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18/11/2020

KR'TNT ! 485 : ESP-Disk / PRETTY THINGS / CRASHBIRDS / BORDERLINES / JUSTIN LAVASH / ROCKAMBOLESQUES VIII

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 485

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

19/ 11 / 2020

 

ESP-Disk / PRETTY THINGS

CRASHBIRDS / BORDERLINES + MANUEL MARTINEZ

JUSTIN LAVASH / ROCKAMBOLESQUES 8

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Yes I need ESP - Part One

C’est grâce à Jason Weiss qu’on peut enfin lire de nos yeux lire la fantastique non-histoire d’ESP-Disk, l’un des labels les plus mythiques de l’histoire du rock américain. Le titre du book ronfle comme un gros buveur : Always In Trouble - An Oral History Of ESP-Disk, The Most Outrageous Record Label In America. Weiss a bien fait les choses : il a non seulement réussi à recueillir les propos d’un Bernard Stollman pas très loquace, mais il a en plus rassemblé les témoignages d’une multitude d’artistes liés à l’histoire d’ESP-Disk. Attention, l’ouvrage se distingue par sa densité. Il faut donc s’aménager une large portion de temps pour espérer en venir à bout.

ESP-Disk ? Un label bien connu des fans de free jazz, notamment ceux d’Albert Ayler, de Pharoah Sanders et de Sun Ra. Le free est la grande passion de Stollman, fondateur du label et avocat de formation. Les fans d’un certain rock connaissent aussi le label pour quatre raisons, et pas des moindres : Pearls Before Swine, les Fugs, les Godz et bien évidemment les Holy Modal Rounders. Disons pour simplifier qu’ESP-Disk fut le grand label d’avant-garde new-yorkais, et qu’en plus, les Godz et les Fugs redorent à eux seuls le mighty blason du proto-punk américain. On irait même jusqu’à dire que ces deux groupes l’ont mythifié.

L’histoire d’ESP-Disk se situe à l’opposé de celle des gros labels indépendants américains, comme Atlantic, Elektra ou même Stax. C’est l’histoire d’un one-man-operation un brin kamikaze, car les artistes qu’il signe sont tellement avant-gardistes qu’ils n’ont aucune chance de percer commercialement. Mais c’est le truc de Stollman. Et il s’y tient. C’est ce qui va le transformer à son tour en statue de sel. Sans Stollman, pas d’Ayler, pas de Godz ni de Fugs. Pas de Rapp ni de Rounders. ESP-Disk devient dans les early sixties l’équivalent des grands labels underground britanniques de type Dandelion. Plus c’est obscur et plus ça fait mal aux oreilles, plus c’est culte. Dans l’interview qu’il accorde à Jason Weiss, Stollman explique qu’ESP-Disk doit tout à sa mère qui pour l’aider lui verse une somme correspondant à deux ans de salaire d’un young executive. Il n’avait pas d’autre source de revenus. Et quand Weiss lui demande d’où lui vient cette passion pour l’improvisation et le free, Stollman explique que son père adorait improviser et harmoniser. Quand la famille Stollman partait en virée, le père chantait en conduisant et la mère harmonisait avec lui. Puis Stollman fait vite la différence entre art et divertissement. D’où cette passion du free qui pour lui est de l’art. Ses parents s’intéressent à ses activités, car ils vont assister à des concerts et hébergent parfois des musiciens, comme Tom Rapp et Pearls Before Swine qui, précise-t-il, ont dormi dans leur salon, in spleeping bags. Quand Stollman fait écouter à sa mère - a woman of very few words, c’est-à-dire une taiseuse - le Spiritual Unity d’Albert Ayler, il la voit sourire. Elle est fière de son fils. Stollman voit l’industrie musicale comme l’ennemi du processus créatif. Alors il met au point un nouveau type de contrat, sous forme d’une collaboration : l’artiste conserve le contrôle total du processus créatif. Stollman se fend même d’un slogan : «L’artiste seul décide de ce que vous entendrez sur son ESP-Disk.» Au lieu des contrats habituels de 36 ou 45 pages, Stollman propose un contrat de 2 pages valable pour un seul album. ESP devient copropriétaire de l’album pour l’éternité. C’est un partenariat. ESP gère les droits.

Stollman veille aussi à ce qu’ESP-Disk ne devienne pas ce qu’il appelle un label niche. Pour lui l’art est avant tout anarchique et s’il devient prévisible, il perd tout son impact. Stollman voulait surtout que son label soit un instantané de la culture new-yorkaise à une époque précise. Il n’ambitionnait rien d’autre que de capter l’audio art de son époque, comme le ferait un documentariste. Il avoue au passage qu’il n’était pas à la hauteur, ni au plan créatif, ni au plan business, mais en même temps il ne voit pas son activité comme un business. Il va plus loin en considérant qu’il est difficile d’avoir les deux casquettes, business et créa. C’est vrai qu’on ne croise pas des tonnes de double-casquettes dans l’histoire du rock, à part Uncle Sam ou Art Rupe. Stollman pense que l’un ou l’autre prédomine, soit le biz, soit le créa. Alors il préfère se contenter d’écouter ce qui se passe autour de lui. Il ne se demande jamais si ça va se vendre, car pour lui ça n’a pas de sens de vouloir faire du business en voyant les choses sous l’angle du business. Il faut nous dit-il voir les choses autrement, comme une vocation ou une obsession. La faillite d’ESP-Disk ? Stollman sait qu’il n’a pas commis d’erreur, il dit juste s’être contenté de planter des graines et pensait pouvoir moissonner 10, 20 ou 30 ans plus tard. Il n’avait pas de famille donc pas de charges ni de responsabilités. Ça devait donc fonctionner. Alors pourquoi ça s’est cassé la gueule ?

C’est le gouvernement qui a coulé ESP-Disk en 1968, dit-il, à cause de son engagement contre la guerre du Vietnam. Il avait quatre personnes avec lui dans le bureau d’ESP-Disk : ses collaborateurs étaient tout simplement les Godz. Les albums des Fugs et de Pearls Before Swine se vendaient relativement bien. Puis un jour les téléphones ont cessé de sonner. Stollman raconte qu’il est allé à l’usine de Philadephie qui pressait ses disques pour découvrir qu’elle ne pressait plus ses disques, mais des bootlegs des Fugs et des Pearls pour le compte de la Mafia. Il comprit alors qu’ESP-Disk était foutu. Mais dit Weiss, existait-il un recours ? Pfffffffffffff... Stollman aurait pu traîner l’usine en justice, mais à l’époque il n’existait aucune loi fédérale contre le bootlegging. L’administration Johnson avait trouvé le moyen de faire taire ESP-Disk en coulant son business. Les lois anti-bootlegging ne furent votées qu’en 1974. Il était trop tard pour ESP-Disk. Stollman rappelle qu’il a vendu 20 000 à 30 000 Pearls et lors d’un concert, Tom Rapp annonçait au public que son album s’était vendu à 200 000 exemplaires : la différence, ce sont les bootlegs, dit Stollman. Il ajoute aussi qu’un agent de la CIA avait coaché Ed Sanders et Tom Rapp chez Warner Bros. Records et qu’il avait empoché les 70 000 $ d’avance avant de disparaître. Une fois dans les pattes des majors, les Fugs et Tom Rapp furent définitivement muselés. No more protest songs against the Vietnam war. Stollman ajoute en conclusion que le gouvernement américain utilise deux façons de faire taire les opposants : la première est dirty, et l’autre consiste à les acheter en leur donnant une rondelette somme d’argent. Shut the fuck up.

Le dernier témoin à intervenir dans le book est le petit frère de Bernard, Steve Stollman. Comme il a bossé un peu pour son frère, il profite de l’interview pour remettre quelques pendules à l’heure, rappelant qu’ESP-Disk a permis à pas mal d’artistes de commencer à exister, et pour ça, son frère mérite la reconnaissance éternelle. Bernard Stollman se contentait de lancer les gens, il ne souhaitait pas être impliqué dans la suite, the dirty work. Le petit frère rappelle aussi que les parents Stollman s’occupaient des entrées à l’Astor Place Playhouse où se produisaient les Fugs et Sun Ra. Steve Stollman indique que ses parents s’étaient endurcis. Ils avaient su échapper aux nazis et rien ne pouvait plus les atteindre ni les choquer, pas même les Fugs ou Sun Ra. Il est très bien le petit frère car il rappelle encore un élément déterminant : les frères Stollman ont reçu une éducation intéressante. En effet, leurs parents leur ont surtout appris à ne pas devenir matérialistes. C’est la raison pour laquelle Steve pense que la démarche de son frère à travers ESP-Disk avait quelque chose de noble. Pour lui, c’était courageux de critiquer la CIA et la guerre du Vietnam - Je suis très content que Bernard ait ainsi agi. Il tient ça de nos parents, de simples paysans juifs qui réussirent à rester miraculeusement en vie puis à fuir en Amérique pour y réussir. Leur grand mérite fut de savoir apprécier la vie de tous les jours et transmettre le simple bonheur d’être en vie à leurs enfants - Le book s’arrête là-dessus.

C’est bien que le petit frère intervienne car les témoignages, pour la plupart, épinglent l’avarice de Bernard Stollman, c’est même quasiment systématique. Le batteur Sunny Murray se souvient d’un contrat fifty-fifty avec Stollman, mais dit-il, je n’ai jamais vu mon fifty. Ils ne sont que deux ou trois à prendre la défense de Stollman, comme le batteur Milford Graves : «Je ne supporte pas qu’on dise du mal de Bernard. Je ne sais qu’une seule chose : personne à part ESP ne nous enregistrait dans les années 60. Et le blé qu’il ne te filait pas, tu aurais de toute façon dû le sortir pour payer les honoraires d’un attaché de presse.» Le batteur Warren Smith dit à peu près la même chose : «La raison pour laquelle Bernard et moi sommes restés amis est dû au fait que je ne lui ai jamais mis la pression. Je me foutais de savoir s’il avait le blé ou pas. J’étais heureux et ma famille aussi. Mais il est bien évident qu’on ne pense pas tous la même chose quand on ne dépend que de sa musique pour manger.» L’ingé-son Richard Alderson se plaint que Stollman n’ait pas tenu ses promesses, après le redémarrage du label. Le bassiste Alan Silva dit aussi avoir reçu que dalle de Stollman - I never received anything from Bernard actually - Et il poursuit de façon extrêmement intéressante : «Tout le monde accuse Bernard. Je ne marche pas dans cette combine. Il est comme il est. Des tas de gens affirment s’être fait rouler. M’a-t-il donné des disques ? Des royalties ? Si tu me poses la question, la réponse est non.» Et il continue un peu plus loin : «Je crois que Bernard est un idéaliste. On était à une black disk jockey convention et Bernard essayait de vendre ses disques. À Atlanta, en Georgie ! Sun Ra, man, who the fuck is that guy ?». Alan Silva travaillait avec Stollman et un jour, en 1967, Stollman lui demande de téléphoner dans tous les record shops d’Amérique pour vendre Sun Ra : «All these record shops. Wisconsin, you know about Sun Ra ? Voilà à quoi était confronté Bernard. Il ne disposait pas d’un budget d’un million de dollars pour vendre Albert Ayler. Il se débattait pour survivre. Tous les labels indépendants se débattaient pour survivre.»

Le pianiste Burton Greene pense lui aussi que Bernard était cinglé, aussi cinglé que les musiciens qu’il enregistrait. Personne, dit-il, ne comptait faire de blé avec ce genre de disque. Leo Feigin qui fondit Leo Records en 1979 déclare qu’il faudrait même ériger un monument en l’honneur de Stollman : «Des rumeurs disaient que Stollman ne payait pas les musiciens pour leurs enregistrements. Il mériterait qu’on lui élève une statue. C’était compliqué de vendre ces disques parce que personne n’en voulait. Bernard Stollman investissait et perdait de l’argent avec son label. Rien que pour ça, il mérite une certaine reconnaissance.» Le bassiste Sirone dit en gros la même chose : «On peut dire ce qu’on veut de Bernard, mais il a aidé pas mal de gens à se faire connaître. Il n’y avait pas de blé chez ESP, mais le label s’est fait connaître pour son côté innovant et les artistes incroyables qu’il proposait.» C’est l’extraordinaire Marc Albert-Levin qui tranche définitivement en faveur du pauvre Bernard : «Il n’avait jamais rien existé de semblable auparavant. Comme le disait le slogan de Bernard, c’était une musique entièrement nouvelle - the music was unheard of - et il dépensait le blé que lui donnait sa famille. Il ne faisait aucun profit. Le fait qu’on puisse dire qu’il ait fait du profit sur le dos des musiciens est une plaisanterie. Ce n’est pas juste de dire une chose pareille. Il s’est ruiné. Il a dû reprendre une activité d’avocat pour vivre.»

Marc Albert-Levin est un personnage complètement exotique. Ce poète journaliste dadaïste français s’installe à New York dans les années 60 et publie un book sur les Fugs, Tour De Farce. Quand il arrive à New York, c’est en tant que correspondant pour Les Lettres Françaises, une prestigieuse revue alors dirigée par Louis Aragon. Il rencontre l’electronic genius Richard Alderson, puis le saxophoniste et ethnomusicologue Marion Brown qui le met en contact avec Pharoah Sanders et Sun Ra. Albert-Levin a 25 ans et il est éberlué. Qui ne le serait pas ? Il s’émoustille tant qu’il écrit un deuxième roman, Un Printemps À New York. Puis comme il a besoin de croûter, il fait des petits boulots et devient le cuistot le Miles Davis. Comment s’y prend-on pour devenir le cuistot de Miles Davis ? C’est simple, il suffit d’avoir une copine qui est copine avec Sheilah, la copine de Miles Davis. Et comme Sheilah dit à Miles qu’elle ne fera ni le ménage ni la cuisine, Miles lui dit d’engager quelqu’un. Voilà comment Marc Albert-Levin récupère le tuyau. Il se pointe à l’adresse. Drrrring ! Miles qui le reçoit en robe de chambre. Albert-Levin se dit frappé par le magnétisme du regard de Miles, un Miles qui l’observe et qui lui balance de sa voix d’outre-tombe : «You’re a short motherfucker, aren’t you ?». En bon dadaïste, Albert-Levin prend ça pour un compliment, jauge un Miles qui est aussi petit que lui et lui rétorque du tac au tac : «Vous aussi !». Ça brise la glace. Miles lui répond «Go ahead Indian !», et il le fait entrer. Mais Albert-Levin explique qu’en fait il va cuisiner pour des prunes car Miles ne mange rien - Il était dans une période où il ne se nourrissait que de bière Heineken.

Alors bien sûr Sun Ra. Stollman lui consacre un portrait dans le chapitre intitulé On Individual Artists. Sun Ra, dit-il, a enregistré plus de 75 disques sur son label El Saturn dans les années 50 et 60, des disques qu’il vendait lors des concerts. Il n’avait pas de distributeur. Sun Ra raconta aussi à Stollman comment il fut bloqué à la frontière égyptienne par un douanier qui fut choqué de lire le nom de Sun Ra sur son passeport. Dans la religion égyptienne, Sun Ra est le nom d’un dieu. On ne plaisante pas avec les dieux dans ce pays. Il refusait de faire entrer Sun Ra et ses musiciens en Égypte. Alors Sun Ra lui demanda d’appeler le conservateur d’un musée égyptien qui accepta de venir rencontrer Sun Ra à l’aéroport. Ils discutèrent ensemble d’Égyptologie. Ra avait étudié les Rosicruciens, il était féru dans ce domaine. Le conservateur dit alors au douanier : «Il est qui il prétend être. Laissez-le entrer.» Le conservateur invita Ra à une émission de télé égyptienne. Le groupe alla aussi visiter les pyramides. Une équipe de cinéma allemande qui se trouvait sur place filma Ra qui envoya ensuite quelqu’un confisquer le film. Richard Alderson fut aussi fasciné par Sun Ra lorsqu’il enregistra l’Arkestra pour ESP : «Pas évident d’enregistrer la musique de Sun Ra, parce qu’ils étaient très disciplinés et très au point. Ils jouaient des arrangement très précis et très soignés jusqu’au moment où Sun Ra déclenchait le free blowing section. Je veux dire que Sun Ra, c’est Duke Ellington sous acide.»

Rien que pour la présence de Marc Albert-Levin et de Sun Ra, on est content de faire ce petit bout de chemin avec Stollman. Ra brille et réchauffe ce monde flapi. Stollman fait aussi un portrait des Godz qui furent ses employés : Jay Dillon était directeur artistique d’ESP, Larry Kessler manager des ventes, Paul Thornton et Jim McCarthy s’occupaient des envois (shipping clerks). Stollman : «Faire la promo des Godz était impossible. Ils essayaient de jouer ensemble, mais ils finissaient toujours par se battre. C’était le chaos. Je leur ai loué une salle de concert sur Times Square, mais personne n’est venu les voir jouer. Larry Kessler et Jim McCarthy se crêpaient le chignon. ‘Je suis le leader !’, ‘Non, c’est moi !’. Ce genre de conneries.» Plus loin Paul Thornton intervient à son tour. Il aime raconter l’histoire de cette chanson des Godz qui s’appelle «White Cat Heat», où il jouent n’importe quoi en miaulant. Mais c’est justement ce qui a plu à Stollman qui en les entendant miauler voulut les signer immédiatement sur ESP. Cette merveille de pur jus dada se trouve sur le premier album des Godz, l’inénarrable Contact High With The Godz. Thornton rappelle aussi que Jay Dillon et Larry Kessler ne savaient jouer d’aucun instrument, du coup il se dit étonné d’avoir vu paraître ces trois albums sur ESP. Et il ajoute : «Quand notre premier album est sorti, Bernard disait qu’il s’agissait d’organic tribal body rock. Sa définition ne nous plaisait pas, alors on est rentrés chez nous pour chercher une autre définition de notre musique. Vers 3 h du matin, je regardais dans the Late Late Show un film avec James Cagney, 13 Rue Madeleine. Sam Jaffe était le chef du French underground et je me suis dit, wow underground, underground music. Ça sonne mieux que le tribal body music de Bernard !»

Dans la galerie de portraits, vous trouverez aussi Jimi Hendrix. Ça n’a rien de surprenant. Stollman : «En août 1966, par un bel après-midi ensoleillé, je trotinnais allègrement sur MacDougal Street quand soudain j’entendis le son d’une guitare électrique. Il sortait d’un sous-sol. Je n’aimais pas trop le son des guitares électriques mais celui que j’entendais me plaisait bien. Alors j’ai descendu les marches et suis entré dans le Café Wha?. La porte n’était pas fermée et le club était vide. Au fond, un musicien jouait de la guitare, debout, avec un petit ampli près de lui. Je me suis approché et quand il s’est arrêté de jouer, le lui ai dit : ‘Ce que vous jouez est très beau. J’ai un label. J’aimerais beaucoup vous enregistrer. Êtes-vous libre ?’ Je lui ai précisé le nom du label. Il m’a répondu : ‘J’aime bien l’idée. Mais on vient de me donner un billet d’avion pour Londres. À mon retour, j’aimerais bien en discuter avec vous.’ Il était très ouvert. Et il s’est rappelé de notre rencontre.’ Et voici la suite de cette histoire fascinante. En 1968, Stollman est à Londres, alors qu’il est en route pour le MIDEM, et dans un magasin de disques, il entend un son qui lui plaît. Il demande ce que c’est et le mec lui répond : «Quoi ? Mais c’est Jimi Hendrix, vous ne le saviez pas ?». Stollman ne lâche pas l’affaire. L’année suivante, il réussit à obtenir un rendez-vous avec le manager de Jimi, Mike Jeffery. Dans la salle d’attente, il tombe sur Jimi qui lui dit qu’il aime bien ce qu’il fait avec ESP-Disk. Bon c’est l’heure du rendez-vous, Stollman entre dans le bureau de Jeffery. Assis derrière son gros bureau, Jeffery ne le salue même pas. Il ne lève pas non plus les yeux. Stollman vient pour vendre l’idée d’une association avec ESP, arguant que Jimi bénéficierait beaucoup d’être associé avec les artistes de pointe qui enregistrent sur son label. Sans même lever les yeux, Jeffery balance un «Not interested» sec comme un jour sans rhum. Chou blanc. En sortant, Stollman espère retrouver Jimi. Deuxième chou blanc : Jimi s’est volatilisé.

Tom Rapp fait aussi partie des témoins privilégiés. Il rappelle que pour le premier album de Pearls, ils sont arrivés à New York sans un rond et ont dormi chez les parents de Stollman at 90th and Riverside : «Ils avaient un appartement d’au moins dix pièces, un chandelier et un piano à queue. L’appartement donnait sur le parc, the whole deal. On a enregistré notre album à Impact Sound, là où enregistraient les Fugs et les Holy Modal Rounders. Richard Alderson était l’ingé-son.» Rapp indique aussi qu’il n’a jamais reçu d’argent de Stollman - The one big problem was we never got any money from ESP - Alors Weiss lui raconte l’histoire de la mafia (pour les bootlegs) et de la CIA qui ont coulé ESP - Oui, j’ai entendu cette histoire. Je pense plutôt que Bernard a été enlevé par des extraterrestres qui lui ont lavé le cerveau et donc il ne se souvenait plus où se trouvait l’argent. Mais c’est vrai que les histoires de mafia et de CIA sont plus crédibles. Au fond et en dépit du fait qu’on n’a jamais été payés, je trouve que Bernard mérite une certaine reconnaissance pour avoir sorti ces albums, surtout les albums de free et d’expérimental. Ce qui est arrivé aux gens qui ont enregistré ces disques, c’est une autre histoire - Rapp dit aussi qu’il n’aurait jamais existé en tant que Rapp sans Bernard. Avec le temps, il a fini par lui pardonner. Il dit en matière de conclusion qu’il aimerait bien voir un jour arriver un chèque pour les 200 000 albums vendus, you know what I mean ? That would be nice.

Richard Alderson indique que l’enregistrement du premier Fugs en 1966 fut the most creative thing I had done for anyone. Quant aux Holy Modal Rounders, c’est encore une autre histoire. Peter Stampfel raconte que son collègue Weber refusa de composer des chansons à partir du moment où il comprit que le groupe commençait à percer commercialement. No way. Steve Weber témoigne lui aussi, à propos du docu tourné sur les Holy Modal Rounders, Bound To Lose : «Au début, je croyais que c’était un projet universitaire. J’ai demandé aux réalisateurs quelles étaient leurs intentions, et ils m’ont dit qu’ils voulaient commercialiser le film. Alors j’ai demandé à voir un contrat qui m’assurait du contrôle artistique et d’un pourcentage des recettes. Ils ont dit ok, mais j’attendais toujours de voir le contrat. Alors ils m’ont dit : ‘Vous n’aurez pas d’argent. Nous allons vous rendre célèbre.’ Alors j’ai dit stop, on ne me filme plus. J’ai même dû annuler le concert annuel de Portland. Quand le film a été fini, j’ai demandé à voir une copie. C’est là que la relation s’est dégradée, ils n’étaient plus mes amis. Finalement leur avocat m’a envoyé une copie et quand j’ai vu ce film, ça m’a rendu malade. C’était complètement hors contexte. Ça n’a rien à voir avec les Rounders. Aujourd’hui encore ça me rend malade. C’est à cause de ce film que j’ai arrêté les Holy Modal Rounders. Les autres ont décidé de continuer. J’étais celui qu’on roulait dans la boue. J’en ai dit assez.» (Big sigh). Silence.

Signé : Cazengler, nanard Stollmerde

 

Jason Weiss. Always In Trouble. An Oral History Of ESP Disk. Wesleyan University Press 2012

 

Oh you Pretty Things - Part Eight

 

Sort ces temps-ci un album posthume des Pretty Things, Bare As Bone Bright As Blood. Posthume, c’est bien là le problème. Ça fait cinquante ans qu’on les regarde de traviole, les posthumes. Pourquoi ? Parce qu’ils engraissent les charognards. C’est un business bien établi. Plus le nom est gros, plus il y a de posthumes. C’est mathématique. On appelle même les posthumes de Jimi Hendrix les Dead Hendrix. Quand tu vas sur un salon, tu vois des mecs demander aux marchands des Dead Hendrix. On a aussi des articles dans les fanzines américains sur les Dead Hendrix, car au fond de leurs labos réfrigérés, les prêtres du culte n’en finissent plus de trifouiller dans les viscères des enregistrements. Masqués et gantés, ils ne craignent rien, alors ils en profitent, ils jonglent avec leurs scalpels et leurs tubes de colle pour rajouter des instruments et des voix sur des prises intermédiaires. C’est la technique qu’ils utilisent pour remplir des albums doubles qu’ils vont ensuite vendre la peau des fesses à des collectionneurs d’armoires normandes qui n’écoutent jamais les disques qu’ils y entassent, car ça ne sert à rien de les écouter, ce qui est important c’est de les posséder. On rigolait de tout ça récemment avec un bon pote qui est dans le circuit du disque. Il trouvait étrange que le monde du disque de rock soit à la fois un monde magique et un monde peuplé d’une faune de gens atteints de pathologies junkoïdales souvent très graves, mais ajoutait-il, «après tout, pourquoi pas ?». C’est vrai que si on y réfléchit un instant, le rock est avant toute chose une passion, et chacun sait que sous l’empire de la passion, la raison peut aller se faire cuire un œuf. Chacun sait aussi que la cervelle est faible. Ce petit organe spongieux et rose n’est pas fait pour encaisser cinquante années de chocs de rock à répétition et les millions de références qui vont avec. C’est normal que ça finisse par mal tourner. Un fan de rock ne finit pas comme un retraité du Crédit agricole. Le plus difficile dans cette sombre affaire est de savoir assumer son destin. Ce n’est pas à la portée de tous. Ceci expliquant cela.

Maintenant que le décor des posthumes est dressé, on peut annoncer la mauvaise nouvelle : cet album des Pretties qui vient de paraître ne va pas bien du tout. Phil May et Dick Taylor ont tenté le diable en enregistrant un album de Delta blues, mais ça ne marche pas. Il faut se souvenir que sur scène Phil May s’autorisait deux classiques de blues pour reprendre son souffle, accompagné du vieux Dick Taylor à l’acou, mais on avait hâte que ça se termine, car nous n’étions pas là pour ça. Nous étions là pour les Pretties de SF Sorrow et de LSD. Ce break d’acou renvoyait à des mauvais souvenirs d’MTV unplugged et à toutes ces conneries que le business a tenté de nous faire avaler.

Alors comme tous les fans des Pretties, on rapatrie l’album pour l’écouter en priant Dieu que tous nous veuille absoudre. Mais c’est mal barré, car déjà la pochette n’est pas belle. On trouve à l’intérieur l’inévitable laïus de Mark St John et franchement le titre n’est pas jojo non plus. Un a-priori défavorable peut parfois rendre une surprise plus jouissive, tous ceux qui l’ont expérimenté dans le jeu des rencontres amoureuses le savent. Ça peut aussi marcher dans le cadre d’une écoute mal barrée. Et hop, vous partez à l’aventure, pour un heure de rootsy drive qui s’ouvre sur le vieux «Can’t Be Satisfied» de Muddy Waters. Autant que vous le sachiez tout de suite, ça n’a aucun intérêt, sauf que Phil May chante de l’intérieur du menton avec une sorte d’inspiration divine. Il fait des petits effets de glotte et sauve in extremis son satisfiah. Le seul moyen d’apprécier cet album bancal en forme d’exercice de style, c’est de se concentrer sur la voix de Phil May. Mais ça n’a plus rien à voir avec les Pretties. On est dans autre chose. On attend d’eux des turpitudes, on voudrait voir la cabane branlante s’écrouler, ils pourraient nous balancer un shoot de raw to the bone comme le font Charlie Musselwhite et Elvin Bishop sur leur dernier album, mais Phil & Dick prennent leur mission au sérieux et on s’emmerde choronniquement comme des rats morts. «Come Into My Kitchen» tourne à la tragi-comédie. Ça ne peut pas marcher. Peut-être parce qu’ils sont blancs. Il faut s’appeler John Hammond pour oser chanter le Delta Blues. Leur «Ain’t No Grave» ne vaut pas un clou. Et du coup, on se fout en pétard. Car c’est le charisme des Pretties qui en prend un grand coup dans la gueule. Ça serait bien la première fois qu’ils ratent un album. Il faut quand même bien faire attention à ne pas accepter n’importe quoi. D’un autre côté, ce genre d’exercice de style risque de plaire aux gens qui ont des guitares en open tuning et qui les grattent au coin de feu, mais bon, cet album pue l’arnaque. Avec «Redemption Day», ils s’enfoncent dans un monde de rédemption en carton-pâte et ça frise le Nick Cave. Quelle déconvenue et quelle tristesse ! Une si belle voix !

