hey Little Child» et «Once In Shadow Once In Sun». Row y va même de bon cœur, il monte vite son swagger de heavy hey en mayo howardienne, avec le festin de notes lunatiques habituelles. L’Once in shadow est même plutôt heavy, tapé dans l’excès, c’est rampé dans un absolu de gutter groove que Row chante à l’écœurette insensible maximaliste. C’est assez puissant. On se repaît de son Once. Ce mec sait de quoi il parle. C’est tentaculaire et impitoyablement drivé dans la tourmente. Quant au reste, ça demeure assez obscur. Si t’es paumé, tu te débrouilles. Tu as voulu faire le con avec ton trip d’acide, alors ne viens pas pleurer si tu n’as plus de repères. Avec Row, telle est la règle. Il envoie ses gerbes de beautiful dégueulis éclabousser le cul du culte. Il a raison de vouloir sanctifier la glorification de l’externalisation. Il sait roamer comme un vieux crocodile épuisé dans la vase, à bout de coke et de daze, ahhh, c’mon. Ce mec te plombe la soirée facilement. Extraordinaire. Disons qu’il poursuit la mission divine de Birthday Party. Il perpétue l’ornière du mec qui ne va pas bien. Il traîne son son comme une serpillière glacée et se prend pour un languide, c’est-à-dire une grosse langue de bœuf à deux pattes.

Le deuxième album de These Immortal Souls s’appelle I’m Never Gonna Die Again, et c’est là dessus qu’on trouve l’un des hauts lieux de Row, «The King Of Kalifornia». Tu as tout de suite le son du mec qui ne va pas bien. Ce génie ravagé de Row ravale la façade de son heavy rock déstructuré. On peut même dire qu’il joue à la folie. C’est jeté dans le mur. Ce dégueulis sonique ressemble à s’y méprendre à une œuvre d’art. The space guitar de Row hante ce cauchemar. Mais tout cela n’est rien en comparaison d’«Insomnicide». Row y sonne la charge des éléphants de Salâmbo Bovary, c’est monstrueux, aussi monstrueux qu’un shoot de Weird Omen. Il joue à l’embolie de dégoulinure fatale. On suivrait Row jusqu’en enfer. Il est capable d’exactions extraordinaires, il gonfle ses notes comme des crapauds. Il n’existe rien de comparable sur cette terre, non, rien de comparable à cette pulsion des mille et une nuits. C’est même monté sur un riff des Stooges. Row repeint le génie, avec ce côté anglican qui lui va si bien. C’est un cut fait pour être visité. Il tartine sa pop qui va mal à longueur d’album. En fait Row est influencé par un Cave qui va mal et qui ne veut pas aller bien. Row triture son son à n’en plus finir, il triture comme un maître tourmenteur de l’Inquisition, il pousse le rock dans ses retranchements, pour le forcer à avouer des péchés qu’il n’a pas commis. «Black Milk» ? Impossible ! Le lait ne peut être noir. Mais Row en décide autrement. Il t’empale et te prévient qu’il va t’empaler le crâne si tu le fais chier, alors fais-le pas chier. Ce monde ne nous correspond plus, c’est un monde biaisé. Laisse tomber, tu ne comprendras rien. Avec «Hyperspace», Row navigue à vue. Il laboure aussi à vue. C’est un laboureur suprême, digne des grands laboureurs du Soviet Suprême. Il peut exploser n’importe quel concept quand il veut. C’est titubé et bardé d’accords malencontreux. Tu as peu de cuts qui sonnent ainsi. Row ne s’intéresse qu’au nowhere land. Row claque son cut jusqu’au bout de l’Hyperspace. Quand il chante «All The Money’s Gone», tout s’assombrit. Pas facile d’être le pape de la Tombe Issoire. Et puis voilà, il termine avec «Crowned». Merci Row pour cette partie de plaisir coupable, thank you wonderful freak. Derrière, l’Epic bat ça sec.

Row participe aussi à l’aventure de Crime & The City Solution, avec son frère Harry, Epic Soundtracks, Mick Harvey et Simon Bonney. Un premier mini-album, Just South Of Heaven, parait en 1985. On les voit tous les cinq au dos de la pochette, frais émoulus du moulin à café. C’est Browyn Adams qui peint le ciel tourmenté de la pochette, une sorte de Boudin qui ne va pas bien. Boudin ? Eugène, bien sûr, l’empereur des ciels. Alors dès «Rose Blue», on voit que ça ne va pas. Ils sortent un son très caviste, extrêmement pesant. Ça va mal, oh la la. Voilà un disque dont on ne fera pas ses choux gras. Rien n’est au format chanson, Row et ses amis se complaisent dans le dark atmospherix, un monde opaque, sans port d’attache. En B, c’est Harry Rowland qui mène le bal avec son stomp de basse dans «Five Stone Walls» - Going to hate those walls/ Till the day I die - Puis Row fait la pluie et le beau temps dans «Trouble Come This Morning» avec un thème spatio-temporel assez admirable.

On retrouve Row sur le deuxième album de Crime & The City Solution, Room Of Lights, paru l’année suivante. On peut parler ici d’un album assez dense. Simon Bonney chante à la vraie voix et «No Money No Honey» renoue avec l’esprit howardien des cauchemars gériatriques. Soudain, Row fout le souk dans la médina avec «Hey Sinkiller». Epic bat le beurre. On retrouve chez Crime la passion du big atmopsherix, et quand Row mène le bal, ça tourne au puissant délire comateux. Simon Bonney ultra-chante son «Six Bells Chime». Ce mec est une force de la nature et les arpèges surnaturels de Row l’excitent au plus haut point. Row sculpte l’espace sonore en permanence et joue des arpèges qui ressemblent à des spectres. Chez eux, tout est chargé de nuages noirs. Simon Bonney plombe d’entrée de jeu «Untouchable» et Row décore le cut de notes rondes comme des boules de sapin de Noël. Il joue ses trucs avec un sens aigu de l’apesanteur et vise de toute évidence l’apocalypse. C’est un spécialiste de la descente aux enfers, ses notes stridentes sentent bon la folie douce. On le voit aussi allumer «Her Room Of Lights», hey hey, il gratte la java des catacombes, avec un son unique au monde, si dense et si proche du rrrrring d’une roulette de dentiste, ce mec rayonne comme un soleil noir, c’est battu à la Bo Diddley et d’une rare densité maladive. Sur la version CD, on trouve des bonus dont l’excellent «Five Stone Walls» monté sur un big bassmatic impérieux. Row revient teinter le clair de la lune dans «The Wailing Wall», il gratte dans l’espace temps, il navigue au niveau qui l’intéresse et ce n’est pas forcément le tien, d’où l’intérêt de la démarche. C’est Row qui décide, comme dans «Trouble Come This Morning». Il peut jouer dans sa résonance et trouver le moyen de sortir un son terrible. Il est partout dans le son, c’est un voyageur, il rôde en permanence, il joue tout ce qu’il peut jouer avec la parcimonie d’un vampire récalcitrant.

Nikki Suden et Rowland S. Howard ont enregistré pas mal de choses ensemble, notamment Kiss You Kidnapped Charabanc. C’est un album assez sombre que hante le fantôme Row. Il ne faut rien attendre de ces deux là, ils ne feront aucun effort pour se rendre aimables. Leur «Don’t Explain» est assez désespérant. Ils ne sortent pas de leur routine de coups d’acou. Tout est très plombé, comme privé d’avenir. «Better Blood» est presque une chanson de vampire. Nikki Sudden ne peut pas s’empêcher de faire du Sudden avec son «Debutante Blues». Il semble toujours gratter la même rengaine, avec des faux semblants de Stonesy. Par sa finesse, la partie de slide de Row rappelle celles de Brian Jones. D’ailleurs, Row tâte de tous les instruments, sur cet album, dulcimer, bouzouki, comme le fit jadis Brian Jones. Le cut captivant de l’album s’appelle «Sob Story», du pur jus de Row joué au sonic groove des catacombes.

I Knew Buffalo Bill fut longtemps considéré comme un album culte, car on y retrouve un sacré conglomérat : Jeremy Gluck, Nikki Sudden, Rowland S. Howard, Epic Soundtracks et Jeffey Lee Pierce. C’est le weird sound qui domine sur les quatre faces. «Looking For A Place To Fall» file sur un big easy drive de workout Rowlandish. On le sent rôder dans le son, il le gorge de stridences. Avec «Too Long», ils quittent le chemin de Damas et vont plus sur la pop. Tout au long de l’album, Row joue son petit rôle d’efflanqué du son dans les ténèbres, là-bas au fond du studio. Nikki Sudden domine largement l’ensemble avec ces délicatesses d’acou auxquelles il nous a tellement habitués. «Four Seasons Of Trouble» sonne comme du Sudden d’essor mesuré et prend enfin tournure dans un torrent de relentless. Nikki Sudden reste bel et bien le roi des mélancoliques, il n’en finit plus de tartiner sa plainte à la surface du rock anglais, c’est bardé d’ambiances superbes, de basses, de drums et de chœurs fêlés. Puis on voit Row venir hanter «All My Secrets» à la slide du cheval mort. Il est spectral, et certains relents de son renvoient aux Stones de «You Got The Silver». Row hante les corridors du son, il se passe des choses extraordinaires dans les couches du cut, il gratte à double dose. Le thème remonte à la surface après un blanc en forme de suspense. En rééditant l’album, Munster a rajouté un disque entier de démos et d’outtakes. Le «Burning Skulls Rise» rappelle le Brian Jonestown Massacre. Row et Lydia Lunch le reprendront ensuite sur scène. «The Proving Trail» est certainement le hit de l’album. On trouve aussi un «Threw This Away» monté sur la progression d’accords de «Like A Rolling Stone». Il se pourrait que Jeffrey Lee Pierce chante «Prayer Of A Gunman», tellement c’est désespéré. Tout cet album est bardé de son et d’allant.

