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30/01/2014

KR'TNT ! ¤ 174. PHILIP CHEVRON + RADIATORS / RINGTONES / HOT CHICKENS / PATHFINDERS

 

KR'TNT ! ¤ 174

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

30 / 01 / 2014

 

 

PHILIP CHEVRON ( + RADIATORS ) / RINGTONES

HOT CHICKENS / PATHFINDERS

 

 

PHILIP CHEVRON + RADIATORS

 

OEUVONS POUR CHEVRON

 

 

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En 1977, il était de bon ton de cracher sur les Radiators From Space. Trop pop. De toute façon, on crachait sur tout. Sur le boulot, sur les collègues de boulot, sur les parents, sur les politicards, sur tout ce qui portait un uniforme, sur les sportifs, mais pas sur l’argent ni les filles. On crachait volontiers sur les gros barbus du pub-rock qui buvaient de la bière et qui sentaient le tabac. On crachait sur les groupes embourgeoisés comme le Pink Floyd et tous les premiers de la classe du rock anglais. On ne jurait alors que par les Damned et les Ramones, les Pistols et les Hammersmith Gorillas, les Groovies et les New York Dolls.

 

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Pourtant, les fringants Radiators (Irlandais originaires de Dublin) étaient sur Chiswick, l’un des labels indépendants qui collaient bien à l’air du temps, puisqu’il sortait les singles des 101’ers, des Rings, des Gorillas, des Radio Stars et de Johnny Moped. On ramassait tout ce qui sortait, comme dix ans auparavant, quand tous ces EPs miraculeux des Kinks, des Pretty Things, des Who, des Small Faces, des Yardbirds et des Troggs pleuvaient du ciel. Ceux qu’on ne pouvait pas acheter, on les volait, bien sûr. Rien de plus facile à embarquer qu’une petite pincée de quarante-cinq tours.

 

Philip Chevron vient de disparaître, et comme la presse rock est restée assez avare de commentaires, je me suis dit qu’il fallait essayer de faire quelque chose pour réparer cette nouvelle injustice (curieusement, dans son numéro de décembre, R&F lui consacre sa rubrique Érudit Rock, balançant en pleine page un photo de scène spectaculaire le montrant en pantalon de cuir noir et plié sur sa guitare. Et le texte d’une demi-page tient bien la route. Alors là bravo !)

 

Cracher sur les Radiators, c’était un jeu. Ça n’empêchait pas d’écouter leurs disques.

 

Chevron et ses collègues participaient au festin punk du bout des lèvres. Le chaos n’était pas leur truc. Ils préféraient mille fois travailler les harmonies vocales et proposer de vraies chansons. C’est la raison pour laquelle Ted Carroll les admirait.

 

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Leur premier album s’appelle «TV Tube Heart». Ils sont cinq sur la pochette mais le groupe est vite redevenu un quatuor rassemblé autour de Phil Chevron et du guitariste Pete Holidai. Avec ce premier album, les Radiators défendaient l’idée d’un rock anglais classique basé sur de vraies chansons, comme le faisaient les Only Ones, amalgamés bien malgré eux au mouvement punk. «Television Screen», qui fut aussi leur premier single, est une pièce de pop punk flamboyante jouée en accords rock’n’roll qui révèle mieux qu’aucun autre titre leur goût prononcé pour le classicisme. C’est un titre emballant monté sur une ligne de basse de rêve, digne des gros hits des Vibrators et des Boys, grosses pointures de la première vague punk. Quand on réécoute «Television Screen» aujourd’hui, on s’aperçoit que ça n’a pas pris une seule ride. En 1977, les Radiators faisaient déjà preuve d’une alarmante maturité.

 

«Press Gang» est un peu plus punk dans l’esprit - «Talkin’ ‘bout my generation» - mais dans l’esprit punko-funkoïde qu’imposa ce brillant précurseur que fut Richard Hell. Voilà un morceau doté du décousu hirsute provocateur et des petites poussées de fièvre typiques du mentor de la Blank Generation. Il fallait oser. La face B de ce premier album est encore plus consistante. «Electric Shares» est un petit stomp auquel on adhère automatiquement, très adroit et inspiré, mais des petits ponts maladroits lui brisent les reins. Dommage. Ces roulements de tambour lui font le plus grand tort. «Ennemies» sonne comme un hit des Buzzcocks. Ils chantent «Ripped And Torn» à la manière des Groovies. Ce petit beat trépigné fait dresser l’oreille. Phil Chevron se prend pour Roy Loney et c’est très bien. Il est l’un des shouters les plus prometteurs du cheptel bêlant de 1977. Rien que pour ce morceau, on l’admire infiniment. On assiste aussi à une belle prestation du drummer Jimmy Crash et du coup, les Radiators entrent dans la cour des grands. Nouvelle surprise de taille avec «No Too Late» qui sonne comme un hit garage des Kinks repris par des proto-punks de série B. Ils jouent le vrai riff garage et Phil Chevron chante comme un voleur de mobylettes. Alors, que demande le peuple ? Ce titre est imparable. Ils versent là-dessus un solo liquide du meilleur esprit. Phil Chevron chante comme Lennon dans «Cold Turkey», en armant ces hurlements de fond de glotte qui ne sortent pas.

