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04/09/2014

KR'TNT ! ¤ 199 : NEW CHRISTS / ALEXIS EVANS / THREE GAMBERROS / SUITCASE BROTHERS / CHINO AND THE BIG BET / FRENCH BLUES ALL STARS / JUKE JOINTS BAND / JEAN-LUC TUDOU

 

KR'TNT ! ¤ 199

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

04 / 09 / 2014

 

 

NEW CHRISTS / ALEXIS EVANS / THREE GAMBERROS

SUITCASE BROTHERS / CHINO AND THE BIG BET

FRENCH BLUES ALL STARS /JUKE JOINTS BAND

JEAN-LUC TOUDOU

 

 

ROUEN / LES TROIS PIECES /

12 – 07 – 14

 

LA RESURRECTION DES NEW CHRISTS

 

 

 

Après l’explosion en vol des Radio Birdman en 1978, Rob Younger remonta les New Christs. On les attendait un peu comme les messies. On savait Robbie et ses sbires capables de transformer l’eau en vin, et nous ne fumes pas déçus.

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Ils font partie des mecs qui ont continué à faire du rock envers et contre tout. Leur intégrité leur a coûté cher puisqu’ils sont restés célèbres dans l’underground. On ne les a jamais vus en couverture des magazines. Tant mieux pour nous et tant pis pour eux. Mais quand ils viennent jouer en Europe, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on assiste à des concerts explosifs. Le dernier concert des New Christs à la Maroquinnerie en 2006 fut une belle pétaudière. La salle était pleine à craquer de connaisseurs et tout le monde a salué Robbie et ses amis comme il se devait. On avait sous les yeux des ressuscités, au sens propre du terme. Robbie le fantôme n’était plus que l’ombre de lui-même, mais à sa façon, il redonnait à la notion de chanteur de rock tout son sens.

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Il avait tout du vieil ami qu’on aime bien. Il semblait doux et sincère, avec un faux air de Wes Studi. Il portait un vieux T-shirt noir usé jusqu’à la corde, un vieux jean noir qui lui pendouillait au cul et des vieilles boots à élastiques. Rob ne savait pas bouger sur scène. Il se débrouillait comme il pouvait, roulait ses poignets et secouait les cuisses. Il dansait un jerk curieux et privé de connotations. On ne pouvait que l’admirer, car c’était très courageux de sa part. À côté de lui, le bassman Jim Dickson, sosie de Jean Bouise, deux mètres de haut, jouait la bouche ouverte.

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Il aura fallu attendre huit ans pour revoir les New Christs sur scène. Pas une grosse scène, c’est vrai, mais on ne va pas se plaindre. Après tout, ils sont plus à leur aise dans une cave de la chrétienté des origines que sur une grande scène parisienne. Des Christs, ça doit rester dans les ténèbres de l’underground. Sinon, ça finit mal.

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Nous eûmes donc droit à un set torride des messies du rock australien par cette chaude soirée de juillet. Ce qui frappe chez eux, c’est la densité de la présence et du son, certainement favorisée par l’exiguïté des lieux. On pourrait même appeler leur set un concentré de dynamite. Avec les New Christs, on a tout : le son plein du groupe à deux guitares, le showmanship d’un chanteur devenu légendaire et une belle série de compos qui défient le temps par leurs qualités à la fois rocky et mélodiques, des hits fameux comme «Coming Apart», «We Have Landed», «Woe Betide» ou «Like A Curse». Ils vont même jusqu’à poivrer leur rappel d’un medley Stooges/Stones/Johnny Kidd faramineux : «Down In The Streets»/«Play With Fire»/«Shaking All Over». Rob Younger est resté le grand meneur qu’on a toujours connu et il semble même se bonifier avec l’âge. Ce soir-là, il semblait même beaucoup plus solide qu’avant, plus intense et plus possédé. Il devait sentir qu’il avait derrière lui l’un des derniers grands groupes de rock du troisième millénaire : Jim Dickson, basse, Stuart Wilson, drums, Brent Williams, guitare & claviers et Dave Kettley, guitare (sosie de Chris Masuak et ça lui pose un problème car partout, dit-il, on le prend pour Masuak - ils ont tous les deux le crâne rasé et brillant comme une boule de billard).

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Leur premier album était une compile de singles : «Divine Rites». Le son des New Christs n’avait plus rien à voir avec celui de Radio Birdman. Ils gagnaient en épaisseur et dégageaient un fort parfum de sortilège, comme dans «Like A Curse». Avec ce vieux single, Rob Younger créait les conditions de l’ambiance, telle qu’on allait la retrouver sur les albums suivants. Chris Masuak est encore dans le groupe à l’époque de «Sun God» et on se régale de son solo incendiaire, bien suspendu au dessus des gouffres béants. «Addiction» qui datait de 1987 était un gros rock solide porté par le son de basse de Jim Dickson qui venait d’intégrer le groupe. On avait là un énorme frichti de garage avec un jeu de guitare digne de celui du MC5, une rythmique détroitisée et fantastique d’à-propos. «I Swear» est une autre énormité nappée d’orgue et «You’ll Never Catch My Wave» brille de mille feux, doté d’une attaque imprévisible et d’une sorte d’allégresse délavée qui ressemble à un geste de lassitude royale. Ce cut superbe sonnerait presque comme un hit des Stones. En plus, ils le swinguent aux clap-hands. Puis Nick Fisher bat «I Saw God» à l’arrache. Encore un cut puissant et atmosphérique qui impose le respect. Et ça se termine avec une belle énormité, «Headin’ South» heavy garage dum dum bien épais quant au son, toujours poundé dans les profondeurs, c’est-à-dire dans l’excellence du pulsatif - celui dont on rêve en dormant.

 

Les New Christs vont-ils réussir à sauver l’humanité ? C’est ce qu’on verra dans les prochains épisodes.

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Quand est paru «Distemper», leur premier album studio, on s’est jeté dessus. Pas de souvenir précis des circonstances, mais ça devait correspondre à un manque. D’autant qu’ils ouvraient le bal dans une ambiance stoogy avec «No Way On Earth» et un beau son de basse bien rond. On sentait tout de suite la force d’un son plein. Ils allaient inaugurer une fastueuse série de morceaux bien bourbeux et vraiment donner la mesure en face B avec des énormités comme «Circus Of Sour» qui sonnait alors comme un hit planétaire, une merveille montée sur un beat bien sourd et galvanisée par un gimmickage élégant. En fait, élégance, c’est le maître mot des New Christs. Au fil des morceaux, on sent le son qui se profile. Et Robbie sait relancer un assaut - Circus of sa-our ! - C’est du très gros niveau, et la basse broute la motte avec ténacité. L’autre gros cut de ce premier album, c’est «Coming Apart», un uptempo speedo-speedah qui ne recule devant aucun excès. Un solo incendiaire vient fouiller ses entrailles - I understand what you’re going through - et un fort vent d’excellence nous éloigne du rivage.

