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11/10/2016

KR'TNT ! ¤ 298 : KING KHAN & HIS SHRINES / FALLEN EIGHT / SENTINHELL / FURIES / NAKHT / T.A.N.K. / THE ARRS / ROCK CRITIC / JODOROWSKY

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 298

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

13 / 10 / 2016

KING KHAN & HIS SHRINES

FALLEN EIGHT / SENTINHELL / FURIES

NAKHT / T.A.N.K. / THE ARRS

ROCK CRITIC / ALEJANDRO JODOROWSKY

3 octobre 2016
LE HAVRE (76 ) / LE TETRIS
KING KHAN & HIS SHRINES

Le Khan dira-t-on

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King Khan et BBQ ont tellement de talent qu’on les suit à la trace. Ils multiplient les projets parallèles et donc les disques abondent, souvent passionnants. Comme dans les cas de Robert Pollard et de Wild Billy Childish, on peut parler ici d’une authentique démarche artistique. King Khan et BBQ ont une vision si riche du rock qu’elle leur permet d’avancer dans des directions souvent aventureuses. N’oublions jamais que l’homme qui n’avance pas recule.

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Avec les Shrines basés en Allemagne, King Khan a déjà enregistré quatre albums. Sur scène, leur set impressionne. Les Shrines sont nombreux. Une section de cuivres complète la section rythmique habituelle. Autrefois, une danseuse venait animer la scène et King Khan chantait et dansait avec le cousin d’Henry, le célèbre crâne de Screamin’ Jay Hawkins. King Khan & the Shrines sont toujours d’actualité, et même plus brûlants que jamais, comme ont pu le constater les veinards venus les vois jouer au Havre, par un beau soir d’automne.

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Toujours autant de monde sur la petite scène du Tétris, clavier, deux cuivres, guitare, basse et un vieux black magique aux percus assis dans un coin. Tous ces gens sans exception sont des musiciens exceptionnels. Celui qu’on observe peut-être le plus, après King Khan, est ce sacré funkster de bassman allemand qui drive toujours ses lignes avec l’aisance d’un Bootsy booty. King Khan attaque son set en costume gris. Il plante le décor de la soul avec l’aisance d’un Booty bootsy, tout en grattant sur sa guitare noire de garagiste. En fait, avec les Shrines, il rallume le mythe de la revue, au sens où l’entendaient les grands artistes noirs des années cinquante et soixante.

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Leur set était avant tout un spectacle, ils voulaient que les conditions de la scène soient celles du studio, aussi fallait-il du monde pour recréer les arrangements et offrir à leur public un VRAI spectacle. King Khan & the Shrines recréent cette tradition, avec le même impact, car ces gens ont du répondant. Rien n’est plus risqué que de jouer de la soul sur scène quand on n’est pas noir. Figurez-vous qu’ils s’en sortent avec les honneurs et qu’ils font danser les dames. Fabuleuses équipe, fabuleux shouter que ce King Khan tombé du ciel. Il va changer trois fois de tenue dans la soirée, pour observer un rite lui aussi lié à la légende des revues. Il revient dans un déshabillé moulant de soie noire, bien échancré sur la poitrine, pour qu’on puisse apercevoir ses mauvais tatouages et sa bedaine.

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Quelle classe épouvantable ! Ce mec sonne comme une superstar et il joue la carte du trash à fond. C’est inespéré. King Khan incarne son art, un anglais dirait de lui qu’il est larger than life - une formule imagée intraduisible - King Khan, c’est le Pantagruel avec un micro, Little Richard rajeuni de quarante ans, Néron au Balajo, c’est Jean Lorrain en lunettes noires, l’enfant caché de William Burroughs et de Divine. Justement, notre héros vient de faire paraître un album de William Burroughs, Let Me Hang You. Burroughs lit ses poèmes et des musiciens jouent derrière. King Khan jour sur sept des titres.

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Attention, il faut idolâtrer Burroughs pour écouter l’album, car l’ambiance reste très expérimentale et même bruitiste, disons à la Schoenberg, et Burroughs reste le génial story-teller que l’on sait, avec des mots à la traîne et son fort accent new-yorkais. King Khan nous replonge dans cette avant-garde musico-littéraire qui semble avoir complètement disparu depuis le temps où Erik Satie et Picasso œuvraient ensemble pour Parade, le temps où Francis Poulenc mettait des poèmes d’Apollinaire en musique et, plus récemment va-t-on dire, le temps où Leo Ferré orchestrait les vers magiques d’Aragon. D’ailleurs, lit-on encore Aragon de nos jours ?

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Mais nous nous éloignons du sujet, il est temps de revenir à cette petite salle du Havre surchauffée par une fière équipe. Dans la salle, tout le monde est en état d’admiration avancée. King Khan revient sur scène en culotte de satin noir et en cape, comme au Cosmic, tout l’orchestre est survolté, notamment le petit brun aux claviers, la soul suinte de partout, King Khan jerke la paillasse du beat sans répit, il continue de screamer et, en parfait gentleman-soul shaker, il sourit aux dames qui dansent. Franchement c’est l’un des groupes qu’il faut voir jouer sur scène, car ils sont beaucoup trop bons.

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Un groupe comme ça pour douze euros ? Non mais c’est une plaisanterie ? Ils devraient déjà jouer à l’Olympia et prendre un cachet de 150.000 euros, histoire d’aller ensuite remplir la baignoire d’une suite au George V de cochonnailles fumantes et de s’y vautrer en l’honneur de Divine, et de Rabelais, son père spirituel. Ouvrez la pochette de Let Me Hang You et vous tomberez sur un tas de tripes. King Khan tire ça du délire trash de William Burroughs. Kahnnibalism, baby !