 

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Leur second album s’appelait «Ghostown» et sur la pochette on voyait l’ombre de Nosferatu hanter un mur. Ils vont profiter de ce nouvel album pour abattre leur jeu et grimper dans les harmonies vocales, aidés par Tony Visconti, arrangeur et producteur de renom. «Million Dollar Hero» est de la petite pop à l’Anglaise, mais ils l’enrichissent avec ces harmonies vocales dont les Anglais ont le secret. On se régale. «Johnny Jukebox» est beaucoup plus musclé. On sent la présence d’une force exécutive, c’est shooté au chant et même bien shooté. Ils nous servent là une pièce de mambo swing de bonne facture, pleine de wap-doo-wap et sacrément bien allumée au chant. On comprend que Ted Carroll soit devenu un inconditionnel des Radiateurs. On revient à la pop psyché arrangée jusqu’au délire avec «They’re Looking In The Town». Ces mecs sont gonflés. On les sent en bonne santé et ambitieux. C’est presque américain, dans l’esprit du Brill Building, tapé dans le fond et violonné à outrance. Impressionnant. On continue dans la pop riche en calories avec «Who Are The Strangers». C’est une fois de plus bourré d’harmonies vocales et doté d’un refrain ouvragé. Cette pop un peu infantile et si exigeante clame son indépendance. Les Radiators ont un aplomb terrible. Il fallait oser, en 1977. Phil Chevron chante «Kitty Ricketts» à la manière de Steve Marriott, avec un fort accent cockney. L’autre belle surprise de cet album est un morceau qui s’appelle «Song For The Faithfull Departed» qui s’annonce comme un petit rock bas sur pattes et puis à un moment, ça se déchire comme un ciel de nuages et une vraie mélodie chant éclate. Ils nous refont le même coup avec «Walking Home Alone Again», monté sur un riff punk et ça vire poppy, mais bien foutu et c’est même fantastique de vitalité chorale. Mary Hopkin chante dans des chœurs répartis en deux parties concomitantes, une courbe tasse les basses et l’autre prend la tangente, le tout serti d’un killer solo royal. Grâce à ces quelques morceaux exceptionnels, les Radiators sont entrés au panthéon.

 

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Mais si on veut se faire une idée claire de leur classe insolente, il faut écouter leur album live, «Alive Alive O !» enregistré en 1978 à Londres. Tous les morceaux qu’on appréciait sur leurs deux albums studio sont comme sublimés par le son live. «Electric Shares» saute à la figure, il faut voir comme c’est joué et comment c’est envoyé. Grâce à leur solidité et à leur culot, ils gagnent la confiance du public. «Prison Bars» tient sacrément bien la route sur scène. Très anglais dans l’essence. Les harmonies vocales explosent dans la version live de «Million Dollar Hero». Ils sont stupéfiants d’intégrité cavalante. Solo glorieux. Ils ne sont que quatre, alors ça nous épate, car il faut entendre cette densité du son. Les Radiators auraient dû exploser en Angleterre. Nouveau régal garanti avec la version live de «Television Screen» et sa ligne de basse swinguée à mort. On croirait entendre un classique de Chuck Berry, tellement c’est bien foutu et bien joué. Encore plus fantastique, la version live de «Walking Home Alone Again», avec sa fin de refrain perchée sur des harmonies vocales sidérantes. Ces mecs n’ont pas fini de nous émerveiller, avec cette montée décadente de type music-hall chantée avec tout le chien de leur chienne. Ils nous servent ensuite sur un plateau d’argent une reprise du fameux «Psychotic Reaction» des Count Five. Phil Chevron sait parfaitement inoculer les microbes malsains de la teigne garage. Ils terminent leur set avec une reprise de Frankie Lemon, «Teenage In Love», une reprise de rêve qui en a fait tomber plus d’un de sa chaise. C’est du niveau de ce que Joey Ramone fit avec le «What A Wonderful World» de Louis Armstrong.

 

L’une des grandes forces des Radiators fut un goût sûr pour les reprises. On en trouve une série en bonus dans la réédition de l’album live. Et notamment une reprise de «Teenage Head» qui tient du génie et qui fait oublier la misérable tentative des Barracudas à Honfleur il y a quelques mois. Tout y est : l’éclat des claques, les lignes de basse et le chant racaille de Roy Loney. Phil Chevron a ce talent. Ils reprennent aussi le «Shake Some Action» des Groovies période Chris Wilson. Ils en font une version solide, mais pas aussi géniale que celle de «Teenage Head». Et comme si ça ne suffisait pas, ils balancent une stoogerie chauffée à blanc : reprise de «1970», hurlée comme il faut, histoire de bien montrer la vraie nature de leurs racines. C’est dire si ces mecs sont fiables.

