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30/12/2016

KR'TNT ! ¤ 309 : GUITAR WOLF / JUKE JOINTS BAND / NUMBER NINE / NOBODY'S PERFECT / FILLES ELECTRIQUES / BLACK MUSIC

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 309

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

29 / 12 / 2016

GUITAR WOLF / JUKE JOINTS BAND /

 NUMBER NINE / NOBODY'S PERFECT

 

FILLES ELECTRIQUES / BLACK MUSIC

Howling Guitar Wolf

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En mélangeant Johnny Thunders, Link Wray et les Ramones dans une grosse soupe aux vermicelles de distorse stridente, les trois Guitar Wolf ont fini par imposer un style. En vingt ans, Seiji, Billy et Toru ont su bâtir une réputation de power-trio intraitable et sont presque entrés dans la légende du garage, mais pas n’importe quel garage, puisqu’il s’agit du vieux garage à l’ancienne, avec sa fosse à vidange et la crasse sur les poignées de portes. Ce qui leur vaut bien sûr toute notre sympathie. Eh oui, nous vivons dans une monde où l’offre culbute la demande et il faut bien se résoudre à faire des choix. Alors oui, plutôt Guitar Wolf que Stong. Quand on démarre dans la vie avec Jerry Lee, on va plus naturellement vers les bêtes sauvages que vers les meilleures ventes ou les charognards.
Seiji : «Un proverbe chinois dit : Un tigre à la porte de devant, un loup à la porte de derrière (entre le diable et le deep blue sea). Quand j’ai entendu ça, enfant, je me suis demandé ce que ça voulait dire. Le tigre est certainement plus fort que le loup, mais le loup saura durer plus longtemps que le tigre. Guitar Wolf vient de là.»
Il existe une filiation évidente entre la sauvagerie de Jerry Lee et celle de Guitar Wolf. Les trois Japonais ne laissent aucun doute sur leur nature profonde. Ils ne sont pas là pour calmer le jeu, mais au contraire, pour montrer jusqu’où on peut aller trop loin, comme disait Jean Cocteau. Seiji Guitarwolf, Billy Basswolf et Toru Drumwolf alimentent tous les mythes qu’on aime bien : les frères Dalton, les gangs, le sex & drugs & rock’n’roll, ils rajoutent de la sueur sous le cuir, ils cherchent des noises à la noise et roulent le garage punk dans la graisse caramel, celle qu’on met à la main dans une boîte de vitesse avant de refermer le carter. Seiji : «On était juste trois kids qui traînaient à Harajuku, Tokyo. On aimait les motos, les blousons de cuir et le rock’n’roll.»

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La presse leur accorde rarement de la place. Dommage, car Seiji est un mec plutôt rigolo. Il est le premier à reconnaître que Guitar Wolf était mauvais au début, et encore aujourd’hui : «On jouait si mal. C’était un désastre sur scène. Mais il vaut mieux être mauvais que bon - It’s much, much better to be bad thant to be a super technician, because rock is not art - Le rock n’est pas un art - Rock is impulse, urge and drive - Et puis Seiji raconte qu’un jour, il jouait chez un disquaire new-yorkais et qu’il est monté sur le comptoir pour shouter le rock’n’roll : «En sautant du comptoir, ma tête a heurté le gros ventilateur accroché au plafond. Tranchée net, elle a volé en l’air puis elle est retombée à sa place - I just kept playing as if nothing had happened - J’ai continué à jouer comme si de rien n’était. Si ma tête n’était pas retombée à sa place, je serais mort !»
Bien sûr, leurs cuts sont parfois tellement approximatifs qu’on pense à des chipolatas carbonisées, celles qu’on nous sert au barbock du fort d’Aubervilliers, mais ça fait aussi partie de leur charme. Seiji n’est ni le premier ni le dernier à chanter faux. Là n’est pas le propos. Ces mecs-là ont bien le droit de tester la résistance des tympans, après tout. Si on voulait tourner la phrase autrement, on pourrait dire : il faut vraiment être fan pour écouter tous leurs albums.

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Leur premier album Wolf Rock paraît en 1993, sur Goner Records, le label de Memphis. Ce n’est pas un hasard, Balthazar, car ce label est probablement le dernier à prendre la défense des empêcheurs de tourner en rond. Guitar Wolf nous saute à la gorge dès «Wolf Rock», un cut de rockab monté sur une bassline infernale. Ça s’appelle un coup de génie. D’autant plus fort que c’est enregistré sur un mini-cassette. D’ailleurs, la suite de l’album va en pâtir, car tous les cuts sont littéralement dévorés par le souffle. La version d’«Apach Leather» se noie dans le désastre du bourbier sonore. Nos trois amis n’ont aucune pitié pour les canards boiteux. Le «Shooting Star Noise» qui ouvre le bal de la B relève aussi de la pure sorcellerie, car encore une fois, c’est monté sur la bassline de Billy, cet admirable guerrier apache qui rêve de mourir au combat.

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Un an plus tard, Kung Fu Ramone sort sur Bag Of Hammers, un petit label de Seattle. Bon nombre de cuts de cet album feront leur réapparition plus tard sur Run Wolf Run. Kung Fu Ramone bénéficie comme son prédécesseur des pires conditions d’enregistrement, et c’est là où nos trois héros sont très forts : ils parviennent quand même à imposer des cuts, comme par exemple le morceau titre qui fait l’ouverture du bal des vampires. Ils pulvérisent littéralement toutes les attentes. «Run Wolf Run» est un joli blast de furnace japonaise. Ils jouent avec une énergie qui défie les lois, en termes de nucléus. C’est en B que se joue véritablement le destin de l’album, avec des monstruosités comme «Ryusei Noise», dévoré de l’intérieur par la basse de Billy. Ils deviennent l’espace de deux minutes les maîtres incontestables de l’enfer sonique. Avec deux fois rien, ils créent les vraies conditions de la fournaise, de façon tendue et têtue. Bel hommage à Link Wray avec «Baby Indian», battu tribal par ce démon de Toru, et «Ramble», joué à la distorse maximaliste. Ils bouclent cet album chaotique avec un autre chef-d’œuvre de complexion décomplexée, «Planet Blues», qui jaillit avec un son parasité à l’extrême, mais tellement glorieux. Guitar Wolf devient encore un court instant le power-trio par excellence. Ils sont à la fois superbes de classicisme et grandioses d’inadvertance.

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Missile Me paraît en 1996 avec une belle pochette explosive. Ils sont alors au sommet de leur gloire underground. On trouve sur cet album un très beau «Hurricane Rock» zébré d’éclairs de Guitarwolf. C’est un son très japonais dans l’esprit de Seltz, un groove sourd issu de la jungle urbaine et ravagé par des éclairs de rage sonique. La rage sonique est peut-être ce qui caractérise le mieux l’art de nos trois amis. Ils savant aussi jouer les petits rocks énervés et courts sur pattes, comme on le voit avec «Can Nana Fever», ce genre de petit cut qui cavale tout seul sans qu’on ne lui demande rien. Bel hommage à Link Wray avec «Link Wray Man», bien amené à la colère sourde. C’est même excellent, car sous tension et ravagé par des luttes intestines, comme ce fut souvent le cas chez Link Wray. En B, ils créent les conditions du chaos avec «Racing Rock». Rien ne tient debout dans ce cut, rien n’est calé. Seiji gueule son racing rock dans le pire désordre qui se puisse imaginer. Mais tout cela n’est rien à côté de «Jet Rock’n’Roll» qui suit. Voilà du rock’n’roll joué au mépris des règles élémentaires, sans ceinture de sécurité ni freins, c’est du rock de mobylette volée et de blouson en sky, de cheveux gras lavés à la savonnette, du rock de mecs qui ne portent rien sous le jean, du rock de boots sans chaussettes, du rock de pastis au PMU et de père au parti, du rock de tatouages piqués au noir de bouts de talons fondus, du rock de repas de boîtes de sardines et litres de Valstar ou de Montbazillac. Un rock qui se situe aux antipodes de la sophistication. S’ensuit un «Devil Stomp» joué au sourd du possible, admirable d’audace et de j’menfoutisme baptismal.
Seiji rappelle qu’il doit tout à Link Wray : «J’ai voulu arrêter de jouer de la guitare, car j’avais du mal à tenir un Fa. La technique de guitare me semblait trop compliquée. Un jour je suis tombé sur ‘Rumble’ de Link Wray et j’ai compris qu’il faisait de la musique cool en passant simplement du Ré au Mi. C’est le truc ! Ça m’a ouvert les yeux.»

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On reste dans le fracas du chaos intersidéral avec Run Wolf Run. Nos trois héros saluent Link Wray jusqu’à terre avec deux cool cuts, «Captain Guitar» et «Baby Indian», montés sur une véritable débâcle d’accords hybrides et joués dans une clameur d’excellence. C’est la meilleure preuve de l’existence d’un dieu Wray au Japon - Baby Indiannn ! - Ils poussent les curseurs dans les orties, même Linkster n’aurait pas osé un coup pareil. Dans ce chaos sonique roulent des boules de feu. Il s’agit du big bang originel du rock. «Jett Rock» a l’allure d’un champignon atomique. Seiji brasse ses accords dans le chaos et la poussière. C’est encore du Wray de Wray, une extension du génie Linky. Ils font sur cet album surchauffé une belle reprise de «Kick Out The Jams». Ils recréent l’énergie du MC5, mais à leur façon. Il est vrai que l’énergie est au rendez-vous et même beaucoup trop au rendez-vous. Ça hurle dans une ville en flammes. Nouvel hommage spectaculaire à Link Wray avec «Rumble». Guitar Wolf est certainement le dernier groupe sur cette terre capable de comprendre l’essence du génie de Link Wray, le rock God par excellence. Guitar Wolf semble réanimer le mythe. Encore une fois, ils nous emmènent loin au-delà du garage. Ils repartent à l’assaut du ciel avec «Thunder Guitar». Toru bat ça comme plâtre. Il aurait dû s’appeler Odin. Il faut l’entendre faire son cirque dans «El Toro». Il entre dans la caste des meilleurs batteurs de rock.

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La chose se confirme avec l’album Planet Of The Wolves. Toru pourrait bien être le dynamiteur suprême. Pour s’en convaincre, il suffit d’entendre «Wild Zero». Toru y bat tout ce qu’il peut. Le cut sonne comme une fricassée de mastering dans laquelle les oreilles n’ont plus de repères et Toru concasse le chaos. Il est l’héritier direct des grands batteurs qui ont accompagné Link Wray. Le jeu de Toru ne doit rien ni au punk ni au garage, c’est une powerhouse au meilleur sens du terme. C’est lui qu’on regarde quand Guitar Wolf joue sur scène. Une fois encore, cet album est dangereux pour l’équilibre mental de l’auditeur moyen, surtout quand ça se passe sous un casque. «Kawasaki Rock’n’Roll» siffle dans tous les sens et «Planet Of The Wolfes» balaie la toundra de Dersou Ouzala. Nous voilà de retour dans la tourmente, avec un seul point de repère : Link Wray. Si on voulait qualifier «Invader Age», on pourrait oser une métaphore du type puissante charge de Chevaliers Teutoniques sur le lac gelé. Le black Rider qu’on voit cavaler en tête, c’est bien sûr Toru. L’infernal Toru. C’est lui qu’on aurait dû appeler Mister Dynamite. Seiji chante «Energy Joe» au bord du gouffre de Padirac, et avec leur version de «Satisfaction», ils massacrent Otis à la tronçonneuse. Ces trois-là sont atteints de folie sonique, et c’est une vraie bénédiction.

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Quand on demande à Seiji si Jet Genetarion est le loudest CD of all time, il répond qu’il se fout de savoir s’il est le plus bruyant. Ce qui compte à ses yeux, c’est de pouvoir entrer dans le rouge des vu-mètres - In the red zone - Pourquoi ? I just want to be like a jet plane, oui, Seiji veut sonner comme un jet. Il ajoute qu’après sa mort, il aimerait bien se réincarner en jet. Jet Generation est l’un des albums les plus solides de Guitar Wolf. Sans doute à cause de l’ahurissante version de «Summertime Blues» qui s’y niche. Ils sonnent carrément comme les Who, avec la même puissance de powherchords powerhousiens. Les voilà devenus rois du blast suprême. Du blast, on en trouve à la pelle sur cet album indomptable : en B, avec «Roaring Blood», explosé à la gratouille punkoïde. Ça gicle dans tous les coins. Ils jouent comme des fous dangereux et Seiji semble fuir dans le brasier. On peut pas faire mieux qu’eux, en matière de blast. Seiji gueule à s’en arracher les ovaires. Autre énormité, le fameux «Cyborg Kids», noyé de son et zébré d’éclairs. On aura pris «Jet Generation» en pleine poire, dès l’ouverture du bal, un cut sur-saturé de son d’entrée de jeu, mais pas que de son, c’est sur-saturé de tout, de Japon, de cuir, de tattoos, d’accords, de one-two-three-four. Ils en rajoutent tellement que ça finit par s’affaisser sous le poids. Ils saturent plus loin «Kaminari One» de colère et de raunch. Ah ces Japonais ! Quand ils décident de brusquer le choses, ils savent y faire ! Tout est bon sur cet album, au sens du blast. Ils groovent carrément dans «Refrigarator Zero», et ça reste infiniment attachant. Ces mecs ne lâchent jamais la rampe du rampant. Avec «Shimane Slim», ils nous font le coup de trash punk serein, solide, joué avec l’énergie jusqu’auboutiste de purs kamikazes. On est hélas obligé de faire référence aux vieux clichés japonais. C’est malheureux, mais c’est comme ça.

