18/12/2016
KR'TNT ! ¤ 308 : LITTLE VICTOR / PAT CAPOCCI / RIOT CITY REJECTS / 2 SISTERS / BLACK MATTER / CRASHBIRDS / GUY GILBERT
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 308
A ROCKLIT PRODUCTION
22 / 12 / 2016
Pour que vous puissiez la déposer au pied du sapin, la livraison 308 arrive avec un peu d'avance. Mais comme dans la vie tout se paye, la 309 surviendra avec deux ou trois jours de retard. Sur ce, nous vous souhaitons de retrouver en ces temps de Sol Invictus l'esprit des saturnales romaines que nous résumons en trois injonctions : SEX, DRUGS AND ROCK'N'ROLL ! |
LITTLE VICTOR / PAT CAPOCCI
RIOT CITY REJECTS / 2 SISTERS / BLACK MATTER
CRASHBIRDS / GUY GILBERT
La petite victoire de Little Victor
Bel endroit que cette Condition Publique à Roubaix. Il s’agit sans doute d’un vieux bâtiment industriel restauré mais pas trop, et qui offre des volumes parfaitement adaptés aux concerts de rock. La patine du temps et le fait que ce ne soit que partiellement restauré confèrent à l’endroit un charme désuet qui colle parfaitement à l’esprit d’une programmation résolument hors normes. Guitariste des Dustaphonics et DJ de renom à Londres, Yvan Serrano trie ses invités sur le volet. Son festival s’appelle le Vintage Weekender. Ils ne sont plus très nombreux en France à savoir proposer des choix de groupes aussi intéressants. En matière de fiabilité, le Vintage Weekender navigue au même niveau que Béthune Rétro, le Cosmic de Bourges et Binic. Le Vintage est même encore plus audacieux car il propose un choix beaucoup plus ouvert mais incroyablement qualitatif : rockabilly avec Pat Capocci, Memphis blues avec Little Victor et un cover-band d’Otis venu de Londres. Vous avez aussi du garage, du ska blanc, du blues rootsy et Al Foul venu spécialement d’Arizona.
Si on se rend à Roubaix pour le Vintage, c’est pour deux raisons : par curiosité d’une part (c’est le pari que fait Yvan de nous faire découvrir des grosses poissecailles) et pour voir Little Victor d’autre part, un zigoto un peu rococo qui n’est pas très connu en France, mais quand on connaît son album paru sur Wild, on n’hésite pas un seul instant à traverser tout le Nord de la France, même dans une voiture dont l’embrayage menace de céder à chaque changement de vitesse. L’inconvénient est qu’on met deux fois plus de temps pour avaler l’aller ET le retour, mais on prend le risque.
Little Victor a pris un peu de poids, mais dès qu’il met son groupe en route, il dégage ce souffle que ne dégageront jamais les apprentis sorciers à la petite semaine. On voit bien qu’il a bouffé du blues électrique toute sa vie et dans le son qu’il sort, on retrouve ce froutraque typique de Memphis et de Jim Dickinson, cette impression de négligé qu’on appelle aussi l’élégance du dilettantisme. Little Victor porte un gros costard bleu-gris, un fez panthère égyptien, des grosses pompes bicolores, des bagues à tous les doigts et une espèce de cape en plastique blanc. C’est un authentique bouffeur de scène, un showman extrêmement spectaculaire.
Il a recouvert sa guitare de fourrure, comme le fit à une époque Billy Gibbons. Il chante dans un micro qui descend tout seul parce que le pied de micro est foutu, mais il chante quand même, il balance ces blues de gras double comme on les adore, qui remontent au temps où Wolf enregistrait ses premiers disques chez Sam Phillips. Par les temps qui courent, vous ne croiserez plus beaucoup d’artistes de cet acabit. Comme King Khan, Little Victor prend le risque de passer pour un clown, mais il joue comme un dieu, et il n’est pas besoin d’être guitariste pour sentir que son style est parfaitement au point.
Il joue des cuts connus comme le loup blanc, mais il sait faire la différence, grâce à un jeu un peu agressif et un son judicieusement distordu. Une jeune française nommée Little Lou vient chanter quelques classiques avec Little Victor, dont un beau «CC Rider». Elle y met tout le chien de sa chienne et se fend d’un fier sourire communicatif. Tout cela est terriblement bon esprit. Voilà ce qu’il faut bien appeler un concert idéal, bien zébré d’éclairs de talent pur.
L’après concert est moins glorieux. Little Victor s’installe au mersh avec une petite table pour vendre son dernier album, Boogie All Night. Il n’en vendra que deux et se prêtera au rituel des photos avec la patience d’un ange de miséricorde. C’est dur de voir un artiste aussi complet vendre si peu de disques, même si on sait que Roubaix est l’une des villes les plus pauvres de France.
Alors oui, Let’s Get High paru sur Wild en 2009 est un vrai disque. Little Victor attaque avec un «Too Late Now» monté sur le vieux riff de Suzy Q. C’est admirablement saturé et joué dans une ambiance épaisse et bien secouée. Et tout le disque va rester à ce niveau d’excellence, avec le son plein du Memphis blues et des guitares en reverb. Esprit es-tu là ? Oui ! Joli coup de jumpah avec le morceau titre, joué à l’énergie maximaliste, soutenu par des cœurs d’artiche d’inspiration divine. Encore du boogie bien slappé avec «Workin’ On The Levee», visité par le fantôme de Little Walter. Sacré Little Victor, il fait là son vieux Muddy de Memphis, les Little se retrouvent au paradis du blues électrique, sur fond de slap bien cassant et des coups d’harmo fantomatiques. Attention à «That M&O Train» ! Little Victor le joue avec la même énergie que le fameux «Streamline Train» de Jessie Mae Hemphill repris jadis par Tav Falco. Il retrouve le secret du pulsatif de base, la même folie conductrice et bouffeuse de mythes. Voilà ce qu’il faut bien appeler un cut intemporel. Little Victor sait aussi jouer le mambo, comme on le constate à l’écoute de «Cold Hearted Woman», spirit hors normes, presque cha cha cha, c’est le mambo des aventuriers du Caire qui portent des lunettes noires dans les salons du Grand Hôtel Tazi. On retrouve le merveilleux slap de blues dans «Goin’ Away» et des coups d’harmos à l’écho du temps. C’est un boogie de rêve. Little Victor le prend au Chess bouillant et le conduit directement en enfer. Il connaît toutes les ficelles du blues. Il a en effet accompagné toutes les légendes du blues, de T-Model Ford à Robert Belfour, en passant par RL Burnside et Louisiana Red. Il chante «Brownsville Blues» à la glotte ardente. Ce mec est absolument effarant, mais il n’intéressera que les amateurs de blues, et encore. Il est évident que les gens de Roubaix venus en curieux n’ont pas les éléments qui permettent de saisir l’importance vitale d’un artiste comme Little Victor. Ça leur passe largement au dessus de la tête et c’est bien normal. Tav Falco reste lui aussi méconnu du grand public. En France, il n’intéresse qu’une poignée d’inconditionnels. Le refus catégorique de se compromettre condamne tous ces grands artistes aux ténèbres de l’underground.