 

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Après ça, les Radiators ont disparu. Phil Chevron est allé jouer dans les Pogues dont il s’est fait virer pour cause d’alcoolémie invétérée. Les Radiators ne se reformeront qu’en 2005 pour enregistrer un nouvel album, «Trouble Pilgrim»

 

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Il se trouve que cet album fait partie des très grands albums de rock anglais. Phil Chevron et Pete Holidai ont chacun leurs chansons, Chevron dans un style toujours très ambitieux mélodiquement, Holidai dans une forme plus classique de belle power-pop immaculée. C’est Phil Chevron qui ouvre le feu avec une pop bien tendue, sacrément jouée, et des textes captivants, quasiment littéraires - «Another day on Earth and it looks like trouble, pilgrim» (encore un jour sur terre et ça ressemble à des ennuis, pèlerin) - un morceau qui nous ferre comme l’hameçon ferre ce gros con de thon, et c’est foutu. Il attaque ensuite «The Concierge» à la manière de «Gloria», mêmes accords garage, même puissance irlandaise, même touille et des ponts superbes par derrière. Pete Holidai attaque sa série de morceaux avec «Second Avenue» qui est du pur jus de rock anglais bien épaulé, plein de la science du son d’un mec fidèle à son éthos depuis trente ans. Phil rend ensuite un vibrant hommage à Joe Strummer - «I said that’s when I remember/ the summer I spent with Joe Strummer/ When we watched the World Cup together/ me and Joe and D.J. Scratchy», qu’on écoute même si n’aime pas beaucoup Joe Strummer parce que la chanson est admirable, riche en climats et en paysages sonores. Franchement, Phil Chevron est l’un des grands songwriters de son temps. Ses chansons piquent vraiment la curiosité. On ne s’ennuie pas une seule seconde en sa présence. Et après deux autres pop-songs de Pete, on tombe sur ce qu’il faut bien appeler un effarant chef-d’œuvre ambulatoire : «The Dark At The Top Of The Stairs». C’est une sorte d’oraison funèbre d’une classe folle - «I feel like an intruder, but will you tell me, Mister/ What’s it like at the precipice ?/ Was it like the dark at the top of the stairs ?» (Je me sens comme un intrus, mais vous me direz, monsieur, comment c’est au bord du précipice ? Ça ressemble à la pénombre en haut de l’escalier ?) Phil Chevron préfigure son voyage vers l’au-delà, mais il transcende cette fascination morbide pour la mort d’une façon qui pourrait renvoyer à un Edgar Poe serein. C’est à la fois humble et merveilleusement beau - «Oh Lord, your ocean is so big/ And my boat is so small/ I can fly if you want me to/ or you’ll catch me if I fall» - c’est vrai que quand on meurt, l’océan nous paraît immense, vu de notre petite barque, mais Phil a la délicatesse de demander à Dieu de le rattraper s’il tombe en essayant de voler. De toute façon, on sera tous amenés à voir ça de plus près. Autant se préparer gentiment à cette idée en compagnie d’un type aussi charmant et raffiné que Phil Chevron. Mais après ça, il y a encore une merveille démente qui s’appelle «Hinterland», et là, on est obligé de crier au génie. Phil Chevron nous claque le refrain à l’arpège de douze cordes. Ces mecs sont des démons - «Out here in the hinterland/ We live like kings/ Feasting on the plenty/ which every harvest brings/ Don’t say our riches lie beneath the sands/ of godforsaken holy lands/ where Faith is just mistaken self-belief» (On vit comme des rois dans le demi-monde, on se gave de ce que rapportent les moissons, ne dites pas que nos richesses sont sous le sable des terres maudites où la foi est une fausse croyance) - C’est une fantastique observation d’un monde moderne inféodé au pétrole et Phil Chevron a l’immense talent de chanter ça comme s’il était le roi d’une cour des miracles et chaque fois que revient le refrain, c’est une marée qui nous emporte au firmament. Rien que pour cette chanson absolument sublime, Phil Chevron aurait dû trôner en couverture de tous les magazines de rock.

 

Précision importante : sur la dernière page du booklet, on tombe sur une photo de Joe Meek. Clin d’œil sidéral.

 

Il faut le redire : Phil Chevron avait du génie et certains morceaux sont là pour en témoigner. On retrouve ce génie composital chez des gens comme Greg Dulli (dans les Twilight Singers et les Gutter Twins avec Mark Lanegan), chez Gedge de Wedding Present, chez Murray Lightburn des Dears de Montreal ou encore chez Chuck Prophet. Tous ces gens enregistrent des albums bourrés de chansons qui donnent la chair de poule.

 

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Les Radiators refirent la une de l’actualité l’an passé avec un fantastique album de reprises, «Sound City Beat». Ne vous attendez pas à un exercice de style du genre «Pin Ups». Phil Chevron et ses amis ont eu l’idée de reprendre uniquement des chansons de groupes irlandais pas très connus et ils ont réussi à en trouver dix-huit. Là-dedans, vous allez trouver de sacrées merveilles, on peut faire confiance à Phil pour ça. Au moins, son testament musical a fière allure. Ce mec qui a défendu toute sa vie l’idée d’un rock classique à l’anglaise achève sa carrière en proposant un cocktail aussi explosif qu’enivrant d’hymnes Mod et de pépites psyché pour la plupart inconnues au bataillon. Ce souci de cohérence vaut tout l’or du monde. Phil Chevron n’aura pas connu la gloire, mais il aura mené sa barque de rocker irlandais d’une façon absolument irréprochable. Il trône désormais au panthéon des purs et durs, en compagnie de Nikki Sudden, de Syd Barrett, de Jackie Lomax et de quelques autres.