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Pour écouter l’album Live paru en l’an 2000, il faut soit faire preuve d’une certaine abnégation, soit s’armer de courage. Certains titres sont en japonais, comme le un qui ouvre le bal des vampires. Alors attention, car Toru y fait un numéro de batteur fou. Chaque fois, Guitar Wolf recrée une ambiance spéciale, un mélange de Wolf et de Wray, le loup et l’Indien. Il n’y a qu’eux pour développer une telle ambiance. Tout leur son et leur conception du chaos vient en droite ligne de Link Wray. La version de «Jet Generation» qui suit est elle aussi complètement dévastée. Avec No Sleep Till Hammsersmith, c’est l’album live le plus ultraïque qui soit ici bas. En contrepartie, ce disque n’a aucune chance de passer sur les radios commerciales. Pour ceux et celles qui souhaiteraient se noyer dans l’urgence sonique de Guitar Wolf, c’est là, dans le trois. Belle version de «Jack The Ripper» que Toru dynamite. Il n’en finit plus de relancer les cuts. Cet album live est SON album. Le sept est aussi une fournaise évangélique qui dépasse l’entendement. Guitar Wolf ne joue pas du rock. Non, ils s’amusent plutôt à fissurer l’atome du rock. Ils noient Eddie dans l’exaction de «Summertime Blues», ils lui giroflent le clou et dans le douze, Toru fait encore un festival hallucinant. On trouve encore d’autres merveilles comme «Kick Out The Jams» où ils poussent tellement le bouchon qu’ils noient le riff dans leur mélasse et ils terminent avec une version de «Rumble» jouée à la basse.

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Avec Rock’N’Roll Etiquette, on prend un nouveau coup de blast derrière les oreilles, et notamment avec «God Speed You», qui ouvre le bal sur le mode terrifico-screamy-distordu, une vraie cour des miracles, l’ultimate des primates. Bienvenue dans l’œil du cyclone. Avec «Jet Virus», on a l’impression qu’ils deviennent de plus en plus imputrescibles ! C’est tellement sur-mastérisé dans le néant du chaos que les oreillettes du casque sautent. En prime, Toru bat comme un triple diable, c’est-à-dire un diable à trois têtes. Impossible de trouver plus psychotique sur le marché, ça n’existe pas. «Murder By Rock» explose sans nous demander notre avis. On se retrouve directement en plein boum. Nos trois héros s’amusent à défier les lois de la physique et à repousser les limites, même celles du killer solo. Toru revient à la charge dans «Venus Drive». Il bat vraiment à la vie à la mort et Seiji passe un solo qui taille dans la boustifaille de la sonicaille. Tiens ! Voilà une cover ! Un classique garage des Royal Pendletons intitulé «Sore Loser». C’est enfoncé la gueule dans la braise dès l’intro. Le jus coule en grésillant. Oh, ça coule de partout ! Voilà encore un cut effarant de blasting et l’admirable Seiji passe un killer solo flash de cinq secondes. Attention à «Drive With Wolves» ! Guitaaaaah ! Le cut s’écroule directement dans la fournaise. On se régale aussi d’«Earth Love» qui explose de base et de rigueur. Aucune pitié pour les canards boiteux et les oreilles des lapins blancs. Toru le damné bat. À côté de lui, Keith Moon et Rat Scabies ne font plus le poids. Nos trois démons favoris terminent cet album exubérant avec un bel hommage à Jack Scott : «The Way I Walk». Seiji n’a pas la retenue de Lux, mais il s’aplatit devant la grandeur de Jack.

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UFO Romantics, sorti sur Skydog en 2002, est sans doute leur album le plus connu. On y trouve quatre hits garage, à commencer par un «Zaaa Zaaa Asphalt» de belle tenue parcellaire, un cut qui se tient bien car ponctué au ratatam de batterie. Ça sonne comme un classique doté en prime d’un final éblouissant. Arrive un peu loin l’excellent «Gion Midnite», amené lui aussi au tatapoum japonais. Il s’agit là de leur cut le plus frappant car frappé sec et relancé à coups de gros gion midnite ! En B brille l’éclatant morceau titre, monté sur le vieux riff d’Eddie Cochran, un cut très intéressant par son côté power pop blasté aux powerchords. Ils finissent par s’attirer la sympathie de la clientèle. Le quatrième hit de l’album est le dernier, «Lightning’s Melody», allumé à la folie pure. Ces trois petit japonais jouent comme des démons, mais pas les nôtres, ceux du Japon, tout petits, plus grimaçants et plus espiègles. C’est réellement convainquant car riffé à l’os du genou et joué à la vie à la mort, sur-chargé de distorse de son et ruisselant de fièvre quarte.

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Bienvenue à la foire à la saucisse de blast dans Loverock. On a là le même genre de blast que chez les Hellacopters, un rock qu’on appelait à une époque le rock high energy. «Demon Card» baigne dans un jus de tension extrême. Seiji y passe un solo d’étranglement de notes cisailleuses. On peut bien parler ici d’énergie carnassière. Autre merveille du genre : «Shinkanson High Tension», joli slab de power pop à la Japonaise, vrillé à la pire stridence de solo qui soit. Avec cet album, nos trois héros passent à l’étage supérieur, avec des cuts puissants comme «Universe Youth». Le refrain y sonne comme un hymne. On ne s’ennuie jamais avec eux. Autre cut d’antho à Toto : «Moonlight Boy». Rappelons-nous que la puissance est l’apanage des power-trios. Et comme ça japonise dans les brancards, on imagine le résultat. C’est bardé de bouquet d’accords, hurlé dans l’enfer de la fournaise et même chanté au nah nah nah poppy. Quelle dégelée ! En B, on va tomber sur un «Black Hawk» très vindicatif, très déclaratif, c’est chanté à la colère militaire japonaise hélas bien connue. Avec «Katsumiya Tobacco City», nos trois héros délivrent un joli paquet de trash à la cisaille. C’est presque de la barbarie. C’est tellement criard que ça bascule dans l’extrême violence. «Fire Joe» fait aussi partie des hits de ce disque infernal. Ils nous noient ce cut dans une bouillasse sonique à la MC5, avec en prime un solo flash digne de Wayne Kramer. Mais ce qu’on retient le plus de cet album, c’est le cap qu’ils mettent sur la power pop, avec des cuts comme ce «Time Machine Of Tears» gourmand en décibels, ou encore l’effarant «SF Tokyo». Pour le coup, l’expression power pop prend avec eux tout son sens. Ne faites pas l’erreur de prendre Guitar Wolf à la légère.

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Billy Basswolf, celui qui ressemble à Link Wray, casse sa pipe en 2005. Depuis UG le chevelu le remplace. C’est lui qu’on voit maintenant sur scène avec Seiji le loup et Toru le batteur fou. Tiens, justement ! Les Guitar Wolf jouent ce soir au Petit Bain ! Incroyable ! Encore plus incroyable : Toru mange un bon gâteau à la crème à la cantine. Comme tous les Japonais, Toru le batteur fou est d’une gentillesse confondante. Il est aussi svelte que Spooner Oldham et porte un perfecto Guitar Wolf, un pantalon de toile claire et une belle pompadour. Rien qu’à le voir assis là, à côté, on se sent de retour dans le vrai monde, celui des gens qui écoutent les bons disques.

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Curieusement, nos trois héros vont jouer dans une salle à moitié vide. Ils arrivent sur scène coiffés de têtes de tyrannosaures (en écho à leur dernier album, T-Rex From A Tiny Space Yojouhan) et mettent aussitôt leur machine infernale en route. Maximum overdrive ! Aucun souci, ils restent fidèles à leur réputation. C’est vrai que Dieu leur a assigné un mission : blaster l’occident, mais derrière les oreilles.

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C’est toujours un régal que de voir Seiji le zigoto haranguer les filles qui dansent. Il brandit une belle SG rouge barrée d’un gros sticker Goner. Il hurle tout ce qu’il peut hurler. C’est comme si chaque fois qu’il yaourtait une connerie, son corps se vidait. À la manière des mages de l’ancien temps, il rallume les flambeaux un par un et éclaire la nuit qui semble vouloir s’abattre sur le monde.

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Une culture vaut pour un monde, puisqu’elle façonne des vies. Dès lors, on se rassure, car tant que des mecs comme Seiji - le roi des coups d’épée dans l’eau - monteront sur scène, la culture vivra. Tant que Toru le batteur ailé beurrera son beat, le pouls du vrai monde battra. Tant que des petits mecs comme UG le chevelu remplaceront les âmes dévorées par Saturne, la médiocrité reculera de quelques mètres, en sifflant comme un démon qu’on asperge d’eau bénite. Vu sous cet angle, il peut s’agir d’un qui-vive de tous les instants, d’un ultime raout de rage face au rideau de ténèbres qui va finir par nous encercler et par nous avaler, tous autant que nous sommes, et tant mieux.

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Avec son rage rage against the dyin’ of the light, Dylan Thomas fut l’un des derniers mages des temps modernes. Seiji, UG et Toru mènent exactement le même combat. Pas question de baisser les bras. Même s’ils n’ont que trois personnes dans la salle, ils joueront. Non seulement, ils vouent leur vie au rock’n’roll (c’est écrit sur les ceintures qu’ils vendent), mais ils ont aussi le talent qui leur permet de créer une légende.

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Vous voulez entendre un bon battteur ? Alors écoutez Dead Rock. Toru bat «Fighting Rock» au tribal des cavernes. C’est un authentique batteur fou. Il claque le beignet des annales et il fait danser les breaks. Puis il rebat «Sex Napoleon» à outrance. Il bat vraiment comme un dingue. Tous les batteurs devraient l’écouter jouer. Avec «High Schooler Action», Guitar Wolf fait une belle OPA sur la power pop. Avec un mec comme Toru derrière, ça devient enfantin. Il joue ça bien sec. Il joue «Wild Bikini Girl» à la poussive carnassière, et ça avance sur un tapis de basse en distorse. Pour couronner le tout, Seiji claque des solos flash qui resteront des modèles du genre. Et puis on tombe plus loin sur un «Asian Explosion» joué à la force du poignet japonais. Ça blaste à outrance, comme l’indique le titre du cut. Toru n’a aucune pitié pour son enclume. Personne ne peut rivaliser avec lui. C’est aussi lui qui blaste le cut suivant, «Ikebukuro Tiger». Comme dans Ran de Kurosawa, Toru incendie toutes les forteresses. Pour finir, on écoutera «Red Situation», histoire de voir comment se joue un cut à l’éperdue.

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L’une des plus belles versions d’«Hoochie Coochie Man» se trouve sur Spacebattleshiplove paru en 2010. Le heavy blues leur va vraiment comme un gant. D’autant qu’on a la pire hurlette du pays du Soleil Levant. C’est dingue ce qu’il peut gueuler, Seiji. Si Muddy entendait ça, il serait surpris. Il y a là de quoi faire sauter Chess et même Chicago. Quand Seiji part en solo, les immeubles s’écroulent. Il est certain que Guitar Wolf ne peut pas plaire à tout le monde. C’est trop brut, trop hurlé, beaucoup trop rock’n’roll. Mais en même temps, c’est une véritable aubaine pour les tympans crevés, et, on l’imagine, une souffrance pour les natures délicates. Le morceau titre sonne comme un balladif insipide, mais derrière, Toru bat comme un démon. Comme ces gens-là ne se connaissent pas de limites, ils ont forcément le monde à leurs pieds. Ils compressent le son pour offrir plus d’espace à l’ampleur de la clameur. Quels fantastiques pourvoyeurs d’orgasmes soniques ! Encore une monstrueuse prestation de Toru dans «Voltage Sepa/Han». Toru tear it up ! Il frappe tellement que ses coups rebondissent. Voilà un prodigieux tatoué au son tribal psychotique. Sous des dehors approximatifs, ces trois mecs se révèlent extraordinaires. Ils bousculent les genres, album après album. Avec «Tears Are Violence», ils sont complètement explosés de l’intérieur. Le son revient par vagues, mais ce sont des vagues de ras-de-marée. Ils traumatisent le rock. Ils emportent tout, les cons, les coins, les cas, les cops, les cars, les cuts, les crus, les crans, les caps. Avec «Concret Punk», ils s’amusent à faire du punk, mais c’est trop facile avec un mec comme Toru derrière. Il cavale à perdre haleine et soudain arrive un killer solo ! Absalon ! Absalon ! Au bout de dix titres de Guitar Wolf, normalement on lâche prise, mais un truc comme «Hakata Tactics» réveillerait un mort. En écoutant Guitar Wolf, vous économiserez au moins une boîte de cotons-tiges. C’est assez con, comme métaphore, mais elle a le mérite de bien situer le contexte du cortex.

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Curieusement, Beast Vibrator, paru en 2013 souffre d’un problème de son. Seiji commence par hurler le morceau titre dans la tourmente et il fait vite le tour de problème. Il chante «Gasoline Lullaby» un peu faux. Dommage. De toute façon, on ne saura jamais à quoi sert ce cut. Et puis, de cut en cut, on les voit s’enliser dans des longueurs fantômales. Auraient-ils perdu leur pouvoir ? Même impression en B, avec «Magma Nobunaga», monté sur un riff sporadique. On se réveille enfin avec un «Barf Night» monté sur un riff de r’n’b et un joli groove de basse pompé chez Booker T. & The MG’s. Ils finissent cet album un peu falot avec un «Female Machine Gun» en forme de fournaise à la Guitar Wolf. Même si on sort déçu de cet album, on l’écoute jusqu’à la dernière note car le groupe sait rester attachant, quelle que soit la qualité des cuts. On voit bien qu’ils lutteront jusqu’au bout.

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Leur dernier album en date s’intitule T-Rex From A Tiny Space Yojouhan. C’est pour ça qu’ils arrivent sur scène avec des têtes de Tyrannosaures. Alors bien sûr, cet album n’échappe pas à la loi du blast. On se retrouve dans les cordes dès «Jet Reason» et ça continue avec un «Ameoba Love Song» trop dur, trop saturé. Nos petits soldats du trash continuent de monter à l’assaut de la gloire, mais avec brio, car ça se passe dans un pur wall of sound. Il n’existe aucun équivalent de ce raw to the bone dans le mode civilisé. Les Chrome Cranks ? Non, c’est encore autre chose. Avec «Alain Delon’s Revenge», Seiji s’amuse à jurer comme un cocher - Merde ! What a mess ! - Il passe un solo concasseur d’une horreur abyssale - Je t’aime ! Je t’aime ! - Il gueule et ça tourne au fantastique. «Sean And Cold» flotte dans l’air, tellement le son sature. Ils jouent ça aux fumerolles de la fin du monde. Ils chaufferaient une ville entière avec l’énergie qu’ils dégagent. Encore une fois, c’est Toru le génie tribal qui fait le cut. Il bat comme un vrai dingue. Et puis avec «Ninja Season», nos trois vaillants amis font du cinémascope. Leur vague de son balaie tout à 180°. Jolie façon de conclure que ce «In The Galaxy». Ils jouent leur va-tout en power-pop et nous saluent avant de disparaître dans la fumée.