Son dernier album en date s’appelle Boogie All Night. On y trouvera un véritable coup de génie : «Blind Man Boogie». Il s’agit là d’un extraordinaire boogie hanté et violent, chanté à la niaque des bas-fonds, au gras du feeling pur. Dans ses notes de pochette, Little Victor explique que Tav avait récupéré ce vieux boogie chez Asie Payton pour le jouer sur son premier album, avec Alex Chilton et Jessie Mae Hemphill - What goes around comes around - Victor dit qu’il le joue avec the Spanish tuning behind the magnolia curtain. Rien que pour ce cut, il faut rapatrier l’album. «Run Walk Or Crawl» sonne aussi comme un hit inconnu de Tav Falco. C’est encore du Streamline beat infernal. Autre merveille, le cut d’ouverture, «I’m Gonna Let You Go», boogie blues salement décousu, pur shake that thang. Même si le thème reste classique, il se dégage de ce truc une puissante charge émotive, celle qui mène droit à la sinécure. Puis Victor boppe le blues avec «Boogie All Nite Long» et rend hommage à Robert Belfour avec «Another Sleepless Night» - Victor se dit plus inspiré par le vieux wolfman Robert Belfour que par the boogie man himself, John Lee Hooker. Comme Tav, Victor commente tous ses morceaux et rend des hommages à tous ses héros, RL Burnside, Wilroy Sanders, JB Hutto (dans «Miz Mary Lee», qui sonne comme du Elmore James, mais il explique qu’il vise le juke joint thang de JB Hutto). Plus loin, il rend hommage à JD Miller, Lazy Lester et Jerry McCain avec un «Swamp Twist» pour le moins explosif.
Encore un petit must pour ceux qui sont à la recherche de vrais disques : Louisiana Red & Little Victor’s Juke Joint. Back To The Black Bayou, paru en 2009. Louisiana Red n’est pas très connu en France, mais il se situe au niveau de Wolf. C’est un ogre. «I’m Louisiana Red» nous saute littéralement à la gorge, c’est un effarent boogie chanté dans la clameur du bayou. Ce mec chante en force, c’est noyé de son et de coups d’harmo. Le beat est celui d’une lourde épaule moite dans la fumée du juke-joint. Et tout le disque va rester au même niveau d’intensité. On entend Louisiana Red jouer de la slide dans «Crime In Motion». Il rend hommage à Elmore James. Ça plonge dans une mer de son, dans l’excellence du blues de bastringue. Little Victor sait ce qu’il fait : il a le meilleur son de son époque. Il swingue le black bayou. Rien d’aussi vivace que ce «Ride On Red Ride On». Ils passent au heavy blues d’exception avec «Sweet Leg Girl», joué à la pluralité obsessionnelle. On sent bien que Victor frémit, derrière Red. Killer stuff avec «The Black Bayou», Victor nous indique qu’il s’agit-là d’un hommage à JD Miller. Pur jus de Louisiana punk-blues. Victor sait de quoi il parle ! C’est bardé de son, hargneux, et Red joue comme un dieu. Ça va loin, beaucoup trop loin, à coups de trémolo dans l’écho du temps. Encore du pur jus de Red avec «Too Poor To Die», le génie du blues se manifeste à travers lui, il amène un truc qui n’existe pas ailleurs, on croirait même entendre le plus grand heavy blues de l’histoire. Red chante comme Wolf, bien rauque et mal intentionné. Victor explique qu’avec ses raw guitar riffs, «You Done Quit Me» fut enregistré en une seule prise - One take ! - C’est punchy en diable, encore une merveille de heavy blues. Victor ajoute que «I Come From Louisiana» est l’un des best blues boppers ever. C’est la rencontre du blues et du rockab, joué à l’upright et battu par ce démon d’Alex Peterson. Encore du heavy blues écœurant de son avec «Roamin’ Stranger». Red braille son blues dans l’enfer de la fournaise et ça se termine avec un petit hommage à Muddy Waters intitulé «At The Zanzibar» - It’s hotter than in a pizza oven here - il y fait plus chaud que dans un four à pizza, nous dit Victor, mais oui, le son explose comme au Zanzibar et Kim Wilson joue comme Little Walter. Il y a là de quoi édifier les édifices.
Louisiana Red & Little Victor enregistrent un nouvel album deux ans plus tard : Memphis Mojo. Même esprit, même intensité, même côté bastringue. Dès «Goodbye Blues», ça swingue le blues derrière Louisiana Red qui chante à l’édentée suprême. Puis Red fait son Wolf dans «I Had Trouble All My Life». Voilà encore un fabuleux boogie blues joué à la note hurlante, au gros son qui tâche, une pure merveille. On a là le meilleur trash-blues qui se puisse imaginer. Encore du fabuleux foutoir dans «No More Whiskey», un jive de blues extravagant de son, de riffs, de gimmicks et de raw à la Wolf. C’est même digne du grand Hooky, tellement c’est inspiré et joué dans l’esprit de Seltz. On passe au heavy blues des familles avec «Yolanda», chargé de tout l’amour du monde, mais à l’édentée. On voit bien que ces mecs adorent le blues. Le hit du disk est sans doute «Your Lovin’ Man», complètement éclaté à l’harmo - I wonder whoooo’s/ Your lovin’ man - et ça repart ventre à terre pour un «Boogie Woogie Boogie» pulsé à coups de c’mon babe, au croisement du rockab et du boogie-blues. C’est tout simplement indécent de classe, écœurant de prestance et même insupportable de grandeur seigneuriale, car slappé à gogo. Encore du boogie de slap avec «I’m Gettin’ Tired», joué ventre à terre à travers l’immense plaine de nos appétits insatiables. Quelle prodigieuse aventure ! Red sait mener la meute d’un boogie, comme Hooky. D’ailleurs, c’est qui le boogie ? Allez, on va dire Hooky et Red. Ils terminent sur «Grandmother’s Death», un heavy blues désespéré. Ah comme il souffre, le vieux Red. Inconsolable.