 

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Ils démarrent ce festin des rois avec «Head For The Sun», reprise d’un groupe irlandais inconnu nommé The Movement et qui a pour particularité d’être une belle pièce de pop joyeuse bardée d’harmonies vocales dignes des Beach Boys. Phil Chevron revient ensuite nous montrer qu’il sait très bien faire le méchant en chantant du gras de la glotte «I’m A King Bee», ce vieux classique de Slim Harpo jadis popularisé par les Stones. Sa méchanceté est particulièrement inspirée, pas loin de ce que savait faire Roy Loney. Ils reprennent aussi un morceau des Eire Apparent, ce groupe de la fin des sixties qui faillit décrocher la lune, car Jimi Hendrix veillait sur son berceau. «Yes I Need Someone» est une valeureuse pièce de psychout freakbeat et pour bien faire les choses, Phil a invité Henry McCullough (Grease Band, Mad Dogs, etc.) à venir jouer ce morceau qu’il connaissait bien, puisqu’il fit partie du groupe jusqu’au bust de Vancouver qui lui coûta sa place de guitariste dans le groupe. S’ensuit une merveille psyché empruntée à Andwella, un groupe qui connaît aujourd’hui son heure de gloire dans le milieu hermétique des Adorateurs du Gatefold Seventies. Cette pop lumineuse assez haut de gamme va bien sûr comme un gant aux vieux Radiators qui ont passé leur vie à défendre un idéal de beauté psyché. Ils finissent par lâcher une vraie bombe avec une reprise des Who irlandais qui s’appelaient The Next In Line. On se retrouve avec un hymne Mod absolument spectaculaire bardé de relances au chant dignes de John Lydon, de chœurs menaçants et de montées de sève belliqueuses. Phil raconte que The Next In Line jouaient en première partie des Who à Dublin et qu’ils étaient bien meilleurs que Daltrey et son équipe. Les Radiators nous servent cette bombe sur un plateau d’argent, comme on s’en doute. Et c’est là que se justifie l’achat de cet album.

 

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Voilà un groupe qui déterre des trésors, alors que demander de plus au père Noël ? Ils ne peuvent pas faire l’impasse sur les Them, alors ils tapent directement dans «Gloria» et une fois de plus, Phil s’en tire avec les honneurs. Il sait faire le raunchy, ça ne lui pose aucun problème. Phil ne craint pas la mort. Il peut taper là-dedans, il a les épaules. C’est un beat scorcher de premier niveau. Il connaît bien la crasse du garage, celle qui ne se lave pas. «Turn Of The Light» est une belle pièce de pop lumineuse des Creatures, parfaitement inconnus au bataillon. Les Radiators en font une version fantastique et vibrante qui ravira tous les amateurs de pop inspirée. Ils tapent ensuite dans le fameux «Morning Dew» popularisé par le Jeff Beck Group mais qui fut aussi joué par un groupe irlandais que personne ne connaît, Sugar Shack. Encore du rock psyché interprété dans les règles de l’art et on revient à la légende avec «That’s Alright», un hymne Mod traité garage et que chantait un certain Ron Ryan. Phil établit une connexion avec le Dave Clark Five et le Riot Squad qui fut un temps le backing-band de David Bowie. Phil Chevron ne peut pas s’empêcher de touiller les braises. Le parcours musical est déjà dense, il distille en plus de la petite information qui titille les zones érogènes du cerveau. En lisant le long texte qui accompagne le disque, on découvre que Phil Chevron est en prime une sorte d’érudit rock underground. «Never An Everyday Thing» est une pop psyché absolument fantastique enregistrée par un groupe nommé Grannys Intentions. La chose est bardée d’harmonies vocales capables de faire pâlir les surdoués de Badfinger.

 

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Ce disque vous laissera ahanant sur le rivage. Il vous faudra des jours et des jours pour remettre vos sens d’équerre. Mais c’est surtout l’attitude de Phil qui épate la galerie, car ce pauvre petit mec dévoré par un cancer était à l’article de la mort, et comme Wilco Johnson aujourd’hui, il a décidé de foncer et d’enregistrer un dernier disque. Et croyez-moi, «Sound City Beat» a déjà sa place dans la caisse des disques qu’on emportera sur l’île déserte.