Ça fait parfois de bien de parler d’un album qui déçoit. On parle trop des albums qui montent au cerveau. Et ça finit par devenir une routine. Avec cet album, le cerveau ne risque absolument rien. Entendre Phil May faire du Nick Cave c’est tout simplement hors de portée d’une compréhension ordinaire, pour ne pas dire intolérable. Ça empire encore avec «The Devil Had A Hold On Me». Oui, ça empire comme une maladie, ça tombe bien, c’est d’actualité. On ne parle plus que de ça. Les Pretties se retrouvent bien malgré eux dans l’air du temps. Écouter ce disk, c’est à la fois souffrir dans sa chair et assister à l’écroulement de l’empire dans un nuage de soufre. Il n’existe aucun lien entre ce Devil à la mormoille et le Baron Saturday. Le problème c’est que le pauvre Phil chante son truc jusqu’au bout et personne ne lui dit que ça ne va pas. Oh, ils sont dans leur truc, il ne faut pas les embêter, il vaut mieux les laisser tranquilles. Inutiles d’ajouter des commentaires, les dés sont jetés, de toute façon. On note toutefois un petit regain d’intérêt avec le vieux «Love In Vain» de Fred McDowell, jadis repris par les Stones. Mais bon ce n’est plus l’heure, Phil arrive après la bataille. Dommage car il ramène infiniment plus de feeling que n’en ramena jamais Jag, il passe le train came in the station à sa sauce et il redresse brutalement la situation avec le fameux I looked her in her eyes. Mais c’est avec le «Black Girl» de Lead Belly qu’il sauve cet album atrocement austère. Phil May rentre enfin dans la gueule de la mythologie, in the pines where the sun never shines. Voilà enfin l’éclair de génie tant attendu. Phil May rejoint au panthéon des dieux Kurt Cobain et Lanegan qui surent en leur temps rendre hommage au génie tentaculaire du grand Lead Belly.

Signé : Cazengler, Pity Thing

Pretty Things. Bare As Bone Bright As Blood. Madfish 2020

*

Kr'tntreaders votre blogue avait trois ans d'avance ! En effet c'est dans notre livraison 351 du O1 / 12 / 2017, dans l'article intitulé Une incroyable découverte, répertorié dans notre catalogue raisonné sous l'appellation Crashbirds Flyers, que nous tendions notre micro au grand professeur Damius Chadius qui pour la première fois au monde se livrait devant la Communauté Scientifique Internationale ébahie de tant de connaissances accumulées dans le cerveau d'un seul chercheur, à une analyse sémiotique des plus pointues sur une des plus grandes énigmes picturales de l'humanité.

Et voici que maintenant un certain Pierre Lehoulier ayant compris l'importance des aperçus fulgurants et prophétiques des travaux du grand Damius Chadius publie sur le même sujet un ouvrage dont nous ne saurions que vous recommander la lecture.

 

AFFICHES CRASHBIRDS

2010 – 2020

dessins de pierre lehoulier

 

Words and music, indispensables au rock'n'roll. Mais cela ne suffit pas. Il faut davantage. Surtout si l'on exige que le rock'n'roll soit un art total. Peu de groupes y songent. Se contentent de penser que le visuel consiste en ce que le spectateur voit alors qu'il réside en ce que l'on désire qu'il voie. Vu sous cet angle, le rock'n'roll est un art de manipulation mentale. Souvent les gros mastodontes vous en mettent plein la vue, fumées, feux d'artifices, pensez à la locomotive d'AC / DC, les éléphants d'Eddy Mitchell... Pour les petits groupes – cet adjectif n'est en rien péjoratif, nos premiers bluesmen n'avaient qu'une guitare à peu près pourrie – le challenge est plus difficile, faut davantage compter sur ses propres talents que sur des moyens surajoutés qui vous entraînent dans une surenchère artificielle.

Propos politique. Les riches ont toujours pensé que l'argent était à voler aux pauvres. Et les pauvres admiratifs payent pour regarder ce qu'on leur a confisqué avec des yeux comme des ronds de frites molles, ne s'apercevant même pas que sur quoi ils s'extasient vient de chez eux, leur appartenait en propre, que dans le miroir qu'on leur tend c'est leur propre image qu'ils admirent. Avec une plume dans le cul. Le choix n'est guère cornélien, ou vous dye de votre ( pas si ) belle mort ou you diy tout seuls comme des grands.

Malgré leur cervelle d'oiseaux, les Crashbirds l'ont compris. Soignent leurs images. Facile rétorquerez-vous quand on est doué en dessin comme Pierre Lehoulier. Sûr que ça aide. Mais Lehoulier serait-il le meilleur dessinateur du monde que cela ne suffirait pas. Comme tous les grands peuples, les cui-cui ont d'abord pris soin de créer leur mythologie. Une fois que vous êtes parvenu à ce stade il ne reste plus qu'à peindre les images qui vont avec. Certains les imaginent en chemin de croix, d'autres en icônes extatiques, mais chez les Crashbirds on n'est guère porté à s'en remettre au premier dieu ( ou prétendu tel ) qui passe, portent un regard lucide et sardonique sur notre monde.

Voici quelques mois nous chroniquions la première saga que Pierre Lehoulier avait dessinée en l'honneur du plus grand des héros de nos temps modernes, le fameux Super Gros Con. Que vous connaissez tous. Car l'on a les gouvernants que l'on mérite. Cette fois, nous en rêvions, il l'a réalisé, un bouquin collecteur – elles n'y sont pas toutes, ce qui implique d'ores et déjà un deuxième tome – d'affiches d'annonce de leurs lives. Sont comme cela les Crashbirds on les prive de concerts, vous croyez qu'ils font du boudin dans leur coin, pas du tout, font la nique au destin, sont en train de préparer un clip, d'enregistrer un sixième album, tout ça chez eux, et ce livre qui vient de sortir. Petit à petit l'oiseau fait son nid. Mais les Crashbirds construisent des aires d'aigles libres.

Mais que contient ce livre. Stricto sensus soixante sept reproductions d'affiches de concerts de Crashbirds, rangées par ordre chronologique, du vendredi 10 novembre 2011 au 30 octobre 2020. C'est comme si vous visitiez une galerie du Musée du Louvre, sans gardien mais avec le droit de toucher avec les doigts, vous pouvez glander tout le temps que vous voulez devant chacune des œuvres. Nous y reviendrons dans quelques paragraphes. Les à-côtés valent le détour. Les passionnés de théâtres affirment que l'on voit de plus près les actrices dans les coulisses que sur la scène.

Un petit laïus de présentation, les douceurs automnales de la dédicace à son papa et à maman, Lehoulier tire sur la corde sensible de tout ce qui a disparu depuis dix ans, pour un peu vous hisseriez votre mouchoir hors de votre poche afin d'essuyer discrètement une larme. Boum, Pierre Lehoulier tout sourire vous fait le coup du cadeau de Pif Gadget, les affiches certes, mais une glace à la fraise empoisonnée avant l'estouffat des haricots au gigot d'affiches, une bande-dessinée, rien que pour vous. Ne vous réjouissez pas de sitôt, vous voici en plein attentat terroriste, un avion ( à peine ) non identifié vient de s'abattre sur le World Trade Center. Précipitons-nous, des blessés ont sûrement besoin de soins. Serions-nous en train de revivre le massacre des Twin Towers. Non ce n'est pas si grave que cela. Les pilotes sont bien vivants. Ont réussi on ne sait comment à s'extraire de la carlingue plantée dans le sol, z'ont un drôle d'air, l'on n'arrive pas à savoir s'ils sont contents d'eux-mêmes, ou bien marris de leur mésaventure. Faudrait être ornithologue pour répondre à coup sûr, vous les avez reconnus ce sont ces oiseaux de malheur, les fameux cui-cui, perchés sur l'arbre de la couverture comme le corbacée sur celui de La Fontaine. Ne tiennent pas en leur bec un fromage, mais un livre, qu'ils lancent à la tête de la petite fille innocente ( mais les petites filles sont-elles vraiment innocentes ) venue les secourir. La voici revenue chez elle, elle se lance dans la lecture de l'ouvrage que vous êtes en train de lire. Ah ! Ah ! C'est rigolo. Vous prenez les choses du bon côté, vous êtes des optimistes, et si c'était sérieux, si c'était un-je-ne-sais-pas-quoi moi, tiens un apologue anarchiste par exemple, un truc pour vous inciter à réfléchir.

Nous avons vu la coulisse ( on y prend son pied ) côté cour, portons-nous à son opposée, située à la fin du livre, coulisse côté jardin , y prend-on aussi son pied ( au cul ), une double page, très instructive comme disent les pédagogues, ville en flammes, style incendie de la Commune, foule en colère, mais prudente, ce ne sont pas des gilets jaunes, mais ils portent comme signe de reconnaissance des masques blancs. Z'ont des z'allures de z'ombies, peut-être parce que le mouvement social est mort tué par un virus. Je vous laisse à vos initiatives.

Dans les histoires de haine, c'est comme dans les histoires d'amour, faut toujours une tête d'affiche. Les Crashbirds ont les moyens. Z'en z'ont deux. Aussi inséparables que les Dupond et Dupont ( parfois ils arborent leur plumage jaune comme de frais pondus ) de Tintin, en beaucoup moins bêtes et en plus méchants. Vous les trouvez partout, posés sur la selle de leur cinquante cm3 aussi innocents que des blousons noirs méditant un mauvais coup, au volant d'une Simca mille la voiture des malfrats des early seventies, sur le camion des pompiers avec cette mine atterrée de pyromanes qui viennent considérer l'étendue de leur forfait, méditants sur le chapeau d'un pistolero mexicain ou d'un Capitaine pirate, sur le toit d'une voiture qu'ils ont précipitée sur un arbre, pas très fiers à plusieurs reprises sur l'avion qu'ils viennent de crasher, sur une moto-ski au pôle sud, ou alors ils ne reconnaissent personne sur leur Massey-Ferguson, peu pressés de prendre leur envol sur un rouleau-compresseur, jouant à Nomades du Nord en compagnie d'ours furieux, sur la carte de l'as de pique, sur l'écu du Chevalier noir, ( j'écris leurs noms ), veillant sur un campement de romanichels, faisant du grand-bi, jouant de la guitare, buvant de la bière, perso je les préfère, courant sus à l'anglois et tout autre peuple de la triste humanité, sur la grand-voile de leur brick pirate, prêts à déclarer la guerre au monde entier.

N'y a pas qu'eux sur ses affiches. D'abord il y a celui qui n'y est pas. Pierre Lehoulier. Le fauteur de troubles, l'instigateur. Ne se dessine jamais, mais c'est sa patte, pardon son aile, car il tient la plume et le feutre, que l'on retrouve partout. Des dessins figuratifs, mais derrière les objets représentés, c'est l' 'inspiration Crashbirds et rock'n'roll que l'on retrouve. Pas saint du tout. Lehoulier joue avec les images toutes faites, un esprit un peu ( beaucoup, à la folie ) rebelle, mais qui met entre lui et le monde la transparence de l'humour, reprend les tubulures de cette mythologie sortie tout droit des rutilantes années soixante, époque où la société de consommation promettait de vous apporter le bonheur encore plus vite que la notion de progrès social. Une ère de prospérité sans précédent. Certes, mais sans futur. Examinez de près ces satanées affiches, le monde pue la déglingue, des objets rafistolés, des tas de détritus partout, des idéaux des justiciers des siècles passés ne subsistent que des images d'Epinal. Certes l'on rit, mais l'on devrait serrer les dents. Le pire n'est pas à venir, il est déjà là.

Ces affiches sont comme les grandes arcanes d'un jeu de tarot taré. Vicié à la base. Elles sont magnifiques, Pierre Lehoulier a d'abord le génie des fonds, des espèces de monochromes en accord parfait avec le sujet qu'il traite. Le papier apporte à ses dessins le glacé inaltérable de l'hyperréalisme. Une conformité-critique se dégage de ces images, tout semble vrai, respecté au moindre détail, et pourtant la réalité présentée bat de l'aile. Avec ces affiches Pierre Lehoulier en dit plus sur l'état de notre monde que bien des articles bourrés de statistiques et d'analyses pertinentes. Chaque page comme un coup de poing au-dessous de la ceinture et dessus de votre pensée. A croire qu'il s'amuse avec ses images immobiles au bouscule-tout, au bascule-moi-ça, au pim-pam-poum graphique. Ce n'est pas le portrait de nos gouvernants honnis qu'il a peints sur les boîtes de conserve avariées de ce casse-pipe coloré, mais nos représentations mentales du rock'n'roll. Un pinceau meurtrier qui ne respecte rien, ni ses propres goûts ni ses propres couleurs. Pierre Lehoulier use d'un stabilo déstabilisateur le seul moyen pour que le rock'n'roll ne devienne  ( version +++ ) pas, ne reste ( version - - - ) pas une marchandise comme une autre.

Damie Chad.

Un grand merci à Fred Herbert qui a beaucoup fait pour ces affiches. Et une bise à l'autre moitié ( Delphine Viane, la plus belle, et la non moins intransigeante ) de Crashbirds.

 

*

Kr'tntreaders, je doute de vous. Je ne crois pas que vous vous réveilliez en pleine nuit pour vous demander si Henri Troyat s'est inspiré de Premier de Cordée de Frison-Roche pour rédiger La neige en deuil. Si je vous posais cette question je pense que vous m'enverriez bouler, que vous m'assèneriez froidement que ce problème ne vous taraude pas et que de toutes manières vous n'avez aucune envie de vous plonger dans la lecture de ce volume qui ne parle point de rock'n'roll. Je vous rassure moi aussi. Manuel Martinez – ne me dites pas que vous ne connaissez pas, à plusieurs reprises je vous ai emmenés soit à ses exposition, soit à vous pencher sur certains de ses tableaux - est comme nous. Mais lui, c'est différent.

Voici plus de vingt ans Manuel Martinez avait rédigé les Chroniques d'un Contempourri, peut-être que vous ne connaissez pas, mais vous vous reconnaîtriez sans peine dans le portrait déjanté qu'il trace de l'homo modernus. Deux minuscules plaquettes en blanc et noir, mêlant dessin et écriture, une espèce de bande-dessinée dans laquelle tracés et lettrages semblent s'engendrer mutuellement, à tel point que l'on ne sait si l'on doit d'abord regarder l'image, ou lire le texte, et que lorsque l'on tente l'opération conjointe, la difficulté n'en est pas résolue pour autant. Et ne voilà-t-il pas que l'année dernière le démon de la perversité cher à Edgar Poe l'a poussé à recommencer, en plus grand, en plus long, en plus complexe, en plus coloré.

A ses moments perdus, j'en ai été témoin, entre deux visiteurs venus s'extasier dans sa galerie. Une œuvre de longue haleine mais fragmentée en minutes grappillées de-ci, de-là. De ces heures de l'entre-d'eux, est sorti un livre, un seul, nommé :

 

BORDERLINES

MANUEL MARTINEZ

( Livre Unique )

 

L'a commencé comme les moines copistes du Moyen-Âge qui dans le coffre aux merveilles philosophiques de l'Antiquité prélevaient au hasard un parchemin, par exemple le traité du non-être de Gorgias, pour le recouvrir d'insipides et insignifiantes litanies christologiques, mais lui Martinez a œuvré en sens inverse. S'est saisi d'un exemplaire du roman d'un écrivain de seconde zone, La neige en deuil d'Henri Troyat, l'a choisi pour son format, son nombre de pages relativement restreint, et la qualité de son papier, afin de le transformer en objet unique. S'est muni de feutres, de crayons de couleurs et de tous ces ustensiles qui traînent dans tous les coins d'un atelier de peintre, je le soupçonne fort de s'être contenté de prendre l'outil le plus proche de lui à l'instant T. Puis il a rédigé et dessiné Bordelines. 128 pages.

Vous aimeriez que l'on en vienne au fait, que je vous résume grosso-modo, le contenu de l'ouvrage. Nous y étions juste au début, avec notre fin de paragraphe précédent sur l'instant T. . Borderlines c'est comme une réécriture d' Une brève histoire du temps de Stephen Hawking, mais avec Manuel Martinez vous n'aurez pas besoin de faire semblant d'avoir compris. C'est beaucoup plus complexe. Vous met dès le début au pied de l'horloge temporelle, devant une expérience universelle à laquelle vous n'avez pas comme tout le monde échappé. Pour l'heure d'hiver faut-il avancer ou retarder le cadran de votre vie d'une heure. Oui, mais dans les deux cas que deviennent ces minutes perdues, où sont-elles ?

Voilà vous êtes à l'entrée du labyrinthe, ne tremblez pas vous ne rencontrerez pas le minotaure, pour la simple et bonne raison que le labyrinthe est-lui-même le minotaure, vous ne me croyez pas pourtant le temps saturnien est bien connu pour dévorer les petits enfants mignons. Je vous laisse continuer la lecture, attention aux fausses pistes. Il y en a partout, les dessins et les ''bulles'' splashées de Martinez ne couvrent pas toujours tout le texte de Troyat, l'en reste des fragments que vous ne pouvez vous empêcher de lire à la recherche d'une indication quelconque, parfois le scriptor se moque de vous, il entoure certains mots qui ne sont pas sans écho avec ce qui est écrit et dessiné, faut-il les incorporer au sens du texte ou sont-ce de faux hasards, et qui nous dit que tel autre qui ne semble pas avoir plus de rapport avec le récit martinezien que le blanc du mur sur lequel un peintre réalise son tableau, n'ait pas été le départ d'une idée graphique, d'une inflexion de l'histoire, multiples sont les sentiers entrecroisés de la création.

Une chose rassurante, Manuel Martinez est aussi perdu que vous, mais lui ça le réveille, il se lève en pleine nuit, qui a dit qu'un peintre ne peut pas peindre dans le noir, surtout que ce sont les idées noires qui le guettent, qui surgissent, qui l'assaillent, pas besoin d'être détective privé ou commissaire chevronné pour trouver la coupable, la, car c'est bien sûr une fille, passons sur le rappel des scènes délicieuses et pénibles, au final l'on est toujours seul et empêtré dans de savants calculs, où sont passés ces 3600 secondes ( fatidiques ), l'artiste seul face à la résolution de son problème, inclusion d'une notice d'ordinateur, nous ne sommes plus aux temps ( pas si ) anciens où Ezra Pound recopiait dans ses Cantos les idéogrammes chinois des boîtes de thé, le peintre ne sait plus s'il doit recolorier sa vie ou tourner définitivement la page, apocalypse sur ses neurones, il a maintenant atteint une certaine maîtrise. Mais de quoi au juste. Peut-être de lui-même. Parfois il suffit de pousser les cloisons mentales pour mieux respirer. Mais tout recommence comme avant. Cette fois, cela ne se passera pas comme autrefois. Chut, ne le réveillez pas il s'est endormi. En fait c'était juste une heure de sommeil en plus. Pas de quoi faire tant de tralala. Morale de l'histoire : dehors dans le monde c'est comme dans la tête. A moins que ce ne soit l'inverse. C'est peut-être dans la tête que c'est comme dehors. C'est comme le sablier, il fonctionne dans les deux sens. Posez-le droit comme un i, ou tournez-le cul en haut, tête en bas, c'est la même heure qui s'écoulera.

Je vous ai raconté ma version de l'histoire, dans un labyrinthe chacun trace son chemin. Nous l'avons lue. Nous allons maintenant la regarder. Ce qui compte ce n'est ni le dessin, ni les couleurs, c'est la façon dont l'ensemble fonctionne. Vous ne comprendrez rien au bouquin, si vous vous ne vous mettez pas dans la tête qu'ici il ne faut pas chercher à quoi ressemble le dessin, mais ce qu'il signifie. Une lecture qui s'apparente davantage au déchiffrage des hiéroglyphes toutankhamontesques, et mieux encore, à l'unité idéographique de tout élément d'une notion dessinée, nécessité de partir de la représentation de l'objet ( ou de la situation ) pour l'aborder en tant que son idéification abstraite. Comme si chaque dessin correspondait à un caractère sinomorphique d'un alphabet que l'on ne connaîtrait pas en son entier et que l'on s'efforcerait de déchiffrer malgré tout.

Le livre est abracadabrantesque à parcourir, l'on tourne les pages, le bleu de la nuit vous saute aux yeux, mais aussi les chats, l'alcool, l'homme-singe, le sourire, le désir, le rouge-suicide, l'orange intellectuel, l'homme loup, le cheval fou, le bateau ivre, tout un bestiaire, des hectolitres d'hétéroclite, des traces de couleur comme si le peintre s'était torché les mains sur ses dessins afin de les métamorphoser en faux tableaux, s'il est un livre rock'n'roll, c'est bien celui-ci. Il contient nos rêves brisés et nos vains efforts pour les recoller. A l'image de notre monde.

Le livre pose aussi la questions essentielle de la peinture : est-ce la forme qui détermine le sens, ou le sens qui détermine la forme. Posez la même question en changeant le mot forme par couleur et puis par geste. Dans les trois cas : la remplacez par : la peinture se lit-elle ou se regarde-t-elle ? A vous de tenter l'expérience.

                                                                                                                               Damie Chad.

( Borderlines peut se lire de la première à la dernière page

sur : FB : Manuel Martinez ou FB : Kr'tnt Kr'tnt )

 

LOCK ME DOWN !

JUSTIN LAVASH

 

Justin Lavash réside à Prague. Je n'ai jamais mis les pieds dans cette ville. Hormis les Histoires Pragoises de Rainer Maria Rilke – savoir que la race humaine ait pu engendrer un tel individu vous réconcilie avec notre espèce – et Le golem de Gustav Meyrink – comme les gens bizarres qui écrivent des choses tordues me sont sympathiques - je ne connais que peu de chose de cette cité renommée. J'ai toutefois fait connaissance avec deux pragois. Jiri Volf fantasque poëte mort de froid dans une église désaffectée de Toulouse et le dénommé Justin Lavash rencontré en des circonstances moins dramatiques sur le marché de Mirepoix. Je ne précise pas où se trouve cette bourgade éminemment touristique puisque personne dans le monde n'ignore qu'elle campe fièrement aux portes de l'Ariège.

Le lecteur pressé de faire sa connaissance se reportera à notre livraison 310 du 05 / 01 / 2017 dans laquelle je relatais notre rencontre et chroniquais son album : Programmed. Depuis Justin Lavash et sa guitare, le bourlingueur et Miss Bluezy, sont rentrés à Prague. Et voici que dans mon fil facebook apparaît sa face boucanière munie d'un bandeau de pirate sur l'œil droit. La situation doit être grave puisqu'il demande ( apparemment ) à être enfermé. S'il exige à ce qu'on le libère j'écouterais quand même, car entendez-vous il a une superbe voix de sirène rouillée.

Lock me down : vidéo clip sur You tube. Novenbre 2020. Réalisé par Scott C. De Castro. Un truc magnifique fait avec les moyens du bord. Attention le mec est doué, cela n'a l'air de rien, mais question angles de prise de vue, et apport kaleidoscopiques surnuméraires sur des images répétitives, vous ne trouverez pas dosage plus savant, ce gars quand il fait la cuisine il doit compter les grains de sel un par un. Mais que serait un film sans acteur ? L'a de la chance le Scott, l'en tient un, aussi ne le relâche-t-il pas. Ne fait pas grand-chose le Justin Lavash, mais oh la vache il a ces 99, 9999 pour cent que le reste de l'humanité n'a pas, la rock attitude. Faut le voir remuer derrière son micro. La grande classe, avec son bandeau à la Johnny Kidd, son félinique déhanchement d'iguane en chemise faussement hawaïenne et sa gueule de taulard au bord du transfert en cellule de crise capitonnée, l'est irrésistiblement résolument rock. Le mec qui craque tout en restant craquant pour toutes les filles sauvages que porte notre terre. Image en faux-blanc et gris de la grande époque. Mais ce n'est pas tout. Il y a le morceau, commence par un grattement de souris acoustique à qui l'on a rebouché le trou de sortie. Et puis c'est parti, le truc électrique méchamment balancé et la voix de Lavash, celle qui sort de votre gosier après trois nuits à traîner dans les quartiers chauds avec la pègre et les putes de Mexico. Une espèce de gimmick entraînant, je ne sais qui est aux guitares, Lavash peut-être, mais quel doigté et quelle imagination ! Mais ce n'est pas tout. N'y aurait-il que cela que ce ne serait rien. Car à écouter les paroles, l'on se rend compte que Lavash a écrit le premier hit, en d'autres termes le l'hymne définitif, sur le confinement, d'autant plus vicieux et insidieux qu'il n'en parle pas. Une réussite majeure.

The hardest thing ! : Vidéo-clip : octobre 2020 : Justin Lavash : guitar , vocals / Gejza Sendrei : keys / Simon Lavash . Trumpet / Pavel “Košík” Košumberský : percussion / Tonda Moravec - percussion / Cut-up clip réalisé avec une grande intelligence par Barbora Liska Karpiskova à partir de photos d'Anna Bastyrova. Z'ont pensé à un ensemble signifiant pour la mise en scène, notamment l'inscription des lyrics en tant que motif indétachable des images. Ce n'est pas un blues comme on n'en fait plus mais un blues comme on en fera demain, avec pour celui-ci cette saveur d'épice jamaïcaine reléguée au quatrième plan mais absolument présente grâce à cette moqueuse trompette de mariachi qui tire la langue à la mort. Surprise, pour une fois dans un blues contemporain les paroles conditionnent la musique. Peut-être Lavash est-il le parolier ( en anglais ) qui manque au blues européen. Morceau de confrontation de soi à soi. Post-déprimal. Un état des lieux sordides. La guitare vous entraîne sur des chemins de solitude. Un constat amer, définitif comme un procès-verbal d'autopsie. Et puis la chute vertigineuse. Une coupure de lame de guillotine. Est-il possible de changer de vie. Mille chemins fermés.

Guitar : Vidéo-Clip : septembre 2020 : Justin Lavash : guitar, Genja Sendrey : clavier. Etrange, le premier instrumental chanté, oui Lavash chante et gratte sur ce morceau mais Scott C. De Castro qui est aux manettes est un véritable sorcier, vous donne l'impression que ce sont les incrustations des quinze participants qui rythment le morceau. Mais Lavash ne fait pas que jouer. Il joue aussi. Occupe la première place. Le devant de l'écran est pour lui tout seul. Il gesticule, il mime, il interprète, à croire que ce diable d'homme a fait aussi un peu de théâtre dans sa jeunesse. L'est doué pour tout. Vous racole pour pour mieux vous coller à son jeu. Le morceau n'excède pas cinq minutes, mais vous avez toute l'histoire de la guitare racontée, la classique, la bluezy et tous les errements qui ont suivi. Un festival, une véritable déclaration d'amour à la six-cordes. Sûr que c'est un peu à l'attrape-œil et à l'attrape-oreille. Ces trois derniers morceaux de Lavash visent un public beaucoup plus large que les trois derniers passionnés de blues sur un marché de province française. Un autre plan de carrière semble s'annoncer. Un côté moins crade, moins roots, mais sur ses trois titres Lavash parvient à rester authentique. Authentiquement Lavash, et c'est cela la marque d'un grand artiste.

Damie Chad.

 

VIII

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

 

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

 

30

C'est vers dix heures du matin qu'une voiture du Corps Diplomatique du Guatemala s'arrêta freina brutalement devant le perron de l'Elysée. L'on se précipita pour nous ouvrir les portières. Nous suivîmes les huissiers qui nous menèrent diligemment au bureau du Président. D'un petit grognement Molossa intima l'ordre à Molossito de se tenir correctement, interdiction formelle de s'oublier sur la moquette. Le Chef avait décidé d'enclencher le protocole 27. Je rappelle au lecteur ignorant que ce fameux article 27 des Services Secrets permet à un responsable supérieur d'une branche du Service Action d'obtenir au plus vite un entretien avec le Chef de l'Etat s'il jugeait qu'un danger grave et imminent menaçait le pays. Le Président arborait une face glaciale.

    • Vous tombez bien, hurla-t-il, j'avais justement besoin de vous entretenir de la mort suspecte de six de nos agents, je...

    • Président, nous règlerons cette question subalterne à la fin de l'entretien, mais nous sommes venus pour un tout autre problème, celui de la boîte à sucre.

Le Président pâlit. Du rouge cramoisi, il passa au blanc cadavérique. Déjà Molossa et Molossito avaient sauté sur le bureau et je déposai la boîte à sucre sur le bureau. J'allais commencer ma démonstration, le Président fit un geste pour m'arrêter et appuya sur un bouton, la porte s'ouvrit et deux individus entrèrent.

    • Messieurs je vous présente deux de nos plus grands mathématiciens, de la Faculté mathématique d'Orsay, de la cellule Action et Recherche Pythagore.

Il était clair que nous étions attendus au-delà de nos espérances. Le Chef alluma un Coronado pendant que Molossa et Molossito secondaient de leurs aboiements le déroulement de mon raisonnement. Les deux scientifiques m'écoutaient avec attention, je remarquais que si l'un d'eux vérifiait le résultat des opérations sur une calculette électronique, le deuxième semblait plus attentif aux réactions des deux canidés. Ce fut d'ailleurs lui qui s'empara du trois-cent soixante-neuvième morceau de sucre, qu'il coupa en deux et il en offrit une moitié à chacun des deux chiens qui le croquèrent sans se faire prier :

    • Comme ces bestioles sont ravissantes, de véritable bêtes de cirque, Monsieur le Président, rien de neuf sous le soleil, le vieux paradoxe de la boîte à sucre connu de tous les étudiants de mathématique de première année, je crois que nous pouvons nous passer des services de ces montreurs d'animaux savants, certes divertissants mais franchement peut-on prêter attention à des amateurs de rock'n'roll, nous avons à vous entretenir de dossiers beaucoup plus sérieux.

Comme le Chef allumait un second Coronado, il se tourna vers nous :

    • Quant à vous Messieurs nous ne vous retenons pas, vous avez certainement des choses plus intéressantes à accomplir que de voler des voitures du Corps Diplomatique du Guatemala et de faire perdre au Président un temps précieux dévolu aux affaires importantes de notre nation.

La porte du bureau présidentiel se refermait sur nous, je me retournais, le visage du Président exprimait un soulagement ineffable.