Oh et puis au retour de Roubaix, j’apprends par un bon ami que Little Victor est le cousin de Tav Falco. Subitement, tout s’éclaire.
Signé : Cazengler, alias Victor Hugodiche
Little Victor featuring Little Lou. Vintage Weekender. Roubaix (59). 12 novembre 2016
Little Victor. Let’s Get High. Wild Records 2009
Little Victor. Boogie All Night. El Toro Records 2010
Louisiana Red & Little Victor’s Juke Joint. Back To The Black Bayou. Ruf Records 2009
Louisiana Red & Little Victor’s Juke Joint. Memphis Mojo. Ruf Records 2011
Capocci n’est pas Kaputt
Pat Capocci arrive d’Australie. Voilà un jeune rockab bien décidé à en découdre, vibrant d’énergie tellurique, couvert de tatouages. Rien qu’à le voir s’accorder, on sait que l’avenir du rockab est assuré. C’est le genre de mec à être tombé dans la même bassine qu’Asterix quand il était petit. Pas de pompadour, mais des cheveux bruns soigneusement peignés vers l’arrière, avec une raie sur le côté. Son copain le stand-up man porte exactement la même coiffure. À les voir s’installer, on comprend aussi que ces deux-là se sentent investis d’une mission divine.
Pat accorde sa gratte, une espèce de Jaguar blanche. Un son bien sec et bien clair sort de son ampli. On sent le mec noueux et trapu sous le cuir du blouson.
Et paf, il revient lancer le set en chemisette à fleurs. Le trio attaque une belle série de classiques, c’est presque sans surprise. Carré et limpide. Pat joue sec et fonce bien dans les virages, mais il maîtrise tellement bien son manche qu’il ne chasse pas. Ce mec-là ne peut pas chasser. Il joue avec une incroyable fermeté, ce genre de fermeté qui finit par fasciner, tant on sent le poids des années de technique.
Pat la bête connaît ses gammes et il joue à l’onglet de pouce, claquant de ses autres doigts des petites notes par en dessous. S’il n’était pas si résolument rockab dans l’esprit, on le soupçonnerait de bien aimer les grands guitaristes de surf-music, du genre Dick Dale ou Jerry Cole, car il dégage le même genre d’âpreté du jeu, celle des gens qui ne s’autorisent aucune fausse note dans la vitesse supersonique de l’action. Ils se situent bien au-delà de la perfection. On voit bien que Pat a bossé ses gammes et s’il monte sur scène, c’est uniquement pour conquérir le monde.
Il joue un peu de blues, mais un blues tendu, du Dust My Broom bien harnaché, conçu pour traverser les plaines ventre à terre. Du genre à ne pas traînasser en chemin. Pat ne batifole pas. Il laisse ça à d’autres. Pat est marrant, quand il bouge, il peut faire penser à un kangourou, il a cette raideur dans le corps, ce menton volontaire et cette dureté du regard qui rappelle celle des poids Welters du championnat des kangoos. La chance qu’il a ! Son set est parfaitement au point, il avale l’heure de concert sans faiblir et repart aussi frais qu’à son arrivée. Pas une goutte de sueur. Rien que du nerf d’acier. Son rockab physique ne laisse aucune place au hasard ni même à la folie. Ce mec sait exactement ce qu’il veut et il s’en donne les moyens. En voulant devenir un puriste du rockab, il impose le respect.
Il gagnera moins de blé que s’il interprétait des chansons de Téléphone, mais au moins les gens qui l’admirent sauront exactement pourquoi ils l’admirent. Voilà toute la différence. On irait presque brûler un cierge à la Trinité pour que Dieu lui vienne en aide et qu’il vende un peu de disques.
On trouve deux beaux albums de Pat sur Wild, à commencer par Call Of The Wild. Toutes les caractéristiques du jeu de Pat sont au rendez-vous, l’âpreté du jeu, le clair du son, l’énergie du bush, l’infaillibilité chronique, le bondissant kangoo, la technique nerfs d’acier et le maniement expert de la tension. Magnifique romp de rockab que ce «Slave For The Beat» bien tenu en laisse et comme visité par une ligne de basse traversière. On peut appeler ça une magnifique déclaration d’intention. That’s right babe, comme dit Pat ! L’animal se paye un break sauvage dans une ambiance de piste d’auto-tamponneuses, avec ce son clair digne des Shadows et cette stand-up sourde et menaçante qui croise son chemin. Aw let’s go ! Il réédite l’exploit avant la fin du cut. Ce mec qui travaille avec de l’ancien montre qu’on peut encore avoir des idées, même si tout semble avoir été dit et redit. Et puis on a un «Jitters» battu à l’insistance caractérisée. Le batteur tape des gros coups de soutien au couplet. Pat et ses deux amis travaillent le son comme des orfèvres. Ils passent au western swing avec «Break These Chains». Voilà encore un cut élégant et terriblement bien élancé. Pat fonce le nez au vent, il fend donc l’air. Son rockab vaut tout l’or du monde car ce mec est franc du collier. Il shake le bop comme un pro et vitamine le clair du son à outrance. On peut dire que ces trois gaillards from down under savent trousser une gueuse. Encore une merveille de swing avec «Automobile Blues». Cut admirable car profondément motivé. Pat jive le jazz, il nous swingue ça à la régalade. Les mauvaises langues ont une tendance à voir les rockab comme des bas du front, mais quand Pat jive le jazz, il referme d’un coup toutes ces fuckin’ boîtes à camembert. Ce mec est tout simplement un virtuose, mais un virtuose qui ne la ramène pas. Pas la moindre trace de frime chez ce mec-là. Encore du swing de haut rang avec «Jumping Through Hoops». Pat y met toute son ardeur, avec une constance qui en dit long sur la fermeté de ses biceps. On compte sur lui pour assurer l’avenir du rockab. Allez, tiens, encore une petite merveille avec «Brunette Baby» amené au petit riff insidieux et chauffé au cul du truck par le beat de slap. Pat est sûr de son art, il bouffe son cut à la diction et le son suit. Retour à la virtuosité avec «Telecaster On A Tighrope». Pat joue carrément le jazz manouche. Attention, il ne faudrait pas le prendre pour un demeuré. Il joue un jazz fluide qui éclate au grand jour. Eh oui, on se retrouve dans cette débauche de liquidité de ton à la Django. Les mecs comme le pote Pat peuvent aller loin et s’il revient, c’est avec des retours de gimmicks enroulés, un travail d’orfèvre digne de Fabergé. Quand on écoute «Black Mountain», on sent nettement que Pat peut devenir une superstar. Il fait exactement ce qu’il veut, dans une grande variété de thèmes et d’idées. Son Black Mountain est une petit merveille de prescience.
