Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

26/10/2016

KR'TNT ! ¤ 300 : CYRIL JORDAN / CRAMPOLOGIE / NATCHEZ / ELI D'ESTALE / SIDILARSEN / PUB ADK

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

A20000LETTRINE.gif

LIVRAISON 300

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

27 / 10 / 2016

CYRIL JORDAN / CRAMPOLOGIE

NATCHEZ / SIDILARSEN / ELI D'ESTALE

PUB ADK

Monsieur Jordan - Part 1

z710dessinjordan.gif

 Qu’on se rassure, Monsieur Jordan ne sort pas d’une comédie de Molière. À l’encontre de son homonyme (Monsieur Jourdain), celui-ci aspire à des développements plus prosaïques.
Cyril Jordan présente pourtant un sacré point commun avec Molière : un don de conteur qui lui permet de trousser une chronique passionnante de son époque, comme le fit Molière au XVIIe siècle.
Avant de devenir le leader mythico-cartoonesque des Flamin’ Groovies, Cyril Jordan incarna le fan de rock à l’état le plus pur, de la même manière que Greg Shaw, qu’il eut le privilège de fréquenter. Cyril Jordan est aussi un homme extrêmement drôle : les Groovies étaient à l’affiche au Petit Bain, en avril dernier. On les vit arriver en file indienne à la cantine, où ils cherchaient une table pour casser la croûte. On leur fit donc un accueil digne de ce nom, avec un retentissant Hey Chris à Chris Wilson qui marchait en tête avec la gueule de travers, puis un Hey George à George Alexander qui le suivait avec la gueule de travers lui aussi. Le seul qui rigola comme un gamin fut Cyril Jordan. On était dans les conditions d’un gag et ça le fit marrer spontanément.
Depuis plusieurs années, Cyril Jordan tient une chronique passionnante dans Ugly Things, le gros fanzine de Mike Stax qui paraît deux fois l’an. La chronique s’intitule «San Francisco Beat», et Cyril raconte dans le détail, année après année, la vie d’un fan de rock dans les années soixante et soixante-dix. Il fournit un éclairage extraordinaire, non seulement sur la genèse des Groovies, mais aussi et surtout sur la scène californienne de l’époque. Mais ce qui rend ces chroniques capiteuses, c’est justement le style de notre héros, un style très direct et immanquablement drôle, comme ponctué de claquements des doigts et de Ha ! C’est tellement vivant qu’en le lisant, on croit l’entendre parler.

z712num33.jpg


Le premier épisode de «San Francisco Beat» date de 2012. Cyril n’a alors que deux pages. Dans le chapô d’intro, il indique qu’il va raconter l’histoire de la scène de San Francisco et précise qu’il était là depuis le début - I was here from the beginning - Il est encore morpion quand il parvient à s’infiltrer dans le backstage des Beach Boys, en 1962. À l’époque, c’était très facile, nous dit-il. Il suffisait de surmonter sa timidité et personne ne vous barrait le passage. Il devient tout suite copain avec Dennis Wilson. Dans la loge, il remarque la présence d’un bonhomme plus âgé qui s’amuse à enlever son œil de verre pour faire peur aux filles. Cyril se demande qui est ce bonhomme atroce. Il va découvrir un peu plus tard qu’il s’agit de Murray Wilson, le père de Brian, Dennis et Carl. La même année, il voit les Ronettes sur scène. Qui dirige l’orchestre ? Phil Spector, bien sûr ! Ha ! Cyril est fasciné par les fringues de Phil : un costard en peau de serpent argenté avec un col en velours noir - Think of it ! Ha ! Nous autres en France, à la même époque, on regardait encore la Piste Aux Étoiles à la télévision.

z717num34.jpg


Avec le deuxième épisode, Cyril raconte la découverte des Beatles en 1963. Il en profite pour sortir une anecdote poilante : ça se passe dans le bureau de Lou Adler qui est alors un producteur à succès. PF Sloan entre dans on bureau et voit le single d’un groupe qui s’appelle les Beatles au sommet d’une pile de 45 tours. Il demande à Lou Adler ce que vaut ce single et Lou lui répond que ça ne vaut pas un clou - Forget about it - Piqué par la curiosité, PF Sloan met le single sur le tourne-disque, l’écoute et déclare : mon p’tit Lou, tu ferais mieux d’avoir ce groupe à l’œil !
Comme des millions de kids américains, Cyril devient raide dingue des Beatles. Dead crazy, comme il dit. Il sort alors de sa réserve une autre anecdote : ça se déroule en 1963, sur la route. Bob Dylan est assis à l’arrière d’une bagnole avec Richard et Mimi Farina. Soudain, «I Want To Hold Your Hand» explose dans l’auto-radio. Dylan hurle : Stooooooop the car ! Il descend et se met à gueuler : Fuck ! Fuck ! Fuck ! Fuck ! Fuck ! Fuck ! Fuck ! Fuck ! Il venait de prendre en plein poire le génie des Beatles. Cyril suppose que le Dylan électrique vient de cet épisode. Il ajoute qu’un an plus tard, Dylan offrira aux Beatles leur premier joint et qu’à partir de là, les drogues vont entrer dans la danse, comme c’était déjà le cas dans le monde du jazz. Puis Cyril revient longuement sur les costumes Chesterfield que portent les Beatles, sur la pochette de l’album Introducing The Beatles. Les fringues le fascinent. Pour lui, la qualité des fringues est aussi importante que celles des chansons et des instruments. Il parle aussi des racines italiennes de la mode beat et notamment d’Anello and Davide, et de Felipe Verde, dont tout le monde connaît les boots. Il évoque aussi l’histoire des Modernistes français qui fréquentaient les jazzmen américains installés à Paris dans les années cinquante. C’est de là que viennent les Mods anglais. Avant d’avoir pu voir les Beatles sur scène, Cyril s’était déjà acheté un manteau Chesterfield et des boots Felipe Verde - Philippo Verde Cuban-heeled boots - En lisant ça, on réalise subitement que la pochette de Shake Some Action n’est pas sortie de la cuisse de Jupiter !
Cyril rend ensuite un premier hommage à Brian Jones, qui était fan de Muddy Waters et de Wolf, alors que Jagger et Keef étaient fans de Chuck Berry. Pas pareil. En plus, Brian jouait de l’harmo comme Slim Harpo et les Stones étaient SON groupe. En vrai Stone-maniac, Cyril rappelle que le premier album des Stones, England’s Newest Hitmakers, est l’un des plus grands albums de tous les temps. Phil Spector l’aurait produit, ajoute-t-il d’une voix chantante, comme si tout le monde le savait. Il profite de l’occasion pour sortir une nouvelle anecdote : nous sommes en 1980. Cyril rencontre Phil Spector qui vient tout juste d’enregistrer l’album des Ramones, au Gold Star de Los Angeles. Voilà qu’ils se retrouvent seuls, tous les deux, dans une salle, tard le soir. Phil n’a pas l’air d’aller bien. Cyril lui pose la main sur l’épaule et lui demande si ça va. Phil répond d’une voix d’outre-tombe :
— Sais-tu que j’ai produit Meet The Beatles et les trois premiers albums des Stones ?
Cyril lui répond aussi sec :
— Oui, je le savais, comme tous les gens branchés !
Là, Phil n’en revient pas ! Quoi, t’es au courant ? Selon Cyril, Phil aurait été très affecté de ne pas être crédité sur ces albums. Cyril précise à toutes fins utiles que Phil Spector est l’homme qui a le plus apporté au rock - Phil Spector did more for rock’n’roll than anyone in this business - Quand Cyril pense à Phil et à ce manque de reconnaissance, il en a la larme à l’œil.