Signé : Cazengler, Guitar Whore


Guitar Wolf. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 6 octobre 2016

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Guitar Wolf. Wolf Rock. Goner Records 1993
Guitar Wolf. Kung Fu Ramone. Bag Of Hammers 1994
Guitar Wolf. Missile Me. Matador 1996
Guitar Wolf. Run Wolf Run. Less Than TV 1996
Guitar Wolf. Planet Of The Wolves. Ki/oon 1997
Guitar Wolf. Jet Generation. Ki/oon 1999
Guitar Wolf. Live. Ki/oon 2000
Guitar Wolf. Rock’N’Roll Etiquette. Ki/oon 2000
Guitar Wolf. UFO Romantics. Skydog 2002
Guitar Wolf. Loverock. Narnack Records 2004
Guitar Wolf. Dead Rock. Ki/oon 2007
Guitar Wolf. Spacebattleshiplove. Ki/oon 2010
Guitar Wolf. Beast Vibrator. Ki/oon 2013
Guitar Wolf. T-Rex From A Tiny Space Yojouhan. Ki/oon 2016
Vive Le Rock #39. James Sharples - Monster Squad.
De gauche à droite sur l’illusse : Billy, Seiji et Toru.

23 / 12 / 2016
MIREPOIX / SALLE PAUL DARDIER

JUKE JOINTS BAND / NUMBER NINE
NOBODY'S PERFECT

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La teuf-teuf piaffe de joie. Vient de parcourir d’une seule traite trois cent cinquante kilomètres et de nous déposer avec une heure d’avance devant la salle de concert. Pari tenu malgré les files d’attente sur l’autoroute. Les gens qui se ruent dans les centres commerciaux pour les cadeaux de Noël. En tout cas à Mirepoix l’atmosphère n’est guère festive. Ruelles noires, désertes, vides, et des centaines de corbeaux qui croassent et piaillent sur les arcs-boutants de l’église. Doivent se rejouer Les Oiseaux d’Hitchcock. Parfois, sans préavis, ils s’envolent tous en même temps et leur vol lourd tourne sans fin autour du clocher, sinistrement, comme l’annonce d’une catastrophe imminente. Une véritable invitation au suicide préventif. Un truc à vous refiler le blues au minimum pour trois mois. Parfait, justement ce soir : concert de blues !
Remarquez, l’existe différentes teintes de bleu. Le bleu sombre des idées noires et le bleu pâle des petits matins livides, genre When I awoke this morning, my babe was not inside… Vous connaissez, je ne vous fais pas de dessin, surtout que ce soir ce sera funny and sunny blues, mais laissons défiler les images.

ELSA


Deux euros l’entrée, un euro si vos êtes affilié à l’association. Un gala de bienfaisance pas tout à fait dans les normes, du beau monde, mais pas celui qui se presse chez Dior ou Cacharel. Elsa est une association d’entraide aux plus démunis, un local - pour se ressourcer et conseils juridiques gratuits - qui ne désemplit pas depuis trois mois. S’agit avant tout de reprendre confiance en soi, pour mieux affronter la vie aussi tranchante qu’une lame de guillotine. Pas question de s’apitoyer sur l’injustice du sort, plutôt apprendre le rituel des pirates qui montaient à l’assaut le rire aux lèvres et le couteau entre les dents. Chez Elsa font feu de tout bois, se servent de leur stock d'échange de fringues et des amis autour. Ce soir, ce sera deux groupes de zicos du coin ( trois si vous savez compter ) et défilé de mode. Ne faites pas les étonnés, vous n’avez jamais entendu parler de la naissance du punk à Londres dans la boutique de Vivienne Westwood ? A part que chez Elsa on ne se prend pas pour des créateurs. Considèrent la mode comme un travestissement, un moyen de se faufiler hors de soi et d’incarner la formule rimbaldienne du je qui est un autre.

MODE

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Un gamin et une vingtaine d’adultes de tous les âges mènent la sarabande à train d’enfer. Bande-son derrière, miment, dansent, courent, se bousculent, se pavanent, se dandinent, sautent, minaudent, tour à tour Betty Boop, Marylin, rappeurs, artistes de cirque, bavarois, écossais, déboulent, défoulent et déroulent la fresque du monde, une centaine d’incarnations qui se bousculent dans la chrysalide des coulisses, viennent faire leur tour, et s’enfuient rapidement aussi vite que ces papillons qui finissent en apothéose dans la flamme de la bougie. Burlesques à la Cocardasse et à la Passepoil. Les gars jouent aux jeunes premiers et les filles ont des gorges dénudées de duchesses. Applaudissements nourris, interpellations, embrassades, une demi-heure de couleurs disparates et froufroutantes, une queue de comète éblouissante. La parodie en tant qu’acte du réinvestissement du réel mythifié. Pas le temps de respirer, Maître Chris au micro détaille le programme de la soirée. N’aura pas besoin d’aller bien loin, juste le temps d’enlever son blouson, Ben Jacobacci prend place sur son tabouret, l’on aperçoit Damien Papin - porte sur son dos sa contrebasse comme l’escargot sa coquille - qui se faufile par l’entrebâillement de la porte d’entrée. L’est déjà sur scène en train de s’harnacher de sa basse électro-acoustique.

JUKE JOINTS BAND

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Que diable, Ben et Damien ont dû gober douze œufs mimosas à la cocaïne avant de monter sur scène. Survoltés. Du blues enrockbé de dynamite. Deux misérables grattes qui vous tissent un de ces quadrillages métalliques comme les électriques n’arrivent à en accoucher que les soirs de grand vent rock‘n‘rolliens. Une déjection canine des chiens de l‘enfer dans vos oreilles. Pauvres instruments soumis à une effroyable torture. Ben a décidé de scier ses cordes avec ses ongles. Fait voler le blues en éclats. L‘écartèle et le dispatche aux quatre coins de l‘univers. Ne regardez pas le va et vient de ses mains, si vous ne voulez pas devenir fou. Le tic-tac titanic du destin détraqué qui se hâte de courir vers la catastrophe finale. Une amplitude sonore inégalée. Le râle de la mort sûre. Damien tout aussi foutraque mais tout en longueur. Une note, l’une après l’autre. Mais attention au traitement spécial. Au début la laisse échapper telle une torpille qui se tortille, swingue du museau pour chercher sa direction, l’épouse les formes de la vague, nous la fait plus jazz que moi tu meurs, et c’est vrai qu’elle ondule méchant explorant toutes les subtilités modales de sa propre sonorité, et brusquement elle file droit et loin, un éclair, la charge de foudre qui explose sur les saccades de Ben, et la lumière bleutée du blues se change en technicolorock. Pas le temps de voir le film, y a un chien de sa chienne encore plus féroce qui la suit de près. Sur ce Ben surenchérit, plus vite, plus fort, plus violent.
Qui serait capable d’arrêter la pluie d’un tel déluge ? Chris, bien sûr. Fait tout de même signe qu’on lui monte le son. N’ayez crainte, connaît ses rituels par cœur. Sang de vaudou et âme noire de colère enragée. Faut la voix qui râpe le granit du réel pour proférer ces saillies d’ensorcèlement et d’anathèmes, porte à ses lèvres le sang du Chris, un coup de rouge, un coup de blues et la fièvre noire vous colle à la peau comme la jaunisse du désespoir. Et Ben survolté qui pousse de sa voix d’aboyeur les refrains des morceaux car il faut toujours appuyer là où ça fait le plus mal. Chris la chignole qui grince comme les seaux des puits dans les poèmes de la trilogie noire de Verhaeren. Le blues comme un bélier qui fracasse les portes de l’hypocrite fausseté du bien-être.

PREMIERE INVITATION


Le coup de la fausse nostalgie. Vu les zigotos qui dansent sur la piste, la tête surmontée de branches d’arbres - ressemblent à des créatures alligatoriennes échappées des bayous - ce n’est pas le moment d’entamer la séquence des larmes. La nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Fred est prié de s’installer derrière la batterie. Voilà vingt ans, il jouait avec Chris, nous en saurons davantage tout à l’heure. S’en vient jouer de la grosse caisse et des mini-fûts. S’intègre très bien dans le raffut de nos cordistes, ce soir le JJB ne pose pas des cloisons en placo-plâtres, ont pris l’option agencement de murs cyclopéens à la Lovecraft, bye-bye le blues plaintif qui rampe plus bas que terre, ce soir c’est le grand varan destructeur des Galapagos qui mugit de colère et de joie. Chris n’hésite pas à rappeler que les chiens de l’enfer n’engendrent pas des chatons mignons, enjoint les pauvres à rentrer dans le cercle mouvant des danseurs. Les invite au banquet des mendiants, afin d’investir la royale assemblée des hommes libres. Le blues brise les chaînes sociales et vise à l’accomplissement individuel. Le JJB descend de scène sous les acclamations.

NUMBER NINE

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Number Nine prend la relève. Christophe s’arme de sa basse et Jeff de la lead guitar. Fred est resté à sa place. Le groupe local par excellence. Vingt ans d’existence et toujours ensemble. Les copains qui se retrouvent régulièrement pour pousser la rocksonnette. Pour le plaisir. Pour perpétuer l’illumination native de leur seize ans. Sévissent dans les environs comme ils disent. Sans prétention, mais sont comme des dolmens inamovibles du milieu rock mirapicien. Des amateurs, au sens noble du terme. Font partie de ce terreau des groupes irremplaçables qui perpétuent la flamme rock dans les campagnes les plus reculées. Chaque fois qu’ils montent sur scène revit le rêve de la grande mythologisation des sixties and seventies. Ces années de feu où le rock donnait l’impression d'accoucher d’une nouvelle culture dont l’implantation bousculerait le vieux monde dans les poubelles de l’histoire. Le rêve est mort, mais le rock and roll survit. Un dinosaure échappé de l’extinction programmée des espèces.
Envoient la béchamel sans chichi. A pleines louches. Des premiers Beatles à Led Zeppe, tout ce que l’on aime, rajoutent quelques vieux rock pour faire monter la sauce. Derrière ses fûts Fred s’empare du micro et vous envoie de ces mouscailles de mouettes qui ricanent de joie dans les vents les plus tempétueux. Un délice, servi chaud et rapide. Parfois Jeff prend le relais. Jeff la force tranquille et débonnaire. Arbore les mimiques de celui qui n’y croit pas, qui va se planter dans le premier riff qui passe et hop il vous refile de l’airain estampillé qualité supérieure. Christophe est encore pire dans l’auto-dénigrement. S’excuserait presque de vous faire prendre votre pied d’argent massif. Echangent leurs places, Christophe ceint sa Flying V, et Jeff se met à la basse et c’est reparti pour le pont d’Arcole.

FRERE JACQUES


L’est demandé pour venir sonner matines avec ses anciens compagnons. Du temps d’avant vingt ans où les Number Nine s’appelaient Nobody's Perfect. Possédaient alors deux guitaristes et ce soir Jacques remonte sur scène. Un tantinet crispé et les doigts un peu rouillés. Laissera deux ou trois fois passer son tour, mais attention va vite retrouver ses talents de bretteur. L’a intérêt car ses potes ne lui font pas de cadeau. L’introduisent dans une des meilleures pièces de la maison rock, White Room des Cream, pas moins ni plus, et Jacques retrouve ses marques de fine lame, un jeu délié à la Clapton, fait chanter les aigus tandis que ses acolytes lui servent un accompagnement brut de décoffrage, qui met parfaitement en valeur son ruisseau électrique minéralisé.
Après un tel morceau, l’on ressort les classiques, Sweet Little Sixteen idéal pour que chacun prenne son chorus de guitare et un Jailhouse Rock dégobillé à la Led Zeppe, guitares étincelantes à fond et Fred l’égosillateur sans frein qui mène la cavalcade à fond de train. Anthologique. L’on se calme avec le balancement régulateur de Worried Life Blues.

NOBODY'S PERFECT


L’en manquait encore un. Un groupe sans chanteur est une erreur de la nature. Le boss est demandé au micro. Et voici Chris qui revient pousser la goualante avec ses poteaux. Start It Up comme entrée en matière. Dantesque. Le font durer comme les couloirs de l’enfer avec traversée obligatoire des fournaises les plus chaudes. Le combo envoie du séquoïa, n’y a plus que les filles exaltées qui dansent du ventre et de tout leur corps, les mâles ont abandonné la partie, les sorcières ont trouvé un sabbat digne de la fièvre hystérique qui les agite. Under Cover, Sweet Home Chicago sont brandis tels les brandons d’Alexandre boutant le feu dans les palais de Persépolis. Ben est rappelé en renfort de pyromanie. S’empare d’une électrique et la triture un peu à la façon du Marquis de Sade réalisant ses phantasmes sur le corps pantelant d’une Justine fortunée des plus cruels délices. Un Mustang Sally et un Walking by Myself à vous rendre fous et l’on termine par un Crossroads démentiel qui vire carrément à la folie collective. Au bout duquel Chris déclare forfait. N’est pas descendu de l’estrade qu’il est happé par un groupe d’admiratrices.
Se fait tard mais l’on ne va pas se quitter comme cela, les trois mousquetaires de Number Nine ont encore de la ressource, nous offre un mini-festival Rolling Stones et finissent par appeler l’australien de service. Loïc et sa guitare. Pantalon court, veste de collège et cornes du diable clignotantes sur la tête et c’est parti pour un Highway to Hell à tombeau ouvert qui emporte l’assistance au paradis des rockers.