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Le premier album de King Khan & the Shrines date de 2001 et s’appelle Three Hairs And You’re Mine. Petite précision d’importance : le Révérend Beat Man le fit paraître sur son label Voodoo Rhythm. Pour un premier tir, c’était un véritable coup de maître. D’autant qu’ils n’ont pas lésiné sur les moyens, car l’album est enregistré au Toe Rag Studio de Liam Watson, à Londres. Dès le morceau titre d’ouverture, on sent un magnifique drive de basse artériel en hyper-tension. Ils enchaînent avec un coup de boogaloo vindaloo exceptionnel, «Kukamonga Boogaloo». Ils nous swinguent ça au mambo du lounge et ça saxe sec dans la fournaise. On entend des accords inconnus dans le torride «Feel Like Me». Oui, attention ! Cet album réserve des surprises de taille. S’ensuit un «Don’t Walk Away Mad» monté au meilleur groove cavaleur du mondo bizarro. Seulement quatre titres et l’auditeur se doit d’admettre qu’il a dans les pattes un album incroyablement inspiré, bien sanglé, sévèrement jerké du jive. Les Shrines passent au pur rock’n’roll avec «King Of The Jungle». King Khan ne s’accorde pas le moindre répit. Il n’en finit plus de monter à l’assaut de la gloire. Il sait qu’il vaincra, car il dispose des fameuses forces intrinsèques. Ce mec est puissant et terriblement doué. Il rend hommage à James Brown dans «Tell Me». Hommage dévastateur, car à la croisée du garage et des Famous Flames et il enchaîne avec «Crackin’ Up», un cut de charme invraisemblable.

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Trois ans plus tard paraît l’imbattable Mr Supernatural. On y trouve deux véritables coups de génie, «Stone Soup» et «Burnin’ Inside». Avec le premier, il tape dans la soul garage nappée d’orgue. De nos jours, plus personne n’ose sortir un son pareil. Si on aime la soul ravagée par les Huns, c’est ce disque qu’il faut écouter. On retrouve cet énorme shuffle envahisseur dans Burnin’. King Khan ne respecte qu’une seule loi, celle du blast. Ce qu’il fait subir à la soul va au-delà de ce que tolèrent les conventions de Genève. Il traîne sa soul par les cheveux jusqu’à une sorte d’abattoir nucléaire. Attention, ce n’est pas fini. On trouve aussi sur ce disque un «I Don’t Have To Tell You» joué cartes sur table. Ils misent sur le groove, mais ne peuvent pas réfréner leurs sales manies de garagistes. King Khan chante «On The Street Where I Live» au timbre fêlé d’Harlem, accompagné par les trompettes latino du héros Gato. C’est tout simplement admirable de son et de vision. Il faut aussi écouter le morceau titre, fouillé aux percus et aux cuivres. King Khan mène sa meute comme James Brown, avec des cris de guerre. Derrière lui, ça joue comme à Rio. La basse monte devant dans le mix et le son semble se dédoubler à l’infini, en d’innombrables encorbellements funkoïdes. Ça pullule, ça bouillonne, c’est plein de vie, ramassé, animé, excité. Et puis il y a aussi cette merveille intitulée «Pickin’ Up The Trash» qui sonne encore une fois comme un hommage à James Brown car voilà une pure merveille énergétique avec des Pickin’ up baby parfaits. King Kahn est capable de visiter tous les styles avec une égale réussite, le garage, la soul, le punk-rock. Vous en connaissez d’autres ? Il monte plus loin «Train N°8» à la fournaise maximale. Il y hurle comme un damné avec des sock it sock it dignes de Mitch Ryder, au temps béni des Detroit Wheels.

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Paru en 2007, What Is ? est une véritable bombe. Dès le premier cut, «(How Can I Keep You) Outta Harms Way», King Khan plonge ses crocs dans le garage. Il se dresse comme un shouter invincible. Il peut aussi allumer la soul comme Wilson Pickett. La preuve ? «Land Of The Freak» qu’il chante à la meilleure shouterie des Indes, et derrière lui, ça nappe d’orgue et de cuivres à gogo. Il passe au psyché sixties avec «I See Lights». King Kahn est un touche-à-tout de génie. En B, avec «Cosmic Serenade», le groupe se tape une belle dérive instro saxée free d’ambiance gluante de jazz-band à la dérive. Puis King Khan se fend d’un bel hommage à Dutronc avec «Le Fils De Jacques Dutronc» joué au garage classique et descendu à la fuzz, chanté en Français et géré au tourbillon d’orgue. Il revient à la soul de winner avec «Let Me Holler» et enchaîne avec un «In Your Grave» chauffé à blanc, ultra joué, noyé d’orgue et visité par une basse volante, celle du grand Jeans Redeman qu’on observe toujours attentivement lorsqu’il est sur scène, car il joue avec une sorte de vélocité Tamla. King Khan termine avec un magnifique clin d’œil à Dylan, «The Ballad Of Lady Godiva». Oui, il peut même aller chercher le dylanesque et créer la magie.

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Idle No More est un album très différent, beaucoup moins soul et nettement moins agité. King Khan semble mettre le paquet sur les compos plus ambitieuses et il réussit l’exploit de nous maintenir en éveil jusqu’à la fin du disque. «Bite My Tongue» sonne comme la meilleure good time music de l’univers, en tous les cas, les Shrines groovent admirablement bien. Avec «Thorn In Her Pride», on comprend que le parti-pris est résolument poppy, très orchestré, à l’anglaise des seventies. King Khan vise l’excellence de cette pop anglaise jadis incarnée par Love Affair ou les early Bee Gees. Joli cut que ce «Luckiest Man» monté sur un shuffle d’orgue de pop funk. King Khan s’y amuse comme un petit fou. On se croirait dans une confiserie où tout est précieux et succulent, raffiné et bienvenu.