L’album Pantherburn Stomp vaut lui aussi largement le détour, ne serait-ce que pour cette petite bombe intitulée «Genie In A Bottle». On a là du pur jus de rockab violent et mal intentionné, une merveille de quinconce, hargneux et punkoïde. La délinquance de la stand-up croise celle de Pat la carne. Ces voyous australiens peuvent être de sacrés démolisseurs de portraits. Quel coup de génie et quelle aubaine pour l’oreille du lapin blanc ! Pat pilonne son beat avec une âpreté sans commune mesure. C’est violemment bon, tous mots bien pesés. Dommage que le reste de l’album de soit pas aussi déterminant. Pat monte son «Storm» à la raclette d’épinette, il joue ça sans coup férir, il semble lancer son manche en l’air et jouer à la volée. Il claque des beignets de notes à la tirette, franchement, c’est très impressionnant. Avec «Digging Through The Dirt», il passe au swing sans aucun état d’âme. Pat étend son empire à la sauce tomate, il chante à pleine voix et mastique bien ses syllabes. On sent qu’il a bien travaillé sa diction et qu’il s’est assoupli les zygomatiques pour articuler plus élastiquement. Il faut aussi l’entendre chanter «Warpath» avec une voix de canard. Il joue sec, avide et vibrant, tendu à se rompre. Il gratte tout ce qu’il peut, des milliers de notes à la volée. Quel puriste purulent ! Il revient au speed-rockab avec «Must’ve Been The Devil». Il puise dans le boogie des nègres du Mississippi et s’en sort avec les honneurs. Il se balade, il est tellement à l’aise que ses mains semblent autonomes. Il revient au rockab extraordinaire avec un «Cry Wolf» d’une belle pertinence, surtout lorsqu’on situe l’angle de l’agression. Il fait son Elmore James avec «Kill Your Daddy». On voit qu’il adore le blues. Le dernier beau cut de l’album s’appelle «The Cobra». Le pote Pat l’amène au riff insidieux du train et c’est battu à l’Africaine. Nous voilà de retour dans cette espèce de punk-blues inexorable.
Signé : Cazengler, Pat d’capote
Pat Capocci. Vintage Weekender. Roubaix (59). 11 novembre 2016
Pat Capocci. Call Of The Wild. Wild Records 2013
Pat Capocci. Pantherburn Stomp. Wild Records 2014
17 / 12 / 16
LA COMEDIA / MONTREUIL
RIOT CITY REJECTS
2 SISTERS / BLACK MATTER
J'ouvre la fenêtre, tends le bras au-dehors, remue la main. Parfait, j'aperçois même mon petit doigt tout riquiqui. Fort satisfait de mon observation scientifique je me rue sur la teuf-teuf, la route est dégagée au moins jusqu'au cercle polaire. De toutes les manières, je m'arrête avant, à Montreuil-sous-Bois. Trois groupes à l'affiche que je ne connais pas, me rappelle même plus de leur nom, à la Comedia, que voulez-vous de plus pour rendre un rocker heureux ? Aux abords de la Forêt de Jouy, je ne jouis plus. Mais alors plus du tout. En une seconde le paysage change. Une abolition mallarméenne. Disparu de la carte. J'essaie de faire le mariole en me disant que je suis le premier être humain à mettre un pneu dans une forêt sans arbres, mais le coeur n'y est pas. Une purée blanche de pois cassés, à peine si j'entrevois les essuie-glaces qui s'activent sur le pare-brise. N'ayez crainte, l'amour du rock est plus fort que la mort. J'arrive à bon port. Salut, pas de quoi en faire un fromage.
RIOT CITY REJECTS
Trois sur scène. Deux mexicains et un américain. Pas besoin de construire un mur pour séparer les peuples. Les rockers finissent toujours par se rejoindre. Tout nouveau. Facile de le sentir, se refilent un plan d'accord à toute vitesse pour le morceau suivant, et ont un peu de mal pour trouver la pédale de frein quand il faut s'arrêter. C'est qu'une fois qu'ils sont lancés, tout marche sur des roulettes. Droit devant et inutile de regarder sur les côtés. Basiques mais terriblement efficaces. Du punk à toute blinde sans chi-chi ou cha-cha-cha. Bonnet vissé sur la tête pour le batteur et le chanteur. N'ont pas froid aux yeux, heureux de jouer et d'envoyer la sauce électrique. Parfait pour réchauffer l'atmosphère et porter le diapason à son point culminant au-dessous duquel il serait impardonnable d'évoluer. Bien court, on aurait volontiers repris une autre assiette de ce potage brûlant.
