Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

26/09/2018

KR'TNT ! 386 : MrAIRPLANE MAN / THEE HYPNOTICS / JOHNNY THUNDERS / SANDRO / ROCKAMBOLESQUES ( 1 )

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 386

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

27 / 09 / 2018

 

Mr AIRPLANE MAN / HYPNOTICS

JOHNNY THUNDERS / SANDRO

ROCKAMBOLESQUES ( 1 )

 TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Hey Mr Airplane Man play a song for me - Part Three

 

Mr Airplane Man, ça commence déjà à ressembler à une vieille histoire. Pas seulement parce qu’il s’agit du Part Three de l’accompagnement chronico-K-R-T-N-terrien, mais aussi parce que leur premier album Red Lite date de 2001. Faites le compte. Cela veut dire en clair une multitude de concerts en France et une série de six albums irréprochables. Irréprochables, oui, à condition bien sûr d’aimer ce blues-rock nourri au nec-plus-ultra, c’est-à-dire Wolf, Monsieur Jeffrey Evans, Junior Kimbrough, Don Howland et quelques autres. Elles sont en quelque sorte devenues les porteuses du flambeau de ce son, puisque les Bassholes, le ‘68 Comeback, RL Burnisde, Junior Kimbrough, T Model Ford, les Immortal Lee County Killers de Cheetah Weise, DM Bob & the Deficits ou encore Cedell Davis ont soit cassé leur pipe en bois, soit cessé toute activité. Oh bien sûr, parmi les autres porteurs du flambeau de ce son, on peut citer Left Lane Cruiser, The North Mississippi Allstars, Little Victor et les mighty Excellos, artistes et formations brillants, enferrés jusqu’au cou dans leur passion pour le blues vitupérant, celui qui va loin au-delà des clichés. Ici pas de crossroad at midnight à la con ni de moonshine à trois croix, mais plutôt du Wolf de big foot Chester et du hardware de cordes rouillées. Et là où les deux oies blanches de Mr Airplane Man font la différence, c’est avec cette énorme dose d’extrême délicatesse qui semble vouloir distinguer leur strong blend de blues. On a même l’impression qu’elles s’améliorent à chaque concert. Sans doute l’ambiance iodée de Binic favorise-t-elle ce genre de délire contemplatif, toujours est-il qu’elles rockent the beach avec infiniment plus d’impact que la plupart des autres groupes, souvent de féroces garage-bands déterminés à grimper sur le trône de l’underground binicais.

Aw so good to be in Binic et pouf Margaret envoie ses accords sixties, oh baby, so good, comme le fit Van the man jadis, «Red Light», pas de problème, ça rocke dans l’aw my God et elles basculent comme deux atroces couleuvres dans l’aouuh de Wolf, she gave me gazo/ line, pas sympa la copine de Wolf, Margaret rattrape toute la souffrance de Big Foot au vol, aohhhh. Tara ne tarit pas car elle joue un riff d’orgue d’une main et tatapoume de l’autre, voilà «Hang Out», ça lancine dans l’air breton. S’ensuit un «Not Living At All» assez hypnotique. Elles rockent et quand Tara place ses chœurs, elle shoote au cul du cut une violente dose de féminité, et ça mon gars, ça vaut tout l’or du monde, car à cet instant précis, Tara devient Ellie Greenwich, elle swingue son chœur dégingandé et chaloupe des épaules, avec un sens du feel ahurissant. Et Margaret joue le jeu, avec une aisance épouvantable, elle accompagne ses montées de fièvre en ployant les genoux, c’est d’une efficacité redoutable, elle chante son trash-blues à la vie à la mort et elle capte toutes les ondes d’un public conquis, pareille à ce fameux trou noir qui engloutit des myriades étoiles. Version endiablée d’«Up In Her Room». Margaret et Tara tapent leur set avec une fantastique économie de moyens et une maîtrise des relances qu’il faut bien qualifier d’ahurissante. Par les temps qui courent, le zéro frime a quelque chose de rassurant. C’est peut-être cet aspect-là qui forge les admirations. On les sent toutes les deux vouées à leur blues-art, comme deux Carmélites du XVIIIe siècle. Leur blues-art sent bon l’éthique passionnelle. Elles semblent même parfois appartenir à une autre époque. Le temps n’est malheureusement plus aux puristes, l’épidémie de m’as-tu-vu gagne à chaque seconde des centimètres et finira par tout dévorer, sauf Mr Airplane Man et quelques autres artistes intouchables. Elles sont au blues-art ce que Marcel Duchamp fut à l’art, peut-être pas des Jansénistes assainies assez ascétiques, mais des refuseuses de compromission, uniquement préoccupées de blues, comme Duchamp l’était de modernité. Et comme chacun sait, la raison d’être de la modernité est d’échapper à l’art. Elles n’iront pas comme Duchamp jusqu’à démanteler le sens pour parvenir à leurs fins, mais on détecte parfois chez elles quelques petites velléités de déconstructivisme latent. Bref, tout ce pompeux parallèle n’a d’autre but que d’affirmer l’ineffable modernité de Mr Airplane Man. Oui, le blues est l’âme de la modernité. Leadbelly vous en donnera la preuve. Les gens auraient tendance à considérer le blues et le rockab comme des genres périmés, des espèces de vieux trucs poussiéreux, mais non, c’est un malentendu. Pourquoi ? Eh bien parce qu’il y a plus d’énergie et de classe dans le blues, Horatio, que n’en rêve ta pauvre philosophie.

Leur nouvel album s’appelle Jacaranda Blue et dès «I’m In Love», le souffle du shuffle vient nous caresser la nuque. Il vaut mieux que ça soit la nuque plutôt qu’autre chose, n’est-ce pas ? Dans la vie, il faut toujours essayer de rester correct. Elles savent rendre un boogie-blues fantômatique et sans doute est-ce là ce qui fait tout leur charme discret, comme dirait Buñuel. Elles se coulent dans le mood du groove et nous avec. On sent l’inaliénable emprise. Elles jouent toutes les deux dans les règles du grand art et montent leurs cuts sur des petits riffs à la fois classiques et aventureux. Tara bat toujours bien large, pour créer l’espace nécessaire à sa copine. Les deux font bien la paire. Elles écrèment la crème de la crème, avec une pugnacité qui les honore (chacun sait qu’il vaut mieux être honoré que déshonoré). Margaret claque «Deep Blue» à la revoyure. Elles sont toutes les deux immensément douées, il faut voir l’entrain de ce son. Margaret hyper-joue, comme d’autres hyper-ventilent, elle le fait avec de l’esprit en veux-tu en voilà. Elle chante «Sweet Like A» sous un certain boisseau d’intérêt limité et la vie reprend tout son sens avec «Blue As I Can Be». Elles reviennent enfin dans le giron de Junior Kimbrough et roulent leur bosse dans le North Mississippi Hill Country Blues. C’est pompé, oui bien sûr, mais en hommage, ça va de soi. Elles nous y tartinent une vieille couche de transe hypno de sweet baby. Avec «Good Time», elles reviennent au rocky road avec un son plus claqué. On note la présence d’un gros shoot de bassmatic. Tara chante «Believe» et ce n’est plus la même chose. Les voilà dans le barrellhouse de cabane branlante, ça donne du cachet, c’est bombardé de cartes de France et de coups d’ahoowaah ! La baraque finit par s’écrouler dans la mare aux canards. C’est atrocement génial et explosé de son. Elles montent à la suite «You Do Something» sur un riff des Yardbirds. Elles tapent ça au suspense anglais. Elles redoublent encore d’à-propos avec «Never Break», espèce de garage d’Airplane, fusillé à la slide. Margaret y va à coups de bottleneck et à la pulsion extrême. Elles terminent ce brillant album avec «No Place To Go», tapé au riff de heavy blues, comme si elles voulaient rendre hommage à Wolf. Une marée superbe emporte Margaret dans le néant.

Signé : Cazengler, Mr. planplan man

Mr Airplane Man. Binic Folk Blues Festival (22). 29 juillet 2018

Mr Airplane Man. Jacaranda Blue. Beast Records 2018.

Hip hip hip notics ! - Part Two

 

Les voies de l’underground sont parfois impénétrables. On pourrait aussi dire que toutes les voies mènent aux Hypnotics, surtout celles qui sont impénétrables. Tout compte fait, on est bien content de se retrouver un soir de septembre dans un petit club orléaniste face à ce phénomène totalement inespéré qu’est le come-back des Hypnotics sur scène. Ce qui fut underground à une autre époque l’est sans doute mille fois plus aujourd’hui. On croise des milliers d’étudiants dans les rues de cette petite ville jadis chère à Jeanne d’Arc, mais ces milliers d’étudiants ne descendront pas au club pourtant situé à deux pas pour voir le concert d’un groupe dont ils n’ont jamais entendu parler. Le problème n’est pas de savoir si les Hypnotics et tous les groupes de cette génération sont des has-been et d’en conclure que leur temps est révolu. Non, il faut raisonner complètement à l’envers et savoir apprécier la chance qu’on a de revoir jouer un groupe aussi brillant. Et du coup, ce groupe qui à l’époque avait une dimension réelle l’a aujourd’hui mille fois plus, car s’ils jouent comme ils jouent, c’est qu’ils savent - deep in their hearts - qu’ils sont bons. Qu’ils restent d’une brûlante actualité. Et même doublement brûlante. Leur son n’a jamais été aussi tentaculaire, ils développent à quatre une espèce d’immense pieuvre stoogyco-psychédélique longue d’une heure et batailleuse, enveloppeuse, invulnérable, agitée de spasmes terribles, c’est une musique dont on sent la fibre et la chaleur, et la pieuvre ne te lâchera plus jusqu’à la fin. Pour corser l’affaire, la pieuvre est bicéphale : Ray Hanson et Jim Jones se partagent le rond du projecteur. Ils sont au rock anglais ce qu’Iggy et Ron Asheton étaient au rock américain, les artisans d’un chaos salvateur, les sonneurs de tocsin, les réinventeurs de l’apothéose, ils sont dans la même énergie, dans la même croyance en des jours meilleurs, dans une quête insensée du Graal sonique, mais à la différence des pauvres chevaliers de la Table Ronde, ces mecs-là trouvent leur Graal. Oh, il ne dure qu’une heure, mais quel Graal ! Les Hypnotics groovent, et ça fait toute la différence. Comme le rappelait Don Was à propos des Stooges et du MC5, le groove et le feeling sont les deux éléments déterminants. S’il en manque un des deux, c’est cuit. Mais si les deux président aux destinées du son, alors ça peut devenir légendaire. Comme dans le cas des Hypnotics. Ray Hanson est une sorte de groover supérieur. Il joue sur une SG qui sent bon le vieux vécu. L’homme est de petite corpulence, tout vêtu de noir, il porte quelques bijoux, un rideau de cheveux bruns filtre le réel autour de lui, et ses snakeskin boots sont aussi explosées que celles de Keith Richards, dans la fameuse scène filmée à Muscle Shoals. Oui, Ray Hanson est un hot condensé de rock star à l’Anglaise, il perpétue brillamment la tradition, il ne pourrait en être autrement, on sent chez lui la vocation qui remonte au plus jeune âge. Qu’aurait-il pu faire d’autre que de jouer de la guitare dans un groupe de rock ? Et comme lors de leur premier come-back à Trouville, en juillet dernier, ils attaquent avec un flamboyant «Soul Trader», histoire d’indiquer la voie impénétrable, celle qui nous intéresse. Le rock des Hypnotics reste un rock classique, mais joué avec le feu sacré, une sorte de pulsion organique, quelque chose de viscéral. Jim Jones tisonne et hante son son, il en harcèle l’avant-garde et l’arrière-garde, il cultive l’art du relentless et on assiste à une sorte de belle montée de fièvre, c’est très palpable, très contagieux, admirablement bien orchestré. Ils enchaînent avec ce stormer patenté qu’est l’«Heavy Liquid» tiré de leur dernier album, The Very Cristal Speed Machine, groové jusqu’à l’os de la mortadelle, imparable, quasi-cosmicoïdal, ça puzzle dans le kaléidoscope paraplégique, ils vont loin dans le haze de la daze et ça retombe dans l’inconnu avec «Nine Times», un cut qui ne figure même pas sur les albums, c’est un obscur b-side comme seuls savent les bricoler les Hypnotics. La pieuvre flotte dans l’air et comme toujours dans ces cas-là, on échappe au temps. Comme si les Hypnotics reprenaient la main sur le sentiment de vivre. Comme s’ils déroulaient un nouveau mode de fonctionnement. «Come Down Heavy» est le morceau titre de leur deuxième album et comme l’indique le titre, on descend avec eux très bas dans les ténèbres d’une heroic-fantasy hypnotique, sans doute-est-ce là qu’ils veulent le plus stooger leur bigorneau, comme le montrait à l’époque la pochette de l’album, une sorte de fac-similé de Funhouse, bien dans les tons orangés et les mines de merlans frits. On trouvait même à l’époque qu’ils en faisaient trop, mais en y réfléchissant bien, en fait-on jamais assez ? Bien sûr que non. Ce qui semble trop n’est jamais trop, et si on raisonne à l’inverse, le pas assez n’en finit plus de n’être pas assez. En général, le pas assez s’épuise le premier. Alors que le trop semble vouloir résister plus longtemps. Toujours est-il que Ray Hanson change de guitare pour jouer «All Nite Long». Il récupère sa Mosrite bleue et n’en finit plus de bâtir des architectures soniques d’une rare complexité, mais il veille à rester dans le heavy groove qui caractérise si bien le son des Hypnotics. D’ailleurs, il est utile de préciser qu’en Angleterre, ils étaient les seuls à sonner ainsi. Mis à part les Primal Scream de Robert Young et les early Damned, les groupes anglais n’ont jamais raffolé de stoogeries. Sans doute était-ce un son trop américain pour les Anglais. Puis nous verrons défiler ces vieux standards efflanqués que sont «Coast To Coast», «Shakedown» et «Justice In Freedom», nous verrons Jim Jones et Ray Hanson se jeter à quatre pattes pour se livrer à un numéro d’incantation voodoo et puis après un rappel bien sonneur de cloches, ce sera la fin d’un set forcément trop court, tu sais, le genre de moment plaisant qu’on ne voudrait jamais voir s’arrêter.

 

PS. Un canard rock anglais signalait récemment la parution d’un docu consacré aux Hypnotics. Heureuse coïncidence, le DVD trônait tout seul sur la petite table du mersh (le reste était sold-out). Il s’intitule Soul Trading et le réalisateur n’est autre que Phil Smith, le batteur du groupe. Le docu raconte l’histoire d’un groupe aussi poissard que les Dolls : un accident de la route qui flingue une tournée américaine alors que le groupe tourne à plein régime, et qui laisse Phil Smith avec les hanches broyées, puis la mort de Craig Pike, le bassman, des suites d’une overdose à Londres. Forcément, le docu tire sur le sombre. Jim Jones, Ray Hanson et Phil Smith racontent leur histoire. On note aussi la présence de prestigieux invités, notamment Tav Falco qui fait l’intro du docu à sa façon : il rappelle que les Hypnotics ont joué pour la première fois au Dingwalls en première partie des Panther Burns. Il les voyait comme des stepping razors et les qualifie de shambolic, destructive & soulful. Rat Scabies rend lui aussi un sacré hommage à ce groupe dans lequel il a joué quand Phil Smith était en convalescence - Ray plays the guitar from the sensation of volume - On trouve à la suite du docu les vidéos officielles du groupe, et voilà le travail.

Signé : Cazengler, l’hypno à nœud-nœud

Thee Hypnotics. The Blue Devils. Orléans (45). 20 septembre 2018

Phil Smith. Thee Hypnotics. Soul Trading. DVD 2018

 

24 / 09 / 2018 – LA COMEDIA

SANDRO / FISURA

Soutien aux peintres qui ont réalisé les fresques – façade coin de rue et intérieure – de la Comedia. Par la même occasion soutien à la Comedia. Pas mal de monde. Beaucoup d'hispanophones. Logique, les géniteurs de cette explosion picturale sont d'origine chiliennes. Vous en reparlerai plus longuement dans une prochaine kronic. Ici m'intéresserai à la partie musicale de la soirée. M'attendais à un groupe punk, erreur fatale, sont sympathiques, au début sont cinq sur scène, guitares, électrique et sèche – contrebasse, cajon, percussions, puis au fur et à mesure tout un escadron de guitaristes et de chanteurs qui s'agglutinent, morceaux longs, mid-tempo, très loin de la feria gitana y del cante jondo, pas tout à fait ma tasse de jack, m'éclipse dans la cour fumoir, dans lequel se retrouvent les amateurs d'agitation musicale plus musclée... Partirai d'un commun accord avec le copain avant la fin de la soirée tandis que retentit Commandante Che Guevara...

