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03/01/2015

KR'TNT ! ¤ 216. PRIMEVALS / MARIANNE FAITHFULL ( + ROLLING STONES )

 

KR'TNT ! ¤ 216

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

01 / 01 / 2015

 

 

Un tsunami de stupre, de rage et de fureur, d'orgie et d'alcool, de filles félines et de mecs canins, de tumultes stupéfiants, à faire enfin craquer le vieux monde qui tente de nous rattraper, le tout servi brûlant sur un lit d'épineuses roses rock and roll et de blets bleuets de blues, c'est tout le mal que nous vous souhaitons pour... cette année 2015 !

 

 

PRIMEVALS / MARIANNE FAITHFULL ( + ROLLING STONES )

 

 

LE PETIT BAR / ROUEN ( 76 )

 

25 – 10 – 2014 / PRIMEVALS

 

LA PRIMAUTE DES PRIMEVALS

 

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Curieusement, alors que nous arpentions les quais, l’autre jour, les Primevals sont arrivés dans la conversation. Ces Écossais constituaient une énigme pour beaucoup d’amateurs de rock, et nous nous arrangeâmes d’un confortable compromis :

 

— Peut-être leur manque-t-il le petit quelque chose qui fait la différence ?

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On faisait sans doute référence à l’imperceptible essence du rock, qui tient à la fois de la qualité des compos, du son, de la voix du chanteur et aussi certainement d’une façon de se montrer en public. Rien n’est plus difficile que de vouloir être une légende du rock. Beaucoup d’observateurs font référence à l’alchimie pour expliquer le phénomène de cristallisation, mais il en est hélas bien peu qui savent de quoi ils parlent quand ils parlent d’alchimie.

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Le chanteur des Primevals eut peut-être le malheur de porter le même nom qu’un fantaisiste du cinéma hollywoodien, le fameux Mickey Rooney qui réussit l’exploit de se rendre insupportable grâce à une voix de canard. Même si le leader des Primevals s’appelait Michael - et pas Mickey - le mal était fait. Il ne chantait pourtant pas d’une voix de canard, loin de là. Michael Rooney pouvait rivaliser de classe avec Chris Bailey.

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Les Primevals sont restés dans le confort douillet de l’underground. On ne les sollicitait que pour enregistrer un album de temps en temps. Ils enregistrèrent deux albums studio en 1984 et 1986 pour New Rose et ces excellents albums surent se montrer dignes d’une discothèque bien tenue. Ce qui frappe le plus quand on écoute «Eternal Hotfire», c’est l’ambiance. On se croirait sur un album du Gun Club, mais sans l’abandon de Jeffrey Lee Pierce. Leurs compos se veulent solides, bien ramassées. Ils les jouent à deux guitares et ils s’ancrent dans le meilleur garage qui soit, celui des sixties américaines. Dans «Blues At My Door», on retrouve toutes les dynamiques du Gun Club, l’épaisseur, la tension et les coulures. Même chose pour «Have Some Fun». «See The Tears Fall» plait énormément, car c’est vraiment chanté à la voix de son maître. Michael Rooney force bien sa voix. Il tartine bien ses syllabes. Quel bon meneur de troupes ! Il chante un peu comme Jello Biafra, en posant les conditions de belles sonorités de timbre à l’appui de sa diction. «Lucky I’m Living» est encore une belle pièce chargée de son et de sens. Leur démarche fut unique en Écosse, où les groupes avaient pour manie de vouloir singer Big Star. Michael Rooney et ses mighty Primevals allaient plus vers le Dylan des syllabes posées et tirées. Michael Rooney se démenait comme un beau diable. Il savait emmener certains échos de sa diction valser au sommet d’une glotte ardente.