31

Un sacré coup de pied dans la termitière avait dit le Chef, voilà pourquoi ce soir-là deux vélo-solex filaient à vive allure vers la banlieue Sud de Paris. Les évènements vont se précipiter avait-il ajouté. Molossito coincé sur ma poitrine et mon Perfecto dormait paisiblement. A l'arrière assise sur le porte-bagage Molossa méditait sur les vicissitudes de l'existence avec l'air détaché d'un bonze ayant atteint à plusieurs reprises l'illumination. Devant moi, sur sa monture pétaradante le Chef n'arrêtait pas de se retourner pour vérifier l'arrimage de la caisse à Coronados capitonnée qu'il avait emportée. Nous eûmes l'impression d'être suivis par un ballet de voitures discrètes, quelque sens interdits, quelques allées privées dont nous possédions les passes, nous permirent de nous défaire de ces gêneurs.

Nous freinâmes devant la grille. Elle était ouverte. Diable, pensais-je, cela dépasse les bornes de la logique aristotélicienne ! Une petite loupiote au-dessus du perron éclairait chichement le jardin. C'était à croire que l'on nous attendait. La porte s'ouvrit. J'espérais Thérèse. C'était Alfred.

Dans la cuisine, il nous avait préparé une petite collation, café, gâteaux, bouteilles de moonshine polonais, vastes cendriers pour les Coronados du Chef. Je tentais un regard vers la porte de la chambre.

    • Désolé Damie, Thérèse est partie, nous nous sommes séparés, elle a apparemment trouvé mieux que moi.

Le Chef alluma un Coronado...

32

Durant deux jours nous ne bougeâmes pas de la villa. Restons prudents avait dit le Chef, les tueurs de l'Elysée sont à nos trousses. Nous ne nous ennuyâmes pas. Alfred fit coulisser un rayonnage de sa bibliothèque de la cave, apparut alors des centaines d'albums vinyles... pas grand-chose minauda-t-il mais assez pour se remplir les oreilles. Ce que nous fîmes à satiété.

Ce matin-là, le Chef tournait en rond dans le jardin, Coronado au bec, toutes les cinq minutes il regardait sa montre. Alfred s'était absenté pour les courses de première nécessité. Je descendis à la cave, une question me taraudait quel album de Jerry Lou écouterai-je ? Il s'avéra que le pauvre Alfred ne possédait aucun disque de Jerry Lou ! Dépité j'attrapais au hasard un livre sur un rayonnage et m'assis sur un fauteuil. J'ouvris la première page et sursautais violemment ! Mémoires d'un GSH ! Je n'étais pas au bout de mes découvertes, je zieutais la couverture : L'homme à deux mains. Eddie Crescendo. Série Noire 2037 ! Je n'eus pas le temps de ne pas comprendre. Deux violents coups de klaxons résonnèrent dans toute la maison. Je sortis précipitamment dans le jardin. Un énorme camion s'était arrêté devant la grille. Le Chef était déjà en pourparlers avec le chauffeur devant la grille. Alfred arrivait avec son panier de commissions.

33

    • Au boulot vite ! Je prends le commandement des opérations, agent Chad ouvrez la porte du camion, Alfred pressez-vous, dans cinq minutes je veux que tout soit déchargé !

Il nous fallut trois bonnes heures d'allées et venues pour transborder les huit tonnes de Coronados que le Chef avait commandés à la Maffia italienne. Nous les entreposâmes dans les deux pièces vides du rez-de-chaussée. Lorsque tout fut fini le Chef exultait : Maintenant la guerre peut commencer ! déclara-t-il d'un ton comminatoirement jouissif. Puis il ajouta. Alfred s'il vous plaît préparez-nous un repas fortement calorique, la journée sera fatigante, agent Chad sortez les chiens, ils m'embêtent à batifoler dans le jardin, j'ai besoin de méditer dans le calme !

34

J'emmenais les bestioles canines dans un petit square situé à une centaine de mètres de la villa. J'avisai un banc, sortis de ma poche L'Homme à deux mains d'Eddie Crescendo, Série Noire 2037, mais déjà Molossito aboyait. Je me retournais. Une petite vieille qui tenait un Westie décrépit en laisse marchait dans l'allée. Elle s'arrêta à ma hauteur. C'était Thérèse !

Damie Chad.

11/11/2020

KR'TNT ! 484 : LEIBER & STOLLER / ROCKABILLY GENERATION 15 / ASTRAYED PLACE / EGOUT METAL / HAZPIQ / ROCKAMBOLESQUES VII

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 484

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

12 / 11 / 2020

 

LEIBER & STOLLER / ROCKABILLY GENERATION 15

ASTRAYED PLACE / EGOUT METAL / HAZPIQ

ROCKAMBOLESQUES VII

TEXTES + PHOTOS : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Leiber thé dansant & Stoller du temps

- Part One

 

S’il existait un trône de roi des élégances, il reviendrait de droit à Leiber & Stoller. On les savait drôles, mais grâce à Ritz et non à Dieu, ils deviennent encore plus drôles. Ils sont même délicieusement drôles, comme dotés d’une sorte de finesse aristocratique. Thé dansant dans l’air du temps, un temps qui n’a pas de prise sur eux, comme le montre si bien Hound Dog - The Leiber & Stoller Autobiography. Cette autobio à deux voix fonctionne comme un dictionnaire des élégances : les épisodes succèdent aux rencontres dans une atmosphère de passion palpitante. Bienvenue au royaume des cieux de la pop américaine. Leiber & Stoller étaient déjà nos copains, mais grâce à ce livre, ils deviennent nos meilleurs copains. Vous ne trouverez pas meilleurs copains que ces deux mecs-là. Qu’attend-on des copains en dehors des trucs de base que sont la loyauté et éventuellement la générosité ? L’intelligence, bien sûr. Pour dire les choses autrement, ce qui peut nous arriver de mieux dans la vie est d’avoir des copains intelligents. C’est en gros ce que dit ce livre. On en sort fier d’avoir des copains comme Leiber & Stoller.

Leur histoire commence comme l’histoire ordinaire de deux gosses juifs et se termine en une espèce de carnet mondain du rock américain. Jerry Leiber est le poète, celui qui écrit les textes flashy sur le champ et Mike Stoller le pianiste qui compose les jolies mélodies. Ils fonctionnent si bien ensemble qu’ils tapent chaque fois dans le mille, comme le montrent si bien tous les hits qui portent leur signature.

Petit, Stoller traîne sur la 52e Rue et voit Charlie ‘Yardbird’ Parker dans un club qui s’appelle the Three Deuces - His harmonic sense was amazing. He played at tempos that left me breathless - En fait il voit tous les géants du jazz, car New York est alors la capitale mondiale du jazz. Il voit Monk, Stan Getz, Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan, Dizzy - I caught them all, j’avais leurs disques, leurs idées me couraient dans la tête, leur musique me tenait éveillé toute la nuit - Petit veinard, Stoller du temps ! - It was the late forties, and Harlem was the right place at the right time - Les propos de Stoller sonnent comme les paroles d’un hit. De son côté, Leiber grandit à Los Angeles. Il travaille comme plongeur au Clifton’s Criteria et il entend un jour une chanson de Jimmy Whiterspoon à la radio : «Ain’t Nobody Business» - Je ne saurais expliquer ma réaction, mais sur le moment, je fus transporté dans une sorte de compréhension mystique. Une lumière s’alluma. Whiterspoon l’avait allumée. Peut-être était-ce la puissance et l’assurance de sa voix qui m’inspiraient ce sentiment, peut-être était-ce la qualité des paroles, je ne sais pas, If I should take a notion/ To jump into the ocean/ It ain’t nobody’s business if I do, quoi qu’il en fut, je n’étais plus le même. Je sentais que je pouvais faire tout ce que faisait Whiterspoon, je pouvais dire tout ce qu’il pouvait dire, une porte s’est ouverte et je suis entré dans son monde - Merveilleux Leiber. On trouve rarement des façons aussi belles de décrire une révélation : il fait la plonge et entend une chanson à la radio. Alors qu’on ne fait qu’entrer dans cette histoire, nous voilà déjà conquis.

Bon Leiber décide d’écrire des chansons. Alors il cherche un musicien pour mettre des notes sur ses paroles. Un copain lui file le numéro d’un pianiste qui lui paraissait pas mal. Son nom ? Mike Stoller. Okay. Et là on entre dans l’extraordinaire dynamique du book, celle des petits échanges étincelants. Stoller raconte : «Le téléphone sonna :

— Hi, je m’appelle Jerome Leiber. Êtes-vous Mike Stoller ?

— Yup.

— Avez-vous joué dans un club d’East LA la semaine dernière ?

— Yup.

— Savez-vous composer ?

— Yup.

— Savez-vous écrire des partitions ?

— Yup.

— Voudriez-vous composer des chansons avec moi ?

— Nope !

— Pourquoi ?

— J’aime pas les chansons !

— Vous aimez quoi alors ?

— Bela Bartok et Thelonious Monk.

— On devrait quand même se rencontrer pour en parler.

— Si vous y tenez vraiment, faites un saut !

Il me sembla qu’il sonnait à la porte au moment même où je raccrochais le téléphone.»

Ils sont tordants quand ils racontent leur première rencontre. Leiber : «J’ai couru jusqu’à son adresse. Quand la porte s’est ouverte, j’ai vu un gosse de mon âge qui portait un béret sur la tête et un petit bouc à la Dizzy Gillespie au bout du menton. Un bebopper ! Oh non, me suis-je dit, pas ce genre de mec !». Stoller réagit en gros de la même façon : «La première chose que j’ai remarquée chez Jerry était la couleur de ses yeux : l’un était bleu et l’autre brun. Je n’avais encore jamais vu ça. C’était aussi étrange que sa demande : vouloir écrire des chansons avec moi !». Alors ils font un petit bout d’essai ensemble. Stoller s’assoit au piano - Okay, je me suis mis à jouer du blues et Jerry improvisa des paroles et chanta comme s’il était né au Mississippi. Alors on s’est serré la main et déclaré partners. C’est ainsi qu’a démarré un malentendu qui dure depuis soixante ans, sans qu’on ait jamais pu le résoudre. On était en 1950, nous avions 17 ans - Il a raison Stoller que dire que leur partenariat est étrange. Leiber confirme : «Dès le départ, nos énergies ne sont pas les mêmes. Mike était précautionneux et moi impétueux. J’étais même incapable de rester tranquille cinq minutes. Je savais depuis l’épisode Whiterspoon que je pouvais écrire et donc je devais écrire.» Ils ont beaucoup de chance, en fait, car ils voient clair. Stoller : «On voulait surtout s’amuser, mais notre notion du fun s’enracinait dans l’authenticité. En tant qu’auteurs compositeurs, nous n’avions qu’un seul modèle, la musique noire. And black music only.» Ce genre de truc porte un nom. Oui, ça s’appelle une éthique. Leiber dit que Stoller est un hipster et Stoller se dit vite fasciné par l’exubérance créative de Leiber : «Il pouvait tout écrire, du black, du jewish, du theatrical, du comical, il peignait avec les mots, ses mots contenaient toutes sortes de couleurs, de textures, de tons, et en plus il allait très vite.»

Le premier à s’enthousiasmer pour les compos de Leiber & Stoller, c’est Lester Sill - Hell yes ! - Il les met en cheville avec les frères Bihari qui ont un label, Modern Records. Le premier rendez-vous se passe mal : on fait poireauter Leiber & Stoller qui finissent pas se casser. Et comme tout le monde à l’époque, ils vont se faire plumer par plus malin qu’eux. Ils finissent par rencontrer Johnny Otis et composent «Hound Dog» pour Big Mama Thornton. C’est Johnny Otis qui joue de la batterie sur la version originale. Leiber & Stoller produisent - Big Mama didn’t croon, she growled - Leiber : «On ne gagnait pas un rond, mais on faisait des disques de blues.» Puis c’est le désenchantement. Ils découvrent par la suite que Johnny Otis s’est approprié le crédit de «Hound Dog». Ils protestent auprès du label boss Don Robey qui fait signer à leurs mères un nouveau contrat, car ils sont encore mineurs. Ils reçoivent une avance de 1200 $ mais le chèque est en bois. Abattus, ils voient «Hound Dog» grimper au sommet des charts et apprennent que le disque s’est vendu à un million d’exemplaires. Ils n’ont pas touché un rond. Stoller : «We were getting screwed.» Mais ça ne sera pas la dernière fois. Lorsqu’Elvis va faire sa version de «Hound Dog», Leiber découvrira horrifié qu’on a trafiqué son texte - Elvis s’est amusé avec la chanson. Big Mama l’a chantée pour de vrai (Big Mama nailed it) - Tiens encore un épisode de screw. C’est Stoller qui le raconte. À l’époque où ils travaillent pour Atlantic, un comptable leur conseille de demander un audit des comptes d’Atlantic. Forcément Wexler est furieux. Quoi ? Vérifier les comptes alors que je vous ai fait gagner des milliers de dollars ! Stoller essaye de le calmer en lui expliquant que les bons comptes font les bons amis. Il se dit aussi surpris de sa réaction colérique. Pourquoi s’inquiéterait-il ? Wexler parvient à se calmer et leur dit de virer le comptable. Trop tard. Le comptable a découvert qu’Atlantic devait 18 000 $ à Leiber & Stoller. Wexler peine à contenir sa rage. Vous avez le choix, soit je vous signe un chèque de 18 000 $ et vous ne travaillerez plus pour aucun de nos artistes, soit vous oubliez le chèque et on continue comme si de rien n’était. Leiber & Stoller n’hésitent pas une seconde : oublions le chèque ! Bien, dit Wexler, et malgré sa promesse, Leiber & Stoller ne travaillent plus pour Atlantic. «We’re screwed», dit Leiber.

Dommage, car l’épisode Atlantic se présentait comme un conte de fée. Remontons un peu dans le temps. Leiber & Stoller commencèrent par faire la connaissance de Nesuhi Ertegun, le frère d’Ahmet, un homme que Leiber jugeait distingué et qui parlait une demi-douzaine de langues, avec une nette préférence pour le black slang qu’il trouvait séduisant, un homme qui avait étudié à la Sorbonne, qui avait lu Nietzsche et Sartre et qui pouvait parler de l’émergence de l’expressionnisme abstrait, mais qui connaissait surtout le jazz. Et le blues. Il connaissait aussi la plupart des chansons composées par Leiber & Stoller et donc welcome in Atlantic. Ils vinrent donc s’installer à New York. C’est au Tea Room de la 57e Rue qu’ils rencontrèrent le team Atlantic : les frères Ertegun, Wexler, Herb & Miriam Abramson et Pete Kemeron, le manager du Modern Jazz Quartet - These were charismatic characters in the extreme, dit Stoller - brillant, both impressive scholars and impassioned fans of the music and like us, early producers of a genre they loved. It was all about jazz and rhythm & blues - Leiber & Stoller furent bombardés producteurs pour le compte d’Atlantic. Même si pour eux ce fut une belle aventure, grâce aux artistes qu’ils rencontraient, cette association ne fut pas de tout repos, à cause des bras de fer avec l’aboyeur en chef Jerry Wexler. C’est Leiber qui nous raconte comment lui et Stoller produisirent «There Goes My Baby» par les Drifters. Ils étaient sûrs de leur coup, sûrs qu’il s’agissait d’un smash. Ils le firent écouter à Wexler et Ahmet qui n’étaient pas dans le studio pendant l’enregistrement. Wexler l’écouta, se tourna vers Leiber et lui dit : «Jamais entendu une merde pareille !». Il les accusa d’avoir dépensé le blé d’Atlantic pour produire un tas de merde, ce goddamn awful mess. Et il lança son sandwich au thon dans le mur. Leiber ajoute qu’il est resté collé au mur. Évidemment, «There Goes My Baby» grimpa en tête des charts et se vendit à un million d’exemplaires. Après coup, Ahmet qui est diplomate jusqu’au bout des ongles dira à Leiber & Stoller qu’ils tapent dans le mille à chaque fois, mais Wexler aura tout fait pour que le disque ne sorte pas. En conclusion, Leiber pense que Wexler entretenait avec Stoller et lui une love-hate relationship.

C’est à cette époque que Leiber & Stoller décident de louer un bureau dans un immeuble situé sur la 45e et Broadway. Oui, le Brill. Stoller dit qu’en 1961 leur rêve devient réalité at 1619 Broadway. Un peu plus haut, au 1650 Broadway, se trouve un immeuble aussi «musical» que le Brill, avec un studio d’enregistrement au sous-sol et un demo studio au 9e étage. Au 1619, on croise Jeff Barry, Ellie Greenwich, Doc Pomus et Morty Shuman, et au 1650, Carole King, Gerry Goffin, Barry Mann et Cynthia Weil. Un jour, un petit blackos en costard vient voir Leiber dans son bureau du Brill. Il se présente : Berry Gordy. Il avait en tête de faire du soft R&B pour le vendre aux blancs. Il fait écouter des démos à Leiber qui trouve ça pas mal. Alors Gordy lui dit : «Alors vous allez m’aider ?», et Leiber lui dit non.

— Pourquoi ?

— Parce que vous n’avez pas besoin de moi. Vous savez déceler les talents et les signer. Vous savez composer et produire. Vous avez juste ce qu’il vous faut. Rentrez à Detroit and do it.

He did, ajoute Leiber, qui poursuit en disant qu’il n’était pas vraiment fan de Motown. Il trouvait cette Soul trop soft, mais il saluait le flair de Gordy : «Il avait vu un marché et se l’était approprié.» Leiber fait aussi un portrait grandiose d’Ellie Greenwich. Il dit qu’avec Jeff Barry, ils constituaient un terrific team. Ils composaient avec une élégante simplicité et un manque total de prétention. Ellie était une très bonne chanteuse et ses démos valaient largement les versions enregistrées par d’autres. On l’aimait à la fois pour son talent et pour son extravagante beehive hairdo, sa bombe de cheveux blonds. Ils font aussi la connaissance de Burt & Hal David - Burt was the most perfectly casual dresser ever to stroll down Broadway. Even his hair was perfectly casual - Stoller ajoute qu’Hal David et Burt ont fabriqué de la magie, notamment pour Dionne Warwick, «qu’on avait fait travailler pendant des années comme background singer avec sa sœur Dee Dee et leur tante Cissy Houston.»

Les principaux clients de Leiber & Stoller chez Atlantic étaient bien sûr les Coasters, que Lester Sill manageait. Après des mouvements de personnel, le lineup finit pas se stabiliser avec Billy Guy, Carl Gardner, Dub Jones et Cornell Gunter. Stoller dit de Gunter qu’il était fort comme un bœuf et qu’il devint le protecteur du groupe. Lorsqu’un jour un mec s’en prit à l’un de ses protégés, Cornell Gunter l’attrapa et le jeta par dessus un camion. Et pourtant, nous dit Stoller, Gunter n’avait rien d’un macho : «À l’instant où il ouvrait la bouche, on savait qu’il était gay.» Stoller rend aussi hommage à Dub Jones, one of the great bass voices. «He was a deply religious man with real heart and soul.»

Et puis bien sûr, voilà Phil Spector. C’est Lester Sill qui un beau jour de 1960 téléphone à Leiber pour lui demander une faveur.

— Vas-y.

Sill y va :

— J’ai un gosse ici et je crois en lui. Je crois autant en lui que j’ai cru en toi et Mike. En réalité, il est une sorte de Leiber & Stoller. Il est new-yorkais mais il est venu ici à LA pour étudier à Fairfax High. C’est un R&B genius, il joue de guitare, il compose, il arrange, il produit et il vous idolâtre, Jer, je te jure qu’il vous idolâtre.

— Comment s’appelle-t-il ?

— Phil Spector.

— Et que veut-il ?

— Venir à New York.

— Bon, fais-je venir, alors.

— Mais il lui faut un billet d’avion.

— Tu ne peux pas le lui payer ?

— Non.

— Tu veux que je le paye ?

— Fais-moi cette faveur, Jer. Tu ne le regretteras pas. Il a déjà un hit avec les Teddy Bears, «To Know Him Is To Love Him».

— Et tu l’aimes, Lester ?

— Tu l’aimeras aussi.

Pas du tout.

Leiber ne l’aime pas. Il poursuit en expliquant que «Spector est arrivé une semaine plus tard à mes frais. Il a demandé s’il pouvait dormir sur le canapé du bureau. Que pouvais-je lui dire ? Au fond ça n’avait pas vraiment d’importance qu’il n’ait pas dit merci pour le billet et que sa présence dans le bureau nous ennuyait. Je sentais qu’il était smart. Il aimait la musique. Il était dévoré d’ambition. On ne voyait que ça, son ambition.» Puis Phil Spector va prendre Ahmet comme modèle, jusqu’à imiter sa façon de parler. Ahmet était le suave hipster que Spector rêvait de devenir.

Bon le bal des mythes ne s’arrête pas là. Il reste encore le plus gros, the real deal, Elvis. La collaboration Elvis/Leiber & Stoller commence avec «Jailhouse Rock». Lors d’un entretien préalable, le Colonel qui leur dit que son poulain va devenir plus célèbre que le président et plus célèbre que le pape. Leiber & Stoller opinent du chef. Mais ils se foutent du Colonel. Celui qui les intéresse, c’est Elvis. Ils finissent par le rencontrer en entrant dans le studio d’enregistrement. Leiber s’en souvient comme si c’était hier : «Ça fait longtemps que je ne fais plus de mystère de mon hétérosexualité, aussi suis-je parfaitement à l’aise pour dire que lorsque je suis entré dans le studio et que je me suis retrouvé face à Elvis Presley, je fus frappé par sa beauté. Il avait un sourire timide et des manières désarmantes.» Stoller ajoute qu’Evis était un Ray Charles fanatic et qu’il connaissait aussi toutes les compos de Leiber & Stoller. Il pouvait citer n’importe quel hit de R&B, depuis Arthur Big Boy Crudup jusqu’à B.B. King en passant par Big Bill Broonzy. Alors évidemment, après le succès de «Jailhouse Rock», Elvis est persuadé que Leiber & Stoller lui portent chance. Il les veut à chaque séance et sur le champ. C’est l’hystérie. Exemple : Elvis enregistre un Christmas album et il manque une chanson. Le Colonel leur ordonne d’en composer une sur le champ. Leiber dit à Stoller qu’il ne faut pas décevoir cette bande de fous.

— Tu sais quoi, mike, on va faire simple. Composons pour ce mec un twelve-bar blues avec un Christmas lyric. Qu’en penses-tu ?

— Okay by me.

Alors je commence à chanter :

Hang up your pretty stockings

And turn off the light

Cause Santa Claus is coming down your chimney tonight.

(Mets tes bas et éteins la lumière, car ce soir Santa Claus va te ramoner la cheminée).

Ça nous a pris 15 minutes pour composer la chanson. On revient dans le studio et je leur annonce qu’on a la chanson. Le Colonel demande pourquoi ça a pris tant de temps. Je lui réponds «Writer’s Block», c’est-à-dire panne d’inspiration. Le Colonel se marre mais il arrête de se marrer quand il entend les paroles. Mais le King tranche : Voilà une vrai Christmas song ! Je vous l’avais dit, ces gars-là allaient nous dépanner !

Et Elvis se met à chanter sa Christmas song comme un King. Il la fait en deux prises. Quand c’est fini, Elvis passe ses bras sur les épaules de Jer et de Mike et leur dit : «Chaque fois que j’enregistre, je veux que vous soyez là, les gars !».

Et puis arrive le grain de sable dans l’engrenage. Jean Aberbach les rencontre pour leur annoncer que le Colonel veut les manager. Jer lui répond du tac au tac : «We’re unmanageable. Tout le monde le sait.» Aberbach le prend mal et dit que ce n’est pas une plaisanterie. Jer lui répond qu’il ne plaisantait pas. On n’a pas besoin de manager. Aberbach demande à Mike s’il est du même avis. Absolutely ! Alors Aberbach leur tend deux feuilles de papier. Elles sont vierges avec seulement une ligne en pointillés en bas pour la signature. Un contrat en blanc ! Leiber est choqué :

— Vous plaisantez, j’espère ?

— Non, répond Aberbach. Le Colonel dit qu’il remplira le contrat plus tard, tout repose sur la confiance mutuelle.

Ils ne signent pas, évidemment. Puis Leiber tombe malade. Pneumonie, il s’écroule dans la rue. Il se réveille à l’hosto. Quand il rentre chez lui une semaine plus tard, il trouve un gros tas de télégrammes. «Elvis veut vous voir tout de suite !». Leiber appelle le Colonel qui lui met une pression terrible et lui dit de prendre un avion immédiatement. Leiber appelle son médecin qui lui dit que c’est hors de question. Le Colonel pique une crise et affirme que les médecins ne racontent que des conneries. Alors Leiber appelle Stoller et lui explique la situation : il est trop faible pour voyager et il en a un peu marre d’être au service d’un sale mec comme le Colonel. Mais en même temps, il ne veut pas ruiner le deal qu’ils ont Mike et lui avec Elvis qui en plus les aime bien et raffole de leurs chansons. Le problème c’est le Colonel. À l’autre bout du fil, Mike réfléchit un instant et dit : «Tell him to go fuck himself.» Fin de l’épisode.

Il y a des passages plus légers dans le book. Leiber révèle que «Poison Ivy» qui est un gros hit pour les Coasters est aussi la métaphore d’une maladie sexuellement transmissible. «Poison Ivy» arrive dans le Top Ten en 1959 et ça épate Leiber. Autre épisode cocasse : ils font la connaissance de Peggy Lee et lui composent les chansons de l’album Mirrors. Stoller : «Pendant les sessions, elle ne pouvait contenir ses crises de rage, ce qui ne gênait en rien ses magnifiques interprétations. Ces crises n’étaient pas dues à la boisson, parce qu’elle ne buvait pas pendant les sessions. Elle faisait de la méditation transcendantale.» Et Stoller poursuit en indiquant que lors d’une session, Peggy Lee pique une telle crise qu’elle préfère s’absenter pour essayer de se calmer : «Je vais aller méditer. Je serai de retour dans vingt minutes.» «Nous avons pris ça pour un signe de maturité. On a corrigé la partition pendant son absence. Elle est revenue encore plus enragée qu’à son départ. Elle était folle de rage. On s’est dit qu’elle avait passé ces vingt minutes à se demander lequel de nous deux elle allait tuer.»

Et puis bien sûr, voici l’épisode fondamental qui est l’épisode George Goldner, dont parle aussi Seymour Stein dans ses mémoires. Un Goldner nous dit Leiber légendaire en son temps, grâce à ses labels Tico, Gone, End, Gee, Roulette, Rama. Mais comme le dit Stein, Goldner s’endettait en jouant aux courses et Morris Levy qui «épongeait ses dettes» avait récupéré en échange ses labels extrêmement rentables.

Comme Leiber & Stoller aimaient bien Goldner, ils décidèrent de s’associer avec lui. Ils l’appelaient the Mambo King, car il avait signé Tito Puente, Tito Rodriguez, Joe Cuba et Eddie Palmieri. C’est aussi lui qui avait sorti «Why Do Fools Fall In Love» de Frankie Lymon & the Teenagers, «Tears On My Pillow» de Little Anthony & the Imperials, «Shimmy Shimmy Ko-ko Bop» des Chantels et surtout le mythique «I Only Have Eyes For You» des Flamingos qui figure dans le fameux Once Upon A Time In The Bronx de Robert De Niro. Alors qu’ils étaient en panne de hits, Leiber & Stoller demandèrent un jour à Goldner de fouiner dans leur pile d’acétates. Goldner y passa la nuit au Brill et en arrivant le lendemain matin, Leiber le trouve assis au bureau avec un acétate en main : «This is it !». C’est la démo de «Chapel Of Love». Quoi ? Leiber n’en revient pas, car pour lui ce n’est pas très bon. Goldner ajoute : «J’en mets ma main à couper.» «Chapel Of Love» est une compo de Jeff Barry, Ellie Greenwich et Phil Spector que Phil avait enregistrée. On connaît la suite de l’histoire. Leiber & Stoller demandent aux Dixie Cups d’enregistrer «Chapel Of Love» qui atteint le sommet des charts au printemps 1964. Leiber précise que ce fut le premier #1 américain depuis la British Invasion. Bien vu, Goldner ! Leiber ajoute : «In the Golden Age of the Girl Group, on avait enfin le nôtre. Les Marvellettes étaient marvelous, les Supremes suprêmes, les Ronettes resplendissantes. Mais les Dixie Cups, ces modestes gals from Louisiana, leur faisaient une sacrée concurrence.» Chapel est aussi le premier disque du label qu’ils viennent de créer, le mythique Red Bird. Comme ils n’ont pas de blé pour payer Goldner, ils l’associent au capital de la société en lui filant un tiers des parts. Dans cette aventure, leurs principaux collaborateurs sont Ellie et Jeff Barry. Ils accueillent aussi Shadow Morton dans leur équipe. Leiber le surnomme Shadow parce qu’il apparaît dans la pièce sans que personne ne l’ait vu entrer. «Et il n’était plus là quand on le cherchait. Il s’était construit une mythologie qui m’intriguait. Pour un New-Yorkais, il parlait un étrange dialecte du Sud. Il était agréable et solide comme un bœuf. Mais le plus important, c’était le don qu’il avait d’écrire des teenage soap operas. J’adorais Shadow et tout ce qu’il a fait pour Red Bird.» Stoller précise ensuite que Shadow a découvert les Shangri-Las qui allaient devenir avec les Dixie Cups les locomotives de the Red Bird hit-making machine. «Ce que Leiber & Stoller étaient aux Coasters, Jeff et Ellie aux Dixie Cups, Shadow Morton l’était aux Shangri-Las.» Stoller brosse un magnifique portrait des Shangri-Las : «Quatre filles, les jumelles Mary Ann et Marge Granser et deux sœurs qui semblaient jumelles, Mary et Betty Weiss. Les sœurs Weiss étaient blondes, les sœurs Ganser brunes. Elles portaient des jeans moulants passés dans des bottes blanches. Elle étaient les parfaites bad girls.»