2 SISTERS
Cherchez l'erreur pas une ombre de filles mais quatre gars. Courte balance d'une intensité que beaucoup de groupes aimeraient atteindre à la fin de leur set. Guitariste colossal. Fine moustache et stature de géant. Une guitare surtout. Psyché en diable. Les quarante mille chats du diable qui hurlent dans les fournaises de l'enfer. Nicolas ne peut pas s'arrêter de jouer, rajoute une petite traîne au morceau qui vient de se terminer et enchaîne sans coupure le suivant comme si le riff à l'égoïne s'échappait tout seul de ses doigts.
Un deuxième guitariste, soyons précis, Saba, soi-disant bassiste de son état, pur mensonge, une attitude à la Cyril Jordan, porte bas sa basse qui chante et psalmodie un torrent de notes échevelées. N'accompagne pas, l'est devant, avec Nicolas, deux chevaux de force égale qui mènent l'attelage du carrosse doré dans un galop furieux. Andy est au fond, légèrement penché sur ses fûts, assure le rythme, opère les césures nécessaires, l'est la force d'appoint, le moteur auxiliaire indispensable, trop en retrait à mon goût, ce n'est pas parce que l'on a deux cadors aux cordes qu'il ne faut pas s'imposer et fracasser quelque peu la royale ordonnance.
Andy derrière le micro, ne donnera vraiment la mesure de son talent que lorsqu'il aura posé son verre et saisit son micro, ses cheveux, et son rôle de chanteur à pleines mains. Joue à l'indolence du jaguar posté sur sa branche, l'on se méfie de la bestiole, mais on aimerait qu'elle nous saute dessus un peu plus rapidement. Heureusement que le public féminin se déchaîne quelque peu et l'entraîne à montrer tout ce dont il est capable. Un set à toute allure, Nicolas descendant souvent de l'estrade comme s'il recherchait une aire d'envol plus large pour ses fusées de guitares. Une heure de bonheur, les titres se suivent et ne se ressemblent pas tellement à chaque fois ils rajoutent pression, célérité et flamboyance. L'impression d'être dans un long solo d'une heure d'apocalypse. I wanna Be Me, I'm a Man, About Love, Wake up, terminent le concert en apothéose, du rock comme on l'aime, électrique à mort, à marquer d'une météorite incandescente sur le calendrier de vos futurs concerts rock.
BLACK MATTER
J'aurais jugé la tache impossible. Après la tornade de 2 Sisters, à quelques minutes d'intervalle, j'aurais eu peur de paraître terne et falot. Inutiles craintouilles. Parfois le bonheur frappe deux fois à la suite à votre porte. Black Matter, n'est pas un groupe de rock. Mais un stoner combo. Et j'irai jusqu'à dire le seul stoner made in France qu'il m'ait été donné d'entendre jusqu'à ce jour. Beaucoup s'étiquettent stoner. C'est comme l'appellation bio sur le cageot de poireaux sur le marché. Symbole de qualité. Z'oui mais quand on écoute, ce sont juste de bons groupes de rock. Pas plus stoner que tous les autres. Mais avec Black Matter, cela se passe autrement. Au bout de cinq minutes, vous vous pincez subrepticement la fesse gauche, ce n'est pas possible, je ne suis pas à la Comedia Michelet de Montreuil, je suis dans mon lit en train de rêver. Discrètement vous effleure le bras ( droit ) de votre voisin, non de Zeus, c'est vraiment un véritable gars, ce n'est pas une hallucination, je suis bien en plein concert devant un vrai groupe.
Trois sur scène. Le trio classique. Batterie, basse, guitare. Le maximum vital. Trois musicos. Une seule musique sur scène. Et pourtant, trois individualités, à part entière. D'entrée de jeu Al Uben s'impose dans vos oreilles. Vous bat le cerveau en crème chantilly. Z'avez l'impression que ces coups de baguettes vous aboient dessus. Pas le misérable roquet de Tante Agathe qui s'en vient chaque matin sournoisement uriner sur votre paillasson, non Cerbère le tricéphale qui vocifère tout en vous arrachant la chair des mollets afin que vous vous enfonciez encore plus vite sous les voûtes caverneuses des Enfers.
Suka Maku officie à la basse. Des doigts lourds d'une agilité extrême. Le genre de grenadier qui ne se contente pas de plonk-plonk-poétiser tranquille dans son coin, bonjour les petits oiseaux, il fait bon ce matin. Lui il relâche des ptérodactyles affamés dans des paysages de désolation, vous saisissent par la peau du cou et vous fracassent la tête sur un rocher. Parfois il arrête de jouer, se fige devant le micro et vous hurle une espèce clameur plus assourdissante que les trois coups de clairon du jugement dernier. J'ai le regret de confirmer vos soupçons, Sébastien Crose le guitariste ne vaut pas mieux que ses deux autres ostrogoths, l'aggrave même son cas, avec son petit air de sainte-n'y-touche, vous savez moi à part ma guitare, l'est concentré dessus, paraît un marabout immobile sur une patte dans son étang, plongé dans une méditation intérieure. Trop goth, trop grave. Voici un des rares guitaristes de ma connaissance qui joue de la guitare. La plupart se contente de la caresser. Lui il l'explore et la découvre chaque fois qu'il enfonce son médiator entre les cordes. Vous révèle des sonorités inexplorées, sans ostentation, mais avec tant d'obstination, que le public prend l'habitude d'applaudir à chacune de ses opérations. Ne vous méprenez pas, ne part pas dans un solo éblouissant - regardez comme je suis bon – suit son cours comme la rivière qui coule dans son nid. Mais lui il charrie des paillettes d'or en si grand nombre qu'il vous horrifie et vous aurifie l'âme.