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On retrouve un fort parfum gun-clubbique dans «Sound Hole» paru deux ans plus tard. (D’ailleurs, ils imitent la petite astuce du Gun Club : «Fire Of Love», qui donne son titre au premier album du Gun Club, échoua sur «Miami», le second album. «Eternal Hotfire» qui donne son titre au premier album des Primevals se retrouve sur leur second album. Ils auraient même dû le titrer «Eternal Hotfire Of Love», comme ça au moins le message eût été clair.) Avec le fouillé du son, «Primeval Call» sonne comme un classique du Gun Club. On retrouve l’excellente assise de voix de Michael Rooney. Et derrière, les effets des guitares enrichissent le son. On les sent déterminés à vaincre. Au fil des morceaux, on sent bien qu’ils oscillent entre le Gun Club et le Dylan électrique. «Fire And Clay» et «Saint Jack» pourraient aussi sortir d’un album du Gun Club. Tout est très gunné sur cet album. Par contre, avec «Lowdown», les Primevals sonnent comme les Saints. Même gouaille et même solidité compositale.

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«Neon Oven» est un album live enregistré au Grand Rex, à Paris, en 1990. Ils attaquent avec une reprise de Captain Beefheart, mais c’est raté puisqu’ils rendent «Crazy Little Thing» méconnaissable. Ils tapent ensuite dans Swamp Dogg avec une reprise de «Spiritual» et ils sonnent comme le Gun Club, grâce au beat et au bottleneck. Ils montent bien les œufs d’«Elixir Of Life» en neige, c’est l’une de leurs spécialités. De l’autre côté, on se régale de «Sister». Ils sonnent certainement plus garage blues que leurs collègues américains de la même époque.

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Enregistré en 1980 par Jack Endino, «Dig» ne sortira que dix ans plus tard, sur un label allemand. On retrouve sur cet album la belle énergie garage des Primevals. On sent chez eux un goût prononcé pour le bon doom. «Fluorescent Statues» semble un peu convenu mais finit dans une belle apothéose. Beau numéro de chant aussi sur «Grass Is Always Greener». Michael Rooney sait travailler sa tension. Ils vont un peu plus vers le psyché avec «Dream Wanderer». Ils y cultivent l’art des relances de guitare. Beau final de batterie qui double aussi pour «Tomorrow’s Energy» et puis «Showers Of Glory» semble taillé à l’arpège sixty-boomé. Ils enchaînent avec un «Animal Tongue» épais et progressif, monté sur de gros accords garage. L’album est solide, mais il lui manque le fameux petit quelque chose qui fait la différence.

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«Dishibitor» pourrait bien être l’un de leurs meilleurs albums. Dès l’intro de l’insidieux «Defying Science», on comprend que ça va barder pour nos matricules. Avec «Someone To Love», ils sonnent comme les New Christs. On sent chez eux un gros appétit pour le beau son plein. À l’écoute d’«American Road Trip», l’évidence saute aux yeux : les Primevals ont un vrai son. L’excellence de leur tenue en impose. Ils posent sur une belle stoogerie un chant d’assise christique. «The Shape That Life Bent Me Into» sonne exactement comme un classique du Gun Club, mais avec un fond mélodique purement dylanesque. Retour à la stoogerie avec «Stream Of Life». Les Primevals ont le feu sacré. Et ils se mettent à sonner comme les Cramps avec «Venus Discovered» et ça devient un véritable objet de stupéfaction. D’autres merveilles guettent leur proie sur la face B. «Ho Chi Minh City» sonne encore comme un classique des New Christs. On retrouve cette excellence de la prestance et cette ineffable pertinence de l’élégance. Même pounding, même progression harmonique d’accords pleins que chez les New Christs. Avec «In The Square», ils nous renvoient au fumeux «Your Pretty Face Is Going To Hell» d’Iggy. «Ghost Writer» est un joli petit garage battu au binarisme élémentaire de cher Watson. C’est même soudé à l’harmo des Them et soloté à la Chris Britton. Retour aux New Christs sound avec «The Lovers Underground» que Michael Rooney emmène au chant comme un chef de guerre emmène une vague d’assaut. Édifiant.