Et puis un jour, alors qu’il marche sur Broadway, un mec accoste Leiber, lui disant que son boss veut lui parler. Leiber lui répond qu’il ne connaît pas son boss. Mais le gorille le force à avancer et à entrer dans un petit fast-food. Le boss que Leiber appelle Sal mais qui pourrait bien être Morris Levy lui annonce qu’ils sont partenaires. Comment ça ? Ben oui, Goldner est mon partenaire, donc nous sommes partenaires ! Leiber ne comprend toujours pas. Ben oui, Goldner avait besoin de fonds, alors il nous a fait entrer dans Red Bird. Il ne vous l’a pas dit ? Non, je ne crois pas, répond Leiber. Quand Leiber arrive au bureau, il raconte l’histoire à Stoller. Que fait-on ? Rien, on attend, ça va se tasser. Mais ça ne s’est pas tassé. Des gorilles ont commencé à se pointer au bureau. Ils étaient tellement balèzes dit Leiber qu’ils passaient à peine à travers la porte. «On a besoin d’utiliser votre bureau !». Leiber & Stoller ne discutent pas. Alors Stoller demande à Goldner : «Mais comment as-tu pu nous faire ça ?». «Quoi ?». Ben les mafieux ! Goldner répond que c’est temporaire. Mais Leiber & Stoller n’acceptent pas d’être mêlés à ces gens-là. Ils décident de refiler leurs parts de Red Bird à Goldner pour un dollar symbolique. Comme Goldner surpris cherche le dollar pour les payer, Stoller lui un donne un. Le lendemain, ils font construire un mur de briques pour séparer le bureau de Goldner du leur. The Red Bird dies. Dommage, car ils louchaient sur ce qu’ils appellent des sensational acts : Sam and Dave, the Young Rascals et Steely Dan.

Alors après, c’est l’épisode Peggy Lee. Ils composent «Is That All There Is» et proposent la chanson à Marlene Dietrich qui refuse poliment. Alors ils la proposent à Peggy Lee qui la veut absolument. Elle fait 37 prises et Leiber choisit la 36e. Mais Leiber & Stoller sont à ce moment dans un trip Piaf et Jacques Brel. Et même Kurt Weill. Il n’empêche qu’aux yeux de Stoller, Mirrors is an important piece of work. On y reviendra. Stoller est même fier quand on le félicite pour cet album. On connaît Leiber & Stoller pour les Coasters, les Drifters, Big Mama Thornton, Elvis, Ben E. King, mais aussi pour Mirrors.

Puis le temps passe et ils voient les choses évoluer. Stoller comprend que c’est dans la nature même du music business. Les modes et les techniques évoluent. La seule constante reste la chanson. C’est elle qui survit, dit Stoller. Et les droits d’une chanson garantissent la sécurité matérielle. Dans les années 70, ils produisent les Stealers Wheel de Gerry Raffery & Joe Egan, une version anglaise de Crosby Stills & Nash, nous dit Leiber. Lui et Stoller aiment bien leurs harmonies et leur open-minded, open-hearted approach to making music.

Leiber & Stoller finissent en beauté avec T-Bone Walker en produisant Very Rare - He turned the blues urban, infused it with jazz feeling and influenced virtually every guitarist who followed - Ils choisissent les Sweet Inspirations comme background singers et un roster of superstar jazz musicians qui comprenait Dizzy Gillespie, Gerry Mulligan, Herbie Mann, Zoot Sims, Al Cohn and David ‘Fathead’ Brown and that keyboard genius from New Orleans, James Booker. T-Bone Walker a 62 ans et sa carrière est cuite depuis longtemps. Cet album est donc son last hurrah. Alors Leiber & Stoller mettent tout ce qu’ils ont de passion dans ce projet. Magnifiques personnages.

Signé : Cazengler, Red Bide

Jerry Leiber & Mike Stoller with David Ritz. Hound Dog. The Leiber And Stoller Autobiography. Simon & Schuster 2009

Talkin’ Bout My Generation - Part Two

 

C’est avec un petit pincement au cœur qu’on voit Big Sandy redébouler en couverture du nouveau numéro de Rockabilly Generation. Rassurez-vous, on finit par passer l’âge de frémir pour des conneries et chacun sait que Big Sandy ne s’adresse pas aux midinettes. Non, si ça pince, la raison en est toute autre. Big Sandy nous renvoie au temps où on pouvait encore aller le voir jouer sur scène. Cette photo en couverture du mag, boom ! C’est le boulet du baron de Münchhausen, une véritable machine à remonter le temps ! Dans la seconde, il nous ramène au Béthune Rétro 2016. Nostalgie ? Pas que. Si on y réfléchit un instant, c’est plus profond, ça pince, mais pas au bon sens du terme, il s’agit plus d’un malaise que d’autre chose. Pour tout fan de rock, il est impossible d’accepter d’entrer dans ce flou institutionnel qu’on appelle la fin d’une époque.

Le malaise est profond : Béthune Rétro, tintin. Les concerts dans les bars, tintin. Les rubriques «Live» dans les canards de rock anglais, tintin. Alors vu qu’ils sont rusés comme des renards, les canards de rock anglais font appel aux lecteurs et leur demandent de raconter leurs meilleurs souvenirs de concerts. On pourrait s’amuser à faire la même chose sur KRTNT, par exemple ressortir la vieille kro du Béthune Rétro 2016, mais bien sûr, on préférerait retourner là-bas pour voir Big Sandy sur scène. On ne demande pas grand chose, juste ce truc là. Juste reprendre la vieille teuf-teuf comme dirait Damie Chad et remonter vers le Nord, s’arrêter comme tous les ans chez les Deux Frères à Arras pour se régaler d’une grande pinte de Chaussée des Moines bien fraîche servie avec l’andouillette gratinée aux Maroilles des enfers, puis gagner le Rétro avec un gros nez rouge et aller se garer en bas de la Poste. Franchement, ce n’est pas demander grand chose. Eh bien même ça, tintin, pas de teuf-teuf, pas d’andouillette et pas de Poste. T’auras que dalle, te dit Dieu.

Mais ça c’est de la rigolade. Il ne s’agit au fond que de frustration, rien de grave. Le grave le voilà : le pote L. avec lequel on partageait le pèlerinage annuel à Béthune et pas mal d’autres pèlerinages se bat en ce moment avec la mort. Foie pourri. En bon fan de rockab, il tient bien le choc, mais il nous fait pas mal de frayeurs. On ne lui demande qu’un truc : tenir assez longtemps pour grimper dans la teuf-teuf l’été prochain et filer vers le Nord. On aura forcément une belle affiche et on pourra recommencer à baver comme des limaces en épluchant ce programme généralement si touffu.

On ne se doutait pas alors de la chance qu’on avait, rien qu’à se frayer un chemin sur la place du beffroi et se régaler du spectacle de toutes ces bananes. Il nous arrivait même de nous plaindre du trop-de-monde et des dérives de la gratuité, mais il se passait tellement de choses extraordinaires sur les trois scènes. Trop ? C’était le temps de l’abondance, le temps des deux ou trois concerts par semaine, le temps des conventions du disque, le temps des fanzines et des canards de rock anglais.

Alors, en attendant le retour du temps des cerises, nous allons remercier Rockabilly Generation d’avoir interviewé Big Sandy en sortant du formol des archives la kro du big Big Sandy Show à Béthune en 2016 :

Après Wanda Jackson, Sleepy LaBeef, Barrence Whitfield et Lee Rocker, Big Sandy et ses Fly-Rite Boys se retrouvent bombardés têtes d’affiche du Béthune Rétro 2016. Une consécration ? Big Sandy n’a plus besoin de ça. Apparemment, il tourne bien aux États-Unis, c’est un professionnel de l’Americana, il brasse un public large et, comme Elvis avant lui, il plait beaucoup aux ménagères. C’est toujours très impressionnant de voir de grands artistes américains débarquer sur scène. Big Sandy dispose de deux atouts majeurs : une présence indéniable et une voix de rêve. Il déroulait ce soir-là le velours de sa voix dans la tiédeur de la nuit picarde. Même si ses chansons laissent parfois le bobo baba, il finit toujours par enjôler ses cajolés. Impossible de résister au charme de ces roucoulades de haut niveau, Big Sandy amène avec lui les grands horizons, la grand-canyonisation des choses, il hollywoodise le bop et tartine son swing de crème au beurre. Son western-swing n’est pas celui des campements de mineurs du Kentucky, non, Big Sandy va plus vers le soleil et la douceur de vivre, vers les virées en roue libre et les routes qui se noient dans l’horizon enflammé. Il fait vibrer ses trois gouttes de sang mexicain et ses cheveux noirs plaqués brillent du meilleur éclat sous les projecteurs picards. Comme tous les gros, et notamment ceux qui sont des artistes, Big Sandy déborde de pâte humaine et de générosité. Il déborde même de talent et d’énergie. Il mène son show à la patte molle, mais il ne court aucun risque, car ses amis jouent comme des cracks, à commencer par Ashley Kingman, Telecaster-man redoutable de fluidité et incisif en diable, une sorte de virtuose sorti d’on ne sait où et qui multiplie les raids éclairs. Ces mecs-là savent jouer, pas de doute. On sent les professionnels aguerris, les vétérans du circuit. Le set de Big Sandy passe comme une lettre à la poste. Il compense l’absence de sauvagerie par un gros shoot de swing et le swing vaut tout l’or du monde, lorsqu’il est bien joué. Si on vient chercher sa dose, on repart repu. On repart même doublement repu, car Big Sandy assure d’une certaine façon la relève des pionniers qui auront tous bientôt disparu. On ne se relève pas la nuit pour écouter le country-boogie de Big Sandy, c’est évident, mais en même temps, on apprécie de pouvoir écouter ses albums et de le voir jouer sur scène, car à sa façon, il porte le flambeau. Ce soir-là, face au vieux beffroi, le gros semblait ravi de jouer. Il n’en finissait plus de louer la grâce de Bitoune et de remercier les people. Et pourtant, les mecs de la technique faillirent bien saboter le set en envoyant trop de fumigènes. Le grand rigolard qui jouait de la stand-up n’y voyait plus rien et Sandy cherchait lui aussi son chemin à travers les volutes de fumée. Quand vint le moment des adieux, Big Sandy fit un effort de communication insolite en lançant : «I’m Big Sandy !» et pour ceux qui n’avaient pas compris, il ajouta : «Yé souis glos Sandy !».

S’ensuivaient quelques chroniques d’albums ramassés chez Crazy Times dès le lendemain matin. Alors vu que Damie Chad a chanté les louanges de ce nouveau numéro de Rockabilly Generation dans sa dernière livraison, on va en rester là, pour ne pas fayoter. Mais quand vous l’ouvrirez à la page 5, vous allez tomber sur LA photo de Little Richard. Aw my God ! Et quatre pages plus loin, sur celle d’Esquerita, son mentor. Aw Aw Aw Aw comme dirait Hooky (qu’on retrouve d’ailleurs dans la boutique).

Signé : Cazengler, Big sandwich

Rockabilly Generation. N°15 - Octobre/Novembre/Décembre 2020

 

ASTRAYED PLACE

 

Des discrets. Juste un FB sur lequel ils postent les vidéos de leurs derniers morceaux visibles sur You tube et que vous pouvez charger sur toutes les plateformes... Une groupe que l'on pourrait qualifier d'abstrait à l'image de leur logo qui ne dévoile ( ou ne cache ) que le nom du groupe tout en étant un sacré casse-tête pour vos méninges si vous fixez trop longtemps cette géométrie dans l'espace proche de l'esthétique du Bauhaus. Etaient à l'apérometal 77 du neuf septembre dernier. Se définissent simplement comme un groupe de Metal français.

MEMENTO MORI

( 09 Septembre 2018

/ FuLL EP / yOU tUBE )

Un titre qui n'appelle pas à la franche rigolade. C'était la formule que murmurait l'esclave qui tenait la couronne laurée au-dessus de la tête de son maître lorsque un général victorieux recevait les honneurs du triomphe dans la Rome Antique ( J'aime le souvenir de ces époques nues, dixit Baudelaire )... la sombre pochette n'évoque en rien un jour de liesse, un chemin de goudron qui fonce droit vers un tourbillon fatal, des ombres blanches éplorées et une tout au fond prête à sauter dans le néant. Au-dessus clignote une conjonction astrale dans les lointains de la voûte stellaire – une couleur différente pour chaque morceau – sentiment d'une immensité désespérante...

Il est des Metal plus durs, plus tranchants, et plus tonitruants que d'autres. A coller une étiquette sur celui-ci à première écoute à petit volume nous avons hésité entre progressive_metal et néo-folk. Amateurs de cacophonies orgiaques abstenez-vous. Après avoir poussé les potards, nous opterons pour metal-alternatif, une définition assez vague pour que chacun puisse la façonner selon son propre héritage culturel.

Intro : de l'acou doré qui ronfle et qui ronronne, simple comme bonjour mais le courant vous emporte, sans que vous y preniez garde l'on est déjà dans le 42 : plus doux plus lent, mais le son arrive, pas une vague monstrueuse, un tirant d'eau acceptable pour que puisse glisser l'étrave du chant, qui prend tellement d'importance que la musique l'accompagne comme l'ombre suit le corps qui la projette, un chant d'espérance qui se croit tout permis jusqu'à vaincre la mort. Quand la voix stoppe c'est-là que l'on se rend compte de la force du soubassement instrumental, rien de tempétueux, un allègre élan, une guitare scintille avant quelques notes d'un clavier romantique, mais le vocal repart et quand il se tait la musique est à son diapason et se dissipe en quelques touches volatiles. Otherworld : ballade aux longs lyrics, seuls le rêve te sauvera, une voix blanche qui semble raconter un conte à un enfant avant de s'endormir, bientôt doublée par une autre, peut-être parce quand on se parle à soi-même on songe que l'on est deux et que la mort ne sera que la continuation du rêve, sous une autre forme. La musique suit, de temps en temps elle hausse la tête comme celle de la taupe qui dépasse de son trou, mais elle rentre vite se chauffer au giron du rêve, comme s'il était immortel. Changement de plan, de la terre du rêve à la grandeur ouranienne incommensurable d'un ciel infini. Pluie cristalline de notes finales. The swarm : un son plus grave que l'on devine porteur de drame, le chant se fait plainte et la musique se transforme en symphonie, cris de souffrance, la réalité tue le rêve de mille piqûres d'abeilles, vous croyiez être invincible dans votre tour d'ivoire et vous n'êtes plus qu'un pantin désarticulé à la merci de vos contemporains, un clavier qui se prend pour Chopin pleure à gros bouillons, maintenant le ressac du rock submerge tout, hurlement sans fin de terreur et de douleur, et cette guitare qui ricane comme une hyène aujourd'hui et demain. Doll : torsades sans trêve, festons musicaux, une ballade douce chantée selon un murmure immature, pour se rapprocher de cette mort que l'on appelle aussi délivrance, des chœurs venus de l'au-delà pour rendre le chemin encore plus attrayant, orchestration à la fois funèbre et joyeuse, chœurs angéliques qui s'accompagnent d'une guitare électrique qui déchire le rideau des apparences, s'il vous plaît laissez-moi connaître le bonheur de la mort. The end of trust : l'on arrive à la fin du drame, on le remplace par le mélodrame, vouloir mourir est une chose, mourir en est une autre, tout compte fait il vaut mieux lécher ses blessures au fond de son lit et rester dans cette petite mort que l'on appelle la solitude. Très belle et très longue introduction, une musique que vous exigerez que l'on joue à votre enterrement que vous suivrez de loin, un chant si cru, si dénudé que l'on croirait s'entendre parler à soi-même, une psalmodie plus forte et accusatrice, l'on n'en veut plus à la terre entière, mais à une personne, peut-être pas obligatoirement à soi-même, et une musique grandiloquente vous fait le coup d'il vaut mieux être seul que mal accompagné. Longue fin orchestrale. Trémolos de piano qui n'y vont pas mollo.

Attention cette musique douce doit être played loud pour en saisir la puissance. L'influence classique est évidente dans la composition non pas des morceaux mais de l'opus en son entier. Une thématique très adolescente, un peu Roméo sans Juliette, mais l'ensemble savamment construit est très original.

THE FALL

( 31 Mars 2020

/ FuLL EP / yOU tUBE )

Vraiment pas des optimistes. Sur la couve du premier EP l'on était au bord du gouffre, sur celui-ci un grand pas en avant a été franchi, c'est la chute ! Une main n'assure plus sa prise sur la paroi rocheuse, sur l'image de la vidéo, elle a disparu... quelque chose bouge, tout au fond du paysage aux couleurs coloradoriennes, la boule métaphorique du soleil descend lentement vers sa disparition. Au temps des Aztèques l'on immolait régulièrement quelques êtres humains pour que le feu divin incandescent condescende à revenir le lendemain matin apporter la lumière, aujourd'hui seules la musique et la poésie osent se saisir du symbole disque solaire pour rappeler la vanité de notre présence au monde.

Intro : oubliez l'Ep précédent, ici résonnent une flûte berbère et le tambour des sables, cela pourrait durer encore, mais non Woe of happiness : joue à l'élastique avec une corde de guitare, et l'on entre dans le vif du sujet, une musique plus puissante et l'entremêlement d'une voix claire qui n'hésite pas à claironner si besoin tandis que celle qui djente par-dessous inquiète, travelling de basse, hurlements et menaces insidieuses, musiques lourdes en haches de pierre néolithiques, galopade de batterie, comme dans l'orchestre classique l'on donne son bout de gras à chaque pupitre, les guitares jouent le rôle des violons, et c'est fini le morceau dure sept minutes, mais il est si bien structuré qu'il paraît n'en durer que deux. The circle : gros son, archétypal metal, mais le timbre comme une lame d'épée scintille et l'on assiste au combat du djent et de la clarté, du lion et du serpent, de l'aigle et du vautour, la batterie martèle, guitare solo en danse du ventre, un véritable duo d'opéra quand deux divas essaient de monter sur les pieds de l'autre. Break : guitarette toute tremblotante, des lèvres susurrent et le morceau avance sur des escarpins d'argent, deux timbres qui se décalquent, l'on est dans ces ballades qui déroulent leurs anneaux de serpent languide et voici que le dragon metal crache du feu et détruit toutes les villes du royaume, par deux fois la torche volcanique et barbare arase le monde. Anesthesia : ne songez pas à vous endormir, jouent et chantent tous ensemble, toujours cette voix qui flotte au dessus de la mêlée tel un oriflamme étincelant, l'ennemi rampe dans les marécages et l'hydre féroce se saisit de vos entrailles, une guitare échevelée galope dans ses intestins, rien ne vous sauvera de ce cauchemar. Chœurs de soudards qui entrent dans la citadelle en flammes. Longs cris d'agonie. The fall : l'on repart sur le même tempo, le combat continue, il n'y aura pas de prisonniers, le sang des guitares giclent sur les murs, la batterie s'abat et rebondit sur les armures, le mal gagne la partie, la brutalité de la nuit l'emporte sur la finesse du jour, une cloche sonne dans le lointain, le temps de compter les morts, mais les hordes barbares n'ont pas fini leur carnage. La passion de la destruction est encore plus jouissive que la destruction pure.

Ce deuxième EP s'inscrit dans la suite logique du premier. Mais le coup d'essai – on le sent longuement préparé depuis Memento Mori – est ici transformé. The Fall a gagné en puissance, la revendication metallique est davantage assumée mais Astrayed Place n'en use pas comme d'un passe-partout. Le groupe se construit une identité personnelle et signifiante. Quel lieu nouveau La Place Errante choisira-t-elle de s'arrêter pour son troisième opus. Ces jeunes gens semblent avoir une prédilection pour les abimes intérieurs. Ce qui nous agrée.

Damie Chad.

 

L'EGOUT ET L'EGO

Dans notre livraison du 482 du 29 / 10 / 2020 je vous présentais Hélène Crochet organisatrice des Apéros Metal 77, je vous engageais aussi à faire un tour sur son blogue Egout Metal sur lequel elle avait posté quelques unes de ses chroniques de concerts. Mais voici que pas plus tard que hier elle se fend d'un post sur son FB que je vous restitue in extenso :

'' 182 chroniques et plus de 500 groupes vus en live, vous l'avez compris, j'ai enfin fini de mettre en ligne mes putains de chroniques de concert de 2011 à 2020 ? Bon ok, il manque quelques lives où j'étais présente mais que je n'ai jamais chroniqués (coucou le Hellfest 2013, coucou le Break'Fest, coucou le festival de jazz Django Reinhardt et les concerts en club et dans les bars !) Mais vous avez déjà pas mal de lecture, et comme je suis sympa, pour vous y retrouver il y a des catégories en bas de page et un nuage de mots qui regroupe les articles par style de musique, salles de concert ou festival, et groupes (parce que oui j'ai pu voir certains groupes jusqu'à 7 ou 8 fois). Ça s'adresse à ceux qui aiment les plumes un peu trash, de mauvais goût, avec la subtilité d'un camion benne et l'objectivité d'un journaliste de Topito. Et ça passe du Metal au Rap, du Punk à la Pop, de la Variété à l'Electro, donc tu trouveras surement un live report d'un groupe ou un artiste que tu écoutes dans ce merdier ! Ne me remercie pas pour ta dose de lecture de confinement, c'est cadeau !''

Pas d'images superfétatoires, que du texte. Pas de vidéos. Je vous engage à vous lancer dans cette saine lecture. J'avais signalé que certains des concerts chroniqués dans cette somme gigantesque l'ont été aussi par Kr'tnt ! Elle habite à Melun et moi à Provins. Ceci explique facilement cela.

Je ne doute pas que tous les lecteurs de Kr'tnt sans exception prennent pour vérité éternelle et intangible la moindre ligne des écrits du Cat Zengler et de mon immodeste personne, toutefois existe-t-il en ce bas-monde une objectivité irrémédiable, c'est pour cette raison que mettre nos subjectifs regards en parallèle peut se révéler d'autant plus intéressant que si nous nous sommes sans doute croisés je ne suis même pas sûr que nous ayons échangé quelques mots anodins en ces soirées agitées.

Elle se présente sous le pseudonyme d'Hellfist en quelques mots : '' Passionnée de musiques crades, d'archéologie boueuse et de films d'horreur, et chroniqueuse d'aventures en concert en tout genre, pour vous servir ! '' . J'ajouterai que quelques générations nous séparent, qu'elle est une fan, une connaisseuse de Metal, que pour moi le cœur vibrant du rock 'n' roll se situe du côté des pionniers.

Quoi qu'il en soit le 18 novembre 2015 nous étions le 18 décembre 2015 au Chaudron ( Mée sur Seine ) pour écouter : Leaving Passenger, Klaustrophobia, Klone : nous sommes tous deux agréablement surpris par Leaving Passenger ( que sont-ils devenus ), elle expédie rapidement Klaustrophobia qui lui ont demandé de jeter un œil impartial sur leur prestation, leur trouve quelques défauts minimes, perso j'ai été subjugué par ce sécaïre de Yuki, régulièrement je vais voir sur son FB ce qu'elle devient, en 2018 elle participe à Hazpiq... Helfy ne supporte pas Klone – cela peut se comprendre, bien en place, mais planant - notre chipie de chroniqueuse sort pour bavarder avec les copains, moi qui suis un garçon sérieux je reste jusqu'à la fin.

En février, le 12, 2016, nous assistons à L'Empreinte de Savigny-le-Temple à la Release Party du premier CD de Fallen Eight, précédés de Beast et Nakht : nous sommes tous deux d'accord, une folle soirée, Nakht qui chauffe la salle à mort, Beast qui la bulldozérise et après ces deux monstruosités Fallen Eight qui remporte le pompon. Si vous lisez entre les lignes, si vous cherchez la nuance, peut-être a-t-elle aimé Fallen Eight encore plus que moi, quelques milligrammes... ce qui est terrible c'est que Fallen Eight n'existe plus, Beast s'est auto-dissous et Danny le chanteur a quitté Nakht et rejoint Hurakan, une page d'histoire...

Le 24 septembre 2016, nous sommes à La Citrouille de Cesson pour le Wild Pig 3 qui présente : Black Box Warning, Wild Mighty Freaks, FRCTRD, Barabbas, Atlantis Chronicles : j'avais beaucoup aimé cette soirée, quatre découvertes, Hellfist connaît tout le monde, l'a même été en classe avec un des musicos de FRCTD qu'elle n'aimait pas vraiment, donc elle étale sa mauvaise foi en toute conscience, de fait elle n'a kiffé que les deux premiers, par exemple le doom de Barabbas ne la convainc pas du tout, quant à Atlantis, elle se casse après dix minutes. Cela ne nous étonne pas, entre Atlantis et Klone existent de sérieuses accointances, l'on peut supposer que le Metal mou n'est pas de son ressort. Comme elle en connaît un max sur le Metal, elle définit chaque groupe par rapport à leurs modèles inspiratifs ce qui donne à son texte une densité historiale que le mien ne présente pas. Je rajoute un regret personnel, j'ai oublié de visiter l'exposition photos. Je ne recommencerai jamais, je le promets.

Premier juin 2018, rendez-vous à l'Empreinte pour le Down Load Festival ( préparation gratuite ) sur scène U-Bilam, Nakht, Wild Mighty Freaks : une belle analyse d'U-Blilam à moitié Metal, à moitié rap, qu'elle explique par son origine Seine & Marnaise département mi-banlieue, mi campagne, elle file une bonne note au groupe sans oublier d'apporter la mention qui vous tuait net dans vos bulletins scolaires, doué mais peut mieux faire. Notre papoteuse en chef l'avoue candidement, pendant le set de Nakht elle est restée dans la cour à discuter avec les copains – comme les filles sont bavardes – mais nous rédige un compte-rendu super bien intuité sur Mighty. Notons qu'à l'inverse de moi elle se débrouillera pour entrer en possession d'invitations pour la session payante du Down Load de Brétigny-sur-Orge. Elle y verra notamment Foo Fighter.

Encore au Chaudron le 29 avril 2019 pour Ashen, Walking the Misery, Abstract Minded, Wild Mighty Freaks, je tartine, elle expédie. N'est pas tendre avec Ashen le nouveau groupe de Clément l'ancien chanteur de Fallen Eight, reconnaît leurs mérites aux Misérables à l'œil limpide sans être vraiment intéressée, avoue qu'elle n'aime pas le style d'Abstract Minded dont je raffole et trouve que les nouveaux morceaux des Mighty sont plus faibles que les précédents, est-ce pour cela que la salle n'atteint pas à l'exubérance qu'ils provoquent généralement. Bref gros désaccords entre nous deux. Nos avocats se chargeront-ils de régler ce litige ?

Waking continue, z'étaient programmés début septembre 2020 , une grosse affiche de quatorze groupes au Metal Fest de Mennecy, menacé par la peur covidique et annulé comme il se doit... Abstract Minded est en pause... Wild Mighty Freaks continue sa route... pas de nouvelle d'U-Bilam depuis le mois d'avril 2019... Black Box Warning, Klone, FRCTRD, Alantis Chronicles, Barabbas semblent être sortis indemnes du premier confinement... preuve que les groupes continuent à exister quand on ne parle pas d'eux... les chiens de chroniqueurs aboient sur leur passage, la caravane des groupes continue malgré les disparitions... Le rock a un petit côté cimetière aux éléphants. Mais qui se souviendrait encore des éléphants d'Hannibal, si Tite-Live ne les avait pas mentionnés dans ses Histoires.

C'est un régal de suivre Hélène dans ses aventures musicales, cette fille a une sacrée personnalité, empruntez les couloirs souterrains de son égout, une maxima cloaca digne de la Rome Antique, attention parfois elle mord comme les crocodiles, une autre fois je vous parlerai des concerts où je n'étais pas, car ainsi qu'on l'enseigne dans les écoles de commerce, il faut toujours espionner ce que fait la concurrence !

Damie Chad.

 

HAZPIQ

As de pique ou aspic, je ne sais pas. En tout cas un groupe de Metal Progressif, en ses débuts on y retrouvait Imen Gardouch connue sous le nom de Yuki chanteuse de Klaustrophobia, groupe émérite hélas dissous... Remplacée actuellement par Melody Denève. Joseph Levy : basse / Manuel et Siméon Nowotny : guitare / Lylian Szpira : batterie. Le groupe s'est formé en 2015, le digipack est publié en 2019, mais dès 2018, les morceaux étaient déjà sur Youtube.

CEPHEID

( Melancholia Records / O1 - 2019 )

Une céphéide pour employer le terme gaulois est une étoile à luminosité variable, quand vous l'examinez à intervalles réguliers vous avez l'impression que certaines nuits elle brille davantage et d'autres moins... ce titre est déjà une indication sur la musique d'Hazpiq vouée aux nuances, aux gradations climaxiques, aux dégradés subtils, aux rupture violentes,..

L'artwork du digipack dû à Meaghan Matthews a su rendre à merveille, grâce à ses liquidités anamorphiques, l'atmosphère hazpiquienne, scrutez la couverture quelques instants et votre esprit se mettra à vagabonder sans fin, passant d'une idée à l'autre, selon une méthode toute valéryenne d'essai de description du processus de pensée.