Sébastien chante aussi. De temps en temps. Quand ce n'est pas nécessaire. Faut que vous compreniez, Black Matter c'est avant tout de la musique qui se suffit à elle-même. Chacune de ses parties indispensable à son tout. Imaginez un quatuor de Bartok avec grosse caisse. Et puis la chasse à courre. Chacun poursuivant l'autre en un ensemble démoniaque. Sont au bout de la séquence, normalement devraient tourner la page, l'histoire est terminée, les héros sont tous morts, et Al Uben réveille les macchabées d'un énervement de break à fendre la banquise polaire, et c'est reparti pour douze mille tours. Trop beau, trop bon, Suka casse une corde, Saba de 2 Sisters se précipite pour lui refiler la sienne, une demi-heure plus tard les deux groupes précédents n'y tiennent plus, se précipitent pour embrasser nos trois dynamiteurs, les étreignent, les empoignent, les accompagnent de gestes fébrilement mimétiques, leur hurlent des encouragements, ce qui n'empêche pas nos trois forcenés de continuer leur frénésie sacrée. Par trois fois Al Uben s'en vient remettre en place le parpaing soi-disant chargé de maintenir ses caisses en place, en profite pour jeter un coup d'oeil à la set-list – une espèce de timbre poste que Sébastien s'amuse à recouvrir de son brodequin dès que l'un se déplace pour la lire.
Dix titres. Anti Matter, Creepy Tale, Cold Meat, Pizza, Zarkprut... autant de morceaux d'antimatière fissible, qui font résonner le stoner en tant que concentré métaphysique d'une exigence schizophrénique du rock'n'roll entrevu en même temps et en tant que fête collective libératoire d'énergie et en tant que solitaire recherche individuelle intérieure.
Sont acclamés, mais c'est surtout l'étonnement admiratif qui pointe dans les regards qu'il est impossible de transcrire ici.
RETOUR
Dommage que l'assistance n'ait pas été plus dense. Beaucoup doivent être en train de le regretter... Salut à Christophe, dont nous reparlerons après les vacances...
Damie Chad
( Photos : F.B. 2 Sisters et La Comedia Michelet )
"UN JOLI CONTE DE NOËL"
SOMEONE TO HATE
CRASBIRDS
CARTOON CLIP
Toc ! Toc !
Rien de plus énervant que ces étudiants qui toquent à la porte de votre bureau. Viennent chicaner sur leur copie. Ne sont pas contents de leur mauvaise note à leur dernier partiel. Oui mais à la Rock'n'Roll University de Berkeley on ne brade pas les examens, comment voulez-vous obtenir la moyenne si vous ne savez pas la référence du 45 Tours des Champions, groupe français certes, mais j'avais poussé la gentillesse jusqu'à la donner sur le prestigieux blogue de l'université !
Toc ! Toc !
On insiste ! Je ne réponds pas. Plus muet que Sreamin'Jay Hawkins dans son cercueil. Une main timide appuie sur la poignée et la porte s'entrebâille de quelques centimètres, l'on veut s'assurer de ma présence ! Se prennent pour le FBI maintenant !
Snif ! Snif !
Mais l'on pleure, voilà qui change tout ! Je parie que c'est une fille ! Ah, ces chiennes, elles ont compris que nous les professeurs français, notre galanterie proverbiale ne laisserait jamais pleurnicher une jeune étudiante devant la porte de son bureau.
Snif ! Snif !
Entrez !
Je ne me suis pas trompé. C'est une fille. Toute jeune, toute mignonnette, je la reconnais illico, la plus jeune de sa promotion, admise à l'université le jour de ses seize ans – Sweet Little Sixteen comme le chante Chuck Berry – l'avait eu sa photo sur la couve de la Rock Revue que la fac édite chaque mois. Une élève méritante, qui note tout ce que je dis, et qui rend ses devoirs à l'heure. En plus, j'adore le regard admiratif qu'elle porte sur moi.
Snif ! Snif !
O! baby, quel gros chagrin, je subodore que vous avez du mal à articuler le plan de votre devoir. Je reconnais que ce n'est pas facile, L'influence de la pensée d'Aristote sur Crashbirds, c'est un peu cottonfield, faut d'abord connaître Aristote et...
Snif ! Snif ! - elle s'est rapprochée devant le bureau – Aristote ne me pose pas de problème, Monsieur le Professeur, j'ai lu ses oeuvres complètes à quatorze ans, mais les Crashbirds, et plouf elle éclate en sanglots d'une rare violence.
Snif ! Snif ! Snif ! Snif !
Elle parle, la voix entrecoupée de hoquets. Diable, c'est du sérieux, je m'inquiète. Je la fais asseoir tout près de moi. Monsieur le professeur, ce n'est pas Aristote qui me dérange, c'est les Crashbirds !
Hum ! Hum !Vous ne supportez pas les Crashbirds, ce n'est pas grave, vous êtes insensible à leur musique, cela peut arriver, tenez-moi, depuis ma plus tendre enfance je suis incapable d'ingurgiter le moindre morceau de céleri.
Snif ! Snif !
Pour la musique je ne sais pas, Monsieur le Professeur je n'ai pas pu écouter le disque. C'est cela qui m'en empêche, et elle me tend de sa menotte toute tremblote le CD des Crashbirds
Oh ! Baby, je vois mais je ne comprends pas ! Expliquez-moi, s'il vous plaît !
Snif ! Snif !
C'est la pochette, Monsieur le Professeur ! Vous voyez les mignons petits oiseaux blottis sur leur branche, avec leur grosses lunettes d'aviateurs ?
Bien sûr ! Mais, hum ! Hum ! Je ne vois pas ce qui peut motiver un tel chagrin, sont plutôt sympathiques nos volatiles !
Bouh ! Ouh ! Bouh !
Cette fois-ci c'est la catastrophe, je suis obligé de lui tamponner les joues avec mon mouchoir pour irriguer ce torrent de larmes qui coule sans s'arrêter. Pour la réconforter je passe mon bras autour de ses épaules. Certes j'ai des défauts, mais je ne suis pas du genre à laisser pleurer une jolie fille sans lui apporter un minimum de confort moral. Vous avez-vu ce qu'il y a écrit dessous : Live In Dead City ! Bouh ! Ouh ! Bouh !
Mais c'est le titre de l'album ! Hum ! Hum ! Expliquez-moi vite, dear baby !
Snif ! Snif ! Je ne savais pas que vous étiez si cruel Monsieur le Professeur, moi qui vous admirais tant ! Vous êtes donc insensible ! Pourtant cette voix émue au dernier cours lorsque vous racontiez la mort d'Eddie Cochran, tout l'amphi avait le coeur serré et j'ai failli pleurer ! Rien que d'y repenser ! Bouh ! Hou ! Bouh !