SANDRO

Débute la soirée. L'est tout seul avec son ordi, ses percus et ses saxophones. Se livre à un genre dangereux : musique expérimentale live. S'en sort bien. Joue du soprano sur un sampler, écorchures de cuivre et ruissellement sonique, l'a du souffle et de l'imagination, l'on est près du jazz mais d'un jazz totalement libéré de ses patterns, juste le plaisir de produire du son, quitte à poser l'embouchure sur le dessus d'une boite de conserve, façon de tordre le cou à la musique à la manière de Tribulat Bonhomet de Villiers de l'Isle Adam qui noyait les cygnes dans les bassins pour jouir de leur dernier chant. Cherche un rythme sur ses tablas, l'enregistre pour au morceau suivant soloïser dessus, l'art imite la nature, rien ne perd tout se recycle. Le plus beau moment de la soirée. Artiste solitaire. N'a besoin de personne pour exister. Souffle continu. Se suffit à lui-même. Peu y parviennent. Rares ceux qui l'envient. Cela demande trop d'exigence, vis-à-vis de soi-même.

Damie Chad.

 

LA FRANCE &

JOHNNY THUNDERS

DANS L'OMBRE DE LA CROIX

THIERRY SALTET

( Julie Editions / Septembre 2008 )

Les Julie Editions méritent le détour, trois books ( hélas épuisés ) sur les Kinks, les Cramps et les Flamin Groovies d'Alain Feydri, plus le grand format de Thierry Saltet : Punk Rock Festival Mont-de-Marsan 1976 et 1977. Le massacre des bébés skaï, chroniqué in KR'TNT ! 177 du 20 / 02 / 2014, et maintenant ce seul livre, rédigé en français, entièrement consacré à Johnny Thunders, à se procurer d'urgence par exemple à julieprod@worldonline.fr

 

Certains se gaussent de la France. Certes comparée à la grande Amérique et à la perfide Albion, elle n'a produit que très peu de rockers, mais elle sut accueillir et recueillir quelques unes des légendes les plus noires du rock'n'roll, Gene Vincent, Vince Taylor, Johnny Thunders, pour ne citer que les plus emblématiques. Notre pays a peut-être plus que tout autre aimé et mythifié le rock, sous forme de minuscules chapelles ardentes, mais d'une flamme obstinée. Le livre se termine d'ailleurs sur cette sombre méditation, la mèche ne serait-elle pas prête à s'éteindre faute d'huile. Tout cela ne serait-il pas un simple phénomène générationnel qui bientôt sera enfoui avec les corps morts des protagonistes dans la glaise des cimetières, ou envolé dans les fumées des crématoriums... Sombres perspectives, à laquelle il n'est qu'une échappatoire : le retour aux origines.

Le livre raconte la vie de Johnny Thunders, du début à la fin, la relation est sans arrêt coupée par l'insertion d'extraits d'interviews, de témoignages ou de réflexions des principaux protagonistes qui de près ou de loin ont participé aux coups successifs de notre tonnerre préféré et aux orages avortés que fut l'existence de Johnny Thunders. Les racines françaises et américaines sont les mêmes, l'insatisfaction des kids devant le piètre état du rock'n'roll au début des seventies. Le rock triomphe, le roll est mort. L'est devenu une musique adipeuse, une éponge à virtuosité, de la clinquance boursoufflée, bref on s'ennuie. L'on n'attend plus que les gars qui donneront du pied dans la fourmilière. La tsunami se produira à New York. Normal, c'est aux USA qu'est né le rock'n'roll, il est logique qu'il y refleurisse une deuxième fois. Ne fallait pas attendre grand-chose des mangeurs de grenouilles, le bouquin s'ouvre sur nos Variations – notre premier grand groupe électrique de la deuxième génération - le public les soutiendra mais faute d'intérêt de la part des médias et des maisons de disques ils finiront par immigrer aux States. Nul n'est prophète en son pays ! Marc Zermati propose une analyse sociologique non dénuée d'intérêt, la première vague française des groupes des années soixante comportaient en leur sein un pourcentage non négligeable de jeunes pieds-noirs beaucoup moins inféodés aux idéologiques courants anti-américains qui sévissaient dans la plus grande partie de la population métropolitaine, de surcroît il voit dans les origines italiennes de Johnny Thunders une explication à l'acclimatation de Johnny Thunders en la France de culture latine. S'il est un destin – nous employons ce terme dans son sens heideggerien - lié aux individus, le fait que Johnny Thunders soit mort à la Nouvelle Orleans peut être porté à l'actif de ce genre d'argumentaire. Jeux complexes des hasards du vécu et des nécessités symboliques.

 

JOHNNY THUNDERS AVANT JOHNNY THUNDERS ALONE

Johnny Thunders fut le guitariste fulgurant des New York Dolls. L'histoire débute à New York – méfions-nous le ver est souvent dans les grosses pommes - cinq jeunes kids qui décident de former un groupe de rock, ce seront les New York Dolls. Une idée toute simple, revenir à un rock'n'roll de haute énergie. Ils ne sont pas les seuls à l'époque, tout près d'eux Kiss et Aerosmith sont agités d'un même désir. Mais chez nos poupées de New York, c'est un peu différent. Ce n'est pas qu'ils soient les meilleurs du monde, la fougue supplée souvent à une véritable maîtrise instrumentale, même s'ils ne sont pas manchots, même s'ils délivrent des sets qui enthousiasment leur public. Les Poupées foncent droit devant, ont l'insolence de porter ce rêve fou de devenir les Rolling Stones américains. Faudrait pour cela un plan de campagne mûrement préparé et une major décidée à mettre le paquet ( de dollars ). Ils ne l'auront pas. Foncent droit devant, surfent sur l'écume du scandale, s'habillent en filles – étonnamment les partisans des théories du genre qui aujourd'hui font florès dans nos universités ne citent guère nos héros comme signes avant-coureurs de leurs analyses, il est vrai qu'entre les hégémoniques théorisations abstraites et le désordre existentiels des actes transgressifs il existe une différence essentielle. Celle qui sépare la fureur de vivre de la momification universitaire.

Rock'n'roll dévastateur, phantasmatasie sexuelle, les Poupées ne manqueront pas d'oublier le troisième terme de la trilogie. La dope sera présente dès le premier jour. Mais il est des serpents qui sont plus difficiles que d'autres à amadouer. Suffit qu'ils vous piquent pour que vous deveniez leurs esclaves. L'héroïne se révèlera incapacitante... Jusqu'aux Poupées le schéma de la réussite rock était simple : primo, vous étiez anglais et votre groupe perçait à un niveau national, deuxio vous cherchiez et trouviez la consécration aux USA. Les Poupées feront le chemin inverse. Ils partiront d'Amérique, dans laquelle ils n'ont obtenu qu'un relatif succès d'estime que les ventes de disques ne confirmeront pas, pour apporter la bonne parole en Angleterre. Y perdront leurs batteurs, Billy Murcia mort d'overdose, mais il y a pire, ils rateront leurs apparitions censées enthousiasmer les foules... Autant dire que la mort du groupe est désormais programmée. La déplorable tentative de Malcolm McLaren venu d'Angleterre pour prendre en mains les destinées de nos poupons n'y changera rien.

En 1975, Johnny Thunders et Jerry Nolan qui ont démissionné des Dolls forment the Heartbreakers. Ils recruteront notamment Richard Hell qui ne restera pas, plus tard il sera le leader de Television. Hell est une figure essentielle du mouvement punk new yorkais, mais l'osmose ne se fera pas, l'est trop intello pour Johnny et Jerry qui vivent le rock en quelque sorte à l'arrache sauvage. Les portes se referment devant le combo avec une telle régularité – la réputation dollique s'avère toxique – que le départ in the great-britain devient obligatoire. Le parallèle avec Gene Vincent et Eddie Cochran quittant quinze ans plus tôt l'Amérique pour l'Angleterre est des plus instructifs. Sur le sol britannique les Heartbreakers menés par Johnny Thunders font la différence. Les concerts de nos ricains apportent la preuve de leur supériorité rock'n'rollique. La route vers la gloire semble toute tracée. L'enregistrement de leur album LAMF en 1977 précipitera leur chute. Une malédiction absolue. Un chef-d'œuvre à placer tout en haut à côté de Fun House des Stooges et du Kick Out The Jams du MC5, un des grands albums du rock'n'roll, dont les géniteurs sont les premiers à être mécontents, le mixage ne les satisfait pas, il n'est pas à la hauteur de l'énergie que dégage le groupe, à tel point qu'il en existe de nos jours trois mixages différents – sur la préférence desquels les fans se disputent encore... pour la petite histoire la même mésaventure est arrivée au Raw Power des Stooges... Le mieux est parfois l'ennemi du bien... Les Heartbreakers se séparent en 1978... Non sans être passé d'abord par Paris. Nous retrouvons dans leur sillage une figure bien connue chez KR'TNT ! Patrick Renassia, actuellement patron de la boutique de disques et du label Rock Paradise. Lorsque le lézard du rock'n'roll vous a mordu, soyez sûr que le venin ne se dissipe pas de sitôt.

 

JOHNNY THUNDERS ET LA FRANCE

C'est ici que commence non pas le livre mais le sujet du livre. Ne surtout pas croire que Johnny Thunders soit un inconnu par chez nous. La vie et la dissolution des Dolls et des Heartbreakers ne se sont pas passées en pays lointains et en terres inconnues. Toute une partie de la jeunesse a suivi leurs chaotiques aventures depuis le commencement. Une minorité certes, mais active. De celles qui ont l'intuition de remettre les pendules du panthéon rock à l'heure. A la seconde près. Leurs disques ont été achetés, écoutés des milliers de foi, l'on connaît leurs faits et leurs gestes, et même dans les plus profondes provinces sont parvenues les échos des fastueuses parties qui ont suivi les concerts des New York Dolls à Paris. Un traumatisme. Durant une petite semaine la sensation que le phénix brûlant du rock'n'roll avait enfin daigné se poser de par chez nous. De la légende en train de se tisser sous nos yeux. Emerveillante car ce n'est pas un phénomène isolé, l'incendie du punk qui éclate en Angleterre avec les Sex Pistols cornaqués par Malcolm ''Coucou Me Revoilà'' McLaren, les brûlots qui proviennent des USA, tout le monde est conscient que l'on est en train de vivre des temps historiques. ( En plus l'Histoire nous donnera raison. ). Johnny Thunders bénéficiera jusqu'à la fin de cette aura. Quoi qu'il fasse, il restera pour beaucoup un héros. Malgré tous ses errements lui seront collés à jamais l'image et le rôle du survivant, et de l'initiateur de cette apocalypse heureuse et triomphale dont il aura été un des chevaliers blancs ( lisez un des démons les plus noirs ) essentiels.

Beaucoup trop de dope, pour Johnny. Où qu'il aille dans n'importe quel coin du Royaume-Uni les dealers l'attendent – voire le précèdent – chères tentations dont il ne peut se déprendre. Paris apparaît comme une terre d'asile qui lui procurera quelques mois de répit. Mais la loi du commerce est d'airain, le besoin appelle l'offre, et quand c'est la dépendance qui devient nécessité, les épiceries vous sont toujours ouvertes. Les courtiers sont à votre service. Vos désirs sont des ordres. Attention le crédit n'est pas illimité. Mais à Paris, question métier, Johnny trouve l'impossible que l'Angleterre refusait. Un noyau de fans et d'activistes qui lui resteront fidèles jusqu'au bout. Nous n'en nommerons que quelques uns. Marc Zermati, on ne présente plus le tenancier émérite d'Open Market et le créateur fou du label Skydog, qui eut pour premiers faits d'armes le courage de publier par exemple le Metallic KO de Iggy & The Stooges sur lequel personne n'aurait misé une demi-moitié de caramel mou avarié. Pour faire vite disons que Zermati à lui tout seul, grâce à son flair, ses connaissances, son esprit d'entreprise, et sa loyauté, c'est la moitié du rock'n'roll français. Sans compter toutes les mains tendues aux perdants magnifiques du rock américain... Avoir une maison de disques à ses côtés c'est bien, en avoir deux c'est mieux. La deuxième fleur du bouquet se nomme New Rose, de Patrick Mahé qui réussira le prodige d'éditer plus d'un millier de disques, alternatifs français et groupes cultes d'outre-Manche et d'outre-Atlantique, les Cramps et les Gories pour n'en citer que deux dument chroniqués par notre Cat Zenler kr'tntique... La vie eût été beaucoup plus difficile pour Johnny Thunders si les frères Taïeb ne lui avaient ouvert très régulièrement les portes du Gibus. Une affaire gagnant-gagnant, Thunders possède un public d'inconditionnels qui remplit la salle, et pour Thunders c'est la certitude d'une espèce de salaire fixe quasi mensuel, qu'il s'empresse de dilapider, sous forme de poudre blanche.

Johnny est accro, le public des tournées ( France, Pays-bas, Suède... ) le sait, et petit à petit s'instaure un jeu pervers et morbide, l'on ne vient plus écouter le guitariste prestigieux, mais l'artiste talentueux qui perd les pédales, qui est incapable de finir un morceau, qui se barre au bout de vingt minutes. Tout juste si vous ne demandez pas à être remboursé si vous avez droit à un Johnny en pleine forme. Johnny n'est pas un abruti. Des proches peuvent en témoigner, dix minutes avant de monter sur scène Johnny est clair comme de l'eau de roche, et sur les tréteaux il n'est plus qu'un canasson qui ne se rappelle plus de quel côté part la course. Vous voulez un camé, le voici. En parfait entertainer ( n'est pas américain pour rien ) Johnny endosse le rôle qu'on aime lui voir tenir... Un pro.

Ce n'est pas toujours le cas. Souvent il est vraiment parti pour de bon et parfois il le paiera très cher, son épouse lassée le quittera et lui interdira de voir ses enfants... L'on peut tout de même entrevoir au cours de ces treize années chaotiques se dessiner une tendance à se préserver. Il délaissera l'héroïne ce qui éloignera les dealers pour un traitement médical à la méthadone, et vers la fin il acceptera enfin un sevrage total. Nous sommes en 1990, ses amis sourient, Johnny est plein de projets, son prochain disque sera enregistré à la Nouvelle Orléans. Un étrange phénomène se passe, il va mieux mais son aspect physique se délabre, il a replongé mais ce n'est plus la poudre qui est responsable de ce teint cadavérique, blanchâtre, verdâtre, depuis combien de temps se trimballe-t-il cet empoisonnement du sang et pour appeler un chat un cat, cette leucémie... Il part seul, débarque à la Nouvelle Orléans, prend une chambre d'hôtel, dépose ses affaires, ressort, rentre tard dans la nuit en compagnie d'on ne sait qui. Font un beau potin. Et puis plus rien, le lendemain on le retrouve mort, sa guitare en morceaux... on n'en saura jamais plus. Le dernier gumbo.

Reste le guitariste. Johnny Thunders n'est pas un virtuose, n'est pas Hendrix qui veut, d'ailleurs il ne veut pas. Son style ce n'est pas l'éparpillement de milliers de notes, reste modeste, joue sur le pré carré de deux ou trois accords, son style évoluera d'ailleurs vers le blues, certes il sait jouer rapide, faire crépiter l'électricité, mais il sait aussi composer des ballades, et est aussi bon à l'acoustique. Son génie, réside en son toucher, l'a son son, reconnaissable entre tous, une façon de sortir son âme, quel que soit l'instrument sur lequel il joue, il le retrouve, immédiatement, sans effort ce qui exige une gymnastique mentale extraordinaire. Celui qui n'a jamais entendu écoutera d'abord So Alone ( électrique 1978 ) et Hurt Me ( acoustique 1984 ), et puis Que Sera Sera ( 1987 ) pour avoir une idée des voies divergentes que Thunders entreprit d'explorer.

En cette brève chronique, le projecteur n'a pas quitté Johnny. C'est profondément injuste. Thierry Saltet – l'écrit bien l'animal, l'a des passages qui sont de véritables poèmes en prose - évoque ( et donne la parole ) à de multiples personnages, notamment les musiciens d'ici qui l'ont accompagné. Les témoignages concordent, nous présentent un être attentif aux autres, aussi écorché vif que ses licks de Gibson, mais qui a construit ses propres murailles de défense. Orgueil, solitude et roublardise. Un artiste culte - au dix-neuvième siècle l'on parlait de poëtes maudits – un euphémisme pour dire que le succès n'était pas au rendez-vous. L'a pourtant tutoyé par deux fois. Mais son inconséquence ne lui a pas permis de le garder. Dans son dos, l'on ne se gênera pas pour le traiter de l'infamante expression d'hasbeen. Il ne s'est pas épargné lui-même, mais on ne l'a pas épargné non plus. Qu'importe, il reste un héros mythique du rock'n'roll au même titre que Gene Vincent, que Vince Taylor, un chemin de ronces et d'épines, l'a choisi de porter sa croix sans rechigner, sans jamais exiger de quelqu'un d'autre qu'il l'aide à porter son fardeau.