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«Lower Yourself» restera pour beaucoup de gens le grand album classique des New Christs. Sur ce disque, quatre titres sont des preuves de l’existence de Dieu, leur père. Dès les premières mesures, «We Have Landed» sonne comme un énorme hit intemporel. Ça tarpouine dans la bassine. Ils clament qu’ils sont redescendus sur terre, et ils balancent un refrain mélodique qu’on chante avec eux à tue-tête. Quelle épaisseur, non mais quelle épaisseur, et quelle authenticité mystique ! Quelle pureté de foi ! Quelle lumière dans le regard intérieur ! Quelle prestance œcuménique ! Ils réussissent là où les Lords Of The New Church ont lamentablement échoué. Ils créent une atmosphère biblique qui se répand à travers le monde et qui illumine les âmes. C’est un disque très excitant, car ils ne grimpent pas au faîte de la gloire, non, ils préfèrent graviter dans la bonne zone. Le morceau titre est une vraie bombe mystique. On sent une remontée par les basses. Toute l’épaisseur du son monte au cerveau. Il faut entendre Robbie le messie chanter à contre-courant. Cette grosse compo est si magistrale qu’elle épouvante le commun des mortels. On tombe rarement sur des disques qui ont un tel aplomb. Aw, Robbie le ressuscité de la rédemption remonte du fond du puits d’ascenseur qu’on voit sur la pochette. Sa puissance est telle qu’il faut de bonnes oreilles pour la recevoir. Ah ! fait-il en donnant un coup de hanche. Fascinante expérience. «Jenny» sonne comme un balladif uptempique et fait généralement un carton sur scène. On retrouve la dimension biblique de la puissance du son, l’épaisseur des gros accords rustiques, la belle décoction des battements d’extraction garage. Et cette façon qu’a Robbie le messie de conduire son couplet, d’un coup de rêne - yah ! - on sent le seigneur chez lui. On retrouve le gros descendant des catacombes avec «Fuzz Expo» que Robbie chante avec une classe effarante. Il croise la basse sur les remparts, alors que la nuit tombe. On fourbit les armes de la purée. Les loups hurlent dans les collines - in the shadows - c’est une curée courue d’avance, surgit un solo d’une perversion épouvantable, et on monte directement au paradis du garage christique. Robbie tartine les murs de la ville de génie, ça joue à la nausée, des vagues de solos submergent les remparts, c’est absolument indécent de grandeur. «Fuzz Expo» tétanise les populations. On trouve encore une autre énormité sur ce disque, «Truly Unaware», embarquée à la basse grasse, gonflée d’abcès de guitare et Robbie piétine dans des flaques de pus. Monstrueux d’exemplarité. Ça gicle dans les remugles. S’ensuit «Big City» qui est un gros truc de type Suicide, un vrai hit mortel doté d’un potentiel évangélique.

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Ce qui est bien avec les New Christs, c’est qu’on peut acheter les disques les yeux fermés. Rob Younger fait partie des gens qui ne nous prennent pas pour des cons et qui s’efforcent de maintenir un très haut niveau de qualité, comme ont pu le faire Chris Bailey et Frank Black. Tous ceux qui connaissant «We Got This» savent de quoi je parle. L’album est sorti en 2002 dans une quasi indifférence. Mais quand on l’écoute, on se dit qu’on est sur la bonne voie et que l’heure de la rédemption finira pas sonner. Car forcément, ces mecs ont une forme de génie. L’intro du morceau titre ne serait-elle pas l’intro du siècle ? Allez savoir. Riff violent et Ah ! de Rob. Alors ça pulse. Riff signé Mark Wilkinson. Ils passent une sorte de sixième vitesse au dernier couplet. On n’avait encore jamais vu ça. Belle pièce de garage high energy avec «He’s Too Slow», emmenée à fond de train roboratif et cette façon qu’a Robbie de lancer un ah ! au sortir d’un virage dangereux ! Ils adorent foncer. Robbie chevauche toujours en tête avec une voix le plus souvent geignarde, mais il pleure des larmes de sang, des lacrima christi dont on se pourlèche les babines. Bien élongué sur la distance, voilà «Impeachment», lancé au pas de l’étalon et battu à l’écarlate, fond de train et grande élégance, on retrouve constamment ces deux mamelles sous leurs tuniques. Et puis on tombe sur la huitième merveille du monde, «Spit It Out», qui fit pas mal de ravages dans les cervelles, à la Maroquinerie. Balade de rêve - on l’accuse de sonner comme un morceau de Téléphone - The things I kill & the things I save - c’est d’une puissance qui dépasse la tempérance de la puissance - spit it out how small is your blues oh oh oh - beauté dévastatrice. En concert, Robbie a rendu pas mal de gens dingues avec ce hit. Il reste encore une belle pièce sur cet album : «Khartoum», exotica d’accords plombés et terribles, Robbie chante ça avec la résignation et la hauteur de vue d’un officier en veste rouge planté sous le soleil ardent du Soudan - Oh please !

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«These Rags» est une compilation de plusieurs EP. Autant dire qu’il s’agit encore une fois encore d’un gros tas de dynamite. Il suffit juste d’entendre le premier cut, «Only A Hole» pour voir dans quoi on met les pieds. Ça saute aussitôt, bam ! gros pounding des enfers d’Australie. Il se dégage de ce hit une certaine grandeur extravagante. On voit bien que depuis lors, Robbie et ses apôtres sont installés dans l’extrême suprématie. Même chose pour «These Rags», où on retrouve cette allure suprême, cette quintessence de la puissance qui prend ses racines à la fois dans la mélodie et dans l’énergie garage. Robbie propose une fois de plus ce mélange unique d’ambition compositale et d’ampleur visionnaire. Encore une vraie pièce avec «The Way You Suck Me Down», rock-song imparable, grandeur et décadence portées par la voix d’un Robbie supérieur en tout. Il monte très haut dans la volonté d’élévation de l’âme. Avec «No Love Again Today», Robbie bat le rappel des blasts de basse - Cumon ! - et chevauche un riff garage indomptable. «Woe Betide» est une nouvelle merveille excessive d’accélération progressive, solide et merveilleuse, chantée à la pousse-toi-de-là-que-je-m’y-mette. Véritable énormité, mais avec les New Christs le mot énormité relève de l’euphémisme, alors on est bien embêté. C’est vrai que les New Christs ne font que s’empêtrer dans l’excellence. «Pedestal» est une pure stoogerie, totalement au-dessus de tout ce qu’on imagine ordinairement. Idéal pour ceux qui aiment les Stooges. Exceptionnel pour ceux qui aiment le rock. Bardé de riffs incendiaires et inspiré comme ce n’est pas permis. Pendant que Robbie éructe, les fans exultent. Pas de meilleure configuration possible. Il embarque «In State» à la mode sauvage et boucle la boucle avec une reprise sur-puissante : «The Seeker» des Who. On entre là dans le délire d’un très grand groupe underground. Leur version est superbe d’allant. Ils font de ce vieux classique des Who un garage monstrueux d’abattage.