Remettez-vous baby, Eddie a disparu voici cinquante ans, séchez vos larmes, je vous en prie, mais quel est le problème qui vous a tant émue, dites-moi tout,
Snif ! Snif !
Ça ne vous fait rien à vous, ces deux petits malheureux oisillons qui vont mourir dans la cité de la mort ! Ça ne vous empêche pas de dormir ! Tués par la pollution ! Vous les comptez pour des victimes collatérales sans importance – du coup elle ne pleure plus, elle est encore plus jolie toute en colère – moi qui croyais que vous aviez un coeur d'or, je peux vous l'avouer maintenant jusqu'à hier vous étiez mon héros, je vous trouvais plus beau que Brian Jones, si vous saviez comme je suis déçue Monsieur le Professeur! Déçue, déçue, déçue, vous êtes comme tous les autres.
Non baby, vous faites erreur, il ne faudrait pas que ma vie privée interfère avec ma mission pédagogique, je me permets de vous révéler je suis adhérent à la LOPO, Ligue Ornithologique de Protection des Oiseaux et quand vous accepterez de me rendre visite à mon domicile je vous montrerai dans ma chambre les nichoirs remplis de graines pour les passereaux !
Oui, c'est bien beau, Monsieur le Professeur, mais il y a à peine dix jours dans la Rock Revue vous couvriez les Crashbirds d'éloge, alors que sur leur disque ils envoient à la mort deux petits oiseaux innocents. Des plumes à la une, pour vendre, ils sont prêts à tout, vos cyniques Crashbirds ! Jamais vous ne me convaincrez du contraire, même si vous y passiez dix ans !
Oh Baby, trois minutes cinquante quatre secondes, je ne demande que ces deux cent trente-six secondes, pour vous prouver le contraire. Accordez-moi les, je vous en conjure, je ne suis pas celui que vous croyez !
Pas une de plus, Monsieur le Professeur, en souvenir de cette sympathie que j'éprouvais pour vous hier encore, mais je crois que ce ne sera plus jamais comme avant !
Baby, je ne vous demande que de regarder cet écran, rapprochez-vous, tenez mettons-nous sur le même fauteuil, vous y verrez mieux. Bien, je crois malheureusement que vous vous êtes méprise, vous êtes si gentille, votre bon coeur s'est apitoyé trop vite, alors ne quittez pas des yeux la vidéo, je me permets d'en commenter le déroulement. Voici vos deux oiseaux. Non ce ne sont pas des oisillons tombés du nid. Sont de sinistres sbires qui en veulent à la terre entière. Sont prêts à tout pour éradiquer l'humanité. Tenez, ils nous tirent dessus à la kalachnikov. De véritables terroristes. Cette triste besogne n'avance pas assez vite, se servent maintenant d'un mortier et puis d'un obusier. Les voici qui écrasent les escargots avec les chenilles de leur tank, ne respectent même pas leurs frères animaux. Et ce tapis de bombes qu'ils larguent comme au bon vieux temps de la guerre du Vietnam. Avisez leurs rires démoniaques, leurs mines jouissives, tiens ils passent à la vitesse supérieure, feu roulant de bombes atomiques sur toute la planète. Mirez leur cruelle fierté maintenant qu'il ne reste plus qu'un immense cimetière sous la lune. A vous dégoûter ! Les morts en sortent de leurs tombes. Pour les punir de leur méchanceté.
Voyez comme ils sont lâches, n'en mènent pas large devant cette armée de zombies. En mouilleraient leur culotte s'ils en portaient une. Même pas le courage de faire front. Salut dans la fuite, cherchent refuge sur un arbre. Sont hors de danger. En profitent-ils pour s'amender ? Au contraire tirent de sous leurs ailes de nouvelles armes de destruction massive à la poudre noire dans le but ultime de tuer les morts. C'est fini. N'en doutez pas, ce n'est pas un montage manipulatoire, c'est un cartoon que Delphine Viane – je rappelle qu'elle est la chanteuse des Crashbirds – a elle-même posté sur You-tube et que ce film d'animation a été concocté par Pierre Lehoulier in person. Guitariste des Crashbirds et auteur de bandes dessinées. Voilà, vous voyez bien qu'il est inutile de pleurer, vos petits zoziaux chéris sont des montres, passibles du Tribunal Pénal International qui juge les crimes contre l'Humanté !
Arbore un beau sourire, une moue radieuse de soulagement illumine son visage, elle se lève vivement, me plaque deux grosses bises sur les joues, Merci Monsieur le Professeur, vous êtes comme mon grand-père qui chassaient les araignées noires qui me faisaient peur quand j'avais cinq ans, et hop elle est déjà tout prêt de la porte.
Oh baby, on se retrouve chez moi ce soir, vous montrerai les nichoirs et après on pourrait...
C'est gentil, Monsieur le Professeur mais j'ai le devoir sur Aristote et Crashbirds à rédiger...
Qu'à cela ne tienne Baby, vous me le rendrez quand vous voudrez, je...
Non, n'insistez pas, it's all over now, baby blue !
Damie Chad.
Epilogrre ! : I hate someone !
"SPECIAL PETIT JESUS DANS LA CRECHE"
GUY GILBERT
UN PRÊTRE CHEZ LES LOUBARDS
( Editions Stock / 1978 )
Tiens, Terre Lointaine de Julien Green - à lire d’urgence si vous aimez le vieux Sud, celui des aristocratiques white necks au tout début des années vingt - un euro, je prends et illico, comme tous les clients j’ai droit à mon paquet cadeau. Merci Madame la bouquiniste, c’est trop gentil. La grande distribution devrait suivre votre exemple. J’ouvre au café. Les copains se moquent de moi. Connaissent mon anti-christianisme primaire ( et secondaire ). Deux livres de curé. Guy Gilbert, fut le chouchou des media, l’ai encore aperçu par hasard la semaine dernière à la télé dans un bar, cheveux blancs et quatre-vingt ans au compteur. C’est vrai qu’il tranchait de ses confrères, n’hésitait pas à employer les gros mots, avait troqué sa soutane contre un perfecto et abandonné la 2 CH presbytériale pour une grosse bécane pétaradante. Un transfuge de la vague des prêtres-ouvriers des années soixante.