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En 2012, les Primevals se sont retrouvés sur l’excellent label rennais, Beast Records. «Heavy War» fut plutôt une bonne surprise, tout au moins sur une face d’album. Ils démarrent avec «Way Beyond Tore Up» qui sonne comme un vieux classique des Heartbreakers. Pas mal, non ? Ils ont un son énorme. Ils font un joli retour aux sources avec «Predilection For The Blues». C’est une pièce inspirée et infestée de climats rampants. Le drive, rien que le drive. Encore une somptueuse pièce de groove vénéneux avec «Hit The Peaks». Ces gens-là savent faire ramper le groove gluant d’Écosse. Encore un cut superbe d’allure et d’ampleur avec «High Risk Times». Et ils finissent cette face A avec un «Don’t Be Afraid To Cry» monté sur un vieux riff garage. Ça sonne comme un talking-jive de Kim Fowley avec des descentes narratives à la Bobbie Gentry. Par contre, tous les morceaux de la face B refusent de décoller. Rien à faire. On a beau leur demander, ils ne veulent pas. Tant pis.

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Leur dernier album vient de paraître sur Closer, et les Primevals ont dû partir en tournée pour se plier au vieux rituel de la promo. On leur avait trouvé quelques dates en France. Ils jouaient le vendredi à Paris et le dimanche à Rennes. Comme le samedi était libre, un concert fut organisé à Rouen au débotté. Mais aucune salle rouennaise ne pouvait les recevoir. Alors un bar minuscule des vieux quartiers de Rouen leur a offert l’hospitalité et ils y ont joué les morceaux extraordinaires de leur nouvel album, «Tales Of Endless Bliss». Le destin fit pour une fois très bien les choses, car le set se déroula dans des conditions incroyablement idéales. Les légendaires Primevals se produisaient dans un bar minuscule à peine plus large qu’un couloir, devant un public minimaliste, composés d’une minuscule poignée de fans des Primevals avertis une heure avant le début du set et d’une poignée d’habitués du bar, accrochés à la rampe comme des marins au passage du Cap Horn. Tout le monde se piquait allègrement la ruche. On se serait cru dans un rêve. On ne pouvait pas imaginer meilleure ambiance pour un tel concert. Non seulement on avait le rock et mais on avait aussi le roll.

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Comme tout le monde, Michael Rooney avait pris un sacré coup de vieux, mais il chantait toujours aussi bien. Il menait son groupe à deux guitares comme au bon vieux temps de New Rose. Coiffé d’un petit chapeau de paille, son bassman Ady Gillespie remontait bien dans le groove. Le batteur Paul Bridges était avec Michael Rooney le membre du groupe le plus ancien. Les deux guitaristes savaient tous les deux jouer au bottleneck. On retrouvait leur son gun-clubbique, mais live, il semblait épouvantablement démesuré. Ils firent tanguer un bar qui n’avait pas besoin de ça pour tanguer. Pendant une heure, les Primevals ont balancé leur énorme purée psyché-groovy bleuie à l’indigo du blues. À part les Primevals, quel groupe sonne comme ça aujourd’hui en Angleterre ?

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L’album sorti sur Closer va boucher plus d’un coin. «Pink Cloud» - Pink cloud ah ah - percute comme un classique. Ils profilent ensuite «Just One More Shot» sous le vent et grâce à un coup de génie productiviste, la basse d’Ady Gillespie monte devant dans le mix, alors on l’entend rouler sa bosse comme au Petit Bar. Il sonne même comme un bassman de r’n’b. Attention, car le mélange est capiteux. Ils mêlent le groove du r’n’b au velouté psyché et à l’excellence des chœurs. Michael Rooney sort son chant mouillé pour «Tell It Now» - Ahh yeah - Le garage n’a plus de secret pour lui, il passe ses coups de tambourin en douce comme ses héros californiens des sixties. «Re-Frame It» est un heavy rock que porte une walking-bass. On croirait entendre les Saints, tellement le niveau de ce cut est ambitieux. Ils savent aussi verser dans la stonesy, comme on le constate avec «You’re Not Here Now». Les Primevals ont quelque chose de grandiose. Et ça continue comme ça sur toute la face B, ils enfilent les grosses compos avec un goût toujours renouvelé par les belles ambiances pysché. On entend Michael Rooney jouer du sax dans «Crisis A-Go-Go». Il vise la fusion stoogienne de «Fun House» et il fond son clair de sax dans l’épaisseur d’un son liquide. On sort de cet album dans le même état que du Petit Bar. Le cœur en fête, dansant comme un bouchon à la surface des choses. À tel point qu’on en oublie où est garée la bagnole.