 

 

Signé : Cazengler, chevronné et fier de l’être

 

Radiators From Space. TV Tube Heart. Chiswick Records 1977

 

Radiators From Space. Ghostown. Chiswick Records 1978

 

Radiators From Space. Alive-Alive-O!. Chiswick Records 1996

 

Radiators From Space. Trouble Pilgrim. Chiswick Records 2005

 

Radiators From Space. Sound City Beat. Ace Records 2012

 

 

24 – 01 – 14 / BOURRON MARLOTTE

 

LE MARTINGO

 

THE RINGTONES

 

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Un peu dépités par la brièveté de la prestation surprise des Ringtones, à Rockers Kulture, la semaine dernière. Tony Marlow nous a repris en affirmant qu'ils avaient eu le temps de faire deux titres et non un seul comme nous l'annoncions dans notre krocknic, nous voulons bien le croire, mais alors si courts que l'on n'a pas entendu le train passer. En tout cas, ce qui n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd c'est l'invitation de Philippe Fessard à leur concert du lendemain à Bourron Marlotte. Vingt heures tapantes nous passons la porte de Martingo, Go ! Go ! Cats !

 

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Le Martingo n'est pas un club de rock, plutôt un restau chic à clientèle locale mais aisée car nous sommes près de Fontainebleau, toutefois de temps en temps ils laissent des musiciens profiter de la pièce du bar. Sympathique, mais c'est un peu la coexistence pacifique de deux mondes qui s'ignorent. Ceux qui mangent et ceux qui boivent. C'est lorsqu'ils repartent et qu'ils doivent passer entre le groupe et les aficionados appuyés contre le comptoir que la différence de classe se traduit, les beaux messieurs passent l'air le plus dégagé possible et les belles dames ondulent un peu du popotin pour montrer qu'elles sont encore dans le coup. Personne ne s'arrête ne serait-ce que deux minutes pour goûter la musique des saltimbanques.

 

 

Lorsque nous arrivons, le bar prépare le café pour la table des musiciens qui nous font signe de la main, en les attendant nous inspectons les instruments, surtout la steel guitare orange rutilant posée sur une desserte. Un grand mec à l'inimitable accent anglais essaie de draguer deux minettes qui viennent d'entrer, c'est Tom le chanteur des Ringstones. Et voici, ô surprise, Dan qui surgit derrière nous. Il est accompagné d'Andras et de Phil Baston, des anciens des Burnin' Dust l'ancien groupe de Dan. Phil Fessard – c'est lui qui accompagnait Ervin Travis, ( voir KR'TNT 158 du 10 / 10 / 13 ) en ce même café au mois d'octobre dernier – branche sa guitare.

 

 

PREMIER SET

 

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Nous ne prenons pas le train en marche, ce soir c'est la première gig des Ringtones, la trop brève participation à Rockers Kulture de la semaine précédente ne pouvant être comptabilisée comme un spectacle à part entière. Moment important pour un groupe, où l'on serre les derniers boulons devant un public averti. Je remarque que dans l'assistance l'on reprend les paroles en même temps que Tom, surtout un gars à lunettes à côté de moi, qui a tout l'air de piaffer d'impatience comme un cheval impatient de participer au derby d'Epsom. Un deuxième anglais, évidemment, but wait and see.

 

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Avec Phil Baston à la batterie et Andras à la contrebasse, les Ringtones bénéficient d'un moteur rythmique d'une fiabilité exceptionnelle. Phil bastonne dur, mais avec une aisance si extraordinaire qu'il semble frapper en dilettante qui s'amuse à rendre service à des copains sans prendre son rôle au sérieux, mais quelle oreille et quel sens du rythme et de la musique. Toujours juste, jamais en avance, jamais en retard, une véritable montre suisse, un chrono de précision atomique, et ces manières de trouver le chemin le plus court vers le tambour adéquat. Doit avoir un ordinateur surpuissant dans la tête, avec lui tout paraît facile. Un jeu d'enfant à la portée de tous. J'adore ces moulinets pour aller frapper la cymbale, un geste de robot intelligent sur une chaîne de montage parfaitement mis au point par un bureau d'études de trente ingénieurs, mais lui, il est tout seul à la manoeuvre et n'a besoin d'aucun aréopage de spécialistes. Avec ses baguettes pointillés de rouge, il a l'air d'un maître d'art martial qui porte le coup qui tue pratiquement sans bouger avec cette feinte placidité des félins qui s'apprêtent à bondir sur leur proie insouciante.

 

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Andras est plus loin, solitaire, à peine à l'écart du groupe. Tourné vers sa contrebasse blanche. Le monde n'existe plus pour lui. Ni le public, ni ses collègues de travail. Mais ce n'est qu'une illusion. Se suffit à lui-même mais sert du velouté harmonique à ses copains. Encore un des ces maîtres asiatiques qui les yeux bandés vous décochent des volées de flèches meurtrières, les unes à la suite des autres, dans le coeur de la cible. Mais c'est nous qu'il touche. Au début quand il a rejoint sa machine silencieuse, l'a eu une manière de lui tirer sur une corde de son seul petit doigt qui ne trompe pas. Ne l'a pas sortie du sommeil pour qu'elle broute les herbes du chemin. Maintenant elle avance comme un bulldozzer, faisant table rase de tout ce qui passe à sa portée. C'est qu'il a intérêt à ne pas faire de sentiment, Phil le Bastonneur ne laisse aucun interstice par où le jeu de la contreb pourrait s'immiscer, aussi Andras dépiaute-t-il sévère. Aucun des deux ne s'ôte de là, mais tous deux s'y mettent, sans préavis.