Lydia Lunch & Rowland S. Howard enregistrent Honeymoon In Red en 1987. On y trouve une excellente version de «Some Velvet Morning». Elle duette avec un Row qui chante à la petite dégueulée. Aw my God, il se prend pour un Lee Hazlewood en difficulté et Lydia fait sa Nancy avec un ton atrocement faux de lullabye bye. Ils sont immondes. Ils enterrent vivant l’un des plus baux classiques de la pop américaine. Il ne faut pas s’aventurer trop loin dans les parages de cette femme. Elle cultive une sorte de goût pour la dérive mal intentionnée et l’ancolie sadiste. Avec «Three Kings», elle vient se couler dans un dirty groove de funk punkoïde orchestré par son ami Row. Ah comme ce mec est vénéneux ! Il fait aboyer sa guitare dans la nuit. Il joue le groove des squelettes dans une scène de George A. Romero, il vise le dénaturé implacable, il distille le malencontreux jerk des catacombes. On a encore du Row pur et dur avec «Still Burning». Il chante encore plus mal qu’elle. C’est à la fois mauvais et comique. Quasi-caricatural. Aussi inutile qu’une brebis périmée. Lydia Lunch fait encore des siennes sur «Fields Of Fire». Diable, comme elle chante mal, parfois. Elle tartine plus qu’elle ne chante. On serait presque tenté de plaindre cette pauvre fille. Mais on se régale de «Dead In The Head», balayé par les infernales pluies acides du grand Rowland S. Howard. Il chante derrière elle et gratte sa gratte avec une singulière appétence. C’est mortifère en diable. Il ne vit que pour la ferraille de son. Il frise régulièrement le génie.

Paru en 1991, Shotgun Wedding est le grand album classique de Lydia Lunch & Rowland S. Howard. C’est du Kill Bill avant la lettre. Quel album ! «Burning Skulls» fait partie des cuts qui ne devraient jamais s’arrêter. Sur un tempo bien heavy, Lydia écrase ses syllabes comme des mégots, avec l’insistance d’une prédatrice. Et ce diable de Row joue à la clameur délétère. C’est à la fois superbe, gothique et plombé, embrasé aux alentours et monté sur un beat qu’il faut bien qualifier de royal. Row vole le show. Il lancine atrocement et arrose le cut du meilleur jus d’acide disponible sur le marché. Ils font un duo historique avec «Endless Fall». C’est vrai, ils sonnent comme une bénédiction, Row crée des dynamiques à coups de renvois, people die, et ils relancent à deux. L’autre énormité de l’album s’appelle «Pigeon Town», riffé d’entrée de jeu. Row ne rigole pas avec la marchandise et cette garce de Lydia Lunch chante comme la plus vulgaire des putes. Ah ils sont jolis ! Row n’en finit plus de jouer à l’alerte rouge et se montre d’une incroyable théâtralité. Le son fait foi. Row joue ça jusqu’au trognon. Des mecs comme lui ne courent pas les rues. Tiens, voilà «Cisco Sunset», monté sur un heavy groove de basse. Lydia Lunch s’y glisse humidement. C’est du grand Lunch. Elle chante à la racine du beat, Row concasse ses septièmes d’accords de jazz pendant qu’elle part à la dérive dans le moonshine. Elle chante avec toute la maturité de chipie mal dégrossie dont elle est capable. En guise de clin d’œil à Alice Cooper, Row joue «Black Juju» à la pire clameur de l’univers connu. Cette diablesse de Lydia Lunch tente de calmer le jeu, mais à quoi bon ? Les bites lui échappent des mains, c’est foutu d’avance. Elle profite d’«In My Time Of Dying» pour rivaliser de nullité avec la Wendy O Williams des Plasmatics. Elle n’a aucune présence vocale. Elle bâtit sa réputation sur autre chose. Ils chauffent «Solar Hex» à blanc et tapent «What Is Money» au mood berlinois, avec tout l’undergut d’une femme qui a du vécu à revendre. Row gratte ses puces, il joue au circus géométrique de l’after-punk et Lydia Lunch se vautre dans la mélasse avec sa voix aigre et grasse d’une vétérante de la campagne de Russie. C’est encore du big heavy sound. On peut faire confiance à Row pour ça.

On retrouve la plupart de toutes ces merveilles sur un live paru chez Bang et intitulé Siberia. Row et Lydia Lunch jouaient au Paradiso en 1993 et foutaient le souk dans la médina avec «Pigeon Town». Row y multiplie les coups fourrés. Cette femme et cette guitare constituent sans doute l’une des meilleures associations de l’époque : junk new-yorkais + gothique howardien. On y entend un Row jouer dans les dernières convulsions du spasme ultime. Il ne fait que passer des tourmentes solotiques exceptionnelles. Ce mec sort du son à n’en plus finir. Il le monte en chantilly gothique. Encore des fantastiques climats soniques dans «What Is Memory». Lydia Lunch vient touiller ce brasier impérieux, en bonne touilleuse de braise qui se respecte. Elle élève le niveau de l’Atmopsherix à n’en plus finir. On voit bien que Row est lui aussi au sommet de son art tempestueux. Il joue des rafales extraordinaires. Ils bouclent leur bal d’A avec «Still Burning» qu’ils chantent à deux. Row hante le son, et plus la bassline est grasse, plus il est virulent. La B vaut elle aussi le détour, avec cet «Incubator» emmené à la grosse lancinance. Le gang de Row avance à pas d’éléphants et il tisse dans ce bordel d’infernales toiles de venin sonique. Tiens, voilà «Burning Skulls» et son riff de cathédrale. Plombé et magnifique à la fois. C’est leur hit le plus convaincu, il semble luire dans la nuit. Row tisse sa dentelle flamboyante dans le background du cut. Il est étincelant de présence, il irradie son son comme le ferait le soleil noir des légendes barbituriques. Ils terminent avec l’excellent «Black Juju» d’Alice Cooper. C’est visité par des vents terribles. Row est le prince du vent mauvais. Avec sa tête de piaf, il foutrait presque la trouille aux épouvantails. Beau final apocalyptique gratté à l’essaim bourdonnant par un Row en pleine crise mystique. Ah comme c’est puissant !

Dans Mojo, Andrew Perry décrit bien le style de Row : «He chanelled rock’n’roll through a cyclone of avant-noise.» Oui, c’est exactement ça, un cyclone d’avant-noise, un son unique. Mick Harvey raconte que Row l’appela en 1999 pour lui demander de venir en Australie l’aider à enregistrer son premier album solo. Row suivait un ‘weird’ traitement de détox et pendant deux semaines, dit Harvey, ils enregistrèrent intensively - It was like all the stars were aligned and he made his best record - Brian Hooper des Beasts Of Bourbon vint faire des overdubs de basse sur l’album, mais après. Harvey et Row enregistrèrent donc tous les deux, playing wild and free. Harvey ajoute que Row n’était pas un prolific guy. Il ne composait qu’une ou deux chansons dans l’année. Il soignait particulièrement ses textes et chaque vers tapait en plein dans le mille. Sur son premier album solo, les chansons représentent six ans de travail.