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On trouve aussi un Best Of, The Supreme Genius Of, qui comme tous les Best Of, simplifie les choses au plan monétaire international. On y retrouve en effet la plupart des cuts qui nous ont mis en émoi, comme «Torture» et sa blue eyed soul chauffée à blanc où encore «Took My Lady To Dinner» où King Khan fait son James Brown dans un système plus électrique et des cuivres plus staxy. On retrouve aussi le fameux «Outta Harms Way» noyé d’orgue et chargé de sens, puis «Land Of The Freak» endiablé et digne du Midnight Mover, car pulsé à la vie à la mort. En B, on retrouve l’excellent «Sweet Tooth» visité par la basse du Jamerson allemand, Jeans Redeman.

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King Khan et Mark Sultan adorent travailler avec l’excellent Bloodshot Bill. Mark et Bill font les Ding Dongs (deux albums chez Norton). King Khan et Bill font les Tandori Knights, dont le premier album est aussi paru chez Norton, sous une magnifique pochette rigolote. Si on l’ouvre, alors on les voit tous les deux étalés sur un tapis persan, avec des mocassins blancs aux pieds : ça ne vous rappelle rien ? Mais oui, la pochette intérieure de «Fun House» ! Les Stooges ! En plus, l’album est complètement déroutant et nos deux amis flirtent en permanence avec le génie. Il vous suffira juste d’écouter «Roam The Land». Bill prend la main, mais sous la lune du Gange. Ils livrent là un curieux mélange d’exotica et de beat rockab unique au monde. Bill passe ses couplets dans les fumées du temple de Shiva. Avant King Khan, personne n’avait eu l’idée d’un tel mélange, pas même Cornershop. D’autres coups de génie guettent l’amateur en B, à commencer par «Lovers Moon», attaqué au doux strumming de l’Arkansas, rechanté sous la lune du Gange et adouci à l’instrument d’exotica maximaliste. C’est joué avec une finesse extrême, une justesse de son qui n’en finira plus d’intriguer le commun des mortels. Même chose avec «Brown Trash» joué dans le meilleur esprit rockab, avec ce fourvoyeur de King Khan dans les parages. On se régale aussi de cuts comme «Bucketful», un joli rockab de bazar du Passage Brady. C’est joué au beat tribal et au gimmick lunatique, chanté du nez et fantastiquement entraînant. On appelle ça de l’exotica rockab. Bill est l’un des meilleurs continuateurs du mythe rockab. Il en prolonge l’ardeur à coups d’idées brillantes. Il faut suivre ce mec à la trace. Plus loin, «Tandori Party» éclate - Owee baby ! - et King Khan fait des wap-doo bah derrière. C’est à la fois extravagant et gagné d’avance, tellement l’idée nous sidère. Sur ce disque, les idées pullulent. Il suffit d’écouter cette merveille qu’est «Bandstand» : Bill prend ses couplets en mode classique et ça vire exotica dans le refrain. Stupéfiant ! Bill prend aussi «Dress On» au rockab doux et il réussit à tempérer les ardeurs orientales du grand Khan. Ils finissent l’album en beauté avec «Beauty & The Feast», emmené au chant rockab sur un fabuleux mid-tempo visité par les dieux des Indes. Bill chante avec de la mélodie plein la voix, ce qui n’est pas forcément le cas de tous les chanteurs rockab.

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Dans un genre totalement différent, King Khan fait les Black Jaspers avec Jasper Hood des Moorat Fingers, dans une mouvance radicalement punk. Ils se partagent les morceaux et ceux de King Khan sont plus rock’n’roll, comme par exemple «No Brain No Pain» monté sur un gros tempo et visité par ces solos éclairs dont il a le secret. Même chose pour «(I Wanna Be Your) Razorblade», un pur délire bien arrosé de guitares. Il joue tout au classique incendiaire et on retrouve le guitar hero du KK& BBQ Show. «Leather Boy» sonne comme un rock à la Dolls, ça déglingue au riff de dégelée. On sent bien le génie sous-jacent de King Khan. Ils nous font là une sorte de post-pop punky chanté à la meilleure gouaille des barrières. Les cuts sont systématiquement intéressants, même si le son reste aigrelet et même si Jasper chante d’une voix désespérément criarde. Dans «I Want My Face On The Radio», il chante avec la voix d’un glam-punkster blessé par balles. King Khan chante «Long N’ Wavy» au lofi de casque à pointe. En B, on tombe sur d’autres merveilles du type «Born In 77» avec des couplets lancés au c’mon de waouhhh. «I Can’t Stand The Summer» évoque bien sûr les Rezillos et le cum-punk jouissif.

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Nos deux compères King Khan et Mark Sultan ont aussi fricoté avec les Black Lips. Ils ont formé avec eux les Almighty Defenders et enregistré un album. Malheureusement, c’est une sorte de gros coup d’épée dans l’eau, car évidemment, on en attendait des miracles. On sauve deux cuts sur cet album en forme de rendez-vous manqué : «All My Loving», un gospel de juke à la BBQ. Ça swingue dans les brancards et ils recyclent la vieille énergie du gospel choir. Puis «One Of Light», chanté à la clameur doo-wop sur le bon vieux beat dévoyé de BBQ, l’extraordinaire partenaire. Il est accompagné à la mandoline speedo. En B, il tente encore une fois de sauver l’album avec «She Came Before Me», mais la déception l’emporte. Fatalitas !