 

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C'est sur ce tapis de bombes que Tom a à déposer sa voix. Possède un beau timbre, oblitéré d'un lointain écho pop-country. Se débrouille bien, mais il a encore à poser ses griffures sur le rugueux tronc de la rythmique. Doit encocher plus sec ses attaques. Le rockabilly, une fois que c'est parti, c'est fini. Faut qu'il gagne cette fraction de seconde d'avance sur les deux mousquetaires qui ne rentrent jamais l'épée du rythme au fourreau. Doit respirer plus fort sans prendre le temps de souffler. Tout départ de lyric comme un hoquet de rockab sur la glace glissante du tempo pour prendre le raccourci d'un quart de temps et se projeter en tête de la course. Par contre il est très bon sur l'autre côté de la montagne, celle aux pentes ensoleillées et moins abrupte, quand la voix se fait indolente et chargée d'ironie. Mordre et sourire, sourire et mordre, les deux faces du chant rockabilly. Les deux seules alternances possibles. Son inimitable accent briton dès qu'il essaie deux mots de français entre deux morceaux lui donne une classe indéniable. Maltraite si bien la syntaxe françoise, qu'elle en ressort renouvelée, surprenante. Un charme inimitable qu'aucun froggie ne parviendra jamais à acquérir. Vous me direz que nous sommes en ces moments-là hors-champ du chant, certes mais un concert doit couler sans interruption et lorsque la musique s'arrête, il est bon que le flot ne soit point stoppé, et c'est au lead-singer de maintenir la cohésion du set par la modulation cohésive de sa parole.

 

 

Tom has a nice voice, with a remote touch of a pop-country tone in it. He does it all quite well, but he still has to impose his style when the rhythm is rough. He gotta make his attacks sharper: once you've started it in rockabilly, it's over. He gotta get that fraction of a second that makes all the difference. He gotta breathe deeper without taking the time to breathe out.

 

On the other hand, he's very good on the other side of the mountain, the sun-bathed and gentle side of the mountain: when his voice becomes indolent, loaded with irony. To bite and to smile. Bite and smile. They're the two faces of rockab singing. The two options possible. His inimitable British accent, when he tries to force out two words of French, gives him indisputable class. He mistreats French syntax so well that it turns out something completely revisited and surprising. A charm no froggie can ever acquire. I can hear you say like "hey you're not talking 'bout any singing here". Well ok. But the flow of a concert must never stop, and when the music goes to a short halt, it is the lead-singer who has to keep the spirit of the set coherent, using what but his voice. 

 

 

Que des classiques du rockab dans ce premier set. Le groupe révise les maîtres. La création viendra plus tard. Pour le moment il se focalise sur l'impact scénique.

 

 

DEUXIEME SET

 

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Tom a préparé le piège. N'a pas fini le premier morceau qu'il tend le micro à Dan. Il est des invitations qui ne se refusent pas. Surtout quand le public n'espérait que cela. Vingt ans sur la route, toutes les semaines sur scène, Dan admet qu'il a fini par ressentir une certaine latitude, mais décroche-t-on un jour du plaisir de chanter et d'envoyer quelques chansonnettes dans les amplis ? Just for fun. A part que Dan, les chansonnettes il ne sait pas ce que c'est et lorsque sa voix résonne dans la pièce, l'on entre dans une autre dimension. L'on redécouvre l'Amérique celle de Charlie Feather et de Gene Vincent. N'en cherchez pas une autre, c'est la meilleure qui existe. Dan nous en sort six ou sept morceaux. A la suite, un vocal puissant. L'a du coffre ( au trésor ) Mister Dashin' Dan. N'a pas volé son surnom. Démarre la thunderbird rose au quart de tour et vous recevez les graviers en pleine figure. Et vous en redemandez.

 

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N'ai pas encore parlé de Philippe Fessard. Ce n'est pas qu'il a passé son temps à se rouler les pouces, n'a pas laissé chômer son médiator, mais dans ce deuxième round la set-list va devenir anecdotique. Chacun va taper dans ses morceaux préférés. C'est là que l'on va voir le guitariste. Facile – enfin tout est relatif – d'aligner les notes d'un classique inscrit au répertoire, suffit de faire comme le chameau et de bosser à la baraque, mais lorsque l'on vous somme à brûle pourpoint de jouer un truc de derrière les fagots dont vous ne connaissez que le titre, faut s'aligner au plus vite sur le singer qui est déjà parti à fond les manettes, faut improviser une intro, construire un pont, inventer un solo, et clore les festivités en deux minutes trente sept secondes. De bonheur. En respectant l'esprit du créateur original. En plus l'on saute du coq country au léopard rockab sans coup de semonce. Phil va nous montrer de quoi il est capable. Ce n'est pas tout à fait un novice dans sa partie. Possède des bases solides. Mais plus que cela, l'on s'aperçoit qu'il a réfléchi et intégré le jeu des plus grands. Prenez-le au dépourvu et quinze secondes plus tard il a trouvé la parade et peaufiné l'arrangement. Joue autant avec son cerveau qu'avec ses doigts, et ce n'est pas donné à tout le monde.