Ce premier album solo s’appelle Teenage Stuff Film. Il démarre sur un «Dead Radio» violonné à la grinçante malencontreuse - You’re there for me like cigarettes/ But I havn’t sucked enough on you yet - Voilà, le ton est donné. Il vise comme d’habitude le climatique tourmenté. Il chante son «Breakdown» d’une voix pâteuse très peu zélée - Sweet Jesus/ Ask for Christ - Joli breakdown, en vérité. En fait, Row tartine son miel. Il ne cherche pas à plaire. On est pas chez Stong. Il fait son job de loser patenté, avec des guitares latentes qui renvoient bien sûr au Velvet. On sent qu’«I Burnt Your Clothes» est déterminé à ne pas s’en sortir. C’est monté sur un bassmatic infâme. Row fait du pur Row, il erre comme un Fantôme du Bengale perdu dans la Nuit des Longs Couteaux, sur fond d’heartbeat orloffien. S’ensuit un «Exit Everything» arpenté au kilomètre et peu suivi d’effets. On trouve deux reprises sur l’album, «She Cried» de Jay & The Americans et «White Wedding» de Billy Idol, que Row admirait pour son funny side of rock-star posturing nonsense. Le groove de «Silver Chain» refuse lui aussi d’aller bien, porté par un orgue en point d’orgue. Parfois on écoute Row errer, parfois on passe au cut suivant. Le génie lugubre de Row peut fatiguer l’ouvrier, surtout au soir d’une rude journée de labeur. Il faut imaginer le pauvre ouvrier qui rame pour se payer un disk comme celui-là et qui dégueule de fatigue en écoutant son achat. Row ne se préoccupe pas du confort de la classe ouvrière, mais il n’est pas le seul. On sait que les intellos de gauche ne s’en préoccupent pas non plus. Ils pensent surtout à savonner leur savonnette. Alors que Row, c’est un peu moins pire, il ne songe qu’à rower dans les brancards. Il sort parfois des accords effervescents. «Undone» vaut pour un tour de Row long de 7 minutes. Big Row on the run. Mick Harvey : «Rowland was one of those rare guitar players with a completely distinctive sound and style, and he really cultivated that.» (Row était l’un de ces guitaristes capables de sortir un son très distinctif et il cultivait cette singularité). Et il ajoute : «Mostly he was working inside the song on what his guitar was adding to the atmosphere and how it was playing around the vocals.» (Row travaillait essentiellement à l’intérieur de la chanson, il enrichissait l’atmosphère et rôdait autour du chant).

En fait, le tribute à Rowland S. Howard programmé à la Maroquiqui porte le nom de son deuxième et dernier album solo, Pop Crimes, paru en 2009, l’année de sa disparition. Non seulement on y retrouve la plupart des cuts joués sur scène, mais aussi trois des principaux acteurs de la soirée : Mick Harvey, J.P. Shilo et Jonnine Standish qui, justement, se tape la part du lion dans l’album en duettant avec Row sur l’excellent «(I Know) A Girl Called Jonny». Elle chante à la langueur monotone, d’un ton qui colle au palais comme le bonbon colle au papier - I’m a Joan of Arc/ Of teenage lust - C’est excellent. La configuration du tribute est celle de l’album, puisque Mick Harvey bat le beurre et Shilo joue de la basse (et de la strangeness - sic). Row chante son «Shut Me Down» d’une voix incroyablement tentaculaire. Il va chercher les meilleurs effets dévastatoires. Il paraît jouer un son en constant glissement, c’est en tous les cas l’impression que donne «Life’s What You Make It», ces glissements de matières glacées qu’on filme dans les zones du globe inhabitables. Ça va même encore plus loin, puisque le son paraît enveloppé de son. Row ne cherche pas midi à quatorze heures, la clé des Pop Crimes, c’est l’absolu du son, c’est-à-dire le son pour le son. Autrement dit, une ambiance à l’arrêt, mais un arrêt un peu spécial, l’arrêt de mort, avec ses stridences de terminalité afférentes. Ça ne va pas au-delà. Row se montre pourtant assez héroïque. Il tente des virées spectaculaires, mais il faut que le groove s’installe pour qu’il puisse virer. Il y a du Artaud en Row, de toute évidence. Au bassmatic, Shilo fait bien son job de maître groover, il charge même ses lignes d’arrière-pensées, alors Row peut piquer sa crise. Il entre dans le morceau titre avec une étrange ferveur. Ce démon de Row arrose son groove des fièvres habituelles - Nothing good can comme out of this/ But the open hole of the zero/ And the open heart surgery kiss - Tout est moufté dans le son de Row et personne ne moufte. Il faudrait presque être initié pour écouter «Wayward Man» - And when I kiss you darling/ Does it stick in your craw ? - Fantastique shake de gutter shit - Was there a poverty of care/ When I cared for you - C’est explosif. Il faut en profiter tant qu’il est encore temps, car après ça, Row c’est fini. Comme le fit son frère Harry l’autre soir, Row boucle le set avec le lugubre «The Golden Age Of Bloodshed». Big heavy Row de fin de non-recevoir.

C’est à Mick Harvey que revient le mot de la fin : «Rowland was a very gentle person, and a gentleman, but he was carrying some things with him which were pretty negative as well.» (Row était un homme charmant et même un gentleman, mais il avait aussi des côtés extrêmement négatifs). Harvey rappelle que Row était furieux de voir Harvey et Cave continuer sans lui après Birthday Party, mais comme le précise perfidement Harvey, il n’a jamais compris pourquoi c’était nécessaire.

Signé : Cazengler, Roland Coward

Tribute to Rowland S. Howard. La Maroquinerie. Paris XXe. 8 février 2020

The Birthday Party. Prayers On Fire. Missing Link 1981

The Birthday Party. Junkyard. Missing Link 1982

These Immortal Souls. Get Lost (Don’t Lie). Mute 1987

These Immortal Souls. I’m Never Gonna Die Again. Mute 1992

Crime & The City Solution. Just South Of Heaven. Mute 1985

Crime & The City Solution. Room Of Lights. Mute 1986

Nikki Suden & Rowland S. Howard. Kiss You Kidnapped Charabanc. Creation Records 1987

Jeremy Gluck, Nikki Sudden & Rowland S. Howard. I Knew Buffalo Bill. Flicknife Records 1987

Lydia Lunch & Rowland S. Howard. Honeymoon In Red. Widowspeak 1987

Lydia Lunch & Rowland S. Howard. Shotgun Wedding. Triple X Records 1991

Rowland S. Howard. Teenage Stuff Film. Relient Records 1999

Rowland S. Howard. Pop Crimes. Liberation Music 2009

Lydia Lunch & Rowland S. Howard. Siberia. Bang Records 2017

 

Gare aux Gorilles - Part Two

 

En 1977, Giovani Damono déclarait dans Sounds : «The Gorillas are unashamesly out to make good-time rock’n’roll pure and simple. They’re the nearest in spirit to early Small Faces, Slade and The Who.» (Les Gorillas ne sont là que pour jouer du rock pur et dur, dans l’esprit des Small Faces, de Slade et des Who). Phillip King ressort cette coupure de presse pour célébrer la parution de Why Wait ‘Till Tomorrow 1974-1981, un double album compilatoire des Hammersmith Gorillas paru sur Just Add Water, ce petit label de San Francisco spécialisé dans la réédition de glam des seventies. Ils rééditent aussi Terry Stamp, Trevor White et les Coloured Balls. Go see their site.

En 1976, les Hammersmith Gorillas étaient en route pour la gloire. Rien ne pouvait les freiner. Ceux qui les connaissaient n’avaient aucun doute là-dessus. Le plus convaincu était bien sûr Jesse Hector qui décida un jour de se réinventer : «Un jour je me suis mis devant le miroir et j’ai coupé mes cheveux. Je voulais trouver un look that would kill. J’ai coupé court sur le sommet et gardé mes rouflaquettes. J’avais une coupe de skinhead par derrière, mod sur le sommet du crâne, avec des rouflaquettes de rockab et une raie au milieu. J’étais le seul à être coiffé comme ça. J’avais le plus beau look du monde. Mais je ne pouvais pas sortir. Dans la rue, les gens devenaient dingues en me voyant, les bagnoles se rentraient dedans, les chauffeurs livreurs me lorgnaient d’un sale œil. C’était génial. Ça marchait. C’était le commencement du mouvement punk.» Tout le monde trouve les Gorillas superbes, sauf Mickie Most : Jesse Hector et ses deux amis viennent le trouver chez lui à Maida Vale et Most les envoie sur les roses. En bande son de cet épisode tragi-comique, on entend ce fantastique hit mod digne des Small Faces, «I Live In Style In Maida Vale», terrific de délicatesse arty (qui figure d’ailleurs sur le double album compilatoire). Tout ce qui touche à Jesse Hector est d’une classe absolue, le moindre détail, la moindre anecdote tape en plein dans ce mille qu’on adore, qui fut aussi le mille des New York Dolls, des early Stones et tous les groupes qui y croyaient dur comme fer et qui savaient s’en donner les moyens. Dans ces cas qu’on peut qualifier d’extrêmes, il faut comprendre que le rock est une religion. Où comme le dirait Diderot, une vocation religieuse. C’est ça ou rien. Le rien n’est pas possible et dans le ça, tout est possible.

Sur scène, Jesse Hector en donne aux gens pour leur argent. Il leur fait du concentré de windmill, une sorte de résumé de Keith Richards et de Pete Townshend, il dynamite les dynamiteurs, c’est-à-dire les Kinks de Really Got Me, heavy bash in the face, dégelée d’Excalibur de barroom de bonne bourre, avec son look-out, son k-k-k-killer solo flash et son plombé de référence. Il redonne aussi au stomp ses lettres de noblesse avec «She’s My Gal». Jesse Hector annonce à Chris Welsh qu’il vont ravager l’Angleterre - We’re going to take the country by storm - et annonce fièrement qu’après l’Angleterre, ce sera le tour de l’Amérique. Et pouf, il préfigure les terribles provocations des frères Reid et des frères Gallagher dans la presse anglaise : «C’est simple. Je suis un mec très spécial. Bientôt les kids m’admireront autant qu’ils ont admiré Jagger, Townshend et Hendrix. Chacun son tour. C’est maintenant le mien !»

