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10/10/2018

KR'TNT ! 388 :OTIS RUSH / SEASICK STEVE / FERMETURE ADMINISTRATIVE DE LA COMEDIA / SPUNY BOYS / THE CACTUS CANDIES / ROCKAMBOLESQUES ( 3 °

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 388

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

11 / 10 / 2018

OTIS RUSH / SEASICK STEVE

FERMETURE ADMINISTRATIVE DE LA COMEDIA

SPUNYBOYS / CACTUS CANDIES

ROCKAMBOLESQUES ( 3 )

TEXTE  +  PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Le rush d’Otis Rush

Le pauvre Otis Rush vient de tirer sa révérence. Les amateurs de Chicago blues le connaissent bien. Il est l’une des figures de proue de cette école du blues inaugurée dans les années cinquante par Muddy Waters et Little Walter et qui au bout de quarante ans, a fini par tourner en rond et générer de l’ennui. Dommage, car la première vague fit autant de ravages dans les imaginaires britanniques qu’en firent les rockabs de Sun. Bo Diddley, Muddy Waters et Little Walter ont joué, dans l’histoire du rock blanc, un rôle aussi capital que ceux d’Elvis, de Johnny Cash et de Jerry Lee. Muddy Waters et Sam Phillips, même combat. Ces gens-là ont tout inventé.

Comme tous ses collègues installés à Chicago, Otis Rush vient lui aussi du Deep South. Il arrive à Chicago au début des années cinquante et comme Magic Sam, il débute sur Cobra Records. Dans une interview récemment parue, Syl Johnson nous révèle qu’il a déniaisé Magic Sam en lui montrant comment jouer les classiques de Muddy Waters. Puis comme tout le monde à Chicago, Otis va trouver Leonard le renard pour enregistrer quelques singles sur Chess. Parcours classique et terrain d’élection des industriels de la compilation.

Bref, Otis zone, jusqu’au moment où Mike Bloomfield s’intéresse à lui : c’est l’album Mourning In The Morning enregistré en 1969 à Muscle Shoals. Quel album ! Pur jus de Soul de blues ! Pochette superbe, avec un Otis prêt à bouffer le monde. Pour son premier album, il bénéfice de la présence d’une grosse équipe. Il joue pas mal de cuts de Bloomy, à commencer par «Me», l’un des hits d’Electric Flag. Roger Hawkins nous bat ça sec. Le son est au rendez-vous et Otis peut screamer son blues. Il joue bien liquide, comme Bloomy. Tiens, encore du Bloomy avec «Working Man». Otis le joue classique et incendiaire. Il module ses uuuhhh et ses ouuuhhh. Quel fucking moduleur ! Attache-toi au mât car il chante comme une sirène ! Il reste dans l’admirabilité des choses avec «You’re Killing My Love», toujours signé Bloomy et passe plus loin au heavy blues avec «Gambler’s Blues» où l’on note deux choses : l’excellence de la prestance et la pertinence de la prescience. On trouve hélas un petit moins de viande en B. Il faut en effet se contenter d’un «My Love Will Never Die» chanté à l’éplorée. Otis sait parfaitement faire pleurer sa voix et couler un bronze du blues. Il passe des grattages de guitare insistants et terriblement intrigants. Il boucle l’album avec un autre cut de Bloomy, «Can’t Wait No Longer’», histoire de bien enfoncer son petit clou. Cette union Otis Rush/Bloomy/Muscle Shoals est l’une de plus admirables de l’histoire du blues.

Screamin’ And Cryin’ paraît en 1974. Otis y va. On le sent partant dès «Looking Back». C’est un fervent gratteur de gras des bas-côtés. Il sait faire chialer sa note. On retrouve le bon gros heavy blues dans «You’re Gonna Need Me». Ce vieux crabe de zone B Sunnyland joue du piano. Otis s’arrache bien la paillasse pour chercher des effets, il hurle à la lune et fait son défroqué. C’est un spécialiste du charbon ardent. Il le fait pour de bon, il pousse des petits cris de poulet, ça baigne dans la fiente et les waoooh. Quelle rigolade ! Il prend «It’s My Own Fault» au doigt bien plat, il se prosterne devant les bénitiers, c’est un convaincu. En fait, il ne fait que taper dans des classiques, mais il n’a rien de la fulgurance d’un Buddy Guy. On sent toutefois une fantastique présence dans des reprises comme celle d’«Every Day I Have The Blues». Otis se met en quatre pour un huit de trèfle. Il prend «A Beautiful Memory» au heavy blues de la dégoulinade de morve, ça coule dans la manche, à travers les poches, c’est du gras, Il joue incroyablement gras, cet enfoiré fait couler son blues partout. Il est le roi du liquide qui tâche.

Magnifique pochette que celle de Cold Day In Hell : Otis transpire comme un diable coincé dans un sauna. Il démarre en trombe avec «Cut You A Loose», mais ça va trop vite, beaucoup trop vite. Il part ensuite dans un délire de petites notes lumineuses avec «You’re Breaking My Heart». Il dit à sa poule : tu me brises le cœur. On a beau chercher un hit sur cet album pourtant paru sur Delmark, on n’en trouve pas. Et si Otis Rush ne servait à rien ? Pour éviter toute dérive, il est conseillé de redoubler d’attention et de bien dresser l’oreille. Hélas, les choses se gâtent avec le morceau titre. Otis fait son Albert, non pas le King, l’autre, le Collins. Il joue avec les températures. Il verse des larmes de crocodile. Impossible de le prendre au sérieux.

Belle pochette que celle de Right Place Wrong Time paru en 1976. On y admire le port altier d’Otis, un port qui rappelle celui des anciens princes d’Éthiopie. Enregistré en 1971 chez Capitol, Right Place Wrong Time est en fait son deuxième album. Il ne parut qu’en 1976, après qu’il ait dû racheter les bandes. Pauvre Otis, il n’en finissait plus de zoner. Il attaque cet album sauvé des eaux avec «Tore Up», un joli coup de boogie blues à la Albert Collins. Il tisse une merveilleuse dentelle de blues dans «Right Place Wrong Time» et trousse l’«Easy Go» à la hussarde. Ce type est un génie fluide. Il ne se refuse aucune cascade d’eau claire. Il faut l’entendre dans «Three Times A Fool». Sa voix n’a rien de plus mais c’est à l’attaque de guitare qu’il va se distinguer du commun des mortels. De l’autre côté se niche «I Wonder Why», un instro de classe aristocratique. Otis y fourre ses petites digonnades de notes versatiles. C’est un expert du petit doigt qui aiguillonne. Par contre, «Your Turn To Cry» est du pur jus de slow blues joué aux giclées flamboyantes. Sacré Otis, il sait orgasmer son blues à longs jets radieux. Il dispose d’une arme fatale : le toucher de rêve. Pas mal d’Anglais du blues boom l’ont pompé, c’est évident. Avec «Take A Leak Behind», Otis va chercher le slow-blues à l’éplorée. Il sait tirer ses phrasés au-delà de toute complaisance. Il sort un son poignant. Ses notes se tortillent adorablement, il les titille avec cette volupté cabalistique qui n’appartient qu’aux anciens princes d’Éthiopie. Faramineux personnage !

Il attaque Troubles Troubles avec le fameux «Baby What You Want Me To Do» de Jimmy Reed. C’est joué bien sec, mais ça devient trop austère. Nous voilà chez Sonet, en plein âge classique du Chicago blues. Donc pas de surprise. Dans «Whole Lotta Lovin’», Otis attaque une vieille descente à la Dust My Blues et semble vouloir se réfugier dans le classicisme à tout crin. Et voilà qu’il chante «You Been An Angel» avec la voix de Stan Webb ! Incroyable ! On note l’excellence du battage de cymbales dans «You Don’t Have To Go» et on se régale du morceau titre car c’est du heavy blues circonstancié.

La pochette de Tops paru en 1988 ne met pas Otis en valeur. Il porte un chapeau et il paraît légèrement empâté. Si on veut retrouver l’Otis qu’on admire, il faut aller voir la photo qui se trouve au dos de la pochette. Il s’agit là d’un album live enregistré à San Francisco. Avec «Crosscut Saw», il met les pieds dans le territoire du gros Albert. C’est drôlement gonflé. Il joue ça au meilleur velouté de poireau. Il passe de sacrés paquets de notes et chante au doux du ton. Il sort un son de rêve sur «Feel So Bad». C’est quasiment du Bloomy. Il y lance une attaque en règle, une pure bénédiction d’électricité latente. Il y a plus de modernité dans le blues d’Otis, Horatio, qu’il n’y a de particules dans ta philosophie. Le «Gambler’s Blues» qui ouvre le bal de la B vaut largement le détour. Otis nous joue ça au mieux des conditions du blues. Ce mec est l’un des grands fluides de son temps. Son jeu enjôle et finit par captiver. Il revient au solo fin et vivace après un couplet désespéré. Il finit avec «I Wonder Why» qu’il prend à la Earl Hooker. Il ajoute de la finesse à la finesse, alors ça touche profondément les points sensibles. Otis joue titille la perfection. Il fait couiner chaque note comme une nympho.

Comme bon nombre de ses congénères, il débarque chez Alligator en 1991. Il y enregistre Lost In The Blues, un album assez moyen, même si «Hold That Train» qui ouvre le bal fait illusion. Otis revient à sa chère vieille dégoulinade. Il essaie de sonner comme le gros Albert, mais ce n’est pas gagné. On l’encourage. Vas-y Otis ! Vas-y ! - Oh you train conductor - Bruce Iglauer le voulait, Bruce Iglauer l’a eu. Mais on retrouve toujours les mêmes vieux coucous comme «Little Red Rooster» et ce «Please Love» qui sonne comme Dust My Blues. Par contre, Otis négocie son «Trouble Trouble» à la meilleure langue fourchue du blues. Il va chercher le bon timbre de chant.

Ian McLagan joue du piano sur Ain’t Enough Comin’ In paru en 1994. On écoute «Don’t Burn Down The Bridge» avec délectation, car c’est bien nappé d’orgue. Otis fait le job. C’est une reprise du gros Albert. Il reprend ensuite le «Somebody Have Mercy» de Sam Cooke. Il est dessus, avec une fantastique énergie. Rien de mieux qu’un vieux coup de Cooke. Fantastique ! Mais hélas, on passe à travers les autres cuts de l’album. Il nous ressert l’inévitable «It’s My Own Fault», et «Ain’t Enough Comin’ In» un boogie blues têtu comme une bourrique. Plus loin, il revient à son cher Sam Cooke avec «Ain’t That Good News». C’est du gospel. Otis le chauffe bien. Il boucle avec «As The Years Go Passing By», un blues de gras double. Il sort un joli son sur sa Strato blanche, mais il reste atrocement classique. Dommage qu’il manque de fantaisie.

Signé : Cazengler, Otis rêche

Otis Rush. Disparu le 29 septembre 2018

Otis Rush. Mourning In The Morning. Cotillon 1969

Otis Rush. Screamin’ And Cryin’. Black And Blue 1974

Otis Rush. Cold Day In Hell. Delmark Records 1975

Otis Rush. Right Place Wrong Time. Bullfrog Records 1976

Otis Rush. Troubles Troubles. Sonet 1978

Otis Rush. Tops. Demon Records 1988

Otis Rush. Lost In The Blues. Alligator Records 1991

Otis Rush. Ain’t Enough Comin’ In. This Way Up 1994

Otis Rush. Any Place I’m Going. House Of Blues 1998

 

Steve la gerbe

On a un problème avec Seasick Steve : vraie barbe ou fausse barbe ? Comme le fait Mitsuhirato dans Le Lotus Bleu, on voudrait lui tirer la barbe pour savoir si c’est une vraie. Car au fond, on se pose tous la question suivante : Seasick Steve est-il un vrai bluesman ou un coup monté par la CIA ? On se méfie de ce genre de plan ‘roots’ comme de la peste. Les magazines de rock anglais lui consacrent plus de pages qu’ils n’en ont jamais consacré à Muddy Waters. Alors, il n’existe que deux moyens d’en avoir le cœur net : écouter les disques et le voir sur scène. Oui, je dis bien LES disques, car l’animal est prolifique : 8 albums en 8 ans. Comme tout le monde, il a besoin de blé.

Il sort Dog House Music en 2006. Dès «Yellow Dog», on voit que Steve la gerbe a tout pigé. Il part en vrille dans le pire jive de blues de cabane branlante qu’on ait vu ici bas. Ça continue avec «Things Got Up». On voit bien qu’il s’implique pour de vrai. Il fait du primitif à la petite semaine. Il introduit «Fit My Wings» en marmonnant : «I’m gonna plug the thing». Il gratte son banjo et sonne comme un puriste, un tenant du primitivisme invétéré. Il va même chercher des effets auxquels personne n’avait jamais pensé, pas même John Hammond. Steve la gerbe fait son truc. En trois cuts, il semblerait que la messe soit dite. Et puis, on va commencer à voir apparaître les crevasses. Son «Dog House Boogie» sonne comme du T. Rex. Il fait du glam à barbe. L’idée est tellement saugrenue qu’on ne moufte pas. Il joue «Save Me» aux instruments anciens, et même très anciens. Il bat tous les records olympiques de primitivisme. Il s’entiche de vieilles racines. Aurait-il du génie ? On flirte avec l’idée à l’écoute d’«Hobo Me». Il gratte ses vieux accords à sec, comme s’il enfilait une chèvre. Pas de fioritures, pas d’effets à la con. Il revient au primitivisme éhonté avec «My Donny» qu’il claque à sa sauce. Il va chercher une sorte de vieille démesure de bord du fleuve. Il claque ses notes et chante dessus. Il force l’admiration car il gratte tout à l’ongle mort du zombie et s’affiche comme un féroce primitif. C’est une façon comme une autre de dire qu’il sème le doute pour mieux brouiller les pistes.

L’année suivante paraît Cheap, un album qu’il enregistre avec the Level Devils. Steve la gerbe ressort toutes ses vieilles ficelles de caleçon. Il multiplie les effets d’annonces et fait couiner son rocking chair à l’intro de «Rocking Chair». Il cherche à créer une ambiance et la plombe au stomp. Pour «Hobo Blues», il nous fait le coup de la jew harp. Mais il est affreusement convainquant. C’est bardé de tout ce qu’il faut pour rendre l’amateur de blues blanc heureux. Son «Hobo Blues» force l’admiration blanche. Puis il va commencer à raconter sa story dans «Story #1». Avec «Love Thang», il tente de se faire passer pour un vieux black de Chicago. Il propose des cuts comme «Dr Jekyll & Mr Hyde» et «8 Ball» qu’on retrouvera sur de futurs albums. Il raconte une deuxième story en reniflant bien fort, pour que tout le monde entende. La morve c’est roots. Il en fait un peu trop. Autour de lui, des fayots enregistrent tous les bruits. Avec «Xmas Prison Blues», on finit par se poser des questions. On voit bien qu’il picore dans la basse-cour comme une poule amputée du cerveau. Il va partout et ramasse des trucs ici et là. Alors le voilà en taule, sans même savoir de quoi il parle. Il fait ensuite un petit numéro à la Tom Waits avec «Love Song» et termine avec l’excellentissime «Rooster Blues», mais le conseil qu’on pourrait donner serait d’écouter Howlin’ Wolf.

Il revient un an plus tard avec I Started Out With Nothning And I Still Got Most Of It Left. Dans «Started Out With Nothing», il précise qu’il n’avait rien pour démarrer. On est tous bien contents de l’apprendre. Comme dirait Diaghilev à Cocteau : «Étonne-moi !». C’est ce que Steve la gerbe cherche à faire avec «Walkin Man». On voit bien qu’il s’intéresse plus au bord du fleuve qu’aux beaux matelots que convoitait Cocteau. Attention à «St Louis Slim». C’est superbement claqué au bord de caisse et Steve s’y glisse comme une anguille à barbe. C’est un sacré renard. Il exploite toutes les possibilités - Well Alrite ! - C’est joliment explosé à la relance de tambourin. Voilà un cut énorme de frappe qui impose un respect total. Avec «Thunderbird», il tâte de l’énormité du son. C’est même tellement énorme qu’on se pose des questions. Vraie ou fausse énormité ? Mais dès qu’il attaque son boogie des enfers, on adhère. Grinderman l’accompagne sur «Just Like A King». On sent nettement la présence des vétérans de toutes les guerres. Ils sont là pour un heavy blues terminal. Steve est malin, il amène ça comme un petit boogie blues sans avenir et puis ça se met à chauffer. Qui sème le trouble récolte la tempête, disait Shakespeare.