Le livre possède une autre qualité, en filigrane on peut y lire une histoire du rock'n'roll français, ce n'est pas le sujet mais le contexte s'y prête. Thierry Saltet ne mâche pas ses mots, dresse la liste des trahisons, des renoncements, des fausses excuses, ceux qui remisent le rêve dans leur poche et rajoutent un mouchoir par dessus pour qu'il ne s'échappe pas, une attitude peu rock'n'roll en totale contradiction avec la trajectoire de Johnny Thunders.

Nous terminerons sur le témoignage d'un fan, pas n'importe lequel, l'a déjà écrit dans Kr'tnt !, l'est une haute figure du tout Paris rock'n'roll, me disait avant-hier qu'il n'avait raté que deux concerts de Johnny au Gibus, Hubert Bonnard, qui raconte sa rencontre avec le roi Thunders lors du tournage de Mona et Moi de Patrick Grandperret sorti en 1989. Un instant de cocasserie émouvante, le pire c'est que cela ne nous est jamais arrivé. Ne nous arrivera jamais. Qu'emporterons-nous donc avec nous lorsque notre tombe sera creusée !

Damie Chad.

ROCKAMBOLESQUES

FEUILLETON HEBDOMADAIRE

( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

en butte à de sombres menaces... )

EPISODE 1 : LA CHASSE AU RENARD

( Vivace Mysterioso )

CONSEIL DE GUERRE

Pendant que le Chef réfléchissait et que Cruchette soulevait des tonnes de poussière dignes des Dust Bowls de l'Oklaoma, ne sachant trop que faire je saisis l'occasion de ce moment de repos pour commencer à réaliser un de mes vieux projets qui m'obsède depuis pratiquement le premier jour de ma naissance : laisser à l'Humanité un ouvrage destiné à traverser les siècles futurs afin que le souvenir impérissable de ma modeste personne ne soit jamais effacé de la mémoire des Hommes, c'est pourquoi en cette fin d'après-midi automnale j'entrepris la rédaction de mes Mémoires. Hélas, je n'en avais pas terminé la première ligne que le Chef convoqua toute affaire cessante une réunion de travail.

    • Mes amis, l'heure est grave – sur le champ Molossa cessa de mordiller son os, s'assit sur son séant et dressa ses oreilles – je résume la situation : le SSR se trouve en une position périlleuse, reconstitué par la volonté expresse du président de la République, il n'a étrangement reçu aucune directive, aucune lettre de cadrage. Situation étonnante qui nous indique que c'est à nous de mettre au point notre propre stratégie.

    • Chef, nous ne connaissons même pas l'ennemi que nous avons à combattre !

    • Agent Chad, ne soyez pas si impétueusement dérouté. Pendant que vous gribouilliez je ne sais quoi sur votre cahier d'écolier, j'ai élaboré, le plan d'attaque qui nous permettra de le débusquer. Désormais nous le désignerons sous son nom de code La Chasse au Renard, autant dire que nous allons jouer serré.

    • Superbe j'adore les jeux de société ! Tous les soirs avec Papa nous jouions aux petits chevaux !

    • Un jeu d'une pertinence infinie, Cruchette, voici les règles de celui-ci. Elles sont simples. Deux équipes : la A formée de l'agent Chad et de Molossa, tous les deux nous constituerons l'équipe B. Mais maintenant écoutez attentivement : voici le déroulement de la partie : le but du jeu consiste à faire sortir le renard de son terrier afin que puissions l'identifier et le neutraliser. L'équipe A sert d'appât. Voici pourquoi dans deux jours, mercredi matin à 6 heures exactement, l'agent Chad monte dans sa voiture et se rend chez Popol prendre son petit déjeuner. Celui-ci achevé, il reprend son véhicule et s'en va par monts et par vaux, se fiant à sa fantaisie et à son caprice. Il n'est pas seul, vous et moi, Cruchette, nous l'attendions à proximité de chez Popol, nous le suivons de loin, une filature discrète. Si mes déductions sont justes, le Renard viendra s'intercaler entre nos deux véhicules. Le repérer et le mettre hors-jeu ne devrait pas être très difficile. La partie sera gagnée !

LA CHASSE AU RENARD

Top chrono. Six heures pile. Molossa et moi nous nous engouffrons dans la teuf-teuf. Mon bol de Jack m'attend et Molossa salive en pensant à son steak tartare amoureusement préparé par Popol. A quoi tient la vie. L'impondérable évènementiel s'en vient parfois bousculer les plans les plus machiavéliques. Mais qu'est-ce que cette gerce, faut qu'elle traverse juste au moment où je brûle le seul feu rouge de Provins, je freine à mort, la teuf-teuf en crabe au milieu du passage-piéton, et la nana pas gênée qui ouvre la portière, qui s'empare du siège, déplie ses longues jambes et s'installe comme si elle partait en croisière. N'ai pas le temps d'ouvrir la bouche qu'elle se met à jacter :

    • C'est gentil de vous être arrêté, vous tombez bien, je suis pressée. Pouah quelle horreur, ça sent le rat musqué, ah oui je vois un chien pouilleux qui ronfle sur la banquette arrière, et vous par Sainte Suzanne, un rocker, qui se croit beau parce qu'il porte un vieux Perfecto dont je ne voudrais pas pour essuyer le pot d'échappement de ma voiture en panne. Démarrez donc espèce d'abruti, et tournez immédiatement à droite !

    • Désolé, pour moi c'est à gauche. Mon dèje m'attend chez Popol !

    • Ah ! Parce que vous fréquentez cet antre de dévoyés, ce nid de rebuts de la société, cela ne m'étonne pas de vous, en plus j'aimerais bien savoir quel autre établissement permettrait à la carpette qui pète placidement derrière nous de rentrer dans ses murs !

Elle commence à m'énerver salement la damoiselle. Elle a déjà de la chance que Molossa, d'habitude très susceptible, ne l'ait pas égorgée, je sens que je vais la virer illico de l'habitacle. Je la regarde une dernière fois avant de l'éjecter, mais diantre, elle a du style, grande, mince effilée, une moue de bourgette aguichante, une brunette à cheveux courts, genre intellectuelle dédaigneuse, un charme fou, pas mal du tout, et lorsqu'elle s'exclame d'une voix stridente, espèce de dégénéré, vous vous dépêchez de tourner à droite, je ne sais pourquoi je m'exécute sans tergiverser.

    • Direction Paris. On va à Saint-Malo, arrêtez tout de suite cette musique de sauvage, j'ai besoin de méditer moi si vous savez ce que verbe signifie, surtout ne m'adressez la parole qu'en cas d'urgence absolue.

Me suis concentré sur ma conduite. Derrière Molossa ne bougeait pas. De temps en temps je jetai un regard sur ma voisine. Mais elle s'était recroquevillée pour mieux me tourner le dos et faisait semblant de dormir. Ce n'est qu'une fois que nous filions sur l'autoroute de Normandie que je m'aperçus qu'en fait elle avait adopté cette position pour regarder dans le rétroviseur. Quarante minutes plus tard elle se tourna vers moi :

    • Cher rocker de pacotille, je me permets de vous annoncer que depuis une demi-heure nous sommes suivis de loin par une grosse voiture noire beaucoup plus rapide que votre tacot brinqueballant, évidemment, vous ne vous en étiez pas aperçu, que me proposez-vous ?

Je ne répondis pas. Elle n'avait même pas remarqué qu'une identique grosse limousine noire nous précédait depuis un bon moment. Nous étions en vue d'une bretelle de sortie, j'accélérai comme un fou, Molossa émit un bref aboiement approbateur, la teuf-teuf pulvérisa la barrière de paiement, trois cents mètres d'avance sur la grosse noire, c'était jouable, mais elle s'accrochait, au premier carrefour j'empruntai une petite route que mon instinct subodora sinueuse, des montées, des descentes, des tournants incessants, tout ce qu'il me fallait, je ne ratais pas l'occasion, un sentier caillouteux qui s'offrit à la sortie d'un double virage, invisible aux yeux de mes poursuivants, rétablissement à quatre-vingt dix degrés, moteur arrêté sur son élan la teuf-teuf emportée par son élan glissa sur la légère pente caillouteuse qui nous mena sous un bosquet d'arbres aux branches tombantes. Par la lunette arrière j'aperçus en une seconde la grosse limousine noire qui poursuivait imperturbablement sa route.

SUR LA ROUTE DE SAINT-MALO

Pas de temps à perdre, je braquais mon Glock sur la tempe de ma passagère :

    • Il serait temps de dévoiler tes batteries, d'abord ton nom, ensuite je veux tout savoir, pourquoi Saint-Malo, je t'avertis que quand Molossa a faim, elle fait disparaître un cadavre en moins de deux heures, ne laisse même pas les vêtements

    • Wouaf ! approuva Molossa en se léchant les babines.

    • Je m'appelle Marie-Odile de Saint-Mirs – sa voix ne tremblait pas et je reconnus le nom d'une honorable famille de la Cité Provinoise - mais enlevez ce joujou, vous risquez de vous faire mal. Je suis une artiste. C'est aujourd'hui le dernier jour où les concurrents qui participent à la Biennale des Arts Conceptuels de Saint-Malo, peuvent déposer leur œuvre. Le jury se prononce demain. Le premier prix est d'un million de dollars. Je suis sûre que la voiture qui nous suivait était celle d'un concurrent qui voulait m'éliminer. La compétition est féroce. Cette nuit l'on a crevé les quatre pneus de ma voiture. Voilà pourquoi je vous ai demandé si gentiment de m'emmener à Saint-Malo.

    • Mon nom à moi c'est Damie, mais arrête tes salades Marie-Odile, je ne vois aucun paquet susceptible de contenir ton projet artistique auprès de toi !

    • Damie, vous êtes pire que Saint Thomas qui ne croyait qu'à ce qu'il pouvait toucher. Si vous voulez-voir mon chef d'œuvre vous n'avez qu'à glisser votre main dans ma culotte.

Genre d'invitation que je ne me fais pas répéter deux fois ! Et hop je fourrai ma menotte droite dans son jean. Guili-guili en passant sur le nombril avec mon petit doigt et descente en plongée vertigineuse vers les portes du paradis. C'est à ce moment-là que mon index heurta une masse cylindrique, une belle barre, triple Jack ! ma passagère était donc un travesti brésilien...

    • Oui vous y êtes, saisissez-le, tirez doucement et remontez-le à la surface, lentement pas comme une brute de rocker.

Me suis retrouvé avec une espèce d'étui à lunette que Marie-Odile m'incita à ouvrir précautionneusement, avec délicatesse. A vue d'œil un parallélépipède en verre sur le fond bleu duquel étaient collées deux petites feuilles d'arbre effilées.

    • Evidemment, obtus comme vous l'êtes vous ne pouvez pas comprendre, Vikings est le thème du concours. Le bleu représente la mer infinie, et les feuilles la fragilité des esquifs de ces hardis marins qui n'hésitèrent pas à traverser l'océan sur ces coquilles de noix. Mais nous avons perdu trop de temps, reprenons la route.

A cinq heures moins dix, la teuf-teuf s'arrêtait devant le Centre d'Art de Saint-Malo. Une Marie-Odile radieuse en descendit alors qu'une meute de photographes se précipitaient vers elle :

    • Vous pouvez dégager Damie, je n'ai plus besoin de vous, et elle claqua la portière.

    • Je descends à l'hôtel des Dockers, là au bout de la rue, au cas où vous auriez besoin de moi ! à peine ai-je eu la présence d'esprit de lui crier par la vitre abaissée.

NUIT MALOUINE

Suis parti m'incliner sur la tombe de Chateaubriand – le plus grand des mémorialistes français – et suis monté dans ma chambre à l'Hôtel des Dockers. Molossa s'allongea au milieu du lit, et moi continuai à rédiger mes Mémoires. A deux heures du matin la porte s'ouvrit brutalement :

    • Vous ai enfin trouvé, quel boui-boui infâme, mais tous les autres hôtels sont bondés, je vous fais l'aumône de squatter votre niche.

Et Marie-Odile s'allongea toute habillée à côté de Molossa.

    • Ne faites pas ses yeux en ronds de frite Damie, il reste encore une place, sur le flanc gauche de votre bâtarde. Eteignez la lumière, et bonne nuit. Que sainte Ursule protège notre sommeil.

La nuit fut paisible certes. Je dormis comme un enfant de chœur, mais lorsque à neuf heures je m'éveillai, Marie-Odile avait disparu, c'était Cruchette qui dormait profondément à sa place.

A suivre

19/09/2018

KR'TNT ! 385 : ROBERT GORDON / THAT'LL FLAT GIT IT / ANSIAX / BETTER OFF DEAD / SABOTAJE / NUEVA GENERACION / ROBERT CRUMB / ROCKAMBOLESQUES ( 0 )

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 385

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

20 / 09 / 2018

 

 ROBERT GORDON / THAT'LL FLAT GIT IT

ANSIAX / BETTER OFF DEAD / SABOTAJE

NUEVA GENERACION / ROBERT CRUMB

ROCKAMBOLESQUES ( 0 )

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

16 / 09 / 2018 _ MONTREUIL

LA COMEDIA

ANSIAX / BETTER OFF DEAD

SABOTA  / JENUEVA GENERACION 

 

Retour à la Comedia depuis la grande invasion mongole des autorités de police et autres services de pressurisation des citoyens, le 19 juin 2018 dernier. Décidément le pouvoir n'aime guère les ZAD fussent-elles musicales. La meilleure défense s'avérant être l'attaque, La Comedia n'a pas choisi de rentrer dans un trou de souris mais au contraire d'arborer fièrement sa différence. Elle affiche cette dernière dès la façade, recouverte d'une immense fresque – nous pensons aux archéologues des siècles futurs chargés de l'exhumer pour les futures journées du patrimoine – qui claironne haut et fort qu'ici nous sommes en territoire zombie de survivance, n'en déplaise au monde entier. Au cas où vous l'auriez oublié une fois réfugiés à l'intérieur l'antre de survie, un autre panneau charivaresque – a work in progress comme disait Joyce – s'est déjà accaparé un des murs... Il est à craindre que cette lèpre contagieuse ne s'étende un peu partout et ne colonisât de ses entremêlements vertigineux vos plus horribles – ceux que vous préférez – cauchemars lovecraftiens. Au cas où vous voudriez en sonoriser les images, La Comedia a de quoi alimenter votre bande-son. Rien que ce soir, quatre groupes dont deux venus du fond de l'Espagne, de Murcia pour les esprits pointilleux qui aiment les localisations précises, car la pieuvre punk – cette bête infâme - pousse ses tentacules sur l'ensemble du globe terrestre.

 

ANSIAX

Ils viennent de Paris, même si leurs textes se drapent dans la langue de Quevedo. Ne sont que trois. Batteur, basse, batterie. Esteban Mesa, drummer fou, crawle des bras à croire qu'il est poursuivi par un banc de squales affamés. Dresse des éboulements de cathédrales sonores en perpétuelle renaissance. Ivan Kaballero la basse et Esteban Mesa à la guitare, ne chôment pas non plus sur les toits de chaume. N'ont pas le temps. Sont des adeptes de la mèche courte. Un bon explosif n'est bon que s'il explose vite. On s'en aperçoit dès les trois premiers morceaux, Cultura Transgenica, Hipocrita Moral, vous prennent de court, se finissent que avez eu à peine le temps de vous rendre compte qu'ils ont commencé, quant à Miseria, ils tombent encore plus vite la misère ne se jette sur les pauvres. C'est dire s'ils sont pressés que ça change. C'est le bassiste qui vous expédie le tout à la fronde vocale, il crache comme une vipère énervée, mai ce n'est pas fini, les trois morceaux suivants se teintent de réflexion philosophique, disons hainosophique, Basura Humana, Indetenible Decadencia, Falsos Intereses, je ne vous traduis pas, vous vous y reconnaîtriez trop, vous les dégoupillent à la torpille, au vocal scalp. Du coup l'ampli Marshall n'en peut plus, fait un AVC, pas d'inquiétude quand il n'y en a plus y-a-en encore, les copains de Better Off Dead leur passent leur tête, et c'est reparti pour la guerre des étoiles. Filantes. Tema Nuevo, et Programados s'achèvent en feux d'artifices, encore plus vite, encore plus fort – ils ont du temps perdu à rattraper - malgré les supplications il n'y aura pas d'extraballe. C'était leur deuxième concert, certes on peut leur reprocher la trop grande monotonie des morceaux mais ils ont l'essentiel, l'énergie d'un feu de ni dieu ni maître. Nous ne sommes pas anxieux pour leur avenir.