Signé : Cazengler, King Khon

King Khan & His Shrines. Le Tétris. Le Havre (76). 3 octobre 2016
King Khan & The Shrines. Three Hairs And You’re Mine. Voodoo Rhythm 2001
King Khan & The Shrines. Mr Supernatural. Hazelwood Records 2004
King Khan & The Shrines. What Is ? Hazelwood Records 2007
King Khan & The Shrines. Idle No More. Merge Records 2013
King Khan & The Shrines. The Supreme Genius Of. Vice Records 2008
Almighty Defenders. Almighty Defenders. Vice Records 2009 (With Black Lips)
Black Jaspers. Black Jaspers. In The Red Recordings 2009 (With Jasper Hoods, Moorat Fingers)
Tandoori Knights. Curly Up. Norton Records 2010 (With Bloodshot Bill)
William Burroughs. Let Me Hang You. EJRC 2016


MOISSY-CRAMAYEL / 07 / 10 / 2016
LES DIX-HUIT MARCHES
FALLEN EIGHT / SENTINHELL / FURIES

( Photos : Alexandre Maeder )

Retour aux Dix-huit Marches. Un exploit, l'année dernière ( KR'TNT ! 250 du 02/ 10 / 2016 ) l'on craignait la disparition du lieu. Sont encore vivants, mais une discrète affichette fait le rappel d'une douzaine de citadelles rock qui ont fermé ces derniers temps. L'escalier pas du tout branlant a fêté au mois de mars ses vingt ans d'existence. Rappelons que les Dix-huit Marches possèdent aussi deux studios de répétition pour les groupes. L'existe un maigre réseau de lieux similaires sur la Seine & Marne, peu nombreux, mais qui apportent une aide logistique des plus indispensables aux jeunes groupes.

FALLEN EIGHT

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Je ne sais si vous êtes comme moi, mais au dessert je n'aime guère recevoir la plus petite portion du gâteau. C'est pourtant ce qui nous est arrivé. Un set bien trop court pour Fallen Eight, une mise en bouche. Quand la maîtresse de maison range la bouteille de whisky sitôt le premier verre servi, vous êtes frustré.

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N'auront pas le temps d'installer leur climax si particulier. Dommage, car ça promettait. Ça Prométhée. Une entrée en matière plus nerveuse, plus incisive, JP aux baguettes qui accomplit prouesse sur prouesse. Déblaie la route. Des blocs cyclopéens qu'il repousse et ordonne comme du revers de la main. Torse nu, concentré sur son jeu, il donne une prestation éblouissante. Précision, vitesse et violence habilement conjuguées. Clem est au chant, se débarrassera vite de sa légendaire chemise à carreaux rouges et noirs comme s'il voulait coller davantage à lui-même. Etonnant comme il peut exprimer une finesse toute féminine et passer à une expression de force virile.

king khan - le havre,fallen eight + sentinhell + furie + 18 marches,nakht + t.a.n.k. + the arrs + l'empreinte,rock critic,poesie sans fin + alejandro jodorowsky

Il possède cette sensibilité d'artiste capable de s'immiscer au plus près du mystère des subtilités. C'est en cela que réside la spécificité du groupe. Cet équilibre, tour à tour précipité dans d'aériens transports d'envolées arachnéennes ou enkysté dans les arasements terrestres les plus primitifs, reste sa marque de fabrique. Une balance oscillant perpétuellement entre le ballet des éléments primordiaux, de la légèreté de l'être à la pesanteur anthropologique. Fallen Eight forge les métaux les plus précieux. Une basse qui appuie partout où ca fait le plus mal et deux guitares qui découpent au chalumeau. Au final trois guitaristes qui n'auront pas eu l'espace qui leur aurait permis d'exprimer leur singularité. De l'atelier de Fallen Eight sortent des chefs-d'oeuvre d'or, de platine et de vermeil. Vous livrent aussi des pièces aux arêtes les plus dures. C'est vrai que l'on ne prend pas le temps d'apprécier à sa juste valeur. L'on a déjà l'esprit préparé à accueillir la prochaine merveille. L'on ignore tout du prochain prototype qui sortira de leur aciérie. L'oiseau a pris son envol. Mais l'a trop vite disparu des écrans. Sept misérables morceaux, un Reborn qui vous redonne goût à la vie, un Priest qui confine au hachoir métallique et un Final Shoot à vous donner envie de mordre un tigre. Mais non. Retransmission coupée. Timing oblige. Regrets partagés par toute la salle. Recueillent des remerciements de la part du public. Mais ce lot de consolation ne nous satisfait pas, faudra les revoir très vite, in extenso.

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SENTINHELL

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Méchamment rock. Déjà pendant la mise en place y avait eu quelques échappées de guitares qui laissaient présager un orage chargé d'électricité. Plus violent qu'on ne s'y attendait. Cinq sur scène. Aurélien est à la batterie. Lance le feu. Un spectacle à lui tout seul, torse nu sous des dreads en bataille, corps pâle et longiligne, tape dur et vite. Pluie de baguettes diluviennes. Faut le voir. Extériorise ses pulsions. Son visage égaré semble le reflet de son monde intérieur. L'a l'air d'un zombie évadé de sa tombe, encore ravagé par des tics d'outre-tombe, tantôt marionnette folle dont un esprit malin tirerait les ficelles, tantôt fantôme aux mille bras occupés à martyriser ses fûts.

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Quand vous avez un carburateur infatigable comme cela derrière vous, vous ne pouvez pas vous contenter de jouer au scrable par devant. Nous avons de la chance, Angelo Di Luciano n'est pas du genre à regarder regarder mûrir les grenades. Pas question de se laisser subjuguer par le sol invictus d'Aurélien. Une guitare et c'est parti. L'a tout compris du rock'n'roll, je passe par-dessus et j'envoie la marmelade riffique sans jamais m'arrêter une demi-seconde. Angelo, un véritable demono ! Barbichette blanche et élégance princière. Jamais en défaut d'imagination, le genre de gars qui vous remonte les autoroutes en sens inverse sans même une égratignure. Le sourire en coin et la guitare en feu.