RETOUR SUR TERRE


Demain le Père Noël peut rester au chaud avec ses rennes. L’on a déjà eu notre cadeau. Ne pourra nous offrir rien de plus beau. Blues and Rock forever !


Damie Chad.

 

APPROCHES DU R&B

I
PORTRAITS DE FILLES ELECTRIQUES
J’AI ENCORE ESQUINTE MON VERNIS
EN JOUANT UN RE SUR MA GIBSON

JEAN-ERIC PERRIN

( Editions Tournon / Mai 2009 )

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Retour au Gibus. Pas le parisien. Au camion itinérant aujourd’hui au marché mirapicien. L’ai déjà dévalisé la semaine dernière. Ne reste plus grand-chose à part les quatre premiers numéros ( petit format ) de la revue Harmonix spécialisée dans le rock progressif. Se vendait uniquement par abonnement. J’hésite, lorsque mon regard est attiré par une fille. Waouh ! Quel chien ! Vous la voyez l’espace d’une demi-seconde et déjà le chiendent du désir vous embroche le cœur. Je ne vous fais pas languir, c’est Chrissie Hynde. Inutile de faire les présentations. Belle couverture mais titre racoleur aux limites de l’idiotie. Mais pour la dégaine de Chrissie en couverture - ah cet air dédaigneux dont elle vous toise ! - vous achèteriez deux mille mauvais livres sans sourciller. D’autant plus qu’à la maison je bois du petit lait. Passe la moitié de l’interview à me couvrir de compliments. A l’écouter je suis un gars parfait bien au-dessus de tous ces balourds d’américains parmi lesquels elle a vécu. Une déclaration d’amour envers ma modeste personne qui vous rendra fous de jalousie. Non, elle ne parle pas exactement de moi. Vous avez eu peur. Mais du rocker français. N’est pas rongée par le doute la Chrissie, le pays qui aime le rock, qui possède un public averti, c’est le nôtre. Et depuis longtemps. Cite les jazzmen qui sont venus s’installer en France pour fuir la crasse bêtise de leurs concitoyens. Déclaration sans ambiguïtés, les véritables amoureux du rock and roll, les connaisseurs comme elle nous qualifie, nichent par chez nous. A l’entendre, au béret et à la baguette de pain qui nous épinalisent selon les nations étrangères, faudrait ajouter sous l’autre bras une pochette de trente-trois tours de Willie DeVille. Il y a des filles qui n’ont qu’à ouvrir la bouche pour se faire aimer.
Jean-Eric Perrin, ce sont ses dossiers qu’il ressort. Trente-quatre des interviews des donzelles du rock qu’il a rencontrées pour Best, Rolling Stone Rock & Folk, RER et R&B magazine. N’est pas fou, n’a pas voulu générer des haines irréconciliables de préséance mal placée, les a rangées dans l’ordre alphabétique. Parfois elles datent de plusieurs années, il résume en quelques lignes - dans la série que sont-elles devenues ? - la suite de leur carrière, souvent il remodelise l’article initial en ajoutant un ou plusieurs paragraphes qui redéfinissent les circonstances. Pour les photos qui illustraient ses contributions, nacash, pas une seule, même pas un petit format en blanc et noir. C’est râlant, surtout qu’à lire les descriptions énamourées que Jean-Eric Perrin dresse de ses interviewées, nous avons affaire à de superbes créatures douées d’une plastique de rêve ou d’une personnalité étonnante, parfois les deux conjuguées…

ELECTRICITE


De nos jours l’électricité est partout. Dans le fil qui alimente votre batteur à œufs comme dans les lignes à haute tension. De même chez les filles. Perso j’aurais tendance à classer les meilleures condensatrices d’énergie chez les rock and rolleuses. Vous en trouverez quelques unes, Chrissie bien sûr mais aussi Debbie Harris, Siouxie Sioux, Wendy O Williams, Marianne Faithfull et c’est à peu près tout. Ne proposez pas d’autres noms, vous feriez erreur. D’abord l’on ne peut interroger que celles qui passent auprès de votre micro. Si Poison Ivy n’est pas dans les parages, il est peu de chance que votre rédac chef vous loue un jet privé pour partir lui poser douze questions aux States. A l’impossible nul n’est tenu.

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Et puis tout dépend de vos goûts et de vos couleurs. Qui se discutent. Jean-Eric Perrin fut directeur de RER revue spécialisée en Rap, et de R&B magazine. Le rap est avant tout une affaire de mecs machos. Ce n’est pas moi qui le dis mais les nombreuses icônes du R&B qui forment les gros bataillons du bouquin. J’en cite quelques unes : Tori Amos, Erikah Badu, Mary J Blige, Mariah Carey, Neneh Cherry, je m’arrête à la lettre C. Toutes interchangeables. Je résume un portrait type. Je suis née dans les quartiers, j’ai appris à me défendre, j’ai fait de la danse, j’ai toujours eu envie de chanter, une de mes cassettes est arrivée dans les mains d’un gros producteur, l’on m’a tout de suite proposé un contrat, j’ai enregistré un disque qui s’est vendu à deux millions d’exemplaires, je vis dans le luxe, je ne le regrette pas, noire, sang-mêlé ou hispanique j’ai connu les humiliations racistes, je fais des duos avec des rappeurs célèbres, parfois je sors avec, sont tout de même un peu violents, je travaille beaucoup, je continue à prendre des cours de chant et de danse, je dis ce que je ressens à mes producteurs qui m’écrivent les morceaux, je lance une ligne de vêtements, je participe à des défilés de mode, je tourne des clips, des publicité et des bides au cinéma. Je suis une femme libérée, je pose nue pour Playboy. Certaines un peu plus perspicaces mettent sur pied leur propre boîte d’édition, de production et de distribution. En plus, les pauvrettes, pour la promotion elles sont obligées de se farcir les interviews.
C’est Jean-Eric Perrin qui se charge du pensum. Ne le plaignez pas, il aime ça. Parfois elles sont entourées d’attachés de presse, de caméristes, d’habilleuses, et de maquilleuses. L’est un peu le larbin de ces dames, tôt le matin ou tard le soir. Mais il y a des compensations, l’est assis sur le même divan que la diva, sont dévêtues de vêtements qui lui laissent entrevoir des décolletés qu’il qualifie de vertigineux, normal ce sont des entrevues, lui est même arrivé de faire des interviewes couché à côté de la dame, n’est pas un mufle, ne raconte pas tout.

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Les réponses sont un peu stéréotypées, les zamzelles s’appliquent, connaissent le discours par cœur. Parfois vous tombez sur une forte personnalité à la Grace Jones, vous avez alors l’impression d’être avec la copine frapadingue que vous préférez. Mais le must, c’est d’être envoyé en mission sur des inconnues. Sont au pied de l’escalier de la gloire mais n’ont même pas encore posé le pied sur la deuxième marche. Perrin aura ainsi la chance d’interviewer Madona dans sa chambre d’hôtel, au Meurice mais dans une soupente presque aussi large que le lit. Vient juste de signer chez Sire mais elle s’étend surtout sur ses expériences musicales hexagonales avec Patrick Hernandez de Born to be Alive…
Trois françaises : Hardy désabusée de tout, Birkin faussement modeste, Paradis qui se prend pour Calimero. Les trois toquardes de service, toutes les autres jouent, avec plus ou moins de talent, à l’interview ou avec l’intervieweur qui est assez intelligent pour ne pas être dupe. Nos mijaurées nationales, se confient et reniflent, le bureau des larmes, genre Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau.
Je résume en gros : nous sommes surtout dans les temps de l’après-disco. Quand la musique noire se perd dans l’hyper-sophistification, que les défauts de la Tamla deviennent des impératifs esthétiques, que le disque se transforme en produit de consommation de masse, que les chanteuses se suivent et se ressemblent, que l’artiste devient un élément interchangeable de la production… Une plongée au cœur d’une industrie qui n’a que peu de relations avec le rock and roll.
Jean-Eric Perrin ronronne avec les panthères noires mais ne hurle pas avec les louves. Un bel article sur Tina Turner - une grande chanteuse - mais c’était encore mieux avec Ike…

 

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Faut pratiquement atteindre la fin du bouquin pour se retrouver en territoire connu. Jean-Eric Perrin la présente comme l’incarnation physique de son idéal féminin. Se pâme, s’il osait écrirait un poème sur sa blondeur. A dû le composer et le lui offrir mais il l’a supprimé de sa chronique. Kim Wilde ! Qui met tout de suite les points sur les I. Sa carrière n’en cause presque pas. D’ailleurs toutes ces dernières années elle s’est consacrée au jardinage. Non, elle, ce qui l’intéresse c’est le bon vieux rock and roll des familles. N’est pas la fille de Marty Wilde pour rien. Qui a rencontré des gens extraordinaires Eddie Cochran, Gene Vincent, Billy Fury… Ne s’en laisse pas conter. Moi je l’écouterais jusqu’au bout de la nuit cette blondinette.


Damie Chad.

II
R&B
ENTRE POP & BLACK MUSIC

MARC FANELLI-ISLA

( Editions Didier Carpentier / 2012 )

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La première fois que je l'ai vu dans une librairie, j'ai ricané de mépris. Ne pouvais pas l'ouvrir puisqu'il était scellé dans une gangue de plastic indéchirable. Mais je subodorais ce qui s'alignait à l'intérieur de ce grand format. Une suite de sombres félines, plus redoutables les unes que les autres, complaisamment étalées en de voluptueuses poses suggestives de fausse candeur. Ce n'est pas qu'elles me laissent indifférent, mais questions poupées sonores je préfère les estampillées Dolls de New York. En plus 29, 50 euros ! La semaine suivante l'avait dégringolé à vingt. Huit jours après, trois euros chez le soldeur. Et la caissière m'annonce 1,50 sous prétexte d'une remise de 50 % sur le rayon livres. Evidemment, une fois dépouillé de sa coque protectrice, tricherie complète sur la marchandise. Les nanas faut les chercher. Rares, que des photographies minuscules et pour le sex-appeal c'est un peu décevant. Que des gars. Que des mecs. A téléphoner aux ligues de parité. Désolé de décevoir une partie de mon lectorat, même pas gay. En plus, pour ceux qui n'aiment pas lire, c'est rempli de texte. Est-ce le démon de la perversité cher à Edgar Allan Poe qui me pousse parfois à des commettre des achats inconsidérés de livres qui jactent d'une musique que je n'apprécie pas ? Point du tout, c'est le flair, le fameux flair du rocker, qui vous renifle une photo d'Elvis ensevelie à cinq cent mètres sous terre, sans faillir, avec la célérité d'une truie truffière. Car oui le bouquin est plus qu'intéressant.

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Fonctionne comme une enquête. Marc Fanelli-Isla - les amateurs reconnaîtront G.No, chanteur de R&B latino. Donc ce jeune homme ( né en 1978 ) piqué par une saine curiosité a décidé de dresser la carte du génome de sa musique préférée. C'est un peu son truc à notre auteur, un citoyen multi-cartes, de son siècle branché sur l'informatique - tour à tour et en même temps chanteur, producteur, écrivain, journaliste, conseiller et autodidacte - les deux pieds dans la technologie, toujours en quête de nouveauté, les bras pris dans l'engrenage de notre modernité, mais avec le désir de tout comprendre des courants ascendants et contraires pour rester sur le haut de la vague... Vous pouvez le stigmatiser, entre ceux qui suivent la mode ou la musique et ceux qui la créent - n'en déplaise à David Bowie - la distance n'est pas si grande. D'où cette interrogation dans la première partie du bouquin. J'aime le R&B, mais que signifie cette musique ? Quel message porte-t-elle ? Que véhicule-t-elle au juste ? Que transmet-elle à son public ? Lui semble osciller entre deux extrêmes, un simple divertissement abêtissant ou l'expression d'une révolte nécessaire. Acceptation ou refus de la réalité sociale du monde ? Ne sera jamais très clair dans sa réponse. Mais Heidegger précisait que l'important réside dans le questionnement de la question. Le R&B est un phénomène complexe. La frontière entre les deux postulations est mouvante. Rien n'est tout à fait blanc ou tout à fait noir.

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Choisit tout de même son camp. Le noir. La musique noire qu'il décrète l'élément constitutif primordial de la musique populaire américaine, puis occidentale et aujourd'hui mondiale. L'a trouvé la piste. Ne lui reste plus qu'à la remonter. Pour être exhaustif, il lui faudrait rédiger une encyclopédie en vingt volumes. Elira un itinéraire, définira un certain parcours, fera ses choix. C'est lui le guide qui organise la visite. Délaisse certaines pièces, s'attarde dans d'autres. Ne le critiquons pas, chacun agit de même.
Débute par les esclaves emmenés en fond de cale, glisse quelque peu sur le blues. Privilégie le gospel. Insiste sur les voix de têtes qui lui paraissent la première manière de se révolter contre l'oppression blanche. Des voix de castrat, qui symbolisent les mutilations psychologiques dont la communauté noire fut la victime non-consentante, et qui sont en même temps un formidable pied de nez à l'ordre des blancs, impossible de reconnaître une voix de femme d'une voix d'homme, confusion des organes, mélanges des genres et des sexes qui font si peur à la pruderie des puritains... Phantasmes résurgents des sexes noirs pénétrant le corps des blanches épousées chez les maîtres, tradition de ces notes tremblées dans le chant des noirs, ces falsetti qui font fondre les corps et émeuvent les âmes. Vous les retrouvez partout chez Sam Cooke, Otis Redding et dans toutes les ballades énamourées des chanteurs et chanteuses de R&B de ces trente dernières années. Un cri profond, un cante jondo qui puise sa source au fond des solitudes et de la détresse du peuple noir.