Trailokia : est-ce le sentier qui mène à la parole, juste un instrumental, pour ne pas dire deux instrumentaux, l'un tout fragile, l'on pense à des notes de dulcimer qui tombent dans l'eau, puis la pluie se fait plus forte et survient ce qui ne devrait pas arriver, du moins dans les partitions de musique classique, mais qui dans le Metal le progressif est souvent réclamé et rétamé à coups de gros riffs métalliques. Toutefois ici la douceur de l'éphémère s'adjuge la place de devant à tel point que le riff en devient monotone, lui faut attendre de se retrouver seul pour faire le fortiche, stoppe brutalement et l'on entend comme un froufrou d'âme qui s'enfuit. From dust : bruit d'usine, ça cogne dur dans les ateliers du monde, les guitares grincent et la batterie aplatit la terre à coups de queue de cachalot, une syrinx féminine submerge le grabuge et monte haut vers les verrières du ciel, fracassant les vitres, la chaîne met la pédale douce, et comme la frêle inflexion s'est tue l'on appuie plus fort sur la cadence, hurlement d'homme-stentor, les guitares chavirent, la voix de finesse se lance en une espèce de flamenco qui s'étire en longue plainte de syrène, pendant que la rythmique joue à la machine à coudre, douce prédiction de plus en plus longue, de plus en plus haute jusqu'à l'extinction. Tu retourneras à la poussière... Cepheid : bourdonnement de sitar et timbre aérien, douceurs angéliques, sainte Cécile joue de la harpe sur l'aile d'un chérubin. Et le métal survient comme le Diable qui s'en vient cogner à la porte du paradis, l'on s'élève dans un magnificat au moins jusqu'à l'étoile polaire. Changement d'atmosphère, le métal scintille et miroite mais un timbre méandreux charme les serpents, même le gros boa de la basse qui ondule rhytmiquement sur le plancher, intermède musical, par quoi l'ange est-il habité pour que de son gosier jaillisse des grumeaux de mots inouïs chez ce genre de créature ? On aura tout entendu. Même l'inaudible. Epacte : le titre qui ressemble le plus à l'idée classique que l'on se fait du Métal, une vocalise qui devient de plus en plus lactée jusqu'à ce que l'on se rende compte qu'au bruit ne manque que le silence qui ne peut être contenu dans le vacarme que lorsqu'il se tait, alors la voie du silence s'enfuit dans la féminine gorge aérienne en équilibre sur une corde de guitare d'entrance en résonance, et lorsque tout se tait renaissent les hurlements perscussifs du Metal qui prend son ampleur, c'est elle la Reine qui crée maintenant, car celle qui peut le moins peut aussi le plus. Aphelion : ballade de cristal. L'on s'élève doucement, l'on monte le long des cordes de guitares pour escalader les cimes, rumeurs printanières la profération n'est plus qu'un souffle de brise, et l'on repart comme en quatorze à coups de pétards, la voix devenant liberté guidant le peuple vers la multitude des étoiles, une fusée métallique fonce à travers le vide interstellaire, enthousiasme communicatif, l'autre porte l'une et l'une emporte l'autre, point culminant d'une rencontre désirée. D'un commun accord. To nothing : notes enfantines et berceuse maternelle qui chante les paroles que personne ne comprend mais que tout le monde entend. Le bulldozer écrase tout sur son passage, grognements furieux de moteurs, clameur froissée des survivants qui essaient d'échapper à cette mort qui roule plus vite qu'eux. Eloignez-vous, ce bruit se transforme en bruissement de moustique monstrueux, la voix volette essayant d'échapper à ce godet-tapette de fer qui ne lui laisse plus de répit, la voici stellaire qui glapit son agonie. Remords mélancolique d'avoir existé, de n'être plus qu'une bulle de soi-même crevée et dégonflée qui s'échappe pour se diluer dans le néant. This is the end, old folks, versez une larme, cela ne peut pas faire de mal, personne ne la verra couler. Saros : cordes qui résonnent dans le mystère des choses, angoisses d'un timbre mystérieux, tous deux s'alanguissent sur des fils de fer barbelés du néant, chercher un moyen de laisser une trace qui permettra de prouver que l'on sera toujours là puisque l'on a été là, une musique séquencielle qui essaie de s'échapper d'elle-même, appel au centre de gravité de la présence du signe. Alternance de répons vocaliques et orchestraux, le serpent ne parvient pas à mordre sa queue qui lui échappe. Qui se dérobe. Mécaniques célestes : velours de cordes s'avancent à pas lents, cloques de sons qui claquent, la machine se met en route, la musique des sphères est bruyante, il n'est pas de moteurs sans explosion, c'est maintenant que s'insinue la fluidité exacerbée du vocal déchiré, musique célestiale, une voix de gente dame à la licorne recouvre le monde, luxe, calme et froideur, le temps s'égrène sur les portées d'un solfège sidéral, c'est entre les lignes que l'oreille se prête, se donne et se perd. Theory of everything : la musique reprend ses droits, et ses devoirs, voici les volutes des conjonctions dissolues, vagues de metal protéiforme, chantons lorsque les mots se bousculent car il faut nommer toutes choses, la transparence des insectes aériens et la lourdeur pachydermique des éléments. Une batterie qui frappe pour faire rentrer la rotondité de l'univers dans les coins du cube de la pensée humaine. Combat de titans. Matière et esprit. Grognements de révolte, aucun des deux ne veut entendre raison. Cris d'apocalypse sans révélation. Une voix fuse, à croire qu'il existe une échappée possible, un déraillement obligatoire. Coup de gong final.

Le disque est couvert d'éloges dans les sites spécialisés. En France et à l'étranger. Son originalité a attiré une sympathie méritée. En vrac on cite Gojira, Tool, Björk, et jusqu'à Magma, ce qui est un peu exagéré vu la puissance spectrale du groupe de Vander. Comme tout style de musique arrivé à maturité le Metal cherche à se dépasser. Pour ne pas mourir. Rien ne sert de se répéter indéfiniment. Ainsi une branche de l'arbre a tenté une greffe hip-hopienne. Pas spécialement ma tasse de thé, cela me rappelle le jazz se déguisant en jazz-rock dans les années 70... Lorsque l'on se retrouve devant un mur, soit on le renverse, mais souvent derrière il n'y a plus rien. Soit on repart en arrière. Le tout est de savoir s'arrêter. Les jeunes métalleux ont connu le Metal en écoutant des groupes de Metal qui procédaient de groupe de Metal qui avaient écouté les groupes de hard et de heavy qui avaient écouté du blues et du rock'n'roll. Cette primale transmission n'a pas fonctionné. Puisque la route du retour aux roots est barrée ou perdue, la tentation est grande ( et logique ) de se replier vers ce que l'on connaît. Beaucoup de jeunes musiciens procèdent de conservatoires ou de départements de musicologie universitaire et ont côtoyé ainsi le répertoire classique. Cela se sent chez Hazpiq. Ceci n'est pas un reproche. Simplement cette constatation que musique populaire et musique savante se croisent plus souvent qu'on ne le pense. Que la dichotomie que l'on tend pour des raisons idéologiques culturelles à instaurer n'est pas aussi naturellement fondée que l'on pourrait l'accroire.

Damie Chad.

 

VII

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

 

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

 

24

Le Chef déposa sa valise sur le bureau et entreprit de sortir un par un une myriade de Coronados qu'il classa méthodiquement dans différents tiroirs.

    • Chef, je suis sûr que vous revenez de Nice !

    • Agent Chad, l'on ne peut rien vous cacher, j'en ai profité pour passer en Italie avec mon ami Vince Rogers, en ce pays béni des Dieux la maffia vous vend le Coronado pour quelques piécettes, j'en ai commandé un lot de huit tonnes, ils me seront livrés d'ici deux à trois jours, ah, j'oubliais le plus important, la fameuse boîte à sucre que nous recherchions, la piste d'Eddie Crescendo s'est révélée très fructueuse, tout le mérite en revient à Vince Rogers, qui...

    • Chef, pour ma part j'ai enquêté sur la villa de Thérèse, savez-vous qu'au début des années quatre-vingt, elle a été louée par Eddie Crescendo, et aux dires du patron de l'agence de location, il n'y venait que pour de brefs séjours, elle devait lui servir de garçonnière !

    • Très bonne initiative, agent Chad, mais Vince Rogers a tapé dans le mille, il a recherché dans de vieux annuaires s'il n'y aurait pas quelques parents lointains qui s'appelleraient Crescendo, l'est tombé sur une Angèle Crescendo, ni plus ni moins que la pauvre mère d'Eddie Crescendo ! Très émue par le coup de téléphone de Vince, elle nous a donné rendez-vous et...

    • Elle possédait la boite à sucre !

    • Agent Chad, vous n'y êtes pas du tout, la pauvre vieille, une nonagénaire bégayante et atteinte d'Alzeinmher ne savait même plus qui était Eddie, une idée fixe dans le seul neurone qui lui restait, nous montrer sa collection de boîtes à sucre, plus de mille, nous en avons ouvert plusieurs centaines avant de trouver la bonne... la voici !

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Une boîte à fer blanc, comme l'on en trouve dans tous les buffets de France, le couvercle de celle-ci présentait l'image d'un petit chien à l'air fripouille qui ressemblait un tant soit peu à Molossito. Je soulevai le kilo de sucre qu'elle contenait, je pensais tomber sur le volume 2037 de la Série Noire, mais il n'y avait que quelques feuillets recouverts d'une fine écriture. Je sursautai en lisant le titre inscrit en grosses lettres noires sur la première page : MEMOIRES D'UN GSH !

Je me plongeai immédiatement dans la lecture de ce frère d'armes spirituel. Le Chef en profita pour allumer un Coronado.

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'' Un jour, alors que j'ai réalisé la découverte la plus importante de l'humanité, peut-être ne se souviendra-t-on de moi que comme le mystérieux auteur du volume 2037 de la Série Noire intitulé L'homme à deux mains. Une blague idiote. Il faisait froid et j'avais faim, j'ai arrêté la voiture sur le parking du premier restaurant venu. Il était plein comme un œuf. Il ne restait plus de libre qu'une table à deux places qu'un serveur désignait à un client qui m'avait précédé de quelques mètres. Un individu conciliant, il accepta qu'un inconnu s'assît en face de lui. Deux ou trois bouteilles de Bourgogne plus tard nous étions de vieux amis. C'était Robert Soula le directeur de la célèbre Série Noire, quand je lui avouai mon état de détective il fut aux anges. Le vin aidant nous imaginâmes que j'étais à la poursuite d'un tueur en série surnommé par les journaux L'homme à deux mains, car l'on retrouvait toujours sur les lieux du crime deux victimes atrocement mutilées... nous délirâmes à tel point qu'il me promit que cette histoire farfelue et stupide deviendrait une légende car il donnerait ce titre et un numéro à un livre qui ne serait jamais édité... Il tint parole. Pour ma part j'entretiens la légende en expédiant à mon bureau un colis que je déclarerais à ma secrétaire être le service de presse de mon roman !''

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Je toussotais pour signifier au Chef, perdu dans ce je nommerais une étrange rêverie, que j'avais fini la lecture de l'ensemble des feuillets dont je ne vous ai, chers lecteurs, retranscrit que les dernières lignes.

    • Agent Chad, nous ne sommes pas au bout de nos peines, certes l'énigme de l'identité de l'homme à deux mains est résolue, nous savons qu'il est inutile de nous lancer sur ses traces puisqu'il n'existe pas, par contre j'avoue que les premières pages de ce document, tout incompréhensibles qu'elles soient m'ont glacé le sang, beaucoup plus que les tueurs de l'Elysée que nous avons promptement envoyés au paradis voici trois jours.

    • Chef, je l'avoue que je n'y comprends plus rien, quel rapport entre l'Elysée, les réplicants, Eddie Crescendo, et le rock'n'roll, plus je réfléchis plus il me semble que le puzzle contient au minimum une pièce de trop !

    • Agent Chad, je pense que vous êtes sur la piste, demain matin huit heures, je vous veux au rapport, j'exige que vous m'apportiez non pas un début de piste mais la solution au problème mathématique de la boîte à sucre.

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Les chiens ne m'avaient jamais prêté une attention aussi forte. Molossa et Molossito ne quittaient pas main droite de leur regard. Il faut avouer que je manipulais des denrées qu'ils appréciaient hautement. J'avais ouvert la boîte de sucres que contenait la boîte à sucre de fer blanc dans laquelle Eddie Crescendo avait caché ses si précieuses notes manuscrites.

    • Regardez bien mes chéris, cette rangée est formée de quatorze sucres, parallèlement vous trouvez trois autres rangées, ce qui fait Molossito ?

    • Ouah ! Ouah ! Ouah ! Ouah !

    • Très bien Molossito, quatre rangées tu as raison, ce qui nous donne combien de sucres Molossa ?

    • Ouah !

    • Exaxt Molossa, cinquante-six, or combien y a-t-il de couches de rangées superposées Molossito ?

    • Ouah ! Ouah ! Ouah !

    • Trois, très bien Molossito, donc combien de sucres au total Molossa ?

    • Ouah !

    • Cent soixante-huit en tout, tu es une vraie calculette Molossa, or regardez de ma poche je tire le sucre que Molossito a trouvé dans l'escalier de la villa de Thérèse, ce qui fait ?

    • Ouah !

    • Cent soixante-neuf, merci Molossa, pour une boite qui en contient cent soixante huit, donc Molossito, il y en a combien de trop ?

    • Ouah !

    • Un, merci Molossito, tu comptes comme un grand !

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Le lendemain matin nous répétâmes l'expérience devant le Chef. Son visage s'éclaira. Chers lecteurs, il avait compris lui !

( A suivre... )

04/11/2020

KR'TNT ! 483 : DAVE KUSWORTH / COUNTRY TEASERS / BLONDSTONE / JOHNNY BURNETTE ( + R'N'R STORIES ) / ROCKAMBOLESQUES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 483

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

05 / 11 / 20

 

DAVE KUSWORTH / COUNTRY TEASERS

BLONDSTONE / JOHNNY BURNETTE ( + R'N'R STORIES )

ROCKAMBOLESQUES

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Un Kusworth qui vaut le coup

Alors qu’une moitié de la planète se réjouit de la disparition de Dave Kusworth («Ah encore un drogué de moins !»), l’autre moitié se morfond dans un abîme de chagrin. Jusqu’en septembre dernier, Dave Kusworth était encore une légende vivante, une race qui est comme vous le savez en voie d’extinction. On le vénérait pour sa fière allure (cool Keef clone) mais surtout pour ses chansons. Oui, Kus est infernalement doué, tellement doué qu’il finissait par faire de l’ombre à son complice Nikki Sudden, tout aussi légendaire, mais trop mélancolico-dylanesque, alors que Kus remplissait des albums entiers de compos somptueuses qui avaient pour particularité de sonner comme des hits imparables dès les premières mesures. Ce n’est pas courant. Avec Kus, Brian Wilson, Frank Black, Bob Mould, Lanegan et Robert Pollard comptent parmi les surdoués de la surenchère compositale.

En quasiment quarante ans de «carrière», Kus a enregistré une bonne vingtaine d’albums, soit en solo soit en tant que Jacobite à l’air avec Nikki Sudden. Dans le cas d’un cat comme Kus, on peut parler véritablement d’une œuvre car bon nombre de ses albums sont devenus des classiques, dans l’underground, c’est vrai, mais chacun sait que c’est l’underground qui choisit les élus, et non le mainstream. Quand on parle de classic album, il faut l’entendre au sens artistique. Lanegan et Kus sont des auteurs classiques, au même titre qu’Apollinaire et Guy Debord. Supertramp, Dire Straits et Barbara Cartland ne sont pas des auteurs classiques, mais simplement des machines à fric, ce n’est pas la même chose. Tant mieux pour eux, mais si tu préfères l’oxygène, c’est Kus qu’il te faut.

Quand on n’a pas le privilège de connaître l’homme, alors il faut savoir se contenter de l’œuvre. Et quelle œuvre ! Nik & Kus enregistrent le premier Jacobites en 1984. Ils fondent une sorte de lignée romantico-balladive directement inspirée du côté tendre de Keef. Le «Big Store» qui ouvre le bal de l’A reste du Sudden classique, un mélopif extrêmement prévisible. Aucune surprise n’est possible chez Nikki, tout est claquemuré dans une insondable mélancolie - Say my love to the girl in the big store - Les deux points forts de l’album sont «Hurt Me More» où Kus se tape une belle partie de slide dans l’esprit de «Dead Flowers», et «Kings And Queens», fantastique élégie qui finit par sonner comme un hit. Eh oui, Kus signe ce big balladif gratté à la merveilleuse insistance. Ils s’inscrivent avec ça dans la tradition du mythique «You Got The Silver». Ils baignent aussi leur «Silver Street» dans l’ambiance de «Sister Morphine». En B, «Hanging Out The Banner» fait dresser l’oreille, grâce à son élément tri-dimentionnel. Kus rôde dans le son avec de vieux arpèges de cristal. Et puis voilà «Need A Friend» qui sonne comme un balladif enchanté gratté à coups d’acou charmants. Tout est monté sur le même modèle, avec une foison de coups d’acou. Dans la réédition CD de Jacobites, on trouve l’EP Shame For The Angels qui est assez explosif, ne serait-ce que par le morceau titre, cut esprit-es-tu-là en forme de cavalcade effrénée. Encore une fournaise de taille avec «Fortune Of Fame». Oui, ça peut chauffer chez les Jacobites à l’air. C’est même très hot. Et quand on tombe sur «Heart Of Hearts», on crie au génie, ca voilà un hit faramineux, mélodiquement invincible, avec tout le power de la romantica. Rassurez-vous, on retrouvera cette merveille un peu plus loin dans ce panorama.

Dans les liners, Nikki raconte qu’il a rencontré Kus à l’époque où il jouait dans les Subterranean Hawks et qu’il le trouvait extrêmement doué. Il lui indiqua qu’il aimerait bien monter un groupe avec lui si les Hawks splittaient, ce qui allait se produire en 1982. Nikki sentait qu’ils pouvaient bien cliquer ensemble. Il raconte aussi qu’à l’époque de leur rencontre, ils chantaient dans la rue tous les deux pour se faire un peu de blé (busking). Un jour, Nikki alla acheter un paquet de clopes et à son retour, Kus avait composé «Kings And Queens» - the all-time Kusworth classic - Il indique aussi que la photo de la pochette fut prise dans la cuisine de l’appart qu’ils occupaient sur Norwood Road, à Brixton. C’est aussi l’époque où Kus joue encore dans les Rag Dolls à Birmingham.

Ça tombe bien, car un digipack des Rag Dolls est arrivé sur le marché en 2015. Il s’appelle Such A Crime et vaut le détour car Kus y rend hommage aux Dolls, particulièrement avec «Fortune Of Fame» qu’on retrouve d’ailleurs sur le Shame For The Angels EP. On croirait y entendre la guitare de Johnny Thunders. Lorsqu’on entre dans cet album, on est vite surpris pas la qualité des cuts, par ce big tempo de Kus on the run. Ils font pas mal de power-pop («Pin Your Heart To Me») et Kus cavale bien son affaire avec «What You Don’t Know (You Don’t Show)». Le son est là, bien présent. Avec «Lucky Smiles», les Rag Dolls rendent hommage aux Stones et aux Beatles, ceux de la période psyché («Rain»). Et puis voilà un «Nine Times Out Of Ten» assez puissant, presque garage, bien bardé de barda. C’est incroyable comme ils sont bons. Et puis alors qu’on ne s’y attend plus, une énormité surgit : «Snow White», un slow rock gorgé de son. C’est inespéré de qualité. Sur certains cuts on entend même du sax. Ces mecs ont des moyens considérables. Vers la fin du disk, vous trouverez aussi une version live de «Fortune Of Fame» et deux démos de répète, «Silken Streets» et «Vanity Box». Kus avait déjà tout à l’époque. Dans les liners du Rag Dolls, Pat Fish rappelle tout de même que l’idée des Rag Dolls ne plaisait pas trop à Nikki qui voulait avancer avec les Jacobites à l’air. Dès que les Rag Dolls ne jouaient pas, Nikki jammait avec Kus pour préparer Robespierre’s Velvet Basement, n’hésitant pas à reprendre certains cuts des Rag Dolls. Fish rappelle aussi qu’en voyant la pochette du premier Jacobites, il s’était dit que le type de droite semblait destiné à orner les pochettes. Eh oui, Kus avait déjà l’allure d’une rock star. Il ajoute qu’il s’inspirait de toute évidence du Keef de la période la plus dissolute, celle d’Exile, mais qu’il allait par la suite réussir à créer son propre style. Il n’empêche nous dit Fish que si Keef est un père parfait pour Jack Sparrow dans Pirates des Caraïbes, Kus ferait un oncle idéal. Tim Sendra dit aussi que Kus is one of the most exciting electric guitatists on this island, both powerful and melodic. Bien vu, Sendra.

Avec Robespierre’s Velvet Basement, on entre dans l’âge d’or du team Nik & Kus. Ils sont même au sommet de leur art avec trois Beautiful Songs : «Snow White» (cut de Kus dans les Rag Dolls), «Ambulance Station» et «I’m Just A Broken Heart». «Snow White» est même un balladif plus enchanté qu’enchanteur, comme éclairé de l’intérieur, en tous les cas, il séduirait un régiment de hussards. Ces deux dandies se situent dans la parfaite expressivité du rock anglais, dans l’essence même de ce qui en fait le classicisme. Ils chantent leurs trucs au clair de la lune. Il semble que ce soit Kus qui chante «Ambulance Station», parfait balladif intimiste et mordant. On peut dire la même chose de Broken Heart, chanté à deux voix, chargé de British melancholia, autre merveille jacobine. On entend même des chœurs timides derrière. Effet pince-cœur garanti. C’est d’ailleurs le décalage des chœurs qui fait la grandeur du cut. Tiens, la dernière chanson de la B est aussi une Beautiful Song. Nikki chante «Only Children Sleeping» sur du velours, des notes de mandoline s’égrènent autour de lui alors que les chœurs à la dérive passent au loin. Tout flotte en suspension, à la pire admirabilité des choses. On soulignera aussi la qualité du «Big Store» d’ouverture, rescapé du premier album, quasiment mad psyché bien soutenu par une sorte de tension virale. «Fortune Of Fame» revient aussi à la surface. C’est excellent, bien vivace et serti d’un solo joué sur une note. Quelle classe ! Avec «Where The River End» Nik & Kus nous proposent un mid-tempo longitudinal hanté par une phrasé symptomatique. Ils font du rock richissime. Ils semblent parfois se livrer pieds et poings liés à la facilité, comme on le constate à l’écoute d’«All The Dark Rags» - And I don’t know what to do/ Don’t know what to say/ Who cares anyway - C’est vrai, tout le monde s’en fout.

Les voilà tous les deux perdus dans un océan d’écharpes en soie pour Lost In A Sea Of Scarves paru en 1985. Le hit de l’album s’appelle «Heart Of Hearts» et on se régale de sa fluidité mélodique. C’est une admirable déculottée de belle eau pure, le véritable archétype de l’apanage jacobin. Un jolie bassline porte le doux beat des Jacobites à l’air. Ils ouvrent leur bal d’A avec le vieux «Shame For The Angels», rescapé de l’EP du même nom, un bel up-tempo cavaleur, selon la formule Sudden. Mais le reste de l’album ne provoque pas forcément d’émoi dans les muqueuses. Ils ne cherchent pas à réinventer le fil à couper le beurre, ils se contentent de ressortir quelques éclats de «Moonlight Mile» dans «Sloth» et de cultiver leur profond désespoir dans «Before I Die» - Before I die/ let me talk to you.

En 1987, Kus souhaite faire un break avec les Rag Dolls et les Jacobites, alors il monte les Bounty Hunters avec Alan Walker, Glenn Tranter et Mark McDonald. On les voit tous les quatre au dos de la pochette de leur premier album simplement titré The Bounty Hunters. Album intéressant, beaucoup plus vif et alerte que les albums des Jacobites à l’air. Kus et ses amis démarrent avec «Riches To Rags», un beau pulsatif effervescent et fragile à la fois, une énergie qu’on va retrouver en B dans un «Sleeping Love» doté d’un refrain bien élastique - Is anybody going to help my sleeping love - Et toujours ce son de guitare tiré à quatre épingles. Kus monte sa pop en neige et cette façon qu’il a d’appeler sa poule my angel ! Et puis alors qu’on ne s’y attend pas du tout, Kus nous fait le coup du lapin avec «A Puppeteers Son». Le cut éclate dans les montées de gamme - Chasing clouds in the morning sun - Le grand art de Kus consiste à l’élever soudainement - Whats it all to a puppeteers son/ As I sit watching clouds in the morning sun - Kus dispose d’un talent pour la mélodie qui va exploser au fil des albums à la face du monde. Encore une chose intéressante : «A Very Good Wife» sonne comme l’early Bowie de «Space Oditty». Kus tente d’étendre son balladif jusqu’à l’horizon. On les voit aussi développer une jolie power pop dans «Orphan (All His Life)». Serait-ce leur beat de prédilection ? Allez savoir ! Tous les cuts de l’album sont admirablement bien ficelés, «The Story So Far» vaut pour du big atmospherix de sweet sweet love gratté à la wild romantica. Autre bonne surprise : «A Glimpse Of Your Heart», heavy balladif solidement ouvragé et décoré de beaux arpèges scintillants, un cut long et doux au regard comme une campagne anglaise, ou une compagne sensuelle, au choix. Kus n’en finit plus de produire de l’enchantement. Il nous gratte ensuite «To My Love» à l’acou sauvage, mais c’est une énergie différente de celle des Jacobites à l’air. Alors attention, car sur la réédition CD de l’album chez Easy Action, les bonus raflent la mise, et ce dès l’effarant «Hooked To Your Heart», pus jus de Stonesy claironnante. On voit que Kus aime la musique d’amour alors wham bam, il ramène dans ce cut charmant et capiteux tout le tatapoum dont il est capable et c’est la fête au village. Les virées de basse dans «Broken Tooth For A Broken Heart» sont superbes, le son te court entre les jambes. On sent encore l’orfèvre dans «The Kiss That Cuts In Half». Avec Kus, ça prend vite des proportions spectaculaires - In the garden of the kiss - Quel fabuleux heavy balladif ! Kus rajoute des couplets pour le cas où on n’aurait pas compris. On reste en territoire sacré avec «Apartment To Compartment». Fantastique power, Kus est prolifique en matière de dégelées mirifiques, il arrose ça au solo de feu, il jerke son cut à la flambée sonique. C’est gorgé de disto aphrodisiaque. Kus a du génie, maintenant tout le monde le sait. Et ça continue avec «Blood On Your Knife». Il part en mode gaga brit mais sur le beat des démons de Birmingham. Il excelle dans le demonic. Il fait du shhhh pour calmer sa bête mais elle repart de plus belle. Il sait aussi chanter à la folie Méricourt. Bel hommage aux Stones avec une cover de «Child Of The Moon». Heavy rampage d’hommage, dirons-nous. Inespéré de grandeur tutélaire. Aw my child of the moon, Kus le chante heavy, à la meilleure heavyness de fan transi. Ça se termine avec un hommage à Dan Penn, une reprise d’«Im Your Puppet». Merveille des merveilles. On est content d’avoir rencontré Kus, rien que pour cette cover. Kus et Dan même combat ! Il se fond dans le mood du génie de Dan Penn. Voilà une cover fabuleusement sonnante et trébuchante. Ce démon de Kus la soigne, on peut lui faire confiance. Il pipette dans l’éther.

Leur deuxième album s’appelle Wives Weddings & Roses et retombe malheureusement comme un soufflé. Ils attaquent pourtant à la Stonesy pure avec un «Yesterday’s Hearts» ultra-joué aux belles guitares de Kus. Il sait doser son éternité et s’installe pour jouer à l’abri des critiques, au plus profond de l’underground. Mais l’album s’enferre ensuite dans une romantica de bon aloi, avec des choses comme «All The Violet Lights», un balladif chargé de don’t cry for innocence, don’t cry for pain, don’t cry for her/ In this wedding game. Avec «Streets Of Gold», il sonne comme «Heart Of Gold». II faut attendre «Riverboat Blues» pour frémir un court instant, car ce rock kussy se révèle être d’une belle tenue compatissante.

Le troisième album des Bounty Hunters s’appelle Threads A Tear Stained Scar et sort sur Creation. On les voit assis tous les quatre sur un lit, avec au premier plan un Kus un peu prostré. Il démarre avec une belle lichée de pop languide intitulée «Everything’s For Her». Kus adore les horizons flamboyants. Ils va toujours chercher à atteindre le mieux des possibilités. S’ensuit un big Bounty rock intitulé «Threads». Ces mecs savent jouer de la cisaille. On ne peut pas se lasser de ce son plein et de l’excellence de la prod. Et ça monte encore d’un cran avec «From Your Eyes», une sorte de petite apothéose psyché qui fait dresser l’oreille. Le refrain est de ceux qu’on qualifie habituellement de vainqueurs. Il emporte tout. C’est avec ce genre de cut qu’on commence à prendre Kus sacrément au sérieux. «Another Change Of Heart» sonne dès les premières mesures comme une beautiful Song. Just perfect, dirait l’Amiral Nelson à Trafalgar. C’est un balladif de l’âge d’or kusworthien visité par les vents d’Orient et il fait monter son dernier couplet d’un ton. Admirable ! Et la B ? Pareil, ça sonne dès «Hooked To Your Heart», avec une sacrée virulence dans l’excellence. Kus ressort enfin sa Stonesy et claque sa riffalama à tout va. Il enchaîne avec «I’ll Be Your Angel Again», un balladif de très grande envergure. On note l’admirable aisance de Kus à kisser the sky. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises car voici «A Picture Of You» qu’il va gorger de jus d’acou et doter en prime d’un final éblouissant. Kus n’en finira donc jamais d’exceller ? Apparemment, non. Il passe ensuite à un solide slab de pop rock gorgé de guitares er de chœurs d’Hunters. Oui «Hanging Your Arms» sonne comme un hit underground et cet album inespéré s’achève avec «In What She Says», un balladif qui enrichit les pauvres et qui rehausse l’éclat des cathédrales.