z718nums39.JPG


Notre fiévreux chroniqueur profite d’un concert des Searchers à l’Ed Sullivan Show pour évoquer le nom de Jackie DeShannon qui a composé leur hit, «Needles And Pins». Il l’a déjà rencontrée. Et elle lui a fait la bise ! Wouah ! Il évoque aussi Jack Nitzsche qui travaillera plus tard avec les Groovies, lors de l’enregistrement de Supersnazz. Cyril a tout compris : il s’intéresse aux groupes anglais, aux fringues, il s’achète un ampli Vox Pathfinder avant même d’avoir une guitare électrique, et se passionne pour les grands songwriters, comme Jackie DeShannon, Phil Spector et Jack Nitzsche. Soudain, il découvre les Kinks. Cyril ne sait plus ou donner de la tête ! Il y a des disques et des groupes dans tous les coins ! Pendant tout l’été 64, il écoute jour et nuit les deux premiers albums des Beatles, les premiers albums des Stones, des Searchers, du Dave Clark Five et des Kinks. Quand les Beatles débarquent au Hilton de Los Angeles, Cyril se faufile dans le parking du sous-sol pour photographier le matériel qu’on sort du van. On voit ces photos dans le fanzine, bien sûr. Il raconte ensuite le concert des Beatles au Cow Palace, 100.000 personnes à l’intérieur et 100.000 autres à l’extérieur, qui n’ont pas de ticket. Pour Cyril, les Beatles restent le plus grand groupe de l’histoire du rock. Il n’a jamais revu un phénomène aussi hors normes que la Beatlemania en 64. Cette année-là, ses parents lui offrent une Gibson ES-235 pour son anniversaire. Chouette ! Il peut la brancher dans l’ampli Vox Pathfinder qu’il avait déjà acheté ! En novembre 1964, il devient dingue, mais vraiment dingue, en entendant «Baby Please Don’t Go» des Them à la radio. Il n’en finit plus de jouer et de rejouer «Baby Please Don’t Go» sur sa guitare neuve. Il s’est acheté le single et n’a même pas pensé à écouter l’autre face ! Les DJ de la radio font exactement la même connerie ! Jusqu’au jour où un DJ passe l’autre face dans son émission. C’est quoi l’autre face ? Mais c’est «Gloria» ! Un hit qui grimpe directement en tête des charts ! Quelle rigolade ! Ha !

x36.JPG


Pour Cyril, 1965 est l’année de naissance du rock américain. Il attaque ce nouvel épisode avec les Beau Brummels dont Sly Stone produisait les hits. Cyril continue de gratter sa belle Gibson et chaque fois qu’il achète un disque, il apprend à en jouer les morceaux. Il rend un bel hommage à l’album So Many Roads de John Hammond, cet album légendaire sur lequel jouent Mike Bloomfield et Robbie Robertson. Il s’éprend aussi des Yardbirds qu’il trouve beaucoup trop en avance sur leur époque. Coup de chapeau aux Byrds - on my fave list forever - Cyril raconte que les seuls Byrds qu’il fréquentait étaient Mike Clarke et Clarence White. Il les voit sur scène au Civic et la technique de picking de McGuinn le fait loucher. Ah putain ! Cyril se demande comment il va pouvoir jouer ça ! Il ajoute que personne dans le monde du rock ne jouait alors comme Roger McGuinn. Cyril va donc étudier le picking de Scotty Moore sur «Mystery Train». Il se servira de cette technique pour enregistrer «Evil Hearted Ada» sur Teenage Head. Puis ce sont les Stones qui grimpent sur scène au Civic. Cyril n’a d’yeux que pour la Gretsch verte de Brian Jones. Il louche aussi sur l’Harmony Meteor de Keef. Alors, il donne un conseil à tous les amateurs : si vous voulez sonner comme les Stones, payez-vous une Harmony Meteor ! Puis arrive le nouveau single des Stones, «Satisfaction». Cyril trouve le son étrange. Il découvre qu’il provient d’une Fuzztone fabriquée par Gibson. Avant de commencer à les mettre en vente, Gibson en offrit une à John Lennon et une à Keef. Un peu plus loin dans cette chronique trop touffue, Cyril revient longuement sur les Kinks et nous explique qu’ils n’ont pas de manager. C’est Ray qui gère la boutique - No tour manager, no roadies, no nothing ! - Ray s’engueule avec le patron du Cow Palace qui ne veut pas le payer en cash. Bon d’accord, mon con joli ! Les Kinks montent sur scène, font un doigt d’honneur au public et se cassent aussitôt. Pas de cash ? Pas de concert ! Cyril prendra modèle sur Ray pour les Groovies - Single-handed ! Ha !

x37.jpg


En 1966, Cyril prenait du LSD, comme tout le monde. «À cette époque, l’acide qu’on prenait se trouvait dans des sucres, 1.500 mics de pur LSD. Mec, t’avais intérêt à attacher ta ceinture quand tu avalais ça ! Le ciel commençait à tournoyer et les trottoirs fondaient sous tes pieds !» Cyril explique que le LSD lui permettait de se concentrer sur des points incroyablement précis. Il avait des résultats extraordinaires au lycée et il apprenait la guitare bien plus facilement qu’à jeun.
Il entre pour la première fois au Fillmore pour voir deux groupes : l’Airplane et le Paul Butterfield Blues Band. À l’entrée, un hippie barbu lui file un gros joint, alors Cyril dit qu’il entre au paradis. C’est encore Skip Spence qui bat le beurre dans l’Airplane et le groupe fait sauter la baraque. Cyril décrit les guitares : Paul Kantner gratte une Gibson douze cordes avec un micro DeAmond, Jorma Kaukonen gratte une Guild Thunderbird et Jack Casady une Fender Jazz Bass. Il ajoute que Casady a un ampli pour chacune des cordes de basse. Il jouait incroyablement fort - it was loud ! - Puis il voit ces mecs de Chicago, le Paul Butterfield Blues Band, qui foutent un peu la trouille. Mike Bloomfield joue encore dans le groupe en 1966 et Elvin Bishop hypnotise littéralement le jeune Cyril. Un peu plus tard, il voit jouer John Cipollina sur une SG équipée d’un Bigsby. John joue comme Roger McGuinn, avec un onglet de pouce en plastique blanc et deux onglets en métal aux doigts. Cyril raconte que l’air de rien, Cipollina fit sacrément évoluer la technique des joueurs de guitare.
Notre héros opte rapidement pour une Guild Thunderbird, comme Zally des Lovin’ Spoonful et Jorma de l’Airplane. Il donne même un nom à sa Guild : Berny. Et en février 1966, il entend «Shapes Of Things» des Yardbirds à la radio. «Ce disque est le commencement de ce qu’ils appellent le heavy metal. On n’en revenait pas quand on a entendu ça la première fois ! C’était à la fois cool et fantastique. Je comprenais qu’on allait se faire régulièrement exploser la tête en écoutant la radio.»
Petite anecdote : en 1977, Cyril joue à Londres. Les Groovies sont inscrits en tête d’affiche, au-dessus des Troggs. Cyril va trouver le promoteur et lui dit que la vraie tête d’affiche, c’est les Troggs, pas les Groovies. Mais ce porc de promoteur lui répond que le Troggs sont des has-been. Cyril est scandalisé ! «Ce fut une étrange manière de découvrir que les gens du monde réel n’ont aucun respect.»
Premier voyage à Londres en 1966. Il va faire ses courses à Carnaby Street. «J’avais 600 dollars. J’ai acheté un col roulé, le même que celui que porte Dave Davies sur la pochette d’un EP. Trois paires de pompes, dont une qui était la même que celle de Brian Jones sur l’une de ses photos.» Cyril raconte qu’en arrivant chez lui coiffé du chapeau hollandais de Keith Richards, sa mère lui dit : «Tu ressembles à l’un de ces Kinks !». On se marre bien chez les Jordan.
Puis il flashe sur la Gibson Les Paul, à cause d’une photo de Clapton au dos d’un album des Bluesbreakers. À l’époque, Mike Bloomfield jouait aussi sur une Les Paul. Cyril ajoute qu’il a enregistré Sneakers avec cette Les Paul.
«Alors que la fin de l’année approchait, je dansais et tournoyais dans ma chambre en écoutant ‘Over Under Sideways Down’ des Yardbirds.» Cyril eut l’immense privilège de voir les Yardbirds au Fillmore, la formation mythique avec Jimmy Page et Jeff Beck. «L’endroit était plein. Tous les guitaristes de San Francisco étaient là, avec la langue qui pendait.» Cyril est tordant : «J’étais au premier rang. Je regarde à gauche et je vois John Cipollina de Quicksilver. Je regarde à droite et je vois Jerry Garcia du Dead et David Frieberg de Quicksilver. Jorma et Paul étaient derrière moi.» Et il ajoute plus loin : «Ce fut probablement l’un des plus grands concerts de rock de tous les temps». Même chose avec Moby Grape au Fillmore. Tout le monde était là. «Le public est devenu dingue. Les gens hurlaient après chaque chanson. C’était un belle façon de finir l’année.»