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L'on ne va pas passer son temps à pleurnicher. Déjà au tout début, dans les Eglises, souvent on accélérait le rythme et l'on s'adonnait à de ces javas d'enfer ! Mais c'est après que les choses ont empiré. Lorsque petit à petit s'est formée une première bourgeoisie noire, en constante progression au fil des décennies. Qui n'avait qu'une idée, oublier les débuts difficiles et prendre un peu de bon temps. Les musicos ne se sont pas fait prier. L'on a attifé le vieux canasson fourbu du blues d'une coupe de crinière fringante et affublé son pas pesant d'un trot enivrant. Le rhythm and blues était né. Musique de danse et de joie. S'est tellement accéléré que sans y prendre garde il s'est transformé en rock and roll. Visite des studio Sun obligatoire, pleine page sur Screamin'Jay Hawkins, et j'en passe. N'allez pas chercher plus loin pour savoir d'où viennent tous les morceaux rythmés du R&B...
Tout n'est pas simple. Le monde n'est pas devenu tout beau, tout marrant. L'existe de terribles allers et retours. La ségrégation n'en finit pas de mourir, faudra des révoltes, des manifestations, des morts, des émeutes pour l'abolir, du moins en théorie... Le racisme n'a pas dit son dernier mot, au moment où j'écris ces mots. Aux USA ( ailleurs aussi ) mieux vaut être blanc, riche et en bonne santé que noir, pauvre et malade. La musique s'inscrit en accordéon dans ses contradictions, parfois elle est la bande-son du black power, de la révolution qui vient, et parfois elle sert de chloroforme, le verre d'alcool qui vous requinque, le shoot d'héroïne qui vous calme... Marc Fanelli-Isla ne parvient pas à délimiter une frontière style face lente je m'endors, face rapide je me révolte. Dans le jazz, le be-bop se prête mieux à une telle dichotomie, mais l'instant d'après tout se brouille...

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La solution est ailleurs. Avec James Brown, Say loud, I'm black and proud, certes la violence revendicatrice du funk, mais peut-être beaucoup plus dans le tenace effort de Mister Dynamite à devenir le maître de sa propre production, enregistrer ce qu'il veut comme il veut... En attendant la Motown vous pond des hits à gogo, de la belle musique qui caresse les chats de toutes les couleurs dans le sens du poil. Couvera en son sein Mickaël Jackson. Ce n'est pas qu'il soit un bon ou un mauvais chanteur qui compte, l'est le premier artiste noir hégémonique. Fait l'unanimité et chez les noirs et chez les blancs. Number one at the top. Ouvre la voie à Obama.
L'est le cheval de Troie introduit non pas dans les goûts du public mais dans le showbizz. Au coeur des maisons de disques. Les noirs trusteront désormais les postes de direction. Managers, producteurs, compositeurs, directeurs des labels... la force du R&B réside en cette prise de pouvoir. Sont aux manettes. Un plus, pour les brothers et les sisters.

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Ils ont gagné. Oui. Mais attention aux retombées. L'argent, les dollars, sont des reptiles fascinants au venin incapacitant. Le R&B s'endort sous les violons et les recettes faciles. Le réveil viendra de la rue, des quartiers, du hip-hop, du rap, qui booste et qui bouscule. Pour un temps. Car si le R&B y gagne en couleur, le rap colérique perd les siennes. N'est plus un dégueulis de haine qui tombe sur l'auditeur comme un seau d'acide, rentre dans le rang, couplet, refrain, couplet, refrain, parle encore fort mais chante beaucoup plus...
Méfiez-vous généralisations hâtives. La musique noire est aussi l'apanage des blancs. Héros du rock'n'roll, Presley est un amateur de musique noire, ne se contente pas d'adapter, ou plutôt d'adopter, That's All Right Mama, enregistre plusieurs albums de gospel ( espèce de retour à l'envoyeur ) comme How Great Thou Art en 1967 et en 1969 sort From Elvis In Memphis qui jette les bases de ce que l'on pourrait nommer the white soul. Domaine des noirs, le R&B s'ouvrira aussi aux chanteurs d'origine blanche, George Michael avec ses quatre-vingt millions de disques vendus étant le parangon parfait de ce cross-over à rebours.

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La dernière partie du livre est consacré à l'émergence, puis au triomphe, du New Jack Swing, cet instant magique où Teddy Riley réalise le grand mix : rap, funk, gospel, rhythm and blues, jazz, hip-hop, musique classique. La grande fusion. Expérimentation tous azimuts. Libération suprématiste. La musique noire explose tell un feu d'artifice.
Le New Jack Swing possède la force de frappe d'un sous-marin porteur d'ogives atomiques, mais son principal défaut réside en sa structure dépourvue de parois étanches intérieures. Les recettes des nouvelles cuisines appliquées systématiquement risquent de virer à la plus infecte des tambouilles. La New Jack Thing qui apparaît à la mid-eighties comme une forme révolutionnaire de la musique noire a perdu au fil des années de sa virulence. L'industrie musicale vous l'a liophilisée en produit diluable de grande consommation... Fanelli-Isla présente quelques uns de ses créateurs : Guy, Bobby Brown, AI B. Sure, The Boyz, Johnny Kemp... Le courant se durcit quelque peu avec l'apparition du Heavy R&B qui apporte une emprise rap ( peut-être davantage au niveau attitude, revendication et mode vestimentaire )plus appuyée à la Notorius B. I. G. 2 Pac, Jodeci, Blackstreet, DeVante, sont les figures de proue de ce mouvement qui va s'effilochant quelque peu... L'apparition de la Nu-soul, retour à la soul des années soixante-dix jouée avec des instruments traditionnels et affranchie des boîtes à rythmes et autres outillages électro est-elle un relent de passéisme ou la marque d'une reprise en main doctrinale ? L'est difficile de savoir qui est qui. Dans une portée de chatons noirs collés en vrac au ventre de la mère, pas évident de saisir les limites de chaque individu entremêlé à ses frères et soeurs. Fanelli-Isla reste très discret. Fait comme s'il avait oublié les questions à l'origine de ses recherches. Le R&B est-il un simple artefact de musique sans alcool mais qui mousse beaucoup à consommer sans modération pour le plus grand bien des actionnaires des maisons de disques ? L'on s'arrache les chanteurs à coups de millions de dollars. Le mercato R&B n'a rien à envier aux surenchères des clubs de sport. Notre auteur évite le dilemme entre le choux gras de l'investissement capitaliste et la chèvre maigre de la révolte artistique. S'en sort par le haut. Proclame le résultat : la musique noire domine la musique populaire mondiale. Belle revanche pour ces descendants d'esclaves qui ont réussi grâce à leurs talents à s'emparer de tout un segment culturel.
Vous rangerez ce livre – exactement le même format – dans votre bibliothèque à côté des deux volumes de Jean Christophe Bertin, Les Racines de la Musique Noire Américaine ( Gospel, Blues, jazz ) et Rhythm & Blues, Country, Rock & Roll, La Musique qui vit grandir Elvis, l'en est la suite. A ceci près que Marc Fanelli-Isla ne possède pas le même recul, pédale dans la choucroute le nez dans le caca, mais sa tentative de classification et de réflexion est des plus méritoires. Et puis surtout ces prolégomènes interrogatifs initiaux sont les mêmes qui se posent à tout amateur de rock and roll. Est-il une musique d'enternainement ou de démarcation ? Et dans la série des questions qui fâchent et divisent, quid de ses implantations politiques et existentielles ? C'est bien connu, l'amour rend aveugle. Je préfère la déclaration de Jim Morrison qui se définissait comme un politicien érotique. Nous arrêterons là. Pour cette fois.


Damie Chad.

18/12/2016

KR'TNT ! ¤ 308 : LITTLE VICTOR / PAT CAPOCCI / RIOT CITY REJECTS / 2 SISTERS / BLACK MATTER / CRASHBIRDS / GUY GILBERT

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 308

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

22 / 12 / 2016

Pour que vous puissiez la déposer au pied du sapin, la livraison 308 arrive avec un peu d'avance. Mais comme dans la vie tout se paye, la 309 surviendra avec deux ou trois jours de retard. Sur ce, nous vous souhaitons de retrouver en ces temps de Sol Invictus l'esprit des saturnales romaines que nous résumons en trois injonctions :

SEX, DRUGS AND ROCK'N'ROLL !

 

LITTLE VICTOR / PAT CAPOCCI

RIOT CITY REJECTS / 2 SISTERS / BLACK MATTER

CRASHBIRDS / GUY GILBERT

La petite victoire de Little Victor

 

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Bel endroit que cette Condition Publique à Roubaix. Il s’agit sans doute d’un vieux bâtiment industriel restauré mais pas trop, et qui offre des volumes parfaitement adaptés aux concerts de rock. La patine du temps et le fait que ce ne soit que partiellement restauré confèrent à l’endroit un charme désuet qui colle parfaitement à l’esprit d’une programmation résolument hors normes. Guitariste des Dustaphonics et DJ de renom à Londres, Yvan Serrano trie ses invités sur le volet. Son festival s’appelle le Vintage Weekender. Ils ne sont plus très nombreux en France à savoir proposer des choix de groupes aussi intéressants. En matière de fiabilité, le Vintage Weekender navigue au même niveau que Béthune Rétro, le Cosmic de Bourges et Binic. Le Vintage est même encore plus audacieux car il propose un choix beaucoup plus ouvert mais incroyablement qualitatif : rockabilly avec Pat Capocci, Memphis blues avec Little Victor et un cover-band d’Otis venu de Londres. Vous avez aussi du garage, du ska blanc, du blues rootsy et Al Foul venu spécialement d’Arizona.

Si on se rend à Roubaix pour le Vintage, c’est pour deux raisons : par curiosité d’une part (c’est le pari que fait Yvan de nous faire découvrir des grosses poissecailles) et pour voir Little Victor d’autre part, un zigoto un peu rococo qui n’est pas très connu en France, mais quand on connaît son album paru sur Wild, on n’hésite pas un seul instant à traverser tout le Nord de la France, même dans une voiture dont l’embrayage menace de céder à chaque changement de vitesse. L’inconvénient est qu’on met deux fois plus de temps pour avaler l’aller ET le retour, mais on prend le risque.

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Little Victor a pris un peu de poids, mais dès qu’il met son groupe en route, il dégage ce souffle que ne dégageront jamais les apprentis sorciers à la petite semaine. On voit bien qu’il a bouffé du blues électrique toute sa vie et dans le son qu’il sort, on retrouve ce froutraque typique de Memphis et de Jim Dickinson, cette impression de négligé qu’on appelle aussi l’élégance du dilettantisme. Little Victor porte un gros costard bleu-gris, un fez panthère égyptien, des grosses pompes bicolores, des bagues à tous les doigts et une espèce de cape en plastique blanc. C’est un authentique bouffeur de scène, un showman extrêmement spectaculaire.

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Il a recouvert sa guitare de fourrure, comme le fit à une époque Billy Gibbons. Il chante dans un micro qui descend tout seul parce que le pied de micro est foutu, mais il chante quand même, il balance ces blues de gras double comme on les adore, qui remontent au temps où Wolf enregistrait ses premiers disques chez Sam Phillips. Par les temps qui courent, vous ne croiserez plus beaucoup d’artistes de cet acabit. Comme King Khan, Little Victor prend le risque de passer pour un clown, mais il joue comme un dieu, et il n’est pas besoin d’être guitariste pour sentir que son style est parfaitement au point.

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Il joue des cuts connus comme le loup blanc, mais il sait faire la différence, grâce à un jeu un peu agressif et un son judicieusement distordu. Une jeune française nommée Little Lou vient chanter quelques classiques avec Little Victor, dont un beau «CC Rider». Elle y met tout le chien de sa chienne et se fend d’un fier sourire communicatif. Tout cela est terriblement bon esprit. Voilà ce qu’il faut bien appeler un concert idéal, bien zébré d’éclairs de talent pur.

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L’après concert est moins glorieux. Little Victor s’installe au mersh avec une petite table pour vendre son dernier album, Boogie All Night. Il n’en vendra que deux et se prêtera au rituel des photos avec la patience d’un ange de miséricorde. C’est dur de voir un artiste aussi complet vendre si peu de disques, même si on sait que Roubaix est l’une des villes les plus pauvres de France.

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Alors oui, Let’s Get High paru sur Wild en 2009 est un vrai disque. Little Victor attaque avec un «Too Late Now» monté sur le vieux riff de Suzy Q. C’est admirablement saturé et joué dans une ambiance épaisse et bien secouée. Et tout le disque va rester à ce niveau d’excellence, avec le son plein du Memphis blues et des guitares en reverb. Esprit es-tu là ? Oui ! Joli coup de jumpah avec le morceau titre, joué à l’énergie maximaliste, soutenu par des cœurs d’artiche d’inspiration divine. Encore du boogie bien slappé avec «Workin’ On The Levee», visité par le fantôme de Little Walter. Sacré Little Victor, il fait là son vieux Muddy de Memphis, les Little se retrouvent au paradis du blues électrique, sur fond de slap bien cassant et des coups d’harmo fantomatiques. Attention à «That M&O Train» ! Little Victor le joue avec la même énergie que le fameux «Streamline Train» de Jessie Mae Hemphill repris jadis par Tav Falco. Il retrouve le secret du pulsatif de base, la même folie conductrice et bouffeuse de mythes. Voilà ce qu’il faut bien appeler un cut intemporel. Little Victor sait aussi jouer le mambo, comme on le constate à l’écoute de «Cold Hearted Woman», spirit hors normes, presque cha cha cha, c’est le mambo des aventuriers du Caire qui portent des lunettes noires dans les salons du Grand Hôtel Tazi. On retrouve le merveilleux slap de blues dans «Goin’ Away» et des coups d’harmos à l’écho du temps. C’est un boogie de rêve. Little Victor le prend au Chess bouillant et le conduit directement en enfer. Il connaît toutes les ficelles du blues. Il a en effet accompagné toutes les légendes du blues, de T-Model Ford à Robert Belfour, en passant par RL Burnside et Louisiana Red. Il chante «Brownsville Blues» à la glotte ardente. Ce mec est absolument effarant, mais il n’intéressera que les amateurs de blues, et encore. Il est évident que les gens de Roubaix venus en curieux n’ont pas les éléments qui permettent de saisir l’importance vitale d’un artiste comme Little Victor. Ça leur passe largement au dessus de la tête et c’est bien normal. Tav Falco reste lui aussi méconnu du grand public. En France, il n’intéresse qu’une poignée d’inconditionnels. Le refus catégorique de se compromettre condamne tous ces grands artistes aux ténèbres de l’underground.