Dans ses liners d’une extraordinaire densité, Phillip King évoque la filiation Gorillas/Third World War («Hammersmith Guerilla») et les étapes qui ont précédé l’avènement des Gorillas : Crushed Butler (avec Darryl Read et Alan Butler) puis Helter Skelter dont le mini-album est régulièrement réédité. Comme Mickie Most a jeté les Gorillas, Jesse Hector se tourne alors vers Larry Page qui lui conseille de reprendre «You Really Got Me», le mesmerizer définitif qu’on trouve aussi sur le double album compilatoire. Lors de cette session historique avec Larry Page, les Gorillas enregistrèrent en plus «I Live In Style In Maida Vale» et une cover du «Luxury» des Stones - Working so hard/ I’m working for the company/Working so hard/ To keep you in the luxury - et le plus choquant de cette histoire, c’est que ces merveilles vont rester inédites jusqu’en 1999, quand paraît Gorilla Got Me sur Big beat. Histoire incompréhensible !

Pour vivre, les Gorillas doivent abandonner leurs rêves de gloire et bosser comme tout le monde. La batteur Gary Anderson travaille chez un imprimeur, alors que Jesse Hector et Alan Butler bossent early in the morning pour des boîtes qui font le ménage dans les bureaux. Jesse prend les choses du bon côté et dit que ça laisse du temps pour répéter dans la journée. Ils tentent plusieurs fois de redémarrer et enregistrent de nouvelles merveilles épouvantables, «Moonshine» et «Shame Shame Shame» qui, une fois de plus, restent inexplicablement lettres mortes. On entend pourtant de vieux relents de cocotage glam dans Shame. Pareil, ces trucs n’apparaîtront que beaucoup plus tard, sur Gorilla Got Me et bien sûr, Just Add Water n’oublie pas de les caser dans son trip compilatoire. C’est drôle, car on connaît tous ces cuts par cœur, mais chaque fois qu’on les recroise, ils produisent un effet particulier, un sorte d’émotion non feinte, comme si ces cuts d’apparence ordinaire frétillaient d’excitation. On retrouve aussi l’excellent «Miss Dynamite» en B, heavy boogie hectorien hanté par des chœurs dignes de ceux des Stones dans «Sympathy For The Devil». C’est un son très anglais, très pur, très proche de celui des Stones de l’âge d’or. Rien qu’avec sa «Miss Dynamite», Jesse Hector avait largement de quoi foutre le souk dans la médina.

Foutre le souk ? Nous y voilà. Le souvenir le plus spectaculaire des Gorillas est sans doute celui que Phillip King pointe dans Ugly Things. Comme vous le savez, Cyril Jordan publie dans chaque numéro d’Ugly Things un feuilleton de ses souvenirs intitulé The San Francisco Beat. Dans le numéro de l’été 2016, Cyril Jordan évoque une tournée des Groovies en France avec les Gorillas en première partie. Miam miam. Les voilà au Mans et à 9 h les Gorillas démarrent en trombe de blitz avec «Purple Haze». Cyril Jordan dit qu’ils jouent fort, encore plus fort que the Frost from Ann Arbor Michigan. Et pouf, le courant saute. Plus rien. Plus de lumières dans la salle. Panique générale. Plus de lumières non plus dans la rue, ni dans la ville, ni dans le département. Alerte rouge ! Holy shit ! fait Cyril ! Havoc ! Les gens fuient dans les ténèbres en poussant des hurlements, on entend des sirènes de police comme à Detroit en 1967. Les chars arrivent. Les Gorillas entrent dans la légende : kings of blackout !

Pour les ceusses qui ne disposent ni du Gorilla Got Me ni des singles, le double compilatoire que vient de pondre Just Add Water est une véritable aubaine, car tout y est, à commencer par le heavy glam de «Leavin’ ‘Ome» bien cocoté à l’undergut d’Hammersmith, mais aussi ces merveilles héroïques que sont «Gatecrasher», «Gorilla Got Me» et sa belle frenzy, avec un Alan Butler qui mène le bal du bassmatic, et puis cette incroyable dégelée tirée de l’album Message To The World (paru en 1978), «Outta My Brain». C’est joué dans l’urgence des Small Faces, hanté par le bas de manche d’Alan Butler et embarqué dans une sorte de spectaculaire précipitation. Power & style. On trouve aussi ces puissants coups d’épée dans l’eau que sont «I’m Seventeen», modèle absolu de claquemure hectorienne, comme si Jesse Hector donnait rendez-vous à tout ce qui fait la grandeur du rock anglais, et «Move It», dernier single des Gorillas, modèle de stomping ground véracitaire. La seule nouveauté se trouve sur la D : six cuts enregistrés live au Nashville Room en janvier 1997. Bon, le son n’est pas fameux et les Gorillas jouent extrêmement heavy, comme si les piles du magnétophone étaient usées. On sent qu’ils ont du mal à casser la baraque. Ils taillent la route à coupes de «Leavin’ ‘Ome» et de «Gatecrasher». Le «Come On Over» vaut pour une belle incitation à l’émeute des sens.

Apparemment, Jesse a plus de chance aujourd’hui qu’avant, car les canards anglais lui déroulent le tapis rouge. Le dernier en date, c’est Vive Le Rock, avec trois pages bien remplies, illustrées par la photo de pochette de l’album Message To The World. En guise de hors-d’œuvre, Jesse réaffirme sa foi inextinguible - I’m gonna die that way - Soixante-douze balais et toujours aussi incapable de se calmer - Rock’n’roll will always be there - Ça fait du bien de lire de telles déclarations. Le bon rock n’a-t-il pas toujours été l’affaire des esprits éclairés ? C’est un point sur lequel on vous laisse méditer. Mais l’embellie ne dure pas longtemps, car Hugh Gulland pose des questions à la con, du genre : «N’êtes-vous pas un pub rock band ?». Jesse est obligé de tout reprendre à zéro. Il rappelle qu’on les a considérés tour à tour comme un pub-rock band, un punk band, un glam band, un mod band ou un heavy metal band. Il est bien obligé de se marrer avec toutes ces conneries. Il se débarrasse du problème en disant que les Gorillas étaient un punk rock’n’roll Soul mod heavy band. What more do you want ? À ce moment là, Guilland comprend qu’il a raté belle une occasion de fermer sa gueule. Jesse affirme que les Gorillas étaient surtout un sixties band féru de Beatles, de Small Faces, de Who et de Jimi Hendrix, git it ? Il ajoute qu’il leur doit tout. Absolument tout. Il a observé leur façon de bouger sur scène, their unique way of moving, il s’en est inspiré en poussant le bouchon un tout petit peu plus loin. Du coup, Guilland s’étonne :

— Alors ça aurait dû marcher ?

— Non !

— Pourquoi ?

— Parce qu’on a fait les cons en quittant Chiswick et Ted Carroll pour aller chez Raw. Fatale erreur.

— Pourquoi ?

— Parce que c’est Ted Carroll qui organisait les tournées en Angleterre.

Jesse rappelle aussi qu’il a adoré les punks, car il revivait avec eux l’explosion du British Beat et de tous ces groupes ultra-énervés comme les Small Faces et les Who. Jesse n’en finit plus de dire que les punks méritent le respect, rien que pour ça et pour les accents politiques. En 1977, les Gorillas étaient ancrés dans les sixties et jouaient avec les punks, ce qui était assez inconfortable. On appelle ça le cul entre deux chaises.

— Les Dolls chez Biba ? Oui je les ai vus, mais je ne les ai pas approchés de trop près.

Il dit adorer leurs deux albums comme il adore le premier album des Stooges - It was fucking crazy wasn’t it ! Yeah we were with that, all the way through ! - Puis le voilà parti dans les hommages à ses pairs, Third World War et Jook - Look at Jook, their singles are all hits ! They should have gone to number one, all bloody five of them ! (Regarde Jook, tous leurs singles étaient des hits, ils auraient dû être des number one, tous les cinq).

— Alors pourquoi ça n’a pas marché ?

— La BBC voit des photos et dit : «Oh they’re hard, we don’t want ‘em». Et pouf terminé, à dégager.

On en vient enfin au point le plus important : la bonne santé de Jesse et son allure de rock star incroyablement bien préservée. Son secret ? Pas l’alcool ni de clopes ni de dope. Il fait un boulot très physique qui lui permet de s’entretenir et, pour finir, il fait gaffe à ce qu’il avale. Pas de junk food. Que de la bonne came : des crevettes et des coques. Coques en stock, as would say Captain Ad Hoc.

Signé : Cazengler, Vessie Hectare

Hammersmith Gorillas. Why Wait ‘Till Tomorrow 1974-1981. Just Add Water 2019

Hugh Gullang : Gorillas and the myth. Vive Le Rock # 69

 

BAGNOLET / 06 – 03 – 2020

ESPACE DENNIS HOPPER

UNCLES BIKERS / THE PESTICIDES

CHRIS THEPS / GAST / ALICIA. F !