x38.jpg


Hop, on saute en 1967. Cyril rappelle dans son intro que le rock’n’roll fit la grandeur de l’Amérique. Il embraye aussitôt avec le souvenir des premiers concerts de Doors : «Franchement, mec, Bill Graham n’a jamais engagé un groupe aussi rapidement. Les Doors l’avaient complètement scié !». Il évoque les Who qui allaient devenir «le plus grand groupe de rock des années soixante-dix». Les Who grimpent sur scène. Cyril voit Pete Townshend casser des Gibson ES 335 l’une après l’autre. Ce gâchis l’épouvante. Il voudrait lui dire : «Hey mec, s’il te plaît, ne casse pas cette guitare, donne-la moi !»
C’est en 1967 qu’il rencontre Brian Jones dans l’aéroport de San Francisco, où les Stones sont en transit. «God bless you Brian Jones.» Cyril avoue qu’il pense à lui tous les jours. Puis il flashe sur les Easybeats : «‘Friday On My Mind’ est encore mon disque préféré de 1967.» Cyril raconte que les Cream passent au Fillmore cette année-là et qu’il devient leur pote en leur fournissant des tablettes d’acide. Il dit même à Ginger d’y aller mollo et curieusement, Ginger suit son conseil. Cyril flashe aussi cette année-là sur le premier album du Pink Ployd, «one of the great LSD records». Il sait de quoi il parle, ha !

x39.JPG


En 1968, les groovies jouent au Whisky A Go Go, la boîte de Mario et d’Elmer Bernstein. Un soir, Jim Morrison se met à quatre pattes et hurle à la mort. Ça ne plait pas à Mario qui le fait virer à coups de pompes dans le cul. Cyril évoque aussi le souvenir de Dan Hicks des Charlatans qu’il admirait mais qui n’était pas très sympathique. Il rend aussi hommage à Al Wilson de Canned Heat : «Al Wilson était un génie. Il savait tout du blues.» Et il ajoute : «Al était un mec défoncé, bien barré, mais à la différence de Jim Morrison, il gardait le contrôle - Morrison l’avait perdu à cause de l’alcool et des drogues.»
L’un des passages les plus spectaculaires de ces chroniques est celui qu’il consacre à la mafia locale, qu’il appelle the Mob, comme Tommy James dans ses mémoires. Cyril raconte qu’un soir les Groovies jouent dans un club et le propriétaire refuse de les payer. Cyril a le numéro de Paul Catalina. Il l’appelle pour lui expliquer le problème. Paul envoie un big daddy qui arrive en Cadillac Fleetwood - You da Groovies ? - Yeah ! - Le big daddy dit à Cyril et aux Groovies de l’attendre dehors. Il entre dans le club. On entend des cris, des chaises voler, des vitres tomber et le big daddy ressort dix minutes plus tard avec l’argent des Groovies - Don’t fuck with da Groovies ! - 1968, c’est aussi l’année de «Jumping Jack Flash». Cyril saute en l’air : «Cette chanson te rend dingue !». Cette même année, les Groovies tournent avec les Stooges, Love Sculpture et Golden Hearing. En arrivant à Detroit, ils découvrent le groupe le plus extraordinaire du monde, selon Cyril, the fucking MC fucking Five - And man were they loud ! - Mais il précise toutefois que le groupe qui jouait le plus fort, à Detroit, c’était les Frost.
Tout ceci est écrit dans un style imagé qui est celui des bandes dessinées humoristiques. Cyril Jordan, c’est Bibi Fricotin au pays des guitares électriques.

x40.jpg


Au début de l’année 1969, Cyril fait un petit rappel sur ses chères drogues psychédéliques : «Si on veut comprendre l’approche artistique de cette génération, il faut accepter le rôle prédominent qu’ont joué les drogues. Mais pas n’importe quelle drogues. Une certaine catégorie de drogues, celles qui permettent d’élargir le champ de conscience.» Ce fameux mind expanding fut, souvenez-vous, le leitmotiv de Timothy Leary. Il était persuadé que les drogues psychédéliques allaient changer le monde et rendre l’homme meilleur. Il n’avait pas tort. Si tous les habitants de la terre avaient pris de l’acide, nous n’aurions plus de guerre. Après l’échec de la piraterie au XVIIIe siècle (l’utopie du partage) et du Phalanstère de Charles Fourier (l’harmonie universelle), la théorie du mind expanding fut la dernière grande utopie de l’histoire de l’humanité. À présent, qu’avons-nous en guise d’utopie ? Les réseaux sociaux ? Ha !
Cyril revient aux Who pour saluer la parution de Tommy et du «best electric guitar sound of all time». Comme tous les gens surexcités, Cyril ne craint pas les excès langagiers. Pour lui, il n’y a pas de doute, Tommy est un fucking landmark, une putain de pierre blanche, Pete Townshend a mis du big beef dans ses overdubs, qui sont stunning to the extreme. Sans même s’en douter, Cyril Jordan est l’un des meilleurs rock-critiques d’Amérique. Pourquoi ? Parce qu’il s’agite comme un fan passionné par ses disques, et non comme une pauvre cloche de coupeur de cheveux en quatre qui joue les intellos sans en avoir les moyens. Il rappelle aussi au passage que les Groovies étaient un groupe de San Francisco, the only real Frisco band, et qu’ils ne collaient pas du tout avec la fameuse scène psychédélique de San Francisco - As real as pain mystery. Ha ! - On se marre encore plus quand il évoque la façon dont il composa avec Roy Loney les cuts de l’album Flamingo. Ils roulaient en bagnole et rigolaient tous les deux comme des bossus, car la ville était quadrillée par les flics et pouf, ils pondent «Comin’ After Me» - The way we wrote was something to see. It was a gas gas gas ! - Il explique que 80% des cuts de Flamingo furent écrits sur le trajet Los Angeles/San Francisco, Roy au volant et lui à la guitare. Cyril raconte aussi que «Wiskey Woman» (qu’on trouve sur l’album suivant, Teenage Head) concerne Nancy Throckmorton, une baby doll qui était la nièce de John Phillips. Cyril en était amoureux, mais John Mayall aussi. C’est le vieux Mayall qui finit par emporter la compétition puisqu’il l’épousa la baby doll. Cyril profite aussi de l’épisode Mayall pour expliquer qu’il allait voir Mick Taylor répéter (celui-ci faisait alors partie des Bluesbreakers). Et pouf, il profite de la transition pour revenir à ses chers Stones, et justement, c’est Mick Taylor qui remplace Brian Jones. «But Prince Jones était un homme de many talents : les Stones perdirent d’un seul coup le blues, le folk, et le côté classique.» Cyril rappelle qu’avec les derniers hits sur lesquels joue Brian Jones, «We Love You», «Jumping Jack Flash» et «Street Fighting Man», les Stones avançaient dans une nouvelle direction - I mean fuck it was amazing. These three are my Number 1 all-time favorites. No question about it ! Oui, ces trois hits restent ses favoris - Et il rend un peu plus loin hommage aux Englanders qui voulaient toujours être défoncés en permanence - Ah they wanted to get stoned, stay stoned et get stoned some more - «Keith Moon, mon pote Viv Prince, et mon vieux pote Ginger Baker - Pour en nommer trois». Ces Englanders étaient tous des diables, y compris Brian.
C’est aussi l’année de Woodstock. Cyril a détesté cet événement : «Est-ce qu’il y avait les grands groupes de rock américains à l’affiche de Woodstock ? Non ! Je veux parler du MC5, des Stooges et des Groovies.» Puis il rencontre Kim Fowley au Big Sur Folk Festival, et comme il fait bien marrer Kim, ils deviennent potes aussi sec. Ils vont passer des nuits entières à se marrer et à faire marrer les gens, avec Kim qui n’en finit plus de demander : Where could we get some teenage head ? Cyril raconte qu’une fois il a rigolé pendant huit heures d’affilée. Le lendemain, sa mâchoire était bloquée. «Je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi intelligent et d’aussi drôle que Kim.»
Et pouf. Un jour ils sont tous les deux dans la ‘57 Chevy de Roy et qu’entendent-ils à la radio ? «I Hear You Knocking» de Dave Edmunds - Ce disque a fait tomber John Lennon de sa chaise. Même chose pour Roy et moi - We were blown away - C’est là qu’il découvre l’existence de Rockfield - Je savais que c’était le nouveau studio Sun. Il y avait un son, une identité. Comme Gold Star avec Phil Spector. Comme Sun avec Sam Phillips. C’était à l’automne 1970. Il allait encore me falloir deux ans pour réussir à emmener le groupe à Monmouth, dans le Sud du Pays de Galles - Cyril ajoute qu’il avait tourné avec Dave Edmunds dans le midwest l’année précédente (Love Sculpture), mais il ne se doutait de rien. Ha !
Les intros d’épisodes de Cyril sont chaque fois des modèles du genre : «Dans le dernier numéro, on arrivait en 1970. C’est la fin des sixties, they are over, kaput and fini.» Il commence par rendre hommage à Paul Revere & the Raiders, they were tight beyond belief, oui, ils jouaient comme des dieux. Il rappelle aussi que les Beach Boys étaient la fondation sur laquelle le rock américain des sixties fut construit, et que les Beau Brummels ont inventé le folk-rock - as far as I’m concerned - Il évoque à un moment ses souvenirs d’enfance avec Roy qu’il a connu à l’âge de 8 ans. Sa mère lui achetait chaque mois les disques du Top Ten, et donc Roy avait une énorme collection de disques. Cyril allait manger chaque dimanche chez Roy et ils passaient ensuite la nuit à écouter des disques, notamment du rockabilly, dont Roy était particulièrement friand. Cyril : «J’ai commencé à apprendre à jouer les trucs de James Burton qu’on entend dans les disques de Ricky Nelson.»