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«Gloria» est passé quasiment inaperçu en 2009. L’album était dans les bacs d’un disquaire parisien et on ne savait pas d’où il sortait. Le nouveau New Christ ? Le mec n’était pas sûr. Encore une fois, c’est un très gros disque. Dans l’atmosphérique «Try Something», Robbie revient comme un fantôme, sa voix se fait plainte dans les couloirs d’un château désert et autour de lui résonnent des chœurs de ghoules. Morceau grandiose qui vaut bien les grandes heures de Mark Lanegan. Nous sommes de retour dans la cour des géants de l’underground. Belle pièce tendue que ce «My Existence», chantée sous le boisseau, riffée comme il faut, à l’australienne, sans honte ni prétention. Les New Christs perpétuent la notion de bon groupe de rock, une notion qu’ont perdue les Stones, par exemple. Encore une merveille : «The Wheel», noyée d’orgue et cadenassée par un riff pesant et pachydermique, sertie d’un solo de mélasse de fuzz, équipée de ponts de cristal puis plongée dans l’eau trouble d’un solo liquide. Les chœurs sonnent comme des ouvertures célestes, Robbie fait ses ah-ahhh habituels. Il domine son univers. On retrouve son chant de possédé de Sydney dans «The Posse», encore un morceau lancinant et beau, captivant et inspiré. Encore du flux tendu avec «Animalisation», embarqué au sacré beat de précipitation australienne, cousu de fil blanc comme neige, mais sacrément bienvenu, car joué avec un enthousiasme que rien ne saurait démentir. Du panache, rien que du panache. Robbie accroche sa couronne de loser au clou d’une certaine légende. «On All Fours» est un morceau salement bien foutu, sans violence ni éclat particulier. Le rock des New Christs s’impose comme un rock à guitares avec un singalong pointu-perché qui évoque vaguement la silhouette du pendu au sommet de la colline. Grosse ambiance avec des chœurs perdus dans les douves. Les albums des New Christs sont véritablement hantés. Ils terminent sur un hit brillant, «Bonsoir À Vous».

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Comme beaucoup de grands groupes de rock, les New Christs donnent leur pleine mesure sur scène et c’est bien cette évidence que l’album «Live» met en lumière. Ils attaquent avec deux classiques, «Coming Apart» (vraie bête de somme de garage impérieux, tiré au chant d’une voix plaintive) et «We Have Landed» (solide comme le chevalier en armure, puissant et emmené à l’horizon du refrain). S’ensuit «The Wheel», terriblement lourd, comme si les quatre sabots du percheron s’embourbaient dans la boue du champ sous le poids des armes et de l’armure. Leur set d’alors comprenait aussi «We Got This», vieille battue d’accords louvoyés, cut idéal pour le combat de scène et ils enchaînaient avec «On Top Of Me», fabuleux et famélique. On trouve sur la face B deux grosses versions, «No Way On Earth», monté comme un âne garage et ronflé à la basse, pur jus christique et surtout le mirobolant «Bonsoir A Vous», tiré de l’album «Gloria», habile façon de saluer l’assemblée avec une certaine flamboyance. On y retrouve l’extraordinaire descente de manche de Jim Dickson. C’est à ce genre de classique qu’on peut évaluer la grandeur d’un groupe comme les New Christs.

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«Incantations» vient de sortir sur le label havrais ressuscité, Closer. On y retrouve le principe de la grosse basse baladeuse de Jim Dickson et l’ultra-richesse des couches de guitares. Solide pièce d’intro que ce «Ghostlike». «Waves Form» est une belle purée lourde de sens, typique des Christs éternels. Heavy punk classique et inspiré. Le riffage ne faiblit pas, chez eux. Encore une belle pièce musculeuse avec «It Means Everything», dotée de belles plâtrées d’accords épais et de la science du maintien. S’il est un groupe qui peut se vanter d’avoir un port altier, c’est bien le groupe de Rob Younger. «It’s Not A Game» reste dans la bonne veine, bien monté, sourd et bon. Mais sur la face B, ils sont hélas un peu mous du genou. «Unless» voudrait bien passer pour un cut solide, mais cet imbécile refuse obstinément de décoller. Carré, certes, mais privé de l’allant d’antan. Les disques restent bien à l’image de la vie : on ne peut pas tout avoir. Ce serait trop facile.

 

Signé : Cazengler, grenouille de bénitier

 

New Christs. Le Trois Pièces. Rouen. 12 juillet 2014

 

New Christs. Divine Rites. Citadel 1988

 

New Christs. Distemper. Blue Mosque Records 1989

 

New Christs. Lower Yourself. Citadel 1997

 

New Christs. We Got This ! Laughing Outlaw Records 2002

 

New Christs. These Rags. Citadel 2002

 

New Christs. Gloria. Impedance Records 2009

 

New Christs. Live. Pitshark Records 2011

 

New Christs. Incantations. Closer 2014

 

De gauche à droite sur l’illustration : Dave Kettley, Jim Dickson, Rob Younger et Brent Williams.

 

BLUES IN SEM / 09 - O8 - 14

 

 

ALEXIS EVANS / THREE GAMBERROS

 

SUITCASE BROTHERS

 

CHINO AND THE BIG BET

 

FRENCH BLUES ALL STARS

 

 

 

Le plus petit festival de blues de la planète coincé à flanc de montagne dans un espace pas plus grand qu’une cour de récréation de village de campagne. Sur deux niveaux, en terrasses pour reprendre la terminologie géographique en vigueur. Faut laisser la voiture à l’extérieur du village car les rues ne sont pas assez larges… Mais d’année en année les amateurs restent fidèles et reviennent soutenir cette ultima thulée du blues à 2000 mètres au-dessus du niveau du Delta.

 

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N’y a que pour l’ouverture que ça coince, une orga paranoïaque de chef de gare qui s’obstine à n’ouvrir qu’à seize heures trente précises alors que le bon peuple du blues piétine devant les métalliques barrières depuis le début de l’après-midi… Après c’est au compte-gouttes devant l’unique guichet. Sans doute une manière de vérifier la théorie mathématique des catastrophes communément appelée des engorgements bouchonnants. Z’ont pas encre compris que les temps morts sont une excellente manière de faire fonctionner la pompe à bière sans interruption. Treize ans que cela dure, les mauvaises habitudes ont la vie dure.