 

Question épineuse. Rue de L'épine Prolongée. Ma vaste mémoire flanche, moi qui ai durant plusieurs années travaillé à Montreuil, où est-ce au juste ? Mais la Teuf-Teuf rigole et me console, ne fais pas la moue Damie c'est à la Noue, un jeu pour nous, t'inquiète, toutes les bagnoles connaissent Bagnolet, un coup de guignolet dans le réservoir, et hop mon fidèle destrier à quatre roues me dépose sans coup férir et sans GPS devant l'Espace Dennis Hopper. Lieu dédié à toutes les contre-cultures assure son FB. Toutes je ne sais pas, mais ce soir, indéniablement c'est bikers et rock'n'roll. Accueil sympathique et vaste local. Food-truck garé dans un hall immense rempli de véhicules, paddock à motos au fond de la salle à concert, sol cimenté, murs revêtus d'un noir fuligineux, endroit parfait pour des concerts de rock garage !

Entrée en haut d'un escalier extérieur, sur votre gauche le bar dans une pièce dans laquelle une cinquantaine de personnes tiendraient à l'aise, pour les amateurs de vieux films américains un billard trône dans une espèce d'antichambre, immédiatement suivie d'un incongru salon de vieux fauteuils rococo dépenaillés, décor idéal pour une de ces glauques nouvelles de fantômes dont Jean Lorrain possédait le génie angoissant. En tout cas le lieu oscille entre loft délabré d'artiste new-yorkais et local de MJC des années 70.

UNCLES BIKERS

Rien à dire une galure, ça file de l'allure, ça vous pose un homme. Demandez à Sonny Boy Williamson, le deuxième, pas le premier qui fut assassiné dans une rue de Chicago, mais celui qui venu à l'American Folk Blues Festival refusait de se départir de son chapeau melon. Est-ce pour cela pour que sur la balance le chanteur chapeauté des Uncles Bikers sortit son harmonica pour illustrer de longues trilles le Suzie Q de Dale Hawkins. En tout cas les Uncles Bikers sont plutôt sixties-seventies-road que Delta. Pas de surprise, groupe à reprises. Sixties-seventies. Z'aiment les Stones, cela tombe bien, nous aussi. Nous font un appel du pied avec ce vieux morceau ultra-macho, Under my thumb maintes fois cité dès sa sortie pour mettre en évidence l'irrespectueuse et cynique attitude des Rolling envers la gent féminine. Se débrouillent bien, même si Pascal à la batterie, nous semble marquer les temps forts avec trop de netteté. C'est que la frappe de Charlie Watts est des plus difficiles à imiter, à première oreille rien de plus carré, hélas avec des angles pas très droits, elle est marquée par un déséquilibre perpétuel, une instabilité chronique qui infuse à chaque morceau ce roulement d'avalanche qui reste la marque la plus prononcée du style stonien. Mais le Pascal va vite nous en mettre plein la vue pour quelques ronds de zinc. Au début l'on n'y croit, non ce n'est pas possible, ils n'oseraient jamais, comment peuvent-ils se permettre cette hérésie, certes ce tremblement de guitare, et ces avancées à pas de loups de la basse, indiscutable, c'est Riders on the storm, et l'orgue, ils ont oublié qu'il se taille la part du lion et la peau de la panthère sur ce titre culte des Doors, et c'est là que Pascal, nous azimute, pas besoin d'orgue puisqu'il a des cymbales et il vous trousse la mayonnaise au manganèse, vous installe l'ambiance, un incoercible bruissement de pluie sur la chaussée mouillée, qui aurait pu imaginer que l'on puisse rendre l'ambiance ouatée si particulière de ce chef-d'oeuvre sur une simple batterie. L'est sûr que sur sa basse Hervé ne chôme pas, vous dépose la noirceur du monde sur le bitume de l'âme. Rebel Rebel, ne dites pas bof oui, mais Bowie, un riff un tantinet bébête quand on y pense, un véritable casse-gueule, paraît facile, deux funambules, guitare et vocal, obligés de se croiser sur un fil unique, ne s'agit pas de s'emmêler les pinceaux, chacun à sa place, et que personne ne fasse un pas de trop sur les plates-bandes de l'autre. N'ont pas sorti toute la marchandise en une seule fois. Notamment Jean-Michel qui au début est resté discret, on le prenait presque pour un accompagnateur, et puis il faut réviser son jugement, ne s'est guère étendu dans les premières interventions de pyromane patenté, bien fait, toutefois le minimum syndical, mais à chaque fois il la ramène un peu plus, et bientôt vous vous espérez l'instant où il plante sa guitare dans un rayon de projecteur, et qu'il vous égrène ses soli solides à la lead, oui qu'il prenne son temps, qu'il vous envoûte, que vous puissiez vous délecter, et lui crier chapeau ! On l'avait oublié celui-là, il y a longtemps que maître corbeau s'en est débarrassé, nous apprend que c'est la deuxième fois qu'il joue en public avec le groupe, l'est à l'aise, le gaillard prend du plaisir à se pavaner sur le devant de la scène. L'est comme le Monsieur Loyal du cirque qui annonce le numéro du trapèze de la mort, ou du tigre mangeur d'hommes, mais c'est lui qui s'y colle sans souci, et il chante avec cette certitude courageuse du dompteur qui plonge sa tête entre les crocs sanguinolents du sauvage félin rayé, et c'est parti pour un Brown Sugar tumultueux qui ravit son monde. De temps en temps il sort son harmo pour glisser deux ou trois maux de plus au malheur bleu -ombre du monde, mais ce qu'il préfère c'est jouer avec la hampe du micro qu'il manipule avec l'adresse diabolique d'un spadassin arrêtant de son hallebarde une charge de cavalerie. Sont vivement applaudis. Pour deux raisons. D'abord ils ont mis le feu, ensuite avec avec leur interprétation, beaucoup plus incisive qu'au sound-check, de Suzie Q ils nous ont convaincu que la donzelle devait avoir un joli petit cul.

THE PESTICIDES

L'est seul. A la guitare. Vissé dans sa vareuse blanche, un look entre Brian Jones et Cyril Jordan. Mais un visage plus ravagé. En lame de couteau, sous des épanchements de cheveux blonds. Les affres de l'artiste maudit. Le génie incompris. Toute la légende dispersée du romantisme rameutée dans cette position de corps cassé en deux, comme penché au-dessus de l'abîme d'un naufrage. A ses pieds, delays et boîte à rythmes. Pas une accumulation. Le strict minimum. La beauté et la pose de l'ange déchu solitaire. Byronien.

Sont là toutes les deux. Trois pas en arrière. Sur sa gauche. Vous ne voyez qu'elles. Depuis un moment elles attirent tous les regards. Leurs pantalons rouges à carreaux écossais dardent toutes les brûlures. Talons-boots boostent leur silhouette. Le bas est d'amarante, le haut est de sable. Vous aimeriez monter plus haut, mais la blancheur pallide de la coupole de leurs seins qui dépassent un peu de l'échancrure de leur justaucorps noirs vous retient malgré vous. Blancs aussi les bras sous les rémiges alanguies de leur tunique noire, leur lèvres saignent telles les entailles d'une plaie mortelle, les ailes noires de leur longue chevelure encadrent leur visage. Noir, blanc, rouge. Couleurs du grand-œuvre alchimique. Filles charnelles, oui. Âme sœurs, oui. Mais l'une est l'autre. Et l'autre est l'une. Pour le moment immobiles. Sont-elles la vie qui s'offre ou la mort qui se refuse, toute deux en chacune indiciblement mêlées, cygnes blancs qui font signe et cormorans noirs de leurs corps mourant d'opalescence.

Le maître de cérémonie allume sur son cordier les zébrures électriques. Alors derrière les ballerines s'animent. Doucement. Elles chantent aussi. Mais pour l'instant vous ne voyez que leurs mouvements à l'unisson, presque saccadés, une pantomime qui se peu à peu se complexifie. Elles sont face à vous mais l'effet de miroir se déroule entre elles côte à côte. Si au début elles ont fait les mêmes gestes ensemble, bientôt ce haussement de la main gauche jusqu'au visage, l'autre l'exécute de la main droite et tout un enchaînement gesticulatif de jeux de psychés dissociés se suivent comme si le geste de l'une était le négatif photographique de l'autre. Vous êtes perdu dans un labyrinthe infini. Est-ce un hasard si ce premier morceau s'intitule Death Circle.

Mais le jeu se dédouble. Le même principe sera appliqué au chant. Elles alternent, chacune étant tour à tour l'écho de l'autre. Et puis elles se dissocient, chacune dans sa partie. Au début, les voix sont comme étouffées, mais elles prennent force et intensité. Une fission s'opère. Elles se séparent, chacune jouant sa partie, bizarre comme si elles chantaient a capella sur les stridences de la guitare. le sang afflue et gonfle les veines du désir. Elles étaient vestales et les voici lubriques vénustés. Sex Share.