Cette année-là est bien sûr celle de l’enregistrement de l’un des plus beaux classiques du rock, l’album Teenage Head, dont on retrouve la fameuse photo de pochette en couverture du numéro 40 d’Ugly Things. Toute la genèse de l’album est dans ce numéro infiniment précieux. Cyril rappelle que ce fut aussi pour lui l’occasion de rencontrer Jim Dickinson qui jouait alors dans les Jesters avec le fils de Sam Phillips. «Cadillac Man» fut le dernier single Sun, le numéro 400. Jim joua sur «High Flyin’ Baby», «City Lights» et «Have You Seen My Baby». Cyril dit que les autres titres enregistrés avec Dickinson se trouvent sur l’album Still Shakin’. Mais sur Teenage Head, il n’y a pas que la musique. Il y a aussi la guitare et les boots. Cyril tombe un jour sur une photo de Keith Richards. Il tient une guitare en verre et porte des boots en peau de serpent. Ha ! Il demande à Jimmy Page : où c’est qu’on trouve ces boots ? Jimmy lui répond qu’elles viennent de chez Granny Takes A Trip, un boutique hip de Londres. Justement, ils viennent d’ouvrir une succursale à New York ! Lorsque les Groovies repassent par New York, Cyril file directement chez Granny. Il claque 500 dollars dans une paire de boots en peau de serpent. Et dans la vitrine, il voit «the koolest boots ever» : «Elles étaient noires avec des talons de 20 centimètres, des étoiles en or et des quartiers de lune ! Wow ! J’ai flashé et j’en ai commandé une paire sur mesure pour 700 dollars ! Je les voulais en cuir bleu avec des étoiles et des quartiers de lune argentés. Comme j’avais été magicien quand j’étais gosse, ces boots étaient faites pour moi !» Et il ajoute un peu plus loin qu’il revoit ces boots dans ses rêves. Puis il se met à chercher la fameuse guitare en verre. Il file chez Don Weir’s Music City, à San Francisco. Coup de chance, Don en a une ! Wow ! Elle vaut 400 dollars, avec l’étui en dur. Don lui dit qu’il a besoin d’herbe, alors Cyril troque la guitare contre un kilo d’herbe. Il explique ensuite que cette guitare est fabriquée par Dan Armstrong d’Harmony guitar et qu’elle est équipée de micros Dan-Electro - Now I was ready to enter the rock star arena. Ha !
Cyril consacre de gros paragraphes à l’horreur de l’industrie du disque - No one in it seemed to have morals or honor - Aucune trace de moralité dans ce monde, tout le monde le sait. Il se demande d’ailleurs ce qu’il fout dans ce circuit. Tout ce qu’il voulait, c’était jouer du rock et en vivre. Rien de plus. Mais ça tournait au cauchemar. «Je venais de découvrir en plus un terrible secret : un groupe était pareil à un animal sauvage, complètement incontrôlable. Encore aujourd’hui, je me demande pourquoi je n’ai pas arrêté tout ça à l’époque. Je pense que je devais trop aimer la musique.» C’est aussi l’époque où la soupe envahit les radios et toute l’Amérique sombre dans un immense marécage de médiocrité. «Le problème, c’est qu’il y a un million de beaufs pour un mec branché.» Cyril s’aperçoit aussi que les albums des Groovies ne sont pas distribués. C’est là qu’il décide de s’exiler en Angleterre.

z711photo jordan.jpg


Au lu de tout cela, on prend un peu mieux la mesure du charisme de Cyril Jordan, lorsqu’on a la chance de le revoir sur scène. Franchement, est-ce qu’un homme aussi élégant peut sortir de la cuisse de Jupiter ?

Signé : Cazengler, jordan le baba

Flamin’ Groovies. Petit Bain. Paris XIIIe. 29 avril 2016
Ugly Things #33. Spring/Summer 2012
Ugly Things #34. Fall/Winter 2012
Ugly Things #35. 30th Anniversary Issue. Spring/Summer 2013
Ugly Things #36. Fall/Winter 2013
Ugly Things #37. Spring/Summer 2014
Ugly Things #38. Fall/Winter 2014
Ugly Things #39. Spring/Summer 2015
Ugly Things #40. Fall/Winter 2015

LE PETIT ABECEDAIRE DE LA
CRAMPOLOGIE


P. BRINEE / P CAZENGLER


( CAMION BLANC / Septembre 2016 )

z719abccramp.jpg

A comme Abécédaire


Un abécédaire ! Les vingt-six lettres rangées dans l'ordre ( alphabétique ! ) plus une centaine de pages d'annexes. Ne commencez pas à râler, vous ne vous en tirerez pas en affirmant que vous avez depuis longtemps passé l'âge des alphabets ludiques. Ayez souvenance du tout premier que Papa et Maman avaient acheté pour que leur petit bourricot chéri commençât à déchiffrer ses premières majuscules. Une cause perdue. Vous a fallu dix ans pour ânonner péniblement trois mots à la suite. Alors les bouquins de cinq cents pages, vous vous en méfiez autant que la sainte Bible. Oui mais là, c'est un peu différent. Total délire. Le genre de visions que le jeune Arthur a relatées dans son fameux sonnet sur les voyelles colorées, a very good trip. Mais pourquoi votre paupière s'allume-t-elle brusquement ?


B comme Blanc Camion


Le paradis des rockers. Doivent tourner autour du cinq centième bouquins. Les sortent par rafales plus ou moins mensuelles. Un unique sujet de prédilection : le rock and roll. Sous toutes ses formes. Le lecteur qui veut en savoir plus ira chercher sur leur site wwwcamion blanc. Serait étonnant que vous ne trouviez point chaussure à votre pied. Chez KR'TNT ! Nous en avons chroniqué quelques uns, surtout ceux dévolus aux pionniers. Je vous laisse découvrir.