Sur Man From Another Time paru l’année suivante se niche une authentique énormité : «Seasick Boogie» - Now here’s the boogie part - Il sait pulser l’un des meilleurs boogies du monde. Mais on sent pointer le museau du caméléon. Il attaque en effet l’album par un hommage à Bo : «Diddley Bo». C’est bien vu et même trop bien vu - The one string diddley bo - il fait un cours ! Son truc est cousu de fil blanc comme neige. On ne sait plus trop quoi penser. En écoutant «Happy (To Have A Job)», on découvre qu’il adore le misérabilisme. On commence à se demander s’il ne prend pas les gens pour des cons. Il tape dans le registre très primitif du gospel blues avec des oooh oooh oooh Lord qui n’appartiennent qu’aux blacks. Et ça dégénère avec «Man From Another Time» : il sonne comme un groupe de Los Angeles. Quelle arnaque ! Il se retrouve avec ça dans le blues des gros propriétaires. Sur «Never Go West», il se fâche. Il ramène son meilleur guttural. Mais ça ne vaut pas Left Lane Cruiser. Il bouffe vraiment à tous les râteliers. Pauvre Steve, on l’oblige à rester sincère. «Dark» est certainement l’un de ses plus beaux coups. Il tape dans l’introspectif - I like my own company/ That way it’s easier at least for me - et il finit avec l’impressionnant I like the dark. Il finit par s’imposer avec «Wenatchee», un cut solide et doté d’une belle dynamique de blues moderne - Oh Wenatchee don’t shed no tears - Et il claque «My Home» au bottleneck. On l’y sent plein d’entrain et il redevient convainquant. Il devrait s’appeler Steve en dents de scie.

Un an plus tard paraît Songs For Elisabeth. On y retrouve «8 Ball», un vieux groove de big band sur-produit. C’est fini le temps des guitares fabriquées à la main et le coup de la vieille Buick de 1918. Il joue le Chicago blues et glisse des petits solos libidineux. Plus loin, il ressort «Dr Jekyll & Mr Hyde» et retrouve son vieux son de one-man band à gros beat déterminant. Mais c’est très prévisible. Il a un son, c’est certain, mais on revient systématiquement à la question de base : sa barbe est-elle vraie ? Avec «My Home», il semble très content d’avoir retrouvé son créneau. Il revient au festival de slide et ce cut sauve le disque. Il enchaîne avec un excellent «Ready For Love». Il joue bien de la slide, il est même très athlétique, il peut jouer longtemps, en extension, comme un joueur de volley-ball. Il sait parfaitement distinguer les nuances. Il fait tout ce qu’il peut pour sonner primitif. Il peut vraiment rootser comme un cake. Si on aime le roots, on se goinfre.

Ses albums continuent de sortir avec une belle régularité. Nous voici rendus en 2011 pour You Can’t Teach An Old Dog New Tricks. Il démarre avec «Treasures», un beau boogie blues ralenti à la Led Zep et soudoyé au banjo. Il se fond dans la population. Il coule son bronze en plein air et n’hésite pas à recourir à des coups de violons opportuns. Le morceau titre est un véritable stomp à la Left Lane Cruiser. Admirable ! Il reste dans le vieux boogie avec «Don’t Know Why She Love Me But She Do». Steve la gerbe sait draguer les bergères, pas de problème. Il passe John Lee Hooker à la moulinette et tente de se faire passer pour un violent boogie man ! C’est vrai qu’il a un son. Son boogie retentit comme un clairon. Avec «Have Mercy On The Lonely», il fait son vieux black du fleuve. Il est effrayant de mimétisme. On irait même jusqu’à croire que les blacks n’ont jamais existé. Il est un peu comme John Hammond, il veut faire mieux que les blacks, et ça, mon gars, ce n’est pas possible. Steve la gerbe pue un peu l’arnaque. Il ôte le pain de la bouche des blacks. Avec «Whisky Ballad», il passe directement au folk anglais. On le voit une fois de plus bouffer à tous les râteliers. Il pourrait nous berner indéfiniment, mais on l’a démasqué. Attention à «Back In The Doghouse» ! C’est énorme ! Quel son ! Il sait aussi allumer une pétaudière. C’est édifiant. Il peut défenestrer le blues. Trop stupéfiant pour être honnête ! Il y a trop de son. Et avec le dernier cut, «It’s A Long Long Long Way», il se prend pour Johnny Cash ! Et là, il exagère.

Au dos de la pochette d’Hubcap Music, on le voit gratter l’une de ses guitares artisanales. John Paul Jones l’accompagne sur cet album, alors forcément, on a du son. Ça commence avec «Down On The Farm» emmené au boogie sauvage. Luther Dickinson joue aussi sur cet album. «Self Sufficient Man» sonne comme un heavy boogie à la Led Zep. Vue imprenable. Steve la gerbe sait brosser le son dans le sens du poil. Il connaît toutes les ficelles du gros blues élastique, comme on peut le constater à l’écoute de «Keep On Keepin’ On». Il essaye désespérément de se forger un style original, mais c’est compliqué. Avec «Over You», Steve la gerbe la joue primitif du bord de fleuve et John Paul Jones l’accompagne à la mandoline. Ah ils ont l’air fin, tous les deux. Encore une belle pièce : «Freedom Road». C’est un boogie tribal balayé à la slide. Steve la gerbe développe un fantastique espace de boogie - He walked the freedom road - et il finit à la John Lee Hooker. C’est Luther qui joue lead sur «Home». Luther sait doser le killérique. Il a l’habitude de ce genre d’entreprise. Mais l’album se termine avec une vraie putasserie : «Coast Is Clear», un cut de rock FM orchestré aux trompettes de la renommée.

En 2015, on avait dans Classic Rock un très bel article de Nick Hasted sur Steve la gerbe, avec une très belle photo en pleine page. Même en examinant l’image au compte-fil, il était impossible de savoir si la barbe était vraie ou fausse. Pas la moindre trace d’adhésif ou d’élastique sous l’oreille. Dommage, car son histoire paraissait intéressante, pleine de rebondissements et de bonne dèche à la sauce américaine. Mais les zonards américains n’auront jamais la classe de nos clochards. Entre Steve la gerbe et le Boudu sauvé des eaux, le choix est vite fait. Au moins, la barbe de Michel Simon est une vraie barbe. On ne rigole pas avec ces choses-là. Le clochard, c’est sacré. Ce serait l’insulter que de le considérer comme un animal de cirque.

Sonic Soul Surfer paraît en 2015. On voit sa Buick de 1918 sur la pochette et au dos, on le voit sur son tracteur. Il essaye de se faire passer pour un agriculteur ! Il démarre avec un merveilleux groove de boogie blues intitulé «Roy’s Gang». Luther Dickinson joue aussi là-dessus. On a un vrai son avec du tac tac de bord de caisse. Dad Dickinson aurait bien apprécié cette escapade de Luther, d’autant qu’elle est montée au beat irrépressible. Steve la gerbe redevient un crack. Il sait dépoter le naphta. Mais il n’est hélas pas aussi incendiaire que Left Lane Cruiser. Son «Dog Gonna Play» est beaucoup trop orchestré pour être honnête. Il passe au violon cajun avec «In Peaceful Dreams». Il continue de bouffer tous les râteliers. Il adore les râteliers. C’est son vice. Ce coup de cajun pue l’arnaque. Il pompe Eddie Cochran pour son «Summertime Boy» et repart en goguette dans le boogie crépusculaire avec «Swamp Dog». Voilà pourquoi on ne peut pas lui faire confiance. Si on aime le crépusculaire, il vaut mieux écouter Mark Lanegan. C’est d’un autre niveau. Steve la gerbe refait du John Lee Hooker avec «Sonic Soul Boogie» et nous speede ça à outrance. Il est vraiment très fort à ce petit jeu, il sait rechampir une façade. Il peut aller jusqu’à l’overdose de boogie et même nous filer la gerbe. Il slide son «Barracuda» d’entrée de jeu. Il le stompe à l’os de la mortadelle. Il adore enfoncer des clous dans la paume du saveur. Son vieux stomp est cousu de fil blanc comme les neiges du Kilimandjaro. Mais les gens adorent ça.

Évidemment, si on va le voir jouer sur scène avec un gros a-priori, c’est compliqué. Mais la curiosité finit par l’emporter, et qui plus est, il attire pas mal de monde, puisqu’il remplit une grande salle. Et donc le voilà en Normandie, avec sa fausse barbe et deux copains, dont un vieux batteur lui aussi affublé d’une longue barbe blanche. Vraie ou fausse ? Allez savoir... Ils jouent tous les trois assis, ce qui semble logique, vu la moyenne d’âge. Musicalement, c’est exactement ce qu’on a sur les disques, un savant mélange de blues bien blanc joué au bottleneck, de guitares primitives taillées dans les troncs d’arbres, des vieux tatouages, des grommellements de style I swear to God, des vannes de vieux romanichel, des coups de roots bien ficelés, une technique de jeu indiscutable, et quelques belles montées de fièvre où on les voit enfin lever leurs culs de leurs chaises pour jouer le boogie-blues du Deep South. Steve la gerbe raconte à un moment qu’une voiture électrique qu’il n’a pas entendu arriver l’a percuté, sur le parking d’un super-market, et comme il s’imagine que son histoire a de l’intérêt, il en fait profiter toute la salle. Il fait le show comme il peut, mais il est vrai que certains cuts, comme par exemple «Shady Tree» ou pire encore, «Barracuda» accrochent bien l’oreille. Il termine en jouant le morceau titre de son nouvel album Can U Cook sur une guitare rudimentaire à une seule corde. Cet homme possède une botte secrète et il sait s’en servir pour harponner un public. L’un dans l’autre, on passe une excellente soirée, et au fond, on se fout de savoir si sa barbe est fausse et si son blues est vrai.

Signé : Cazengler, la gerbe tout court

Seasick Steve. Le 106. Rouen (76). 2 octobre 2018

Seasick Steve. Dog House Music. Bronzerat 2006

Seasick Steve & the Level Devils. Cheap. Bronzerat 2007

Seasick Steve. I Started Out With Nothning And I Still Got Most Of It Left. Warner Music 2008

Seasick Steve. Man From Another Time. Atlantic 2009

Seasick Steve. Songs For Elisabeth. Atlantic 2010

Seasick Steve. You Can’t Teach An Old Dog New Tricks. Play It Again Sam 2011

Seasick Steve. Hubcap Music. Fiction Records 2013

Seasick Steve. Sonic Soul Surfer. Bronzerat 2015

INQUIETANT !

J'avais prévu pour ce dimanche soir 7 octobre me rendre à la Comedia pour assister au set des Walter's Carabine.

Walter's Carabine, dégoûté.

On est triste de vous annoncer que le concert de demain, qui était prévu à la Comédia, est annulé en raison d'une fermeture administrative... Un grand merci à la Préfecture de Police qui fait fermer les petites salles ou il reste encore un peu de vie dans cette ville de macronistes à la con..

 

Et cette annonce qui est tombée vendredi soir sur Menil.Info :

Fermeture administrative de la Comédia (Montreuil)

La préfecture vient de signifier une fermeture administrative de 30 jours

à la Comédia, café-concert de Montreuil.

A LA COMEDIA TOUS LES PRIX SONT LIBRES

Les groupes/artistes viennent de tous les horizons (Paris, banlieue, province, mais aussi Angleterre, Espagne, Canada, Argentine, Ukraine, Russie, Japon, Mexique...). Tous sont plus ou moins confirmés ou pas.


Peu importe. Depuis 2014, la programmation a déjà une longue histoire. L’été a été endiablé par Korso Gomez (Arg.) et les Ruffianz (Can.), les punks londoniens Blatoidea et Maid of Ace (déchainées les filles !), les ukrainiens de Zrada et les locaux Breakout, Stygmate, Mercenaries venus soutenir le lieu dans sa lutte.

La Comédia tient du métissage qu’aurait engendré l’union d’une startup du néolithique et d’un astroport de la périphérie galactique. Créée et gérée par Roy, un low tech manager à la présence très impressionniste, elle vit, sonorisée dans la pénombre par un grincheux, par tous ceux qui donnent un coup de main pour faire vivre le lieu, l’entretenir ou lui refaire une belle façade, enfin grâce à un public plutôt hétéroclite (de la tribu de "nez percés" aux baroudeurs des concerts parfois mal guenillés mais plutôt bienveillants), avec ses éternelles figures, comme Néo, toujours en fugue de son hôpital, et un chien qui, irrémédiablement, passe son temps là.

La Comedia, Lieu underground ? Lieu éphémère ? Bien plus !

Pour certains un port d’attache dans le quartier, pour d’autres un corridor explosif où tous se lâchent, souvent un lieu de passage, d’échange et de convergence (de lutte ou de soirée), pour certains aussi un lieu d’échouage mais toujours en douceur.

Nous avons tous besoin, un jour ou l’autre de ce type de lieu, de création alternative mais aussi de vie alternative en soi. Une démarche qui pourrait aussi intéresser d’autres lieux menacés par les "mises aux normes", pas simplement réglementaires quand on observe la tendance, pseudo friches industrielles et lieux éphémères biens aseptisés....

La Comedia est en friche, elle le restera même aux normes, éphémère comme la vie qu’elle accueille, mais il faut qu’elle le reste !

Alors venez vivre la divine COMEDIA !

*

Fermeture administrative de la Comédia (Montreuil)

Il fallait malheureusement que cela arrive un jour, et ce n’est même plus surprenant, vu le climat actuel à Paris : La Comedia Montreuil., l’un des derniers bastions libres et joyeux de la culture alternative / punk parisienne, est obligée de fermer pendant un mois, à compter d’hier soir (même si le concert prévu hier s’est déroulé coûte que coûte), sur décision administrative, et ce jusqu’au 2 Novembre. les habitué-e-s ont pu constater que les travaux ont déjà été engagés depuis cet été pour la remise aux normes des lieux, sans attendre que les flics et la préfecture ne s’en mêlent. Mais quand il s’agit de couper les vivres à la scène punk / hardcore, aux mouvements politiques et sociaux d’opposition au pouvoir en place lorsque ils ne sont pas de droite, il n’y aura jamais assez de remise en norme possible, jamais de délai : il s’agirait de se conformer alors à la gentrification de Paris, de nos banlieues, de nos rues, l’uberisation de nos vies et de nos soirées. Il faudrait arrêter la révolte, il faudrait enfiler des chemises unies et danser sur de l’électro pop prête à consommer, et consommer des boissons alcoolisées à outrance "avec modération", pour faire semblant d’oublier le quotidien que le capitalisme nous impose. Ne serait-ce pas d’ailleurs ce capitalisme lui-même qui nous pousse à l’oubli de soi via la productivité infernale et les spiritueux ?

Au-delà de la fermeture d’un lieu de concert, qui sort des cadres conventionnels de la culture des bars, c’est également un problème humain : Le propriétaire du bar ainsi que l’ingé son qui intervient à la majorité des concerts se retrouveront sans revenus ce mois-ci.

Une cagnotte en ligne sera très vite postée pour aider la Comédia dans ses travaux qu’elle va forcément devoir continuer puis approfondir, et je l’espère pour aider financièrement les deux personnes sans revenus pour ce mois. Je ne manquerais pas de la relayer.

En attendant, soyez attentifs.ives, toujours plus, à ce qu’il se passe : alors que de plus en plus de monde organise des concerts à Paris, se bouge à son échelle pour que vive et prospère la scène punk / hardcore, ses enjeux politiques, sociaux et culturels, l’Etat et la bourgeoisie posent leur véto sur nos lieux de vies pourtant inexistants aux yeux de leurs sociétés. Mais nous sommes une société qui leur échappe, nous échappons à leurs modes de consommation, à leur vision de la culture, de la politique, de la vie. Alors ils s’y opposent avec les moyens légaux à disposition, bien entendu fortement en leur faveur.

Même si dans le cas de la Comédia, il ne s’agit pas d’une fermeture définitive, il s’agit en revanche clairement d’une menace, une de plus, sur ce lieu, et les autres bastions de résistance qu’il reste dans la capitale et autour.

Que crève leur monde, que crève le capitalisme. Que se noient dans la nuit leurs soirées nauséeuses.

*

Ne soyons plus passifs.ives face à la gentrification de nos vies, réapproprions-nous nos lieux, notre scène, nos rues. N'oubliez pas que sans lieux tels que la Comédia, réellement ancrées dans le DIY, dans une démarche politique et alternative, tenus par des personnes passionnées et motivées même quand l'Etat cherche à les écraser et les invisbiliser, il ne peut PAS y avoir ces concerts, ces rencontres et cette chaleur humaine qu'on aime tant à la Comédia.

"hardcore is politics". Mais le punk en général aussi. Nique l'apolitisme.

Prenez soin de vous.

Deux textes extraits du FB : LE DICTIONNAIRE DE L'EMOTION

*

 

Lien pour participation financière : 5000 euros nécessaires pour l'insonorisation de la Comedia :fr.ulule.com/divinecomedia1

 

O4 – 10 – 2018 / FONTAINEBLEAU

LE GLASGOW

SPUNYBOYS

J'avais prévu ce jeudi soir une croisière jaune. Pour voir les Jones. A bord d'une jonque chinoise. Amarrée à flanc de quai parisien. Mais le destin en a décidé autrement. Sous la forme de Sergio Kazh – le fer de lance de l'équipe du magazine Rockabilly Generation – les Spunyboys opèrent un débarquement surprise au Glasgow – je ne verrai pas les Jones, pas des bleus, ont opéré aux côtés des Flamin' Groovies et une carte de visite longue comme la liste de mes défauts. Lorsque vous prononcez le mot Spunyboys devant moi c'est comme les loups qui ne sauraient désobéir à l'Appel de la Forêt. De Jack London, mais le titre original The Call of the Wild correspond mieux davantage à l'esprit des prestation spunybosiques.