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Ce n'est pas tout. Ils ont un chanteur. Un vrai. N'a pas ouvert la bouche que déjà vous savez que l'on vient de lâcher un fauve. Imaginez Rahan, le héros des âmes farouches, mais en brun, une crinière de jais tout en boucles ondoyant sur ses épaules, cartouchière à la ceinture, blouson noir collé à la peau cuivrée qui permet d'entrevoir un torse félin. Une voix qui part facilement vers les aigus, et cette aisance, cette facilité avec laquelle il occupe l'espace, pourtant réduit de la scène. Se déplace avec tant de charisme que cette dernière paraît s'allonger à chacun de ses pas de danse. Une facilité déconcertante, en joue, s'en amuse, facétieux, met les mains sur les yeux d'Angelo, s'incruste sur le manche d'Olivier, leur fait toutes les misères du monde. Avec son sourire irrésistible de panthère. Olivier, deuxième guitariste. Je n'ai pas dit second rôle. Avec les trois autres ostrogoths qui s'agitent à ses côtés l'a intérêt à garder la tête froide. Difficile de savoir comment il se débrouille, les trois mousquetaires dressent un mur du son impénétrable et lui il se permet de combler les vides. Interventions d'une précision si absolues, si naturelles qu'elles paraissent une évidence. Discrètes comme son visage qui disparaît sous les ailes refermées de ses cheveux. Enfin, Jean-Louis, le mythe du bassiste incarné. Ne me dérangez pas, je suis ailleurs. Je fourbis des armes plus noires que les eaux du Léthé sur l'île des Bienheureux. Maintenant faut faire attention, ce ne sont pas des musiciens qui jouent, mais un groupe qui produit un son, très rock'n'roll et très heavy metal. Déclinaison trashy. Pour notre plus grand plaisir ils confondent vitesse et précipitation. La musique tombe sur vous comme l'aigle fond sur sa proie. Burn Them All, Satan's Little Helper, Sandslaves enchaînés, en entrée juste pour montrer de quoi ils sont capables, nous referont le coup avecc Cries Of the Damned et Jack Boot Stomp. Niels annonce un titre du premier album ( n'y était pas encore ) Sombre Héritage, en français précise-t-il, pourrait nous le refiler en japonais que ça passerait comme une ogive dans un char d'assaut. L'invite l'ancien batteur du groupe à pousser le scream avec lui et après c'est au tour de Lynda des Furies de le rejoindre sur scène, s'en tirent très bien, la demoiselle sait aussi aller chercher la note dans les aigus, panthère noire et léoparde blonde feulent à qui pire-pire pour le plus grand plaisir de l'assistance. Time, Countered, Battle Hymn pour finir en apothéose shred. Un set époustouflant. Viennent d'Avignon. C'est eux qui ont cassé le pont. Et la baraque. A frites molles de nos cerveaux. Subjugués.

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FURIES

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A l'origine un groupe essentiellement féminin d'après ce que j'ai compris. L'en reste deux, blondes comme les blés, belles comme le houblon, Zaza à la batterie et Lynda vocal et basse. Se sont adjointes deux guitaristes, Billy Laser à notre gauche, Sam Flash sur notre droite. Deux adeptes du manche shrediques. Du genre le rock and roll c'est un solo continu de guitare, de la première à la dernière note.

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De toutes les manières s'ils veulent exister face à Lynda, sculpturale, vêtue de sa chevelure blonde et de cuir noir, basse rouge hémoglobine effilée comme une flèche qui zèbre son corps, et voix de Walkyrie, ont intérêt à se manier. Le programme de Furies est d'une simplicité extrême à l'image de leur premier morceau, Furies Attack, rentre-dedans et ne jamais sortir de la première ligne avant d'avoir écrasé l'adversaire. Une stratégie sommaire qui pourrait s'avérer un peu lassante. Mais il y a la voix de Lynda, une espèce de cristal épais comme une vitre blindée mais au tranchant de couperet de guillotine qui monte haut et vous emmène jusqu'au septième ciel. A ses côtés Sam et Bill se tirent la boule, appliquent le programme de base sans faillir, en avant toute, vite et encore plus vite. Zaza repasse un peu trop souvent les mêmes plans de batterie mais produit un beat efficace et entraînant.

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Les titres se suivent, SSSS !!! qui glisse comme un serpent dans l'herbe sèche, un Fire in the Sky qui met le feu, le temps d'inviter Niels pousser la tyrocklienne et voici le dernier titre emblématique La guerrière. This the end, Beautifull girls ? Une voix s'élève du fond de la salle «  Pas de rappel ? » - c'est la règle dans ces concerts de structure municipale – moment de flottement sur scène mais la suggestion est immédiatement reprise par l'assistance enchantée de cette proposition . Finalement c'est reparti pour Sortilège que le public reprend en choeur. Un beau clin d'oeil à cette première vague des groupes de hard rock français, de la génération Vulcain, Satan Jokers. Un set qui n'a pas bouleversé l'avenir du rock and roll mais qui a su séduire et induire le désir de les revoir.


Damie Chad.

SAVIGNY-LE-TEMPLE08 / 10 / 2016
L'EMPREINTE

NAKHT / T.A.N.K. / THE ARRS

Passent toutes sortes d'artiste d'artistes dans cette salle. Mais certaines soirées sont réservées au métal. Mettre ses pas dans l'Empreinte des dinosaures, ces véloces prédateurs en même temps lourds et pesants, n'est pas désagréable. Un peu moins de monde que pour le concert précédent, mais la salle est loin d'être un désert.


NAKHT

 