 

 

ALEXIS EVANS

 

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Vient de Bordeaux. Avec tout son orchestre. Pour le blues, faudra repasser, c’est du rhythm and blues avec cuivres - ne sont que deux et un troisième ne serait pas de trop pour avoir un bon son Stax de derrière les fagots - un pianiste avec piano droit et orgue électrique - l’antique organum des congrégations religieuses que les formations R’N’B ont embarqué avec elles quand elles ont quitté le gospel pour la musique du diable - qui ne se débrouille pas mal du tout, poussant des cris d’encouragement et virevoltant sur ses deux claviers, guitare basse et batterie, et enfin Phil Evans au chant et à l’épiphone jaune.

 

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Nous ont fait peur à la balance. Se sont lancés dans une espèce de slow variétoche qui n’augurait rien de bon. Mais non, c’était pour tromper l’ennemi car quand ils nous le ressortent en troisième morceau, l’ont sacrément remplumé et habillé de neuf. Puisque l’on parle de vêtement, c’est vrai que les orchestres noirs de rhythm and blues des années cinquante arboraient des tenues de maquereau aussi discrètes que des robes de cacatoès, mais en 2014 tous ces grands garçons engoncés dans leur costumes tout neufs avec leur mirifique cravate fête des pères, font un peu vieux jeu.

 

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En tout cas ils vont tirer leur épingle du jeu. S’affirment de plus en plus à chaque nouveau titre, ont aussi leurs compos qui ne déparent pas dans l’ensemble même qu’elles seraient les meilleures surprises du set. Se retireront sous les applaudissements d’un public pas conquis mais sympathisant. Une formation qui a certes besoin de grandir, encore un peu verte, mais qui dans les années futures risque de laisser le souvenir d’une pépinière de talents. A éclore. A surveiller. Un petit côté bons élèves, de ceux qui rendent les copies sans faute d’orthographe, sans tache et sans reproche, mais une fois qu’ils auront fait un petit tour auprès des radiateurs, ces défauts disparaîtront. La bonne musique, c’est comme les filles, ça aime les cancres.

 

 

THREE GAMBERROS

 

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Ne gambergez pas, Gamberros signifie mauvais garçons. Vous remarquerez tout de suite que le sommet du triangle est occupée par une fille, Loretta. Deux mama’s côte à côte puisqu’elle tient la contrebasse. Elle chante aussi - notamment une très belle version de Jackson - dans le rôle de June Carter, c’est Mig ( un fameux chasseur ) Toquereau qui prend celui de Johnny Cash - mais pas trop d'honneur aux gerces, car les deux autres fripouilles ne lui en laissent pas placer une. Surtout Mig avec sa grosse voix nasillarde qui fait tout pour attirer l’attention sur lui, une fois je prends la guitare et une fois je prends la mandoline. N’oubliez pas que jusque dans les années 1920, il se vendait dix fois plus de mandolines que de guitares.

 

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Anthony Stelmaszack accoudé sur sa guitare se présente comme le lymphatique de service, l’antithèse de son acolyte à l’activité débordante, mais mine de rien il abat aussi son boulot, il chante ( pas assez à notre goût ) et sait aussi se servir de son harmonica mais va surtout nous donner un des plus beaux moments du festival, une cavalcade sans fin à la guitare slide, d’une tristesse infinie et d’une délicatesse dérangeante. De celle qui vous oblige à penser que vous vivez votre vie avec la maladresse d’un éléphant dans un magasin de terre mal cuite. Du blues à l’état pur.

 

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D’autant mieux venue que le répertoire est avant tout très country. Ne m’en plains pas mais après le rhythm and blues de la première partie, l’on peut se demander si l’on est bien dans un festival de blues. Le blues serait-il si en crise qu’il en viendrait à picorer dans le pré carré de ses voisins ? Angoissante question, à la laquelle, chers lecteurs, il sera répondue dans les deux compte-rendu suivants. En attendant régalons-nous avec les Three Gamberros qui en ces temps éhontés d’augmentation du prix des cigarettes font un tabac. Pas tout à fait de Virginie, mais de quelque part entre le Texas et les Appalaches.

 

 

SUITCASE BROTHERS

 

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Pas énormément de bagages puisqu’ils ne sont que deux. Deux frères, du même sang, Victor est à l’harmonica et Santos à la guitare. Se partagent le chant, mais Santos prend la plus grande part du gâteau. L’est sûr qu’avec un harmo dans la bouche, c’est plus difficile. Guitare acoustique, car l’on plonge dans le rural blues, le Piedmont Blues si l’on veut être précis, celui qui s’est développé dans le doux état de Virginie. Sont se font fait remarquer à Memphis ( Tennessee ), pourtant ils ne viennent pas de si loin, juste de l’autre côté des Pyrénées, tra los montes comme ils disent, d’Espagne. Vu la situation du pays, c’est normal qu’ils aient le blues.

 

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Ca s’entend dès les premières notes, l’on a affaire à des virtuoses. Sont tout jeunes, mais ils ne sont pas nés de la dernière pluie, connaissent leur racine sur le bout des doigts et des lèvres. Le public se laisse embarquer sans demander son reste dans le train bleu. Beau numéro, l’harmo fait son shuffle comme si vous étiez dans la locomotive. Récoltent des applaudissements par centaines, soulèvent l’enthousiasme… je dois être le seul à ne pas partager l’allégresse générale. Certes ils sont doués, jeunes, beaux et sympathiques et malgré l’obstacle de la langue ils arrivent à communiquer avec le public. Certes ils connaissent toutes les recettes, et font ce qu’il faut au moment où il le faut. Rien à leur reprocher. Si ce n’est que s’installe en moi un sentiment étrange, d’entendre des gens follement centrés sur leur passion mais qui ne poussent pas la musique qu’ils aiment dans le sens d’une remise en cause de ses attendus, c’est bien d’être à genoux devant les grands ancêtres, mais c’est encore mieux de bousculer les traditions. Ce qu’ils font quelque peu, puisqu’ils possèdent une aisance technique que beaucoup de pionniers du blues n’avaient pas toujours… Mais ils avaient le mojo, ce que je traduirai, en dehors de toute facétie sexuelle, comme l’ancrage dans l’air de leur temps pourri. Nous ont fait une belle démonstration mais je n’ai pas vu le sang bleu de la terre couler…

 

 

Un sentiment personnel que Mama Puertas – la mère de nos deux bons petits gars - qui vient en rappel chanter, la gorge pleine de soul, une sourde mélopée sur Memphis, Tennessee, ne partagera pas.

 

 

CHINO AND THE BIG BET

 

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Ne les ai pas vus s’installer sur scène, ni débuter leur session. Trop occupé que j’étais à discuter avec Jean-Luc Tudou l’auteur de Chicago, Terre Promise De La Guitare Slide, suis donc revenu à toute vitesse au premier rang. Tiens, c’est Caldonia, me suis-je dit sans y faire davantage attention en me glissant tant bien que mal au travers de l’épaisseur de la foule.