Comme par hasard à peine entrés dans le Glasgow, les premières personnes que nous apercevons sont la famille Kazh casée aux meilleures places – parce que le Glasgow question Ecosse c'est plutôt petits pois tassés dans une boîte de conserve, ne sont pas seuls, la charmante et détonnante Daytona Charmed les accompagne. Les Spunyboys se font attendre - se prendraient-ils pour des jolies filles – le set commence enfin à dix heures pile ( atomique ) et tapantes. Une question métaphysique taraude cependant la nombreuse assistance pendant qu'ils prennent place, mais pourquoi donc Rémi a-t-il changé de contrebasse ? Et qu'est-il arrivé à la nouvelle ? Pourquoi porte-telle ces deux longues bandes de scotch noir sur son flanc gauche ? Ce garçon si gentil serait-il en train de se transformer en big mamas' serial killer ?

THE SPUNYBOYS

I got it ! Avec ces trois mots vous prenez possession du monde. Et les Spuny ne s'en privent pas. Ça commence bien. Rémi tournoie galamment autour de son up-right. Quelle grâce, quelle légèreté, la soulève, cette autruche au long col, comme une plume de colibri et l'emporte dans un tourbillon frénétique, serions-nous à la Cour de Vienne lors du grand-bal donné par le grand-duc, hélas les rêves princiers s'achèvent parfois tragiquement, Rémi s'incline vers le micro et l'horreur du rock'n'roll déferle sur nous : Big blues eyes, long black hair / Dimpled Cheek and she's so square, vous crache les mots au batteur à oeufs, y passe même le poulailler en entier, She' got it / Ooooh baby she's got it / Ooooh baby she's got it / I can't do whitout her / , l'on n'a jamais su ce que la charmante babe tenait entre ses mains, mais les Spuny nous ont envoyé de ces saccades d'énergie à vous saccager les neurones. Eddie se joue de sa guitare, procède par giclées, de dynamites. Vous instille à chaque fois trois notes givrées au froid absolu dans la moelle épinière. Avec Guillaume, ils ont inventé un jeu pervers, jamais trop, toujours plus, le manque par surabondance, un tour de passe-passe étonnant, tout est dans la fulgurance, Guillaume vous martèle trois coups très rapides, un je vous ouvre l'occiput, deux j'écrabouille la cervelle, trois je remballe le tout, quatre je m'arrête, n'ai plus rien à faire de vous, Eddie a pris le relais, une note poignard dans le cœur, une autre dans l'épigastre, une dernière dans le sexe pour les sensations, c'est fini je passe mon tour et sur ce Guillaume vous refait son hachis parmentier, à peine a-t-il fini que Eddie vous rappelle qu'il opère sans anesthésie. Le pire c'est que ce duo se joue à trois. A quatre pourrait-on dire car Rémi a double boulot : chant / basse / chant / basse, répétez trente fois à voix haute et vous ne savez plus si c'est le chant ou la basse qui précède l'autre. Les boys à toute vitesse, ont inventé le groove rockabilly, le groovrockbilly, un vaisseau de guerre non identifié, qui se déplace avec une célérité supersonique. C'est le cas de le dire, vous en prenez plein les oreilles, d'autant plus que Rémi distribue ses interventions phoniques en deux lots, un background de base, phonèmes explosés qui fusent en folles suites éructées en émissions spasmodiques, sur lequel il surajoute à intervalles plus ou moins réguliers des appels retentissants, un cri primal qui vous glace le sang et vous brûle l'âme, communion dansante avec le public qui ondule comme des forcenés soumis à des vibrations indépendantes de leur volonté. Un rockab qui vire vers ses racines bleues et noires, pour ne pas dire tribales, nous n'en voulons pour assentiment que ces morceaux de fièvre et de hargne bâtis sur l'imparable et intraitable pulsion du jungle beat bo diddleyen. Malgré son exiguïté la salle se transforme en piste de danse, ceux qui jerkent et s'entrechoquent tout seuls et les couples qui lindy hopent à qui mieux-mieux. Corolles de sourires épanouis sur toutes faces.

Nous nous permettons d'interrompre notre compte-rendu pour répondre à l'Association Loi 1901, déclarée d'utilité publique des Amis de la Contrebasse : oui à plusieurs reprises nous avons assisté de pénibles scènes : oui Rémi se couche dessus ou dessous sa big mama en d'effroyables postures qui ne sont pas sans évoquer de honteuses copulations contre-nature, oui par trois fois il a tenté de la kidnapper et de s'enfuir avec, l'a été rattrapé de justesse alors qu'il était en train de franchir le seuil, oui il la soulève et la brûle en la maintenant contre les spots brûlants, oui il ne lui laisse jamais le temps de respirer, oui il la tape, oui il la frappe, oui il la knockoute, oui, oui, oui, nous cochons toutes les cases. Mais ce n'est pas tout. Ont commis un crime irréparable. A l'instigation d'un individu venu d'ailleurs, répondant au nom d'Olivier, qui les a entraînés, tous les trois, à jouer du Led Zeppelin, et chose immonde ils y ont pris du plaisir, ni plus ni moins qu'un morceau phare du Dirigeable, le fameux Rock'n'roll qu'ils ont éjaculé durant au moins dix minutes ( question de faire durer la jouissance ) vous auriez vu la guitare d'Eddie couiner comme si on la sciait en deux, et Guillaume lançant ses baguettes en une course-poursuite avec le mur du son, l'Olivier piaillant de toutes ses forces comme s'il était en train de s'étrangler lui-même et la pauvre big mama obligée de soutenir ce rythme insoutenable, l'on se demande encore comment elle y est parvenue, faudra l'inscrire au livre des records et envoyer son maître cruel en prison s'il s'avisait à recommencer un jour.

Pratiquement trois heures de concerts, un unique et très court entracte, une folie, une tuerie, une majorité de filles, une ambiance d'armageddon, les Spunies sont en train de réinventer le rockabilly, poussent les murs, et abomination suprême, en perpétuent et en accroissent l'esprit.

Damie Chad.

DADDY WORKS SO HARD

THE CACTUS CANDIES

Z'ont soigné la présentation, si vous détestez le hillbilly achetez-le pour la pochette, d'un pimpant vert cactus, une brassée de foin frais, de foin freight, ressemble à ses 45 tours à gatefold de carton épais, rescapés des lointaines enfances in the end of the fifties, avec dessin rigolo pour attirer les garnements, ici pas princesse, mais un fermier bricolo qui ne sait plus où donner de la tête et des bras.

Julien Fournier : lead guitar / Max Kermacoret : drums / Lil'lOu Hornecker : vocal & rhythm guitar / Max Genouel : upright bass / JP Cardot : piano

Records Freight 001 / BLR Studio : april 2016.

CD à l'intérieur sur la page gauche :

That chick's too young to fry : de Tommy Edwards en 1940, repris par Louis Jordan en 1946 : interprétation très datée, vous la jouent à l'ancienne, entre animateurs télés américains et bande-son de dessin animé. Ça cartoone par devant et mine de rien, ça pulse par derrière. Z'ont dû s'amuser comme des petits fous à l'enregistrer. Daddy works so hard : de Lil'lOu, tout de suite c'est plus sérieux, la guitare rebondit comme une balle de ping-pong, et miss Hornecker s'y entend un max pour vanter les mérites de son papa, plus que convaincante. Ecoutez aussi le solo de guitare vaut son pesant de clous rouillés, plantés de travers, mais c'est eux qui tiennent le mur. Crawfish crawl : de Link Davis qui joua sur Chantilly Lace de Big Bopper : les boys sont gentils laissent Lil'lOu se reposer, on la regrette reléguée dans les chœurs, mais les gars se la pètent grave, font ça si bien qu'on aurait tendance à les croire sur parole, le poisson vous a un goût de bonne farce louisianaise, un truc à se pourlécher les babines, ne pas rater sous aucun prétexte. I wanna be free : franchement rock, une orchestration qui hache ( d'abordage ) menu, Lilhou tire le train à toute blinde, Cardot va y laisser un cardan s'il continue à foncer comme un madurle sur son piano, chacun nous parachute une petite démonstration de ce qu'il sait faire, et ma foi ils le font très bien. Let the teardrops fall : de Pasty Cline : faut du culot pour s'attaquer à ce genre de faisanderie, les gars derrière clopinent doucement et Lil'lOu vous mène le rodéo comme une pro. Elle a de ces inflexions de voix à vous faire fondre et de ces arrachés à vous perdre la tête. Plantation boogie : de Lenny Dee ( 1955 ) : pas question de se planter sur le boogie, surtout quand vous avez une rythmique jazzeuse qui imite Bill Haley, vous êtes perdu, vous ne savez plus où vous êtes, mais vos n'avez aucune envie de sortir de ce foutoir. Et Cardot qui jerry Leese dès que vous avez le dos tourné ! Dark moon : Elvis et Chris Isaac l'ont reprise mais l'original est de Nathan Ned Miller et date de 1961. Lil'lOu vous sort sa plus belle voix de velours et en même temps ses griffes – acérées - les gars derrière ne mouftent pas, se font tout petits, z'avez l'impression que la musique a la tremblotte. Un truc qui vous donne envie de rêver à la fausse douceur du monde. Food plan boogie : de Dave Mc Enery qui fut un cowboy chantant des western musicaux : vous dites cowboys et les gars rappliquent, z'ont laissé leur cowgirl préféré à la maison, et ils font les malins, Cardot vous pond un petit rag de derrière les fagots. Z'ont la bouche en cœur, le reste je ne sais pas. The donkey song : enregistré par Rose Maddox – une des chanteuses préférées de Lil'lOu – et ses frères : attention on change de registre, il y a ceux qui jouent au cowboys et celle qui vous file un western entier rien que dans sa voix, parfois elle sonne comme des coups de feu, pointillés musicaux, pour que vous preniez conscience que vous êtes touché. Don't trade : de Noack Eddie, ( 1954 ), les plus grands country men comme Lefty Frizzel et Johnny Cash ont repris ses morceaux : ça honky tonke et ça honky tangue comme jamais, piano nostalgique, voix mélancolique et rythmique langoureuse, que voudriez-vous de plus ? Turn the cards slowly : la deuxième chanson que Pasty Cline enregistra pour Coral : Lil'lOu reprend la main, encore plus en forme que la fois précédente, l'on se demande si l'on est dans un saloon ou dans un clandé, mais l'est sûr que l'on ne s'ennuie pas. Little boy sad : de Walker Wayne mais interprétée par Johnny Burnette en 1961 : les boys vous azimutent la berceuse et Lil'lOu se charge de remonter le moral à ce garçon triste, lui secoue un peu les puces d'une façon comminatoire de temps en temps, que voulez-vous dans les grandes occasions, on ne mégote pas sur l'énergie. Run along little girl : de Tommy Cassel ( 1958 ) qui fut un habitué du Louisiana Hayrade : d'ailleurs on flirte avec le country traditionnel, le gars qu'a tout connu ( et tout perdu ) qui vous fait la leçon de la vie à la petite fille. La guitare poinçonne des bulles d'air. Closing time : Onie Weeler fut harmoniciste et chanteur, Bear Family a sorti un double CD, avis aux amateurs, il a enregistré chez Sun entre 1953 et 1957 : on n'a pas d'harmonica, c'est dommage, alors les gars y vont de tous leur chœur, Max Genouel, chante comme un vieux baroudeur du country, la guitare sautille en douceur, Cardot nous expose les années trente et Genouel vous conduit jusqu'au bout de la piste, sans problème.

45 R. P. M : à extraire de sa pochette :

Daddy works so hard : reprise à l'identique.

Humdinger : de Tommy Collins, lui a eu droit un coffret de cinq CD chez Bear Family, enregistra le classique Watcha Gonna do en 1954 : plus vrai que nature, nasillent tous comme s'ils étaient coincé du nez, parfois Lil'lOu s'échappe et boppe un peu pour notre plus grand plaisir.

 

Un seul regret : n'avoir pas été là caché sous la console, ont dû s'amuser comme des fous à recréer l'old style. Comme au bon vieux temps ! Le pire c'est que ça nous rajeunit !

Damie Chad.

ROCKAMBOLESQUES

FEUILLETON HEBDOMADAIRE

( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

en butte à de sombres menaces... )

EPISODE 3 : VISITES NOCTUNES

( Vivace Vivace )

PIZZA PARTIE

La porte s'est ouverte très lentement, l'on sentait que le visiteur tenait à faire durer le suspense et mettre nos nerfs à dure épreuve. Et brusquement l'inconnu apparut en pleine lumière.

    • Ah ! Ah ! Vous ne vous attendiez pas à me voir ! Surprise ! Oui c'est moi ! L'avait un sale sourire sardonique aux lèvres l'homonculus.

    • Monsieur le Président de la République, déclara avec onction le Chef, vous nous ferez bien l'honneur de prendre place à notre table et de partager notre modeste repas. N'ayez crainte Monsieur le Président de la République, nous vous offrirons la part de Molossa.

Je crus que le Président allait avoir un infarctus, s'est arrêté net, l'est devenu tout rouge comme un camion de pompier, puis tout blanc comme un cadavre. Je jurerais qu'il vacilla, donna l'impression d'un homme attaqué par un cancer foudroyant, mais il se reprit et vint se planter devant le Chef qui exhala un rond de fumée qui monta vers le plafond pour redescendre aussitôt et se glisser autour de son cou à la manière d'une fraise sur les portraits d'Henri II.

    • Moi, vingt-cinquième président de la République, venais ici en ami, et en catimini de mon service de sécurité personnel, dans le but de vous interdire de vous occuper du meurtre de Marie-Odile de Saint-Mirs, cette affaire ne regarde pas le Service Secret du Rock'n'roll, mais devant votre insolence je vous avertis que de retour à mon bureau, je signe le décret de dissolution du dit service. Entendu ?

    • Reçu cinq sur cinq Monsieur Le Président de la République, toutefois je suis au regret de vous avertir que par ce courrier apporté hier matin par un fonctionnaire plénipotentiaire de l'Union Européenne, la responsabilité du SSR est passée sous la coupe du Conseil de l'Europe. Nous ne dépendons plus de vous, voici la copie du décret, Monsieur le Président de la République, je ne doute pas que vos services en aient reçu un exemplaire similaire. Toutefois Monsieur le Président de la République, c'est avec un grand plaisir que nous partagerons notre repas avec vous.

    • Ne jouez pas au plus malin avec moi ! Je vous aurai prévenu. Désintéressez-vous de cette affaire. Quant à vos pizzas, vous pouvez vous les foutre au cul !

Il y eut cri d'horreur à vous glacer le sang. Le Chef faillit en avaler son Coronado. Molossa s'en mordit la queue. Moi aussi. ( Je veux dire que moi aussi je mordis la queue de Molossa ). Cruchette offusquée bondit comme une tigresse à qui vous arrachez ses petits de la mamelle. Splah ! Splash ! Le Président reçut une pizza brûlante sur chaque oreille ! L'était pas beau avec la sauce tomate et les tranches de chorizo collées sur ses joues.

    • Des pizzas dans mon cul, et du bio par-dessus le marché ! mais c'est une honte Monsieur le Président de la République ou pas, ne répétez plus jamais de telles insanités, Papa ne m'a pas élevée pour entendre proférer des gros mots, sortez tout de suite Monsieur le Président, vous êtes un monstre ! Vous devriez avoir honte !

    • Je vous prie de m'excuser Mademoiselle, je crains en effet de m'être emporté, au revoir. Je vous présente mes respects.

Et à notre grande surprise le Président sortit sans demander son reste. Le Chef ralluma un Coronado.

    • Nous voici débarrassés d'un invité peu aimable, je vous remercie de votre intervention Cruchette, vous êtes une véritable fée du logis. En attendant que vous confectionniez deux nouvelles pizzas – quelle odeur succulente – il me faut donner quelques détails à l'agent Chad sur la prochaine mission, extrêmement délicate, dont je vais le charger.

MISSION NOCTURNE

Délicate ! À marcher sur des œufs ! Casser une vitre pour m'introduire dans la maison des parents de Marie-Odile n'était pas difficile. Mais une fois dedans, c'est une autre affaire. La lumière de ma lampe électrise que je tamise de mes doigts dirigée vers le plancher n'éclaire que fugitivement Molossa qui avance sur ses pattes de velours encore plus discrètement qu'un vol de papillon. Le rez-de-chaussée était désert, pas étonnant à trois heures du matin. Pourvu que les marches du l'escalier ne craquent pas, chance elles sont recouvertes d'un épaisse moquette. Quatre portes sur le pallier. Pas le droit de me tromper, Molossa se plante devant l'une et me regarde. Puis-je lui faire confiance ? Elle a du flair et a longuement humé le siège de Marie-Odile dans la teuf-teuf, j'entrebaille délicatement la porte, les volets ne sont pas fermés, la lumière blafarde de la lune m'indique que la pièce est vide. J'entre, Molossa est restée sur le pallier tapie dans l'ombre, prête à m'avertir et le cas échéant à intervenir. Je farfouille méthodiquement, une penderie emplie de vêtements de filles, un nounours sur le lit, un portrait de Picasso sur le mur, l'encyclopédie en vingt sept volumes de l'Art Conceptuel dans la bibliothèque. Pas de doute, c'est bien la chambre de Marie-Odile, j'explore le tiroir du bureau, un bric-à-brac infâme : crayons, stylos, compas, double-décimètre, ciseaux, scotch, trombones, punaises, rien ! Si une feuille dans la corbeille à papier, pliée en deux, je n'ai même pas le temps de l'examiner, je l'enfourne dans ma poche, quelqu'un monte les escaliers, pourquoi Molossa ne m'a-t-elle pas prévenue, des voix se précisent et tout à coup, j'entends distinctement :

    • Oh, Marie-Sophie tu as vu un chien !