C comme Crampologie


Crampologie. C'est la dernière des sciences exactes. Une recherche de pointe. Même à Berkeley ils ont du mal à s'y mettre. La Crampologie ne s'apprend pas. Elle s'existentialise. Il se murmure qu'elle n'est pratiquée que par des savants fous. Ce n'est pas de leur faute. Z'étaient des mecs très bien jusqu'à ce qu'ils se fassent happer par la monstruosité crampsique. Terrible maladie qui s'attrape par les oreilles. Inutile de fomenter un téléthon pour recueillir des subsides dans la louable intention de leur leur venir en aide. C'est inguérissable. Une sorte de ver qui remonte le conduit auditif et qui vous mange le cerveau.

D comme Douce Folie

z721camion.jpg


L'on a isolé la bestiole : le bacille de rock. Se communique par outils phoniques ( disques, CD, DVD, MP3... ) Rassurez-vous, pas tous. Uniquement ceux qui portent la mention CRAMPS en grosses lettres horrifiques. A première oreille le cramps est inoffensif. A été catalogué par les savants comme faisant partie de l'ordre des Groupusculi rockenrolli. Méfiez-vous, le Crampsus Groupusculus rockenrollus est particulièrement nocif.

E comme Etat fébrile


La morsure du Crampsus est terrible. Vous plonge dans un état d'excitation infini. Heureusement l'infection existe aussi sous sa forme bénigne, mais dans ce livre ont été réunis les cas désespérés. Nous allons en passer quelques uns en revue. Pas tous, ils sont trop nombreux, et puis nous nous intéresserons aux étranges effets de cette MCT ( Maladie Crampsiquement Transmissible ).

F comme Fan Cazengler


Nous l'avouons avec douleur. Notre Blogue possède son alité crampsien. Notons que peu à peu se substitue à cette expression médicale celle plus populaire d'agité crampsique. S'agit de notre Patrick Cazengler chéri. Eh ! Oui, chers lecteurs, nous avons toujours essayé de le cacher. Mais notre Cat zingler préféré, notre Cat Cinglé favori, bref le sieur Patrick Cazengler qui vous régale chaque semaine de sa science rock infinie est atteint du syndrome crampsien. A un degré ultime. L'est vrai qu'il n'a pas de chance, réside en une région de France où le microbe semble se complaire. Le climat pluvieux peut-être.

G comme Grand Cazengler


Pourrait se contenter d'être un malade lambda. Qui se soigne. Qui ne la ramène pas trop puisque la mort est au bout du chemin. Non il l'ouvre tout grand. Le crie sur le toit. C'est dans son cerveau qu'a germé cette idée vengeresse. Un peu comme ces malades du sida qui font l'amour en décapotable pour inoculer le virus à la terre entière. L'a convoqué tous les grands atteints, les introduit, en brosse un portrait flatteur, leur donne la parole, les interviewe, attire le projecteur sur eux, les présente sans vergogne comme des exemples mirifiques à notre pauvre jeunesse désemparée. Bref, l'est le maître d'oeuvre du projet. Celui par qui l'épidémie se propagera.

H comme House of Fun


Faut aussi être honnête. La crampsilite n'est pas une maladie désagréable. Elle possède ses côtés positifs. Vous ne crachez point vos poumons, des bubons ne poussent pas sous vous aisselles, vous ne courez pas aux gogues toutes les deux minutes faire du caca liquide, ce n'est ni la phtisie, ni la peste, ni le choléra. Le crampsilite est un être affable. L'est heureux de vivre. L'a un pêchon incroyable, il crie, il danse, l'est incapable de rester immobile, déborde de projets, hurle dans les escaliers, honore sa compagne douze fois par jour. Un extraordinaire boute en train. Dans votre vie de tous les jours, vous pouvez côtoyer des crampsilites gravement atteints sans le savoir. Comment croyez-vous que le Cat Zengler a rejoint l'auguste rédaction de KR'TNT ?

I comme ISABELLE

z720isabelle.jpeg


M'intéresserai maintenant à une autre crampologue. Pourquoi elle précisément ? Une raison bien simple, Isabelle fut le grand amour de ma vie. Je ne la connaissais pas. Jamais vue. Jamais entendu parler d'elle. Jusqu'à ce matin maudit, au café, je prenais un petit dèje, tranquillou avec un copain, nous parlions de tout et de rien, quand mâchouillant dans son croissant le pote s'est exclamé la bouche pleine : «  Chas vu, dans Rock & Chlok ch'ils ont chembauché une chouvelle chournalite, une chaductriche qui chappelle Isabelle Chelley ». Ce fut la révélation. Elle existait. Elle était pour moi. Je n'attendais qu'Elle. Je suis parti en courant, en hurlant comme la chorale des Poppies Isabelle, Isabelle, je t'aime !

J comme Joutes d'amour


M'a fallu deux jours pour repérer son appartement. Savais où elle habitait : ne me restait plus qu'à passer à l'action. Le copain tenta de me dissuader. « Tu es taré, t'arrives chez elle, tu sonnes, elle ouvre la porte et elle se jette dans tes bras. Elle est sans doute maquée, un mari, des enfants, et tu crois qu'elle va changer de vie rien qu'en voyant ta bobine ? Tu te fais des illusions, désolé de te le rappeler mais tu n'as pas le physique de James Dean. » Ne t'inquiète pas, Elle est à moi. C'est le destin. Personne n'y peut rien. Ni moi. Ni Elle. C'est inéluctable.

K comme K.O. technique


Suis arrivé devant la porte. L'était blindée. J'ai souri. J'avais tout prévu. De ma musette style guérillero année soixante-dix j'ai retiré quatre pains de plastic que j'ai consciencieusement dispatchés aux quatre coins de la porte. J'ai planté les quatre détonateurs préalablement reliés à un fil électrique. Me manquait plus que la prise de courant. Evident ! Un plan machiavélique ! N'y avait qu'à dépiauter la sonnette, faire le branchement et enfoncer le bouton. J'ai voulu vérifier au dernier moment que je ne m'étais pas trompé d'étage. J'ai lu le nom : Isabelle Chelley ! Enfer et damnation, funeste malédiction, terrible déception ! Survivrai-je ? J'ai remisé ma camelote dans la sacoche et me suis enfui en courant !

L comme Life like poetry


Le copain s'est assis. « Tiens tu es seul ! - j'ai pressenti un soupçon d'ironie dans sa voix - alors Casanova, Isabelle n'a pas voulu de toi, elle t'a ri au nez et envoyé une paire de mandales qui t'a remis les idées en place en te traitant de cinglé. » Arrête tes sarcasmes vil helminthe ! Tu ne comprendras jamais rien à la poésie. Ma vie est brisée ! Quand tu m'as parlé d'Isabelle Chelley. Ça a tilté dans ma tête. Mon rêve secret de poète maudit a toujours été de m'unir à une descendante de mon idole absolue, le grand poète romantique anglais Percy Bysshe Shelley. Isabelle, c'est Chelley; mais avec un C ! Tu aurais pu préciser. « Excuse-moi, je ne savais pas. Tiens, je t'offre un petit crème. »

M comme Maudit Poison

z724poisson.jpg


Esculape l'a prescrit dans son enseignement. Les mauvais toubibs soignent les symptômes et omettent de s'attaquer à la cause. Primera Causa dixit magnus et doctissimus Aristoteles. Le virus crampsien est double. Marche par deux. Mâle et femelle. La femelle est aussi malfaisante – certains disent même plus redoutable - que le VIH, possède une dénomination pratiquement similaire, IVY, mais pour en marquer la virulence on le fait précéder du terme Poison. Poison Ivy, un véritable panneau à tête de mort.

N comme Négative influence


L'est comme l'araignée. Le mâle s'approche d'elle. Tant pis trop. Trop tard. Il est ferré à vie. Pas question de le laisser échapper. Vous le ligote, vous l'empègue dans sa toile. L'a pas intérêt à s'éloigner de plus de deux mètres cinquante. Vingt quatre heures sur vingt quatre. Eight days the weeks. Monomaniaquerie. Certes elle a des arguments trébuchants. Une rousseur incendiaire, une jupe à ras la praline. Vous lui suce l'énergie jusqu'à ce qu'il en crève. Dans le virus qui nous occupe, huit ans qu'il est mort au champ d'honneur et d'horreur de l'attirance maléfique.