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Groupe d'ouverture et local. Avec une telle étiquette vous êtes mal partis. Ce ne sera une révélation pour personne : Nakht se moque de ces préventions comme de sa première pyramide. Ne savent qu'une chose, leur musique parle pour eux. Nakht c'est d'abord un choc. Dès la première seconde le son s'abat sur vous, vous plaque contre les murs, vous écrase sur le plancher. Pas de sauve qui peut général. Trop tard, vous êtes pris au piège. Violent et brutal. Soit vous vous enfuyez en hurlant de peur soit vous hululez de joie en dansant la carmagnole. Ne leur a fallu que quarante secondes pour déchaîner l'hystérie collective. Insufflent une énergie qui rejaillira sur toute la soirée et dont bénéficieront les deux groupes suivants. L'on attrape les requins en versant des citernes d'hémoglobine dans l'océan, alors Nakht applique la recette en adaptant à leur démesure le vieux triptyque churchillien, de l'épilepsie sanguine à foison, des tonnes de sueurs, des larmes d'extase, et le public se rue sur lui-même comme deux tribus d'anthropophages affamés recluses sur une île déserte. L'est déjà grand Danny, mais il se fiche sur un caisson un peu comme Napoléon sur sa colline pour diriger le carnage. Pousse des rugissements d'une raucité époustouflante, l'oesophage doit s'enrouler sur ses cordes vocales pour lui permettre d'émettre ces grondements qui tombent sur vous comme les marteaux d'Héphaïstos. Clément secoue sa basse et son espèce de crinière déplumée qui tient autant fois du plumet de cuirassier en pleine charge que de la crête en folie d'un iroquois s'apprêtant à trucider trois tuniques rouges d'un seul coud de tomahawk. Alexis et Christofer sont aux guitares, lâchent de courtes bordées de canon qui vous démâtent le cervelet, puis vous avez un millième de seconde de silence pour reprendre votre esprit et la bordée suivante détruit le gouvernail de la raison pure qui en temps normal guide vos pas en ce monde que Nakht est en train de détruire.

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N'est pas dans ma ligne de mire, je ne vois que ces baguettes qui voltigent au-dessus de sa tête. Damien est le grand fracasteur, selon sa philosophie de batteur, un riff de guitare ne doit pas durer plus de quatre secondes, au-delà de ce temps il est perdu pour l'Humanité. Donc il vous le clanche en plein vol et le précipite à terre pour qu'il explose de sa belle mort. Inutile de perdre son temps à le pleurer, le suivant a déjà subi le même sort. Une bonne nouvelle, sont en train d'enregistrer leur second EP dont ils nous donnent quelques aperçus. Introduction de sections mélodiques – enfin tout est relatif - dans le tintamarrock. Apparemment devrait arriver bientôt. L'on attend avec impatience. Bref les Nakht ont été prodigieux.

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( Photos : Antoine Kit Rivier )

 

T.A.N.K.

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Après un tel déluge, j'aurais eu peur de prendre la relève. Pourtant je sais de quoi ils sont capables puisque j'avais assisté à leur prestation au festival de Romilly-sur-Seine ( voir KR'TNT ! 197 du 10 / 07 / 2014 ). Les gars de T.A.N.K fignolent l'installation de leur matos avec une tranquillité des plus sereines. Oui mais il nous faut apprendre à penser autrement. Think of A New Kind comme l'indique l'acronyme. Un acrocknyme qui vous incite au grand chambardement.

king khan - le havre,fallen eight + sentinhell + furie + 18 marches,nakht + t.a.n.k. + the arrs + l'empreinte,rock critic,poesie sans fin + alejandro jodorowsky


T.A.N.K. C'est la limousine de luxe. Frottée, huilée, bichonnée. Un bijou de précision. Une berline de milliardaire. Calme, confort et volupté. Ne faites pas confiance au dépliant. De loin sur scène, sans le son, la réalité peut sembler correspondre à la description. Mais dès que vous mettez le volume, vous réalisez que c'est un hot-rod tout terrain chargée de nitroglycérine spécialement adaptée pour gravir et descendre les sommets de l'Himalaya. Vous prennent la suite de Nakth sans problème, un peu moins brutaux mais plus trashy, des pointes de vitesse effarante, et des reprises ébouriffantes. Disturbia en entrée pour bien signifier qu'ils ne sont pas venus pour fumer le calumet de la paix. Les pneus ne crissent pas mais résistent à tous les imprévus. Facilité déconcertante pour s'arroger le public dans la poche. N'y restent pas sagement assis, car de tout le set, ce sera le gymkhana du siècle dans la fosse aux lions. Le public s'empoigne, se frotte, s'escarpoufle, se dégommole, se tampochoque comme un entremêlement de géants dans un poème d'Henri Michaux.

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Raf rafle, tacle, érafle, arque, baffe, sarcle et craque le vocal. Cris de lyrics et bris de crimes, crises de scies et rites de mythes. Le métal ne chante pas se donne à entendre comme de la poésie brute. Le mot réduit au souffle de son élocution éjaculatoire. Debout, légèrement penché, micro à la main, Raf attise les braises de ses borborygmes de tyrannosaure démentiel. Super talent, sait moduler la foudre et cracher des incendies. Derrière lui, Nils, Charly à la guitare et Olivier à la basse sont impeccablement alignés. Alternent les séquences, chacun préoccupé de son propre jeu, ou après un break fulgurant secouent leur tête en cadence comme les pensionnaires d'une maison de fou atteints d'un tic collectif. Et chacun replonge en lui-même, les yeux fixés sur son instrument. Marionnettes du diable, habitées par saccades, fétiches spasmodiquement agités dans une cérémonie vaudou. Ces états collectifs de transes quasi-hypnotiques disparaissent et vous laissent l'étrange impression d'une vision onirique échappée de votre cerveau. Apprenez-vous à penser autrement, à faire en sorte que l'image prime sur le raisonnement, l'effet sur la cause. T.A.N.K a compris et intériorisé la mise en scène du métal, s'agit d'atteindre sous l'effet du déluge sonore à un stade de perception qui n'est plus exactement le vôtre. Beautiful Agony et le cri des corbeaux pour chant funèbre.

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Clément n'est guère clément avec ses fûts. Brûle ses vaisseaux à chaque break. La forge métallique est incessante et joue sur l'oubli du tempo. Chaque passe annihile la précédente. Le beat passe trop vite pour qu'il puisse entrer dans les synapses de la remémoration. Musique d'empilements successifs qui vous dénude à chaque fois. C'est cette fuite en arrière – pratiquement à contre-temps dans un ordre métaphysique - qui a pour résultante ce besoin inextinguible du fan et des groupes d'avoir sans cesse besoin de plus d'amplitude sonique, de plus d'urgence de vitesse, de plus de ce qu'il faut bien se résoudre à appeler de présence. Le serpent de l'absolu qui se roule sur lui-même en une propulsion quasi mystique ne parvient plus à mordre sa propre queue.
T.A.N. K. Un grand groupe.