    • Mais non Marie-Ange ce n'est pas un chien, c'est Molossa !

    • Qu'est-ce quelle est jolie, regarde comme elle aime les caresses !

Je n'en crois pas mes oreilles. Tant pis je risque le tout pour le tout et je sors sur le pallier. Maintenant je n'en crois pas mes yeux, Molossa fait la fête à deux ravissantes fillettes trop occupées pour se rendre compte de ma présence. Sophie lève la tête et m'aperçoit :

    • Regarde Marie-Ange, il y a un monsieur !

    • Mais non, ce n'est pas un monsieur, c'est Damie !

    • Ah oui, suis-je bête je ne l'avais pas reconnu.

    • Euh ! Excusez-moi, demoiselles, vous savez qui je suis ?

    • Bien sûr, vous êtes le fiancé de Crocodile !

    • Le fiancé de Marie-Odile votre grande soeur !

    • Ne faites pas semblant, on a la preuve dans notre chambre, venez on va vous montrer ! Dépêchez-vous, plus vite !

    • Chut vous risquez de réveiller vos parents !

    • Mais non depuis que Crocodile est montée au ciel, ils prennent plein de cachets le soir pour dormir. Nous on en profite pour s'amuser pendant la nuit, parce que le jour, ce n'est pas rigolo, ils passent leur temps à pleurer. Entrez Damie, asseyez-vous sur le lit on vous apporte l'album. C'est un secret, Crocodile ne voulait pas que Papa et Maman le sachent, elle le cachait tout au fond de notre coffre à jouets.

Et hop elles me tendent un gros album de photos. J'ai failli pousser un cri en voyant la page de titre : A DAMIE MON AMOUR. Mais mon étonnement n'est pas fini. Des photographies de moi et de Molossa, sur toutes les pages. A vue de nez au moins deux cents. M'a fallu plus de trois heures pour tout examiner. Moi, de face, de dos, de profil, de trois-quart, marchant dans la rue, au volant de la teuf-teuf, sur la terrasse de chez Popol, de temps en temps des petits cartons ''Damie t'es beau'', ''Damie t'es chou'', ''Damie je t'aime'', ou alors ''Molossa la plus belle chienne du monde du plus beau garçon du monde'', ma modestie légendaire m'oblige à ne pas tout recopier. Je remarque toutefois qu'elles ont été prises au télé-objectif. Un réveil sonne dans la chambre voisine :

    • Il vous faut partir Damie, Papa et Maman, ne tarderont pas à se lever, Crocodile nous a fait jurer de ne jamais leur dire son secret, s'ils vous voient, ils ne seront pas contents.

    • Je m'échappe les mignonnettes !

    • Oui mais n'oublie pas de revenir nous voir !

 

RETOUR DE MISSION

Le Chef m'écoute. Cruchette admet que c'est une belle histoire romantique, qu'heureusement que Marie-Odile soit morte avant de m'avoir vu dans mon costume framboise, très beau, mais qui m'enlaidissait, que certainement alors elle ne m'aurait plus aimé... pendant qu'elle pérore le Chef médite les yeux mi-clos, la fumée de son Coronado forme d'étranges arabesques dans l'espace :

    • Agent Chad, vous n'avez rien ramené d'autre que cette abracadabrante histoire à l'eau de rose !

    • Non Chef, rien de rien !

    • Et cette feuille de papier que vous teniez dans votre main lorsque vous avez entendu les deux fillettes ?

    • Je l'ai fourrée dans ma poche, la voici, blanche des deux côtés.

    • Oui Damie, blanche comme ces linceuls dont on enveloppe les morts ! Cruchette, pourriez-vous me repasser, sans la roussir, ce précieux document que cet énergumène d'agent Chad a froissé dans sa poche comme un malappris. Une jeune fille lui tend un message depuis la tombe et il ne prend même pas la peine de le lire !

Cruchette se mit immédiatement au travail, nous dûmes convenir qu'elle maniait le fer à repasser avec une dextérité sans égale. Au bout de deux heures elle nous tendit le résultat de son travail, la feuille semblait sortir tout droit de sa ramette. Nous l'examinâmes longuement, nous l'éclairâmes violemment, nous la mîmes contre une vitre exposée au grand soleil, nous la caressâmes du bout des doigts afin de déceler une moindre déclivité qu'aurait pu laisser la mine d'un crayon quelconque, de guerre lasse je l'emmenais à un laboratoire de spectographie quantique, le résultat de l'analyse se révéla décevant : aucune inscription d'aucune sorte n'avait jamais été apposée sur cette feuille. La mort dans l'âme je revins au QG, et tendis au Chef le compte-rendu détaillé des opérations effectuées sur la feuille. Le Chef le lut et le relut au moins quarante fois. Au bout de vingt minutes un sourire se dessina sur ses lèvres. Je compris qu'il n'allait pas tarder à allumer un Coronado, ce qu'il fit sans se presser.

    • Agent Chad, vous avez aperçu cette feuille de papier dans la corbeille à papier de Marie-Odile, et vous vous en êtes emparé.

    • Affirmatif Chef !

    • Agent Chad filez immédiatement au domicile des parents de Marie-Odile. Abattez sans sommation toute personne qui s'opposerait à votre intrusion. Et ramenez-la moi tout de suite !

    • Oui chef, j'y cours, mais quoi au juste ?

    • La poubelle, triple idiot.

 

Lorsque je suis arrivé devant la maison. Les volets étaient tous fermés. J'ai sonné en vain. Un voisin est sorti : '' Un gros camion de déménagement est arrivé ce matin, ils ont tout vidé, ils n'ont rien laissé, je peux le certifier j'ai aidé le père à fermer les fenêtres. L'a fait monter sa femme et ses deux fillettes dans la voiture, et ils sont partis. Je comprends qu'ils aient voulu changer d'air après la mort de leur aînée !''

( A suivre )

 

03/10/2018

KR'TNT ! 387 : GENE VINCENT-MICK FARREN / DALE HAWKINS / ISAAC HAYES / THE CACTUS CANDIES / EDDIE AND THE HEAD-STARTS / JAKE CALYPSO AND HIS RED HOT / THE CLASH / ROCKAMBOLESQUES ( 2 )

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 387

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

04 / 10 / 2018

GENE VINCENT-MICK FARREN / DALE HAWKINS

ISAAC HAYES / CACTUS CANDIES

EDDIE AND THE HEAD-STARTS

JAKE CALYPSO AND HIS RED HOT

CLASH / ROCKAMBOLESQUES ( 2 )

TEXTE + PHOTOS SUR :

http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/…/chronique-de-...

 

La mort solitaire de Gene Vincent

Oh maman, maman

Cette fois je m’en vais, c’est sûr

Cette fois je vais en enfer

Comme on me l’a toujours prédit

 

Mon ulcère saigne

Et ma jambe me fait mal

Le whisky ne me soulage pas

Et la morphine non plus

Et dehors, autour de la caravane

Il y a un monde que je ne comprends pas

 

Ils ont changé les règles, maman

Ils ont enlevé les ailerons de voitures

Et Jim Morrison porte mes vieilles fringues

On est en 1971, Maman, pas en 1957

Be-Bop-A-Lula reçoit l’aide sociale, maman

Elle a deux gosses horribles et une bouteille de sédatif

Elle va se taper des chauffeurs routiers à la sortie de Bakersfield

Dans la cabine d’un semi-remorque blanc

Dix dollars la pipe

Fais gaffe au levier de vitesse, ma poule

Fais gaffe, entends-tu

 

Il y a un gros nuage de fumée qui s’élève, maman

Juste au-dessus de ma tête

La fumée des Lucky Strike

Avec leur vieux paquet rouge et blanc

Les autres appellent, maman

Ceux qui étaient là avant

Hank Williams murmure

Hank dit qu’il veut me payer un coup

Et Eddie Cochran a écrit une nouvelle chanson

Il veut me la jouer sur sa guitare noire

 

Je vais m’en aller, maman

Je m’en vais bientôt

 

Il y a une femme qui attend

Elle porte une robe rouge

Cette ancienne Putain de Babylone

Elle m’attend pour me mettre dans son lit

Cette ancienne Putain de Babylone

Elle m’attend pour m’emmener

 

Je jure, maman

Je jure devant Dieu

Si j’en réchappe

Je serai un homme meilleur

Je suis foutu, maman

Je ne vais pas passer à travers

Je suis foutu, maman

Je sens que mon ulcère saigne

Je suis foutu, maman

J’ai déjà du sang dans la bouche

J’étais un roi, maman

J’étais un roi

Le Roi du Mal

Le roi de la putain de jungle

Et ils m’ont mis dans une cage

Je me souviens très bien

Ils disaient que j’étais saoul à «American Bandstand»

Ils disaient que j’étais communiste

J’ai été chassé par Dick Clark

Et une bande de connards qui s’appelaient tous Bobby

 

J’avais des Cadillacs, maman

Tu as déjà entendu dire que les communistes avaient des Cadillacs ?

Une Cadillac pour chaque jour de la semaine

Et une Corvette blanche pour le dimanche

Mais maintenant

Il ne reste plus qu’une seule Cadillac

Celle qui est noire et longue et en plastique

Le corbillard, maman

C’est la seule Cadillac pour mon avenir

Le cimetière est tout près de la voie rapide, maman

Un terrain qui serait désertique

S’ils ne l’arrosaient pas

Vingt-trois heures par jour

Le cimetière est tout près de la voie rapide, maman

On ne peut pas le rater

Prends à gauche et suis l’odeur du diesel

Continue le long de la 118

Et tu entres dans le comté de Ventura

 

Oh maman, maman, tu ne peux pas le rater

C’est impossible que tu rates ce cimetière

 

MICK FARREN

Extrait de The Lonesome Death Of Gene Vincent... And 44 Others Poems And Lyrics

Écrit en 1992, publié pour la première fois en 1995

Traduction de Patrick Cazengler

 

Que dalle pour Dale

Billy Poore a très bien connu Dale Hawkins, ce crazy rockabilly cat originaire de Louisiane que Leonard Chess signa sur son label en 1957. Ce vieux renard de Leonard voyait Sam surfer sur Sun avec Elvis, alors il lui fallait vite un rockab et de fut Dale. Et hop, une petite quinzaine de 45 et un album vite fait. C’est avec «Susie Q» qu’il créa la sensation, comme chacun sait. James Burton qui allait plus tard rejoindre Ricky puis Elvis jouait sur ce classique indétrônable paru en 1957, ce qui ne nous rajeunit pas.

Pourtant, les historiens du rockab n’accordent jamais de chapitre à Dale. Que dalle pour Dale. On le cite pourtant à tire-larigot, Dale est toujours dans des packages à droite et à gauche, sur scène avec tous les moutons de Panurge de la vague rockab, tout le monde vante les vertus de «Susie Q», mais le seul à lui consacrer un quart de page, c’est Billy Poore, et encore, il apparaît sous le titre : Other Artists from the late fifties. Même pas de photo. Sans doute n’y a-t-il pas grand chose à raconter sur Dale, tout au moins pas autant de choses que sur Jerry Lee ou Elvis. Billy Poore insiste beaucoup sur la qualité de «Little Pig» et «See You Soon Baboon», mais ces vaillants hits rockab se noient dans la masse d’alors. Son cousin Ronnie Hawkins eut plus de chance.

Dans une interview datant de 1986, Dale raconte qu’il traînait du côté de Shreveport en Louisiane quand il était gosse. Il bossait chez un disquaire - I was into a lot of blues - Eh oui, forcément, la Louisiane est le berceau de ce qu’on appelle le raw blues, celui de Slim Harpo et de Lightning Slim. Dale appréciait beaucoup le son de Scotty Moore, mais il avait déjà son son en Louisiane, that came from our heavy blues influence. Il avait même de riff de Susie Q en tête depuis un bon moment. Et puis un jour, il va l’enregistrer dans le studio d’une station de radio à Shreveport. Il envoie la bande à Leonard le renard. Il attend la réponse. Les semaines passent. Alors Dale envoie une copie de la bande à Jerry Wexler, chez Atlantic. Wexler voit immédiatement le hit potentiel, et fait savoir à Leonard le renard qu’il a intérêt à se magner le train - Chess had better do something or get off the pot - Voyant approcher les grosses pattes de Wexler, Leonard le renard se hâte de sortir le 45. Dale est très fier de son little record - Our little record, it sounded so much like Louisiana - Oui Dale dit sa fierté - The overall sound was our own, though, from our area of the country. Just a little bit of the blues, man.

«Suzie Q» fait l’ouverture du bal sur l’album Chess Oh Suzy-Q paru en 1958. Pur Chess Sound, admirabilité du beat et solos de rockab pur. Ce n’est pas l’album du siècle, mais Dale y joue la carte rockab. Il swingue son «Juanita» et le chante pointu, et derrière, ça boppe, pas comme à Memphis, mais ça boppe bien quand même. Dale pond encore un hit de juke avec «Little Pig» et en B, il fait son Tarzan dans «See You Soon Baboon», pur jus de comic strip. Il y fait tout rimer en oon - I says okay baboon/ I’m gotta find out soon - ce qui n’est pas facile. On a même droit à un solo de sax à la Lee Allen.

Un autre album Chess est paru en 1976, sous une pochette bordeaux. On y retrouve quasiment les mêmes cuts, «Susie Q», «See You Soon Baboon», «Little Pig», mais aussi des cuts marrants comme «Lulu» (joué au clair de son et au swing de clochettes, bien twisté du bilboquet), «First Love» (pur jus de diction rockab), et en B l’excellent «Wild Wild World» monté au format rock’n’roll classique d’it’s a one for the money. Il reprend aussi le «My Babe» de Big Dix, et comme il a le son Chess, il en profite. Puisqu’on est dans les vieux trucs, on trouvait aussi autrefois dans le commerce un album Argo intitulé My Babe qui propose un choix de cuts déjà parus, comme le morceau titre, ou encore «Lulu», mais on y trouve un «La-Do-Dada» joliment allumé par des shoots de rockab. C’est un fascinant exercice de style d’apparence exotique, mais sacrément développé en interne. En B, il fait une solide reprise du «Ain’t That Lovin’ You baby» de Jimmy Reed. Oh bien sûr, ça ne vaut pas celle de Link Wray, mais ça vaut quand même le détour. Et puis il faut absolument écouter «Back To School Blues», un solide drive de rock d’une grande modernité. C’est peut-être là que Dale fait la différence, comme le fit Bo de son côté. Son drive de rock est infesté de luttes de guitares intestines, c’est extrêmement bien foutu et derrière, on a même des chœurs de filles délurées. Alors si la question est : faut-il écouter Dale Hawkins ?, la réponse est oui, mille fois oui. Et en 1997, Norton s’est fendu d’une autre compile, Darevil. Sur la pochette, Dale gratte sa Gibson, comme d’ailleurs sur la pochette de son premier album Chess. Mais comme souvent chez Norton, ça sent le bric et le broc et les différences de niveaux ne pardonnent pas. On se régale cependant du morceau titre, Carl Adams y passe un killer solo. Il joue avec des doigts en moins et l’histoire de ce mec devient quasiment plus intéressante que celle de Dale qui a pour particularité de s’entourer des meilleurs guitaristes (James Burton et Roy Buchanan, par exemple). On retrouve d’ailleurs Buchanan sur «Superman» qui ouvre le bal de la B. Et qui bat le beurre ? DJ Fontana en personne.