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Signé : Cazengler, le primevère de trop

 

Primevals. Le Petit Bar. Rouen (76). 25 octobre 2014

 

Primevals. Eternal Hotfire. New Rose 1984

 

Primevals. Sound Hole. New Rose 1986

 

Primevals. Neon Oven. DDT Records 1990

 

Primevals. Dig. Nibelung Records 1990

 

Primevals. Dishibitor. Twenty Stone Blat 2010

 

Primevals. Heavy War. Beast Records 2012

 

Primevals. Tales Of Endless Bliss. Closer Records 2014

 



 

UNE VIE / MARIANNE FAITHFULL

 

( avec l’aide de David Dalton )

 

 

( Introduction : Etienne Roda-Gil

 

Traduction : Jean Rosenthal )

 

 

( 280 pp / Belfond / Septembre 1995 )

 

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Marianne Faithfull, ce n’est pas ma tasse de thé préférée, expression un peu mal venue car si Marianne était une boisson ce serait la ciguë que ses bourreaux ont tendue à Socrate. Vénéneuse. Je suis sûr que lorsque vous ramenez pour la première fois une copine chez vous, vous lui passez tout de suite Broken English, elle vous prend ainsi sans difficulté pour un mec cool attentif aux sulfureuses et rayonnantes figures de proue du féminisme, un compagnon de route de la Femme avec un grand F. Ce n’est qu’ensuite que vous sortez vos microsillons d’Hasil Adskins. Et puis vous tirez votre Cramps.

 

Pourquoi donc s’intéresser à ladite Marianne demanderez-vous ? D’abord parce qu’elle est un personnage important de la saga des Rolling Stones ensuite parce que cette biographie - achetée parce qu’il n’y avait rien d’autre chez mon bouquiniste qui touchait de près ou de loin au rock and roll - s’est révélée un fantastique document sur le Swinging London et un des bouquins les plus rock and roll que je n’ai jamais lus. Davantage vitriolé et vérolé que le Life de Keith Richards ( voir KR‘TNT ! 43 du 10 / 03 / 2011 ) et à la hauteur des mémoires de Little Richard.

 

Le livre débute par une très courte adresse au Lecteur. Six lignes sympathiques, ce n’est pas le Ni Dieu, Ni Maître des anarchistes par trop idéologiquement présomptueux mais le Ni Regrets, Ni Justifications d’un individu qui assume les errements ( multiples ) et les triomphes ( peu nombreux ) de son existence. Ce genre de déclaration ne traduit souvent qu’une intention de principe. S’y tenir demande du courage. Une femelle se met à nue par-delà le bien et le mal de la commune humanité dirait Nietzsche. Prêtresse de Pan et incarnation de la Grande Déesse.

 

PETITE FILLE

 

De grande famille. De ces gens qui ne font pas partie de notre monde. Aristocratie rédhibitoire avec ses tares et ses grandeurs. Pour la grandeur ne reste plus que la puissance de l’argent. Sur son blason symbolique elle porte Vénus sur fourrure d’argent, digne héritière du prestigieux Sader Masoch. Le père s’en va avec la tirelire, la mère survivra en tirant le diable par la queue sans jamais mentalement déroger à son titre de Baronne… Marianne aura droit à de parfaites études dans un collège religieux de Reading. Elle recevra ce que l’on appelle une bonne éducation, littéraire, s’inscrira à des cours de théâtre et commence à évoluer par l’entremise de ses copines de collège dans le milieu londonien d’une bourgeoisie ouverte et friquée.