 

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C'est qu'il va avoir de la corde à retordre, le Phil. C'est encore un sujet de sa gracieuse majesté. Durant tout le premier set, n'a pas arrêter de sautiller sur sa place. Tom l'a appelé par deux fois pour qu'il chante un couplet en alternance avec lui. Mais maintenant, c'est lui qui hérite du micro, et il va pouvoir nous montrer ce qu'il sait faire, derrière ses lunettes noires et son costume vert. L'on apprendra par la suite qu'il possède son propre groupe à Londres, The Wampas Cats, je n'ai pas pu voir sur le net car à chaque demande je tombe sur des reportages sur les wampas sauvages en liberté au coeur des Rocky Mountain. Pourrais passer une thèse de zoologie sur ce cousin du puma, mais pour le combo je dois me contenter du seul spécimen qui nous ait été loisir d'étudier au Martingo. S'appelle Mark et nous a subjugués. Du vif-argent, insaisissable, ne touche pas la terre avec ses pieds. Vole au-dessus. Et cette voix ! Infatigable ! Se joue de tout ! Pas tout à fait l'orthodoxie rockab, flirte un peu avec le néo et le psycho, mais quel plaisir à l'écouter. En plus, il a l'air d'avoir un sacré répertoire, l'a tapé, afin de rester dans l'univers des Ringtones, dans dans les valeurs sûres à la Johnny Horton – revisité de fond en comble – mais je le soupçonne d'avoir des pépites alléchantes bien plus modernes dans sa besace.

 

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Phil's another one of Her Gracious Majesty's subjects. He's been jumping around during all the time that lasted the first set. Tom called him on stage so that they could alternatively sing, one after the other. But now, the mike is his, and he'll have the opportunity to show us what he can do, hidden behind his dark glasses and green suit.

 

We're made aware during this second set that Phil's got his own band back in London: The Wampas Cats. I wasn't able to find any information on the web for each time I googled that name, I was given information about the wild wampas that live in the Rocky Mountains... I could now write my PhD about this puma-like animal. But as far as the band is concerned, I'll have to do with only that one specimen I'm given to study at the Martingo.

 

The name's Marc and he amazed us. Made out of quicksilver, he's elusive, his feet aren't on the ground. He flies over it. And his voice! Unstoppable! It deals with everything. Not what you would call the usual rockabilly singer. But definitely, what a pleasure to listen to that voice. Moreover, seems like his song catalogue is endless. He stays in the Ringstones' universe, and he adds things from Johnny Horton (but revisited Johnny Horton). I suspect he has a lot more enticing songs in his repertoire, maybe more modern stuff.

 

(Traduction : special thanks to Thomer  )

 

 

TROISIEME SET

 

 

Tom et Mark vont alterner les séquences. Tom a pris de l'assurance, devient plus incisif et derrière l'orchestre donne la gomme. Mark nous offrira un set dans le set de huit morceaux, avec notamment une reprise de Race with the Devil de Gene Vincent. Nous qui avions entendu la version d'Ervin Travis, avec Philippe Fessard qui imitait à la perfection le jeu de Cliff Gallup, nous sommes abasourdis par cette version si différente que Phil nous offre. L'a plus d'un jeu de cordes sur sa gratte ! Dans un dernier clin d'oeil il se sert de sa steel guitar rutilante sur un morceau bien enlevé sur lequel personnellement je n'aurais même pas pensé que quelqu'un puisse proposer un tel arrangement. Mais les notes tintanibulantes accentuent encore plus le côté speed du titre.

 

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Les derniers clients quittent le restaurant. Fin de la partie. Les conversations devant le café durent longtemps. Superbe soirée. Les Ringtones sont à l'orée d'une nouvelle odyssée. Nous veillerons à en suivre les rebondissements. Je termine sur cette petite fille qui s'ennuyait ferme à la table de ses parents, alors elle leur a tourné le dos et n'a plus enlevé ses mirettes de sur les musiciens. Extasiée. Ce soir le rock'n'roll a gagné une adepte de plus.

 

 

Damie Chad.

 

 

LAGNY-SUR-MARNE / 25-01-2014

 

 

LOCAL DES LONERS / HOT CHIKENS

 

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Je me dois de vous présenter mes excuses, chers lecteurs. C'est dur pour un rocker, mais je ferai mon acte de contrition jusqu'au bout. J'ai pêché par excès de confiance. Ce n'est pas vieux, pas plus tard que la semaine dernière. Dans mon compte rendu de Rockers Kulture. Une méga-faute. Un adjectif qualificatif employé hors de propos. Démentiel, ai-je noté pour clôturer d'un mot définitif la prestation de Jake Calypso. Lamentable erreur. Faut remettre les choses en perspective. Et à l'aune du concert des Hot Chikens à Lagny-sur-Marne, faut bien avouer qu'au New Morning, c'était juste un concert de charité pour les cacochymes pensionnaires d'une maison de retraite, juste de quoi amuser les petits vieux sans trop les exciter pour qu'ils n'en perdent pas leur dentier tout en prenant grand-soin de ne pas pousser les mémés dans les orties du rock'n'roll.