 

BETTER OFF DEAD

Du monde pour aider à débarrasser le matériel mais au final, ne sont plus qu'une. Il y a deux gars qui font du bon boulot à la basse et à la batterie, mais ils pourraient être mille que l'on ne s'en apercevrait pas. Car c'est une fille qui se colle à la lead guitar. On aura tout vu. L'aurait dû rester à la maison faire le ménage. Le problème c'est que le grand nettoyage elle va nous l'accomplir sur scène. Une guitare tonitruante en entrée ( en sortie aussi ) du genre à épousseter la poussière à la dynamite. Mais ce n'est pas le plus important. Son truc à elle, c'est le micro, une fois qu'elle s'y collée dessus, elle n'en bouge pas. Pas du genre à chanter un couplet et puis je respire un bon coup, un long moment, en faisant semblant de passer des riffs difficiles sur les cordes. Déjà elle joue d'une manière différente de tous les autres, ne bouge pratiquement pas les doigts, toute l'impulsion vient du poignet, c'est lui qui remue la main, dégomme et manivelle sec, vous crache de longues et serpentaires flammes riffiques et venimeuses qui balaient tout sur leur passage, mais revenons-en à son vocal, a peine a-t-elle ouvert la bouche que c'est parti pour ne pas s'arrêter, l'est aux lyrics et n'en sort plus, le texte devient incantation, se transforme en imprécation, se métamorphose en addiction, déboule comme une grande houle de tempête folle, un phrasé comminatoire qui vous fouaille les neurones et s'installe en vous comme les fibromes de la colère et du désespoir. Une Furie sous l'orange sanguine de sa chevelure, une Erynnie échappée de l'Île des Bienheureux où les dieux fourbissent leurs armes pour préparer le retour des grandes colères et des incendies monstrueux destinés à réduire notre monde déplorable en cendres fumeuses. Se surnomme Kroquette. Empoisonnée. La révélation subjuguante de la soirée. Elle porte le tatouage du corbeau noir sur son bras. Ceux qui ont lu Edgar Poe comprendront. Magnifique. Plus forte que la mort.

SABOTAJE

Encore une fille. Vanessa, à la batterie. Les filles sont partout, elles squattent le rock comme si elles étaient chez elles. En plus elles se défendent bien. Même que souvent elles attaquent. N'est pas toute seule, un garçon, Pau, avec elle, à la guitare. Ne sont pas là pour se chamailler mais pour faire du bruit. Une philosophie que tout le monde ne comprend pas. Il est pourtant facile d'entendre qu'il s'agit là d'une manière pas plus bête qu'une autre puisque les murailles du vieux monde ne se sont pas encore écroulées malgré des assauts de toutes sortes, alors pourquoi ne pas essayer avec les coups de boutoir des puissances sonores du rock and punk. Pau nous gave de clinquances électriques à faire sonner les oreilles et c'est dans ces plaques métalliques tintantes que Vanessa introduit la subtilité contrapuntique de sa frappe, à la technique du bélier qui fonce droit devant sans réfléchir elle préfère celle du levier qui s'introduit par-dessous, soulève et désarticule. Art du sabotage qui consiste à produire un maximum de nuisances avec des moyens minimaux. Dialoguent souvent des yeux, chantent tour à tour, Destruye, Infierno, Anarquia Circular, les titres s'enchaînent en une ronde infernale, il n'y a pas de point de fuite – No Hay Afuera – en ce bas monde, alors Vanessa tape sur ses toms comme vous vous frappez la tête contre les murs les jours de grande colère, cela fait mal mais cela soulage, et sur votre face contusionnée Pau passe la herse de sa guitare aux crocs de fer. Détruisez, détruisez, il en restera toujours quelque chose. Au moins un grand instant de plaisir.

NUEVA GENERACION

Les mêmes que les précédents. Je parle de l'état d'esprit. En plus adultes. Un tout petit peu plus âgés. Mais l'expérience vous procure une solidité évidente. Des quatre groupes de la soirée, ce sont les plus au point. Une grande cohésion. N'essaient pas de se précipiter pour passer la porte en premier. Tous ensemble, jouent collectif, ce qui est mieux pour des anarchistes revendiqués. Une fille au milieu à la basse posée là comme l'œil de l'ouragan. Un batteur qui galope tout devant, passe les obstacles sans ralentir le train, dégage la route pour faciliter l'assaut des copains. Je les ai adorés durant le sound-check. Imaginez une guitare méchante sur votre gauche. Violente. Brutale. Un hachoir, un couperet de guillotine. Le gars qui déteste qu'on lui raconte des histoires. Se contente de placer les explosifs méthodiquement. L'est pour les mise à feu efficaces. De l'autre côté, c'est tout différent, un son d'une splendeur inouïe, l'est pour l'emphase sonore, la beauté du geste compte pour lui tout autant que l'efficacité pour son alter ego. L'énergie domestiquée et l'ouragan romantique. L'union des contraires, me suis pris à rêver à ces nappes de feu à la New York Dolls. Ben non, une fois le groupe lancé, ils n'ont pas su réaliser l'alchimie prodigieuse, l'utilitarisme énergétique a pris le dessus, sûr que ça carbure sec et sans anicroche, rendement économique maximum. Mais z'ont oublié la beauté du geste, le plus esthétique qui sépare l'hominien de la bête, nous ont livré une machine de guerre impeccable, avec un moteur à explosion hydrogénique irremplaçable, une horloge d'une précision folle, un système de mise à feu à retardements et avancées modulables, mais le résultat n'a pas été pour moi à la hauteur du rêve qu'ils m'avaient fait entrevoir... Le public a adoré. Moi aussi, mais cette fois j'avais décidé de faire le difficile et l'enfant gâté.

Damie Chad.

 

HEROS DU BLUES

DU JAZZ ET DE LA COUNTRY

ROBERT CRUMB

( La Martinière / 2008 )

C'est dans le mensuel Actuel qu'au début des années soixante-dix toute une génération a découvert Robert Crumb. Il fut l'artiste de la Contre-Culture, qu'en France on préférait nommer Underground. Aujourd'hui par chez nous son œuvre la plus connue reste la pochette du premier disque de Janis Joplin avec Big Brother and the Holding Company, le fabuleux Cheap Thrills. Mais ce sont les aventures de la bande dessinée Fritz The Cat qui assirent en ces temps lointains sa renommée. Fit un peu comme La Fontaine : pour décrire les travers de l'homme il dessina des animaux. Mais il n'était pas un moraliste. Se contentait de décrire le milieu dans lequel il vivait : celui du mouvement hippie de San-Francisco, autant dire que l'univers du matou cynique était empli de sexe, de rock, et de drogue. Beaucoup de sexe, à tel point que les ligues féministes ne manquèrent pas de dénoncer à plusieurs reprises son idéologie disons cynico-utilitaristo-copulatoire de la gent femelle.

Le dessin n'est pas la seule passion de Robert Crumb. Il est un collectionneur émérite de disques. Pas n'importe lesquels. L'éprouve une passion inextinguible pour tout 78 tours des années vingt et trente, sa prédilection le porte vers le blues et les formations à cordes country. L'a même formé un orchestre dans le but de jouer old style en prenant soin que les instruments soient mal accordés... A l'origine les dessins réunis dans ce livre étaient destinés à être glissés dans les disques de Nick Perls qui s'était donné pour tache de rééditer des compilations de vieux disques de blues sur son label Yazou Records. Ils finirent par former trois séries de 36 Trading Carts vendues séparément, dédiées au blues, au jazz et à la country des commencements.

Les voici réunies en ce volume. A droite la reproduction couleur de la carte, sur la page de gauche une courte présentation des musiciens. Notons que les commentaires de la série Blues de Stephen Calt sont des plus sommaires, ceux de David Jasen consacrés au jazz sont plus importants, mais les plus instructifs ( et de loin ) sont dus à Richard Nevins qui s'est chargé de la country.

Pour les dessins je vous laisse juger par vous-mêmes, la première chose qui me choqua ce furent les magnifiques cravates - de véritables plumages de cacatoès – dont il a affublé les bluesmen, l'a dessiné à partir de photographies et divers documents d'époque, cela leur donne un air de faux-riches qui ne parviennent en rien à donner le change, mais le pire ce sont nos countrymen, leurs costumes du dimanche, même pas élimés aux manches comme le conseille Eddy Mitchell, ne font que souligner leurs airs de péquenots pouilleux qui sentent le purin et la bouse de vache. Les jazzmen sont les seuls à porter beau. Des frimeurs de la ville. Trop propres sur eux, un brin bravaches et arborant cette jovialité sérieuse des macs qui veillent avant tout sur leurs respectabilité morale.

Le livre est accompagné d'un CD qui est une véritable invitation à redécouvrir la musique des années vingt. Bientôt un siècle, cela ne nous rajeunit pas.

LES HEROS DU BLUES

MEMPHIS JUG BAND : On the road again : musique de danse, guitare, kazoo, mandoline et chants étonnamment très proches d'un phrasé rock'n'roll sur cette piste, sur un rythme entraînant, que l'on ne se trompe pas le MJB n'a rien d'un orchestre symphonique, les jugs, ces fameuses cruches de terre dans lesquelles on soufflait ne sont pas sans évoquer les essoufflements d'un duo de tubas, cette musique reste celle des rassemblements festifs, de la prostitution, du monde interlope des nuits chaudes de Memphis. Will Shade dirigera le MJB, le personnel variera mais proviendra systématiquement des cadors des nombreux groupes de jugs si nombreux entre 1925 et 1935. BLIND WILLIE McTELL : Dark Night Blues : c'est du tout doux, la guitare à douze cordes chantonne, la voix enrouée comme un chaton transi de froid, de la ruralité mais élégante, malgré quelques marmonnements souterrains. Willie fut chanteur de rue, un insaisissable pérégrin monomaniaque du blues, il enregistra sous plusieurs noms, trente pas en dehors du delta, ce n'est pas un hasard si Dylan écrira un morceau qui porte son nom en son honneur. Si les espèces qui survivent sont celles qui offrent le plus grand nombre d'individus déviants, l'on comprend mieux les différentes métamorphoses du blues à partir d'artistes aussi versatiles que Mc Tell. CANNON'S JUG STOMPERS : Minglewood Blues : moins réputé que le Memphis Jug Band mais un chaînon essentiel de la musique populaire américaine, le banjo de Jim Cannon – diabolique égrenage de notes qui pourrait rivaliser avec une batterie – n'y est pas pour rien, la guitare de Ashley Thompson Lewis non plus, mais nous retiendrons surtout Noah Lewis dont le jeu fonde l'harmonica moderne, tous les souffleurs qui suivent lui doivent beaucoup même si certains ignorent jusqu'à son nom. Le banjo sonne à la manière des grêlons sur un toit de tôle, un harmonica résolument moderne, étonnamment rythmique et mélancolique à la fois. Enregistré en 1927. SKIP JAMES : Hard Time Killin' Flour Blues : encore un navigateur des chemins terrestres qui a eu Memphis pour centre de gravité. Des accords de guitare cristallins mais sombres comme la mort avec par-dessus une voix de tête bousculée des émotions et des affres de la vie. Il sera redécouvert au début des années soixante notamment par Henry Vestine de Canned Heat. Son influence sur le british blues sera importante, la reprise de I'm so Glad par Cream en témoigne. Le rythme est lent, le vocal comme un poignard qu'un ennemi enfonce lentement dans votre dos, pour que vous sachiez que solitude et désespoir sont vos seuls compagnons. Enregistré en 1931. JAYBIRD COLEMAN : I'm Gonna Cross the River Jordan Some of these Days : natif d'Alabama, mobilisé dès 1914 il restera stationné sur une grande base militaire en Alabama, il s'y fait surtout remarquer par son indocilité. A l'armée il préfère l'harmonica qu'il pratique depuis l'âge de douze ans. Il touche à tout, aux chansons traditionnelles, au blues et au gospel, et passe deux ans au Rabbit's Foot Minstrels, chaîne de théâtres noirs qui proposait un mélange de genres et de numéros fortement entachés de variété – une pépinière qui servit de lancement à beaucoup de vedettes noires notamment la grande Ma Rainey - où il rencontre Big Joe Williams. Une entrée d'harmonica qui vous vrille les tympans et la voix qui articule sourdement comme un prêche de pasteur. C'est bien beau de louer Jah mais s'en aller taper à la porte du paradis n'a pas l'air marrant. Mélopée funèbre pour veillée des morts. Enregistrée en 1927. CHARLEY PATTON : High Water Everywhere : on ne le présente plus. Il est la première blues-star de la première génération des bluesmen du Delta. Il a tout synthétisé, il a tout inventé, cette manière d'user de la guitare et de la voix comme si elles n'étaient qu'un seul instrument. Un des plus grands artistes de l'ensemble de la musique populaire américaine. Tous styles confondus. Un vocal torrentueux qui emporte tout et une guitare qui reste insensible à tous les malheurs de la terre. Un cri cru de crue et de cruauté. FRANK STOKES : I Got Mine : serait-ce lui qui jouait le premier blues qu'entendit alors qu'il attendait le train et dont s'inspira W.C. Handy pour composer Memphis Blues, le premier blues dument composé, la légende serait trop belle... Ce n'est pas un hasard si son image a été choisie pour couverture du bouquin. Frank Stokes écume Memphis et ses alentours dès avant 1920. Il influença notamment Gus Cannon qui est lui-même considéré comme un précurseur. Certains le font naître en 1870, mais on ne prête qu'aux riches. C'est lui qui établit la synthèse des chants ruraux du Delta avec la charpente rythmique des ragtimes et les chants traditionnels des songsters. Dans les années 20 on le retrouve lors de medecine shows en compagnie de Jimmie Rogers, folksongs, blues et country proviennent des mêmes racines. Le vocal revendicatif plus coupant que la guitare doucereuse de l'ouate fabriquée avec le coton des plantations. Enregistré en 1928. L'a eu l'honneur de la couverture du bouquin.

LES PIONNIERS DE LA COUNTRY

'' DOCK'' BOGGS : Sugar Baby : il s'agit ici d'un des morceaux fondateurs du country blues et de la musique folk, enregistré en 1928. Le banjo court comme des pattes d'araignée et Dock chante imperturbablement comme s'il s'était mis une pince à linge sur le nez. Définitivement plouc du Kentucky. Un intraitable qui ne pactise jamais. SHELOR FAMILY : Big Bend Gal : le groupe est composé des membres des familles Shelor et Blackard ce qui explique que les quatre uniques morceaux aient été enregistrés en 1927 sous le nom de Dad Blackard's Moonschiners. Ce titre joyeux influença autant la country music que le blue grass. Musique de bal et de fête dans lequel on se plaira à entendre les racines les plus blanches de la racine populaire américaine, une oreille attentive décèlera sous l'entrain du violon la structure du menuet de la musique savante européenne. HAYES SHEPHERD : The Peddles and his wife : thème typiquement country que ne renierait pas Johnny Cash qui nous relate une pendaison dans le Comté d'Harlan qui se trouve dans le Kentucky comme personne ne l'ignore. Le banjo crépite à la manière d'un feu de joie. La voix vous relate cela avec une joviale imperturbabilité qui fait froid dans le dos. Hayes a aussi enregistré avec Dock Booggs et Gene Autry. CROCKETT'S KENTUCKY MOUNTAINEERS : Little Rabbit : Dad Crockett et ses cinq enfants ( banjo, guitares, violon ) n'ont pas enregistré cela au Kentucky mais en Californie. Musique pour danser, sarabande de cordes, samedi soir sur la terre. N'en demandez pas plus, vous êtes dans l'antichambre du paradis. Peut-être est-ce le diable qui tient le violon. BURNETT & RUTHERFORD : All Night Long Blues : la pince à vélo toujours sur le nez, pas très bluesy, le violon de Leonard trop guilleret pour cela, même si la voix nous conte la mélancolie du pauvre gars éloigné de chez lui. Nos deux compères ont écumé les salles de bal durant près de trente-cinq ans. EAST TEXAS SERENADERS : Mineola Rag : n'ont enregistré que 28 morceaux, orchestre à cordes avec violoncelle. Ambiance très western, irrésistiblement m'évoquent je ( ne ) sais pourquoi les premiers films de John Wayne. Un savant mélange de valse et de rag. Le succès fut au rendez-vous de nos cinq cowboys. Dans le genre Allons guincher Colinda nos Serenaders et leurs airs de péquenots endimanchés qui jettent les bases du western swing remportent la palme. Aisément. WEEMS STRING BAND : Greenback Dollars : on ne prend pas les mêmes mais on recommence, jouent légèrement plus rapidement que les précédents, le banjo rajoute une goutte de sang noirs chez nos gaziers du Tennessee. Eux aussi ont un violoncelle mais en prime vous avez cette voix qui lance la danse au début, modulée comme un aboiement de chien. Dommage qu'elle rejoigne sa niche et qu'elle n'en sorte plus.