Avec L.A. Memphis & Tyler, Texas paru sur Bell en 1969, on ré-ouvre le chapitre des albums mythiques. Comme on le voit sur la pochette, Dale change de look, il porte une petite frange, un pull blanc et un futal rayé. Comme à l’époque il traîne en Californie, ça s’explique. Attention, c’est un rassemblement de surdoués : James Burton, Ry Cooder et Taj Mahal jouent là-dessus. Dale commence par enregistrer ses basic tracks à L.A., puis il va tout remixer à Memphis, chez Ardent, avec Dan Penn et Spooner, et il apporte une touche finale dans un studio de Tyler au Texas, en compagnie de Mouse & the Traps et de Wayne Carson, le mec qui a composé «The Letter». D’où le morceau titre, «L.A. Memphis & Tyler, Texas» - I’d like to dedicate this song to the great cities where I’ve recorded - Et il attaque le fabuleux folk-rock de «Heavy On My Mind». Ry Cooder et James Burton y croisent le fer de leurs vélocités. Ça donne un groove de guitares clairvoyantes assez unique dans les annales. Dale tape une version d’«Hound Dog» au swamp-rock de classe supérieure. Il prend ça au pied levé, et ça effare, tellement c’est bon, rythmique infernale, très grosse intensité bayoutique, c’est joué en pure démarcation de ligne. Taj Mahal souffle dans son harmo. Trop de gens doués dans les parages, ça se sent. Et ça continue avec l’effarant «Back Street», amené au riff de boogie diabolo. Voilà un instro d’anticipation majeure, cuivré de frais par les Memphis Horns : hypno et beau, nocturne et bien profilé sous le vent du Sud. En B, il la-la-latte gaiement la pop de «La-La La-La», oh oui, il chante soir et matin, il chante sur son chemin, il va de ferme en château, il chante pour du pain et pour de l’eau. Il tape à la suite dans le «Candy Man» de Fred Neil. Ce choix l’honore. Chaque cut relève d’un choix tactile d’une finesse extrême. Bon, ça sonne cousu, mais Dale s’en bat l’œil, il adore le boogie de l’arrière pays et James Burton passe un solo flash. Dale est un bon. La preuve ? «Ruby (Don’t Take Your Love To Town)». Histoire atroce : le mec revient infirme de la guerre et comme il ne peut plus honorer sa femme, elle descend en ville se piquer la ruche et se faire limer. Le mec se dit qu’il est baisé - A fucked up song - Dale lui rend justice. C’est atrocement secoué du cocotier et lourd de conséquences. Il retape dans son vieux héros Jimmy Reed avec «Baby What You Want Me To Do». Dale le pulse à la mam-mam, goin’ up goin’ down, et il termine avec un joli coup de swamp funk, «Little Rain Cloud», co-écrit avec Dan Penn. Dale sort son meilleur falsetto, c’est alarmant de qualité boogy et les filles font aaah-aaah, on a là un pur drive d’intensité cabalistique, un véritable enfonceur de portes ouvertes. Dale adore faire le con.

C’est dans les mémoires de Don Nix que Dale refait surface. Don rencontre Dale au River Bluff hotel de Memphis et le trouve bien agité. En effet, Dale se goinfre d’amphètes. Au point qu’il ne supporte pas le moindre moment de calme - His worst enemy was a dull moment - Dale est à Memphis car il cherche des chansons destinées à Bruce Channel qu’il produit pour le compte de Bell Records et il sait que Don Nix compose. Don gratouille un truc et Dale saute en l’air : «That’s what we need ! Let’s go to Nasvillr and cut it !» Alors Don lui demande : «Quand part-on ?» Dale le regarde d’un air bizarre - Right now, man ! - Avec Dale, les choses ne traînent pas. Et Don raconte le voyage à Nashville - He had a brand new Cadillac Coupe de Ville and drove like a man possessed - Don n’avait encore jamais vu conduire un tel dingue. Le pied au plancher, en train de raconter des tas d’histoires, la bras en l’air. Il sortait des papiers de sa mallette alors que la Cadillac fonçait à 240 à l’heure. En arrivant à Nashville, Don se jure de ne plus jamais monter avec ce dingue et décide de rentrer à Memphis en bus. Ils s’installent pour la nuit dans un motel, mais pas question de dormir, car Dale ne dort pas. Il lit des trucs, en écrit, il marche inlassablement à travers la pièce. Don finit par croire que Dale a peur de s ‘endormir. Comme les gens qui ont peur de ne pas se réveiller, ou de rater un truc. Et le matin, ils entrent en studio à Nashville avec la crème de la crème du gratin dauphinois, dont DJ Fontana. Don se retrouve à produire les chansons d’un mec qui n’est même pas là. Ils enregistrent quatre titres. Quand Don veut savoir en quoi ça part, Dale lui dit que ça n’a pas d’importance, Bruce Channel peut tout chanter. Évidement, aucun des tracks enregistrés ce jour-là ne voient le jour. Puis Dale insiste pour rentrer à Memphis mais Don pose une condition : «I drive !». Okay then.

Quel album que ce Wildcat Tamer paru en 1999 ! On y trouve deux covers énormes, à commencer par l’«Irene» de LeadBelly. Dale revient à son vieux mode boogie de voix tranchante. Il fait une monstrueuse version de ce vieux classique éculé par tant d’abus. Et même une version complètement incendiaire, jouée au meilleur heavy beat d’époque. Il tape aussi dans le «Promised Land» de chickah Chuck. Il rend un somptueux hommage au vieux maître. Il chante à la glotte de tourneboule et joue le Southern boogie rap. Ce blanc chante comme un nègre, c’est dire s’il est bon. Cet album fourmille de merveilles, tiens comme le morceau titre qui ouvre le bal. Dale le prend au drive de rockab explosif. Il allume littéralement son Wildcat. Kenny Brown gratte derrière. Ces mecs sont complètement dingues ! Il revient au heavy blues pour «Going Down The Road». Dale sait de quoi il parle - Ain’t got no home/ But I’m gonna find a dollar bill - Retour à l’énormité avec «Change Game». Ça sonne comme du groove énervé de première nécessité. Ce diable de Dale développe de véritables sur-puissances et nous chante ça à la petite voix pointue. Il a le génie du son. Chaque cut sonne comme un hit. C’mon Kenny ! Alors voilà «Country Girl». Il rappelle Kenny Brown à l’ordre. Encore un slab de pur boogie swingué à la régalade. Kenny et lui tapent plus loin un «Take It Home» à l’énergie des vieux accords, et bien sûr, en vieux pro, Dale finit avec la cerise sur le gâteau, c’est-à-dire «Susie Q», mais une version plus heavy.

Avec Born In Louisiana, Dale nous fait le coup du 25 cm d’île déserte. Toute la B est énorme, emmenée tambour battant par un «Going Down The Road» joué au blues de cabane et claqué au petit coup d’essence mirifique. Dale fouette le delta blues de la Louisiane. Il faut le prendre très au sérieux car ce mélange de bottleneck et de stand-up monte directement au cerveau. On a là un pur chef-d’œuvre de sensibilité louisianaise. Il tape ensuite dans Leadbelly avec un somptueuse cover de «Goodnight Irene». C’est l’une des covers du Lead les plus inspirées qui se puisse imaginer ici bas. Dale lui donne de l’ampleur. Et ça continue avec «Summertime Down In South», pur jus de jigsaw puzzle down the good southern time. Il se pourrait qu’Hot Tuna vienne de là en direct. Ce cut est un enchantement. Avec le morceau titre, Dale frise le Tony Joe White, Il sait trousser un hit underground. Voilà encore une splendeur tendue et bien profilée. En A, on succombe assez facilement au charme de «Someday One Day» qui sonne comme un hit fougueux et immaculé. Dale a de sacrées dispositions. Il chante «Goodnight Sweetheart Goodnight» comme s’il entrait dans Rome en vainqueur, les bras chargés de bracelets. Encore un cut soigné avec «Women That’s What’s Happening». Il traite ça à la clarté de son et balance du bop à qui mieux-mieux. Quelle élégance sensorielle ! Sur ce petit album, tout est soigné au-delà du désirable.

Le dernier album en date de Dale s’appelle Back Down To Louisiana. Une cabane pourrie orne la pochette. À la première écoute, l’album peut paraître improbable, mais il finit par convaincre. On ira même jusqu’à s’exclamer : «Ça c’est du disque !» Dale opère un retour sidérant vers le rockab avec «Bang Bang». Quelle santé de bûcheron ! Dale fait son rockab by the bayou. Même chose avec «Word Song», claqué au boogie des seigneurs du bayou. C’est un nouveau slab de rockab net et sans bavure. Dommage qu’il n’y ait pas de slap. Le hit du disk pourrait bien être «Pretty Little Thing». Dale adore chevaucher son beat. Il sait se tailler un chemin dans la vie. Son boogie vaut vraiment tout l’or du monde. Good Lord, écoutez le gars Dale ! Avec le morceau titre, on reste dans le boogie blues des géants. «New Generation» sonne aussi comme une énorme dégelée de boogie motion. Dale joue ça à la petite distorse de Louisiane. Il a du répondant. Bon d’accord, c’est un son très classique mais pourquoi irait-il inventer la poudre ? Dans le booklet, on voit des photos incroyables : ses chats et deux flingots. On le voit aussi sur une Harley. Avec «Mighty Mississippi», il tape le blues du Missippe. Il connaît toutes les ficelles du Deep South Sound. Dale est l’un des blancs les plus crédibles du cheptel. Il va chercher son blues dans la terre de Louisiane. Il termine avec «Do The Thang», l’un des boogie-rocks dont il s’est fait une spécialité. Il chante ça à l’impavide. On ne croise pas tous les matins des artistes aussi doués que Dale.

Signé : Cazengler, crève la dalle

Dale Hawkins. Oh Suzy-Q. Chess 1958

Dale Hawkins. L.A. Memphis & Tyler, Texas. Bell Records 1969

Dale Hawkins. Dale Hawkins. Chess 1976

Dale Hawkins. My Babe. Argo Records 1986

Dale Hawkins. Daredevil. Norton Records 1997

Dale Hawkins. Wildcat Tamer. Mystic Music & Entertainment 1999

Dale Hawkins. Born In Louisiana. Goofin’ Records 1999

Dale Hawkins. Back Down To Louisiana. Plumtone Music 2006

Don Nix. Memphis Man. Road Stories & Recipes. Shirmer Trade Books 1997

Billy Poore. Rockabilly. A Forty-Year Journey. Hal Leonard Corporation 1998

 

Gousse d’Hayes

 

Quoi de plus juste que de qualifier Isaac Hayes de Spirit Of Memphis ? C’est en tous les cas ce que vient de faire Craft avec un coffret pas trop cher. L’objet se présente au format 45 tours, s’ouvre comme un livre et contient quatre disks encartés séparément dans des folders en carton extrêmement rigides. Collée sur la trois de ouvre, une petite pochette enserre un vrai 45 tours, la réplique d’un single rare. Sur la une, Isaac pose sous la devanture du fameux 926 McLemore Avenue, qui fut à l’origine un cinéma de quartier à l’ancienne. Un fronton proéminent surplombait la rue sur plusieurs mètres. Comme dans tous les lieux de spectacles aux États-Unis, on y composait les titres des films et les noms des artistes en grosses lettres rouges démontables. Au frontispice du 926 McLemore, on pouvait lire Soulsville U.S.A., et posé au dessus comme une statue, le mot STAX en très grosses lettres rouges qui s’éclairaient lorsque la nuit tombait sur la capitale mondiale du rock et de la Soul. Il était donc logique qu’Isaac y trônât.

Quand on tient ce coffret en main, on découvre qu’il vibre. Oui, c’est assez difficile à faire croire et pourtant, c’est vrai, il vibre. Tout ce qui touche à la personne d’Isaac Hayes relève du sacré. En voilà une nouvelle preuve. D’autant plus sacré que Robert Gordon signe le texte d’introduction. Les amateurs de Soul et tous les staxés notoires le savent : Isaac Hayes appartient à la lignée mythique de Memphis, au même titre que le King (Elvis) et the real King (Rufus). Mais Isaac eut plus de veine qu’Elvis, puisqu’il n’avait pas de fucking Colonel sur le dos, et plus de punch que Rufus puisqu’il inventa l’avenir de la Soul.

Histoire prodigieuse que celle de ce messie : il part de rien, de triple zéro, orphelin élevé par ses grand-parents. Mickey Gregory : «In the beginning there was this little destitute kid that his grandmother referred to as Bubba Lee.» (Au commencement, il y avait ce gamin pauvre que sa grand-mère appelait Bubba Lee). Ses grand-parents étaient des sharecroppers, c’est-à-dire les métayers, ceux qui cultivaient la terre pour le compte des anciens esclavagistes et dont la mentalité vis-à-vis des nègres était restée intacte, malgré le treizième amendement qui avait aboli l’esclavage : les sharecroppers vivaient dans le même type de misère abjecte, sans autre horizon que de devoir travailler du matin au soir pour des prunes. Petit, Isaac rêvait de pouvoir entrer dans un lit bien chaud pour dormir, de pouvoir manger un vrai repas et de porter des habits décents. Et quand la «famille» s’installe à Memphis pour essayer de survivre un peu mieux, le petit Isaac dort la nuit dans des carcasses de bagnoles - I slept in junk cars in a garage - Puis la musique entra dans la vie d’Isaac comme l’air du printemps entre dans une maison. Il l’entendait lorsqu’il travaillait dans les champs, il l’entendait à l’église. Comme Aretha, comme Ray, comme Sam, comme Johnnie et comme tous les autres, Isaac chante à l’église et découvre le clavier. Comme nous tous, il entendit des choses à la radio qui allaient bouleverser sa vie. Comme Andre Williams qui grandissait en Alabama, Isaac entendait à la radio la musique des patrons blancs, le hillbilly - I was singing hillbilly before I was singing R&B - Puis il entend Sister Rosetta Tharpe jouer de la guitare électrique. Coup de chance, car à cette époque, la seule musique noire programmée sur les radios était le gospel batch, mais en 1944, le gospel de Sister Tharpe était déjà du rock’n’roll. Isaac découvre ensuite la mythique station WDIA de Memphis, lancée en 1947 par deux blancs et qui devient grâce à Nat D. Williams la première radio destinée au public noir. Là, on ne rigole plus. En 1948, deux DJs de choc font leur entrée sur les ondes : B.B. King et Rufus. Tous les nègres qui vont devenir célèbres écoutent cette radio, de la même façon qu’on écoutait le hit-parade de SLC quand on était ados. Ces émissions ouvraient les portes donnant sur le fameux jardin magique auquel les adultes qui nous pourrissaient la vie avec leurs problèmes de cul et de fric n’avaient pas accès.

Isaac commence à chanter dans des concours et quand des gamines viennent le trouver pour lui demander un autographe, ça le fait bander. Il rêve d’en faire un métier, mais ce n’est pas si simple. Adulte, il se marie et se voit contraint de bosser dans un abattoir pour nourrir sa famille. Il vit l’horreur. Il ne dort plus la nuit - I walked in blood - En 1962, il réussit à entrer dans le petit studio de Chips Moman pour enregistrer avec son copain Sidney Kirk un premier single, «Laura We’re On Our Last Go-Round» qui est, vous l’avez deviné, celui qui est encarté sur la trois de couve du coffret vibrant. Mais à l’époque, Chips n’a pas de distributeur et le single disparaît sans laisser de trace. Isaac retourne bosser aux abattoirs. Back to the Killing Floor.

Il finit par décrocher un job de keyboardist dans le house-band d’un club. Ça lui permet d’aller traîner au 926 McLemore, car c’est là que se retrouvent les musiciens black de Memphis. Oh il n’entre pas encore au studio, mais juste à côté du studio, dans la boutique de disques de Miz Axton, la sœur du patron blanc Jim Stewart, un banquier reconverti dans le r’n’b.

Et c’est là où Isaac va basculer dans la vraie vie. Un certain Floyd Newman cherche un keyboardist. Vous ne connaissez pas Floyd Newman ? C’est logique. Il était ce qu’on pourrait appeler une star locale. Il jouait au Plantation Inn, de l’autre côté du fleuve, à West Memphis, en Arkansas. Le Plantation Inn joua exactement le même rôle que la radio WDIA : un rôle de catalyseur exceptionnel. Tous les pères fondateurs blancs du Memphis Sound passaient leurs nuits au Plantation Inn pour y apprendre la vie, le swing et la Soul. Steve Cropper, Dickinson, Packy Axton et Duck Dunn franchissaient le pont toutes les nuits pour aller s’encanailler et écouter la Soul primitive de Floyd Newman. Le disk 1 du coffret propose d’entendre «Sassy» qui est un modèle de shuffle en forme de wild ride in the Plantation Inn. Et Isaac s’immerge dans le monde magique de la musique : il veut devenir le nouveau Nat King Cole. Il s’en donne les moyens. Floyd Newman dit qu’Isaac connaissait tous les jazz tunes. Floyd dit aussi qu’Isaac a l’oreille absolue : s’il fait tomber une fourchette, il peut dire la note du cling. Floyd s’aperçoit aussi très vite qu’Isaac peut diriger un orchestre et distinguer le son de chaque instrument. Floyd finit par comprendre qu’Isaac est doué de pouvoirs surnaturels - Every note you heard on any of his music came outta his head, every note - Isaac peut dire aux autres musiciens ce qu’ils doivent jouer. Isaac entend la musique de l’univers.

Quand Floyd Newman vient enregistrer «Sassy» chez Stax, Jim Stewart lui demande :

— Dis donc, Floyd, ce mec qui joue du piano avec toi, tu crois que ça l’intéresserait de jouer sur quelques démos ?

Oui, Jim Stewart cherchait quelqu’un pour remplacer Booker T. qui venait de quitter Memphis pour aller finir ses études dans l’Indiana. Ce que Jim Stewart ne savait pas, c’est qu’il venait de faire entrer la poule aux œufs d’or dans la bergerie.

Pour sa première session, Isaac doit accompagner Otis. Il a la trouille, car au fond, il n’est pas vraiment pianiste. Il n’a aucune formation. Il joue tout à l’oreille. Mais Otis est un mec dynamique et tout le monde adore bosser avec lui - It was like a party whenever Otis came to town - Isaac se sent comme dans une nouvelle famille. Pour la première fois de sa vie, il goûte au bonheur d’exister. Mais personne ne sait encore à quel point Isaac est doué. Seul Floyd Newman le sait.