 

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C’était bien Caldonia. En compagnie de trois gars. Tout d’abord une espèce d’escogriffe, guitare résonateur en main, de minces favoris en arc de cercle, tout longiligne dans un invraisemblable costume lamé myrtille. Le contrebassiste costume gris souris blanche a la tête rasée à la chauve qui peut. Le gars qui s’escrime sur la caisse claire de la batterie Gretsch est caché par les deux autres, vous remarquerez toutefois sa boucle d’oreille. Ca c’est pour l’image.

 

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Pour le son il vous faut attendre. C’est Caldonia vous disais-je. Profitez en pour sortir le chien et faire le tour du pâté de maison. Ca y est, le riff est revenu. Vingt quatre secondes de délices, maintenant vous avez le temps de vérifier les devoirs du fiston. Attention, c’est reparti pour vingt quatre secondes édéniques. C’est terminé, oui déjà, rien ne vous empêche d’essuyer la vaisselle. ( Vous n’êtes pas obligé de m’obéir systématiquement, pensez à conserver votre dignité ). Vous ne savez plus où vous en êtes, et Chino qui se marre, la main suspendue au-dessus de sa poele à frire, avant de vous lancer le riff que vous attendez sans plus y croire.

 

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Chino and theBig Bet. Il y en a qui interprètent et d’autres qui déconstruisent. Ces trois mousquetaires font partie du second groupe. Eux, ils vous livrent la locomotive en pièces détachées. Comptent sur l’intelligence de l’auditeur pour recoller les morceaux. Vous livrent du vrac. Blues en puzzle, swing en capilotade. S’amusent comme des dératés. Et vous suivez, comme les rats le joueur de flûte de Hamelin. Vous avez une excuse, des super musicos comme ceux-là vous n’en rencontrez pas quatre dans un festival, et eux ils sont déjà trois. Prenez Rod Deville, l’on dirait que quatre cordes sur sa contrebasse c’est beaucoup trop, se contente d’en pincer deux, de temps en temps. Comme chez le docteur, respirez lentement, mais il vous enfonce à chaque fois un clou dans le cerveau. Joue une drôle de chose, d’ailleurs ça s’apparente aux désharmonies de la New Thing, en voici un qui prend son monde à rebrousse corde. De pendu. Totalement moderne et en même temps ça sonne comme une boyau de chat tendu sur une boîte à cigare. De la musique qui boite et qui refuse la facilité de la mélodie pour mieux vous en souligner les jointures secrètes.

 

 

Giggs Nother, peux pas vous expliquer ce qu’il trifouille sur sa caisse claire, ses mains étaient hors de mon champ de vision, je peux simplement affirmer qu’il se sert des cymbales en s’interdisant d’y toucher - ce qui est assez difficile, mais c’est à comprendre comme le dit qui est exprimé dans le non-dit - quoi qu’il en soit, il n’accompagne pas les deux autres, il les raccompagne, même quand ils prennent des chemins séparés, il est en même temps et avec le loup et avec le petit chaperon rouge.

 

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Sourire sardonique de Chino. Les doigts de sa main droite cerclés de fer se hâtent avec lenteur sur la grille de son presse purée. Et pourtant il est le guitaro le moins pressé du monde. Bottleneck sur sa main gauche, celle qui caresse avec nonchalance son manche. Pause pipi, toutes les trente secondes, et la foule se pâme et halète incapable de prévoir le moment exact où il remettra les gaz. Toujours une seconde après ce que vous aurez jugé comme le temps réglementaire. Attention parfois il s’énerve et tout y passe, un petit solo comme en trouve dans toutes les panoplies des guitar héros de la planète rock, plus tout ce qui lui traverse le cortex, un extrait de Carmen, une citation presleysienne, un refrain emprunté à Edith Piaf, une dédringolade d'escalier à la Django, et que sais-je encore. Avec lui le blues est un ogre qui avalerait le monde entier si on le laissait faire.

 

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Chino chante, sans avoir l’air d’y toucher. Mais ne vous rate jamais. Incroyable mais vrai, voici qu’ il joue très sérieusement durant deux minutes sans s’arrêter. Mais il prend une mine désolée et coupe court sans plus de politesse. Vient d’Argentine, ne parle pas français, vous apitoie si fort que vous lui refileriez un bifton de cinquante euros rien que pour lui remonter le moral. Mais dans un incertain mélange d’anglais de fragnol, il nous explique qu’il a besoin de l’assistance, lui faut habiller sa chanson, lui donner des couleurs, pour en chasser le blues poisseux qui la dénature, bref il nous prie de faire les chœurs, comme dans les années soixante. Un sourire démoniaque auréole ses canines. Le ridicule n’a jamais tué le rock. Mais lui il le désosse. Massacre à la résonateuse.

 

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Indolence naturelle. La classe. Chino And The Big Bet revisitent la musique populaire américaine. Vous font goûter aux spasmes des entrailles et aux affolements du cœur. Un boucher. Qui en bouche un coin à tout le monde. Rappels obligatoires. Chino vous livre un peu de son secret. A enregistré trois CD, tous trois nommés Six. Six-six-six. Le chiffre de la bête. Pas besoin d’en dire plus aux amateurs de blues, Robert Johnson en filigrane. Chino And The Big Bet puisent aux racines. Par pour en refaire d’identiques. Mais pour les ronger. Jusqu’à l’os. Et en retirer la substantifique moëlle. Celle qui permet d’emprunter les sentiers de la création. Are you experienced ? serais-je tenté de vous demander si vous ne les avez pas encore vus. Et puis ces cigarettes tenues avec l’élégance flegmatique d’un Mink de Ville...

 

 

FRENCH BLUES ALL STARS

 

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Dernier groupe de la soirée. Classique. Le bon vieux blues électrique de Chicago, avec la crème des musiciens de blues français, notamment Stan Noubard Pacha à la guitare solo. Pas évident de passer après le Big Bet. Mais ils s’en tirent avec les honneurs de la guerre. Plus le bœuf final qui réunit un peu tout le monde. Rien de nouveau sous le soleil noir du blues, mais le public qui danse ne les laissera partir que bien tard.

 

 

Très bonne treizième édition de Blues In Sem. L’on peut partir tranquilles dormir sur nos deux oreilles. Rassurés, avec Chino and the Big Bet, le futur du blues commence à poindre.

 

Damie Chad.

 

( Message personnel : Je ne suis pas arrivé à retrouver au dernier moment la clé avec les photos prises par la divine Patou et Eric ! )

 

LA CAMONETTE IN CAMON

 

20 - 08 - 2014

 

JUKE JOINTS BAND

 

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Un coup de chance inespérée. La teuf-teuf qui sarrête auprès dun platane de la charmante bourgade de Camon - Camon qui repose dans son nid de collines ariégeoises avec ses mille terrasses, sa roseraie, son château-abbaye, pas tout à fait le nombril du monde mais le paradis assuré des pécheurs, bref un village prospère au temps des dernières croisades, juste avant la guerre de cent ans et qui nen finit pas de couler des jours paisibles, oublié de tous. Faut-il tourner à gauche ou à droite ? Point du tout une interrogation politique, simplement la recherche de la route la plus courte pour revenir à la maison, car quand laigle est blessé ne retourne-t-il pas vers les siens ? Je ne suis pas blessé mais cest la copine qui pousse un cri, aurait-elle été transpercée par une des mortelles flèches de lEros Sauvage qui se manifeste dans les lieux sauvages et isolés propices aux abandons les plus lascifs ? Non ! ses yeux exorbités, son bras tendu, désignent une affichette bleue, les trois initiales sacrées, JJB ! Juke Joints Band, en concert, le lendemain soir, ici même sur le boulingrin ( pierreux ).