Me méfie de la bonne parole. L’a dû le sentir, est très discret sur son engagement religieux. Une petite prière par ci par là en coin de page, mais sans exagération. Son sujet c’est la délinquance. Arrive à Paris en 1970, éducateur de rue. Une situation mi-figue-mi raisin. Un orteil dans l’institution policière et judiciaire et le reste des deux pieds dans les bandes des jeunes. Ce ne sont plus les blousons noirs, mais le substrat social reste le même. Gamins à la rue dès douze ans, déscolarisés, qui ne trouvent pas dans le taudis des parents la tendresse et l’affection idoine. Des chatons abandonnés qui se sont forgés des masques de tigres. Survivent en petits groupes, bagarres, larcins, conneries en tout genre, récidives sont inscrits au menu quotidien. Les jours de fête, l’on viole une fille. Attention à la case prison de ce jeu de loi grandeur nature. C’est vous le pokémon que l’on pourchasse.
Guy Gilbert habite dans le quartier. Essaie de gagner leur confiance. Equilibre sur fil tendu, ou tu es avec nous ou tu es contre nous. Le juste milieu est toujours du côté de la justice de classe. Ouvre fort sa gueule le père Gilbert contre les flics, les juges, les politiques, les bourgeois, les bonnes âmes, la charité et la bonne conscience qui dédouanent les chrétiens de toute inquiétude. Fait ce qu’il peut, écrit aux prisonniers, témoigne en leur faveur au tribunal, s’entremet avec les gendarmes, reçoit, abrite, conseille, écoute, cherche des familles d’accueil, les emmène en weekend au bord de la mer, en vacances en Savoie, ferme les yeux sur les incartades pas trop gravos, tente de trouver des portes de sortie qui leur permettent de vivre un peu moins borderline. Ne vise pas à l’embourgeoisement des troupes, ni à l’abrutissement du travail obligatoire en usine. Faut que les gars reprennent confiance en eux-mêmes, et ensuite à la grâce de Dieu.
Et le rock dans tout ça ? N’en cause point. Ces jeunes sont désespérants. Semblent avoir abandonné leur culture de base. L’on est plus près de Chiens Perdus sans Collier de Cesbron que de Le Cuir et le Baston de Maurice Lemoine. Ou alors Guy Gilbert se tait à dessein. Méfions-nous des religions.
LA RUE EST MON EGLISE
( Editions Stock / 198O )
Un peu plus d’Eglise, un peu moins de loubards. L’avait déjà tout dit dans son premier bouquin. Mais entre temps l’était devenu célèbre. Son passage dans l’émission Apostrophes de Bernard Pivot l’avait fait connaître de tout le monde. Sûr que les éditeurs ont dû juger la fenêtre idéale pour lancer un deuxième opus. Mais d’autres considérations pas du tout financièrement intéressées ont dû pousser Guy Gilbert à reprendre la plume. Ses déclarations à l’emporte-pièces avaient soulevé un gros tumulte. Certes proclamer qu’en étant au milieu des hooligans il ne faisait pas pire que Jésus Christ qui avait choisi de mourir entre deux brigands est un paradoxe christologique qui peut s‘entendre. Les préceptes chrétiens sont d’une clarté absolue : faut s’aimer les uns les autres, tous les autres, all right, 0K pour les voyous, mais les honnêtes gens se sentent un peu délaissés par un tel parti-pris. Heureusement que l’Eglise est là pour s’occuper d’eux.
Guy Gilbert n’est pas prêt de quitter l’Eglise. Commence par une terrible bordée de canons chargés de mitraille chauffée à blanc. Lui reproche sa richesse, son incapacité à se mettre à la portée des plus démunis. Cite des exemples de prêtres ou de sœurs peu charitables. Un véritable champ de ruines. Demande à Jean-Paul II de quitter sa piscine personnelle construite pour ses ébats nautiques matinaux pour prendre un abonnement dans une piscine municipale de Rome… propose que les églises restent ouvertes sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et qu’elles soient transformée en lieux d’accueil, de restauration, de couchage et de discussion pour que les plus pauvres puissent rencontrer les plus chanceux… A l’écouter la ligne de la lutte des classes passe parmi les ouailles et il est nécessaire de la juguler en mettant en œuvre la révolutionnaire parole du Christ.
Ne luis reste plus qu’à prendre le fusil et à rejoindre les tupamaros, vous dites-vous. Eh, bien non ! Ne quitte pas le navire. L’est pour l’application de Vatican II, mais il comprend les raidissements des extrémistes catholiques qui se battent pour que la messe continue à se dérouler en latin. Que chacun l’écoute dans sa langue, en augustinien breveté pour les vieux, en verlan pour les barlous. Pourvu que dans les deux cas, l’eucharistie soit célébrée. Idem pour la soutane, lui il préfère le perfecto, mais que chacun s’habille selon ses convenances. Les idées aussi larges que le cœur, voici sa devise.
Cite en exemple le village de Rougon, en Haute-Provence qu’il visite chaque année avec sa horde de jeunes sauvageons. La première semaine est un peu chaotique, la rurale population vieillissante s’alarme un tantinet, mais bientôt le tumulte s’apaise, une cohabitation guillerette se met en branle. Et bientôt tout le monde se retrouve pour la procession de Saint Christophe abandonnée depuis plusieurs décennies qu’il remet sur les rails… Comme quoi les meilleures intentions sont celles qui pavent le mieux les impénétrables voie du Diable ! Semble bien moderne notre curé boutefeu, mais quarante ans plus tard on s’aperçoit qu’il n’est qu’un précursif épiphénomène du raidissement doctrinal du catholicisme actuel. Reste dupe de son propre jeu. Ce n’est pas un individu armé d’une méthode peu orthodoxe qui remettrait dans le soi-disant droit chemin une institution qui fut de toujours la compagne de route, la grande prostituée, de tous les pouvoirs politiques.
Une indice qui devrait mettre l’éléphant à l’oreille de tous les rockers. Cent cinquante pages plus loin, le mot rock and roll n’est pas prononcé une seule fois. Comme quoi le perfecto ne fait pas le rocker.
Damie Chad.
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