Elles ont allumé le feu. Et lui qui ne les regarde pas subit cette pression dévorante du désir. Se munit d'un archet pour infliger une fessée à ses cordes, et le doigt ganté d'un bottleneck, pointé droit debout, symbole phallique prêt à appuyer sur le bouton atomique, elles viennent à lui, se collent à lui, l'une l'excite, l'autre l'incite, la guitare mugit comme le taureau de Pasiphaé, Take Me.

Il s'éloigne du devant de la scène, la musique hurle toute seule, elles chantent et lui revient, ouvre un cahier et nous restitue la signification des paroles anglaises. Prends moi, Attache-moi, Sois brutal, vous leur auriez donné le bon dieu sans confession et maintenant ce sont elles qui vous offrent leurs confessions de jeunes femelles désirantes, et si vous restez, le bon dieu lui s'est enfui pour ne pas entendre.

Le musicien de ces damoiselles appariée est revenu, il était vêtu de blanc candide mais il jouait la musique du diable, la musique vrombit, la guitare vous cisaille les oreilles, toutes deux sont déchaînées. Trashy twin girls. Elles engoulent l'appel des goules affamées le soir dans les cimetières, elles vous hélent pour que vous veniez vous joindre à cette nuit walpurgienne, le public s'est dangereusement rapproché, sex and rock'n'roll. Elles quittent la scène sur une dernière sarabande infernale C'mon let's go !

C'était leur première apparition publique. Un grand pas écologique vient d'être franchi dans votre vie. Vous n'avez plus peur des pesticides.

CHRIS THEPS

L'a une dégaine incroyable Chris Theps, vous donne l'impression que le grand Keith est un de vos potes. Mais ce soir il a encore mieux, un orchestre. Pas symphonique avec violons pleurnichards et harpe doucereuse. Un rock band. Un vrai. Avec des zicos qui savent jouer. Et qui ne s'en privent pas. Si par hasard vous n'aimez pas le rock, décampez avant qu'ils commencent, car sinon le piège se referme sur vous. Imaginez que vous êtes entré par hasard sans le faire exprès dans le Colisée juste à l'heure où l'Empereur Néron avait décidé d'octroyer leur nourriture à cinq ou six fauves affamés, je ne donne pas cher de votre peau. C'est exactement ce qui s'est passé lorsqu'ils ont lancé les hostilités. A la différence près que nous on adore les grandes tourmentes qui fondent sur vous et vous ratiboisent le cerveau en moins de deux.

Faut répartir les dommages. Au fond vous avez le batteur. Un fou furieux. Doivent le sortir de sa cellule capitonnée de Charenton juste pour les concerts. Un gars qui manque cruellement de vocabulaire, ne sait pas ce que veut dire des verbes tout simples comme s'arrêter ou respirer. N'est pas comme le Vésuve endormi depuis deux mille ans. Lui il vous détruit une Pompéi et un Herculanum systématiquement à chaque morceau. Attention pas une brute, un artiste. L'on se demande pourquoi il a deux mains, tape avec l'une et avec la seconde il s'amuse à imiter les majorettes avec sa baguette. Une frappe infernale, vous passe les breaks à une cadence folle, avec lui les peaux tendues de ses tambours ne chôment pas, ça résonne de partout, vous donne l'impression qu'ils les frappent toutes en même temps, c'est un peu comme les coups de fusil, l'est si rapide que le son claque après que la balle vous a déjà traversé le corps.

Le guitariste est peut-être encore pire. N'a pas joué un seul solo de toute l'heure. Non il n'était pas en grève.  Chris Theps a dû lui dire tu pourrais me faire un petit solo, et le guy il est entré en solo perpétuel. L'a la guitare qui agonise sans arrêt. Nous fait le coup du chant du cygne immortel qui ne parvient pas à mourir. Vous déverse des ribambelles de notes à n'en plus finir. Des traînées de poudre infinies. Guitar super-héros. Un maniaque de la six cordes, avec lui, ce n'est jamais trop. De temps en temps lorsque Chris l'appelle il s'avance et vous vous apercevez qu'il peut jouer encore plus vite, qu'il vous torpille les oreilles avec de notes encore plus aigües et vous avez l'impression que votre tête explose, touchée-coulée.

Les ennuis volent en escadrille. Vous pensiez que le pire était dans les deux paragraphes précédents. Erreur sur toute la ligne de basse. Il reste encore un criminel. L'a dû lire Il ne fait pas assez noir de Joë Bousquet, si vous comparez les deux artistes à un feu d'artifice, celui-ci est un générateur de nuit. A hautes fréquences. Des ondes scorbutiques qui vous déchaussent les dents. Un pervers. Apparemment il ne fait rien. Mais c'est un exponanteur. La tonitruance fracassante et le flamboiement de ses deux camarades, il a décidé de les rendre encore plus percutantes, plus perçantes. L'a compris que ce sont les obscurités indélébiles de la voûte céleste qui rendent les étoiles filantes encore plus visibles, alors il bouche tous les blancs sonores, vous noircit tout l'espace auditif, ce qui était avalanches d'éboulements il vous le compactise, vous le transforme en aérolithe monstrueux d'une extraordinaire densité qui fonce sur votre planète. Vous comprenez enfin ce qu'ont dû ressentir les dinosaures dans les instants qui ont précédé leur extinction.

Chris devrait être en crise. Comment voudriez-vous qu'il place un seul mot dans ce magma. Comme si de rien n'était. En plus il se met à votre portée, chante en français, pourquoi choisir la facilité du volapük d'outre-manche quand on sait faire plus compliqué en le vieil idiome des terres françoises. Ce qui est inquiétant avec Chris c'est son aisance. L'est aussi à l'aise parmi cet équipage de pirates que s'il faisait des entrechats pour présenter le gala de charité des petits rats de l'Opéra. L'a une grâce féline instinctive. Le rugissement du tigre aussi. Dès qu'il ouvre la bouche il couvre le vacarme de ses camarades. Attention l'a une science consommée du chant, sait quand il faut porter la voix, en ces moments de kérosène kairosique où il faut glisser la coque de son bateau entre les redoutables masses des icebergs qui s'entrechoquent.

Une loi innée du rock'n'roll. Si vous avez de bons musiciens c'est bien. Si vous y adjoignez un bon vocaliste c'est mieux. C'est-là que se fait la différence. Les deux parties se transcendent. Avec Chris c'est un régal. Vous invective de toute sa raucité. Vous prend à partie, vous menace. Elle n'est pas Belle la vie ? Commente comment il a écrit Paris en réaction à Charlie ( l'hebdo qui rencontra plus bête et plus méchant que lui ). Des paroles violentes Flinguez mais teintées d'optimisme. Le jour se lève.

Non je n'ai pas oublié. Sur certains morceaux, il y avait un sax et en plus sur la fin du concert Pascal à l'harmonica. Pas facile pour eux d'intervenir sur cette boule noire de forte compacticité, surtout avec un seul micro pour deux, mais ils ont réussi à dégoupiller quelques grenades dans les tranchées.

Un set uppercut, un grand moment de rock'n'roll, la force des Faces pour ceux qui connaissent.

GAST

Il aurait mieux valu suivre la programmation prévue. Mais Gast s'est précipité pour squatter la scène et passer avant Alicia F ! Un manque évident de courtoisie, une attitude pas vraiment rock'n'roll d'autant plus que les enjeux étaient minimes... En furent mal récompensés, le public qui déserta et des ennuis systématiques pour lancer les morceaux. Se définissent comme un groupe de Love Rock Metal. Une formule un peu curieuse. D'autant plus qu'ils n'ont guère manifesté d'amour...

Mi-figue, mi raisin. Pas résolument rock, pas résolument metal. Il semblerait que Gast mise avant tout sur les lyrics. Les titres ne sont pas sans une certaine grandiloquence : Le calme m'emporte, Odyssée, Le sacre de l'homme, d'où cette impression qu'ils veulent installer un certain climat poétique pour les accompagner. Une musique comme immobile, un océan au repos, mais qui couvre les paroles ce qui contrevient quelque peu au projet initial. D'autant plus dommage que les voix trafiquées doivent participer d'un projet dont on a du mal à envisager l'ampleur. Un parti-pris difficile par nature. Soit vous privilégiez le sens des vocables et toute la partie musicale se réduit en musique d'accompagnement – cela est patent sur leur soundcloud – soit vous favorisez l'aspect musical ce qu'ils ont fait sur scène mais alors il faut y aller franco de port. On a envie de leur dire d'écouter comment des groupes comme Yes ( celui des débuts ) ont agi pour réaliser l'équilibre voix /musique.

Gast possède les ingrédients, notamment Julio un batteur à la frappe très personnelle, un bon guitariste Jeco, mais ils n'ont pas encore la recette. Et puis, bien se rappeler une chose élémentaire : aucun groupe de rock n'est parvenu à sauver le monde.

ALICIA F !