O comme ON / OFF

z723amord'ivy.jpg


Le mâle est comme la femelle du lampyre ( communément appelé ver luisant ). C'est lui qui clignote pour attirer sa promise. Les chercheurs américains disent qu'il est la lumière intérieure du couple. Le désignent par son nom latin, tout de suite ça fait plus classe. Lux Interior. Entre nous soit dit, un sacré numéro.

P comme Parade nuptiale


L'est comme ces mecs incapables de tenir une conversation. Une fois qu'ils ont annoncé qu'il fait beau, et après un grand effort intellectuel, que demain peut-être il pleuvra, se referment comme une huître. Se radine une minette et les voilà qui vous récitent l'Odyssée, qui vous font le poirier, le cochon pendu et la grande roue. Ne savent pas comment se faire remarquer. Les blaireaux !

Q comme Qualité supérieure


Le Lux Interior use de stratagèmes bien plus subtils. C'est un être cultivé. Pas comme on l'entend généralement. Se pâme devant tout ce qu'il est de bon ton de ne pas aimer. La sous-culture prolétarienne des frustes ados boutonneux. Les films d'horreurs peuplés de zombies et d'extra-terrestres, les fanzines d'épouvante à l'encre pisseuse, les poitrines pulpeuses des comics, les émissions débilitantes de la télé et de la radio, le porno hardzen. Mais ce n'est pas tout.

R comme Rockabilly


L'est un fan invertébré de la musique des péquenots des Appalaches. Dès la formation du couple a lieu cette étrange migration à la recherche du soleil ( se dit Sun en anglais ). L'on a longtemps pensé que le binôme était attiré par la la chaleur afin de hâter les phénomènes de reproduction. Mais non, gagne simplement cette partie du Tennessee particulièrement bruyante autour de la ville de Memphis. Etrangement le couple viral restera stérile. Passera sa vie à émettre des sons que le commun des mortels jugent insupportables.

S comme Scènes obscènes

z725lux.jpg


Pourraient être discrets, mais non. Dès qu'un projecteur s'allume dans un quelconque coin du globe, ils y foncent. Accompagnés par quelques comparses aussi frappadingues qu'eux. Aucune retenue. Si le Poison Ivy se contente d'asséner de basses modulations de fréquences meurtrières le Lux Intérior se déchaîne. Hurle et s'égosille. Se roule par terre, se déshabille, se trémousse sur le plancher nu comme un ver, saute sur les spectateurs, vocifère de toutes ses forces, et entre en transe.

T comme Trop excessif


Un comportement excessif. Les savants se demandent si le microbe crampsus n'est pas le gène de la folie. Jugez du scandale, le dérangement psychique ne proviendrait pas de lésions intérieures comme l'argue le célèbre doctor Freud, mais d'un germe extérieur qui s'introduirait dans votre cerveau et peu à peu vous inoculerait un fatal glissement de vos facultés de raisonnement et induirait l'adoption de comportements borderline...

U comme Unités psychiatriques


De sérieux indices semblent confirmer cette vision de la maladie. Une équipe du laboratoire de San Francisco n'a-t-elle pas pas détecté dès 1984 la présence du microbus Crampsus dans le Napa State Mental Hospital ? Mais il y a pire.

V comme Vérités inquiétantes


La lecture de cette ouvrage de Crampologie confirme la théorie de l'interdépendance des consciences telle que la définit dans ses études phénoménologiques le grand Edmond Husserl. La folie crampsique – conformément à ce que nous subodorions au début de notre étude est lourdement communicative.

W comme What is the question ?

z722cramps.jpg


La vérité se regarde en face. Certes paraissent sympathiques nos intervenants. Mais quand on voit Ben qui passe sa vie à récolter les enregistrements de tous les concerts crampsiques, Slim Gil Deluxe à portraiturer sans relâche le Poison Ivy et le Lux Interior, Alain Feydri à écrire un livre indéfinitif sur le sujet, Linsay Hutton à dépenser une énergie folle à fomenter le fan-club, Michael Joswig à peaufiner un site, Kogar à éditer des disques d'enregistrements rares, Mike McEchron à répértorier tous les concerts, Howie Pyro à monter une immense exposition sur les objets crampsiques, Dirk Roeyen à écrire un bouquin tiré à 101 exemplaires, Sean à éditer le fanzine Trash Is Neat, et toute une flopée d'autres chamboulés par le microbe crampsique, l'on peut se demander où et quand cela s'arrêtera-t-il ?

X comme Xénobiotique


Nous l'avons démontré : le crampsus est de nature zénobiotique. Etranger à tout corps humain normalement constitué et toxique pour la propagation de l'espèce. Doit donc être classé dans la catégorie des nuisibles qu'il est loisible d'éradiquer sans avoir à demander permission. La chasse au Groupusculus Rockenrollus Crampsus devrait donc être fortement recommandée et encouragée par l'Etat.

Y comme Y a pas...


Ne nous faisons aucune illusion. Comme d'habitude l'Etat et les conglomérats pharmaceutiques ne feront rien. N'entameront aucun plan prophylaxique de combat pour juguler cette maladie orpheline qui ne touche à l'heure actuelle qu'un minuscule pourcentage de la population active. Y a pas urgence.

Z comme Zut !


Lecteurs ne soyez point découragés. Imitez-moi, écoutez mon conseil, et suivez-le. Il ne faut jamais désespérer. Lorsque la situation vous semble irrémédiablement bloquée, vous reste une issue de secours. Tout de suite vous vous sentirez mieux, c'est tout simple, mettez-vous un disque des Cramps, et rock on ! laissez la folie vous envahir ! N'existe pas de meilleur remède.

ANNEXE 1


Faut toujours avoir deux sorties à son terrier. Une deuxième solution est hautement recommandée pour pallier les coups de blues ( bien plus dangereux que les coups de grisou ). Suffit de se procurer L'Abécédaire de la Crampologie si magistralement mis en oeuvre par Cazengler le loser. Un genre de nouvelle littérature loufoque et roborative. Admiration et éclats de rires à tous les coins de page, le centre du feuillet étant occupé par une érudition sans faille. Plus les illustrations cultissimes. Dévorez-moi tout cela en quelques heures et désormais vous n'aurez plus qu'une idée en tête : jouer au Polidori. Un jeu de société. Qui peut aussi se pratiquer en solitaire. Rien à voir avec le Monopoly. Polidori est un des éternels seconds du romantisme européen. Etait le secrétaire de Byron. Participa à cette pluvieuse soirée durant laquelle le Lord proposa à ses invités – un certain Percy Bysshe Shelley et sa radieuse épouse - un concours d'écriture. Saine émulation ! La règle du jeu est d'une simplicité extrême : composez-vous aussi votre petit abécédaire crampsique, c'est jouissif.

ANNEXE 2


M'aperçois que je n'ai pas donné le résultat de la byronienne compétition. Sans contestation possible, issu de la plume de Mary Schelley, ce personnage qui depuis deux siècles hante les nuits fiévreuses de l'imaginaire occidental, Frankenstein ! Pierre de touche de l'univers crampsien par excellence !


Damie Chad.

TROYES / 22 – 10 – 2016
BAR LE 3 B


NATCHEZ

z694affiche.jpg

La teuf-teuf galope comme un poney sur le sentier de la guerre. L'a peur d'arriver en retard. L'a rendez-vous pour un pow-how géant avec la tribu des Natchez. Du moins ce qu'il en reste. Fut razziée de la carte du Mississippi par les troupes françaises. Ils exagéraient, ne voulaient pas déguerpir de leur village pour laisser l'emplacement aux colons. Bref furent promptement éliminés en tant que pré-définition custérienne selon laquelle un bon indien est un indien mort. Leur nom aurait sans doute disparu de l'imaginaire français si Chateaubriand ne l'avait préservé dans Les Natchez une espèce d'épopée sauvage – au sens rousseauiste de cet adjectif – rédigée en une prose somptueuse et emphatique dont aujourd'hui ne surnagent – hélas ! - que deux épisodes, Atala et René, textes phares à la source du romantisme français. Pour ceux qui n'ont aucune envie de se lancer dans le demi-millier de pages de ce roman de jeunesse, et qui désireraient rendre symboliquement hommage au peuple rouge de l'Amérique génocidé, l'est une solution davantage rock and roll, c'est d'assister à un concert de Natchez.

z695grossecaisse.jpg


Le 3 B est rempli de rockers. La gent habituelle, mais aussi un lot important de fans du groupe qui ont fait le déplacement – le band a planté son camp de base dans les profondes forêts de l'Argone - tous amateurs de rock qui ne tardèrent pas à sympathiser sans réticence.