En 1991, Kus enregistre un album solo avec Glenn Tranter et deux autres mecs. All The Heartbreak Stories est un album très beau et très recueilli. Kus drive sa pop de troubadour dans les aléas des arpèges célestins. Ce beautiful jouvenceau gratte ses poux sous les remparts de Birmingham. La perle de l’album s’appelle «One Sunny Morning» et Susan Dillane l’éclaire de sa voix diaphane. On se régalera aussi de «The Last Drop Of Wine», car on y entend les oiseaux. Une flûte favorise le transfert intestinal. Toute blague à part, c’est excellent car gorgé de bonne énergie. On s’émerveille ici et là de la transparence des thèmes. Kus invente un genre nouveau : le groove préraphaélite, une sorte de perfection artistique translucide, pas facile à manier, mais ça marche. Voilà ce qu’il faut retenir de Kus : sa quête du Graal. Il s’arrange toujours pour finir en beauté comme c’est le cas avec «Lost Words». Pour «The Most Beautiful Girl In Town», il fait le choix du boogie urba orbi. C’est très spécial. Il moissonne ses coups d’acou et des filles font les chœurs. Ce mec a du son et du yeah yeah à revendre. Il faut bien dire qu’il ne relâche jamais la pression, il orchestre tous ses cuts au mieux des possibilités, il romantise et il électrise à gogo, comme le montre le morceau titre. On croit parfois entendre Nikki, mais non, Kus mène sa barque, son goût du balladif le conduit loin en amont du rock, il tâte du big heavy groove d’arpèges. Il termine avec «I’ll Be Your Angel Again», et n’en finit plus de faire son Nikki, broken legs and broken glass, et replonge de plus belle dans la romantica. Il pourrait commencer à nous fatiguer, mais il ramène toujours des retours de manivelle. Il Kusse sa légende jusqu’à la dernière goutte de son.

Deux ans plus tard, les Jacobites font un retour en fanfare avec Howling Good Times. Un album considéré comme le classique des Jacobites à l’air, au point que Troubadour en ressort une version enhanced en 2009. On trouve sur Howling deux joyaux de la couronne, «Don’t You Ever Leave Me» et «Chelsea Springtime», co-écrits par Nik & Kus. Le premier sonne comme un hit dès l’intro, les guitares sont vertigineuses et dressent une fabuleuse cathédrale de son. Quelle science de la prescience ! Bouquet final hallucinant, Kus dresse des tours de heavy riffing. Par contre, «Chelsea Springtime» est monté sur le modèle de «Sister Morphine», au suspensif du suspense. Avec ce turn-over, ils montrent qu’il savent retourner une savonnette pour qu’elle mousse jusqu’au paradis. Oui ils cultivent ensemble l’art des passages d’accords paradisiaques. Ils gerbent des régalades de boisseaux d’argent. Leur musique contient des développements de paysages d’une beauté surnaturelle. Puisqu’on rend surtout hommage à Kus, on pourrait se contenter de mettre le focus sur ses compos, comme par exemple «100 Miles From Here», dont la romantica s’étend jusqu’à l’horizon, ou encore ce «Some People» beaucoup trop bardé de barda. Quant aux compos de Nikki, pas de surprise, il cultive toujours ses vieux accents dylanesques, il adore traîner sa voix dans le gutter de feu, mais son «Older Women» finit pas tourner en rond. On est avide d’aventures, mais là, pas d’aventure. Comme souvent, c’est dans les bonus qu’on trouve le plus de viande, et sur l’enhanced, on a un disk entier de bonus, alors miam miam. «Can’t You See» sonne comme une invasion par la côte. Ils jouent le meilleur boogie rock d’Angleterre. Ces mecs avancent en terrain conquis. Dans les Trident Sessions, on retrouve tous les grands hits de Nik & Kus : «Heart Of Hearts» (magique), «Silver Coin» (d’une infinie mélancolie, donc forcément beau), «Liquor Guns & Ammo» (belle histoire que raconte Nikki - Liquor guns & ammo made a man of me), «That Girl» (pus jus dylanesque, yeah yeah just you that girl), «Puppeteers Son» (Balladif de très très haut vol, merci Kus). Et puis il y a le Making Of d’Howling sur DVD. Ce petit film sans prétention de Stephen Gridley montre bien l’ambiance d’une session d’enregistrement. Ça se passe en 1993 au Woodbine St. Studio. Dans la première scène, Carl Eugene Picot (bass), Mark Williams (drums) et Kus jamment tous le trois sur «Don’t You Ever Leave Me». La scène vaut vraiment le détour car on y voit Kuss riffer sur une Tele et wow, quelle classe et quel son ! On s’y rince bien l’œil. Pendant tout le film, Kus porte des tas de bracelets, des shades et cette grosse casquette noire de Gavroche à la Keef. Il n’en finit plus de voler le show.

L’Old Scarlett des Jacobites à l’air pourrait bien être leur meilleur album. On y trouve au moins cinq coups de génie signés Kus, à commencer par «Over & Over», chargé comme une mule de Stonesy et d’hospital. Power & style ! Giclée historique ! Over and over I care for you. Rien de plus beau que l’instance du chorus de guitare dans l’écho du temps et la dégringolade du refrain dans le lagon d’argent. Kus appartient à la caste des plus grands rockers d’Angleterre. Nouveau coup de Jarnac avec «Falling Apart». Les cuts de Kus mordent aussitôt, ils sont d’une effarante qualité, le son s’envole comme dans un rêve de rock anglais, c’est-à-dire comme chez les Beatles et les Stones. On retombe plus loin sur «Puppeteers’s Son». Comment s’y prend-il, on ne sait pas, toujours est-il qu’il réussit chaque fois à transplanter l’ambiance, à ressortir des Jacobites à l’air pour faire du Kus, il échappe aux routines, c’est miraculeux, il crée une ambiance slightly différente, mais ça suffit car ça devient vite fascinant, même chanté à la glotte blanche. Les atonalités mélodiques relèvent du pur génie constructiviste. Il y a même des étapes de chant intermédiaires absolument poignantes. En fait on aime bien Kus car il peut nous pondre «Love’s Cascade», un cut d’une telle beauté qu’il finit par exploser. C’est dirons-nous une power pop exubérante noyée d’accords, claquée dans l’azur immaculé, avec en plus des solos de Kus absolument dévastateurs. C’est lui qui referme la marche avec «Wasted». On salue chaque fois le retour de Kus, car chaque fois ça redevient fascinant : toutes ces guitares ! Et ce beat ! Et cette énergie ! Il est l’un des dieux du rock anglais, il faut entendre ce son saturé d’électricité, c’est inespéré de big improving DK, aw wasted, il faut voir comme ça dégouline de jus. Quant aux compos de Nikki, elles semblent toutes taillées dans le même son : esprit dylanesque et nappes d’orgue pour «When Angels Die» et «Boutique». Il ne parvient pas à larguer les amarres. «What Am I Living For» pourrait se trouver sur un Dylan de l’âge d’or. On aime bien Nikki, mais on a bien compris que le magicien dans cette affaire, c’est Kus. «The Rolling Of The Hearse» ne marche pas non plus.

On retrouve Nik & Kus sur Kiss Of Life, un album live enregistré à Hanovre en 1995. Live, leur son se caractérise par une stupéfiante musicalité. Ce qui semble logique vu qu’ils jouent à trois guitares : Nikki, Kus et Glenn Tranter. On les sent aussi très déterminés sur «Older Woman», gratté au contrefort d’acou avec un thème en disto brodé au long cours. Que de son ! Nikki chante au nez pincé, comme son idole Bob Dylan. On trouve en fin d’A une fantastique version de «Kings And Queens», monté comme les autres cuts sur un heavy heartbeat et ravagé par une mélancolie constante. Pourtant, Nikki vise la flamboyance, il s’en donne les moyens, il chante à l’éperdue jacobite ses rois et ses reines, alors oui, c’est vrai, ça sonne comme un hit, les accords scintillent dans l’éclat mordoré d’un verset rimbaldien. Le «Road Of Broken Dream» qui ouvre la bal de la B sonne aussi comme un classique jacobin. Ah ces vieux classiques un peu froissés, on les reconnaîtrait entre mille ! Et Nikki annonce : «This is Dave Kusworth on lead guitar !» Ils continuent d’enchaîner leurs petits mid-tempos narrant des épisodes de la vie de bohème. Les cuts fuient comme les instants, parfois merveilleux, parfois transparents.

La même année paraît Heart of Hearts, the Spanish album des Jacobites à l’air qui est aussi une sorte de Best Of. On les retrouve dans leur exercice de style préféré, la Stonesy. Ils pompent l’intro de «Street Fighting Man» pour leur «Can’t You See». Ils renouent avec toute la bravado des Stones, cette flamboyance à jamais perdue. Ils chargent la chaudière avec du piano, et Kus n’en finit plus d’essayer de rallumer ce vieux brasier. Puis ils vont faire un peu de boogie avec «She Belongs To You», un peu de balladif tentaculaire avec «Liquor Guns & Ammo» et un peu de monotonie avec «Penicillin».

Nouvel album solo de Kus en 1996 : Princess Thousand Beauty. Un bon conseil, chopez l’enhanced paru en 2014, car il grouille de big bonus. Et vous l’avez bien compris, les bonus de Kus valent tout l’or du monde. Dès le morceau titre d’ouverture de bal, on est conquis comme une ville d’Asie mineure au temps d’Alexandre le Grand. Kus nous propose un big heavy groove somptueux - Here she comes now - S’ensuit un terrific «Temptress» chargé de you got a love life et traversé de fusées de disto jusqu’à une fin apocalyptique. Encore une fois, tout l’album est bon, largement au-dessus de la moyenne des albums de rock anglais. Kus sait allumer un cut à la petite voix et comme le montre encore «Stangers Together», il peut sortir le meilleur son du monde. Kus croit encore au bonheur avec «Always Be There For You», puis il drive «She Lives In A Movie» avec du happening d’au fur et à mesure et du beau solo à n’en plus finir. Retour au heavy balladif avec «Just A Girl». Il sait doser ses effets et passer des solos liquides. Sa passion pour le beau formel vaut bien celle de Keef. Kus ne jure que par l’émotion, alors il éclate chaque cut au meilleur shaking. Tout est extrêmement bien balancé, dans l’intention comme dans le son. Il adore l’idée d’une «Fantasy Island». Il oblique même en cours de groove, c’est du sérieux, il va chercher la vraie vibe en passant par des petits ponts. Et pouf, il termine avec une cover de «Sympathy For The Devil» biens secouée aux maracas. Kus tente le diable, il n’est plus à ça près. Please allow me, il paraît trop appliqué, on sait bien qu’il en pince pour Keef, alors il opte pour une version hantée. Il n’a pas la niaque de Jag alors il fait du great big Kus. Il connaît les paroles par cœur. Le disk de bonus équivaut à une overdose. Donc il faut rester prudent. Il joue 17 cuts live à coups d’acou, accompagné par Glenn Tranter. Dans «Shame For The Angels», on entend les accords d’«All Along The Watchtower», exactement les mêmes, outside in the cold distance, ces deux démons claquent tous les coups permis en matière de coups d’acou, awite ! C’est un festival, ils frisent l’espagnolade. Kus lance à un moment : «I guess you know that one and it’s called Torn Pages.» Il croit que les gens connaissent ses chansons. Il joue cependant avec toute la maestria dont il est capable et il devient héroïque. C’est le destin d’un mec comme Kus : devenir héroïque, perdu dans le néant des petits booklets d’Easy Action. Un mec si brillant. Il en perd sa voix à force de wanna kiss you. Ce démon de Kus tartine la même plaintive de romantica à longueur de temps et se condamne aux ténèbres de l’underground. Et quand on écoute ça, on pense à tous les fans qui ne pratiquent pas l’Anglais et qui assistent au concert sans comprendre ce que raconte Kus. Comme ça doit être long ! Oui, car le set live dure plus d’une heure et au bout d’une heure, Kus ne fait plus illusion. Mais il ne lâche rien, il gratte encore ses poux, cuts after cut. Comme s’il grattait en désespoir de cause. On l’a dit : héroïque. Il est increvable, il repart de plus belle avec «It’ll All End Up In Tears» et ressort du passé le vieux «Fortune Of Fame», histoire de piquer une violente crise de coups d’acou, but the fame, yeah baby, what a fortune that you broke my heart. Cut très fascinant, claqué à l’adossée d’accords et soloté à la note d’acou fébrile. Kus sait secouer un cocotier sans électricité. The bluesy one annonce-t-il et pouf, il envoie une cover de «Bright Lights Big City». Il n’a plus de voix, mais c’est un héros. Il groove ça au bord de la route, il est épuisé, néanmoins il y va - It sums off my feelings sometimes, you should recognize this one - Oui, il enchaîne avec une version magique de «Dead Flowers», alors on est bien content d’être resté jusqu’à la fin. Kus rentre dans le lard de l’upholstered chair et du don’t you know, il se prend pour Keef, mais un Keef crucifié au Golgotha. Oui, Little Susie, Kus te crie sa flamme, il accompagne le pain away de Keef with a needle and a spoon, il fourbit son petit solo d’acou de sortie, take me down, I know you’re the queen of the underground. Il finit avec «Before I Die» et comme il est à bout, il gratte comme un forçat. Ça reste bardé de barda jusqu’au bout.

Dernier album des Jacobites à l’air en 1998 : God Save Us Poor Sinners. C’est Nikki qui compose le morceau titre, une violente flambée de Stonesy. Pus jus de bienvenue. Ils tentent bien le diable. Ça repose sur de solide piliers. C’est bien sûr Kus qui signe le hit de l’album, «Heartbreaks», les accords fuient sous l’horizon, c’est encore une fois gorgé de son, Nikki se fond comme il peut dans le vent du Nord, c’est servi sur un plateau d’argent avec du Kus plein les chorus. L’autre merveille de l’album s’appelle «So Unkind», slab de heavy rock taraudé au Kus. Ils savent claquer des retours de manivelle, ils cognent dans le mur du son, avec des effets de bas de manche à gogo. Ils envoient aussi ad patrès l’excellent «Cramping My Own Style», une belle déboulade que Kus arrose de jus de chaussette. Avec «I Miss You», ils retombent dans la Nikkimania, ce mec adore tartiner sa romantica, alors il tartine. Ils grimpent le «Wishing Well» d’Epic Soundtrack au sommet du rocking troubadourism d’Albion, ooh baby what you’re wishing for - Tout cela reste énorme.

En 2001, Kus entre dans une nouvelle ère magique avec les Tenderhooks et un premier album, Her Name In The Rocks. Ils ne sont que trois, Kus, Dave Twist au beurre et Dave Moore on bass, the three Dave. Pas de problème. Tu veux des coups de génie ? Tiens en voilà un qui s’appelle «Children Of The Computer Generation At Our Feet». Kus fond sa romantica dans le sleaze et le son coule de partout, ses solos éclatent au grand jour et quand il reprend la main, c’est toujours avec une maîtrise qui laisse coi. Il mise tout sur la saturation du son, mais en même temps il ramène des éclairs de chant lumineux. Il démolit ses accents dylanesques dans les descentes, il dévale littéralement sa mélodie et se racle le kul dans des grumeaux de computer generation. On voit rarement de telles descentes. Kus ramène toujours plus de son dans son monde. Le «Citizen» d’ouverture de bal est d’une violence sans appel. Ça t’explose en pleine gueule, attention ! Il taraude le rock anglais à coups de city sin. Profitez-en bien car vous ne recevrez pas tous les jours des giclées de cette qualité dans l’œil. Dave Twist bat ça au ventrail du poitrail. Son «Where The Head Used To Lay» est cousu de fil blanc comme neige, mais chargé de son à ras la gueule, comme un canon de mitraille. Le truc de Kus, c’est d’enfoncer le clou. Il va loin dans les all nite long. Nouvelle énormité avec «Threads», battu sec et net par Oliver Twist. Kus a du pot, il a de bons amis derrière lui et son rock court fièrement sous l’horizon. Il cadre au carré le power rock anglais à coups de yeah yeah yeah. «Golden Star» est aussi écrasant de son. Kus ramène des orages dans sa mélodie, il chante au pas pressé de golden star, c’est fusillé aux chorus et encore une fois très décisif. Il finit en déclenchant l’enfer sur la terre avec «Salisbury Road» et ses vagues de wah. On a là l’un des meilleurs sons d’Angleterre. C’est un paradis pour l’amateur de rock. Des vents terribles balayent Salisbury Road.

Encore un petit shoot de Tenderhooks ? Essaye English Disco, tu ne seras pas déçu du voyage. Un peu de garage à la Louie Louie ? Alors voilà «Need You No More». Kus gère ça bien wild. Oliver Twist bat tout ça en connaissance de cause et voilà un «Dandelion Boy» bien intentionné et bardé de barda. Kus passe des coups de guitare déchirants. Solide romp de downhome gravitas que ce «Tonight & Forever» et grosse désaille d’accords dans «Depressed About Nelly». Ça n’arrête pas. Kus sait mettre le turbo quand il faut. «Through & Back Again» sonne aussi comme un hit de vieux rumble jacobin et pour l’achever, Kus l’éclate au remugle de guitare. Tout ici n’est que luxe, calme et heavy sound. Quand il ressort son vieux «Blood On The Knife», il devient fou. Il cavale à perdre haleine. C’est assez spectaculaire. On se demande comment il fait pour jour aussi vite.

Le Dave Kusworth & The Tenderhooks sans titre paru en 2003 restera sans doute son meilleur album. L’album fétiche des trois Dave. Un son anglais aussi inespéré que celui des Stairs ou de Mansun. Un son immédiat. On peut même parler de démesure dès «Dandelion Boy», slab de pop-rock infiniment délectable, chantée au long du bras blanc de lock-up company. C’est comme quand tu es défoncé, tu sais que ça balance dans le bon son, alors tu peux tout comprendre. Kus c’est ça. Tu sais que tu vas t’écraser dans le mur, mais watch your body, Kus te chante ça dans l’oreille, c’est le power du shaman de Birmingham, il se fige au sommet de son art comme s’il était frappé par une balle. Rien de comparable au sommet de cet art. C’est joué magnifiquement. Il nous plonge le museau dans la légende des siècles avec «Temporary Genius». Kus devient le temps d’une chanson roi d’Angleterre, il claque son heavy balladif en toute liberté, il diligente son rock avec magnanimité. C’est une merveille. On dira la même chose d’«Another Teardrop», explosé aux remugles de guitare. Kus drives it wild. C’est un peu comme s’il jouait tout à la grandeur d’âme. Il ne se connaît aucune limite. Nouveau coup de génie avec «The Test Of Time». Le son monte bien, porté par des nappes d’orgue. Kus cherche à percer le secret du heavy balladif définitif et il le perce ici, il fait du grand art comme d’autres du grand œuvre, il fait même du génie contenu, et si l’on doit se souvenir de Kus, c’est avec The Test Of Time. Son «Depressed About Nothing» est excellent de non-prétention. Et puis il faut le voir titiller son «Stevie’s Radio Station» au tu tu tu. Il ressort aussi son vieux «Apartment To Compartment». Il l’attaque au petit gratté d’acou et ça vire heavy stuff de Kus. Alors il se met à le tortiller, il aplatit le Dylanex pour le faire entrer dans sa vision de la Stonesy, il rebat les cartes des influences, il charrie dans son flux un vrai chaos de big time. Il termine avec une resucée de «Blood On The Knife» qui vire à la stoogerie. Ce mec joue et gagne à tous les coups. Merci Kus pour cet album. Pour les autres aussi, mais surtout pour celui là. Pour le rose et gris d’une heure de pure magie.

Glenn Tranter remplace Dave Moore sur Like Wonderland Avenue In A Cold Climate paru en 2004, voici déjà 15 ans. Eh oui, ce temps qui passe et qui ne repasse pas. «It Comes And It Goes», dirait Kus qui attaque comme un géant, c’est-à-dire comme Dylan ou Lou Reed, avec la même autorité et c’est tout de suite brillant car bombardé de son, au-delà du raisonnable. Mine de rien, Kus chante le plus beau rock de tous les temps, le rock des pirates de romans d’aventures, il explose dans l’azur immaculé des Caraïbes du rock. On a rarement vu un rock aussi convaincu, aussi chargé, aussi juste, Kus outrepasse Dylan et Lou Reed, il sonne comme un démon évaporé dans l’air du temps, il se fond dans la mélasse de sa légende avec un art qui en dit long sur son côté Arsène Lupin. «The Right Track» ? Il est là, il veille sur nous. Il nous aide à ne pas sombrer dans l’ennui. Kus nous propose sa mélancolie, qui est plus belle parce que plus électrique. Kus on te suivrait jusqu’en enfer si seulement l’enfer existait. Il continue de jouer le rock de rêve, il reste dans sa veine d’imbalance Keefy, il chante la douceur maussade du void et l’éclaire de manière spectaculaire. Les nappes d’orgue nous ramènent sous le soleil de Dylan avec l’édentée de Keef, oui Kus monte les choses aux degrés mythiques, ce n’est pas par hasard qu’on cite des noms, ce fabuleux navigateur croise dans les mêmes eaux que ses modèles. Il étire ses cuts en longueur pour qu’on en profite. Le cœur sur la main. Avec «Come With Me», il s’enfonce dans le heavy beat de Tenderhook, il l’explose et revient au point de départ pour mieux repartir. Voilà qu’il décrit des cercles magiques, on l’attend et il revient, magic Kus ! Il s’accroche à «How Come I Always Dream About You» comme Brel s’accrochait à ses chansons. Kus dispose du même tonic, du même singalong. Il revient fier et victorieux au milieu des coups d’acou. Il a une façon particulière de provoquer les événements, à tel point qu’il semble lui aussi dépassé, comme emporté par les vagues. Fais gaffe amigo, c’est une drôle d’expérience que d’écouter un album des Tenderhooks. Kus shake son shook en permanence et en profondeur. Il bourre son «All I’ve Got Left» de heavy disto. Cette façon de travailler le son dans la longueur est exceptionnelle. Tout sur cet album est extrêmement joué, «Are You Girl» finit même par troubler. Trop de qualité ? Trop de power ? Et la voix de Kus en guise de cerise sur la gâteau. Il chante son gut out. Il amène son «Tell Me About Your Love» sous un certain boisseau et choisit de l’adapter à sa notion de classe expressive, suivant une progression harmonique irréelle. Puis, comme si de rien n’était, il allume «A Real Girl» à la Stonesy d’alerte rouge. Quel fabuleux brasier d’accords ! Quel festin de son ! Il sait se glisser dans les culasses. Il trucide sa Stonesy à coups d’accords, il farcit le son d’une grenaille de prédilection et ça part en big shoot, suspendu un moment, et ça bascule. Et cette façon qu’il a de rappeler les troupes ! Il termine avec un «Street Imagery» qui sonne comme du Ronnie Lane, à cause de l’accordéon.

C’est en 2008 que Kus entame une petite série d’albums sur un label espagnol, Sunthunder. Un beau portrait cadré serré de Kus orne la pochette de Tambourine Girl qui comme tous ses autres albums, va tout seul sur l’île déserte. Car oui, what an album ! Il nous envoie directement au tapis dès le morceau titre, un «Tambourine Girl» d’une extrême violence. Il explose l’osmose du cosmos, il ne craint ni le diable ni la mort, il claque sa tambourine girl avec l’énergie du désespoir, awite ! Pur genius ! C’est à la fois bardé et équilibré, on ne sait pas comment il réussit ce coup de Jarnac, et en plus il fait son Keef à la surface. Encore un Kus kut qui te cloue au mur. C’est en plus claqué à coups d’harmo, donc pas de répit. Nouvelle foutue laitue avec «Colour Your Eyes», véritable shoot de big Kus gratté au clair de la lune. Kus ça n’est que ça : la beauté du geste pour le geste. Il va trop loin, beaucoup trop loin. On se demande en permanence si on est à la hauteur. Ces albums finissent par devenir surnaturels. «Paint & Sugar» ne fait qu’enfoncer le clou. L’exaction à l’état le plus pur. Kus it down. Pur power ! Allumé aux chœurs de lads, sugah ! Kus n’en finit plus de cavaler au loin sur la crête du rock anglais. On s’effare du doux des chœurs. Personne n’a jamais emmené un balladif aussi loin. L’autre énormité de l’album est le retour de «Come With Me». Alors oui, on vient. Avec Kus ça ne traîne pas. Incroyable qualité de l’entraînement. C’est d’une puissance inexorable, le son atteint un rare niveau d’effervescence. Tout l’album tient en haleine. Kus fait partie de cette rare catégorie d’artistes extrêmement impliqués. Il pique encore une crise de Stonesy avec «Threads». Parmi les compañeros de Tambourine Girl, on note la présence de Glenn Tranter et de Darrell Bath. Par sa seule puissance, «All Of My Love» peut affoler les compteurs. Ça se termine comme souvent chez Kus en fin explosive de non-retour. Encore du big Sunthunder sound avec «It’s Too Late» et Kus nous gratte «Grown» à la petite mort du cheval blanc.

Il monte le Dave Kusworth Group avec Dave Twist et deux autres mecs pour enregistrer The Brink, un album qui sort en 2008, doublé d’un disk entier bardé d’un barda d’outtakes et de demos. «Sherry High» se présente comme un rumble de big guitars et Kus fait vite monter la pression. Il tire ça à quatre épingles et aux tortillettes alarmistes et parvient à garder son calme au cœur du chaos. Stupéfiante leçon d’élégance ! Ça dégouline de musicalité. Il allume en permanence, ses gimmicks semblent illuminer le ciel du kut et il n’en finit plus de lancer des virées spectaculaires. Son «Brink» est lui aussi bombardé de son - Brink in my roots/ And tearing away at my soul - Terrific ! S’ensuit un «Someone Else’s Shoes» tout aussi demented, Kus ramène une chaudière dans sa fournaise. Ça coule comme un fleuve de lave, c’est nettoyé au bottleneck, l’enfer sur la terre, véritablement. S’il est un cut qui lui va bien, c’est «Chainsmoking». Pas de photo de Kus sans la klope. Et puis voilà un «Silver Blades» assez sauvage. Kus s’enhardit encore, il vire gaga, il tatapoume dans la pampa en flammes, c’est assez fascinant de le voir cavaler son Silver Blades dans les flammes et dans les rappels de gimmicks, il n’en finit plus de dégringoler au long cours. S’ensuit un «Into My Eyes» explosé aux accords en coin, comme chez le MC5. Incroyable déclaration d’intention. On admire cette désinvolture de vulture dans le ciel noir du rock anglais. Et ça repart de plus belle avec l’extravagante dégelée de ce «Still Waiting For You» joué à l’éclatée de bonanza, à la grandeur tutélaire du Kus, avec un bassmatic dévorant. Kus embarque son kut en enfer, still waiting for you now. Comme Ray Davies, il chante les louanges d’«Hollywood», et avec le même génie balladif. Kus illumine le rock anglais mais peu de gens le savent. Alors évidemment, le disk 2 est une véritable caverne d’Ali Baba, car on y retrouve un alt. mix miraculeux de «Sherry High» et ses poussées de voix, sans parler du solo de gloss quasi-mythique. Encore du rab d’alt. mix avec «Still Waiting For You» et «Someone Else’s Shoes», une belle crise d’alt. qui s’enflamme tellement que ça sent le brûlé. Ils stoogent «Into My Eyes». Kus adore la niaque, c’est son pain béni. C’est tellement bon qu’on finit par se demander si tout cela est bien raisonnable. Le rock de Kus est pulvérisé au vivifiant. Il a vraiment du pot d’avoir Dave Twist au beurre. Il faut le voir filer tout droit. On trouve aussi un «GI On Blues» explosé de guitares. Kus fait les Dolls, il chante ça au pur jus. Il fait aussi du boogie rock underground avec «Reportee». On est bien récompensé d’écouter ça car voilà un outtake de poids : «Citizen». Kus le chante à la folie du pire underground, il dégomme les mots en haut des falaises de marbre et il joue les accords des Stooges. C’est encore une fois explosif. Encore un outtake avec «Where Do You You Go To My Lovely». Décidément, ce tas de bonus grouille de merveilles. Kus y évoque le boulevard Saint-Michel. C’est un romantique, un vrai. Il s’accroche à sa rampe, tellement c’est énorme et il va jusqu’au bout de son kut. Kus is one of the kings.

Il entame ensuite un petit bout de chemin avec un groupe espagnol, Los Tupper, toujours sur Sunthunder. Throwing Rocks In Heaven paraît en 2012. On y trouve des hits faramineux, comme sur chacun de ses albums, à commencer par «Something Must Change». Quelque chose de réellement puissant se dégage de ce balancement d’accords. On s’effare une fois encore de l’ampleur de ce son. S’il fallait résumer Kus en deux mots, on pourrait dire : éclat & power. Son rock relève du dandysme britannique. Avec «Lady Lady», il fait de la Stonesy. Il claque des accords à la Keef. Parti-pris évident et bienvenu. Il sonne les cloches de l’auberge espagnole. Il passe en mode boogie pour «Pocket Rocket». Il flirte même avec le glam. Il scie bien la syllabe du rocket. Encore une merveille avec «She Sits By The Window». Chaque fois, la magie opère. Il sait aussi brouiller les pistes, comme le montre «Better Person» : il démarre un petit balladif à la Nikki et puis l’air de rien, il prend de la hauteur, claquant des rafales d’accords magistraux. C’est confondant et bouleversant à la fois. On le sait, Dave bat le nave, il ne tourne jamais en rond et rien de sautait le submerger. Son rock présente toujours les mêmes caractéristiques : catchy & elegant. Il faut aussi écouter son «Isabel», as my blue turns to grey my Isabel, car c’est sublime. Il a ce côté plus emballant ke n’a pas Nikki. Kus tape dans son son, il a une façon unique de faire sonner sa Isabel/ My princess Isabel.