Chez Kr'tnt ! on ne vous fait pas le coup des Vingt ans après à la Alexandre Dumas chez nous c'est carrément la semaine suivante. Vous avez aimé Alicia F ! dans la livraison 454, ce sera bis repetita, Farenheit 455 ! Mais attention ce n'est pas le retour à l'identique. Les circonstances ne sont pas les mêmes, comparée au timbre-poste de l'Holy Holster, la scène de L'Espace Denis Hopper c'est un terrain de foot. Vous savez les garnements plus on leur en donne, plus ils en prennent. Et puis quand ils montent sur scène sont encore un peu remontés, un reste de zeste de mauvaise humeur, personne n'aime qu'on lui subtilise sa place dans la file d'attente du cinéma, sont comme le boa constrictor contrarié.

Sont à leur poste en trente secondes. N'y a qu'à regarder Fred Kolinski, d'habitude il ne départit jamais d'une certaine attitude Olympienne au-dessus de la mêlée bassement humaine, mais ce coup-ci il a le visage marqué de la même expression déterminée que Ramsès II, quand lors de la bataille de Qadesh, il s'est saisi des rênes de son char de guerre pour mener la charge sur la cavalerie Hittite, et un et deux, l'a adopté la frappe cataphractaire, celle par laquelle il vous rapproche de votre catafalque mortuaire. Tony Marlow lui a emboîté le pas séance tenante. Pour les fioritures psychédéliques l'on verra la prochaine fois, cette fois il plonge direct dans l'ergonomie rock'n'roll, au plus près du riff, vous plante directement le harpon de la guitare dans le ventre de la baleine blanche, elle se démène comme une tornade, mais Tony la tient ferme, et l'on sait d'avance qui va gagner la partie. Même Fred Lherm en a oublié de sourire, l'en a la basse qui grimace de rage, d'habitude elle est plus coulante, plus détendue, cette fois-ci elle a les sourcils froncés et sur ses lèvres se dessine l'ombre d'un rictus vindicatif... Ce soir le plat de la vengeance sera servie brûlant. Comme par hasard l'assistance qui s'était éclipsée au set précédent rapplique en nombre.

Tout ça pour une fille ! C'est que vous n'avez jamais croisé ses yeux verts. Quand elle les pose sur vous vous ressentez les vipères de Cléopâtre qui rampent sur votre torse. Se tient sagement devant vous, une collégienne qui attend le feu vert du professeur pour réciter la leçon d'histoire. Toutefois une tenue un peu provocante d'élève rock'n'roll, sa mini-jupe, sa manière de la porter telle une corolle vénéneuse de pétales noirs, ses bras de nacre nue, ses jambes résillées, ses cheveux de flamme, ses tatous de ceux que l'on retrouve dessinés dans les marges des cahiers j'écris-ton-nom : désir ! Celui fiévreux des drames de Tennessee Williams.

Alicia chante rock'n'roll, c'est-à-dire qu'elle utilise aussi bien sa voix que son corps. Sa chair autant que son cœur. En un seul mot, cette quadrature se nomme l'esprit. Elle a une manière d'entrer dans un morceau, que ce soit un vieux classique mille fois repris ou ses propres compositions ( musique : Tony Marlow ), et de s'y impliquer avec une telle force que son interprétation vaut certificat d'authenticité. Elle restitue un héritage, d'instinct elle s'inscrit dans une lignée qui vient de loin, elle projette les mots comme des crachats de cobra du Mozambique, atteignent tous leurs cibles, à l'intérieur de vous, transpercent les nodosités de vos rêves, et pour qu'ils fassent encore plus mal, pour que la plaie purule davantage, elle pousse de temps en temps des cris qui s'enfoncent en vous comme des doigts de chirurgien dans une fracture ouverte.

Mais peut-être que ses prestations s'apparentent davantage à de la danse qu'à un tour de chant. Une espèce de ballet solitaire, tel que Mallarmé en a rêvé pour le finale des Noces d'Hérodiade. Juste le corps et le désir. Une espèce d'abstraction mise en scène aux yeux de tous pour exprimer, par les ulcérations du mime, les pulsions animales qui nous construisent et nous détruisent. Juste quelques pas sur Speedrock, l'hymne à son chat, mais cette manière de miauler et de déplacer que vous ne savez plus si c'est la peluche d'une petite fille qui s'anime à la manière d'un dessin animé ou le Seigneur Immémorial des Toits qui rôde à la recherche d'une proie pour sa cruauté de félin en chasse.

Vous avez eu le chat. Vous aurez l'autre face. La chienne vicieuse de I wanna be your dog, la voici à terre, sur le ventre, jambes écartées, elle lèche le micro-pénis qu'elle se tend à elle-même, et puis elle s'expose, s'assoit, ramène ses jambes devant vous, les écarte afin de vous montrer les rousseurs de ses dessous, elle vous aveugle de sa féminité, de sa liberté à vous lancer des miettes d'envie comme l'on nourrit les pigeons dans les squares municipaux. Et tout cela dans une vertigineuse retenue, elle ouvre l'abîme pour mieux le refermer. Elle a tout donné en vous empêchant de rien prendre. Alicia ou l'ambiguïté du rock'n'roll.

Un set torride. De bout en bout. A bout portant. Ils ont aussi joué I fought the law, et ils ont gagné.

Damie Chad.

P. S. : il restait encore deux groupes à passer, mais très tôt, le matin même, j'avais à faire. Sorry.

LAIBACH

 

Le livre n'arbore aucun titre. Il n'est pas facile à lire. Ce n'est pas que le texte soit d'une complexité inouïe, mais quand vous le tenez il vous brûle les mains. Pas du tout au sens métaphorique. C'est que sa couverture vous ébrèche les doigts, elle est réalisée en papier de verre. Particulièrement épais. D'un noir peu engageant. Celui que vous utilisez lorsque vous grattez la grille de votre portail que vous désirez ( est-ce vraiment un désir ? ) repeindre. En plus elle est agrémentée d'une croix en acier, pas un dessin, un objet, qui évoque quelque peu la croix nazie. Son titre relégué en bas de page de garde – teinte gris souris - intérieure risque de vous sembler énigmatique.

NSK

Neue Slowenishe Kunst

RENDEZ-VOUS GRENOBLE

( Editions Kasemate )

 

Les Editions Kasemate n'existent plus depuis décembre 2019. Elles ont été sabordées par leur éditeur-animateur Alexandre Thévenot. Dégoûté du milieu littéraire. Nous ne pouvons que le comprendre. Ce qui nous empêche pas de le regretter. Deux années d'existence auront suffi à faire d'elle un objet littéraire non identifié. Ses tirages minuscules, confectionnés à la main, encres, papiers, matières, formats, finement appariés sont appelés à devenir des objets de collection. Ce qui leur permettra de ne pas se perdre dans la mémoire humaines mais les inscrit d'office dans ces convulsions accapareuses qui motivent trop souvent les adeptes de la bibliophilie davantage intéressés par la valeur marchande d'un produit que par le contenu des idées manifestées dans ces brûlots idéens... Nous avions particulièrement apprécié ces plaquettes dédiées à la littérature symboliste et fin de siècle, par exemple cette réédition de poésies de Georges Rodenbach.

Ce NSK Rendez-vous Grenoble avait été préparé pour accompagner la semaine du 11 au 14 octobre 2018 consacrée en la cité grenobloise aux activités ( conférences, expositions, films, éditions ), de la NSK.

IL ETAIT UNE FOIS EN YOUGOSLAVIE

AURELIE DOS SANTOS

Qui se cache derrière les initiales NSK ? Un regroupement d'artistes slovènes. Notamment à partir du groupe Irwin ( voir plus loin ). Les membres du NSK, dont Laibach est un organe des plus importants, entendent promouvoir un art total. Cette volonté fait sans doute référence à l'idée d'art total initiée par Wagner qui entendait allier musique, chant, théâtre, danse, poésie, peinture, sculpture – pensez aux décors pour ces deux derniers ingrédients - dans ses opéras. L'idée de collectif artistique réside en le principe participatif que chacun des membres apporte selon ses moyens d'expression ses créations à l'émergence d'une vision commune. Mais il vaudrait mieux envisager cette notion d'art total en art totalitaire et même en art de dénonciation du totalitarisme politique. L'on aborde vite des terrains mouvants. Il ne s'agit en rien de dénoncer les totalitarismes en opposition aux vertus démocratiques. Ce genre de discours très en vogue de par chez nous sur les médias de masse n'était pas de mise dans la pratique du NSK, né en Tchécoslovaquie au début des années 80, sous le communisme.

Cet Art Total joue sur les symboles, ceux des iconographies communistes et fascistes, le but est de montrer que des régimes politiques qui se sont en leurs temps farouchement opposés et qui se sont livrés une guerre sans merci, relèvent d'une même pratique totalitaire. L'idée n'est pas neuve. A tel point que va naître le concept d'art-rétro-futuriste. Le NSK joue avec les représentations graphiques des régimes communistes et fascistes pour en dénoncer l'inanité pornographique représentative. Lorsque la Tchécoslovaquie sera démembrée et que ses différentes parties pourront goûter aux délices du capitalisme démocratique financier, celui-ci sera aussi considéré sous ses aspects totalitaires et aura droit aux mêmes dénonciations.