THE ARRS

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Serai plus mitigé envers The Arrs. Certes s'en sont très bien tirés. La folie du public est même montée crescendo. Possèdent surtout Teko, un bon batteur. Plus très jeune, mais un feu d'enfer. Selon mon immodeste personne l'est l'élément essentiel du groupe, j'irai jusqu'à dire celui qui lui permet d'exister. Un roulement interminable, grosse caisse à contribution sans arrêt et puis, cette pulsion incessante qui dégage l'énergie nécessaire à la propulsion. La section de cordes n'est pas déméritante, mais les morceaux sont un peu trop bâtis sur les mêmes patterns. Le band présente un côté sympathique joyeusement bordélique, les musiciens changent sans arrêt de place, adoptent les poses archétypales et les cambrures des guitars heros, quant à Nico le screamer il invite le public à ne pas hésiter à monter sur l'estrade et à faire le saut de l'ange sur les bras tendus des compagnons qui grouillent dans la fosse, qui le saisissent et le portent en triomphe au travers de la salle. Beaucoup ne se le feront pas répéter deux fois. Durant tout le set ce sera vols planés à répétitions.
Nico chante accroupi sur l'extrême-bord bord de la scène – des mains se tendent pour l'attirer à elles et d'autres pour le retenir - offre souvent son micro au public et surprise, il est indubitable que dans la salle beaucoup connaissent les paroles par coeur. Lyrics, intonations, les gestes qui vont avec, sans une erreur à l'identique. Aurait-il eu une extinction de voix que je subodore qu'il aurait pu être remplacé. Paroles en français ce qui explique peut-être la ferveur des fans. La musique est métal mais l'esprit semble avoir subi des influences rock alternatif festif et quelques accointances avec les attitudes rap. Mes réticences sont une chose, l'adhésion sans frein de l'assistance les bat en brèche. Quand ils sortiront de scène, l'insistance des ovations les feront revenir pour un long rappel durant lequel ils réduisent en poussière la fameuse baraque.

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Damie Chad.

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Petit détour par Lady Long Solo. Suis rentré dans la librairie tout fier de mon gouvernement. Qui n'hésite pas à mettre un car de CRS lourdement armés à dix mètres de cette tendancieuse boutique qui diffuse bouquins et affiches pas très politiquement corrects. Non seulement le stock est constitué d'éditions anarchisantes, mais en plus ils se battent pour la légalisation de la fumette. ! Ah ! les vertus de la démocratie en actes, la police qui veille à la protection de ceux qui ne pensent pas comme il faut ! J'en pleurerais presque. Hélas c'était une mauvaise interprétation, notre cher premier ministre ( celui qui va vallser aux prochaines élections ) loge dans cette artère. A quelque chose malheur est bon, me suis-je dit en incurable optimiste, cet après-midi en se rendant au boulot, notre principal sinistre n'aura pas manqué de remarquer ces gamins de cinq ans qui dorment dans la rue au coin du boulevard, les aura fait reloger fissa, en même temps que ces affamés qui fouillent dans les poubelles pour en extirper les déchets alimentaires et toutes ces femmes à la dérive qui mendient... Suis repassé plus tard dans la soirée, ben les fillettes de cinq et six ans dormaient toujours dans le froid... Quant au tri sélectif dans les containers, plus besoin de le faire... Paris se tiers-mondise dans l'indifférence éhontée de nos élites politiques.Lady Long Sanglot.

ROCK CRITIC. N°1
Sept-Oct 2016 / Gratuit.

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Suis ressorti de Lady Long Solo avec un petit trésor. Un zine, Rock Critic, avec Eliot Ness en couverture, serait-ce des incorruptibles ? Petit format, papier glacé, typo couleur, le truc hyper chiadé. Esthétique garantie. Gratuit en prime. Distribué en province, et disponible dans une dizaine de points de vente sur Paris. Tout cela est indiqué sur leur FB Rock Critic. Les articles ne sont pas signés mais l'on retrouve le nom de Géant Vert à l'intérieur. Non, ne sont pas sponsorisés par les boîtes de maïs en conserve, s'agit de ce rock critique grand amateur de concerts, connu pour ces préférences punkozoïdales. Le lecteur averti trouvera peut-être étrange que l'on retrouve un papier sur le festival d'Ostrava en République Tchèque et dans Rock & Folk et dans Rock Kritic. Je vous laisse vous perdre dans les plus sombres hypothèses complotistes...
Pour les kronics de disques, ne se foulent pas trop, Ramones, Sex Pistols, Clapton, faudra repasser pour l'originalité, s'en défendent à l'avance en arguant de l'indigence des jeunes créateurs... Ne soyons pas méchants, chez KR'TNT ! nous aussi nous évoquons souvent les vieilles gloires . Mais z'ont aussi des articles de fond. Une interview de Band of Skull présenté comme l'un des groupes actuels les plus importants. Même topo pour Luke Elliot. A ces entretiens nous préférons nettement l'article mal titré mais intelligent qui essaie d'expliquer pourquoi les punks sont restés fidèles à Bowie partisan d'une esthétique très éloignée du destructivisme punk. Le papier mériterait deux ou trois pages de plus mais le fascicule n'en possède que vingt-quatre.
Evidemment l'important c'est le ton. Acerbe et critique. Peu d'illusion sur l'état du rock actuel. N'osent même pas entrevoir le futur... Mettent la barre un peu haut. Seront-ils capable d'influer sur le futur du rock ? Car sinon, à quoi pourrait servir une revue rock ? A suivre.


Damie Chad.