Jim Stewart voit les choses différemment : pour lui, Isaac est un nègre timide qui avance pas à pas et qui ne fait pas de vagues. Stewart va même jusqu’à imaginer qu’Isaac n’était pas conscient de son talent d’arrangeur et d’interprète. Son assistante black Deamie Parker analyse les choses un peu plus finement : pour elle, Isaac veut surtout échapper à la pauvreté - Serious poverty - Alors, oui, il évolue très vite, comme tous les gens pauvres et doués auxquels on donne une chance. Deamie rappelle qu’Isaac ne possédait que deux chemises et des chaussures bricolées qui ressemblaient à des bananes, qu’il avait une famille à nourrir et qu’il se battait pour survivre.

Isaac rencontre chez Stax David Porter, qui participait lui aussi aux concours de chant. Ils étaient même en compétition et ils se respectaient. David bosse chez Stax comme parolier et il cherche un collègue pour composer avec lui. Il lui fait une proposition qui ne se refuse pas : «Hey man, let’s hook up ! Devenons les Holland/Dozier/Holland, les Bacharach/David de Stax !». Et nos deux cocos se mettent à l’ouvrage, et quel ouvrage...

Ils allaient tout simplement composer des hits qui figurent parmi les plus grands hits du XXe siècle, ceux de Sam & Dave ou de Mable John. Et quand on enregistrait leurs chansons, ils dirigeaient les sessions, devenant ainsi producteurs. The Stax Sound, baby, c’est Isaac. Oh les MG’s bien sûr, mais le raw du raw, ce sont bien les hits de Sam & Dave qui l’incarnent. Rien n’est plus viscéralement staxy qu’«Hold On I’m Coming» ou «Soul Man». Pas de partitions, rien de prévu à l’avance. Isaac se mettait au piano et tout le monde commençait à jouer avec lui. C’est exactement ce qui fascina Jerry Wexler qui n’avait encore jamais vu des musiciens de studio jouer aussi librement avec des résultats aussi effarants. Évidemment, tous ces musiciens ne savaient pas lire une partition. Ils jouaient tous au feeling, y compris les cuivres, c’est-à-dire les mythiques Memphis Horns - Most Stax records were arranged as it happened, a spontaneous kind of atmosphere - Il n’y avait pas comme dans tous les autres studios de décompte du temps. C’est l’une des particularités de Memphis : priorité absolue au processus créatif, celui qui rend tout possible. C’est ce que rappelle Robert Gordon dans le texte qui présente un autre coffret, Keep An Eye On The Sky : la magie de Big Star ne fut possible que parce que John Fry ne comptait pas le temps.

Quand en été, le soleil tape dur, le studio Stax est irrespirable, comme d’ailleurs celui de Cosimo à la Nouvelle Orleans. Pour pouvoir continuer à travailler, Cosimo faisait venir un camion de glace pilée. Isaac et ses amis allaient au Lorraine Motel piquer une tête dans la piscine. L’endroit devint une sorte d’annexe de Stax. Bailey leur faisait griller des ailes de poulet et ils attendaient la fraîcheur du soir pour retourner au studio. C’est là, au Lorraine, que Steve Cropper et Eddie Floyd composèrent «Knock On Wood». C’est le Lorraine qu’on voit sur la pochette du fameux Memphis Sol Today de Monsieur Jeffrey Evans et de son groupe, the Gibson Bros. C’est aussi là que Martin Luther King reçut une balle de gros calibre dans la gorge.

Par contre, en hiver, ils se caillaient tous les miches chez Stax : il n’y avait qu’un seul radiateur pour toute cette grand pièce qui était comme on l’a dit une ancienne salle de cinéma. Tout le monde, nous dit Isaac, se regroupait autour du piano et de la batterie qu’on avait installés à côté du radiateur. Mais comme il régnait une bonne ambiance - family - ça ne posait aucun problème.

Lors d’une soirée d’annive, Al Bell, co-boss de Stax, chope Isaac qui est en train de vider une bouteille de champagne et lui dit :

— Ike, let’s do an LP on you !

— Hips !

Pas de problème. Isaac embarque Duck et Al Johnson en studio, Al fait tourner la bande et ça donne Presenting Isaac Hayes. Pas de répète, rien que de l’impro et du feeling un soir de fête bien arrosé. Pur jus d’Isaac. Jazz and funk. Pas de gros succès, mais ça présageait de choses à venir. Et quand victime d’une magouille contractuelle d’Atlantic, Stax perd tout son catalogue, c’est-à-dire la propriété de tous les hits pondus par la family (Sam & Dave, Carla Thomas, Otis, MGs, Eddie Floyd, enfin tout, on imagine l’horreur), Al Bell décide de tout recommencer à zéro, partant du principe que ce qui a été fait une fois peut être refait, et mieux encore : les bloody yankees ont barboté le catalogue, mais pas le plus important, c’est-à-dire les talents. Al Bell décide de frapper un grand coup en faisant paraître 30 albums et trente singles d’un seul coup. Il veut faire de Stax la grosse Bertha de la Soul. Bien vu, Bell. Boom !

Isaac demande s’il peut refaire un album pour faire partie des 30. Al lui dit of course.

— Je peux le faire à mon idée ?

Al lui donne carte blanche. Et ça donne Hot Buttered Soul, le cœur battant du Memphis Sound, l’un des disques les plus révolutionnaires de tous les temps. Quatre cuts, dont une version longue du fabuleux «By The Time I Get To Phoenix» de Jimmy Webb qui met en scène le génie visionnaire d’Isaac Hayes. Plutôt devrait-on parler de conjonction de deux génies, ceux d’Isaac et de Jimmy Webb. C’est d’une beauté qui pourrait échapper au langage. On y entend vraiment battre un cœur, un pendulaire extraordinaire et profond, d’où le vibrant du coffret - And she’ll probably stop at lunch just to give her/ her sweet good thing a call - L’histoire se déroule comme une splendeur visionnaire, Isaac y malaxe à merveille l’axe mélodique de mama-mama, il tient dans le chaud de sa voix toute l’Americana d’anticipation, il chante au sommet du groove le plus charnel qui soit et replonge à plusieurs reprises dans le pathos océanique de Jimmy Webb - I hate to leave you, baby/ Yes I do - et c’est d’une telle puissance que l’envoûtement dure encore. Il dure depuis bientôt cinquante ans. On écoutait et on ré-écoutait alors cette version jusqu’à la nausée. Elle produit aujourd’hui sur les sens le même effet de stupéfaction et d’émerveillement combinés. Isaac raconte que quand il entendit Phoenix pour la première fois, ce fut bien sûr la version de Glen Campbell et il se dit : «God, comme cet homme devait aimer cette femme !» En transposant ce désespoir dans sa vision du monde, Isaac atteignait à l’universalité.

Les quatre disks sont thématiques : le disk 1 compile des choses du Soul Songwriter, le disk 2 les grands singles Volt et Enterprise (sous-marques de Stax) et le disk 3 des reprises. Le disk 4 s’appelle Jam Masters, et curieusement, on passe a travers. Par contre, les trois autres disks se présentent comme des tables de festin royal. Rien qu’à lire les menus, on bave à grands filets. Sur le disk 1 (Soul Songwriter), on tombe très vite sur «Candy» des Astors, co-écrit avec Steve Cropper, une vraie pépite de good time music, gee whiz, les Astors swinguent leur petite pop magique. Ça flirte avec Motown mais ça reste raw dans le son. On repère ensuite très vite la présence de l’immense Johnnie Taylor, celui qui remplaça Sam Cooke dans les Soul Stirrers. Il tape dans le heavy blues avec «I Had A Dream» et rêve que sa baby l’a quitté, tout ça dans une apothéose de chœurs de cuivres. Isaac signe les arrangements. Et pouf, voilà Sam & Dave et leur fameux «Hold On I’m Coming», un hit d’origine triviale, puisque David Porter était parti chier un coup en pleine session et comme Isaac s’impatientait, David lui répondait ça du fond des gogues : Hold on I’m coming ! Comme quoi, parfois la vie... On reste dans les choses très sérieuses avec Mable John, la grande sœur de Little Willie John, descendue à Memphis redémarrer sa carrière après avoir été l’assistante personnelle de Berry Gordy à Detroit. Isaac et David lui ont écrit «Your Good Thing» et Mable s’impose par une fabuleuse présence. C’est l’une des très grandes Soul Sisters d’Amérique. Avec elle Isaac fait du sur-mesure, on a là une compo démente enracinée dans un jazz de cuivres et d’une rare beauté. Avec Carla Thomas, c’est un peu plus compliqué. Elle chante trop sucré, trop Motown et souvent des balladifs insipides. Et pourtant, «B A B Y» sonne comme un vieux jerk de juke - I love to call you baby - On a tous dansé là-dessus au casino de Saint-Valéry ou d’ailleurs. Avec William Bell, on passe à ce qu’il faut bien appeler l’aristocratie de la Soul. William Bell est l’un des piliers de l’early Stax et son «Never Like This Before» n’a jamais pris une seule ride, depuis cinquante ans. C’est un pur Staxy romp, soutenu par les vaillants MGs et notamment un wild drive de Duck. C’est lui qui emporte ce cut au firmament de la Soul. Et puis tout à coup, on tombe sur un single de Charlie Rich, et quel single, baby, puisqu’il s’agit de «When Something Is Wrong With My Baby». On peut bien parler de présence indéniable. Ce mec créait alors de la magie. Il arrivait même à nous faire bouffer de la country. Il transforme ce balladif staxy en pure merveille. On peut dire la même chose du B-side, «Love Is After Me», gros shoot de r’n’b enregistré chez Hi, le concurrent de Stax. Ce disk 1 n’en finit plus de vomir ses énormités, ça repart de plus belle avec cette bouffeuse de son qu’est Judy Clay («You Can’t Run Away From Your Heart»), suivi du «Soul Man» de Sam & Dave, the epitom of Soul. S’ensuivent les Charmels et leur groove énorme digne de Burt («As Long As I’ve Got You»). Encore une solide rasade de Sam & Dave avec cet «I Thank You» incroyablement excédé qui nous amène à l’apothéose du Stax Sound System, c’est à la fois intolérable et indomptable, raw as hell - But you did - Qui se souvient du grand Billy Eckstine, ce Soul Brother qui chantait avec tellement d’autorité ? Ce disk 1 s’achève avec deux bombes qui retombent un peu à plat, vu tout ce qui précède, mais c’est pas grave, on peut quand même les écouter : le «Can’t See You When I Want To» de David Porter et l’effarant «Show Me How» des Emotions. David se répand, dans son cut. Voilà un slowah staxé jusqu’à l’os. Ce diable de David chante jusqu’au bout du bout, mais de façon excessivement inspirée - Cos your loving is so good to me - Il adore la baiser, évidemment. Il exprime l’amour d’une bite noire pour un petit pussy black et c’est très beau, en tous les cas, bien plus beau que les histoires de cul racontées par nos vieux chanteurs de variétés. Oh et puis les Emotions ! Ils se livrent à l’exercice d’une groove d’underworld d’une sensualité ineffable, comme sous-cutanée. Isaac s’associe avec la pulpe du génie sensuel de la blackitude, et même du sexe d’undergut et soudain ça explose de manière orgasmique. Pur jus d’Isaac. Tu ne trouveras jamais ça ailleurs. Inutile de chercher.

Normalement, quand on sort du disk 1, on est sevré pour un bon mois. Le temps de digérer, les réécoutes et accessoirement, les retours à certains des disques pointés par cette compile, comme par exemple l’indispensable Mable John paru chez Ace. Ou encore, les premiers albums de William Bell sur Stax. Mais bon attention, avec ces gens-là, on n’en finirait plus.

Le disk 2 est entièrement centré sur Isaac. Même si on connaît bien ses albums, on écoute cette compile avec un plaisir non feint. Car tout est bien. Isaac fait partie des grands irréprochables de l’histoire de l’humanité. Passé l’extase de Phoenix, on entre dans le lagon d’une œuvre. On peut le voir jouer avec le groove dans «The Mistletoe & Me», comme un géant du Péloponèse, barbe et crâne rasé. Il va chercher des choses extrêmement sophistiquées, il orchestre sa pop outrance, se croit à Broadway et impose sa présence. On se prosterne jusqu’à terre devant «I Stand Accused», il s’y adonne au nec plus ultra de la rêverie intercontinentale, telle qu’elle apparaît parfois dans certains films de Claude Lelouch, il shoote sa Soul à l’emphase de la démesure, il est à la fois loin et près, on sent son haleine chaude dans le cou, quelque chose d’infiniment spirituel se dégage de son art. Il tape dans Burt avec «The Look Of Love» et on réalise un peu mieux à quel point on entre dans un monde artistique vraiment sérieux. Plus rien à voir avec la petite pop. Même quand il fait de la diskö avec «You Can Say Goodbye», Isaac secoue ses chaînes en or et fait rouler ses muscles sous une peau luisante. Il règne sur la terre comme au ciel, il groove la diskö comme s’il enfilait une pouliche, il staxe le son et chante d’une voix rauque, purement sexuelle, c’est bardé d’émois vocaux et de chaleur humaine, il ultra-chante, il peut grimper là-haut comme Dion, Dionne et d’autres. Et quand arrive le fameux «Theme From Shaft», la fascination qu’il exerce monte encore d’un cran, comme si c’était possible. Comme avec Phoenix, il instaure l’intemporalité - Who’s the black guy - Nous voilà au cœur du Soul System, pas loin de Sly et de James Brown, parmi les géants de cette terre.

En général, on décroche après Shaft. Il est humainement impossible d’écouter 22 titres d’Isaac à la suite. C’est à la fois trop dense et trop qualitatif. Ce genre de compile peut assommer un bœuf. D’autant que ça repart de plus belle avec «Do Your Thing», groové par les Bar-Kays. Black is beautiful et grosses nappes de cuivres. Imbattable. Isaac bat tous les records de groovytude avec «Let’s Stay Together» et se paye une bonne tranche de r’n’b avec son pote David dans «Ain’t That Loving You». On les sent capables tous les deux d’éclater la gueule du firmament, rien que pour rigoler. Il nous embarque plus loin dans un groove qu’il faut bien qualifier de magique intitulé «Rolling Down A Mountainside». Forcément, depuis Phoenix, on reste à l’affût. Saura-t-il recréer le même émoi ? Oui, il devient l’espace d’un cut le génie du mountainside. Il ramène les horizons de Phoenix - And I’ll be alrite/ Yeah - Il porte son art au loin, à la syllabe pulsative et nous plonge dans le génie d’un groove harassant, celui du all nite long. Isaac n’en finit plus de faire bander sa Soul. Et voilà «Joy» qui donne son titre à l’album du même nom, comme taillé dans la matière du groove. Il semble qu’une fenêtre s’ouvre sur son monde et qu’il nous y invite. C’est le triomphe du groove. Pas de meilleure manière de qualifier l’art suprême d’Isaac. Il enchaîne avec l’extraordinaire «Wonderful», you-you-you, il n’en finit plus de sécréter de la magie noire, alors ça devient de plus en plus fascinant, son «Wonderful» prend des allures de hit bombastique, mais à dimension universelle. Il nous instrumente ça à gogo, bien sûr. Tout cela finit par devenir définitivement déterminant, une sort d’art total qui s’auto-détermine, it’s wonderful, Isaac fait danser son propre mythe. On se demande si les Beatles sont allés jusque là. Une dernière merveille avec «Someone Made You For Me», une sorte de slowah extravagant de qualité, mais une qualité qui devient intrinsèque, vois-tu, comme filigranée dans la matière du son. C’est un slowah parfait, une sorte de vison unique du romantisme. Isaac se retrouve à la fois seul au monde et immensément puissant.

Dans le coffret, Sam Moore lui rend un hommage terrible en affirmant qu’Isaac fut son gourou et qu’il inventa le Memphis Soul Sound. Sam dit lui devoir tout. Sam dit qu’Isaac montrait tout aux musiciens, à Steve Cropper, aux Memphis Horns, il leur chantait les arrangements, tu-lu-lu-tu-tu et les autres lui obéissaient au doigt et à l’œil, fiers de travailler avec un génie pareil. Comme Sam et Isaac avaient le même surnom, Bubba, Isaac rebaptisa Sam Blessed, c’est-à-dire béni, puis à l’usage ça devient Bless. Sam dit avoir aujourd’hui 81 ans et I truly am blessed, oui il se croit vraiment béni de Dieu, comme le voulait son mentor Isaac. Il ajoute les larmes aux yeux que Bubba lui manque et il espère que tous ceux qui vont acheter ce coffret commémoratif vont découvrir the brillance and the genius of Isaac Lee Hayes.