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L'on arrive un peu en retard. Je ne vous dirai pas pourquoi. Sont tous au fond du parking. Un brouhaha monstre. Tous attablés, près de deux cents affamés, des jeunes, des vieux, des villageois, des touristes, des toute belles et des moins beaux, des serveuses qui courent partout de la cam(i)onnette où s'agitent les cuistots aux tréteaux gargantuesques, les plateaux recouverts de madrés de canard et de panini appétissants, fument les crêpières et se débouchonnent les bouteilles de rosé à tire-larigot, de gamins fendent la foule en poussant des hurlements sur leur vélos sans pédales.

 

JUKE JOINTS BLUES

 

C'est la cohue, c'est le tohu, c'est le bohu, et de sous la tente rouge posée face aux ripailleurs sort un potin infernal. Le Juke Joints Blues a sorti le grand jeu, au moins trois guitaristes qui rivalisent d'ardeur, je presse le pas pour assister à ce festival de guitares en folie. Furieuse. Tout faux. Sur toute la ligne. Ne sont que deux. Je précise, Chris le microphoneur, pardon le mégaphoneur, et Ben avec son acoustique. Electrifiée, certes. Mais enfin il ne faut pas exagérer. La fait sonner comme un orchestre à cordes endiablées. En fin de soirée, il avouera que le bout de ses doigts le brûlent. Pas la peine de demander pourquoi. N'est pas avare de fricassées d'ongles.

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Pour le larynx de Chris, je n'ai pas eu de révélation. Je le subodore sanglant et en sale état. Car comment sortir autant de pierrailles et de ferrailles d'un simple gosier. Nous crache des sabres comme d'autres les avalent. Mais les siens sont ébréchés et rouillés. Rien qu'à les imaginer vous en trembleriez, mais à les entendre c'est une toute autre histoire, cimeterres de pirates qui vous hachent le blues menu menu pour mieux vous le transfuser par les oreilles. Glapissements de renard enfumé dans son terrier avec la meute des cordes de la guitare de Ben assoiffées de carnage qui aboient et hurlent à la mort. Mais le Chris il arrive toujours à s'échapper, l'on ne sait pas comment, par une de ses modulations barbaresques dont il a le secret, et il détale le museau au vent, hululant sous les étoiles, avec la horde canine à ses trousses. Fin du premier set. Sauvé par le gong.

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Doivent aimer cela. Car ils y reviennent prestement. Pas le temps de vous ennuyer durant la mi-temps. Sont pressés. Pas de terminer mais de recommencer. Et Ben vous incendie les arpèges du blues comme si sa vie en dépendait, et Chris qui chante comme l'on prend une assurance sur la mort. Les tripes dehors et le coeur bouillonnant. Tourbillonnant. Un vibraphone en colère et en rut. La haine et l'amour en même temps. Quand l'un s'avance c'est l'autre qui se rapproche. Sont tous les deux au prise avec le fantôme du blues, celui qui court du delta à Chicago et qui ce soir tonne à coups de Camon.

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L'est arrivé avec son ampli et sa valise à bouts de bras. C'est Thierry Kraft avec son éternelle étole de léopard sur le cou. Revient de vacances. Mais incapable de résister à aider les copains. S'installe pendant que les deux autres ramonent le rhythm and blues, cherche un micro, finira par se greffer sur celui de Ben – qui pousse de temps en temps une goualante de renfort pour soutenir Chris – et puis il farfouille dans sa valisette si longtemps que l'on oublie sa présence, et puis c'est comme une coulée de chantilly amère sur la tristesse du monde, un ourlet de larmes sur la désespérance de l'existence et il s'enfuit s'asseoir à la table d'une jolie blonde. Papillonnera ainsi, tantôt auprès de sa belle, tantôt l'harmonica sur le micro sur des tempos de plus en plus syncopés. Finira par se joindre à la touffe gesticulante de danseurs qui s'est formée.

 

Tandis que Ben et Chris poussent leur blues, comme Sisyphe son rocher, sur les crêtes soufrées du rhythm and blues. Le laissent retomber, le beau basalte bleu, le roc(k) azuréen qui mord, morceaux après morceaux sur nous, pauvre foule grouillante et extatique qui en redemandons toujours davantage, afin que chaque pierre roulante nous farine l'âme. Ca sonne comme les premiers Stones. Et je ne serai pas le seul à faire cette remarque la soirée terminée. Avant dernier concert de la tournée d'été de Juke Joints Band, la veille ils ont mis le feu à Mirepoix, un concert d'anthologie, que j'ai raté. On devrait leur interdire d'arrêter, ils sont trop bons.

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J'en ai oublié Maëve, la serveuse, qui s'en est venue assurer le chant sur le Sittin' On The Dock Of The Bay, s'en est est bien sortie, faut dire qu'elle fait partie d'un groupe local Sun Fish dont je ne sais rien, si ce n'est qu'avec Maëve ils ont fait bonne pêche.

 

Damie Chad.

 


( Les photos ne correspondent pas au concert )

 

CHICAGO

 

TERRE PROMISE DE LA GUITARE SLIDE

 

JEAN-LUC TUDOU

 

 

( 154 pp / Avril 2014 / CAMION BLANC )

 

 

 

Un conseil d’ami avant d’ouvrir le bouquin, branchez-vous sur http://www.mixcloud.com/Galaxieslide ou alors sur www.rdautan.ffr, vous y trouverez la bande son qui va avec. C’est que Jean-Luc Tudou anime toutes les semaines une émission radio sur R d’autan ( que n’en emporte pas le vent ) consacrée à la guitare slide. Le samedi à 13 H 30.

 

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Deuxième suggestion amicale, avant de lire prenez le temps de regarder les images. Je sais, généralement chez Camion Blanc les repros photos sont déplorables. Mais là ils ont fait un effort. Pas eux. Mais l’illustrateur Pascal Weiss. A donné une vingtaine de portraits et de scènes de genre, des symphonies en gris, qui attirent et retiennent l’œil. Si vous voulez la couleur, procurez vous le N° 16 de Le Fil Qui Chante, le magazine tarnais et gratuit de l’art de vivre quelque part entre Albi et Toulouse. Vous y retrouverez trois illustrations du livre mâtinées d’un rose puce maladif, d‘un bistre la carotte inquiétant. Un truc malsain à vous refiler le blues pour trois jours. L’esprit du blues capturé live au bout d’un crayon à sale mine. Des espèces de sépia être heureux existentiels.