 

LES GRANDS DU JAZZ

BENNIE MOTEN'S KANSAS CITY ORCHESTRA : Kater Street Rag : enregistré en 1930, un des tout premiers grands orchestres, alliance subtile entre la musique de cirque et le charleston, un beau solo de trombone et Bennie Motten qui prend la relève au piano. Idéal pour accompagner les vieux films d'époque sautillants. Bennie aida beaucoup à développer l'idée de structures riffiques même si cela n'apparaît pas dans ce morceau où est privilégié la succession des différents chapitres de l'orchestre tout en douceur. Un sacré arrangeur Bennie. KING OLIVER'S CREOLE JAZZ BAND avec Louis Armstrong, Johnny Dodds, Lil Hardin : Sobbin' Blues : enregistré en 1922 à Chicago, nous sommes au tout début du jazz, qui est une affaire de passage de témoins et de succession, C'est Kid Ory, fabuleux tromboniste – nous lui avons consacré la présentation de deux CD - qui donna sa chance à Oliver, qui lui-même embaucha un jeune cornettiste nommé Louis Armstrong lequel plus tard épousa Lil Hardin dont l'œuvre est à redécouvrir... le Creole Jazz Band explosa dès 1924 pour dissensions musicales... King Oliver cré alors les Dixie Syncopators avec Kid Ory et Johnny Dodds à la clarinette. Par rapport au morceau précédent l'on remarque comme un assagissement, les solos s'étendent plus langoureusement laissant aux solistes l'occasion de peaufiner une expression davantage personnelle en rupture avec une virtuosité gratuite. Toutefois l'ambiance festive New Orleans domine encore. PARHAM-PICKETT APOLLO SYNCOPATORS avec Tiny Parham & Junie C. Cobb : Mojo Strut : Tiny Parham a travaillé en ses débuts à Kansas City avec Jack Scott pianiste émérite de ragtime. L'on trouve dans ses turbulents Syncopators Edmond Duff à la clarinette, J.D. Gray aux drums, Charles Lawson au trombone, Leroy Pickett au violon et Booker Winfield, musique un peu tonitruante qui s'amuse avec les effets de rupture et en oublie quelque peu les nuances. Pas étonnant si plus tard Tiny et son piano se spécialiseront dans l'accompagnement des films et des pièces de théâtre. Recherche l'effet et le soulignage. Cette formation n'a enregistré que deux titres en 1926. FRANKIE FRANKO & HIS LOUISIANIANS : avec Ernest Punch Miller : Somedy Stole my Gal : Encore uniquement deux titres enregistrés en 1930 par ce combo de François Moseley le fameux Frankie batteur et chef de groupe avec Leon Washington et Fred Howard aux sax, Bill Helcoid au tuba, Charles du Gaston au banjo, Zinky Cohn au piano, Ed Burke au trombone et Ernest Punch Miller au vocal. Une imitation de Cab Calloway un peu bâtarde qui louche vers la variété, gros défaut que l'on oublie vite car les musicos cartonnent. CLARENCE WILLIAM'S BLUE FIVE : avec Sidney Bechett : Wild Cat Blues : attribuée à Clarence Williams présent sur 21 des 28 morceaux enregistrés. En fait il s'agit de sessions regroupant les meilleurs musiciens du moment, Louis Armstrong et Fletcher Henderson y participèrent, mais ici c'est Sidney Bechet qui est mis en évidence. Un peu trop gentillet à mon avis, des relents de fox-trot. Le chat miaule mollement. Enregistré le 30 juillet 1923. JELLY ROLL MORTON'S RED HOT PEPPERS : Kansas City Stomps : le pianiste fastueux originaire de la Nouvelle Orleans que l'on ne présente plus. C'est surtout d'après nous le trombone de Kid Ory qui domine ici, Jelly Roll se contentant d'interventions pianistiques en retrait par rapport à tous les autres instruments qui se la donnent gaiement, pourtant la modestie n'était pas son fort. JIMMY NOONE : King Joe : on retrouve ce clarinettiste du début du jazz partout, aux côtés de Johnny Dodds, de Sidney Bechet, de Freddie Keppard, de King Oliver, d'Earl Hines et de Kid Ory... il est ici accompagné par son Apex Club Orchestra, l'Apex était un club de Chicago qui reçut en 1930 la visite des agents fédéraux chargés de la lutte contre la prohibition... King Joe fut enregistré le 25 Août 1928. Trompettiste et cornettiste de génie on retrouve Jimmy Noone partout, aux côtés de Johnny Dodds, de Sidney Bechett, de Freddie Keppard, de King Oliver d'Earl Hines et de Kid Ory. Qui d'autre que lui aurait pu métamorphoser cette bluette en feu incendiaire couvant sur la cendre. Incidemment vous n'irez pas cherché plus loin d'où Charles Trenet a sorti son phrasé personnel. Serait-ce Joe Poston qui chante ? Autre titre de gloire de Jimmy Noone, c'est sur une de ses improvisations que Ravel composa son célèbre Boléro. Entre la musique populaire et la musique savante, le fossé est-il si grand que cela ?

Damie Chad.

 

 

ROCKAMBOLESQUES

FEUILLETON HEBDOMADAIRE

( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

en butte à de sombres menaces... )

 

PREAMBULE O

( Scherzo Moderato )

 

CHEZ POPOL

Six heures du matin. Molossa trottine à mes côtés. Lecteurs ne soyez pas étonnés de cette heure matinale, les rockers ne dorment jamais. Je me dirige vers chez Popol, le seul café digne de ce nom sur Provins. Pensez que le verre de Jack est à deux euros et que Popol ne mégote pas sur la quantité, vous en verse des godets de 33 cl sans ciller. Vous connaissez mon désintéressement légendaire, je ne saurais m'attarder à de matérielles considérations si bassement économiques. D'ailleurs chez Popol, pour moi, tout est gratuit, ce serait insulter Popol que j'osasse lui tendre un centime.

FLASHBACK

Ce jour-là personne ne mouftait. Profil bas sur toutes les tables. Même Popol tirait une gueule d'enterrement. L'était sûr de son coup, l'Inspecteur Divisionnaire des Douanes. Vous connaissez, cette arrogance du fonctionnaire qui sait qu'il a le droit et la loi de son côté, le médiocre resplendissant, qui ne se sent plus pisser, qui pérore à n'en plus finir afin de savourer son triomphe. Il a le verbe haut et péremptoire :

    • Monsieur Popol, si vous me permettez je passerai de l'autre côté du bar, juste pour vérifier les étiquettes de vos bouteilles, n'ayez crainte, je suis absolument certain que vous êtes un honnête commerçant, je vous rassure, ce n'est-là qu'un contrôle de routine, que je pressens inutile, si ça ne tenait qu'à moi je m'en abstiendrai, mais un petit fonctionnaire comme moi ne peut qu'obéir aux ordres venus d'en haut, pardon, excusez-moi...

Silence de mort dans le bistrot. Monsieur l'Inspecteur Divisionnaire des Douanes est maintenant de l'autre côté du comptoir. Il s'extasie devant l'étagère des verres propres :

    • Félicitations, Monsieur Popol, si j'étais inspecteur de l'hygiène je ne pourrais que vous signer une attestation ad hoc. Quelle brillance ! Quelle limpidité ! Quelle transparence ! Plus que de la méticulosité, de l'amour, oui de l'amour, Monsieur Popol vous êtes un poète de l'essuyage, je vous félicite, je m'incline... ah mais j'oubliais, je suis venu pour le Jack, quelle étrange bouteille Monsieur Popol, et ces caractères étranges, je n'en ai jamais vu de pareils... mais si, suis-je distrait ! Pas plus tard que hier soir, sur l'autoroute, le camion arrêté avec sa cargaison de... attendez le chauffeur prétendait qu'il transportait du Moonshine Polonais, je suis désolé Monsieur Popol, mais je crois qu'il va falloir que vous fermiez votre café tout de suite et que vous me suiviez sans rémission.

Monsieur l'Inspecteur Divisionnaire des Douanes jubile. Il aperçoit déjà sur son bureau le message de félicitation envoyé par le Ministre avec l'annonce de la promotion et celle de la médaille. Il a bien mérité de la patrie. Il est sur un petit nuage rose. Et sur un petit truc noirâtre qui dépasse de sous le comptoir. Molossa déteste que l'on marche sur son appendice caudal, ce n'est qu'une brave bête, un animal aux mœurs primitives et aux réflexes impulsifs, ses dents déchirent le mollet de Monsieur L'Inspecteur Divisionnaire des Douanes, elle en arrache la chair et ses dents cisaillent le faisceau veineux et artériel du fonctionnaire, le sang gicle comme d'un tuyau d'arrosage, le malheureux s'enfuit en hurlant, sous les rires, les huées et les applaudissements de la clientèle. Popol offre une tournée générale de Moonshine Polonais, Molossa est caressée, fêtée, félicitée, papouillée, embrassée...

Au bout de la rue les pompiers ramassent le corps pantelant de Monsieur l'Inspecteur Divisionnaire des Douanes, on ne le reverra plus chez Popol, quand par erreur il passe devant l'établissement, malgré sa prothèse et sa canne il s'enfuit en courant. Ne le plaignez pas, il a été contacté par Handi-Sport pour participer aux Jeux Olympiques.

RETOUR A LA TERRIBLE REALITE

Ne suis pas assis depuis deux minutes sur la terrasse qu'un autre client arrive. Une cliente pour être précis. Toute jeune certes, mais pas vraiment une beauté incandescente. Le plus terrible c'est son visage qui transpire la bêtise. Que voulez-vous, certaines personnes ne sont pas aidées par la vie, le monde est parfois cruel. Choisit la place juste à côté de la mienne. Son visage s'éclaircit dès qu'elle aperçoit Molossa qui roupille à mes pieds.

    • Quel joli chien-chien ! Qu'il est mimi ! Puis-je le caresser Monsieur ?

    • Sans problème, mais c'est une chienne, elle s'appelle Molossa

    • Quel nom charmant ! Moi c'est Cunégonde Kruchet, mon Papa m'a toujours dit que ceux qui aiment les chiens ne sont jamais méchants !

    • Votre père a raison, vous lui transmettrez mon salut dès que vous le reverrez, dites-lui que je loue fort sa sagesse...

    • Hélas, Monsieur, Papa est mort, voici à peine huit jours...

    • Je vous prie de m'excuser Mademoiselle, vous devez avoir bien du chagrin, vous et votre mère qui...

    • Non Monsieur, ma mère est décédée quand j'avais cinq ans... Désormais je suis seule au monde, et je suis venue à la ville pour chercher du travail...

    • Mademoiselle – c'est Popol qui surgit fort à propos le plateau à la main – je vous apporte un café comme hier matin, je me suis permis d'ajouter un croissant de la veille que je vous offre.

Et Popol s'éloigne sans attendre de remerciement. C'est un pudique Popol, l'a le cœur aussi gros que le calibre qu'il dissimule sous son tablier. Le visage de Cunégonde Kruchet s'éclaire d'un large sourire, mais déjà Molossa s'est assise tout près d'elle et darde sur la jeune fille son regard suppliant d'ange ( exterminateur ), je connais la suite de l'histoire, peux vous en résumer le scénario, la Cunégonde sa viennoiserie elle va lui passer sous le nez, dans trois minutes elle sera bien au chaud dans le gouffre insatiable qu'est l'estomac de Molossa. Mais non, ça ne se passe pas comme prévu. La Cunégonde a beau lui fourrer la pointe du croissant sous le museau, Molossa est devenue de marbre, les yeux mi-clos et la truffe au vent. L'imminence d'un événement invisible est certaine. Tous mes sens sont aguets, je le sens l'heure est grave, décisive même, mais, mais, mais, je connais cette odeur, Molossa aussi, sa queue frétille de gauche à droite, non d'un triple Jack, c'est la fragrance caractéristique d'un Coronado 45 !

ON THE ROAD AGAIN

Trois ans que nous ne nous étions pas revus. Depuis l'affaire des Chroniques Vulveuses, nous tombons dans les bras l'un de l'autre, mais le Chef n'est pas un sentimental :

    • Agent Chad, hum, en galante compagnie à ce que je vois, va falloir surseoir à ce genre d'agissements grivois, vous reprenez du service immédiatement. Le SSR a besoin de vous.

    • Chef arrêtez vos plaisanteries, vous savez bien que le Service Secret du Rock'n'Roll a été démantibulé définitivement en de tragiques circonstances, mais quel plaisir de vous revoir et de parler du bon vieux temps, asseyez-vous, je vous présente Cunégonde Kruchet qui justement s'apprêtait à partager son croissant avec Molossa !

Le chef s'est assis et me regarde avec commisération. Il tire longuement sur son cigare, exhale lentement un nuage de fumée noire à la manière des antiques locomotives à vapeur, rien qu'à la manière dont il tapote son Coronado 45, je sais que les minutes qui vont suivre seront lourdes de conséquences :

    • Agent Chad, peut-être ne le savez-vous pas, mais depuis l'année dernière le pays a changé de Président. Le nouveau venu s'est étonné de l'absence d'un SSR – les Amerloques, les Anglais, et même les Russes en ont un, mais pas la France... Bref après d'infinies tractations le service est reconstitué, avec des moyens ridiculement bas, mais ce n'est qu'un début, c'est à nous de faire nos preuves.

    • Chef, c'est merveilleux et incroyable !

    • Agent Chad, vous ne serez jamais un stratège de la plus haute métapolitique, si seulement vous pouviez avoir le tiers du quart de la finesse de votre chien, certes c'est incroyable, mais c'est surtout inquiétant... Mais nous en reparlerons. Je sors de l'Elysée, j'ai récupéré la clef des nouveaux locaux, nous partons immédiatement en prendre possession, il est temps de reconstituer le service.

    • Pardon Monsieur le Chef – c'est la voix mal assurée de Cunégonde qui s'élève - je n'ai rien compris à votre conversation, il me semble que vous recrutez du personnel, cela tombe bien, je cherche du travail et...

    • Mademoiselle Cunégonde Kruchet je ne doute pas que nos Services n'auront qu'à se féliciter de votre collaboration, à partir de cette minute, considérez-vous comme un agent en action du SSR. En piste !

 

LES NOUVEAUX LOCAUX

Le chef m'étonnera toujours. Pourquoi avoir embauché cette pauvre gourde de Cunégonde dans un service secret ? D'autant plus que pendant que je conduis, le Chef est tout miel tout sourire, se désole de la disparition de ses parents, lui attribue l'affectueux surnom de Cruchette, et lui vante les mérites du Coronado 45, le seul que Napoléon consentait à fumer avant de livrer ses grandes batailles, et le fait historique qu'à la veille de Waterloo, l'intendance n'avait pu lui en fournir à cause du blocus de ces satanés anglais...

Vous comprendrez que pour raison de sécurité je ne vous dévoile pas l'endroit exact des nouveaux locaux. L'immeuble situé dans un quartier périphérique parisien n'est guère reluisant. Pas d'ascenseur pour parvenir au dix-septième étage. A première vue il est inhabité. Quand nous poussons la porte du grand meublé ( cinq pièces exigües ) pour famille nombreuse , Cruchette ne peut retenir un cri de détresse :

    • Quelle horreur, trois centimètres de poussière, personne n'est rentrée ici depuis au moins dix ans, je passe illico un coup de balai et je fais la poussière sur le champ !

Pendant que Cruchette s'affaire, le Chef et moi, improvisons un bureau avec la table de la cuisine. Le chef paraît méditatif, mais une fois qu'il a débarrassé le tiroir de ses couteaux et de ses fourchettes pour y ranger sa provision de Coronados, il retrouve son allant, sort de sa poche un petit boîtier rouge qu'il branche à la prise du téléphone – la liaison directe avec l'Elysée m'indique-t-il – le chef se frotte les mains, la première réunion de travail peut commencer, mais il n'a pas fini d'allumer un Coronado 45 que Cruchette l'interrompt dans cette tâche qui exige concentration et subtilité :

    • C'est sale, mais au moins nous n'aurons pas de moustiques. Les derniers locataires avaient mis des pastilles partout, regardez j'en ai retrouvé une bonne trentaine, elles ne sentent plus, il faut les jeter, elles ne valent plus rien.