Des trois disks, le 3 est certainement le plus fascinant. Sa version du «Walk On By» de Burt n’a pas pris une seule ride depuis sa parution en 1969, voici presque cinquante ans. Isaac travaille la matière de la Soul comme l’aurait fait Rodin, c’est quelque chose de très physique qui relève du corps à corps conceptuel. On entend une fois de plus battre le cœur de Stax, très lentement, comme dans Phoenix - If you ever see me walking down the street/ Walk on by - On a là douze minutes de groove magique et de peau noire, porté par des Bar-Kays qui jouent le plus heavy des beats de Stax. Isaac avait tout compris. Il serre la mélodie contre sa poitrine, il l’étreint et la magnifie, il l’humanise et l’universalise - Goodbye/ So please/ Walk on by - On est chez Stax et la Soul brille comme le soleil de l’Égypte ancienne. Il reste chez Burt avec «I Don’t Know What To Do With Myself». Isaac prend Burt dans ses bras et l’embarque dans son univers d’humanité profonde, in the depth of Stax, c’est-à-dire les profondeurs de l’âme noire. Isaac le sauveur sauve la Soul mais aussi Burt qui n’a pas besoin d’être sauvé. Pourtant, ce géant exceptionnel s’intéresse à lui, alors faut-il voir ça comme un signe ? Et ta mélodie, Burt, ne semble-t-elle pas jaillir du buisson ardent ? Isaac tape ensuite dans le mirifique «Man’s Temptation» de Curtis Mayfield. Ça staxe en profondeur et ça prend vite une ampleur sidérante. Nous voilà chez Stax au temps d’Isaac, c’est chargé de son, de chœurs et d’or du temps. C’est chargé de magie et Isaac sublime encore les choses à coups d’octaves mercuriales, il flaubertise son gumbo et sodomise Salambô sous des cascades de diamants soniques. Isaac se bat dans la cage de la beauté pure et arrache ses chaînes en or. Tout aussi exceptionnel voici «The Ten Commandments Of Love». Il entre dans la vulve du groove comme dans du beurre. C’est exactement l’image que renvoie la sensualité du groove et le voilà parti pour limer à longueur d’heures. On monte encore d’un cran dans l’extatique avec une version explosive de «Stormy Monday», ultime hommage à T-Bone Walker. Il chante à l’éclatement des chaînes de l’esclavage, il explose le concept du blues, l’esclave libéré resplendit dans l’éclat des accords de cuivres. C’est admirable d’élévation. Il fait monter le big-band dans l’éclat de sa blackitude. C’est là qu’on réalise pleinement à quel point la musique appartient aux blacks, car aucun blanc ne peut chanter comme Isaac, c’est-à-dire à bras le corps. Si on veut encore se payer un petit coup d’extase vite fait, alors voilà «If Loving You Is Wrong». Isaac sait dérailler quand il faut. Il bouscule sa Soul comme on bouscule la gueuse au printemps, il laisse tomber une chape sur le blues et son timbre de feuleur léonin couronne la cérémonie. Dans un final éblouissant, Isaac emmène son peuple hors d’Égypte.

Signé : Cazengler, l’Isac à main

Isaac Hayes. The Spirit Of Memphis. Box Craft Recordings 2017

29 / 09 /2018 / TROYES

BOP ROCKABILLY PARTY 5

CACTUS CANDIES / EDDIE AND THE HEAD – STARTS

JAKE CALYPSO AND HIS RED HOT

La guerre de Troyes a bien eu lieu. Pas plus tard que hier soir. Puisqu'il faut le nom du coupable je vous le refile : Billy. Un récidiviste. Cinquième fois qu'il remet le couvert. Avec expo de voitures et divers stands d'automne toute l'après-midi. Et puis le soir, concert trois groupes. Réussit son coup à chaque fois, le Billy. Vous transbahute la programmation, la mairie s'exécute, et le peuple du rock exulte.

CACTUS CANDIES

Plung ! Plong ! Pling ! Sont trois mais l'on n'entend qu'elle. Une vieille Kay – OK, l'a dû s'en amarrer des bateaux sur son quai - un peu délabrée, genre j'ai passé douze ans dans la grange avec les termites qui m'ont rangé la couenne du dos mais je sonnerai à merveille le glas de votre enterrement, Max Genouel est à ses côtés, lui tire sur les cordes comme l'on tire sur son précepteur entre les deux yeux, sûr de ne pas le rater, la upright chante haut, vous perce les furoncles de l'âme un par un et vous aimez ses clous de bronze enflammés qui vous embrasent le sang encore plus violemment que l'extase sexuelle. Normalement vous n'avez plus besoin de rien, vous avez atteint à une plénitude musicale qui se suffit à elle-même. Mais de l'autre côté de la scène l'on a décidé de doubler la mise. Hillbilly de mes deux ! Les ploucs marchent toujours par deux, et Jull à la guitare conduit la charrue à double-soc. Commence par trois notes graves et mûres qui ronronnent à la manière des épis d'or que la brise berce voluptueusement, et ses doigts remontent le manche, z'avez l'impression qu'il étrangle des poulets, et leurs corps palpitent un instant dans la lumière du soleil, mais il est déjà redescendu dans la cave sombre des largeurs sonores. Un sacré guitariste, note par note, mais chacune à elle seule contient le monde en elle-même, plus une petite portion de vos rêves personnels. Les boys sont au top. Un régal. Deux, mais abattent le boulot de quinze. Mais que serait-il sans la fermière ! Les mains nues dans sa robe à ramages. Lui suffit qu'elle ouvre la bouche pour que les deux autres disparaissent, que vous oubliez qu'ils existent – c'est terriblement injuste car c'est eux qui emplissent la grange de richesses agrestes – Lil'lOu Horneker se joue de leurs bienfaits, sa voix cabriole, un poulain fou qui saute les barrières et galope dans les prés de luzerne, mais un pur-sang que rien n'effraie, une facilité déconcertante, à l'aise partout, les boys s'y mettent, Jull vous chante trois morceaux la voix encore plus nasillarde qu'un péquenot du South, et Max nous pousse une goualante à la Johnny Cash, le timbre encore plus sépulcral qu'un cimetière abandonné, mais Lil'lOu claironne plus fort qu'un micro de rodéo, chantonne plus doux qu'une ondée printanière, se moque de vous à la manière d'une lanière de fouet, et vous laisse sur votre faim, à tel point qu'entre les quinze secondes qui séparent deux morceaux, vous vous demandez comment elle pourra encore vous surprendre et vous séduire. Un rêve qui devient réalité à chaque fois.

Sans concession. Les Cactus Candies se contentent d'un maigre territoire. A cheval dans l'entre-deux du hillbilly et du rockabilly. Lâchent les Appalaches pour mieux s'agripper aux collines. Tiennent la salle en haleine. Repoussent sans arrêt l'horizon des grandes plaines. Honky Tanks qui foncent et Honky Tonk qui plante la tente. Toutefois sont des sédentaires. Ils ont le country rural, de la même manière que l'on avait le blues dans le Delta. Trichent un peu, car aux instruments vous avez deux cadors aux doigts d'or, savent tricoter et encore plus fricoter ensemble, faut voir, l'on dirait qu'ils s'écrivent des lettres, tu me fais ça et moi je te fais ci, se donnent le temps de se répondre, ils aèrent, laissent du champ, à chaque note le temps de résonner car ils savent que c'est la meilleure manière de vous faire déraisonner. Et Lil'lOu crie au loup, de délicieux frissons vous parcourent la moelle épinière... Ont tenu l'auditoire en haleine, saluent sous une nuée d'applaudissements.

EDDIE AND THE HEAD-STARTS

Même formule. Trio de choc. Contrebasse à droite. La même que celle qui servit aux Cactus Candies. Guitare à notre gauche. Eddie au milieu. Guitare rythmique sur le cœur, œil de velours, allure de caballero, sourire sur les lèvres. Méfiez-vous, commencent tout doux. A pas de puma des Rocky Mountains. Le rythme est comme en dessous. Un feu souterrain qui brûle mais qui ne fume pas. L'air de rien, ça cavale sec, mais ils sont encore dans la retenue, dans l'orthodoxie de ce qui se fait quand on veut s'amuser, sans délirer. Des charmeurs, promettent même de vous faire des bisous si vous achetez leurs disques. Des facétieux à l'air sérieux. Et patatrac, tout se détraque. Eddie commence par taper du talon, comme s'il écrasait un nid de serpents à sonnettes et rien ne va plus. En fait tout va très bien. D'une seconde à l'autre la guitare de Stéphane sonne différemment, il y a deux minutes elle était comme une guitare qui se respecte, sage comme une image, vous ourlait les licks sans un pli, comme Tante Agathe qui repasse vos chemises, brutalement la folie des grandeurs, sans avertissement se met à chanter comme un stradivarius, un orchestre symphonique à elle toute seule, c'est beau comme du Tchaikovsky, vous en met plein les oreilles, une mer infinie miroitante, en plus elle prend de la vitesse, le rythme s'accélère, à la contrebasse Thibaut vous cloue des étoiles dans le ciel, et Eddie s'envole, la voix qui monte et les pieds qui martèlent le sol, I Could Say, I wana Make Love, Speed Limit, la salle prend feu, le plancher brûle, et l'incendie des Head-Starts ravage tout ce qui bouge. Z'ont le rockab qui happe tout ce qui se risque à leur portée, la baleine blanche fonce sur vous, et vous admirez sa force, sa puissance, sa rapidité. Vous la suivriez en enfer et même plus loin encore. Cette voix d'Eddie, du piment enrobé de sucre, délectable et empoisonnée. Vous rend addict à la première bouchée, vous tue à la deuxième et vous ressuscite à la troisième. Un set qui passe trop vite. L'on aimerait arrêter le film, mais non sont pressés, vous emportent avec eux et quand c'est fini, que vous avez eu votre rappel, vous en auriez repris pour une heure de plus, mais non, vous êtes obligés de vous dire que la vie est trop longue et injuste. Une seule certitude consolatrice, tout l'auditoire pense comme vous.

JAKE CALYPSO AND HIS RED HOT

Eddie and the Head-Starts ont salement échauffé les esprits, ambiance chaud-brûlant dès que le Red Hot prend la relève. Clameur et ferveur. Loison ne sort pas de l'oeuf, sait évaluer une ambiance au premier pas sur la scène. Lève les yeux au ciel et déclare que dans cette église il est temps que s'élève la folle et gospelle prière du rockabilly, celle qui serpente dans l'entremêlement de ses racines les plus noires, «  Oh ! Lord ! » hurle-t-il, la salle rugit férocement certaine que l'on ne marche pas sur la queue du serpent du blues impunément, et nous voici au milieu des bayous en train de nourrir les alligators affamés. Le set commence par là où il finit habituellement. Dans la folie chaotique. Tout, tout de suite, et en même temps. Le Red Hot entre en incandescence à l'instant, Christophe Gillet n'est plus Christophe Gillet, l'est un somnambule qui dans une autre vie s'est appelé Christophe Gillet, n'est plus qu'un zombie en apnée qui passe les riffs à la vitesse de la lumière, de l'autre côté de la scène Guillaume Durrieux n'a pas plus de liberté, slappe sur sa basse spasmodiquement, blanc comme un linceul, en insuffisance respiratoire avancée, sont partis pour un marathon, préfèreraient crever sur place que ralentir le tempo une demi-seconde, derrière Thierry Sellier bouscule ses battements, vous vide un tombereau de toms sur les pieds, puis immobilise tout, prend le temps de figer le désastre, ce quart de seconde qui sue l'angoisse entre deux catastrophes soniques, et le monde s'écroule autour de vous, Jake n'est plus avec nous, l'est quelque part ailleurs, dans un tripot ou un clandé de la Nouvelle Orléans, retenu prisonnier volontaire en une bamboula vaudouïque, se nourrit de notre énergie, pour mieux nous la renvoyer. Il chante, mais parfois la bête pousse son groin au travers de son gosier. Les filles sont devant la scène et couinent de plaisir à cet appel animal. L'a sorti son harmonica et nous déchire un blues en miettes. Tape du pied pour implorer l'esprit, et tout le monde hurle, à sa suite, dans un capharnaüm invraisemblable, et Dieu en personne descend sur scène. Même que sa Sainteté se saisit du micro solitaire, le fait tomber de son pied, et l'on entend distinctement qu'il reproduit, pour signaler sa présence spirituelle, exactement le même rythme que vient de marquer le talon calypséen. La salle hulule de joie, et à partir de ce moment-là, ce sont les chiens de la chienlit qui s'emparent des consciences. Car si la loi est la loi, les loas sont les loas. Hervé entre en éruption, saute partout, se colle à Christophe, frères siamois accrochés à leur guitare, Guillaume extatique se plante devant la scène, sommes plusieurs à tambouriner sur sa big mama, Calypso aimerait bien fracasser sa guitare, mais il se retient, de dépit il jettera son harmonica en l'air, lui marchera ( exprès ) dessus lorsqu'il retombe, se roule par terre, rampe sur le dos, se jette la tête en avant sur le ciment de la salle, se relève d'un magnifique roulé-arrière sur scène, s'en va se perdre dans la foule avec l'harmo récupéré, on hurle et on trépigne tous ensemble, autour de lui, le blues n'est à l'origine qu'un cri de reconnaissance qui attend sa réponse, jeu de howler festif, sans fin. A son invite une quinzaine de filles sont montées sur scène, s'empressent autour de lui, paradent toute fières, lascivement, le caressent, le tapotent, lui rentrent sa chemise dans son pantalon, vous le bichonnent comme un coq en pâte, l'en faudrait peu pour qu'elles le déchirent tel un moderne Orphée rockabillyen... Leur échappe de justesse, s'envole et se promène à bout de bras au travers de la foule, revient faire le poirier devant la grosse caisse et puis contre le cordier de la big mama qui s'aplatit comme crêpe dans la poêle à frire, lorsque Guillaume aura tant bien que mal réparé les dégâts, Jake tentera à nouveau l'aventure mais Damien enroule sa contrebasse autour de lui tel un torero qui se dérobe dans une véronique diabolique, transe totale, cinquante fois le Red Hot sonnera le final apocalyptique de la fin du set et cinquante fois Hervé reviendra à l'assaut, le chant collé à l'harmonica comme la bave aux lèvres des épileptiques... Il paraît que le set a pris fin, mais peut-être continue-t-il sans fin en une autre dimension.

Damie Chad.

THE CLASH

LE BRUIT ET LA FUREUR

STEPHANE LETOURNEUR

( OSLO Editions / 2012 )

Précisons-le, je ne suis pas un fan du Clash, je leur ai toujours préféré les Sex Pistols, que voulez-vous en France on a l'esprit dichotomique qui fonctionne un peu, non sur le principe du tiers inclus, mais sur celui beaucoup plus rudimentaire du binaire exclu : exemple : si vous aimez les Rolling Stones vous ne pouvez pas apprécier les Beatles, procédé fortement revendicativement identitaire mais un tantinet schismatique, dans les années soixante en notre doux pays il exista une guerre froide, parfois à crans d'arrêt tirés, entre les partisans de Johnny Hallyday et ceux d'Eddy Mitchell... une fois ceci posé je suis au regret d'apprendre aux amateurs du Clash que ce livre ne leur apportera rien mais que par contre, les natifs des dernières couvées entrant dans l'âge de fer pubère le liront avec intérêt.

Simple, clair, rapide, un petit chapitre ( très court ) sur le premier concert des Pistols, immédiatement suivis de quatre autres consacrés dans l'ordre à Mick Jones, Paul Simonon, Nicky Headon, Joe Strummer, assez bien faits, quatre parcours d'adolescents dans le Londres du début des années 70, l'analyse de quatre personnalités divergentes qui explique en partie les causes qui huit années plus tard présideront à l'éclatement du groupe en voie de convergence, une espèce de point focal du prochain futur inconnu ( le lecteur averti remarquera en l'expression précédente une espèce d'abstraction du concept du no future punk ).

Les trois chapitres suivants s'attardent sur la constitution du groupe, les répétitions, l'importance du manager Bernie Rhodes – ancien bras droit de Malcolm McLaren décidé à jouer sa propre carte – et la mise en place des fondamentaux idéologiques et musicaux du groupe. Révolte et culture noire en seront les deux tétines nourricières. Prédomine d'abord la dénonciation des coercitions sociétales et policières qui a pour conséquence la furieuse envie de kickouter la fourmilière de ce monde injuste, mais à cette exigence punk de refléter par un rock primaire et sans concession la laideur et la violence des conditions existentielles imposées par le système sera amalgamée l'espèce de philosophique indolence revendicative des musiques jamaïcaines des quartiers noirs de Londres, une sorte de blues à contretemps qui privilégie le mou au détriment du dur, la neige par rapport à la grêle – goûtez cette métaphore hivernale pour une musique tropicale - une radicalité qui préfère l'insinuation à la confrontation. L'on n'attaque pas la pierre à coups d'explosifs, ce sont les infiltrations d'eau dans les fissures naturelles qui la feront éclater lorsqu'elle se transformera en glace.

Retour sur les Sex Pistols qui disent des gros mots à la télévision. Débute l'inénarrable épisode de l'Anarchy In the UK Tour – l'on y retrouve Johnny Thunders And The Heartbreakers - les municipalités outrées qui interdisent dix-huit des vingt-cinq concerts, un public pas toujours aussi déchaîné que la légende se plaît à le raconter, la tension qui couve au sein des Pistols qui virent Matlock et font entrer Sid Vicious... en quelques mots au milieu de ce capharnaüm, les Clash paraissent le groupe le plus stable...