POESIA SIN FIN
ALEJANDRO JODOROWSKY

( Sortie : 05 / 10 / 2016 )

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Vous voulez voir du rock 'n' roll ? S'il vous plaît, pas de ricanements intempestifs, je sais que vous possédez chez vous tout ce qu'il vous faut, des centaines, des milliers de galettes au frockment dument rangées sur vos étagères ou gisant en un indescriptible désordre sur le plancher de votre chambre. Soyez un peu attentifs, je n'ai pas dit écouter, mais voir du rock'n'roll. Ne vous précipitez pas non plus sur votre collection de dvd de concerts historiques, le rock'n'roll est partout, même là où on ne l'entend pas. La preuve, même pas une demi-mesure de la musique du diable dans le dernier film d'Alexandro Jodorowsky, l'immortel réalisateur de La Montagne Sacrée ( voir KR'TNT ! 268 du 11 / 02 / 2016 ).
Frise les quatre-vingt dix balais notre Jodo et ces dernières années il dresse un peu le bilan de sa vie. Pas du tout une rétrospective de sa carrière – l'est encore trop vivant pour se draper dans des auto-embaumements thurifériques – en 2013 c'était la revisitation de son enfance avec La Danza de la Realidad, et cette année il nous offre la suite chronologiquement naturelle, la jeunesse, le portrait de l'artiste en salamandre jetée dans les hautes flambées des années décisives d'une vie.

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Pour les adeptes du réalisme socialiste ou des séries télévisées, il vaudrait mieux passer son chemin, Jodorowsky est un cinéaste, il ne reproduit pas le réel à l'identique. Il crée des images. Pas d'Epinal. Oniriques. Une espèce d'iconisation libre, une figuration démente qui puise dans le merveilleux symbolique et imaginatif. Recherche l'archétype individuel pour se mettre en scène. Images mouvantes qui vous engloutissent dans les sables les plus prégnants de la mémoire. La folle du logis a tissé des toiles dans lesquelles vous vous engluez à tout jamais.
Difficile de raconter un film de Jodorowsky même si la trame est des plus solides. L'on peut dégager des points nodaux de bifurcations qui vous ramènent au-delà du délire d'un capharnaüm baroque imaginal dans les intimités obsédantes des strates du vécu. Un peu l'équivalent cinématographique de l'imagier onirique que Guillaume Apollinaire tenta toute sa vie en poésie. Avec Dufy qui sort du bois d'Orphée et le testament du poète sous le bras. Avant que le coq tôt ne chante.
Beau fil d'Ariane pour remonter la piste du labyrinthe de Poesia sin Fin. Poésie sans fin comme la bobine d'un cinéaste qui tournerait sur elle-même en refusant de s'arrêter. Une vision hâtive du film le simplifierait à outrance en le résumant comme la bataille de la vie contre la poésie. Ce serait-là une lecture mortuaire bonne pour les plaques commémoratives des cimetières. Vaut mieux opérer un anéantissement nietzschéen des valeurs qui permettrait de le métamorphoser en combat de la poésie contre la vie. Car le film se résume à cela, l'intrusion de la turgescence poétique dans la réalité du monde, non pas une fleur chétive recroquevillée dans la fente protectrice d'un trottoir en attente de réfection mais une capricieuse et irréductible ombellifère carnivore décidée à dévorer la planète toute entière. Si le décor existentiel dans lequel vous vous mouvez dans la tristesse des jours perdus vous annihile, il vous suffit de le changer. Facile, laissez vos fantasmagories intérieures s'emparer du devant de la scène.
Le monstre de la poésie est au bout du fil. De l'autre côté, c'est encore pire : la femme. L'intercesseur femelle qui tient la laisse. Le poète va de l'un à l'autre. L'a choisi son camp. Le taureau sauvage. Un fauve en liberté ne se domestique pas. La poésie doit quitter les pages du livre. Elle est le meilleur chemin, le plus tentant, celui qui file droit. Le plus efficace puisque le plus court. En théorie, car en pratique il faut tenir compte de la courbure de la planète où l'homme fait résidence. Questions courbes l'éternel féminin en possède des plus excitantes. Aussi merveilleuses que meurtrières. Le poète qui croit faire de l'équilibre sur un fil tendu se retrouve vite toutou attaché aux fantaisies expiatoires de sa maîtresse. Orphée finit déchiré par les ménades, l'amour suprême ne serait-il qu'une forme des plus subtiles du masochisme ?

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Poesia sin fin est aussi le partage des eaux de la poésie. Ou le fleuve majestueux mais sans danger de Pablo Neruda, ou le torrent impétueux impropre à toute navigation de Nicanor Para. C'est celui-ci qu'AleJandro Jodorowsky se décide à emprunter. Use et abuse du stupéfiant image cher à André Breton. Poesia sin fin est à regarder comme le passage de l'image poétique à l'image cinématographique. Ces visions qui se lèvent en vous lors de la lecture d'un poème, Jodorowsky les arrache à vos mentalisations intérieures et les met en scène devant vous. Le film aurait pu s'intituler l'exaltation aquiléenne du poète. Le torero poétique porté en triomphe par les rues de la cité tenant bien haut les couilles juteuses de l'animal sauvage dont il vient de se rendre maître. A moins qu'il ne s'agisse des siennes propres qu'il aurait, dans le tumulte du combat, arrachées par inadvertance. Jodo le vieux ne vient-il pas lui susurrer à l'oreille que si le rut échevelé et sans borne est un appel auquel le poète se doit de ne pas résister, il faut aussi se réconcilier avec les vieux démons du père castrateur au nom de l'amour fou. L'unification des contraires n'est pas un acte de tout repos. Plongez-vous dans le torrent dévastateur de Jodorowsky. Peu de chance que vous en sortiez indemnes. Attention à vos abatis. Menstruels ou bandant. Ne croyez pas vous en tirer en douce. Jodo possède toujours dans sa manche la carte du tarot qui vous manque. Se débrouille toujours pour vous refiler la plus fascinante. Celle qui est aussi la plus inquiétante. Le cinéma est une arme meurtrière. Tout dépend de celui qui la détient.


Damie Chad.