    • Certainement Cruchette, débarrassez-vous en dans le vide-ordure sur le pallier – Cruchette toute fière se hâte de remplir cette nouvelle mission, le Chef se tourne vers moi - des micros ultra-sensibles, Agent Chad, l'affaire s'avère beaucoup plus dangereuse que je ne le pensais, je vous le certifie, la survie du rock'n'roll n'a jamais été aussi compromise en notre pays. Nous sommes au centre d'une machination infernale, il est temps que j'allume un nouveau Coronado.

       

( A suivre. Episode 1 : Allegro Mysterioso )

 

12/09/2018

KR'TNT ! 384 : KID CONGO / LUCKY BULLETS / HAYRIDERS / WISE GUYZ /CAT LEE KING & HIS COCKS / MARY SHELLEY / CRASH MIGHTY / DÄTCHA MANDALA / MONSIEUR VERTIGO

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 384

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

13 / 09 / 2018

KID CONGO / LUCKY BULLETS

HAYRIDERS / WISE GUYZ

CAT LEE KING & HIS COCKS

MARY SHELLEY / CRASH MIGHTY

DÄTCHA MANDALA / MONSIEUR VERTIGO

TEXTE + PHOTOS SUR :  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Congo à gogo - Part Two

 

Sans doute ce jour-là Kid Congo avait-il décidé de régner sur la terre comme au ciel, car tel fut le cas. L’apparition se produisit à Binic en l’an de grâce 2018, un 29 août, pour être tout à fait précis. Kid Congo ne prit pas l’apparence d’une vierge translucide comme on serait tenté de le croire, mais celle d’un homme en froc noir et plastron blanc, perruqué de gris et le visage abondamment badigeonné de poudre de riz saumonée. Il en avait tant mis qu’elle barbouillait le blanc du plastron et le fil d’argent du nœud pap. Il s’était en outre généreusement charbonné le tour des yeux. Il semblait sortir d’un film fantastique de l’âge d’or du cinéma muet. Typiquement Lon Chaney dans Le Fantôme de l’Opéra. Nous en étions là. À vibrer de mille frissons. Glagla à gogo. Shaking in Brazzaville with the Congo beat. L’entourait la fière équipe habituelle des Pink Monkey Birds, Kiki on beiss, the tattoo beast Ron Miller on drums, et Marc Cisneros à la pure excellence guitaristique.

Lorsque se produit le schisme psychique d’une apparition surnaturelle, il faut un temps d’adaptation qu’on estime variable selon les cervelles. Il dure en moyenne le temps d’un cut, mais avec «Coyote Conundrum», la foule entière tomba comme un seul homme dans l’escarcelle congolaise - We’ll have a good time/ And we want it to be real - Alors évidemment, la partie était gagnée d’avance, d’autant que Kid Congo lâchait son manche de guitare pour danser le jerk des catacombes, les bras en télescope, la bouche ouverte et les yeux fixés sur le néant. Tout bascula aussitôt dans l’extraordinarité des choses, dans un univers dont personne ne soupçonnait l’existence. Kid Congo grimaçait en développant les chevaux vapeur d’une infernale machine à rocker, du type Cramps ou Gun Club, mais en plus congolais, voyez-vous, en plus surnaturel. Il mettait un joli point d’honneur à enfoncer les clous du beat dans l’inconscient collectif, mais personne n’éprouvait de la douleur sous les chocs, bien au contraire. Un vent de génie subliminal caressait cette houle de crânes qui clapotait au pied de la scène - We’ll have a fine time/ And we want to make you feel - Jamais plage ne vit d’aussi beau spectacle. Kid Congo malaxait le beat dans sa bouche immense - We got a comb bomb/ L’amour toujours l’amour - Oh mais quelle débauche de real good time ce fut-là ! On plaignait sincèrement les absents. Kid Congo embrasait tout à la fois, la plage, les mouettes, les crabes et les imaginaires. Il reprenait le Théâtre de la Cruauté là où Artaud, les Cramps et Tav Falco l’avaient laissé. Kid Congo avait compris comme Lux avant lui qu’il fallait viser l’absolu surnaturel. Et ses cuts qui semblaient si mécaniques sur ses albums solo prenaient soudain des proportions alarmantes de démesure, comme ce «Magic Machine», à la fois infernal et dansant, monté sur le plus binaire des riffs, mais I am drug today sonnait si bien les cloches et I am love today secouait si bien les paillasses qu’on en tombait littéralement en pâmoison. Que pouvait-on faire d’autre que de se pâmer devant un tel beat turgescent ? Rien. Absolument rien. Kiki introduisit «Ricky Ticky Tocky» dans la vulve offerte d’un beau dimanche estival. Ça palpita intensément, Kid Congo nous jouait le rock des reins, les bras en l’air et la bouche tordue, ouverte sur les abysses de ses profondeurs organiques. Qui aurait pu se lasser d’un tel spectacle ? Personne. Il allait encore crucifier quelques hits golgothiques comme «Chandelier» et déclencher des pogotages historiques. On vit même flotter à la surface de la houle de crânes des fauteuils roulants. Les apparitions se multipliaient. On se serait cru sur le radeau au moment où Aguirre croise le vaisseau échoué au sommet d’un très grand palétuvier. Mais tout ceci prit des proportions encore plus babyloniennes avec l’hommage tant attendu aux Cramps. Cette brute sublime nous fit le coup de la doublette fatale avec «New Kind Of Kick» et «Can’t Find My Mind». Tout explosa en mille morceaux, le ciel rougît et le souffle emporta tous les suffrages. Kick roula comme un fleuve en crue, charriant les veaux, les vaches et les cochons, les désirs et les aspirations, les notions de passé et de futur, le fleuve emportait tout, l’instant comme le temps, l’instinct comme l’autant, l’ara comme l’oracle, le fleuve de Kick emportait les barrages et les deltas du Mekong, oui, Marguerite aurait dansé à la barrière et stompé son Pacifique, et ce congolais juju-gulaire qui orchestrait cette prodigieuse avanie se permettait en plus de screamer ses fins de couplets avant de revenir dans sa clé de sol. Sans doute-était-il tellement ravagé par le génie qu’il ne s’en rendait même plus compte, son corps désarticulé par le jerk des catacombes appartenait alors aux astres qui plutôt que de s’aligner pour ramener la paix sur la terre, dansaient à cause de lui la plus sauvage des carmagnoles. Tous les crampologues présents sur la plage sentirent le vent froid du Pôle Nord s’infiltrer sous leur peau lorsque Kid Congo murmura : «I’ve got a black skin suit/ Alligator shoes.» Était-ce de l’ordre de l’inespéré ou de l’ordre de l’implacabilité des choses ? En tous les cas, il ratatina les dernières poches de résistance. Comme Bernadette avant lui, Kid Congo vit les foules se jeter à ses pieds. Mais les foules ne se doutaient encore de rien, car après un petit interlude distractif, il ouvrit sa bouche immense pour minauder You look just like an Elvis from hell. À ce moment-là, on vit des crabes se faufiler entre nos jambes pour venir voir ce phénomène de près. On les vit même danser de guingois, dans une fantastique explosion généralisée, encore plus violente que celle déclenchée par Kick. À ce niveau d’extase intrinsèque, les mots sautaient de cheval et les pensées fuyaient par les oreilles en criant au feu, comme jadis dans les villages. D’énormes volutes de fumée noire s’échappaient de la bouche béante de Kid Congo - Gonna buy me a graveyard of my own - Il rejeta une monstrueuse bassine d’huile sur le feu du mythe et les crabes connus pour leur masochisme allèrent s’y jeter. Kid Congo fit basculer Binic et ses hics dans l’autre monde, là où virevolent les poissons jambus du Big Bosch man, là où grésillent encore les hérétiques aux sourires béats. Et puis vint le moment tant redouté, celui de l’adios aux amigos, que Bernadette Congo introduisit par la plus sibylline des sibyllades : «Before the internet, there was Sexbeat !», qui évidemment alla réjouir tous les cœurs présents, car enfin, existe-t-il meilleur moyen de conclure un set aussi atomique ? Bien sûr que non. Du haut de la scène, l’œil rivé sur l’horizon, l’immense Kid Congo empoigna le monde d’un geste impérial en marmonnant son They’re stupid like I told ya, very stupid like ya saw, et il enfila le mythe d’un coup de rein fatal. Move !

Signé : Cazengler, gros Con go !

Kid Congo & The Pink Monkey Birds. Binic Folk Blues Festival (22). 29 juillet 2018

 

La sagesse des Wise Guyz - Part Two

 

Gros shoot de blue jean bop au Béthune Rétro. Comme tous les ans. Une façon comme une autre de se ressourcer. Rien de tel qu’un bon groupe de rockab pour remettre les pendules à l’heure et les œufs dans le même panier. Mais la prog du festival devient un casse-tête épouvantable. Rendez-vous compte, le samedi soir à 11 h, trois groupes montaient sur scène en même temps : les Californiens Eddie & the Scorpions, les Hot Slap de Dédé et les Wise Guyz qui voici quatre ans firent tellement swinguer le vieux beffroi qu’ils basculèrent dans le cercle supérieur des grandes révélations. Mais cette année, ils n’eurent pas les honneurs de la grande scène. Ils durent se contenter d’une petite scène serrée entre deux baraques à frites.

Mais quelle petite scène ! C’est là que se joua le destin du Rétro 2018. En trois coups, bim, bam, boom, à commencer par les Lucky Bullets, venus des fjords de Norvège, férus de chansons de cowboys et animés des meilleures intentions. Ils attaquèrent leur set dans le milieu de l’après-midi, alors que flottaient les doux relents d’ultra fast-fooding. En voyant arriver sur scène ces quatre candidats au whoopalong, on comprit que ça aller jiver dans les bassines à friture. Le chanteur portait la casquette de Brando dans The Wild One et une belle collection de tatouages sur les bras. En vraie boule de nerfs qui se respecte, il sautilla son hillbilly rumble au maximum des possibilités du genre, épaulé par un guitarman à carrure de bûcheron. Ce géant jouait sur une très vieille Gretsch avec la redoutable efficacité des gens du Nord et sortait un son de rêve, bien mixé au devant du son, comme s’il bénéficiait de l’écho séculaire d’un fjord. Son phrasé puissant et méthodique régalait tous les amateurs de big Gretsch sound. Malgré deux ou trois cuts plus faibles en cœur de set, les Lucky Bullets réussirent à allumer la gueule du Rétro de façon déterminante, sans jamais recourir aux ficelles du rockab sauvage. Leur goût pour les chansons de cowboys et les talents expressionnistes du Brando de comedy act firent chavirer les cœurs. On applaudissait des deux mains. Par sa fraîcheur exacerbée et l’extravagante vitalité de son raw raout, le set des Lucky Bullets marqua pas mal de cervelles au fer rouge.

En début de soirée, on vit débarquer des Anglais sur scène. L’animateur fit baver le public en précisant que le CV de Hayriders était long comme un jour sans rhum. En détaillant les exploits de ces vétérans de toutes les guerres, il s’adressait bien sûr aux spécialistes. Effectivement, les Hayriders n’étaient plus de toute première jeunesse, mais ils réactualisaient magistralement le vieux proverbe : eh oui, c’est dans les vieilles marmites anglaises qu’on cuit les meilleurs soupes. Et quelle soupe ! Sapés tous les quatre comme des milords à la Piaf et cravatés de frais, ils entreprirent de nous sonner sérieusement les cloches. Le chanteur Neil Wright tenait bien son bop en laisse, par contre, le Stratoman installé à sa droite fit passer le concept du flash guitar dans une nouvelle dimension, celle des spoutniks polymorphes. Vêtu d’une chemise rouge et d’un pantalon dix fois trop grand, ce petit mec nommé Darren Lince pulvérisa dès le premier cut tous les records d’incursion frénétique. Il ressuscitait le vieux théorème de la preuve par neuf : sans flashman, un groupe ne peut pas briller au firmament. Il se mit à allumer tous les cuts un par un, avec un son extraordinairement incisif et une volubilité de rêve. Sa main gauche courait sur le manche comme une belette en rut, il ployait les genoux et on voyait à l’éclat de son œil qu’il restait insondablement concentré. On n’avait pas revu un guitariste aussi spectaculaire depuis Link Wray. Darren Lince faisait littéralement la pluie et le beau temps. Il réussit même l’exploit de transcender Galloping Cliff Gallup dans une version de «Blue Jean Bop», eh oui, il allait encore plus loin que le vieux Cliff, comme si c’était possible. On le vit même jiver les deux solos de «Race With The Devil» de façon extrêmement indécente. Il surjouait à la nausée du génie galvanique. On le voyait touiller sa glaise sonique avec un petit sourire en coin. On avait sous les yeux une explosion à deux pattes, l’incarnation humaine d’une rivière de diamants en crue, un zébulon dégingandé complètement chorusmatique, une sorte de fils de Dieu qui aurait miraculeusement échappé aux clous des Romains, le modèle absolu en matière de sideman fulgurant. Darren Lince redora brillamment le blason du vieux rockab.

L’autre brillant redoreur de blason s’appelle Chris Bird, l’âme des Wise Guyz. Ce n’est plus un secret pour personne, les Wise Guyz sont devenus l’un des meilleurs gangs de rockab actuels, sinon le meilleur. S’il en est un qu’il ne faut pas rater sur scène, c’est bien celui-là. Il semble même que leur swing soit arrivé à maturité. Ils firent ce soir-là un set comme on n’ose plus les rêver, parfait, ni trop long ni trop court, secoué de jolies poussées de fièvre et fabuleusement fluidifié par la qualité constante du swing. Comme Brian Setzer avant eux, les Wise Guyz ont su évoluer du rockab vers le swing, qui se situe un cran nettement au-dessus, car réservé aux guitaristes de jazz. Et Chris Bird fait partie de ces surdoués du jive, il faut le voir swinguer son bebop avec la jambe gauche à l’arrière. Il fait presque le spectacle à lui tout seul. Non seulement il crée du rythme en permanence, mais il sait placer sa voix. Il fait moins son Cochran qu’avant, il huile beaucoup plus son art, pour qu’il enfile bien l’écho du temps, et là, on peut difficilement rêver d’un meilleur son. Il pousse parfois des pointes à la Django et revient bercer nos cœurs d’un croon ukrainien absolument irrésistible. Difficile de le comparer à un autre chanteur, il chante vraiment comme Chris Bird, il s’affirme en tant qu’artiste complet et on peut considérer qu’il est entré de plein droit dans la cour des grands. Il n’a rien à envier ni à Brian Setzer, ni à Eddie Cochran, ni à Django Reinhardt. Il est même intolérable de ne pas encore le voir en couverture des magazines (mis à part Rockabilly Generation, bien représenté au Rétro, d’ailleurs).