Si on manque de place ou qu’on peine à rassembler tous ces albums déments, on peut à la rigueur se contenter de deux compiles : In Some Life Let Gone Anthology 1997-2007 et The Monkey’s Choice/ The Kitchen Sink. La première balaye toute l’histoire de Kus, en passant bien sûr par les Bounty Hunters : «Kings & Queens», incomparable chef-d’œuvre de power-pop, «Threads», claironnant et bien ramoné de la cheminée, «Hooked To Your Heart», chanté à la Keef et ce «Dollar Kiss» qui n’en finit plus de s’envoler, sans oublier l’extraordinaire «Temporary Genius» de Bounty feast. Mais on a déjà dit tout le bien qu’il fallait en penser. On trouve aussi quelques cuts des Jacobites à l’air : le terrific «So Unkind», cette dégelée de Stonesy qu’est «Can’t You See» et cette merveille définitive qu’est «Heart Of Hearts». Arrêtez, n’en jetez plus ! Mais si, on trouve en plus de tout ça quelques hits des Tenderhooks («It Comes & It Goes», quadrature du cercle, power inexorable, «Dandelion Boy» chanté au sommet de l’art, «Where Her Head Used To Lay» chanté à la voix éteinte et noyé de son et de sax, puis des choses extraordinaires tirées des albums solo comme l’insubmersible «Riverboat Blues», ou encore le magical «Next Tuesday» et sa résonance universelle, et puis aussi la patate chaude de «Citizen», authentique stoogerie d’exaction parabolique, enfin, c’est une extraordinaire profusion de son et de punch, tiens comme ce «White Stockings» des Bounty Hunters qui justifie à lui seul le rapatriement de cette compile. Kus flashe sur les white stockings !

The Monkey’s Choice/ The Kitchen Sink est un Best Of de Dave Kusworth & The Tenderhooks qui va lui aussi tout seul sur l’île déserte. Encore un double CD qui grouille littéralement de puces. On le sait maintenant, à force de l’écouter en long, en large et en travers : Kus sait faire sonner les guitares. Il attaque son voyage aux pays des merveilles avec ce vieux hit des Tenderhooks qui s’appelle «It Comes & It Goes». Comme la vie, ça va, ça vient. Kus fait partie des gens pour lesquels le Dylan de 65 est resté un modèle absolu. Tout ici est visité par les vents d’Ouest et chaque cut se voit paré d’un solo flamboyant. S’il est un hit visité par la grâce, c’est bien «The Right Trade», typique du balladif dylanesque nappé d’orgue. Ça s’envole. Kus est une sorte de magicien spécialisé dans l’élégiaque. On reste dans la belle pop anglaise avec «Dandelion Boy» - Spend your money on dandelion boy ! - Il nous lie ça aux accords dylanesques et aux transitions scintillantes. La basse pouette dans le décorum, on croit entendre les meilleures guitares d’Angleterre, c’est un véritable ramdam de riffalama. Il sait aussi taper dans la chanson de marin soutenue à l’accordéon («Street Imagery») et bien sûr dans la Stonesy («Another Blonde»). On croirait même y entendre Keef, Kus nous joue ça en profondeur, il va loin, comme dans Le Grand Bleu, blonde blonde, c’est un vrai yeah man. Tous les cuts s’éternisent et finissent par nous envelopper, comme la mort. Kus renoue avec l’énergie de la beauté dans «How Come I Only Dream About You». Il se livre là à une nouvelle échappée belle sur fond de coups d’acou, de slides et de belle poussées de fièvre. Tiens, encore une énormité avec «All I’ve Got Left», emmené par une basse bien ronde. Kus chante toujours sur le même ton, mais ses kuts n’en finissent plus de s’envoler. C’est un peu comme s’il réinventait le romantisme à l’Anglaise, avec la klasse du Keef de 1968. Ses balladifs sont tellement inspirés que ça finit par devenir écœurant. C’est nappé d’orgue, foisonnant de son, il semble qu’il re-fabrique son monde à chaque nouvelle occasion et voilà un solo de claquemure suprême sur fond de shuffle lumineux. Ces mecs sur-jouent leur empire underground à la roulette russe et Kus explose sa fin de kut avec l’aisance d’un prince de l’underground. On croit rêver. Koi ? Autant de son ? Autant de slide d’Americana voluptueuse ? Autant de nappes d’orgue Hammond dans un seul kut ? Impossible ! Mais si ! Et ça continue avec «Tell Me About Your Love». Kus ne vit que pour les balladifs ensorcelants. Il ne chante k’à l’insistance du cœur brisé. Retour à la Stonesy avec «A Real Girl». Il nous klaque une féerie d’accords superbes. Que de son, my son ! Kus ne force pas sa voix, il tape dans le dylanex flamboyant - I just don’t know when - Final étourdissant, ces mecs font ce que les Stones n’ont jamais réussi à faire : exploser en plein vol. Il se pourrait bien qu’on entende Darrell Bath à la guitare sur «When Her Head Used To Lay». Et nos amis se fâchent avec «Blood On The Knife». Kus continue de prodiguer des miracles, ce blast de garage en est un, Kus le prend au chant haleté et insistant. Ce mec a tous les bons réflexes. Derrière lui, ça joue jusqu’à plus soif.

La fête continue avec Kitchen Sink : «Apartment To Compartment» pourrait très bien figurer sur l’un des albums du Dylan de l’âge d’or. Kus gratte comme Bob. On entend des coups d’harmo et ça repart en mode Stonesy. Quel hommage faramineux ! Voici un «Salisbury Road» explosé aux écumes de wah et ça bascule très vite dans la folie. Kus s’y aménage des montées en température. Avec «Terminus», il tape dans la meilleure Stonesy. Il n’a pas de voix, mais il passe comme une lettre à la poste. Il a toujours de sacrées guitares autour de lui. Chez lui, tout est prétexte à rock anglais, ce que montre clairement «Temporary Genius» qu’il nous explose aux guitares de non-recevoir. Il repart de plus belle avec «Another Teardrop» et ramène se petite voix dans l’incroyable dégelée de son. Quelle injustice de voir un mec aussi brillant s’enterrer dans les catacombes de l’underground ! Son rock chargé d’accords et de bracelets compte parmi les meilleurs crus. On le voit même faire du Louie Louie dans «Need You No More». Il fait tout avec rien. Il montre avec «Hanging Around Here» qu’il sait crever le ciel. Il détient ce pouvoir. Voilà encore l’un de ces balladifs chargés d’ambiance, il chante sans voix mais avec une foi inébranlable. On croise à nouveau les excellents «Dandelion Boy» et «Blood On The Knife». «Tonight & Forever» démarre au buzz de Kus. Il n’en finit plus de faire rouler sa petite industrie de mid-tempos intermédiaires et ça devient assez fascinant, il faut bien l’admettre. Il tape «Split Milk» à l’amertume révélatrice, ça sent bon l’aventure, c’est joué aux passades de verdeur foudroyante. Ah comme ce mec peut être doué ! Au moins autant que son compère Nikki Sudden. Ces mecs connaissent les secrets du rock. Kus n’en finit plus de taper dans le limon du Split Milk, ça devient effarant de qualité au finish, tapé à fond la caisse et chanté à pleine voix. Admirable «Through & Back Again» ultra secoué du cocotier. Kus y casse du suck sur le dos du doom. Il sort le big sound de sa manche et produit une fois encore un final grandiose ultra gratté des poux. Il tape dans la démesure d’exception, les guitares vitupèrent, le beat palpite d’énergie et ça vaut tout l’or du Rhin. On sort épuisé de ce mish mash électrique de burning down.

Signé : Cazengler, heiiiiin ? Kus que c’est ?

 

Dave Kusworth. Disparu le 19 septembre 2020

Nikki Sudden & Dave Kusworth. Jacobites. Glass Records 1984

Nikki Sudden & Dave Kusworth. Robespierre’s Velvet Basement. Glass Records 1985

Nikki Sudden & Dave Kusworth. Lost In A Sea Of Scarves. What’s So Funny About 1985

Dave Kusworth. The Bounty Hunters. Texas Hotel 1987

Dave Kusworth & The Bounty Hunters. Wives Weddings & Roses. Kaleisdoscope Sound 1988

Bounty Hunters. Threads A Tear Stained Scar. Creation Records 1989

Dave Kusworth. All The Heartbreak Stories. Creation Records 1991

Jacobites. Howling Good Times. Regency Sound 1993

Jacobites. Old Scarlett. Glitterhouse Records 1995

Jacobites. Heart Of Hearts (The Spanish Album). Por Caridad Producciones 1995

Nikki Sudden & Dave Kusworth. Kiss Of Life. Swamp Room Records 1995

Dave Kusworth. Princess Thousand Beauty. Glitterhouse Records 1996

Jacobites. God Save Us Poor Sinners. Glitterhouse Records 1998

Dave Kusworth & The Tenderhooks. Her Name In The Rocks. Wagging Dog 2001

Dave Kusworth & The Tenderhooks. English Disco. Wagging Dog 2001

Dave Kusworth & The Tenderhooks. ST. Wagging Dog 2003

Dave Kusworth & The Tenderhooks. Like Wonderland Avenue In A Cold Climate. Mod Lang Records 2004

Dave Kusworth. Tambourine Girl. Sunthunder Records 2008

Dave Kusworth Group. The Brink. Troubadour 2008

Dave Kusworth & Los Tupper. Throwing Rocks In Heaven. Sunthunder Records 2012

Dave Kusworth. In Some Life Let Gone Anthology 1997-2007. Troubadour 2007

Dave Kusworth & The Tenderhooks. The Monkey’s Choice/ The Kitchen Sink. Troubadour 2017

Rag Dolls. Such A Crime. Troubadour 2015

 

Le teasing des Teasers - Part One

 

Voilà qui est complètement inespéré : paraît cette année un film sur le plus underground des groupes Crypt, les Enfants Terribles d’Édimbourg, les Country Teasers. L’eusses-tu cru ? Comme c’est un film underground sur un groupe underground, on est à peu près sûr de ne pas pouvoir le choper, car les salles de cinéma bon chic bon genre à la mormoille ne proposent jamais les films underground. Les films underground servent uniquement à faire baver les amateurs d’underground. Donc tu peux faire une croix dessus, sauf dans deux cas. Soit tu habites Toulouse, l’une des rares villes civilisées qui organise des festivals de cinéma underground. Soit tu as une copine toulouso-underground qui te fait des cadeaux underground.

Alors God bless her, car un beau matin, le film underground est arrivé ici dans une grande enveloppe-pochette surprise. Le film s’appelle This Film Should Not Exist, réalisé par le plus underground des trios underground, Gisella Albertini/Massimo Scocca/Nicolas Drolc. Ce n’est pas tout : le DVD se présente sous la forme d’un véritable objet d’art : pochette sérigraphiée au noir intense sur carton brun cru, numérotée à la main, avec à l’intérieur un insert qui est la set-list d’un concert des Country Teasers en Allemagne, à Crailsheim. Une vraie set-list, mon gars, écrite à la main, avec le feutre qui bave à travers le papier. C’est pas du bidon. Bienvenue au paradis des objets d’art bénis des dieux de l’underground. Le pire c’est que le film est superbe. Et tu comprends bien que la superberie monte encore d’un cran si en plus tu vénères les Country Teasers.

Les pauvres Country Teasers ont toujours eu mauvaise réputation : trop provocateurs, trop ancrés dans Mark E. Smith et le no sell out. Les film est tellement bien foutu qu’il restitue à la perfection leur génie foutraque. L’âme de ce gang de pieds nickelés s’appelle Benedict R. Waller que tout le monde appelle Ben Waller. Il porte des lunettes, un stetson, une chemise blanche, une cravate noire et se fait appeler the Rebel. Dès le début du film, il présente ses compagnons d’infortune : Al ‘Ek’ King on drrrums, Simon Stephens on beiss, Richard ‘Country & Western’ Geennan on guitah et Alan Crichon on rhythm guitah. Le film raconte le Rock’n’Roll Riot Tour, la première tournée européenne des Country Teasers en 1995 avec les Oblivians, organisée par Tim Warren, qui à l’époque était le grand visionnaire du gaga américain. Le film propose donc un montage de footage d’époque et d’interviews de Ben Waller et de Simon Stephens plus récents puisqu’ils datent de 2008. Ben Waller explique qu’il n’a aucun souvenir de la tournée, car il était trop défoncé - Always stoned, drinking a lot, poppers - Par contre, Stephens indique qu’il s’est ennuyé pendant cette tournée, car il n’aimait pas trop la défonce systématique.

Ben Waller est très bien conservé. Il a en fait la même tête qu’en 1995. Il nous explique qu’il a fini par devoir prendre un job pour vivre et le voilà cariste chez Jardiland. Il conduit un fenwick. Il rappelle aussi qu’à l’origine de l’histoire des Teasers, en 1992, il avait envoyé une K7 avec deux morceaux chez Crypt, parce qu’un copain lui avait conseillé de s’adresser à Crypt. Bingo ! Les morceaux ont plu à Tim Warren. Et du coup, Tim Warren fait une apparition dans le film pour dire à quel point il adore les Country Teasers. Il fucking love these guys. Simon Stephens va encore plus loin : pour lui, Ben est un authentique genius. Le footage n’en finit plus de nous le rappeler, footage d’autant plus explosif qu’il mélange les plans des Teasers sur scène avec ceux des Oblivians qui étaient eux aussi assez révolutionnaires à leurs débuts. On voit les Teasers tripoter «Gay Nurse» et traîner «Wandering Star» dans la boue.

Dans la deuxième partie du film, Ben Waller rend hommage à Datblygu, un welsh duo lo-fi composé de David R. Edwards et Pat Morrison qu’on voit aussi témoigner dans la foulée. Et ça monte encore d’un cran avec un hommage superbe à Mark E. Smith, qui, nous dit Ben, a inventé a new way of writing - Mark E Smith invented the idea you can sing everything - Puis il cite encore deux grosses influences, Pussy Galore et les Butthole Surfers, plus la country qui lui apprend la discipline narrative - Pussy Galore était invincible, scary - Alors pour qu’on comprenne mieux, il nous fait un schéma pédagogique : «Mark E. Smith et Pussy Galore forment un entonnoir. Je verse ma cervelle dedans et ce qui sort par le petit bout, en dessous, c’est ma chanson, my song.»

Tim Warren vient de rééditer les fameuses Too Rag Sessions des Country Teasers qui datent de 1994. Dans le petit texte de présentation, il revient sur la fameuse K7 de Ben trouvée dans une boîte postale qu’il avait encore aux États-Unis et qu’il relevait deux fois par an. Il écoute la K7, flashe dessus, fait un single avec les deux cuts et prend contact avec Ben. Il lui propose de financer une session chez Toe Tag à Londres pour un premier album. Okay then. Les Teasers enregistrent. Manque de pot, le résultat ne plaît pas à Ben Waller qui vire le batteur et qui refait tout. Tim Warren a raison de penser que les Teasers avaient du génie, avec cette espèce de punk abject et squelettique, une sinécure qui n’en a cure. L’«I Don’ Like People» est du pur Mark E. Smith, c’est un son dont on s’entiche comme d’une potiche, ça joue sec et net et sans bavure, dans l’esprit du Pastoral. Mais c’est en B que ça se corse avec «Henry Crinkle», une jolie mélasse de la rascasse, essence d’une science du son. Ben Waller sonne le glas du punk. Avec «Kill», les Teasers se montrent aussi irrespectueux des conventions de Genève que l’était Mark E. Smith. Pas de plus belle irrévérence que celle-ci. Ils se montrent vraiment dignes de Captain Beefheart. Leur «No Limits» est complètement hypno, encore très Fallique dans l’esprit. Brutal et décidé. Et tout ceci se termine avec «Black Cloud Wandering» et sa clameur démente. Ces mecs ont du génie, ça crève les yeux - I was born/ Under a wandering star - Ils en font une horreur tribale et gluante.

Les Teasers démarraient leur anti-carrière en 1995 avec un mini-album paru sur Crypt et intitulé The Pastoral - Not Rustic - World Of Their Greatest Hits. On est hélas forcé de parler de coups de génie pour au moins deux raisons : «Black Cloud Wandering» et «Number 1 Man». Ils tapent leur Black Could au pire shuffle de garage qui se puisse imaginer - I was born under a black cloud wandering - Ben Waller fait ce qu’on appelle du groove de garage-punk. Ça devient très sérieux. Il joue pour de vrai. Il impose un son et une façon de chanter le gaga cra-cra. Il va loin, encore plus loin que Van Morrison dans «Gloria». Il sonne comme une plaie d’Égypte. Il transforme le wandering star en enfer punk. Il travaille plus loin son «Number 1 Man» à la concasse de type Magic Band. Assez atroce. C’est claqué dans l’œuf du serpent. C’est le son dont rêvent chaque nuit les Écossais. Ben Waller tâte du punk extrême et s’entiche de raw to the bone. On le voit gratter ses puces à rebrousse-poil dans «How I Found Black Brodie». Pour créer la sensation, il décide d’irriter. Avec Ben, la rigolade est terminée. Il ramène des rengaines puantes («Only My Savior»), du sale garage à la cocote («Bitchers Fuck Off») et de la country lo-fi lardée d’excès de violence («Oh Nurse»). Ben veut que ça dégueule alors il ramène «Anytime Cowboy» - They don’t need art to be confontional bastards - C’est un vrai shoot de teasy teasing, some kinda damaged country & western. Poweful ! Ce disque plairait infiniment à Bernadette car il grouille de révélations. Ben explose Elvis avec «Been Too Long». C’est très spectaculaire car explosé de l’intérieur du son. Ce mec va loin dans la vérité crue de la véracité. Il enfonce bien son clou country avec «Stand By Your Man» qu’il chante d’une voix de clochard céleste. Il reprend son mighty «Anytime Cowboy» pour le plonger dans un son plus Velvet, histoire de l’exacerber. Il frise le Lou Reed, ce qui vaut pour un compliment.

Pour caractériser les Teasers, on peut parler d’un son assez distinctif, une sorte de fouillis zébré peu aimable. Paru sur Crypt en 1996, Satan Is Real Again n’est pas fait pour plaire au grand public. Ils grattent leur post dans un coin de studio et se moquent du qu’en-dira-t-on. Ben Waller charge sa petite barquasse à la ramasse de la rascasse. C’est avec des cuts comme «Panty Shots» qu’ils ont construit leur réputation de mal aimables écossais. Ils trempent souvent dans la country démobilisée, avec un banjo en fond de trame. «Little Black Clouds» avance en hochant la tête comme un dindon. On peut donc qualifier ça d’instro têtu monté sur un beat dindon. La viande satanique se trouve en B, à commencer par «Thank You God For Making Me An Angel». Ben Waller sait très bien claquer le beignet d’un cut de rock quand ça lui chante. Il prend un malin plaisir à sonner comme Mark E. Smith, sûr de lui, cassant, avec du son derrière, et pas n’importe quel son. «Cripples» se veut assez Dada dans l’esprit. Ça joue au beat dindon, une fois de plus et Ben Waller chante par dessus la jambe. Awite ! Il faut bien avouer qu’un cut comme «Some Hole» est assez âpre, pour ne pas dire rebutant. D’ailleurs, il ne fait rien pour créer de la sympathie. «Don’t Like People» dit bien tout ce qu’il faut savoir. Il chante son mépris des gens. Et puis voilà le morceau titre. C’est très insidieux, voire malsain. Il adore ça.

En 1999, les Teasers se retrouvent chez Fat Possum pour Destroy All Human Life. L’album est spectaculairement vide de viande. Ils atteignent les sommet du laid-back désespérant avec «David I Hope You Don’t Mind». Ben Waller chante aussi sont «Hairy Wine» à la petite ramasse sans donner beaucoup d’informations. On le voit même chanter faux en B sur «Go Away From My Window». Ils passent à la vieille bossa cabossée avec «Brown Jesus Etc» et cherchent la petite bête d’hypno avec «Women & Children First». On note la présence d’un petit tiguili de guitare en fond d’écran. Ils terminent cet album assez blank avec un «Song Of The White Feather Club Secretary» assez poweful. Ben Waller chante ça à l’insistance vinaigrée. Mais il ne fait aucun effort pour se rendre graphiquement enjoyable.

Larry Hardy, boss d’In The Red Recordings, adore les albums des Country Teasers, puisqu’il en inscrit quatre à son catalogue, à commencer par cette espèce de compile impavide vaillamment intitulée Science Hat Artistic Cube Moral Nosebleed Empire. Difficile à écouter, car il s’agit là d’un univers rabrouant et sans concession. Ce double album renvoie bien sûr au célèbre Trout Mask Replica, chef-d’œuvre de libre entreprise provocatrice. Ben Waller propose le même genre de déglingue post-moderniste. Il chante à la distance écossaise avec une morgue qui rappelle non seulement celle de Captain Beefheart, mais aussi celle de Mark E Smith. Tout est joué par dessus la jambe, à la bamboche maximale. Le son qu’il sort tient plus du vinaigre que du psyché bien propre sur lui. Ben Waller cultive aussi un goût prononcé pour l’insistance. Il faut attendre «Kill» en A pour retrouver les Teasers qu’on aime bien, ce punk de la désaille joué sans vergogne. Ils veillent à rester dans l’inconnu bien cru, dans l’incongru de la pire espèce. Ils savent créer des moods parfaitement insidieux. Avec «No Limits», ils semblent vouloir aller se percher au sommet de leur art, montés sur un beat têtu comme une mule. Très Fall dans l’esprit. Ils cultivent aussi le côté obsédant à la Beefheart. On les voit aller très vite en besogne avec «After One Thing» et embarquer «Can’t Sing» au riff arthritique. C’est le rockab des squelettes, can’t fucking sing ! Ils jivent «Some Hole» à l’ancienne, au beat un brin hypno. Bon, disons que Ben Waller est avec Mark E Smith le grand agitateur free d’occident, le digne héritier du Magic Band. «Good Pair Of Hands», «Retainer» et «Tough Luck On Jack» sont là pour le prouver - I’ve got a good pair of hands - Tout est très weird, très envoûté du bulbique. Il faut écouter cette compile avec précaution. Ils jouent «Retainer» au sax free de la médina, c’est du pur Magic-banditisme, un beat tribal aux portes du désert. Si on s’extasie devant «Tough Luck On Jack», c’est parce qu’ils manient extrêmement bien leur patrimoine. Ils nous refont le coup du guitar wreck à la sauce Magic Band. Quelle fabuleuse rengaine au long cours ! Ils jouent la carte de la déconstruction ambivalente, la pire de toutes. On note encore la présence d’un «Small Shark In Tiny Pool» assez insisté du beat et tangué du bassin, pas fait pour plaire au grand public ni aux rombières. Ben Waller nous en bouche un dernier coin avec «Secrets In Welsh» l’une de ces mélodies intrigantes dont il a le secret. Tout est tellement intense chez ce prodigieux binoclard underground que les bras nous en tombent.

Avec l’étrange Secret Weapon Revealed At Last Od Full Moon Empty Sportsbag paru en 2003, Ben Waller tire l’overdrive de son weird genius et ce dès «Success». Aucune chance d’en réchapper, le Success te saute à la gueule. Peu de groupes savent ainsi manier la démesure et ça dégueule de son. Avec «Boycot The Sudio», ils sonnent très Velvet, ils tapent ça au big heavy Teasers Sound, Ben Waller ne laisse rien transparaître, il s’enracine dans le glauque d’Ebimburgh, il chante du nez avec un son épais qui évoque une colique de fantassin. Il claque l’intro de «Todtill» à la merdre verte de Pere Ubu. Il n’existe rien de plus insalubre que cette soupe. Il fait monter une tension extraordinaire, même si les passages d’accords ne trompent pas : c’est du gros bouzin. «Sandy» sonne comme un nouveau coup de génie abracadabrant gratté à la sourdine métaphysique. C’est aussitôt larger than life, real big ! Tout le son du monde est au rendez-vous. Ben Waller libère ses eaux. Il encrasse son hot shit comme un maniaque. On pourrait presque parler de démarche intransigeante, tellement c’est raide. «Harry Wire 2» sonne très Ubu, avec son beat hors des considérations. Ces mecs là sont incapables de la moindre concession. Alors ça devient trop facile et ça tourne à la combine. À l’écoute de «Young Nuns Up For Sex», on comprend une chose : le spontanéisme, il faut que ça dégueule pour que ça marche. Ben Waller joue la carte de la fameuse dérive abdominale chère à Léo Ferré. Il faut lui laisser le temps de développer ses idées, car elles sont toujours intéressantes. Il chante son Young Nuns aux voix mélangées du Velvet. Mais ses tours ne marchent pas à tous les coups. «Man V Cock» vise la petite décadence, mais finit par insupporter. Ça se termine avec «KHWPSA», un vieux gaga digne d’In The Red. Ben Waller chante avec l’appétit d’un vieux crocodile et derrière lui ça gratte sévèrement.

On retrouve quelques vieilles connaissances sur le Live Album paru deux ans plus tard. Tiens comme par exemple «Boycott The Studio» bien tapé au cymbalum, et «Success» joué au heavy no way out. Ben Waller fait ce qu’il faut pour tout saborder. Tout semble très mal barré sur cet album. Quand on écoute «Black Change», on se demande vraiment comment à l’époque on a fait pour supporter ça. Tout est bâti sur la réputation de Ben Waller, un mec qui ne fait pas de cadeaux. Ils terminent leur valse idiote avec une belle apocalypse, et c’est bien là l’apanage des Country Teasers. Ils sont capables d’exploser un cut, ce que ne saura jamais faire le petit garage band du coin de la rue. Mais ça retombe assez vite dans la booze et il faut attendre «Brown Jews Etc» pour voir Ben Waller tirer son épingle du jeu. Il éclate ses heavy chords, il rallume le brasier de son punk-rock de no way out. Admirable ! Il enchaîne avec un «Nothing Was Delivered By Freight Train» de dernière extrémité. Derniers spasmes avec «Women & Children First» monté sur un beat hypno et un «Obey» pourri de son et malsain comme pas deux, mais attention, Ben Waller nous fait le coup de la guitar on fire, c’est-à-dire l’apocalypse selon Saint Ben.

Signé : Cazengler, Country tisane

Country Teasers. The Pastoral - Not Rustic - World Of Their Greatest Hits. Crypt Records 1995

Country Teasers. Satan Is Real Again. Crypt Records 1996

Country Teasers. Destroy All Human Life. Fat Possum Records 1999

Country Teasers. Science Hat Artistic Cube Moral Nosebleed Empire. In The Red Recordings 2002

Country Teasers. Secret Weapon Revealed At Last Od Full Moon Empty Sportsbag. In The Red Recordings 2003

Country Teasers. Live Album. In The Red Recordings 2005

Country Teasers. Toe Rag Sessions. Crypt Records 2019

Gisella Albertini/Massimo Scocca/Nicolas Drolc. This Film Should Not Exist. Furax 2020

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Je ne voudrais pas endosser le rôle de l'oiseau de mauvais augure, hélas, je ne croa pas me tromper dans mes sombres prophéties, pour les concerts c'est terminé jusqu'à la fin de l'année. Une seule solution pour ne pas sombrer dans la morosité ambiante, replonger dans le souvenir des soirées tumultueuses. Surgit aussitôt en ma mémoire le nom d'un groupe : Blondstone, auteur d'un set fracassant. C'était il y a longtemps au mois de novembre 2014, le 15 pour les esprits méticuleux, vous retrouverez la chronique dans la livraison 210 du 21 / 11 / 2014, au Bus Palladium in Paris, je m'étais promis de les revoir, mais ils étaient de Nancy, et n'ont pas souvent tourné à des distances raisonnables de mon domicile... vous connaissez le dicton, loin des oreilles, loin du cœur... bref à part de rares visites sur leur F. B.... mais en cette soirée de nostalgie, le désir irrépressible de les écouter est revenu me tarauder l'âme, tel le bec cruel du vautour déchirant le foie de Prométhée...

Blondstone a commis quatre opus, des boules bruyantes destinées à lézarder les murailles branlantes de notre monde déjà prêt à s'écrouler.

Le logo, la griffe de Blondstone, a été créé par Franck Vannier Chalmel, l'a su se mettre en accord avec l'esthétisme du groupe d'une manière étonnante car d'après le peu de son œuvre accessible il paraît être avant tout un amateur du dessin crayonné classique.

 

Alex Astier : chant, guitare / Pierre Barrier : batterie / Nicolas Boujot : basse /

BLONDSTONE

EP # 1 / Octobre 2012

Les trois premières pochettes ont été réalisées par Paul Banon, le lecteur ne perdra pas son temps à faire défiler les images stockées sur son tumblr, tapez Pol B Artworks, un ami proche du groupe qui est aussi un véritable artiste. Beaucoup de tattoos, nombreuses couves de groupes, il est indéniable qu'il possède une patte ( plutôt noire que blanche ) qui le distingue de la plupart.