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Son dernier album en date s’appelle Boogie All Night. On y trouvera un véritable coup de génie : «Blind Man Boogie». Il s’agit là d’un extraordinaire boogie hanté et violent, chanté à la niaque des bas-fonds, au gras du feeling pur. Dans ses notes de pochette, Little Victor explique que Tav avait récupéré ce vieux boogie chez Asie Payton pour le jouer sur son premier album, avec Alex Chilton et Jessie Mae Hemphill - What goes around comes around - Victor dit qu’il le joue avec the Spanish tuning behind the magnolia curtain. Rien que pour ce cut, il faut rapatrier l’album. «Run Walk Or Crawl» sonne aussi comme un hit inconnu de Tav Falco. C’est encore du Streamline beat infernal. Autre merveille, le cut d’ouverture, «I’m Gonna Let You Go», boogie blues salement décousu, pur shake that thang. Même si le thème reste classique, il se dégage de ce truc une puissante charge émotive, celle qui mène droit à la sinécure. Puis Victor boppe le blues avec «Boogie All Nite Long» et rend hommage à Robert Belfour avec «Another Sleepless Night» - Victor se dit plus inspiré par le vieux wolfman Robert Belfour que par the boogie man himself, John Lee Hooker. Comme Tav, Victor commente tous ses morceaux et rend des hommages à tous ses héros, RL Burnside, Wilroy Sanders, JB Hutto (dans «Miz Mary Lee», qui sonne comme du Elmore James, mais il explique qu’il vise le juke joint thang de JB Hutto). Plus loin, il rend hommage à JD Miller, Lazy Lester et Jerry McCain avec un «Swamp Twist» pour le moins explosif.

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Encore un petit must pour ceux qui sont à la recherche de vrais disques : Louisiana Red & Little Victor’s Juke Joint. Back To The Black Bayou, paru en 2009. Louisiana Red n’est pas très connu en France, mais il se situe au niveau de Wolf. C’est un ogre. «I’m Louisiana Red» nous saute littéralement à la gorge, c’est un effarent boogie chanté dans la clameur du bayou. Ce mec chante en force, c’est noyé de son et de coups d’harmo. Le beat est celui d’une lourde épaule moite dans la fumée du juke-joint. Et tout le disque va rester au même niveau d’intensité. On entend Louisiana Red jouer de la slide dans «Crime In Motion». Il rend hommage à Elmore James. Ça plonge dans une mer de son, dans l’excellence du blues de bastringue. Little Victor sait ce qu’il fait : il a le meilleur son de son époque. Il swingue le black bayou. Rien d’aussi vivace que ce «Ride On Red Ride On». Ils passent au heavy blues d’exception avec «Sweet Leg Girl», joué à la pluralité obsessionnelle. On sent bien que Victor frémit, derrière Red. Killer stuff avec «The Black Bayou», Victor nous indique qu’il s’agit-là d’un hommage à JD Miller. Pur jus de Louisiana punk-blues. Victor sait de quoi il parle ! C’est bardé de son, hargneux, et Red joue comme un dieu. Ça va loin, beaucoup trop loin, à coups de trémolo dans l’écho du temps. Encore du pur jus de Red avec «Too Poor To Die», le génie du blues se manifeste à travers lui, il amène un truc qui n’existe pas ailleurs, on croirait même entendre le plus grand heavy blues de l’histoire. Red chante comme Wolf, bien rauque et mal intentionné. Victor explique qu’avec ses raw guitar riffs, «You Done Quit Me» fut enregistré en une seule prise - One take ! - C’est punchy en diable, encore une merveille de heavy blues. Victor ajoute que «I Come From Louisiana» est l’un des best blues boppers ever. C’est la rencontre du blues et du rockab, joué à l’upright et battu par ce démon d’Alex Peterson. Encore du heavy blues écœurant de son avec «Roamin’ Stranger». Red braille son blues dans l’enfer de la fournaise et ça se termine avec un petit hommage à Muddy Waters intitulé «At The Zanzibar» - It’s hotter than in a pizza oven here - il y fait plus chaud que dans un four à pizza, nous dit Victor, mais oui, le son explose comme au Zanzibar et Kim Wilson joue comme Little Walter. Il y a là de quoi édifier les édifices.

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Louisiana Red & Little Victor enregistrent un nouvel album deux ans plus tard : Memphis Mojo. Même esprit, même intensité, même côté bastringue. Dès «Goodbye Blues», ça swingue le blues derrière Louisiana Red qui chante à l’édentée suprême. Puis Red fait son Wolf dans «I Had Trouble All My Life». Voilà encore un fabuleux boogie blues joué à la note hurlante, au gros son qui tâche, une pure merveille. On a là le meilleur trash-blues qui se puisse imaginer. Encore du fabuleux foutoir dans «No More Whiskey», un jive de blues extravagant de son, de riffs, de gimmicks et de raw à la Wolf. C’est même digne du grand Hooky, tellement c’est inspiré et joué dans l’esprit de Seltz. On passe au heavy blues des familles avec «Yolanda», chargé de tout l’amour du monde, mais à l’édentée. On voit bien que ces mecs adorent le blues. Le hit du disk est sans doute «Your Lovin’ Man», complètement éclaté à l’harmo - I wonder whoooo’s/ Your lovin’ man - et ça repart ventre à terre pour un «Boogie Woogie Boogie» pulsé à coups de c’mon babe, au croisement du rockab et du boogie-blues. C’est tout simplement indécent de classe, écœurant de prestance et même insupportable de grandeur seigneuriale, car slappé à gogo. Encore du boogie de slap avec «I’m Gettin’ Tired», joué ventre à terre à travers l’immense plaine de nos appétits insatiables. Quelle prodigieuse aventure ! Red sait mener la meute d’un boogie, comme Hooky. D’ailleurs, c’est qui le boogie ? Allez, on va dire Hooky et Red. Ils terminent sur «Grandmother’s Death», un heavy blues désespéré. Ah comme il souffre, le vieux Red. Inconsolable.
Oh et puis au retour de Roubaix, j’apprends par un bon ami que Little Victor est le cousin de Tav Falco. Subitement, tout s’éclaire.

Signé : Cazengler, alias Victor Hugodiche

Little Victor featuring Little Lou. Vintage Weekender. Roubaix (59). 12 novembre 2016

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Little Victor. Let’s Get High. Wild Records 2009
Little Victor. Boogie All Night. El Toro Records 2010
Louisiana Red & Little Victor’s Juke Joint. Back To The Black Bayou. Ruf Records 2009
 Louisiana Red & Little Victor’s Juke Joint. Memphis Mojo. Ruf Records 2011

 

Capocci n’est pas Kaputt

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Pat Capocci arrive d’Australie. Voilà un jeune rockab bien décidé à en découdre, vibrant d’énergie tellurique, couvert de tatouages. Rien qu’à le voir s’accorder, on sait que l’avenir du rockab est assuré. C’est le genre de mec à être tombé dans la même bassine qu’Asterix quand il était petit. Pas de pompadour, mais des cheveux bruns soigneusement peignés vers l’arrière, avec une raie sur le côté. Son copain le stand-up man porte exactement la même coiffure. À les voir s’installer, on comprend aussi que ces deux-là se sentent investis d’une mission divine.

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Pat accorde sa gratte, une espèce de Jaguar blanche. Un son bien sec et bien clair sort de son ampli. On sent le mec noueux et trapu sous le cuir du blouson.

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Et paf, il revient lancer le set en chemisette à fleurs. Le trio attaque une belle série de classiques, c’est presque sans surprise. Carré et limpide. Pat joue sec et fonce bien dans les virages, mais il maîtrise tellement bien son manche qu’il ne chasse pas. Ce mec-là ne peut pas chasser. Il joue avec une incroyable fermeté, ce genre de fermeté qui finit par fasciner, tant on sent le poids des années de technique.

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Pat la bête connaît ses gammes et il joue à l’onglet de pouce, claquant de ses autres doigts des petites notes par en dessous. S’il n’était pas si résolument rockab dans l’esprit, on le soupçonnerait de bien aimer les grands guitaristes de surf-music, du genre Dick Dale ou Jerry Cole, car il dégage le même genre d’âpreté du jeu, celle des gens qui ne s’autorisent aucune fausse note dans la vitesse supersonique de l’action. Ils se situent bien au-delà de la perfection. On voit bien que Pat a bossé ses gammes et s’il monte sur scène, c’est uniquement pour conquérir le monde.

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Il joue un peu de blues, mais un blues tendu, du Dust My Broom bien harnaché, conçu pour traverser les plaines ventre à terre. Du genre à ne pas traînasser en chemin. Pat ne batifole pas. Il laisse ça à d’autres. Pat est marrant, quand il bouge, il peut faire penser à un kangourou, il a cette raideur dans le corps, ce menton volontaire et cette dureté du regard qui rappelle celle des poids Welters du championnat des kangoos. La chance qu’il a ! Son set est parfaitement au point, il avale l’heure de concert sans faiblir et repart aussi frais qu’à son arrivée. Pas une goutte de sueur. Rien que du nerf d’acier. Son rockab physique ne laisse aucune place au hasard ni même à la folie. Ce mec sait exactement ce qu’il veut et il s’en donne les moyens. En voulant devenir un puriste du rockab, il impose le respect.

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Il gagnera moins de blé que s’il interprétait des chansons de Téléphone, mais au moins les gens qui l’admirent sauront exactement pourquoi ils l’admirent. Voilà toute la différence. On irait presque brûler un cierge à la Trinité pour que Dieu lui vienne en aide et qu’il vende un peu de disques.

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On trouve deux beaux albums de Pat sur Wild, à commencer par Call Of The Wild. Toutes les caractéristiques du jeu de Pat sont au rendez-vous, l’âpreté du jeu, le clair du son, l’énergie du bush, l’infaillibilité chronique, le bondissant kangoo, la technique nerfs d’acier et le maniement expert de la tension. Magnifique romp de rockab que ce «Slave For The Beat» bien tenu en laisse et comme visité par une ligne de basse traversière. On peut appeler ça une magnifique déclaration d’intention. That’s right babe, comme dit Pat ! L’animal se paye un break sauvage dans une ambiance de piste d’auto-tamponneuses, avec ce son clair digne des Shadows et cette stand-up sourde et menaçante qui croise son chemin. Aw let’s go ! Il réédite l’exploit avant la fin du cut. Ce mec qui travaille avec de l’ancien montre qu’on peut encore avoir des idées, même si tout semble avoir été dit et redit. Et puis on a un «Jitters» battu à l’insistance caractérisée. Le batteur tape des gros coups de soutien au couplet. Pat et ses deux amis travaillent le son comme des orfèvres. Ils passent au western swing avec «Break These Chains». Voilà encore un cut élégant et terriblement bien élancé. Pat fonce le nez au vent, il fend donc l’air. Son rockab vaut tout l’or du monde car ce mec est franc du collier. Il shake le bop comme un pro et vitamine le clair du son à outrance. On peut dire que ces trois gaillards from down under savent trousser une gueuse. Encore une merveille de swing avec «Automobile Blues». Cut admirable car profondément motivé. Pat jive le jazz, il nous swingue ça à la régalade. Les mauvaises langues ont une tendance à voir les rockab comme des bas du front, mais quand Pat jive le jazz, il referme d’un coup toutes ces fuckin’ boîtes à camembert. Ce mec est tout simplement un virtuose, mais un virtuose qui ne la ramène pas. Pas la moindre trace de frime chez ce mec-là. Encore du swing de haut rang avec «Jumping Through Hoops». Pat y met toute son ardeur, avec une constance qui en dit long sur la fermeté de ses biceps. On compte sur lui pour assurer l’avenir du rockab. Allez, tiens, encore une petite merveille avec «Brunette Baby» amené au petit riff insidieux et chauffé au cul du truck par le beat de slap. Pat est sûr de son art, il bouffe son cut à la diction et le son suit. Retour à la virtuosité avec «Telecaster On A Tighrope». Pat joue carrément le jazz manouche. Attention, il ne faudrait pas le prendre pour un demeuré. Il joue un jazz fluide qui éclate au grand jour. Eh oui, on se retrouve dans cette débauche de liquidité de ton à la Django. Les mecs comme le pote Pat peuvent aller loin et s’il revient, c’est avec des retours de gimmicks enroulés, un travail d’orfèvre digne de Fabergé. Quand on écoute «Black Mountain», on sent nettement que Pat peut devenir une superstar. Il fait exactement ce qu’il veut, dans une grande variété de thèmes et d’idées. Son Black Mountain est une petit merveille de prescience.

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L’album Pantherburn Stomp vaut lui aussi largement le détour, ne serait-ce que pour cette petite bombe intitulée «Genie In A Bottle». On a là du pur jus de rockab violent et mal intentionné, une merveille de quinconce, hargneux et punkoïde. La délinquance de la stand-up croise celle de Pat la carne. Ces voyous australiens peuvent être de sacrés démolisseurs de portraits. Quel coup de génie et quelle aubaine pour l’oreille du lapin blanc ! Pat pilonne son beat avec une âpreté sans commune mesure. C’est violemment bon, tous mots bien pesés. Dommage que le reste de l’album de soit pas aussi déterminant. Pat monte son «Storm» à la raclette d’épinette, il joue ça sans coup férir, il semble lancer son manche en l’air et jouer à la volée. Il claque des beignets de notes à la tirette, franchement, c’est très impressionnant. Avec «Digging Through The Dirt», il passe au swing sans aucun état d’âme. Pat étend son empire à la sauce tomate, il chante à pleine voix et mastique bien ses syllabes. On sent qu’il a bien travaillé sa diction et qu’il s’est assoupli les zygomatiques pour articuler plus élastiquement. Il faut aussi l’entendre chanter «Warpath» avec une voix de canard. Il joue sec, avide et vibrant, tendu à se rompre. Il gratte tout ce qu’il peut, des milliers de notes à la volée. Quel puriste purulent ! Il revient au speed-rockab avec «Must’ve Been The Devil». Il puise dans le boogie des nègres du Mississippi et s’en sort avec les honneurs. Il se balade, il est tellement à l’aise que ses mains semblent autonomes. Il revient au rockab extraordinaire avec un «Cry Wolf» d’une belle pertinence, surtout lorsqu’on situe l’angle de l’agression. Il fait son Elmore James avec «Kill Your Daddy». On voit qu’il adore le blues. Le dernier beau cut de l’album s’appelle «The Cobra». Le pote Pat l’amène au riff insidieux du train et c’est battu à l’Africaine. Nous voilà de retour dans cette espèce de punk-blues inexorable.