Sur scène, les Wise Guyz jouaient un paquet de cuts de leur nouvel album, Midnight Cruise. Ça tombait bien, car ils le vendaient à la fin du set. Oh pas cher, un billet de seize ! Les gens faisaient la queue. Chris Bird signait à la chaîne, en vraie petite super star béthunière. On le vit aussi dans l’après-midi et le lendemain matin aller placer son nouvel album chez les disquaires du Rétro. Rappelons que les Wise Guyz ne roulent pas sur l’or et le moins que l’on puisse faire est de les aider en achetant leur nouvel album qui en plus est excellent. On y trouve trois cuts de swing, à commencer par l’inénarrable «Nobody’s Business». Ce diable de boppin’ Bird y swingalong avec une science qui scie et on le voit filer en mode shark de sharp. Le pire est à venir en B avec «Sweet Loving», ça djangotte à gogo et ça chaloupe des hanches au delà du Cap de Bonne Espérance - shake your hips - Chris craque it up et boppe droit au but, il porte le fer au maximum des possibilités du rouge, non seulement son swing swanne comme un cygne, mais il épate à quatre pattes, son big swing bosse, man, c’est un swing qui bat tout à plate coutures, oh yeah, cette belle bête de Bird va au Sweet lovin’ comme d’autres vont aux putes sur les Maréchaux. Et attention au «Swing By C» qui referme la marche de cet album palpitant ! Bird swingue en Do et sonne comme Tchavolo Schmitt, oui, il en a le pouvoir, il peut swinguer la caravane comme dans le Swing de Tony Gatlif, l’un des plans les plus rock’n’roll qui ait jamais été filmé. Une façon de rappeler qu’avec le jazz manouche, on monte encore d’un cran dans la beauté du sauvage. Et si Chris Bird tape dans le pur rockab, ça donne le «Do It Bop» d’ouverture de bal d’A. Il y renoue avec la pulsation originelle du bop, avec la fantastique véracité du genre. Charlie Feathers disait : «Rockabilly is the beginning and the end of music.» Et il avait raison. Chris Bird chope tous les chops du bop, il fonce à tire d’aile et part en solo de classe A. Il faut aussi l’entendre faire son Cochran dans «Is It Love», il tape ça au pur jus de rock attack, il shake son shook comme un délinquant de banlieue, mais avec la classe d’un ange de miséricorde. Mélange explosif et assez unique au monde. Ce mec a tout ce qu’il faut pour rendre un public heureux et devenir une super star. Sur scène, les Wise Guyz jouaient aussi le morceau titre de l’album, mais la version studio est encore plus mirifique, à cause de la profondeur du son. Chris Bird chante ça avec une voix de mineur des Appalaches, le nez pincé et il descend des gammes de desperado. On s’épate de la fantastique pulsation rythmique derrière lui. Ces quatre kids d’Ukraine nous plongent dans une fausse Americana d’excellence parégorique que viendraient encore enrichir des éclats de jouvence foraine - I’m on a loose/ For a midnight cruise - Ces mecs sont devenus imbattables, et comme on l’a déjà dit dans le Part One, voici quatre ans, leurs quatre premiers albums sont eux aussi irréprochables. Et quand on tombe sur l’«Enough» qui ouvre le bal de la B, on sait tout de suite qu’on ne trouvera jamais ça ailleurs. Cette urgence du beat n’appartient qu’aux Wise Guyz. C’est un beat dressé en l’air et sauvage, du genre qui plie mais ne rompt pas, vous voyez le genre ? Rebel et Ozzy nous le troussent à la hussarde, en vraies séquelles de Cosaques. Ils constituent certainement l’une des plus belles sections rythmiques du XXIe siècle, ne craignons pas de faire ronfler le moulin des formules. Ces mecs méritent vraiment qu’on les adule, car ils sont brillants à un point qui dépasse le sens commun. Le plus marrant de toute cette histoire, c’est que sur scène, ils parlent le russe entre eux, et on croirait vraiment entendre des agents du KGB, surtout le batteur Ozzy. Il faut aussi entendre ce diable de Rebel slapper «Beware». Il joue au délié de pur jus. Et même quand ils tapent dans des cuts plus classiques comme «Jukebox Rock» et «Johnny Boy», les Wise Guyz battent tous les records de nonchalance. Tout le bien qu’on vous souhaiter est de les voir jouer sur scène.

Signé : Cazengler, Wise gaz d’échappement

Wise Guyz. Béthune Rétro. 25 & 26 août 2018

Wise Guyz. Midnight Cruise. El Toro Records 2018

TROYES - 07 / O9 / 2018

LE 3B

CAT LEE KING & HIS COCKS

La teuf-teuf file vers Troyes sans rémission. Attention, c'est la rentrée, pas celle des classes, celle du 3 B ! Nettement plus agréable mais snif ! snif ! l'on ira moins souvent au 3 B cette année, un concert par mois seulement, mais du meilleur, l'on commencera par une portion de poulet frit – marque Hot Chickens – début novembre, d'ailleurs ce soir il y a déjà du poulet au menu, une drôle de tambouille, importée directly from Germany, du coq au vin, plus du chat, ce qui change la donne, et donne un un goût particulier au ragoût, bref Cat Lee King & His Cocks sont au programme.

CAT LEE KING AND HIS COCKS

Cinq beaux jeunes gars. Coupes cheveux au cordeau, cravates voyantes, pantalons au pli, vestes boutonnées pour trois d'entre eux, propres sur eux, irréprochables. Autant annoncer la couleur, ce n'est pas un groupe de rockabilly, se définissent eux-mêmes comme un combo de rockin blues – terme un peu vague à multiples acceptions – ou de rhythm and blues, ce qui est déjà plus précis. Toutefois si vous espérez une section cuivrique à la Otis Redding, vous êtes dans l'erreur, reculez d'un cran, retour dans le passé. En fait le matou royal et ses gallinacés chassent dans le territoire du rock'n'roll mais du temps où le rock'n'roll n'existait pas. L'était en gestation, l'était déjà là mais on ne le savait pas. L'était partout et nulle part. De toutes les manières ce n'était que de la musique de danse, du sous-jazz dévalué, en plus la plupart du temps joué par des nègres – vous noterez la nuance péjorative contenue dans l'emploi de ce vocable - de l'amusement pour public facile qui ne demande qu'à batfoler, boire et danser jusqu'au bout de la nuit. Une sorte de genre intermédiaire tâtonnant entre le swing et le rock'n'roll en devenir. Mais se souvenant de ses racines noires. Sous le clinquant de l'exubérance, le blues n'est jamais loin. Il suffit de tirer un peu par où ça gratte.

Cat Lee King s'assoit au piano, un synthé dans un appareillage en bois qui sent un peu la bricole, la section rythmique est en arrière, René Lieutenant à la batterie, Lucky Luciano – très beau profil de gangster dans son costume seyant – à la double bass, et Sydney Ramone à la Rhythm guitar, Tommy Croole est à la guitare, une vieille Harmony sur laquelle tous les chats du quartier ont dû se faire les griffes depuis trois générations. L'est le personnage important du quintet Tommy, l'a un peu l'air du premier de la classe attentif et sérieux, le genre bon élève à qui le prof assis à son bureau fait toute confiance, mais le premier à lancer les boules puantes et les bombes à eau. N'a pas de cartable mais un vieil ampli Fender, pas très gros, mais qui crache et gratte grave. Un style inimitable, évolue entre deux marqueurs – dis-moi quels sont tes maîtres et je te dirai qui tu es – B. B. King et Chuck Berry. Le chemin le plus court, du point A de départ, planté dans le blues, au point B d'arrivée, le surgeon du rock'n'roll noir poussé dans les serres de la compagnie des frères Chess. Du Blue Boy l'a pris cette manière de détacher les notes, pas trop, trois ou cinq, vous les arrache pétale par pétale comme s'il effeuillait la marguerite, comme s'il jouait en pointillés, mais perçantes et vrillantes, des instruments de torture délicieuse qui vous pénètrent l'occiput sans rémission, et puis, c'est là où ça se corse comme disait Napoléon, il possède une technique particulière, vous les secoue comme la salade dans le panier, vous les balance à la Chuck Berry – attention privilégiez les enregistrements des années cinquante, pas les reprises plus tardives beaucoup plus sophistiquées, les originales au son plus grêle, comme poignées de cailloux lancées sur la vitre de la petite voisine afin qu'elle ouvre sa fenêtre pour que vous puissiez enfin vous livrer à vos turpitudes favorites. Que voulez-vous le rock ce n'est pas plus près de Dieu, mais plus près du sexe.

Ai-je besoin de le préciser, non votre étonnante perspicacité de lecteur passionné le subodorait, pendant ce temps le greffier ne roupille pas sur son clavier. L'a fort à faire, se colle au fourneau et sert en salle – version honnête travailleur – débouche le vin et le boit Drinkin Wine Spo-Dee -O-Dee – vision plus réaliste – assure le micro et pianote d'une manière excessive. L'a intérêt à ne pas s'endormir sur la choucroute, car avec Tommy Croole c'est le jeu de la question subite avec réponse immédiate exigée. C'est qu'ils aiment la difficulté, le pari fou, la gageure impossible, ainsi dès le deuxième morceau ils nous jouent Thirteen Women de Bill Haley - une fille c'est bien mais treize bonjour les dégâts - pour les roulements répétitivement hypnotiques, les éruptions ininterrompues du piano font magnifiquement l'affaire, mais l'aboiement frénétique du sax, où est-il ? comment s'en vont-ils s'en débrouiller ? les doigts de Croole y pourvoient d'une sidérante manière. C'est vrai qu'il est aidé, par-en-dessous, par les trois autres cadors, sont sages comme des images, pour un peu on les oublierait mais si là-haut sur la dunette les officiers font des ronds de jambe, en-bas la chiourme silencieuse souque ferme. Tiennent la rythmique comme d'autres la barre. Si l'esquif fend les flots avec élégance c'est grâce à leur boulot, leur ciboulot aussi, car aux aguets l'un de l'autre, une entente parfaite, à peine l'un a-t-il fait une point à l'endroit que l'autre le fait à l'envers et le dernier n'a plus qu'à laisser filer la maille, sont trois mais vous avez l'impression qu'il n'y en a qu'un, même s'ils émettent un bruit de fond pour quinze.

Les cinq doigts de la main mais avec deux pouces réversibles. Un véritable orchestre, se permettent des sauts trapéozidaléens à vous couper le souffle, attention il faut suivre, car ils œuvrent davantage dans la subtilité que dans le clinquant. Le Raminagrobis n'abuse pas de son instrument royal, ne le met pas systématiquement en avant – par contre quand il le pousse au maximum vous l'entendez, ça gronde comme un tremblement de terre, ne laisse pas passer son chorus, mais rendosse sans se faire prier son rôle d'accompagnateur dès que nécessaire. De prime l'a une belle voix rauque le Cat Lee King, celle du chat amoureux qui réclame ses croquettes à trois heures du matin auquel vous ne sauriez résister, nous offre ainsi un superbe I got a Woman à tel point que Duduche file dare dare s'adjoindre au micro, et tous deux improvisent un duo des mieux venus, le Cat qui miaule à la Ray Charles, et Duduche qui ronronne à la Presley.

Nous font les trois sets obligatoires du 3B. Une courbe idéale, after-swing pour le premier, détour blues pour la deuxième et un pied dans le rock'n'roll pour la troisième. De 1945 à 1959, pour ceux qui aiment les repères fixes. De la belle ouvrage, très belles reprises de B.B. King Awoke this morning, à la blues shouter, mais en plus mélodramatique, accompagnement plus touffu et costaud que du country-blues, et puis du Brown Eyed Handsome Man de Chuck Berry, un pas de plus vers le rock'n'roll, un Rip It Up qui traîne un peu dans les encoignures, pas encore l'impact rock énergétique qui fait toute la différence, la gestation est terminée, la bête est prête à sortir, mais n'a pas encore mis le nez dehors. La frontière n'est pas encore franchie. Mais la version se tient et vous fait monter aux rideaux. Danseurs et applaudissements approbateurs. Se concertent pour le dernier morceau : n'ont pas le temps de choisir, c'est Jean-François qui impose le Great Balls of fire de Jerry Lou, tamponne du poing au hasard sur un bout de clavier et se lance dans un vocal épileptique. Le reprennent à leur façon, longuement, le Cat termine debout, les pieds sur le clavier dans un tonnerre d'applaudissements...

Béatrice la patronne a encore frappé... Merci à Fabien for the sound !

Damie Chad.

MARY SHELLEY

HAIFAA AL MANSOUR

( Film / Sortie 08 / 08 / 2018 )

Did you ever meet with Frankenstein ? demandaient les New York Dolls sur le dernier morceau de leur second et ultime opus. Comme nous l'enseigne Heidegger en toute chose pour bien comprendre quelque chose il est inutile de se perdre en des questions oiseuses et subsidiaires, il suffit de remonter à son origine. Je doute que la réalisatrice Haifaa Al Mansour ait été obnubilée par une quelconque méthodologie heideggerienne, de nationalité saoudienne il est évident que ce sont des considérations sur la liberté de la femme qui ont motivé sa démarche.

Mary Shelley fut la femme de Percy Bysshe Shelley qui forma avec Lord Byron et John Keats le trio de choc de la poésie romantique anglaise. Mais c'est bien Mary qui est au centre du film et non Percy. Cela peut sembler naturel si l'on se rapporte au titre de la pellicule, certes mais cela signifie aussi que le récit mis en scène dans le film occulte tout l'aspect politique de la vie mouvementée du couple Mary et Percy. A peine s'il est rappelé, pratiquement incidemment, la parution du pamphlet La Nécessité de l'Athéisme qui mit le feu aux poudres de la bonne conscience puritaine anglaise et auréola désormais tous les actes de Percy d'un fort parfum de scandale.

Quoique consacré à Mary Shelley, le film ne retrace que la première partie de sa vie, il ne va même pas jusqu'à la mort de Shelley, et passe sous silence tout ce que Mary put vivre et écrire par la suite, après la parution de Frankenstein. Le film pose une question essentielle : comment une jeune fille de dix-huit ans a-t-elle pu rédiger un roman aussi puissant que Frankeinstein ? Il est temps d'avouer mes turpitudes, j'avais quinze ans lorsque je découvris l'éblouissante poésie de Shelley, ni une, ni deux, ne connaissant aucun élément biographique de Shelley, et encore moins de Mary, devant une telle splendeur, j'en déduisis que très gentiment Shelley avait mis le nom de sa femme sur la couverture du roman – que je n'avais pas lu – pour ne pas être accusé de s'adonner, à ses heures perdues, à de la sous-littérature, indigne de son génie.... Lorsque j'en eus terminé la lecture, la beauté et la profondeur du livre renforcèrent ma première opinion. Seul un génie comme Shelley avait pu écrire un tel ouvrage.

Entre temps je me suis rendu compte de mon erreur... Toute une partie pédagogique du film est faite pour chasser de tels malentendus. Qui dénotent une insupportable et stupide idéologie de mâle blanc ne manqueront pas de spécifier les éventuelles lectrices qui se seront aventurées dans ces lignes. De nombreuses scènes nous montrent la jeune Mary de seize ans totalement obnubilée par la littérature gothique fort à la mode en ces temps. Châteaux hantés, fantômes, esprits, brouillards et cimetières. D'ailleurs Mary s'en vient souvent se recueillir sur la tombe de sa mère morte après l'avoir mise au monde. Situation ô combien romantique ! Plus tard en compagnie de Shelley nous la voyons assister à des expériences scientifiques sur le galvanisme. Le coup de la grenouille décérébrée qui remue la jambe lorsqu'elle est soumise à l'électricité, un truc encore utilisé au par les professeurs de SVT pour susciter l'intérêt des collégiens. Peut-on ramener les morts à la vie ? Peut-on fabriquer du vivant à partir de la mort ?

Mary n'est pas née de la dernière pluie de l'ignorance. Ses géniteurs furent des intellectuels en avance sur leur temps pour employer une expression convenue quand on ne veut pas révéler l'étendue du scandale. Son père William Godwin passe encore pour un des premiers théoriciens de l'anarchie, sa mère Mary Wollstonecraft s'élève dans ses écrits contre la supposée domination naturelle des hommes sur les femmes, mais pire que cela elle s'attira la réprobation de la bonne société par ses liaisons amoureuses.

Avec un tel bagage héréditaire il n'est pas étonnant qu'une conjonction s'établisse rapidement entre Shelley et Mary. Godwin est une des idoles intellectuelles de Shelley et Mary étouffe quelque peu entre sa belle-mère et son père qui la met en garde contre une vie trop libre et aventureuse qui attirèrent sur sa mère bien des critiques acerbes et nombre d'humiliations sociales. Qu'importe, nos tourtereaux sont jeunes, beaux, intelligents et prêts à tout affronter.

Rien ne vaut le passage à l'acte. Mary en compagnie de sa demi-sœur Claire rejoint Shelley. Le monde n'a qu'à bien se tenir. Se contente de les laisser patauger dans la misère. mais c'est Shelley qui se tient mal. Remarquez pas plus mal que les Rolling Stones en leurs débuts. Mais les temps ne sont pas hélas très rock'n'roll. Shelley professe une vision et une objectivisation de l'amour emphatique. L'individu se doit d'être libre, de suivre ses goûts, ses couleurs, ses inclinations, ses désirs... Rien ne saurait l'entraver. Il est partisan de la liberté sexuelle, pour lui, et pour les autres, y compris Mary. Qu'il pousse dans les bras de ses amis. La chaste ( ? ) et innocente ( ? ) Mary s'y refuse. Du moins dans le film. Dans la vie je ne sais pas, je n'y étais pas, plus tard dans le film on la verra attirée, en tout bien tout honneur ( ? ), par Polidori, le secrétaire de Byron.

Car il a fallu fuir et quitter l'Angleterre, le manque d'argent, la mort de leur première fille, poussent les Shelley à accepter l'hospitalité de Lord Byron en Suisse. L'on s'ennuie quelque peu dans le château de Byron, le temps est pluvieux, tout le monde est obligé de rester confiné, à l'intérieur. Nos deux poëtes s'amusent comme des fous, discussions infinies, rires, cynismes, projets littéraires – notamment un concours de nouvelles fantastiques que seuls Mary et Polidori mèneront à bout - et fortes absorptions d'alcool... Ambiances rock'n'roll décadent... Pour les filles c'est moins cool, Claire la demi-soeur de Mary enceinte de Byron se voit signifier son congé et Mary non-remise de la disparition de son propre bébé entre dans une longue dépression...