J'avoue que j'ai été surpris par la pochette des deux premiers EP, je ne m'attendais pas à une telle image en correspondance avec la musique de Blondstone. Cet homme enfermé, replié, recroquevillé en escargot sur lui-même me paraît bien énigmatique. La signification ne m'est pas évidente. De quelle sagesse trismégiste symbolisée par ces trois têtes de reptiles qui s'exhaussent vers lui est-il habité, et quel est ce cristal stellaire qu'il semble détenir en sa main ? Il convient sans aucun doute de le considérer comme un sceau, une morsure sigillique tamponnée pour insuffler davantage de force à l'impact sonore.

L'on retrouve la même estampille sur la pochette du deuxième EP. Les contrastes de couleur se sont estompés comme si le tampon matriciel avait été utilisée trop souvent. A trop se contempler le nombril peut-être se perd-on en soi-même et s'éloigne-t-on de l'orbe du monde.

Rare & strong : au début vous dites ce n'est ni rare ni fort, même que ça ne casse pas les manivelles, un peu trop pop, et une minute plus tard vous comprenez que vous n'avez entendu qu'un des plateaux de la balance et vous ne savez pas pourquoi mais vous êtes convaincu que ce satané morceau est méchamment bien équilibré, c'est qu'entre un mec debout sur le bord du trottoir et un autre qui se tient pieds joints au sommet de l'Everest, c'est exactement la même position, mais entre les deux il y a un abîme. Tout est en place depuis ces clochettes de biquettes qui gambadent dans les alpages au début, la voix qui se pose là-dessus comme un serpent qui se love au soleil, et la machine qui tue se met en marche. Très anglais pour le son. Un morceau truffé d'épisodes. Comment à trois ont-ils pu déployer tant d'imagination ? Facile, ils ont compris comment ça fonctionne Hard to remove : une intro qui tire-bouchonne, l'on pressent qu'ils vont pousser le bouchon assez loin, l'on ne s'est pas trompé, une batterie qui frappe dans le rythme tout en donnant l'impression d'être à côté, idem pour le chant qui vous parvient de loin avec cette désinvolture accablante de celui qui lit un texte les yeux fermés, par-dessous une basse qui ouvre une gueule de chat vicieux et la referme chaque fois qu'une souris passe, rajoutez une guitare qui vous vrille les oreilles et c'est parti pour le grand chambardement, vous êtes obligé d'emprunter le pont, soyez sûr qu'il va s'écrouler dans quelques instants, en fait c'est le même morceau que le précédent, donc moins rare, mais plus fort car il est totalement différent. Moins pop. Plus rock. La fin ressemble aux quarantièmes rugissants. Shoot shoot shoot : le convoi de marchandises s'ébranle doucement et prend bientôt sa vitesse de croisière, rails qui grincent et guitare grondante, le diable conduit le train, murmure à votre oreille, comme il est tentant, vous ne résisterez pas, rien de plus excitant qu'un blues rampant qui tient ses promesses, c'est votre cerveau qui explose, Blondstone vous en fait voir de toutes les couleurs. Feu d'artifice. Arrêt descente. Shoulder to cry on : quarante-cinq secondes de précipitation lente, des cris dans le lointain, et le bastringue commence, une nouvelle fois cette voix qui glace et qui fouette, et les instrus qui font le beau, des tigres qui sautent dans les cercles enflammés de la batterie, la basse qui enfonce les pieux du barnum à coups répétés et la guitare qui imite le barrissement des éléphants, un grand foutoir, mais tout est réglé au millimètre près. Sauf les acrobates qui s'écrasent sur le sol du haut des tremplins, leurs corps éclatent comme des outres remplies de sang. Monsieur Loyal dans le micro commente l'apothéose. Lazy : léthargie comateuse, l'intro se traîne, et la voix module et mollassonne, la batterie n'en peut plus, les guitares rampent, dur de vouloir vivre quand tout vous rappelle en vous-même, tout s'emmêle dans votre tête, que s'est-il produit pour que le blues comateux vire au cauchemar aux dents plus longues que la nuit...

Un bel EP, Blondstone cherche et trouve ses marques. Ont-ils vraiment autant emprunté aux Queens Of The Stones Ages qu'on le prétend, si oui, ils ont surtout compris la règle numéo 1 : un morceau de rock'n'roll ne saurait être un long fleuve tranquille. Et la numéro 2, il est interdit de s'ennuyer.

BLONDSTONE

GOT THIS THING ON THE MOVE

EP # 2 / Décembre 2012

Deuxième EP un peu spécial, une reprise d'un band inattendu, Grand Funk Railroad, un groupe de Détroit pas très aimé et pas très connu par chez nous. Une carrière un peu trop erratique pour agglomérer un noyau de fans assez large. Le projet de Grand Funk était assez simple en ses débuts, jouer plus fort que tous les autres. Personnellement j'aimais bien cette énorme masse sonore qui s'écroulait sur vous, l'impression qu'une dislocation de banquise géante sortait des haut-parleurs de votre gramophone préféré. A la réflexion ( qui n'engage que moi ) Grand Funk me paraît être l'ancêtre inconscient, inconnu et inattendu de la cold-wawe et de la noise-music. Il existe des généalogies secrètes, lors du concert de Blondstone à les voir sanglés dans leurs vareuses et à l'épaisseur du son qu'ils dégageaient, s'était imposé à mon esprit le rappel de ces premières vidéos des Animals de leurs passages sur la BBC. Or l'un des morceaux les plus réussis de Grand Funk fut leur reprise live d'Inside looking out des Animals.

Got this thing on the move : est-ce important que l'élève dépasse le maître, ne serait-ce pas mieux qu'il sache s'en différencier. David s'attaque à Goliath parce qu'il possède une fronde, Blondstone ne détient pas cet outil magique, aussi adoptent-ils une tactique différente celle de rester groupés durant toutes les phases du combat. Les Grand Funk étaient assez sûrs d'eux-mêmes pour que dans les moments clefs, deux la mettent en sourdine pendant que le troisième s'adjugeait la devanture. Les Blondstone se serrent les uns contre les autres comme des sardines dans leur boîte, celui qui ferraille devant n'a rien à craindre ni sur sa droite ni sa gauche, l'a ses valets d'armes qui emberlificotent aussi l'ennemi. Donnent dans la surenchère instrumentale, du coup ils perdent la séminale présence des roots-rock, mais ils forgent un son plus moderne, si le premier EP sonnait très anglais, celui-ci louche beaucoup plus vers la grande Amérique, ils se dispersent un peu dans la clinquance sonophile, mais ils ont appris à voir leurs défauts auxquels ils porteront remède dans les mois qui suivent.

BLONDSTONE

MASS SOLACE

Avril 2014

Vous risquez de mal interpréter la pochette, cet homme qui crie en essayant d'arracher ses liens n'est pas ficelé au poteau de torture. Ce qu'il empoigne à pleines poignées ce sont les liens d'égotisme de l'auto-ligotage. Image de délivrance. Blondstone a gagné en maturité. Remet ses propres pendules à l'heure. Ne soyez pas étonnés des titres qui étaient sur le premier EP, ce n'est pas du remplissage, de nouvelles versions

Mass solace : que vous promettais-je ! L'on reconnaît Blondstone rien qu'à leur manière de composer leur intro, mais ce n'est plus la même chose, si vous savez goûter la différence entre un salmigondis de crevettes et la bisque de homard vous comprendrez, z'ont enjambé le saut qualitatif, engendré la coupure épistémologique, deux minutes d'instrumental symphonique, un rock qui part de tous les côtés tout en traçant une courbe dans l'espace d'une pureté parfaite, et quand Alex Astier lève la voix vous croiriez entendre le plein chant de la messe noire d'un monastère satanique qui résonne sous les ogives martelantes de Pierre Bonnier, alors le chantre se lance dans un prêche apocalyptique tandis que résonnent les soubassements cryptiques de la basse de Nicolas Boujot, et tout le bâtiment s'effondre dans le feu de l'enfer. Bursting shell : cavalcades de tambours, galopades de guitare, tamponnades de basse, pas de problème la voix s'attarde tandis que la musique gesticule dans tous les azimuts, un refrain sans frein, et chacun repart dans son délire, c'est à qui se fera remarquer, mais la charge ne s'arrête jamais, Blondstone vous en donne plus, et quand le rythme de la musique s'arrête c'est pour battre de l'aile au plus haut de l'azur et s'abattre plus bas que terre. Shoot shoot shoot : pas besoin de savoir faire la différence, elle s'impose. Une épaisseur, un velouté absent de la première mouture, la voix plus sûre, il semble qu'ils ont rallongé le manche de la guitare pour que les notes montent plus haut, vous n'avez pas marché sur la queue de votre chat c'est Alex qui miaule et rugit à la manière d'un tigre qui s'affale sur sa proie. La basse de Nicolas tournoie et les baguettes prévoyantes de Pierre creusent une fosse commune. Oulala : magnifical ! Vous avez une guitare qui sonne le glas, une basse qui crache ses poumons, une batterie qui catche, et un vocal qui s'enflamme comme une torche vivante. Le genre de truc auquel personne ne saurait résister. Pères et mères indignes, écartez vos enfants, le délirium tremens les guette. On your own : vont sûrement en profiter pour glisser un morceau plus faible que les autres au milieu de l'album, ben non, pas de tromperie sur la marchandise, que du bon et celui-ci particulièrement avec l'Astier qui crache son vocal et toute la fanfare qui suit derrière à fond les manettes, je vous laisse imaginer le capharnaüm, l'autre qui vous demande sans arrêt si tu n'as pas cymbale, alors que t'es en train de devenir cinglé. Rare & strong : moins rare puisque on l'a déjà entendu sur le first EP mais diantrement plus fort. Commencent par un bruit de casserole et continuent par un grondement de lessiveuse. Y vont plus décidés et davantage hargneux. Sont partis, z'ont mis du venin d'aspic au fond de la bouteille de grenadine. De quoi étancher la soif de vivre d'un troupeau de dromadaires perdus dans le désert. Que voulez-vous on est stoner ou on ne l'est pas. Lazy : l' a c'est plutôt stoned. Ont changé de dealer depuis la fois dernière, z'ont pris le leader qui leur a fourni de la bonne, vous le mettent plus profond et plus jouissif, n'ont jamais plané aussi haut. Sauront-ils redescendre. Faites leur confiance. All my flaws : une voix plus rauque et un morceau plus rock, ( est-ce possible ), rien à dire les fruits du péché sont les plus lourds et les plus goûteux, un petit côté première prise de Led Zeppe, tout au feeling et à l'énergie. C'est fou comme le mal est attirant. Daze me : mais pas confuse, encore ce truc qui n'appartient qu'à eux, la voix devant et en même temps en retrait prend sa revanche sur les refrains, une orchestration de cimetière, délire instrumental, la guitare frôle le free, la basse vient sonner les cloches pour l'empêcher de dérailler totalement, c'est beau comme du Malher, des crotales s'enfuient de votre valise dans le hall de l'hôtel, affolement général. Lunatic asylum sur toute la terre ! Les morceaux les plus longs sont les meilleurs. Shoulder to cry on : ont-ils vraiment enfermé Alex dans un cercueil pour enregistrer le vocal introductif, en tout cas la suite ressemble à une vidéo de L 17 tourné dans un abattoir. Un régal. Z'ont dynamité la compo, sa mère ne la reconnaîtra pas. L'est beaucoup plus belle et beaucoup plus puissante. Hard to remove : pour le dernier morceau, ils essaient de limiter les dégâts mais ils n'y réussissent pas, leur échappe, un étalon sauvage qui défonce son box parce qu'un troupeau de juments en chaleur passe devant l'écurie. Une furie, un carnage, tout ce que l'on aime dans le rock'n'roll.

Le problème ce n'est pas que Blondstone ait commis un très très bon album, c'est qu'il doit y avoir un nombre pharamineux de groupes qui n'osent pas rêver d'en produire la moitié d'un du même niveau. L'est sûr qu'un tel disque a dû réconforter des masses d'amateurs dans l'hexagone.

BLONDSTONE

EP / Mai 2018

Total changement de style pour la pochette réalisée par Sophie Fontaine, encore une fois la visite de son tumblr, So Wil(d) Artwork & photography se révèlera émotionnant. Un univers totalement différent de celui de Paul Banon que la couve de ce CD est loin de laisser deviner.

Nous définirions sommairement le monde de Sophie Fontaine comme des aperçus d'un rêve incertain volés aux reflets anciens de miroirs enfouis dans la poussière des greniers, de lointaines jeunes femmes y ont laissé les traces de leur présence, leurs images pâlies y subsistent telles des vers talismaniques de vieux poèmes romantiques, elles s'immobilisent là, figées dans le néant de leur représentation, vous aimeriez les saisir, mais elles restent insensibles à l'appel de vos yeux, et une amère solitude envahit votre âme.

Pas de chance ce coup-ci, elle n'avait pas de sylphides graciles dans son objectif mais trois grands gars en chair et en os. Des rockers remuants. Alors elle les a éloignés dans le tremblé de ses argentiques, d'un coup d'obturateur magique elle les a transportés dans l'imaginaire américain des voyous classieux qui peuplent les films de gangsters des années quarante. J'ose imaginer qu'elle a tenté d'imager le titre oxymorique de l'EP, sombres certes mais si doux.

Alex Astier : chant, guitare / Pierre Barrier : batterie / Adrien Kah : basse /

My dark sweet friend : le temps a passé depuis l'enregistrement précédent, en quatre ans il en coule du liquide sous les ponts du rock'n'roll... à la basse Nicolas Boujot a été remplacé par Adrien Kah, le son n'est plus le même. L'impact de ce frère d'ombre qui n'est pas sans analogie avec la Nuit de Décembre d'Alfred de Musset est beaucoup plus ramassé, étrangement le groupe semble avoir renoué grâce à ses harmonies vocales avec les effluves britanniques de son premier EP, la batterie a gagné en concision, mais elle a perdu ce semblant de désordre a-méthodique que nous aimons. Liquid sound : les lyrics sont particulièrement soignés chez Blondstone, mais ce poème psyché tient de lui-même debout sans accompagnement musical. Cette particularité est assez rare et mérite d'être notée. Une intro spiralée comme le groupe les aime, s'agit de monter les blancs en neige noire, un vocal qui n'est pas sans évoquer la manière dont Bowie émettait chaque mot afin qu'il apparaisse non comme un simple vecteur de sens mais en tant que signal sonore nous avertissant qu'il y avait un autre mystère indicible à déchiffrer, un peu à la façon dont Swinburne disposait ses joailleries dans les colliers de ses vers. So british. No need to say it : une rythmique davantage carrée, trop honnête pour que l'on puisse y croire, l'est sûr que quand on veut cacher quelque chose le mieux est de le crier sur les toits – le coup de la lettre volée d'Edgar Poe – un groupe français qui en murmure davantage dans la langue de Shakespeare, vaudrait mieux dire de De Quincey, que bien de leurs collègues nationaux. C'est avec ce troisième morceau que l'on commence par comprendre le subtil travail d'orfèvre auquel se livre Blondstone dans cet Ep, faire en sorte que l'inclusion du chant dans la pâte instrumentale grumelée et en ébullition ne soit pas un pensum ou une dorure complémentaire mais la poignée de levain décisive. Hole in my skin : le vocal devant et le background qui pousse du museau pour s'adjuger la première place, consent à s'effacer pour le refrain mais insiste beaucoup dès qu'il s'achève, sur la fin le tressage devient plus complexe, parfois l'on a du mal à percevoir qui est qui, les guitares vous ont de ces retours de flammes qui finissent par emporter et carboniser le morceau. The guiding light : hurlements initiaux et la rythmique s'alourdit, le chant rampe, la lumière brûle dans le passé, déploiements lyriques, la fusée du présent décolle. Assez mystérieux, l'on cherche le sens caché de cet oriatoriock, la musique de Blondstone n'est pas du gros vin qui tâche, un élixir corruptif qu'il convient d'analyser pour en saisir toutes les fragrances. Parfois la puissance s'allie avec la beauté.

 

Stoner, grunge, groove, psyché sont les adjectifs les plus employés pour définir Blondstone, aucun de ces termes n'est à proprement parler déplacé, mais insuffisant. J'évoquerais plutôt une expérimentation spectrale et historiale de l'after-heavy-hard, l'exploration consciente des possibilités du style, un peu comme s'ils voulaient garder la puissance des power-chords tout en leur greffant le maximum d'harmonie-mélodique. Tout cela mis en place et conditionné par le traitement de la voix qui prend le pas sur la tonitruance de l'orchestration. Un des groupes les plus importants de la scène actuelle.

Damie Chad.

ROCK 'N' ROLL STORIES

Au mois de septembre 2019, j'étais allé grappiller dans la série Rock'n'roll Stories mise en ligne par Franco et consacrée aux pionniers du rock. J'avais choisi mes chouchous Gene Vincent, Eddie Cochran, mais aussi Bill Haley et Buddy Holly. Je m'étais promis d'y revenir, mais la vie nous offre sans cesse de nouveaux chemins... Entre temps une nouvelle série de dix de nos idoles a été proposée, voici donc celle de Johnny Burnette. Pourquoi précisément Burnette. Il s'agit d'un rendez-vous d'amour raté. J'ai eu vent de l'existence de Burnette bien avant de l'avoir entendu. Une biographie dans la revue Shake, ce devait être en 1967... J'aurais bien voulu me procurer un de ses disques mais dans ma lointaine Ariège et le peu d'argent de poche à ma disposition, c'était-là une mission impossible... Dans les années qui suivirent j'ai dû être victime d'une conjuration interplanétaire, impossible d'entendre un de ses titres dans les émissions radiophoniques de rock spécialisées, et pire malgré des centaines de casiers ou de cartons systématiquement répertoriés chez les disquaires d'occasion, les brocantes, les vide-greniers etc.. jamais un microsillon... J'ai fini au tout début des années quatre-vingt par mettre la main sur une réédition CD du mythique Rock 'n' roll Trio en Espagne ! Entre temps, la fièvre de l'adolescence était passée, pas mal ai-je décrété, mais arrivé trop tard pour être admis dans mon panthéon tutélaire. C'est plus tard à Paris que je me suis aperçu de l'aura quasi-mystique dont était entouré ce 25 centimètres dans le milieu rockababilly.

JOHNNY BURNETTE

Dès la fin du générique vous changez de couleur, vous devenez vert vitriolé chaque fois que Franco vous présente les premiers simples ( originaux, il va sans dire ) de Johnny. Evocation de l'enfance ( très ) pauvre de Johnny et de son frère Dorsey qui travaillèrent à la Crown Company avec un certain Elvis Presley. Les deux frères essaient de tirer la queue du diable par les deux bouts, sport et musique, boxe sur le ring et hillbilly dans les bars. Les horions détournent Johnny de l'horizon pugilistique, c'est pourtant dans ce milieu qu'ils ont rencontré Paul Burlison qui deviendra le guitariste des River Rangers qui prendront le nom de Rock 'n' roll Trio en 1952. Elvis entre chez Sun en 1954, le flair infaillible du rocker désertera Sam Phillips le jour où les frères Burnette frapperont à la porte du studio... Peut-être Sam a-t-il pensé qu'il n'y aurait pas assez de place pour deux nouvelles idoles... Un premier single pas décisif sur Von. C'est à New York en finale d'un radio-crochet qu'ils sont approchés par les maisons de disques, Burlinson préfèrerait Capitol mais les frères Burnette optent pour Coral et l'emportent à une voix près... l'on raconte que dépité Capitol se serait alors tourné vers Gene Vincent...

Deux séries de sessions vont se suivre, une à New York avec Paul Burlison à la guitare, et une autre où il est fait appel à des musiciens professionnels dont le guitariste Grady Martins qui revendiquera d'avoir tenu la guitare sur les titres du Rock'n'roll Trio. Certes l'on reconnaît à coups sûr le style de Grady sur certains titres, mais n'y avait-il pas deux guitares sur d'autres... La grosse machine promotionnelle est lancée, passages-télé dans les shows les plus cotés, tournée avec Carl Perkins et Gene Vincent, mais la mécanique s'enraye, les disques ne se vendent pas... plus grave la brouille survient entre les deux frères, Dorsey ne supporte pas l'appellation Johnny Burnette Trio, il quitte le groupe, quelques titres seront encore enregistrés avec Grady Martin mais début 1957 Coral ( qui drive aussi Buddy Holly ) ne renouvelle pas le contrat... le groupe se rabibochera, le succès ne sera pas au rendez-vous. Johnny se débrouille pour rencontrer Ricky Nelson qui tombe en admiration devant son talent de songwriter... Ricky et Roy Brown interprètent quelques titres qui trouveront leur public, les essais des Burnette, notamment chez Imperial, sont loin de faire le buzz... Johnny finit par atterrir chez Liberty ( dans les studios duquel Eddie Cochran... le monde du rock made in USA est relativement étroit... ), Dreamin' sera disque d'or, You're sixteen suivra le même chemin, mais Johnny a mis beaucoup d'eau dans son rock... les années 60 ne seront pas fastes, tournée en Australie, en Angleterre, quelques titres qui ne lui apportent pas la gloire... passe chez Chancellor, Reprise, puis chez Capitol, finit par fonder son label Sahara qui deviendra Magic Land... en août 64 le bateau de pêche sur lequel était Johnny est heurté par un hors-bord, sous la violence du choc, Johnny tombe à l'eau et se noie... Encore quelques disques de Johnny, et Franco n'élude pas la question qui fâche, le Burnette que nous aimons est celui du Rock 'n' roll Trio, qui était totalement passé à l'as de pique à l'époque... La suite reste de qualité mai, à part quelques pépites, Johnny met la pédale douce... il faut manger et payer ses factures...

Une histoire assez triste quand on y songe, malgré l'aura légendaire qui l'entoure les débuts du rock'n'roll in the United States, ne furent pas une sinécure pour ses principaux héros...

Cet épisode dure dix-huit minutes et quelques secondes, j'ai occulté nombre de détails, il est très bien raconté sobrement et intelligemment mis en images. Que voulez-vous les rockers ont leurs petits chaperons rock à eux.

Damie Chad.

 

VI

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

 

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

 

19

Molossa et son protégé se glissèrent sans encombre entre les barreaux de la grille. Pour ma part je l'escaladai avec prestesse. Nous passâmes sans bruit derrière la villa. Un des contrevents présentait quelques faiblesses. Quelques instants plus tard nous étions à l'intérieur. Molossa ne manifestait aucune inquiétude. Molossito frétillait de la queue, cette escapade nocturne l'enchantait. De ma lampe torche j'éclairais le moindre recoin. Nous visitions le rez-de-chaussée que je n'avais fait qu'entrevoir lorsque Thérèse nous avait entraîné au sous-sol. Nous ne l'avons pas encore emménagé avait-telle dit et ne s'étaient offertes à ma vue que que deux pièces vides. Elles l'étaient encore. Elles sentaient le renfermé. Cette odeur ne m'avait pas frappé. Nous montâmes à l'étage. Totalement vide, une couche de poussière sur les planchers, tout individu qui l'aurait arpenté aurait laissé l'empreinte de ses pas. Nous descendîmes à la cave. Dépourvue de ses rayonnages elle paraissait immense. Les murs de pierre étaient noirs de crasse. On avait dû en des temps plus anciens y entreposer du charbon. Molossito courait partout, la truffe au ras du sol, il semblait s'amuser follement. Molossa s'était posée sur son séant au milieu de la pièce dans la pose du philosophe détaché des contingences bassement matérielles. L'endroit paraissait abandonné depuis si longtemps qu'une personne à qui l'on aurait raconté que quelques heures auparavant il présentait l'aspect cossu d'une bibliothèque ne l'aurait jamais cru. Je ne me suis pas avoué vaincu. J'ai examiné au moins vingt fois chaque mètre carré. J'ai même été visiter le grenier. Bas de charpente et désespérément vide. Les chiens m'attendaient sagement au bas des crampons, un véritable mur d'escalade, qui permettaient d'y accéder. Lorsque je donnais le signal du départ Molossito qui commençait à s'ennuyer se précipita dans les escaliers, il n'avait pas descendu la moitié des marches qu'il remonta. Il tenait dans sa bouche un morceau de papier blanc qu'il déposa à mes pieds. C'était un morceau de sucre.

20

Le Chef sifflotait gaiement, lorsque nous pénétrâmes dans le local. Il avait étalé sur son bureau tout un régiment de Coronados sur lesquels il braquait son regard. Il m'écouta distraitement lorsque je lui détaillais la visite de la villa. Il félicita vivement Molossito pour la découverte du sucre.

    • Ah, nous sommes sur la piste, cependant agent Chad vous me décevez, j'attendais une boîte à sucre, et vous me rapportez un misérable morceau de sucre ! Je pense qu'il était dans la boîte qui nous préoccupe. Si je comprends bien, d'ici la fin de l'année à ce train-là, vous aurez reconstitué le contenu de ladite boite, ce qui est très dommage, car ce qui m'intéresse, c'est la boite ! Je sens que cette affaire vous dépasse. Je m'en chargerai donc moi-même. Je serai absent durant trois jours, d'ici-là vous expédierez les affaires courantes.

Le Chef continua durant une bonne heure à contempler ses Coronados, il se résolut enfin comme à regret, de les ranger avec d'infinies précautions dans une valise qu'il referma avec un soin extrême avant de la rouvrir précipitamment.

    • Agent Chad, avez-vous remarqué comment un GSH, Génie Supérieur de l'Humanité peut lui aussi avoir ses moments de distraction, j'allais partir sans prendre un Coronado pour descendre les escaliers, et un deuxième dans ma poche pour parer à tout événement, lesquels vais-je emporter, sa main hésita longtemps avant qu'il ne se saisisse de deux spécimens, l'un qu'il porta à ses lèvres, et l'autre qu'il fourra négligemment dans une de ses poches. Parfait, prenez la valise, pas comme une brute, et conduisez-moi à la gare.

21

Le Chef refusa d'emprunter une voiture. Un peu de marche à pieds ne nous fera pas de mal, avait-il déclaré. Nous marchions sans nous presser. Les chiens batifolaient autour de nous. Molossa frotta son museau sur mon jarret. Nous étions suivis. Le Chef s'extasiait devant une vitrine au milieu de laquelle trônait un aquarium de poissons rouges. Agent Chad avez-vous remarqué comme l'eau de ces cypriens est glauque. Nous retournâmes tous deux d'un seul geste, et fîmes feu sur les trois hommes en noir de l'autre côté du trottoir. Nous ne leur avons pas laissé le temps de réagir. Une nappe de sang se déversait dans la rigole.

    • Des réplicants, Chef !

    • Pas du tout, agent Chad, des hommes de l'Elysée, je les connais, ces gens-là détestent le rock'n'roll !

    • Attention Chef, il en arrive trois autres !

    • Parfois je me dis que la vie devient monotone soupira le Chef ! Rangez votre arme, Agent Chad, je pressens qu'ils ont un message à nous transmettre !

22

C'était vrai, mais ce n'était pas très agréable, d'autant plus que leur mine décidée et les trois fusils mitrailleurs qu'ils braquaient sur nous n'incitaient pas à l'optimisme.

    • Désolés, mais en haut lieu, l'on a décidé de liquider le SSR dé-fi-ni-ti-ve-ment ! Ne vous inquiétez pas, ce sera vite fait, et nous ne toucherons pas aux chiens, nous ne sommes pas des voyous.

    • Je vous en remercie déclara le Chef, toutefois si votre magnanimité me permettait d'exécuter ma dernière volonté, trois fois rien, juste mourir après avoir exhalé une dernière bouffée de Coronado !

    • Une bouffée, mais pas une de plus, je me ferai un plaisir de craquer l'allumette de votre ultime Coronado !

Les trois hommes se rapprochèrent, le Chef sortit son Coronado de sa poche, en face celui qui devait être le chef craqua une allumette, il n'était plus qu'à quelques centimètres, le bout du cigare s'embrasa, le Chef ferma les yeux et il tira sur son cigare, longuement, longuement, longuement...

    • Dépêche-toi maintenant, sinon je tire !

Le Chef exhala un gros nuage de fumée en direction des trois hommes, vous pouvez tirer maintenant ordonna-t-il, mais ils ne l'écoutèrent pas, ils étaient déjà morts.

    • Agent Chad, j'ai mis des mois à mettre au point cette arme meurtrière, le Coronado au curare, el Cobracito, manipulation dangereuse, d'abord vous remplissez votre cavité buccale de poison en faisant bien attention que la fumée ne touche en nul endroit une quelconque parcelle de votre chair, il faut être un excellent fumeur pour cela, et ensuite vous le recrachez à la gueule de vos ennemis qui le respirent et incontinent expirent. Le pire c'est que tout à l'heure au service je n'arrivais pas à le reconnaître ! Bon, je file prendre mon train, retournez au local et soyez prudents, je vous le répète.

23

La porte du service s'est ouverte, Molossa et Molossito se précipitèrent, j'exhalais une bouffée de Coronado :

    • Agent Chef, j'espère que vous m'apportez cette sacrée boîte à sucre, trois jours que je vous attends !

    • Agent Chad, quittez immédiatement ce bureau, et cessez de puiser dans ma réserve à Coronado quand je ne suis pas là ! J'espère que vous n'avez pas perdu votre temps durant mon absence !

    • Pas du tout, Chef, j'ai pris une décision importante pour le devenir de l'humanité, j'ai changé le titre de mes mémoires, finies Les Mémoires d'un agent du SSR, désormais elles s'appellent : Mémoires d'un GSH !

    • Première fois de votre vie que vous prenez une décision intelligente, agent Chad ! Et à son ton je compris qu'il ne plaisantait pas.

( A suivre... )