CONCERT

z696lestrois.jpg


Les Natchez ne sont pas un groupe de rockabilly. Font partie de cette génération pour qui le rock commence avec les Rolling Stones. Y aurait pu avoir quelques frictions puristes. Mais les Natchez ont l'art et la manière de faire taire les contradictions. Ne sont pas nés de la dernière pluie, écument les bars et les scènes depuis trente ans. Savent s'y prendre. Z'ont un atout maître dans leurs manches ( de guitare ). Jouent du rock and roll. Puissant et électrique. Le genre d'arguments qui met tout le monde d'accord.

z692frères.jpg


En première ligne. Deux escogriffes. Deux grands gaillards qui arborent des crinières ébouriffées de broncos. Un petit air de famille. Normal, sont frères de sang. Sur notre gauche Barbac'h, le bateleur, le Natchez tchatcheur, vous emballe en trois secondes, sourire narquois et humour qui fait mouche à chaque fois. Pas de grandes déclarations, deux ou trois réparties lapidaires, un zeste d'auto-dérision et c'est dans la poche. L'est à la rythmique, mais chaque fois que cela s'avèrera nécessaire il vous envoie de ces riffs tonitruants à vous clouer au poteau de torture. Se charge des vocaux. Commence par deux titres en français, et ma fois ça tient sacrément la route, un phrasé bien articulé qui colle parfaitement à la musique. De l'autre côté Manu, l'a l'allure du gars flegmatique qui prend son boulot à la cool, relax max, de temps en temps je caresse les cordes pour vous faire plaisir.

z697bottleneck.jpg

Dans les westerns, c'est le mec que vous prenez pour le dix-septième couteau. Vous lui accordez huit minutes de survie en début de pellicule. Erreur totale, c'est un tueur impitoyable, le héros du film. Sa spécialité ce n'est pas le colt mais le bottle neck. Un véritable sorcier. Ce simple tube de métal il parvient à le faire miauler comme pas un. On se croirait sur le toit brûlant de la chatterie de la SPA durant la saison des amours. Use de sa nonchalance particulière – le « je ne fais presque rien » et le « je donne plus que tout » - bouge à peine le doigt et ça feule à tout berzingue. Avec lui, on comprend pourquoi la guitare est un être femelle essentiellement clitoridien. Ne nous égarons pas.

z698basse.jpg

André est à la basse. Des quatre, avec ses cheveux longs, son sourire mystérieux, et sa fine discrétion, l'a le look le plus indien. Attitude silencieuse mais question instrument c'est raté, vous distille un vrombissement rythmique des plus alléchant, épais comme une crème brûlée. L'air de rien il s'amuse comme un fou, parfois il s'immisce entre ses deux confrères et à eux trois ils ressemblent aux frères Younger

z693lestrois.jpg

en train d'entretenir des deux gâchettes un meurtrier feu de barrage sur les détectives de l'agence Pinkerton, parfois il disparaît tout au fond de la pièce dans un recoin d'où il nous fait signe en agitant le bout de son manche. A la batteuse vous trouverez Benjamin. Moissonne sans désemparer. Pas un tiers de seconde de repos. C'est que le band bande dur. Vous avez de ces arrêts sismiques en bout de riffs qui déstabiliseraient les montagnes rocheuses. Très rockeuses. Des compos, du Stones, du Lynird Skinird, du Creedence ( à l'eau lourde ), pas besoin de vous peindre davantage le paysage. D'autant plus que cela, ce n'est que le premier set. De la rigolade par rapport au suivant. La même chose mais en dix fois meilleur. Faut voir Manu, travaille sur ses cordes. Ne se mélange pas les pinceaux. Pose ses doigts avec une précision d'horlogerie. Une élégance de comtesse qui n'omettrait de lever son auriculaire pour porter la tasse de thé à ses lèvres. Faut l'entendre aussi, ces notes grasses comme des bosses de bisons qui courent à fond de train sur l'étendue sans fin de la prairie. En prime bien sûr le duel rituel.

z699barbac.jpg

Barbac'h qui envoie une barbaque de riffs faisandés à dégoûter une horde de coyotes affamés et Manu qui réplique en vous offrant le charnier des abattoirs de Chicago. Ça pue le méchant rock and roll à plein tube. Dans la salle tout le monde s'enivre de ces fumets diaboliques. Et ils en rajoutent, à chaque fois plus rapides. Rigolent comme des bossus, se marrent, échangent des plaisanteries tout en larguant des plans de guitare plus complexes que les circuits électroniques d'une fusée intercontinentale. La tension monte à El Paso. L'on entend siffler le train vingt cinq mille fois et nous avons même droit à une hilarante évocation de l'homme des hautes plaines. Une prière pour Benjamin trempé de sueur derrière ses fûts. S'il continue à s'appliquer ainsi, l'est sûr qu'il ne passera pas l'hiver. En attendant, fait sacrément chaud. Font un tabac, mais version calumet de guerre. C'est la fin. Mais là encore Béatrice la patronne surgit - telle le septième de cavalerie dans La prisonnière du Désert - du sein de la foule et exige un dernier morceau. Se laissent violenter avec plaisir et l'on aura droit à un It's all over now repris en choeur par l'assistance et un Neil Young de derrière les fagots pour clôturer la cérémonie. Z'ont dû jouer près de trois heures, remarquez qu'en contrepartie les T-shirts, les double CD et les photos géantes se sont envolées comme un vol de vautours sur l'horizon infini. Une soirée de rêve, dégoulinante de rock and roll. Les Natchez ont été splendides. Une tribu dangereuse, à suivre à la trace.

( Photos : FB Christophe Banjac )


Damie Chad.

 

LE MEE-SUR-SEINE / 19 – 10 – 2016
LE CHAUDRON


ELI D'ESTALE- SIDILARSEN

z727affiche.jpg

Ce qu'il y a de bien avec Le Chaudron, c'est que vous y tombez dessus au moment même où vous êtes en train de penser que décidément vous vous êtes fourvoyé. Vous pouvez y passer trente fois devant sans que vous l'ayez remarqué. Les architectes ont parfaitement réussi leur plan d'intégration d'une structure communale dans l'habitat local. Ne l'ont peut-être pas fait exprès, mais ils devraient être cités à l'ordre de la nation. A ce niveau-là ce n'est plus de l'art mais du camouflage militaire. J'ai triché, me suis fié à l'instinct proverbial du rocker. Dix jeunes qui discutent sur un parking, affublés de T-shirts noirs sur lesquelles se profilent têtes morts, créatures effrayantes, lettrages gothiques et autres babioles aussi joyeuses, je tiens le bon filon. Ouverture des portes à dix-neuf heures trente, non ce sera huit heures. Plutôt que de faire le pied de grue dans la petite brise frisquette je me réfugie dans la MJC attenante. Lorsque j'en ressors c'est pour tomber sur les membres de Scores et Fallen Eight que nous reverrons très bientôt puisque Scores prépare sa Release Party ce prochain 19 novembre – dans ce même Chaudron – pour fêter la sortie de son deuxième EP. En attendant engouffrons-nous dans l'escalier qui nous emmène entre les noires parois de la panse chaudronique.