Toutes les souffrances, toutes les contradictions, et toutes les réflexions suscitées par le comportement de Shelley et de Byron se retrouveront dans le roman de Mary. Frankenstein est une longue exploration sans concession du cœur humain, un gouffre d'incompréhension égoïste sépare les êtres humains, l'on ne peut le franchir que par de précaires et chancelantes passerelles... Les monstres ne sont pas obligatoirement les moins avenants.

Frankenstein est un chef-d'oeuvre. Mais le plus difficile reste à faire. Les éditeurs refusent de le publier, sujet trop scabreux pour être crédité à la plume d'une jeune fille de dix-huit ans. Il ne verra la vitrine des libraires que sans nom d'auteur mais augmenté d'une préface de Percy Bysshe Shelley... Mary se sent dépossédée de son bien... Dans une dernière scène Shelley, devant un public littéraire attentionné, remet les pendules à l'heure, non il n'a pas écrit Frankenstein, la paternité, disons la maternité, en revient à sa seule créatrice Mary Shelley. Godwin se hâte d'en faire retirer une deuxième édition affichant en toutes lettres le nom de l'autrice...

Un combat féministe gagné. Applaudissements approbateurs de rigueur. Le film est bien fait mais n'est pas un chef-d'œuvre. Pour moi ce n'est pas un problème, je me précipite automatiquement sur tout produit qui présente le nom de Shelley. Honnêtement réalisé, d'une facture classique, avec reconstitutions d'époque et menées psychologiques fouillées, mais il y manque ce brin de démesure shelleyienne que l'on retrouve par exemple lorsque Mick Jacker en jupette blanche lit à Hyde Park devant cinq cent mille personnes quelques vers d'Adonaïs, le poème de Percy dédié à John Keats, pour rendre hommage à Brian Jones.

Mais au fait, avez-vous déjà rencontré Frankenstein ?

Damie Chad.

CRASH MIGHTY

YOU DON'T KNOW ME

( Album numérique / Sortie 08 / 08 / 2018 )

TINY : voice, tambourin / FRED : Drums / JB : Guitar / GEOM : bass

Premier enregistrement du Crash Mighty au bout de deux ans d'existence, nous les avons déjà appréciés en public à la Comedia.

You don't know me : l'on fait vite connaissance, ne se laisse pas marcher sur les pieds la demoiselle Tiny, pourtant les gars ne lui font pas de cadeau, z'ont mis le bulldozer en marche et ils le conduisent avec précision, vous entreprennent la danse du crocodile affamé autour de ses jambes, appuient fort sur les pédales et ils ébranlent la masse mértallifère dur. Tout autre que Tiny s'enfuirait. Elle non, elle les avertit, elle vitupère à la vipère en colère, elle invective à la vitesse des rotatives, elle nargue et argue les deux poings sur les hanches, ne se démonte pas d'un iota. Du coup la guitare freine à mort et le taureau d'acier vaincu chute lourdement à ses pieds. Dommage z'avaient de ses appuyés rythmiques remarquables et de ces klaxons pointus à vous, et cette guitare qui klaxonne sans fin en guise d'avertissement ! So what : c'était trop bon, ils recommencent, le magma musical encore plus lourd, plus fort, plus rapide, des accélérations fantômales, la Tiny impériale dans le fracas, aussi smart et tranquille que si elle passait un coup de téléphone pédagogique au receveur des impôts, le timbre haut et cinglant, les boys n'en croient pas leurs oreilles, se déchaînent donnent tout ce qu'ils peuvent, jouent les hercules de foire qui en font des tonnes. Peuvent soulever des magmas de ferrailles ils ont perdu la partie, tant pis pour eux. Clueless : le retour des vengeurs, qu'elle ne compte pas s'en tirer à si bon compte, arrivent dans un orage de foudre et de poussière ferrugineuses, une batterie qui emballe, une basse qui percute et se désagrège, une guitare qui criaille, sont déterminés à la prendre en chasse, mènent la traque longuement, lorsque l'un est fatigué un autre prend la relève, autant dire que le train est rapide, Tiny tire la langue mais ne la perd pas pour autant, elle a les mots qui ricochent, les étire parfois comme des élastiques à catapulte, n'en continue pas moins à proférer sa vindicte, et ne perd pas de terrain. Fin brutale. Boom : ce coup-ci elle prend les devants, c'est elle qui guide le troupeau des éléphants, elle barrit comme mille sirènes d'usine, condescend à leur adresser la parole n'ont plus qu'à l'accompagner, au pas soutenu, elle devant, et eux derrière, en strict accompagnateurs, condamnés à porter les parasols ombreux pour la protéger du soleil. Elle pourrait s'arrêter là, mais non la vengeance est un plat qui se mange brûlant, elle accélère le tempo et c'est parti pour un galop final époustouflant. Fantastique charivari. Sickness : de quoi être malade. De quoi au juste on ne le sait pas, mais c'est grave. Urgence absolue, courent à l'hôpital comme des dératés, les boys en accélération constante et la Tiny qui les affole en criant au feu. A l'air de calmer quelque peu le train, mais ce n'est que pour repartir plus vite. Ça s'arrête brutalement comme s'ils avaient traversé un mur de béton et l'on ne voit plus rien derrière. Fun : c'est la suite, la même tuerie, la même chiennerie, mais ce coup-ci ils trouvent la chose plus marrante. Nous aussi, la même dose en plus rapide, toujours cette tension, et la voix de Tiny qui fout le feu partout où elle passe. Pandémonium exacerbé. Money : reprenez vos esprits, cette fois c'est sérieux, l'argent est le moteur du monde, les boys vrombissent comme des hélices d'avions, et Tiny vaticine sur les décombres, tout va mal dans la tête des gens, sont-ce des appels au meurtre ou au suicide, ce qui importe c'est que le mal se précipite sur nous pour nous avaler. Dans la gueule du monstre. Serious : l'on vous avait prévenu, c'est sérieux, les guitares moulinent, la batterie enfonce les clous de votre cercueil mental, un bruit d'armada en déroute, même que Tiny se tait longuement pour prendre conscience du désastre. Puis elle en pousse des cris d'horreur. Et nous de bonheur. Ain't that easy : il n'est pas facile de vivre, la vie défile à la vitesse d'un rock'n'roll pris de folie, z'avez l'impression que du haut de la barricade Tiny tire la langue au monde entier. Vous pouvez tous crever, seuls les Crash Mighty survivront, pour la simple et bonne raison qu'ils sont trop bons. Le plus terrible c'est qu'ils vous en apportent la preuve définitive. City : Tiny City. Ressemble un peu trop à notre monde. Photographie exacte. Des trous dans les murs. Des éclats de violence et de bonheur pulvérisés dans les coins. Un monde et une musique sans appel. Impitoyables et encore une fois ça se finit en catastrophe, le silence souverain après la fission nucléaire.

 

Superbe. Pas une once de graisse. Pas de longueurs inutiles. Pas un seul instant de relâche, une rythmique haletante, une voix au hachoir, une guitare trucidante, le tout en une cohésion parfaite. Une fois que c'est parti vous n'avez plus qu'à laisser filer. Des cassures, des reprises, des rebonds, des lignes de fuite, des chasses à courre, aussi péremptoires que des aphorismes de Nietzsche. Et Tiny – la voix de la conscience rock qui vous fouaille les entrailles. Sans cesse. Plus que vous ne pourrez le supporter. Impact maximal. Trop violent pour vous. Trop convulsif. Trop insolent. Trop beau. Avant de vous le procurer demandez-vous si vous en êtes dignes.

Damie Chad.

ROKH

DÄTCHA MANDALA

Nicolas Sauvey : vocal, basse, guitra acoustique, piano, charanga, mandoline / Jérémy Saigne : guitares, backin' vocals / Jean-Baptiste Mallet : drums & percussion, backin vocals.

Enregistré par Clive Martin at Berduquet in Cénac. France. 2017.

 

Have you seen the light ? : rythmique lourde et lente, et puis la voix qui s'élève comme le serpent de la kundalini hausse sa tête vers les étoiles pour mieux prendre conscience de sa queue qui niche dans votre sexe. Un morceau construit comme un opéra démiurgique. Parfois le lézard se métamorphose en papillon et puis redevient dinosaure ébranlant la terre de ses pas pesants. Scènes et climats se succèdent comme autant d'anneaux fascinants. Cris déchirant le ciel de leurs éclairs de solitude, cascades de batterie, obscurité des basses, incendies cohésifs, si vous n'avez pas vu la lumière c'est que vous n'avez pas su ouvrir les yeux sur la beauté intérieure du monde. Ne regrettez rien, un dernier foufroiement de cordes vous renverra dans votre sommeil. Sachez accueillir le brontosaure du rêve. Da Blues : au ras du blues. La terre du désir est toujours bleue. Et stérile. Le tout est de savoir transformer les bijoux du désespoirs en joyaux immortels. Autant rajouter du sel sur les plaies, de l'eau dans le vin, et du poison dans l'eau. Une voix qui monte vers les aigus comme l'on s'accroche à la tige d'une fleur pour être sûr de rouler au fond de l'abîme alors que le nuage rose de la vie s'était arrimée sur la crête effilée de la cime. Autour de cela l'orchestration monte et descend, dispose le décorum et se plaît à changer la disposition des meubles. Le grand style. Misery : une histoire douce et dorée pour vous raconter la noirceur d'un récit. Tout n'est qu'illusion, c'est vous qui repeignez le décor à votre guise. Le monde est votre propre projection. Il est inutile de se plaindre. Musique sourdine plus la voix qui conte et dévoile, et toutes deux gonflent comme ballon de baudruche qui aurait avalé le monde. Il est des proférations étincelantes aussi pointues qu'un poignard avec lequel il convient de se percer le coeur. Drame. Emphase. A vous de comprendre le chuchotement intérieur. Qui chante à votre oreille. Anahata : la batterie cogne fort à l'égal du muscle cardiaque dans votre poitrine, c'est à vous de miser et de participer au jeu du monde. Ce n'est qu'un jeu, mais si vous vous y prenez bien, vous gagnerez à tous les coups. La joie déborde, la musique s'amplifie et votre coeur est un gong qui bat plus fort et ébranle l'univers. Uncommon Travel : ne pas rester replié sur soi, ne pas rester prisonnier de son égoïste chez soi. La rythmique pousse, le papillon doit ouvrir ses ailes, l'éléphant doit entreprendre sa migration, la route est le lieu, l'ego est l'araignée au centre de la toile qui vous dévorera, mais la rythmique vous pourchasse de pièce en pièce, le moteur gronde, il est temps de reprendre le chemin du soleil. Smiling man : rosée de choeurs féminins et parfum de dulcimer, l'abîme est profond, mais tout le monde est capable de s'envoler, il suffit de s'accrocher au chant d'un violon, à un regard qui passe et darde vers le soleil, belle ballade à consonnance hippie. Un moment de grâce. Human free : le temps du doute précède celui de la libération, enthousiasme de sitar qui pousse en avant, un beau vertige, les paroles se rattachent aux petites branches mais la festivité instrumentale déchire le voile de l'illusion. Loot : morceau terminal car question cruciale, que sommes-nous certains de laisser derrière nous, lorsque nous mourrons. Nos trésors ne sont-ils que des mensonges ? N'entassons-nous que des illusions ? Qui peut répondre ? A part les Dieux. Le texte est truffé de mantras. Le morceau ambitieux est une juxtaposition de climats.

 

Un album qui pourra paraître déroutant à beaucoup. Les références à Led Zeppelin sont explicites, pas vraiment le côté heavy-j'écrase-tout du Dirigeable, mais l'aspect spirituel du message. L'ouverture à d'autres sons, d'autres cultures, d'autres lointains. Et pourtant cette référence zéplinesque n'est pas totalitaire, un point de départ, une rampe de lancement vers une autre voie, un autre chemin, l'oeuf du serpent. Rien à voir avec un tribute-band, Dätcha Mandala entame une route, nous ne savons où elle les mènera, mais nous la suivrons avec intérêt. Contrairement à de nombreux groupes actuels Dätcha Mandala prend son envol, tel l'oiseau Rokh mythique qui a donné son titre à l'album, d'une aire temporelle qui ignore le punk et le hardcore. Le monde appartient aux courageux.

Damie Chad.

MONSIEUR VERTIGO

Je ne demandais rien, déambulai par 35 ° calorifériques dans les rues de Mirepoix, 09 bande d'ignares, plus exactement me dirigeai vers le Off du Festival des Marionnettes, sis à l'ombre sous l'allée des arbres, lorsqu'un son de guitare s'est infiltré dans mon oreille, la gauche. Passais devant une maison et en ai conclu que l'habitant au frais se passait un drôle de bon disque, n'ai pas pu identifier le guitariste, style cool, un peu à la J. J. Cale, un beau touché en tout cas. Et puis plus rien. Normal je ne m'étais pas arrêté pour coller mon esgourde contre le volet. L'anormal c'est que soixante mètres plus loin la satanée guitare s'est remise à chantonner, en douceur, dans la rue déserte. Personne à l'horizon, ni devant, ni derrière, voilà qui exigeait une enquête approfondie. N'ai pas tardé à trouver le coupable. S'était réfugié sous le porche en retrait de la piscine municipale. Facile à identifier, étui de guitare à terre avec de maigrelettes piécettes au fond et gratte électrique en bandoulière. Une gueule sympa en plus. S'est même mis à pousser la chansonnette. Pas tout à fait mon style préféré, mais l'ensemble sonnait juste, et les paroles collaient comme un gant empoisonné au personnage. J'ai pris son CD, une maquette, et avons échangé quelque peu. Le lendemain, je l'ai retrouvé, l'avais choisi un endroit stratégique sur la place centrale entre trois truckers à frites écologiques, plein de monde autour de lui – majorité de filles.

J'ai fait marcher mon service de renseignements, s'appelle Anthony Philippe, vient de Marseille, célèbre dans la cité phocéenne, y donne régulièrement des concerts accompagné par un groupe avec flûtiste traversière, si je comprends bien l'a dû auparavant barouder aussi dans quelques groupes de rock... Monsieur Vertigo est ce que l'on appelle un projet, moitié chanson à textes, sur douceurs cuivrées de guitare rock, un mélange harmonieux et somme toute assez attrayant.

Mésalliance : Monsieur Vertigo ne chante pas le blues mais il en a le serpent bien recroquevillé au fond de l'estomac. Un poids lourd qui vous rend rend l'âme titubante. Rythme balancé et désillusions de la vie en fond de miroir. L'amour ne dure pas toujours, consolez-vous la solitude entrecroisée ne vous trahira jamais. Impasse à deux sorties en sens interdit. Larmes de guitares à éponger sans fin. Un solo qui porte bien son nom. Tribulations : guère plus heureux, toutes les belles histoires finissent mal surtout celles qui commencent bien. Côté pile c'est plutôt goûteux mais lorsque vous vous regardez en face, c'est bien plus craignos... Heureusement que l'espoir fait rire et mourir. Faux optimisme des paroles, juste tristesse des cordes de guitares. Vérité : parfois il vaudrait mieux ne pas trop chercher à tout savoir même si la musique vous a des effluves de Dire Straits. Inutile de croire que le parler-vrai amadouera l'oiselle et éliminera les difficultés. Soyez sûrs qu'au contraire il aiguisera vos faiblesses. Défilé : défilé de filles, le problème c'est que vous n'êtes pas avec le haut du panier, la vie vous refile les invendus, trop souvent. Se valent toutes et l'addition finale ne pèse pas bien lourd. Rêverie : bluesery plutôt, le plus terrible c'est quand les cauchemars ne font plus peur parce que vous n'y croyez plus. Il pleut sur vos rêves comme vous pissez sur vos désirs. L'oiseau bleu : pour une fois le texte n'est pas d'Anthony Philippe mais de Charles Bukowski. L'on s'attend au pire. Mais non, ironie de l'écriture, il s'agit de la chanson – récitée sous forme de poème – la moins désespérée du CD. Un peu comme quand on a atteint le fond et que l'on tire des plus amères expériences un semblant de sagesse qui vous sert de béquille d'amertume pour avancer.

Six morceaux, une seule ambiance. Interdite aux dépressifs. En deviendraient addicts. Le monde désenchanté des losers métaphysiques de l'existence. Une réussite. Sur la pochette Monsieur Vertigo effeuille la rose de la vie aux verlainiens vents mauvais. Un charme fou. Un doux poison.

Damie Chad.