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Gosse de riche. Elle le restera toute sa vie même au fond des pires vicissitudes. Ne s’en défend pas. Le constate sans critique ni trémolos. Opéra, concerts, boîtes de nuit ( l’après-midi ), culture, existentialisme, son petit ami John Dunbar lui présente John Asher qui subventionne la librairie de John Dunbar et de Barry Miles ( voir KR'TNT 96 du 03 / 05 / 2012 ), et entre autres personnalités Paul McCartney… Marianne Faithfull se trouve sans le vouloir expressément mais par la logique relationnelle de son milieu au coeur du tourbillon de ce que l’on ne tardera pas à appeler le Swinging London, cet amalgame de pop-stars en devenir et de représentants dévoyés de la jeunesse dorée de la capitale. Les fans de base sont exclus de la fête. Achèteront les disques et liront les journaux.

 

CHANTEUSE

 

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C’est en 1964 qu’elle rencontre pour la première fois lors d’une soirée Keith, Mick et Brian, le triangle de feu des Rolling Stones et au travers d’eux leur pygmalion incendiaire Andrew Loog Oldham, le légendaire producteur, le Phil Spector britannique, qui lui signe illico un contrat et huit jours plus tard décide de lui faire enregistrer un disque. Pour la chanson, il donne deux heures à Keith et Mick pour composer, surtout pas un blues cru, lumpen-prolétarisé, mais une bluette, une douce ballade pour une jeune fille sage de dix-sept printemps, une véritable future lady aristocratique en gestation, au longs cheveux blonds et au look si délicieusement romantique. En veine d’inspiration Keith et Mick pondent As Tears Go By… Du jour au lendemain Marianne Faithfull devient une vedette de la chanson.

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Les journaux raffolent de son si mignon minois et s’en servent pour booster les ventes… En attendant elle apprend son métier et parfait son éducation beaucoup plus joyeusement sexuelle que flaubertienne et sentimentale. Chants d’innocence et d’expérience. L’ Angleterre tourne la page de la guerre, les restrictions s’éloignent, la jeunesse désire assouvir toutes ses faims. L’antique pruderie christo-victorienne en prend plusieurs coups dans le croupion. Tournées incessantes, fatigues, une carrière somme toute décevante, le succès n’est pas au rendez-vous des disques suivants, Marianne se sent un peu trop manipulée par Andrew et son staff, elle en souffre mais réfrène ses velléités de révolte, lucidité d’esprit et manque de volonté seront les constances de son caractère, mais elle comprend aussi qu’elle a l’extraordinaire chance de participer, dans les loges d’honneur, à un raz-de-marée socio-culturel sans précédent. Nulle envie de descendre du train en marche. Même si elle attend un enfant, même si elle se marie, la vie est agréable, belles sapes, argent facile, fumette indispensable vite renforcée par des prises de plus en plus fréquentes de LSD, la drogue magique; les jours heureux n’en finissent pas de couler. Un seul couac, une idylle avortée avant même de commencer avec Bob Dylan. You can’t always get what you want comme le lui écrira plu tard Mick Jagger. L’ouragan approche mais elle ne le sait pas. Naissance du bébé en novembre 1965. Eté 1966 elle rencontre Anita Pallenberg, la trop belle fiancée de Brian Jones. Un pas décisif dans le premier cercle des Enfers du rock and roll…

 

STONED !

 

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1966-1970, les années de grande mutation reptilienne pour les Stones. Changement de peau à toutes les étapes. Le crotale lubrique gorgée de venin deltien se métamorphose en le tout puissant divin et démiurgique serpent à plumes, le quetzacoalt du rock and roll qui plane souverainement au-dessus de l’abîme. Marianne Faithfull est partie prenante de cette transmutation faustienne, elle nous en livre un témoignage essentiel parce qu’il plonge au cœur de la fournaise de l’intimité du groupe.