Signé : Cazengler, Pat d’capote

Pat Capocci. Vintage Weekender. Roubaix (59). 11 novembre 2016
Pat Capocci. Call Of The Wild. Wild Records 2013
Pat Capocci. Pantherburn Stomp. Wild Records 2014

 

17 / 12 / 16
LA COMEDIA / MONTREUIL
RIOT CITY REJECTS
2 SISTERS / BLACK MATTER

 

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J'ouvre la fenêtre, tends le bras au-dehors, remue la main. Parfait, j'aperçois même mon petit doigt tout riquiqui. Fort satisfait de mon observation scientifique je me rue sur la teuf-teuf, la route est dégagée au moins jusqu'au cercle polaire. De toutes les manières, je m'arrête avant, à Montreuil-sous-Bois. Trois groupes à l'affiche que je ne connais pas, me rappelle même plus de leur nom, à la Comedia, que voulez-vous de plus pour rendre un rocker heureux ? Aux abords de la Forêt de Jouy, je ne jouis plus. Mais alors plus du tout. En une seconde le paysage change. Une abolition mallarméenne. Disparu de la carte. J'essaie de faire le mariole en me disant que je suis le premier être humain à mettre un pneu dans une forêt sans arbres, mais le coeur n'y est pas. Une purée blanche de pois cassés, à peine si j'entrevois les essuie-glaces qui s'activent sur le pare-brise. N'ayez crainte, l'amour du rock est plus fort que la mort. J'arrive à bon port. Salut, pas de quoi en faire un fromage.


RIOT CITY REJECTS

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Trois sur scène. Deux mexicains et un américain. Pas besoin de construire un mur pour séparer les peuples. Les rockers finissent toujours par se rejoindre. Tout nouveau. Facile de le sentir, se refilent un plan d'accord à toute vitesse pour le morceau suivant, et ont un peu de mal pour trouver la pédale de frein quand il faut s'arrêter. C'est qu'une fois qu'ils sont lancés, tout marche sur des roulettes. Droit devant et inutile de regarder sur les côtés. Basiques mais terriblement efficaces. Du punk à toute blinde sans chi-chi ou cha-cha-cha. Bonnet vissé sur la tête pour le batteur et le chanteur. N'ont pas froid aux yeux, heureux de jouer et d'envoyer la sauce électrique. Parfait pour réchauffer l'atmosphère et porter le diapason à son point culminant au-dessous duquel il serait impardonnable d'évoluer. Bien court, on aurait volontiers repris une autre assiette de ce potage brûlant.


2 SISTERS

 

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Cherchez l'erreur pas une ombre de filles mais quatre gars. Courte balance d'une intensité que beaucoup de groupes aimeraient atteindre à la fin de leur set. Guitariste colossal. Fine moustache et stature de géant. Une guitare surtout. Psyché en diable. Les quarante mille chats du diable qui hurlent dans les fournaises de l'enfer. Nicolas ne peut pas s'arrêter de jouer, rajoute une petite traîne au morceau qui vient de se terminer et enchaîne sans coupure le suivant comme si le riff à l'égoïne s'échappait tout seul de ses doigts.

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Un deuxième guitariste, soyons précis, Saba, soi-disant bassiste de son état, pur mensonge, une attitude à la Cyril Jordan, porte bas sa basse qui chante et psalmodie un torrent de notes échevelées. N'accompagne pas, l'est devant, avec Nicolas, deux chevaux de force égale qui mènent l'attelage du carrosse doré dans un galop furieux. Andy est au fond, légèrement penché sur ses fûts, assure le rythme, opère les césures nécessaires, l'est la force d'appoint, le moteur auxiliaire indispensable, trop en retrait à mon goût, ce n'est pas parce que l'on a deux cadors aux cordes qu'il ne faut pas s'imposer et fracasser quelque peu la royale ordonnance.

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Andy derrière le micro, ne donnera vraiment la mesure de son talent que lorsqu'il aura posé son verre et saisit son micro, ses cheveux, et son rôle de chanteur à pleines mains. Joue à l'indolence du jaguar posté sur sa branche, l'on se méfie de la bestiole, mais on aimerait qu'elle nous saute dessus un peu plus rapidement. Heureusement que le public féminin se déchaîne quelque peu et l'entraîne à montrer tout ce dont il est capable. Un set à toute allure, Nicolas descendant souvent de l'estrade comme s'il recherchait une aire d'envol plus large pour ses fusées de guitares. Une heure de bonheur, les titres se suivent et ne se ressemblent pas tellement à chaque fois ils rajoutent pression, célérité et flamboyance. L'impression d'être dans un long solo d'une heure d'apocalypse. I wanna Be Me, I'm a Man, About Love, Wake up, terminent le concert en apothéose, du rock comme on l'aime, électrique à mort, à marquer d'une météorite incandescente sur le calendrier de vos futurs concerts rock.


BLACK MATTER

 

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J'aurais jugé la tache impossible. Après la tornade de 2 Sisters, à quelques minutes d'intervalle, j'aurais eu peur de paraître terne et falot. Inutiles craintouilles. Parfois le bonheur frappe deux fois à la suite à votre porte. Black Matter, n'est pas un groupe de rock. Mais un stoner combo. Et j'irai jusqu'à dire le seul stoner made in France qu'il m'ait été donné d'entendre jusqu'à ce jour. Beaucoup s'étiquettent stoner. C'est comme l'appellation bio sur le cageot de poireaux sur le marché. Symbole de qualité. Z'oui mais quand on écoute, ce sont juste de bons groupes de rock. Pas plus stoner que tous les autres. Mais avec Black Matter, cela se passe autrement. Au bout de cinq minutes, vous vous pincez subrepticement la fesse gauche, ce n'est pas possible, je ne suis pas à la Comedia Michelet de Montreuil, je suis dans mon lit en train de rêver. Discrètement vous effleure le bras ( droit ) de votre voisin, non de Zeus, c'est vraiment un véritable gars, ce n'est pas une hallucination, je suis bien en plein concert devant un vrai groupe.

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Trois sur scène. Le trio classique. Batterie, basse, guitare. Le maximum vital. Trois musicos. Une seule musique sur scène. Et pourtant, trois individualités, à part entière. D'entrée de jeu Al Uben s'impose dans vos oreilles. Vous bat le cerveau en crème chantilly. Z'avez l'impression que ces coups de baguettes vous aboient dessus. Pas le misérable roquet de Tante Agathe qui s'en vient chaque matin sournoisement uriner sur votre paillasson, non Cerbère le tricéphale qui vocifère tout en vous arrachant la chair des mollets afin que vous vous enfonciez encore plus vite sous les voûtes caverneuses des Enfers.

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Suka Maku officie à la basse. Des doigts lourds d'une agilité extrême. Le genre de grenadier qui ne se contente pas de plonk-plonk-poétiser tranquille dans son coin, bonjour les petits oiseaux, il fait bon ce matin. Lui il relâche des ptérodactyles affamés dans des paysages de désolation, vous saisissent par la peau du cou et vous fracassent la tête sur un rocher. Parfois il arrête de jouer, se fige devant le micro et vous hurle une espèce clameur plus assourdissante que les trois coups de clairon du jugement dernier. J'ai le regret de confirmer vos soupçons, Sébastien Crose le guitariste ne vaut pas mieux que ses deux autres ostrogoths, l'aggrave même son cas, avec son petit air de sainte-n'y-touche, vous savez moi à part ma guitare, l'est concentré dessus, paraît un marabout immobile sur une patte dans son étang, plongé dans une méditation intérieure. Trop goth, trop grave. Voici un des rares guitaristes de ma connaissance qui joue de la guitare. La plupart se contente de la caresser. Lui il l'explore et la découvre chaque fois qu'il enfonce son médiator entre les cordes. Vous révèle des sonorités inexplorées, sans ostentation, mais avec tant d'obstination, que le public prend l'habitude d'applaudir à chacune de ses opérations. Ne vous méprenez pas, ne part pas dans un solo éblouissant - regardez comme je suis bon – suit son cours comme la rivière qui coule dans son nid. Mais lui il charrie des paillettes d'or en si grand nombre qu'il vous horrifie et vous aurifie l'âme.

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Sébastien chante aussi. De temps en temps. Quand ce n'est pas nécessaire. Faut que vous compreniez, Black Matter c'est avant tout de la musique qui se suffit à elle-même. Chacune de ses parties indispensable à son tout. Imaginez un quatuor de Bartok avec grosse caisse. Et puis la chasse à courre. Chacun poursuivant l'autre en un ensemble démoniaque. Sont au bout de la séquence, normalement devraient tourner la page, l'histoire est terminée, les héros sont tous morts, et Al Uben réveille les macchabées d'un énervement de break à fendre la banquise polaire, et c'est reparti pour douze mille tours. Trop beau, trop bon, Suka casse une corde, Saba de 2 Sisters se précipite pour lui refiler la sienne, une demi-heure plus tard les deux groupes précédents n'y tiennent plus, se précipitent pour embrasser nos trois dynamiteurs, les étreignent, les empoignent, les accompagnent de gestes fébrilement mimétiques, leur hurlent des encouragements, ce qui n'empêche pas nos trois forcenés de continuer leur frénésie sacrée. Par trois fois Al Uben s'en vient remettre en place le parpaing soi-disant chargé de maintenir ses caisses en place, en profite pour jeter un coup d'oeil à la set-list – une espèce de timbre poste que Sébastien s'amuse à recouvrir de son brodequin dès que l'un se déplace pour la lire.

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Dix titres. Anti Matter, Creepy Tale, Cold Meat, Pizza, Zarkprut... autant de morceaux d'antimatière fissible, qui font résonner le stoner en tant que concentré métaphysique d'une exigence schizophrénique du rock'n'roll entrevu en même temps et en tant que fête collective libératoire d'énergie et en tant que solitaire recherche individuelle intérieure.
Sont acclamés, mais c'est surtout l'étonnement admiratif qui pointe dans les regards qu'il est impossible de transcrire ici.


RETOUR


Dommage que l'assistance n'ait pas été plus dense. Beaucoup doivent être en train de le regretter... Salut à Christophe, dont nous reparlerons après les vacances...


Damie Chad

( Photos : F.B. 2 Sisters et La Comedia Michelet )

 

"UN JOLI CONTE DE NOËL"

SOMEONE TO HATE
CRASBIRDS
 CARTOON CLIP

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Toc ! Toc !
Rien de plus énervant que ces étudiants qui toquent à la porte de votre bureau. Viennent chicaner sur leur copie. Ne sont pas contents de leur mauvaise note à leur dernier partiel. Oui mais à la Rock'n'Roll University de Berkeley on ne brade pas les examens, comment voulez-vous obtenir la moyenne si vous ne savez pas la référence du 45 Tours des Champions, groupe français certes, mais j'avais poussé la gentillesse jusqu'à la donner sur le prestigieux blogue de l'université !


Toc ! Toc !
On insiste ! Je ne réponds pas. Plus muet que Sreamin'Jay Hawkins dans son cercueil. Une main timide appuie sur la poignée et la porte s'entrebâille de quelques centimètres, l'on veut s'assurer de ma présence ! Se prennent pour le FBI maintenant !


Snif ! Snif !
Mais l'on pleure, voilà qui change tout ! Je parie que c'est une fille ! Ah, ces chiennes, elles ont compris que nous les professeurs français, notre galanterie proverbiale ne laisserait jamais pleurnicher une jeune étudiante devant la porte de son bureau.
Snif ! Snif !


Entrez !
Je ne me suis pas trompé. C'est une fille. Toute jeune, toute mignonnette, je la reconnais illico, la plus jeune de sa promotion, admise à l'université le jour de ses seize ans – Sweet Little Sixteen comme le chante Chuck Berry – l'avait eu sa photo sur la couve de la Rock Revue que la fac édite chaque mois. Une élève méritante, qui note tout ce que je dis, et qui rend ses devoirs à l'heure. En plus, j'adore le regard admiratif qu'elle porte sur moi.

 

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Snif ! Snif !


O! baby, quel gros chagrin, je subodore que vous avez du mal à articuler le plan de votre devoir. Je reconnais que ce n'est pas facile, L'influence de la pensée d'Aristote sur Crashbirds, c'est un peu cottonfield, faut d'abord connaître Aristote et...


Snif ! Snif ! - elle s'est rapprochée devant le bureau – Aristote ne me pose pas de problème, Monsieur le Professeur, j'ai lu ses oeuvres complètes à quatorze ans, mais les Crashbirds, et plouf elle éclate en sanglots d'une rare violence.


Snif ! Snif ! Snif ! Snif !
Elle parle, la voix entrecoupée de hoquets. Diable, c'est du sérieux, je m'inquiète. Je la fais asseoir tout près de moi. Monsieur le professeur, ce n'est pas Aristote qui me dérange, c'est les Crashbirds !


Hum ! Hum !Vous ne supportez pas les Crashbirds, ce n'est pas grave, vous êtes insensible à leur musique, cela peut arriver, tenez-moi, depuis ma plus tendre enfance je suis incapable d'ingurgiter le moindre morceau de céleri.