ELI D'ESTALE

z728élinoieetblanc.jpg


Noir complet. On ne les voit pas. On les devine. D'obscures silhouettes. Musique pharamineuse, c'est lorsque la lumière éclate que la noirceur apparaît. Deux chanteurs. L'un est censé growler et l'autre chanter. Mais la différence n'est pas évidente. Nous ont par surprise. Restent coi et lorsque le chant éclate c'est le guitariste sur notre gauche qui se charge des premiers lyrics. Très bien d'ailleurs. L'a la hargne. Maltraite son instrument et éructe très méchamment dans le micro. Mais les yeux sont ailleurs. Sur Thomas le chanteur. Torse nu et bipolaire. Côté sombre et zone lumière. La moitié de la poitrine et le haut du visage maquillé de noir. L'attire les regards. Large ceinture de janissaire qui pend jusqu'à terre. L'est le mouton à moitié noir du groupe, celui qui apporte une touche artiste. Un groupe de métal avec un plus. Une aura de mystère supplémentaire. Chantent en français. Pas toujours compréhensibles car la musique recouvre parfois le vocal.
Musique climatique. Qui installe une ambiance. Saccadée. Des séquences qui se bousculent. Laissent la place au chant mais les épisodes purement musicaux sont nombreux. Peu de lignes mélodiques, l'espace est occupée par des saccades rythmiques. L'impression d'un train qui ralentit avec les wagons qui se heurtent violemment comme s'ils allaient s'encastrer les uns dans les autres. Toutefois le voyage continue comme de rien n'était. Les doigts s'arrêtent sur les cordes des guitares et aux drums Michael Schmidt enclenche une touche sur son ordi pour envoyer un trailer sonore sur lequel les instruments redémarrent et se fondent comme s'ils se perdaient dans le bruit du son. L'on sent que le groupe cherche à réaliser l'alliance des contraires l'énergie brute du métal et d'une certaine théâtralité poétique. Ce n'est pas un hasard si leur premier album se nomme Stellogénèse. Essayent d'accoucher de quelque chose de neuf, d'accoupler deux insectes géants d'espèces différentes. La virilité sonore est accomplie mais l'esthétique d'une sensibilité féminine n'a point atteint son stade de perfection. Les deux facettes du yin et du yang sont mises tour à tour en évidence, mais elles s'effacent dès que leur moment est passé. Guitaristes et chanteurs se retirent discrètement au fond de la scène prés du batteur comme s'ils voulaient se faire oublier. L'on préfèrerait qu'ils imposent une présence statique, une pose statuozidale, qui perpétuerait leur nécessité. Il manque toute une dimension imagiale à la mise en scène. Tout disparaît, se retrouve avalé par la nébulosité d'un retrait total qui donne le regret de sa discrétion. Ne jamais oublier que dans une éclipse ce n'est pas l'obscurité engendrée par le phénomène qui est atterrant, mais la disparition de l'astre qui se donne à voir pleinement en s'imposant en tant qu'absence. La télé d'Eli Estale a le son, mais l'image est encore quelque peu brouillée. Agréable à regarder, le public l'acclame, et toute une partie est manifestement venue pour eux seuls. Pas tout à fait ma tasse de thé-âtre. Manque une splendeur iconique.

z729elipublic.jpg

SIDILARSEN

cyril jordan - ugly things,abécédaire de la crampologie - patrick cazengler - camion blanc,natchez - bar le 3,eli d'estale- sidilarsen - le chaudron,pub adk fermeture


Autant le dire tout de suite je n'ai guère apprécié. Ce n'est pas qu'ils soient mauvais en leur genre, c'est le genre qui me déplaît. Sont définis comme du Dance floor metal. Perso, je pense que cela s'apparente un peu trop à la musique de boîte. Sais bien que la disco fut la face concomitante du punk à la fin des années soixante-dix, mais j'ai choisi mon camp et n'entends point en changer. Cinq sur scène, sombrement habillés sobrement. Ne sont pas de mauvais musicos et sont même sympathiques. Trimballent des idées généreuses et révoltées contre lesquelles je n'ai rien. Envoient méchamment du son, mais sont trop gentils. S'excusent de leur morceau very too go fast. Juste une métaphore. La griserie de la vitesse. N'allez pour cela écraser les gens sur votre route. Nous ne sommes pas des brutes. Nous respectons l'humanité de tout individu. Chantent en français pour être sûrs de bien se faire comprendre. Martèlent les paroles comme des slogans. Nous sommes des milliards, faudra bien que l'élite se rende compte que l'on existe. En son temps Trust disait la même chose mais ça vous cinglait le visage comme un coup de fouet à la lanière en fil de fer barbelé. Pour Sidilarsen il y a tant de générosité que cela en devient du consensus idéologique mou. Pas de panique pour les durs de la comprenette, ont installé deux maxi-écrans de chaque côté du fond de la scène. Projettent des images. Stylisées, simples et répétées. Avec les phrases importantes des morceaux écrits en gros lettrages blancs et noirs. Sont synchrones à la seconde près. Rien n'est laissé au hasard. Tout est minutieusement mis en place. La batterie qui enfonce les clous, toujours les mêmes breaks incessamment répétés, basse et guitares qui envoient les linéaires de binaire à fond. Electrochoc à mort mais beaucoup trop d'électro. Ce ne sont plus des trailers, mais le film entier plus les séquences enlevées au montage. Le public n'adore pas. Est en communion. M'étais fait la remarque de cette moyenne d'âge plus élevée que pour Eli d'Estale. Je comprends pourquoi. Un peu trop musique populaire dans le mauvais sens du terme. Une grande différence aussi avec les groupes pur métal, point de charivari garçonnier, ici ce sont les filles qui sont en état transique, refermées en elles-mêmes, insensibles au monde, prisonnières de cette hypnose balancée sans relâche par le groupe. Terriblement efficace. Vous servent une musique décérébrante pour vous faire réfléchir. Mais ils y croient. L'on sent la sincérité et l'authenticité. Ont un super chanteur, Didou, un plaisir chaque fois qu'il se rapproche du micro. Y a encore des attitudes rock en sa façon d'être, mais ce qui est sûr c'est que ce métal a perdu toute accointances avec ses racines blues. La musique évolue. Mais l'on n'est pas obligé d'apprécier tous les chapitres qu'elle parcourt.

cyril jordan - ugly things,abécédaire de la crampologie - patrick cazengler - camion blanc,natchez - bar le 3,eli d'estale- sidilarsen - le chaudron,pub adk fermeture


Damie Chad

( Photos : FB des artistes )


P.S. 1 : Sidilarsen me fait un peu penser à Anakronic Electro Orkestra ( les amateurs doivent connaître ) vu cet été en Ariège au festival Les Z'arts en Douc et pour lesquels j'avais renoncé à écrire une chronique car trop éloigné de mes centres d'intérêt.
P.S. 2 : Par contre faudra que je vous fasse un topo sur les Vidéophages, une espèce d'ovni filmique théâtralisé d'une originalité folle... qui fut le summum de ce festival pas tout à fait comme les autres.

z726pubadk.jpg

PUB ADK


Ai légèrement évoqué le problème voici quinze jours en rendant compte du concert des Dix-huit Marches. Les menaces de fermeture de sites dévolus aux concerts rock ( tous styles confondus ) dans le département se précisent. Vous ai souvent emmené aux soirées organisées par le pub ADK de Roissy-en-Brie. La dernière fois fin mai pour Junior Rodrigues and his Evil Things et The Distance, mais aussi la fine fleur du rockab national. De bons souvenirs, la mairie a prévenu qu'elle ne renouvellera pas ses subventions pour l'année 2017. Envisage froidement la fermeture du local courant décembre. Ce que l'on appelle un beau coup de pied au cul en guise de cadeau de Noël. Un désastre. Pour en mesurer l'ampleur sachez que plus de deux cents groupes ont été accueillis en 2015. Dont plus de cent cinquante régionaux. Vous connaissez la chanson : l'Etat qui se défait de ses prérogatives, les nouvelles équipes municipales fraîchement élues qui appliquent à la lettre les préceptes de la rentabilité libérale... Quand on pense que la jeunesse avait été déclarée priorité nationale pour ce quinquennat finissant, il y a de quoi se mettre en colère. L'est temps d'appliquer le célébrissime mot d'ordre du MC 5 : Kick Out The Jams, motherfuckers !


Damie Chad.