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Se souvenir du fier adage nietzschéen, ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Marianne Faithfull est devenue la compagne de Mick Jagger, conjonction de deux étoiles montantes, la figure de proue virevoltante des Stones ne pouvait se compromettre qu’avec un sirène, cheveux blonds et gros nichons. C’est ainsi qu’elle aime à se décrire. Jagger est un séducteur et il est hors de question que la plus belle lui échappe. Collection et tableau de chasse. Mais la prise se révèlera plus finaude qu’elle n’en avait l’air. Si sa chair est faible l’esprit l’habite. Saura être un de ces aiguillons intellectuels dont les Stones ont besoin. Car il ne suffit pas de connaître les douze mesures du blues pour être le meilleur groupe de rock and roll du monde. La concurrence est sérieuse, il faut à tout prix se démarquer tout en chevauchant les tigres de la mode et de l’air du temps. Les vieilles idées sont en train de craquer, le monde change, la liberté sexuelle a pour corollaire une profonde remise en question des comportements et des modalités de pensée des générations précédentes. Le sexe n’est pas une simple histoire du cul, plutôt un détonateur du cortex. Surtout quand l’on force les portes de la perception cérébrale à coups d’incessantes prises d’acides lysergiques. Le rock and roll devient le vecteur de forces mentales, psychiques, idéologiques, politiques et poétiques qui le dépassent. Des scories que le fleuve redoutable du rock and roll charrie, mais qui vont s’amalgamer à lui, se fondre en lui de telle manière qu’il ne sera plus jamais identique à ce qu’il était en ses origines.

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Jagger et Marianne passent de longues heures dans leur lit à écouter de la musique, à lire et à discuter de leurs lectures. Eros et LSD, nos deux tourtereaux ne se privent de rien mais à ce jeu-là Jagger se montre le plus fort, ne résiste à aucune tentation mais ne s’englue jamais dans les nouvelles contrées traversées, s’engage en tout et refuse d’en devenir prisonnier, plonge dans la merde mais s’arrange pour en ressortir clean, prêt pour de nouvelles aventures. Jagger est un apollinien qui n’a peur de rien mais qui garde à tout instant le contrôle, Marianne est une dionysienne qui ne jure que par la joie sans fin des ivresses renouvelées.

 

PREMIERE EPREUVE

 

Peut-être la plus inattendue et incompréhensible pour des adolescents d’aujourd’hui. Dame société - en fait les vieilles barbes de l’aristocratie - se rappela subitement à nos héros. Toute cette jeunesse, crasseuse, mal fringuée et aux cheveux longs qui ne respecte plus rien, qui fume des pétards, et écoute des disques de rock and roll remet dangereusement en cause les piliers de l’ordre sociétal, faut l’arrêter, avant que tout cela ne dégénère et ne renverse le triptyque sacré de l’obéissance, de la morale et de la famille, l’était urgent de la stopper net en ses errements avant qu‘ils ne deviennent irrémédiables, en tirant pour l’exemple droit au cœur de la bête.

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Ne choisiront pas les Beatles, quelque part inatteignables et trop gentils garçons pour que l’exemple soit compris et admis par tous. Les Stones tomberont comme des bleus dans la plus facile des provocations. La police s’invite au domicile de Keith Richards un soir de grande party… A part quatre cachets en vente libre en Italie achetés plusieurs mois auparavant par Marianne, la moisson des enquêteurs à l’encontre de l’équipage stonien s’avèrera bien maigre. Assez toutefois pour jeter Mick, puis Keith en prison. La presse ne manque pas d’attiser le scandale dans un premier temps jusqu’à ce que la baudruche se dégonfle…

 