Snif ! Snif !
Pour la musique je ne sais pas, Monsieur le Professeur je n'ai pas pu écouter le disque. C'est cela qui m'en empêche, et elle me tend de sa menotte toute tremblote le CD des Crashbirds

Oh ! Baby, je vois mais je ne comprends pas ! Expliquez-moi, s'il vous plaît !


Snif ! Snif !

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C'est la pochette, Monsieur le Professeur ! Vous voyez les mignons petits oiseaux blottis sur leur branche, avec leur grosses lunettes d'aviateurs ?


Bien sûr ! Mais, hum ! Hum ! Je ne vois pas ce qui peut motiver un tel chagrin, sont plutôt sympathiques nos volatiles !


Bouh ! Ouh ! Bouh !
Cette fois-ci c'est la catastrophe, je suis obligé de lui tamponner les joues avec mon mouchoir pour irriguer ce torrent de larmes qui coule sans s'arrêter. Pour la réconforter je passe mon bras autour de ses épaules. Certes j'ai des défauts, mais je ne suis pas du genre à laisser pleurer une jolie fille sans lui apporter un minimum de confort moral. Vous avez-vu ce qu'il y a écrit dessous : Live In Dead City ! Bouh ! Ouh ! Bouh !


Mais c'est le titre de l'album ! Hum ! Hum ! Expliquez-moi vite, dear baby !


Snif ! Snif ! Je ne savais pas que vous étiez si cruel Monsieur le Professeur, moi qui vous admirais tant ! Vous êtes donc insensible ! Pourtant cette voix émue au dernier cours lorsque vous racontiez la mort d'Eddie Cochran, tout l'amphi avait le coeur serré et j'ai failli pleurer ! Rien que d'y repenser ! Bouh ! Hou ! Bouh !


Remettez-vous baby, Eddie a disparu voici cinquante ans, séchez vos larmes, je vous en prie, mais quel est le problème qui vous a tant émue, dites-moi tout,


Snif ! Snif !
Ça ne vous fait rien à vous, ces deux petits malheureux oisillons qui vont mourir dans la cité de la mort ! Ça ne vous empêche pas de dormir ! Tués par la pollution ! Vous les comptez pour des victimes collatérales sans importance – du coup elle ne pleure plus, elle est encore plus jolie toute en colère – moi qui croyais que vous aviez un coeur d'or, je peux vous l'avouer maintenant jusqu'à hier vous étiez mon héros, je vous trouvais plus beau que Brian Jones, si vous saviez comme je suis déçue Monsieur le Professeur! Déçue, déçue, déçue, vous êtes comme tous les autres.


Non baby, vous faites erreur, il ne faudrait pas que ma vie privée interfère avec ma mission pédagogique, je me permets de vous révéler je suis adhérent à la LOPO, Ligue Ornithologique de Protection des Oiseaux et quand vous accepterez de me rendre visite à mon domicile je vous montrerai dans ma chambre les nichoirs remplis de graines pour les passereaux !


Oui, c'est bien beau, Monsieur le Professeur, mais il y a à peine dix jours dans la Rock Revue vous couvriez les Crashbirds d'éloge, alors que sur leur disque ils envoient à la mort deux petits oiseaux innocents. Des plumes à la une, pour vendre, ils sont prêts à tout, vos cyniques Crashbirds ! Jamais vous ne me convaincrez du contraire, même si vous y passiez dix ans !


Oh Baby, trois minutes cinquante quatre secondes, je ne demande que ces deux cent trente-six secondes, pour vous prouver le contraire. Accordez-moi les, je vous en conjure, je ne suis pas celui que vous croyez !


Pas une de plus, Monsieur le Professeur, en souvenir de cette sympathie que j'éprouvais pour vous hier encore, mais je crois que ce ne sera plus jamais comme avant !

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Baby, je ne vous demande que de regarder cet écran, rapprochez-vous, tenez mettons-nous sur le même fauteuil, vous y verrez mieux. Bien, je crois malheureusement que vous vous êtes méprise, vous êtes si gentille, votre bon coeur s'est apitoyé trop vite, alors ne quittez pas des yeux la vidéo, je me permets d'en commenter le déroulement. Voici vos deux oiseaux. Non ce ne sont pas des oisillons tombés du nid. Sont de sinistres sbires qui en veulent à la terre entière. Sont prêts à tout pour éradiquer l'humanité. Tenez, ils nous tirent dessus à la kalachnikov. De véritables terroristes. Cette triste besogne n'avance pas assez vite, se servent maintenant d'un mortier et puis d'un obusier. Les voici qui écrasent les escargots avec les chenilles de leur tank, ne respectent même pas leurs frères animaux. Et ce tapis de bombes qu'ils larguent comme au bon vieux temps de la guerre du Vietnam. Avisez leurs rires démoniaques, leurs mines jouissives, tiens ils passent à la vitesse supérieure, feu roulant de bombes atomiques sur toute la planète. Mirez leur cruelle fierté maintenant qu'il ne reste plus qu'un immense cimetière sous la lune. A vous dégoûter ! Les morts en sortent de leurs tombes. Pour les punir de leur méchanceté.

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Voyez comme ils sont lâches, n'en mènent pas large devant cette armée de zombies. En mouilleraient leur culotte s'ils en portaient une. Même pas le courage de faire front. Salut dans la fuite, cherchent refuge sur un arbre. Sont hors de danger. En profitent-ils pour s'amender ? Au contraire tirent de sous leurs ailes de nouvelles armes de destruction massive à la poudre noire dans le but ultime de tuer les morts. C'est fini. N'en doutez pas, ce n'est pas un montage manipulatoire, c'est un cartoon que Delphine Viane – je rappelle qu'elle est la chanteuse des Crashbirds – a elle-même posté sur You-tube et que ce film d'animation a été concocté par Pierre Lehoulier in person. Guitariste des Crashbirds et auteur de bandes dessinées. Voilà, vous voyez bien qu'il est inutile de pleurer, vos petits zoziaux chéris sont des montres, passibles du Tribunal Pénal International qui juge les crimes contre l'Humanté !pixel-vfl3z5WfW.gif


Arbore un beau sourire, une moue radieuse de soulagement illumine son visage, elle se lève vivement, me plaque deux grosses bises sur les joues, Merci Monsieur le Professeur, vous êtes comme mon grand-père qui chassaient les araignées noires qui me faisaient peur quand j'avais cinq ans, et hop elle est déjà tout prêt de la porte.


Oh baby, on se retrouve chez moi ce soir, vous montrerai les nichoirs et après  on pourrait...


C'est gentil, Monsieur le Professeur mais j'ai le devoir sur Aristote et Crashbirds à rédiger...


Qu'à cela ne tienne Baby, vous me le rendrez quand vous voudrez, je...


Non, n'insistez pas, it's all over now, baby blue !


Damie Chad.

Epilogrre ! : I hate someone !

 

"SPECIAL PETIT JESUS DANS LA CRECHE"

GUY GILBERT

UN PRÊTRE CHEZ LES LOUBARDS

( Editions Stock / 1978 )

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Tiens, Terre Lointaine de Julien Green - à lire d’urgence si vous aimez le vieux Sud, celui des aristocratiques white necks au tout début des années vingt - un euro, je prends et illico, comme tous les clients j’ai droit à mon paquet cadeau. Merci Madame la bouquiniste, c’est trop gentil. La grande distribution devrait suivre votre exemple. J’ouvre au café. Les copains se moquent de moi. Connaissent mon anti-christianisme primaire ( et secondaire ). Deux livres de curé. Guy Gilbert, fut le chouchou des media, l’ai encore aperçu par hasard la semaine dernière à la télé dans un bar, cheveux blancs et quatre-vingt ans au compteur. C’est vrai qu’il tranchait de ses confrères, n’hésitait pas à employer les gros mots, avait troqué sa soutane contre un perfecto et abandonné la 2 CH presbytériale pour une grosse bécane pétaradante. Un transfuge de la vague des prêtres-ouvriers des années soixante.
Me méfie de la bonne parole. L’a dû le sentir, est très discret sur son engagement religieux. Une petite prière par ci par là en coin de page, mais sans exagération. Son sujet c’est la délinquance. Arrive à Paris en 1970, éducateur de rue. Une situation mi-figue-mi raisin. Un orteil dans l’institution policière et judiciaire et le reste des deux pieds dans les bandes des jeunes. Ce ne sont plus les blousons noirs, mais le substrat social reste le même. Gamins à la rue dès douze ans, déscolarisés, qui ne trouvent pas dans le taudis des parents la tendresse et l’affection idoine. Des chatons abandonnés qui se sont forgés des masques de tigres. Survivent en petits groupes, bagarres, larcins, conneries en tout genre, récidives sont inscrits au menu quotidien. Les jours de fête, l’on viole une fille. Attention à la case prison de ce jeu de loi grandeur nature. C’est vous le pokémon que l’on pourchasse.
Guy Gilbert habite dans le quartier. Essaie de gagner leur confiance. Equilibre sur fil tendu, ou tu es avec nous ou tu es contre nous. Le juste milieu est toujours du côté de la justice de classe. Ouvre fort sa gueule le père Gilbert contre les flics, les juges, les politiques, les bourgeois, les bonnes âmes, la charité et la bonne conscience qui dédouanent les chrétiens de toute inquiétude. Fait ce qu’il peut, écrit aux prisonniers, témoigne en leur faveur au tribunal, s’entremet avec les gendarmes, reçoit, abrite, conseille, écoute, cherche des familles d’accueil, les emmène en weekend au bord de la mer, en vacances en Savoie, ferme les yeux sur les incartades pas trop gravos, tente de trouver des portes de sortie qui leur permettent de vivre un peu moins borderline. Ne vise pas à l’embourgeoisement des troupes, ni à l’abrutissement du travail obligatoire en usine. Faut que les gars reprennent confiance en eux-mêmes, et ensuite à la grâce de Dieu.
Et le rock dans tout ça ? N’en cause point. Ces jeunes sont désespérants. Semblent avoir abandonné leur culture de base. L’on est plus près de Chiens Perdus sans Collier de Cesbron que de Le Cuir et le Baston de Maurice Lemoine. Ou alors Guy Gilbert se tait à dessein. Méfions-nous des religions.


LA RUE EST MON EGLISE
( Editions Stock / 198O )

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Un peu plus d’Eglise, un peu moins de loubards. L’avait déjà tout dit dans son premier bouquin. Mais entre temps l’était devenu célèbre. Son passage dans l’émission Apostrophes de Bernard Pivot l’avait fait connaître de tout le monde. Sûr que les éditeurs ont dû juger la fenêtre idéale pour lancer un deuxième opus. Mais d’autres considérations pas du tout financièrement intéressées ont dû pousser Guy Gilbert à reprendre la plume. Ses déclarations à l’emporte-pièces avaient soulevé un gros tumulte. Certes proclamer qu’en étant au milieu des hooligans il ne faisait pas pire que Jésus Christ qui avait choisi de mourir entre deux brigands est un paradoxe christologique qui peut s‘entendre. Les préceptes chrétiens sont d’une clarté absolue : faut s’aimer les uns les autres, tous les autres, all right, 0K pour les voyous, mais les honnêtes gens se sentent un peu délaissés par un tel parti-pris. Heureusement que l’Eglise est là pour s’occuper d’eux.
Guy Gilbert n’est pas prêt de quitter l’Eglise. Commence par une terrible bordée de canons chargés de mitraille chauffée à blanc. Lui reproche sa richesse, son incapacité à se mettre à la portée des plus démunis. Cite des exemples de prêtres ou de sœurs peu charitables. Un véritable champ de ruines. Demande à Jean-Paul II de quitter sa piscine personnelle construite pour ses ébats nautiques matinaux pour prendre un abonnement dans une piscine municipale de Rome… propose que les églises restent ouvertes sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et qu’elles soient transformée en lieux d’accueil, de restauration, de couchage et de discussion pour que les plus pauvres puissent rencontrer les plus chanceux… A l’écouter la ligne de la lutte des classes passe parmi les ouailles et il est nécessaire de la juguler en mettant en œuvre la révolutionnaire parole du Christ.
Ne luis reste plus qu’à prendre le fusil et à rejoindre les tupamaros, vous dites-vous. Eh, bien non ! Ne quitte pas le navire. L’est pour l’application de Vatican II, mais il comprend les raidissements des extrémistes catholiques qui se battent pour que la messe continue à se dérouler en latin. Que chacun l’écoute dans sa langue, en augustinien breveté pour les vieux, en verlan pour les barlous. Pourvu que dans les deux cas, l’eucharistie soit célébrée. Idem pour la soutane, lui il préfère le perfecto, mais que chacun s’habille selon ses convenances. Les idées aussi larges que le cœur, voici sa devise.
Cite en exemple le village de Rougon, en Haute-Provence qu’il visite chaque année avec sa horde de jeunes sauvageons. La première semaine est un peu chaotique, la rurale population vieillissante s’alarme un tantinet, mais bientôt le tumulte s’apaise, une cohabitation guillerette se met en branle. Et bientôt tout le monde se retrouve pour la procession de Saint Christophe abandonnée depuis plusieurs décennies qu’il remet sur les rails… Comme quoi les meilleures intentions sont celles qui pavent le mieux les impénétrables voie du Diable ! Semble bien moderne notre curé boutefeu, mais quarante ans plus tard on s’aperçoit qu’il n’est qu’un précursif épiphénomène du raidissement doctrinal du catholicisme actuel. Reste dupe de son propre jeu. Ce n’est pas un individu armé d’une méthode peu orthodoxe qui remettrait dans le soi-disant droit chemin une institution qui fut de toujours la compagne de route, la grande prostituée, de tous les pouvoirs politiques.
Une indice qui devrait mettre l’éléphant à l’oreille de tous les rockers. Cent cinquante pages plus loin, le mot rock and roll n’est pas prononcé une seule fois. Comme quoi le perfecto ne fait pas le rocker.


Damie Chad.

 

 

14/12/2016

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