Le NSK se revendique autant du suprématisme que du constructivisme russe, autant de Dada que de l'Internationale Situationniste, autant de Marcel Duchamp que de Guy Débord, le tout en une espèce de dé-constructionisme déleuzienne... qui politiquement se manifestera dans les faits par l'éclatement de la Tchécoslovaquie en plusieurs états nations. L'on touche ici à une certaine contradiction, la dénonciation initiale de l'existence d'un état totalitaire qui se traduit par la création de plusieurs mini-états tout aussi totalitaires. L'on peut ainsi se dire que la partition de la Tchécoslovaquie n'a guère engendré sur le plan politique quelque chose de bien nouveau, et peut-être même en déduire que si la NSK a emprunté les vieilles formes des avant-gardes du début du vingtième siècle c'est qu'elle a été autant incapable de créer de nouvelles formes artistiques que la société tchécoslovaque - dont elle n'était qu'un surgeon et qu'elle voulait transformer - n'a réussi à fomenter de nouvelles esquisses associatives politiques. A tel point que la NSK en est venue à créer un Etat trans-national virtuel, une espèce d'utopie fantôme – si vous voulez rester optimiste vous le qualifierez d'organisme non gouvernemental - qui pour ma part évoque quelque peu la démarche de Robert Musil qui dans son roman L'Homme sans qualité transforme l'Autriche-Hongrie en Cacanie afin de dénoncer d'autant plus librement et vivement la folie des nations européennes en train de se précipiter tête baissée dans la guerre de 14-18, conflit dont l'inanité aura, entre autres, pour conséquences la germination des avant-gardes politiques du vingtième siècle et la naissance des totalitarismes fasciste et communiste... Le serpent se mord la queue mais a du mal à n'en faire qu'une bouchée...

'' WE COME IN PEACE '' : LAIBACH

OU L'ART DE LA FUGUE

FREDERIC CLAISSE

La NSK n'est pas sans rappeler l'éclosion du mouvement futuriste en Italie et en URSS. Deux pays comme par hasard dévorés par le fascisme et le communisme. Le futurisme fut un mouvement artistique multiforme dont les tentatives les plus significatives s'exercèrent en peinture et en musique. Question peinture nous renvoyons le lecteur à la troisième partie de cet ouvrage. S'il est une figure oubliée du futurisme, c'est celle du compositeur Luigi Russolo, il est l'auteur d'un manifeste intitulé L'Art des Bruits qui est au fondement de la musique bruitiste, électro-acoustique et industrielle. Il construisit ses propres instruments qu'il cacha dans un grenier parisien – il était réfugié anti-fasciste – mais qu'il ne retrouva pas après la guerre... Les esprits curieux peuvent aller sur You Tube écouter les rares documents sonores ( Serenata per intonarumori e strumenti, par exemple ) qui nous restent.

Laibach – ce nom n'a rien à voir avec l'expression américaine laid-back qui désigne une musique facile à écouter, il est le nom de la ville slovène Trbovlje lors de la présence allemande dans la région, ce qui équivalait à une provocation pour le régime communiste de Tchécoslovaque - est vraisemblablement le groupe constitutif du NSK le plus célèbre, il est même une des premières formations industrielles européennes à obtenir une aura internationale.

Musicalement Laibach ne me semble pas une réussite. Je ne veux pas dire qu'il joue de la mauvaise musique mais que celle-ci est tellement fidèle à l'idéologie du NSK qu'elle tourne à la parodie. Laibach s'en défend en affirmant que cet aspect est à entrevoir comme une ironie critique au deuxième degré. N'empêche que sa fausse musique pseudo-classique est peu évolutive, écouter un morceau de Laibach c'est un peu les entendre tous. Regarder une vidéo du groupe nous plonge dans la peinture pompière dans le plus mauvais sens de cette expression. Une question vient vite à l'esprit, se moque-ton du nazisme ou du spectateur ? Question stupide car elle en cache une autre ; celle des engrammes encéphalodiens, que veut-on au juste insuffler avec cette mimétique militaro-romanticico-nazie particulièrement cheap ? D'autre part la répétition de cette imagerie ne trahit-elle pas un essoufflement créateur ? Pour ne pas employer le terme d'infertilité incapacitante, celle-ci d'autant plus marquée que le groupe s'est vite adonné aux reprises, que ce soit l'album Let It Be des Beatles ou les hymnes patriotiques européens. Une démarche en quelque sorte idéologique, qui correspond à l'impossibilité actée ou théorisée de toute tentative d'élaboration de formes musicales nouvelles. Remarquons que si l'on compare l'enthousiasme créatrice des années 1920 à l'encéphalogramme artistique du début de nos années 2020, le fléau de la balance ne penche guère en notre faveur. Le rétro-futurisme nous semble beaucoup plus rétro que futuriste. La raison annonciatrice la plus prophétique reste la geste punk : No future !

IRWIN

LE PROGRAMME DU GROUPE IRWIN

Traduction : MARYLENE DI STEPHANO

Vous l'avez compris, je suis plus que circonspect quant à la teneur créatrice tant iconographique que musicale, et cela même en dehors de toute position politicienne, de Laibach. J'avoue par contre avoir été atterré par les cinq textes qui forment comme le manifeste du collectif de peintres Irwin. Que lit-on : un succédané de formules empruntées à Hegel. L'idée de Totalité certes, mais une totalité ajoutée pour emprunter une formule à la mode ces temps-ci. Que peut-on ajouter à la Totalité. Rien répondront les esprits simplistes. Que si, se hâtent de répondre nos théoriciens, ce qui est en dehors de la Totalité ! Vous ne voyez rien ? Mais Dieu voyons ! Philosophiquement parlant l'on pourrait arguer qu'ils ont mal lu la Phénoménologie d'Hegel qui au-dernier moment, en un tour de passe-passe tout-à-fait ironique, substitue l'Esprit à Dieu. Chacun fait le ménage a sa manière, multiples sont les coups de balai sur le vain plumage de Dieu dirait Mallarmé. Mais que reste-t-il à l'Homme si Dieu persiste à ne pas être tué. Et plounck ! La solution irwinesque retombe dans le vieux christianisme des familles : la souffrance ! Grand bien nous fasse !

L'on me répondra que c'est pour me plonger le nez dans le caca, que dans n'importe quel état terrestre national, nous ne connaîtrons qu'oppression. Que le seul refuge consiste en le NSK State in Time. L'état transnational par excellence qui n'existe pas en tant que Etat car ne reposant sous un aucune surface ou délimitation terrestre. Ce qui entre parenthèses n'abolit pas les Etats existants mais qui se révèle tout autant étatique que tous les autres Etats, certes il est trans-frontalier, une espèce de phalanstère emblématique d'artistes réunis au travers du monde, mais cet Etat in Time est porteur d'une esthétique aussi dirigiste que les élites de nos pays, et qui dit esthétique dit idéologie et qui dit idéologie dit absence de pensée puisque celle-ci est corsetée par des principes manifestes.

LAIBACH

D'autres lectures beaucoup plus libertaires de ce mouvement artistiques peuvent être établies. Nous ne les ignorons pas, mais nous nous en tenons à nos propres vues qui portent davantage sur l'implication philosophique de la démarche que sur ses réalisations objectivales. Cette chronique est à mettre en relation avec celle du livre de Max Ribaric, Blood Axis. Day of Blood. ( in Livraison 452 du 20 / 02 / 2020 ), groupe de Michael Moynihan dont l'entreprise paraît beaucoup plus authentique et moins artificielle. Tout ce qui sépare la dangerosité du loup solitaire d'une intelligentsia artistique qui joue sur la facticité miroitante de la société du spectacle.

Peut-être que Tomaz Hostnik chanteur du premier Laibach – plus proche d'un bruitisme exacerbé que du pompiérisme pseudo-classique que le groupe adopta par la suite - et qui en 1982 se pendit en une sorte de rituel sacrificatoire était-il plus près d'une démarche nationaliste plus radicale similaire à celle entreprise par le jeune adolescent Mickael Moynihan. Hostnik pose par son suicide une question essentielle : la copie à l'identique de l'idéologie fasciste est-elle une dénonciation ou une prise de position pro-nationaliste sincère ? Il semble qu'après la mort de Tomaz Hostnik, Laibach laisse à dessein planer l'ambiguïté laissant à chacun le soin de se positionner. Le groupe agissant comme un révélateur des affects politiques des spectateurs qui assistent à ses concerts soit en reconnaissant en son fort intérieur qu'il est partisan de cette forme d'autoritarisme soit en prenant conscience des dangers d'une société qui s'organiserait sur de telles modalités.

Le rock a souvent été décrit comme l'expression d'une révolte anti-sociale. Contre quoi au juste ? Comme tout art, il peut être la proie de manipulations idéologiques de toutes sortes. Il est bon de le savoir. Tout comme de se rendre compte qu'il s'inscrit aussi dans une filiation et des enjeux culturels, pas uniquement musicaux, qui remontent et s'inscrivent en des déploiements politiques dont il convient de ne pas être dupes.

Damie Chad.