Les comploteurs ont raté leur complot. Z’ont hissé les Stones sur un piédestal dont cinquante ans après ils ne sont pas encore descendus. La palme du martyr et la couronne du héros. Ils étaient un groupe de rock and roll, ils deviennent par la grâce de leurs ennemis les symboles vivants et adulés de toute une génération. Désormais ils pourront tout se permettre, plus personne n’osera lever la main sur eux. Une seule victime collatérale : Marianne Faithfull qui a osé lors de la perquisition montrer les seins, le cul et tout le reste que l’on doit cacher… Les tabloïds britanniques ne lui pardonneront pas avant longtemps d’avoir dévoilé la nudité de la vérité. Y aura gagné son étoile de salope patentée, sera présentée à la majorité silencieuse comme l’incarnation de la pute sans cœur de laquelle on attend le pire…

 

SACRIFICE

 

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Dieu a bien laissé crucifier son fils, pourquoi reprocherait-on aux Stones d’avoir sacrifié Brian ? Dans les comptes d’une société marchande l’existe bien la colonne pertes et profits. Facile d’accuser les autres. Le premier exécuteur de Mister Jones reste Brian lui-même. Est arrivé trop tôt, l’est donc parti le premier. Stricte logique. S’est usé à la tache. A consommé davantage de drogue que ses forces vitales ne pouvaient le supporter. Son phallus de rock and roll star plus long que sa bite de queutard assoiffé. Marianne Faithfull mesurera l’étendue de son épuisement, lui se contentera de lui caresser les seins avant se sombrer dans ses nuages intérieurs. Elle ne lui en voudra pas. En dresse un beau portrait. Narcissique mais pas pervers. Simplement paranoïaque. A usé du succès sans modération. Recherchait l’amour n’a trouvé que le sexe. Un musicien hors-pair en avance sur tous les autres qui s’est mis à douter de ses trouvailles.

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Personne ne l’a aidé, ni Keith amoureux d’Anita Pallenberg, ni Jagger qui en patron soucieux de la bonne marche de son entreprise lui reprochait la perte de temps que ses arrêts de maladie provoquait, ni Marianne trop à la traîne de Jagger et plus obnubilée par Anita - son amie, sa future sœur de désastre - que par Brian, ni Andrew Loog Oldham qui se considérait comme le premier des Stones, très heureux de se débarrasser de celui qu’il prenait pour son principal rival, alors que Jagger s’apprête à le virer pour son manque de soutien effectif lors de son arrestation… Suicide, crime ? Brian ne rate pas sa sortie par la grande porte noire de la mort. Mais c’est un petit portillon du cimetière des oubliés qui se refermera sur lui.

 

AU-DESSUS DU VOLCAN

 

Il semblerait que ce soit Jagger qui ait récupéré l’énergie de Brian. Jagger le vampire qui se nourrit de tout ce qui se trouve à sa portée. L’époque est noire Jagger compose Sympathie For The Devil, l’époque est rouge révolution, Jagger compose Street Figthin’ Man, l’époque est rouge sang, Jagger chante Midnight Rambler, la promenade de l’assassin de minuit, dans tous les cas il faut que ça saigne.

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Jagger est l’androgyne, danse et virevolte, pas de deux et pas de trois, de toujours jeune coq et à jamais the red rooster, mais l’attirance aussi pour la similitude grecque, bisexuel qui ne s’ignore pas et qui rêve de Keith qui lui refuse de se mêler à ce jeu-là. Alors, est-ce parce que l’occasion fait le larron que Mick copule avec Anita ou est-ce le seul moyen d’atteindre Keith, pour se rapprocher ainsi au plus près de lui, ou pour le blesser de son refus ? L’âme humaine exprime ses contradictions en de retorses symbolisations actales. Ce même Keith avec qui Marianne aura connu une trop brève idylle et qui restera son Stone préféré… Les futures complicités et aversions qui tout au long de leur carrière tour à tour lieront et délieront Mick et Keith prennent assurément leur source en ces nœuds d’ambivalences érotiques mal résolues.