The Clash sera le titre éponyme de leur premier album ( 1977 ), en vendront cent mille en import aux States, et flirteront avec le top ten des ventes in the Royal England. Le disque est bien reçu par la critique, la mécanique du succès se met en place. Mais lentement. Si la tournée White Riot qui suit est une réussite, le groupe n'a pas atteint sa stabilité économique, il a tenu à ce que le prix des places et des disques ne soient pas élevés et le contrat en trompe-l'œil de CBS, les obligera à une fuite en avant sempiternelle.

Give 'en Enough Rope, deuxième album ( 1978 ), cornaqué par Sandy Pearlman du Blue Öyster Cult qui parvient à préserver la rudesse de leur style tout en lui donnant un son plus ample aura en un premier temps moins de succès, les paroles se détachent des oripeaux gratuit de la violence punk mais les prestations scéniques qui gagnent en savoir-faire et en intensité coagulera une solide base de fans.

1979 sera l'année faste : le Pearl Harbour Tour sera leur conquête de l'Amérique. Leur triomphe est à mettre en regard avec le split des Sex Pistols qui s'y cassèrent les dents... Mais l'Histoire retiendra surtout la sortie de London Calling, un double album – vendu au prix d'un – qui restera leur titre de gloire. La pochette imitée d'Elvis Presley, le jungle-rythme d'Hateful emprunté à Bo Diddley - qui fit leurs premières partie aux USA – la reprise de Brand New Cadillac de Vince Taylor, est une manière d'afficher sans équivoque une filiation rock, l'aspect politique n'est pas marginalisé, Spanish Bomb évoque la Guerre d'Espagne au travers de la figure de Federico Garcia Lorca, et certains morceaux comme Wrong 'em Boyo présentent une obédience ska indiscutable...

Sandinista ! paraît en 1980. Ce triple album ( vendu au prix de deux ) équivaut au double-blanc de la discographie des Beatles. Un aspect fourre-tout, un parti-pris expérimental, une envie de suivre son inspiration sans vouloir faire du Clash à tout prix, chacun des membres y apporte ses petites pierres... mais l'on y trouve pas vraiment de diamants qui fassent la différence.

Le double-blanc s'avèrera être le chant du cygne des Beatles – pour ma part je juge l'animal salement enroué... Sandinista ! qui se vend mal précipitera les tensions au sein du groupe, fatigues dues aux tournées incessantes pour combler les déficits, la dope n'a pas manqué, et les contradictions autour desquelles le groupe s'était culturellement et musicalement soudés deviennent de plus en plus déstructurantes, le succès gonfle l'affirmation des égos...

L'enregistrement du dernier album s'avèrera difficile. Glyn Jones qui a officié auprès des Stones de la grande période est appelé au secours, son intervention sauvera Combat Rock ( 1982 ) qui sera la meilleure vente du combo, mais c'est trop tard, après sa participation au US Festival organisé par Apple le groupe se désagrège...

Rassurez-vous, le rock n'en est pas mort pour autant !

Damie Chad.

THE CLASH

LA PUNK ATTITUDE

NICK JOHNSTONE

( 2008 / Talents Publishing )

On prend les mêmes et on recommence ! Soyons juste, c'est ce bouquin-ci qui a dû servir de base de données pour le précédent. Le sous-titre est assez putassier, mais le livre est plus intéressant. Un format légèrement plus grand – c'est mieux pour les photos – mais à part les vingt premières pages d'introduction qui retracent l'ensemble de la carrière du groupe, le principe adopté pour les cent trente suivantes se révèle plus émotionnant. Chaque chapitre donne la parole aux protagonistes de la thématique traitée, une mosaïque de mini-témoignages tirés d'interviews accordées à différents médias, que ce soit durant l'épopée elle-même ou plus de vingt ans après, donnent l'impression d'être au cœur des évènements. Nos clashistes ne tirent pas la couverture à eux et ne cherchent pas à faire porter le chapeau au(x) copain(s), sont assez conscients de ce qui leur est arrivé. Ne sont pas dupes de leurs dérives. Ont commencé en groupe à clashs politiques de militants punks imbus de principes éthiques et ont fini par devenir par la force logique des nécessités un groupe à cash soumis aux impératifs financiers. Pas très longtemps, car ils se sont séparés avant que rien ne puisse plus arrêter la mécanique infernale. Strummer et Simonon avouent sans gêne que leur complicité s'est transformée peu à peu en compétition. Se la sont d'abord joués solidaires et puis solitaires. Le melon qui gonfle comme l'on dit à Cavaillon... Ensuite leur a fallu apprendre à vivre comme tout le monde, ont refusé d'être des hasbeens mais n'ont plus connu ce qu'ils avaient été. Plus difficile pour Strummer qui pour de sombres questions de contrats avec EPIC est resté sans pouvoir travailler dans la musique pendant onze ans. Se défend de toute amertume, prend la chose en philosophe. C'est du moins ce qu'il dit. Dans sa caboche je ne pense pas, on peut lire entre les mots que ce fut plus pénible qu'il ne s'en défend. Se sont réconciliés, et ont trouvé cela intelligent et humain... Mick Jones a fondé un autre groupe, Strummer est mort d'un arrêt cardiaque à cinquante ans, Paul Simonon est revenu à sa première passion : la peinture. Une autre vie, une autre mort...

Certes Clash a généré des milliers de groupes, l'on peut toutefois s'interroger sur les bienfaits de la généalogie lorsque U2 se réclame de votre héritage... Le punk hardcore n'aurait-il pas tiré de meilleures leçons de leur trajectoire... Maintenant se pose l'angoissante question : vaut-il mieux finir comme le Clash ou comme les Rolling Stones, trois petits tours et s'en vont à la trappe, ou la longue durée ? Pathos dans les deux cas ? Je vous laisse répondre à votre guise. Tous les chemins du monde ne mènent-ils pas au rock'n'roll !

Damie Chad.

 

ROCKAMBOLESQUES

FEUILLETON HEBDOMADAIRE

( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

en butte à de sombres menaces... )

EPISODE 2 : L'EPOPEE FUNEBRE

( Vivace Vivace )

Je n'ai même pas eu le temps de réveiller Cruchette que le Chef entrait, un paquet de croissants chauds à la main, le visage épanoui du sourire le plus jovial que je ne lui avais jamais vu arborer.

    • Debout là-dedans, bande de fainéants ! Oui Molossa tu peux manger la part de ton maître, je suis sûr que les nouvelles lui couperont l'appétit ! Agent Chad, je devrais vous limoger, chère Cruchette veuillez expliquer à notre cher collègue comment nous avons retrouvé sa trace !

    • C'est vous Chef qui avez préféré le prendre en filature depuis devant son domicile et non depuis Chez Popol, même que vous avez dit '' Avec cet olibrius, il vaut mieux se méfier''.

    • Bref, nous vous avons suivi du début à la fin de vos pérégrinations, nous avons toutefois momentanément suspendu notre action lorsque vous vous êtes arrêté avec votre espèce d'auto-stoppeuse sous le couvert de frondaisons touffues. Je ne tenais pas à ce que l'innocence de Cruchette soit pervertie par la désolante vision de vos agissements virilistes, je parierais douze boîtes de Coronados que selon vos déplorables habitudes vous lui glissâtes votre paluche dans la culotte, oseriez-vous prétendre que je me trompe, agent Chad ?

    • Non Chef, mais ce n'est pas ce que vous croyez, je...

    • Et ça, je ne vais pas le croire non plus !

Et le Chef me lança un paquet de journaux tout frais imprimés, sentant encore l'encre, je n'eus même pas la peine de les ouvrir, la première page me suffisait amplement :

DERNIERE MINUTE

CRIME MONSTRUEUX A SAINT-MALO

C'est en s'assurant que la lumière était bien éteinte dans les toilettes du Centre d'Art Municipal de Saint-Malo, que la concierge Mme Ginette S... avisa étendu sur le carrelage le corps sans vie d'une jeune femme, un couteau planté entre les deux omoplates. Appelé sur les lieux le commissaire Bertulle, eût tôt fait d'identifier la victime : Marie-Odile de Saint-Mirs âgée de 23 ans. Elle tenait encore dans sa main le récépissé de dépôt de l'œuvre qu'elle venait de déposer afin de participer au concours de la Biennale des Arts Conceptuels de Saint-Malo.

L'enquête ne fait que commencer, mais déjà plusieurs témoins ont spontanément déclaré que lors de son arrivée, alors qu'elle se hâtait de descendre d'un véhicule qui l'avait emmenée, le chauffeur – genre petite frappe de banlieue affublée d'un blouson noir – lui aurait hurlé quelques brèves mais violentes menaces.

Une édition spéciale du Matin-Malouin consacrée à cette affaire sera disponible dans les kiosques aux alentours de 12 heures.

    • Chef, c'est horrible, une si belle fille !

    • Mais non agent Chad, c'est fabuleux, nous ne pouvions pas rêver mieux, ce cadavre tombe à point, le Renard est sorti de son terrier. Pourquoi a-t-il frappé cette cette Marie-Odile, nous ne le savons pas. Mais il nous reste à le découvrir. Racontez-nous ce que vous avez fait hier soir.

    • Euh, rien Chef, Marie-Odile est arrivée à deux heures du matin, nous nous sommes couchés tout de suite, je me suis endormi direct, quand je me suis réveillé c'était Cruchette qui dormait à mes côtés.

    • Normal, nous sommes arrivés à cinq heures, tous les hôtels étaient pleins, vous ronfliez à poings fermés, vous étiez seul avec Molossa, j'ai laissé Cruchette s'étendre à côté de vous et je suis allé fumer quelques Coronados sur la plage...

    • Moi ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi Molossa n'a pas aboyé quand Marie-Odile est partie, s'exclama Cruchette.

    • Remarque pertinente, observa le Chef en tirant un Coronado de sa poche. Agent Chad, interdiction de sortir d'ici jusqu'à nouvel ordre, Cruchette allez acheter un costume à cet ostrogoth, ralliement ici à 12 heures, j'emmènerai l'édition spéciale du Malouin-Malin.

EMOTION DU MIDI

L'édition spéciale du Malouin-Matin n'apportait rien de nouveau. A part une déclaration du Président de la République, prononcée d'un ton ému – précisait-on – sur le perron de l'Elysée.

''La France, mère des arts, est touchée dans ce qu'elle a de plus profond, une de ses artistes les plus talentueuses, les plus prometteuses, est fauchée dans le printemps de son existence,lâchement assassinée, en tant que Président de la République Française je serai demain matin sur le parvis du Centre Communal d'Art de Saint-Malo, afin de lui rendre un dernier hommage.''

- Il ne faudra pas rater cet événement décréta Cruchette, ça risque d'être aussi beau que le jubilé de la Reine d'Angleterre.

    • le Service Secret du Rock'n'roll ne saurait rester insensible à un tel drame, opina le Chef, venez Cruchette, une nouvelle robe pour assister à cet hommage me semble indispensable.

L'INSOUTENABLE CEREMONIE

'' Oui nous reprenons l'antenne, pour de bien pénibles moments, nos équipes ont travaillé toute la nuit afin que nos caméras vous permettent d'assister à cet hommage national à Marie-Odile de Saint-Mirs, cette jeune artiste ignominieusement assassinée en sa pleine jeunesse, chers télé-spectateurs, à l'instant une note de media-métrie m'apprend que vous êtes plus de vingt-cinq millions à suivre ce douloureux événement, les Malouins eux non plus n'ont pas manqué ce rendez-vous funèbre, près de trois mille personnes se sont tassées sur la petite place devant le Centre Municipal de Saint-Malo, c'est vraiment toute la population de la ville, au premier plan assis auprès de leurs instituteurs à même la chaussée vous remarquez les enfants des écoles, nos charmantes têtes blondes, l'avenir de la nation, et derrière eux c'est tout le peuple de France dans sa diversité qui se presse dans un silence oppressant, tous les âges sont là, nos anciens comme tout à gauche de votre écran cette vieille dame dans sa robe noire qui tient, l'on devine son ultime compagnon de misère, son pauvre chien en laisse d'une main tout en s'appuyant de l'autre sur sa canne blanche, mais la cité a aussi délégué ses équipages de marin-pêcheurs, des hommes rudes et virils, le visage taillé à la serpe par les embruns, admirez au centre de l'écran ce boucanier, une tête de forban, un cigare au bec, et cette larme silencieuse qui coule sur son visage, par contre la jeunesse n'a pas renoncé à sa fantaisie, ce jeune homme, un peu efféminé dans son costume framboise, à moitié caché derrière son immense carton à dessin, un artiste sûrement, mais voici que les portes du Centre s'ouvrent... la foule retient son souffle, apparaît le cercueil de Marie-Odile de Cinq-Mirs porté par quatre agents municipaux, l'on entend les gémissements de la mère soutenue par son mari et les pleurs de ses deux petites sœurs, quel insoutenable spectacle, ô combien je préfèrerais commenté un match de rugby, mais non la dure réalité est là, le directeur et le jury entier du la Biennale d'Art Conceptuel de Saint-Malo déposent religieusement le dernier chef-d'œuvre de Marie-Odile de Saint-Mars sur un piédestal de verre, un oh d'émerveillement s'élève de la foule qui ne peut retenir la déférence de ses applaudissements, le Président de la République entouré de ses agents de protection en profite pour se glisser devant le micro, une chape de chuchotements respectueux s'abat sur l'assistance : '' Mes chers concitoyens, je ne puis retenir mon émotion, et ma colère, votre présence me rassure, vous avez tous compris qu'en s'attaquant lâchement à une des artistes les plus douées de sa génération promise à une gloire nationale c'est à la France que l'on s'en prend. Mais permettez-moi d'abord, au nom de tous les français de m'adresser d'abord à cette famille éplorée, cette maman qui...'' Mais que se passe-t-il, mon dieu, c'est incroyable, le forban de tout à l'heure s'est rué sur le piédestal, il a déjà l'objet en main, c'est la panique, les enfants pleurent et crient partout, la foule s'éparpille dans tous les sens, mais les hommes de mains du président se précipitent sur lui, il jette en avant l'objet, à l'autre bout de la place le jeune homme au costume framboise le récupère, le forban ne se laisse pas faire, en trois prises de jiu-jitsu il se débarrasse de ses assaillants qu'il envoie rouler à terre, l'enfonce son cigare dans l'œil gauche de son dernier adversaire qui n'y voit plus rien et bat pathétiquement l'air de ses bras impuissants, désordre indescriptible, les gens hurlent, courent, se couchent sur le macadam, le forban a rejoint le jeune homme au costume framboise, ils n'iront pas loin, une voiture de gendarmerie leur coupe la route, un gendarme fait feu sur le jeune homme, son carton à dessin est un véritable bouclier de protection anti-balles, il s'agit bien d'un coup minutieusement monté, vraisemblablement de la mouvance islamiste, des citoyens se précipitent sur le président pour lui faire un rempart de leur corps, mais non il se défend, il n'entend pas fuir au moment du danger, il gesticule, il hurle, traite les policiers d'incapables, pris d'une fureur sacrée, il tape à coups de pieds sur le cercueil, un deuxième véhicule de police bouche l'issue, horreur ! les deux terroristes s'emparent de la vieille dame qui essayait de s'enfuir de toute la vitesse de ses maigres jambes, un policier en civil, regardez son brassard, se précipite, mais le chien bondit sur lui et le mord violemment aux couil..euh... au bas du ventre, il s'écroule sur la chaussée, le forban pose un pistolet sur la tempe de la vielle dame, elle est leur otage, ces bandits ne respectent rien, même pas une handicapée, les policiers désemparés reculent, le jeune homme s'installe au volant de la voiture de police la plus proche, le pirate force la vieille dame à monter, ils s'éloignent à toute vitesse, quel tumulte, quelle horreur, quel scandale, mais il me faut rendre l'antenne pour une coupure publicitaire...''

SOIREE PIZZA

Nous voici revenus dans notre QG. Dans la cuisine Cruchette enfourne quatre pizzas dans le micro-onde... Elle est enchantée de sa participation au grand-jeu de rôle de Saint-Malo. Le Chef examine le chef-d'œuvre de Marie-Odile, à sa mine de béotien dégoûté et au marteau qu'il tient en main, le lecteur comprendra qu'il ne goûte guère les subtilités de l'art conceptuel. Crac ! Le verre cassé, les feuilles arrachées, il s'empare du bristol bleu, le soupèse rêveusement, allume un Coronado, et glisse une lame de cutter dans l'épaisseur du mince carton, bingo, ce sont bien deux feuilles collées l'une sur l'autre, tenez agent Chad, cette gamine a écrit quelque chose dessus, à l'encre bleu-pâle, déchiffrez-moi ces pattes de mouche illisibles. Je lis non sans quelque mal, je pâlis et d'une voix blanche, j'annonce :

AU SECOURS ! ROCK'N'ROLL !

    • Enfin nous voici au cœur du problème – le chef aspire longuement une bouffée de son Coronado – il ne m'étonnerait pas que nous ayons sous peu de la visite.

    • A table ! Les pizzas sont prêtes, triomphe Cruchette dans sa cuisine, je les emmène !

C'est juste à ce moment-là que l'on frappa à la porte.

( A suivre )