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Jean-Luc Tudou est membre très actif de la Toulouse Blues Society qui fait beaucoup pour la propagation de la musique bleue en Midi-Pyrenées. Ce Chicago Terre Promise De La Guitare Slide est le troisième tome d’une trilogie qui raconte l’histoire de la guitare slide, dont les deux premiers fascicules sont en cours d’écriture et en attente d’édition.

 

COUTEAUX ET TESSONS

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Saisissez-vous d’une bouteille par le goulot, cassez-la sur le rebord de la table et balafrez-en la gueule du gars en face de vous. Ne vous a peut-être rien fait, mais il a déjà le tort d’exister, alors pour lui apprendre à vivre, finissez de le tuer à coups de couteaux. Et pourtant rien n’est plus doux, plus poignant, plus plaintif que le son d’un couteau ou d’un goulot de bouteille qui glisse sur les cordes d’une guitare. L’archet du pauvre. Qui en a eu l’idée, le premier ? Le plectre d’Apollon sur la lyre ou un négrillon qui s’amusait à faire du bruit avec n’importe quoi sur un fil de fer tendu sur une clôture ou un mur ? Toujours est-il qu’un jour un, puis deux, puis trois, puis dix joueurs de blues - mais peut-être de simples songters sans exclusive prétention stylistique - se sont mis à faire un doigt à leur guitare. Ou à leur public. Cerclé de verre ou fer, l’index, le médium, ou le majeur, carapace de cristal ou armure de métal, à l’attaque des cordes, les prenant de revers pour les mieux entendre hululer à foison.

 

TAMPA RED

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Lorsque l’on veut faire vite l’on attribue ( d’indien) l’invention du bottleneck à Tampa le rouge. L’on a toujours besoin de référence sacerdotale. C’est vrai que Tampa Red présente le profil idéal. N’a pas eu la malchance d’un Charley Patton ou d’un Son House, l’a pu enregistrer tout ce qu’il a voulu quand il a voulu. Les autres ont tiré le diable par la queue et il n’a pas été souvent propice en les temps préhistoriques du blues au rendez-vous discographique. Pour Tampa Red le sédentaire, ce fut en quelque sorte plus facile. N’a pas sempiternellement couru dans le delta, est monté très vite à Chicago, et a pu enregistrer entre 1928 et 1955 plus de trois cents morceaux. Une mine, un exemple.

 

Un technicien hors-pair, un des pères fondateurs du blues, mais d’un blues que l’on pourrait qualifier d’heureux. Cette chienne de vie ne lui a pas lancé quelques uns de ses plus féroces molosses au derrière. J’ai déjà parlé de ma déception aux premières écoutes de Tampa, un son trop grêle, certes en prêtant attention à ses arabesques l’on est obligé de reconnaître qu’il a un sacré doigté, mais il manque la lancinante complainte des vies perdues. Un Verlaine qui n’aurait pas rencontré Rimbaud. Un blues qui jazze un peu trop.

 

REFLEXIONS

 

C’est qu’une guitare toute seulette n’attire point trop l’attention et la tentation est grande de s’entourer d’une formation un peu plus étoffée, un deuxième guitariste, une basse et pourquoi pas quelques cuivres. L’orchestre de blues est une nécessité, c’est aussi l’occasion de la perdition. L’électricité arrivera à point nommé pour éviter les dérives par trop éloignées. Pour un certain temps.

 

Les premiers enregistrements de blues, Ma Rainey, Ida Cox et toutes les autres sont orchestrés, très loin de la rudesse des pionniers du delta. C’est souvent parce que l’on a rien que l’on s’investit d’une esthétique du dépouillement et de la pureté. C’est après avoir conquis le monde que les Romains ont abandonné sans trop d’hésitation leur légendaire sobriété de mœurs.

 

L’union fait la force. Dans un monde hostile mieux vaut être accompagné que solitaire. Dans le delta les chanteurs se regroupent. Si l’on peut établir sans trop de problème des filiations très précises c’est que le blues est une musique de cooptation. Les plus jeunes qui rêvent de prendre la route suivent les vieux routiers pour profiter de leur expérience tant musicale qu’existentielle. C’est avec de réelles connaissances que Jean-Luc Tudou redescend l’embrouillamini de ces filiations congéniales dont on ne mesure plus aujourd’hui l’importance. Un seul fil rouge pour ne pas se perdre ou s’égarer, pour apercevoir la lune noire du blues regardez d’abord le doigt entubé qui la désigne.

 

LA NUIT DU FAUCON

 

Suivre Robert Nighthawk accompagné de son cousin Houston Stackhouse qui navigue dans le delta. Il rencontre du beau monde Jimmie Rodgers, Charley Patton, Robert Johnson, Sonny Boy Williamson et même Muddy Waters qui plus tard le reconnaîtra comme un de ses pères spirituels, dixit Jean-Luc Tudou. Un personnage essentiel qui sessionna au côté d’un vétéran comme Sleepy John Estes et fit dresser l’oreille de Mike Bloomfield. Toute la trajectoire du blues, incarnée en une seule existence. Né en 1909, mort en 196?, il reste par bien des aspects un virtuose du slide lumineux, pas très éloigné de la lucidité apollinienne de Tampa Red.

 

ELMORE JAMES

 

Dionysiaque. Son Dust My Broom emprunté à Robert Jonhson qu’il côtoya reste une des plus grandes flambées de guitare jamais enregistrées. Hendrix a pu jouer des milliers de notes plus rapidement que lui mais sur aucun de ses chef d’œuvre il n’égalera la force primitive d’Elmore James, sans parler de cette voix grondante, impétueuse comme un torrent de montagne qui se précipite sur vous. Je considère comme une chance inconsidérée d’avoir acheté très jeune, par instinct, sans savoir qui c’était, ce disque. Torride initiation au blues. Elmore est mort comme il a vécu. Trop vite à quarante cinq ans. Elmore James, c’est la dernière station avant la rock city. Route directe. En pente. Sans freins. Jean-Luc Tudou raconte que Brian Jones se faisait prénommer Elmo. Dis-moi le nom de ton dieu et je te dirai ce que tu créeras.

 

MUDDY WATERS

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On ne le présente pas. C’est Son House qui mettra Lomax ( voir KR’TNT 119 du 22 : 11 : 12) sur la piste du jeune Morganfield. Muddy Waters sera celui qui métamorphosera le vieux blues du Delta en Chicago Blues. La rudesse initiale teintée d’une plus grande violence, mais encore retenue. N’est pas tout seul pour cette transformation alchimiste, bénéficiera ( mais est-ce le mot juste ) du label Aristocrat devenu Chess et d’une pléthore de musiciens qui tels Little Walter et Jimmy Rogers n’attendaient que la venue d’un patron qui imprimerait une direction, de celles dont l’évidence s’impose à tous, après coup. Muddy Waters, c’est les Rolling Stones avec quinze ans d’avance… Ne vous affolez pas, à l’époque il était impensable qu’un simple noir puisse devenir une star mondiale. Se contentera de définir les tables de la loi, dont jamais personne n’osera faire tabula rasa.