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Jagger n’est plus Jagger. Le poids du succès est difficile à porter. Les épaules de Brian n’ont pas résisté à la pression. La diabolique cohue d’Atlamont sonne comme un avertissement. Jagger fait comme Presley. Délaisse le rock pour le cinéma. Y apprend que l’acteur épouse des rôles successifs. Désormais il n’est plus qu’un personnage. Un peu Mister Hyde et beaucoup doctor Jekyll. En quête de responsabilité. Le jeune homme vient de rentrer dans sa vie d’adulte. Sticky Finger comme une dernière folie avant la pierre tombale du double album. Souvent les rockers finissent mal, Jagger chausse les pantoufles dorées de la jet set. Dès Head Goat Soup les fans s’apercevront du changement…

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Itou pour Marianne qui au plus près de l’action y voit plus clair que beaucoup. Elle éprouvera toujours une grande tendresse pour Jagger, ne lui reprochera rien, lui pardonnera beaucoup, mais la magie est partie. Elle n’est plus amoureuse. C’est elle qui le quitte. Un peu comme les dieux désertent la cour d’Antoine dans le poème de Cavafy. L’année suivante Mick se marie avec Bianca. Normalisation.

 

DECHEANCE

 

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Marianne s’en va. Nous sommes au deux-tiers du bouquin. Lui reste encore à traverser les années les plus dures de son existence et la longue rédemption. Petit côté à la Johnny Cash lorsqu’il raconte dans sa biographie son addiction aux amphétamines. Mais Cash fera le grand saut à l’élastique avec des filets de rattrapage tout en bas, Sa femme June, sa carrière, sa maison, ses disques… Faithfull fait le grand plongeon sans élastique ni tapis de réception. Un mur dans un squat, à chaque jour sa dose, et puis plus rien. Y perd sa beauté, mais pas sa liberté. L’aristocrate côtoie les damnés de la terre, survit parmi la lie de société, mais elle n’accuse personne, ne rejette pas la faute sur les autres.

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Pas plus que plus tard elle ne criera au miracle. C’est son karma, en point c’est tout. La drogue sera toujours là. Elle remonte la pente, cul-de-sac après cul-de-sac. Elle ne rate aucune impasse. Stagne trop longtemps auprès de fiancés dont elle n’a pas la force de se défaire, jusqu’au dernier qui se jettera par la fenêtre du treizième étage pour lui montrer que toute liberté se paie en victime expiatoire. La naufragée des sixties sera à point pour la révolte punk. Il est des signes qui ne trompent point, au détours d’une phrase elle nous apprend qu’à Londres elle avait le même dealer que Sid Vicious. Revendication de lettres de noblesses bien étonnantes !

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Après l’enregistrement de Broken English la donne change lentement. Marianne est revenue au sommet. Elle est aussi revenue de tout. N’en tire aucun orgueil, n’omet aucune de ses faiblesses. Mais le public et les médias la considèrent comme la madone du rock. L’image initiale de la jeune fille virginale fourvoyée est remplacée par celle de la Marie-Madeleine non repentante. L’innocence des sixties a fait long feu. La désillusion qui a suivi a remis les pendules à l’heure… Marianne Faithfull n’a rien renié. La force du livre réside en ce refus de repentance dont nos temps de grande mollesse sont si friands.

 

Sex, drugs and rock and roll ! La légende déjantée comme si vous y étiez, avec en prime pour les fans de rockabilly une très rare photo de Roy Orbison, le chevalier à la triste figure du rockab, qui arbore une mine épanouie par un franc sourire. L’est vrai que la jeune Marianne Faithfull batifole entre ses bras, ça aide à voir la vie en rose. La rose oui, mais avec toutes ses épines, so bluesy.

 

Damie Chad.

 

( Le lecteur futé n'aura pas confondu ce livre, Une Vie de Marianne Faithfull paru en 1995, avec Marianne Faithfull L'Album d'une Vie paru en novembre 2014 que nous n'avons pas encore chroniqué. )

 

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