 

LE CHAÎNON MANQUANT

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L’arlésienne du blues, mais contrairement à l’héroïne de Daudet on ne voit que lui. Mais quand on s’aperçoit de sa présence, manque de chance, il vient de mourir. Assassiné. A deux pas de la route de la gloire. C’est du moins ce que l’on espère pour lui. Rien ne dit qu’il ne serait pas revenu à un anonymat des plus collectifs puisque partagés par tant d’autres. Au pire, une redécouverte par l’American Folk Blues Festival - un peu comme si vous gagniez le jackpot du loto à quatre-vingt six ans, ça fait toujours plaisir mais ça arrive un peu tard - au mieux une carrière à la Muddy Waters, la sensation d’avoir ramassé tout le coton dont des petits malins vont retirer les bénéfices de la vente.

 

Son destin - l’avait le visage d’un mari jaloux - en a décidé autrement, le seul à prendre la bonne route, celle du diable revendiquée. La mort c’est toujours plus romantique. Un peu embêtant aussi puisque vous ne pouvez pas faire demi-tour. Mais pas de regrets à avoir. En moins de quarante morceaux Robert Johnson a montré et démontré tout ce que l’on peut faire à la guitare. Un slide que l’on peut qualifier de diabolique.

 

N’a pas laissé des admirateurs derrière lui, mais des orphelins. Stupéfaction ! Avoir ignoré un si grand artiste ! L’avoir laissé croupir dans sa misère ! Pour éteindre le sentiment de culpabilité, l’on s’est intéressé à tous ceux qui l’avaient connu de près ou de loin. A la recherche du témoignage clef qui expliquerait tout. Comme s’il y avait quelque chose à déchiffrer ! Penché aussi sur les musiciens qui l’ont écouté et jammé avec lui, comme si par miracle ils nous auraient restitué en leurs parcours la future évolution avortée du maître fauché à vingt-sept ans.

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Jean-Luc Tudou s’attarde sur Robert Jr Lockwood, le neveu de Robert Johnson, qui accompagnera Muddy Waters, et qui deviendra une référence pour B.B. King et Elmore James. Puis Johnny Shines qui durant deux années fera route avec Robert Jonhson. Puis David Honeyboy Edwards présent sur les lieux du drame final qui accompagna aussi Charley Patton, Son House, Sonny Boy Williamson…

 

Il n’y a pas que Robert Johnson dans le blues. Elmore James eut aussi ses héritiers. William Henderson cousin de Sony Boy Williamson qui fut musicien d’Elmore et beaucoup plus connu, Hound Dog Taylor, qui sut se faire reconnaître par le public rock grâce à son slide virulent.

 

I HÂVE THE BLUES

 

Jean-Luc Tudou suit les carrières beaucoup moins connues de Earl Hooker, De Joseph Benjamin Hutto et de John Littlejohn. Des pages qui restituent tout un pan de l’histoire du blues laissé trop souvent dans l’ombre. Car déjà la lune du blues change de quartier et c’est son halo blanc qui commence à briller de mille feux. Ironie du destin, c’est un fils d’une honorable famille blanche qui va tout jeune se laisser dévoyer par les démons du blues. Mike Bloomfield adoubé à dix-sept ans par Muddy Waters. Caution morale exemplaire. Rappelons-le c’est Bloomfield qui tient la guitare lorsque Bob Dylan électrifie son folk à New Port en 1965, une date qui marque un tournant dans la longue saga du rock and roll. Mais peut-être l’écart était-il trop grand entre la ruralité de Sleepy John Estes et le foisonnement pré-Hendrixien, Bloomfield miné par un usage immodéré de la drogue perdra peu à peu cette flamboyance intérieure qui en fit l’enfant génial du blues. Meurt laminé à trente sept ans.

 

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John Paul Hammond Junior suivra un chemin similaire à celui de son père John Hammond Senior qui fut le premier blanc à s’intéresser à Robert Johnson. Mais il arriva trop tard, après la bataille. Le fils se revendiquera toujours de cet étrange héritage en quelque sorte mort né et si le nom de Robert Johnson ne quitte plus les feux de la rampe depuis un demi-siècle il peut se vanter d’être un peu à l’origine de la perpétuation du mythe. Se mettra à la guitare mais à notre goût il est davantage un homme qui a plus fait pour le blues par son engagement que par sa musique. De grosses pointures comme Duane Allman, Jimi Hendrix et Eric Clapton croiseront sa route, mais il est davantage un catalyseur qu’un créateur.

 

Faudrait encore parler de Paul Butterfield l’harmoniciste et de Johnny Winter ce dernier, décédé à peine même pas un mois et demi, ce 15 juillet 2014 et à qui Michel Casoni, consacre une très belle nécrologie dans le Rock & Folk de septembre, une pierre tombale qui s’inscrit dans la lignée de ces stèles hommagiales à tous les grands du blues que mois après mois, depuis deux ans, Casoni s’emploie à ériger, afin de construire pierre après pierre une nouvelle histoire du blues.

 

ET APRES ?

 

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Reste encore des grands noms comme Canned Heat avec Alan Wilson et Creedence Clearwater Revival avec John Fogerty, mais l’âge d’or jette ses dernières pépites. Chicago n’est plus la reine de la musique. Pas un orchestre de rock qui ne présente pas son morceau attitré à la guitare-slide. Un must transformé en gimmick. Dans leur grande masse les jeunes blancs d’aujourd’hui font comme les jeunes noirs du demi-siècle précédent, s’éloignent à leur tour du blues. Les conditions de vie ont changé. Le prolétariat est convaincu de ne plus exister. L’économie libérale l‘amuse et l’occupe avec cette misère intermittente qui se développe à de nombreux étages de notre société. Le blues a perdu sa charge émotionnelle et le rock son esprit de révolte… Musiques de niche où l’on se couche sans penser à montrer les dents et à mordre….

 

Par bonheur il existe encore des Jean-Luc Tudou pour ranimer les flammes. Tous les amateurs de blues et de guitare ont intérêt à se jeter sur ce livre qui regorge d’informations et qui dénote des connaissances encyclopédiques mais surtout une inaliénable ferveur envers la musique du diable et ses mélopées slidées. A lire absobluesment.

 

Damie Chad.

 

PS : lire aussi in KR’TNT ! 198 du 28 / 09 / 14, le bel article de notre Cat Zengler sur Johnny Winter.

 



 



 

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