 

 

MAUVAIS DEBUT

 

 

Pourtant l'affaire se présentait mal. Pas les Loners à l'accueil toujours aussi sympathiques et chaleureux. Non, c'est quand on est rentrés dans la salle. Presque personne, normal c'était tôt. Non le problème c'était Hervé Loison. Tirait une drôle de trombine. Ne nous a adressé qu'un pâle sourire lorsque Mumu et Billy sont allés le saluer. Peu loquace, le gazier. A fini par nous révéler l'ampleur du désastre. Aphone, comme une carpe. Et le concert à donner d'ici une heure et demie. A sa place, vous vous seriez ouverts les veines.

 

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Pas lui. J'ai même observé un phénomène inquiétant. Au fur et à mesure que l'heure se rapprochait, il semblait de plus en plus heureux. Commençait à tenir de longues conversations avec les amis et les fans qui venaient le saluer, avec son filet de voix aussi épais qu'une aile de papillon. Pouvait aussi se sentir rassurer, à écouter parler, l'était entouré de médecins qui lui prescrivaient séance tenante le remède miracle salvateur : je cite en vrac, une écharpe autour du coup, un cataplasme, une bière au célestène, du miel, du rhum, un vin chaud, un rail de cocaïne, des piqures de cortisone, j'en passe et des meilleures. Mais comment vas-tu faire s'inquiétait-on ! D'un geste il désigna le bas de son abdomen et murmura qu'il irait chercher sa voix, là. Un chanteur ventrirock, comme les barytons d'opéra qui s'appuient sur la colonne d'air. Si vous préférez une métaphore davantage rock'n'roll, sur le serpent de la kundalini... Nous avons tous un cobra qui dort au fond de nous. Savoir le réveiller n'est pas donné à tout le monde.

 

 

Certains plus pragmatiques lui conseillaient de faire son tour de chant sans chanter, style Shadows sans Cliff Richard ( ce qui à mon avis est déjà mieux que Cliff Richard sans les Shadows, mais je m'égare ) d'autant plus que l'heure avait tourné et qu'il était temps de monter sur le podium. Mon éthique de pseudo-journaliste m'oblige à rapporter la scène honteuse qui suivit. Alors que les musiciens faisaient semblant de s'accorder, Mister Loison à genoux contre les amplis s'est livré à la préparation d'un maléfique breuvage : au moins trois gros cacheton d'aspirine écrasé dans un centimètre de whisky. Si ce n'est pas dommage de gâcher une telle médecine ancestrale ! Dénaturer ainsi l'ambroisie céleste des dieux pour en obtenir une pâte semi-liquide à l'aspect si peu engageant qu'il a avalée d'un coup ! S'est relevé, s'est dirigé vers le micro, et a commencé à chanter, aussi naturellement que s'il revenait du royaume des morts, recraché dans le monde des vivants par la gueule de l'enfer.

 

 

WHO'S WHO

 

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Vous ne confondrez pas les Hot Chikens avec Jake Calypso. Parce qu'à l'intérieur des deux groupes sévit le même énergumène, le dénommé Hervé Loison. Et comme il a tendance à se laisser aller à ses plus noirs instincts, l'on a parfois du mal à savoir si l'on est avec les Poulets Rôtis ou en train de planter son jack dans la divine Calypso. Pour vous aider à faire la différence, c'est facile, quand vous voyez une contrebasse c'est Jake Calypso, quand vous apercevez une basse c'est Hot Chikens. Ne me demandez pas pourquoi ce soir à côté des amplis repose une doublebass. Nous sommes pourtant bien en face des Hot Chickens.

 

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SUITE FLAMBOYANTE

 

 

Thierry se marre. De là où il est, derrière ses futs, il est aux premières loges pour le spectacle. Rien ne l'étonne, rien ne l'effraie. Le genre de mec, vous l'avertissez que la fin du monde surviendra dans dix minutes, ça le fout en joie. Lui en faudrait davantage pour le faire flipper. Prendrait ses baguettes et s'occuperait de peaufiner la bande-son de l'évènement. L'est habitué, tous les soirs, depuis des années, il marque le beat à côté d'un ouragan déchaîné, et quand Loison vient faire son nid et le poirier contre sa grosse caisse, il prend ça avec philosophie.

 

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Rien à voir avec Christophe. Un sourire gentil, une couronne de cheveux argentés, l'apparence du mec cool. Un tueur appointé de la maffia. Un teigneux qui a toujours un riff brûlant sur le feu, prêt à vous le balancer dessus sans votre permission. Tient un oeil de braise sur le patron, faudrait pas qu'il nous fasse une baisse de régime au milieu du show, lui jette des sourires complices et des accélérations flamboyantes entre les jambes. Prends moi ça dans les gencives, petit, ça te permettra de danser la gigue jusqu'à la saint glinglin.

 

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Rien qu'à la gratte, une Epiphone qui part un peu en zig-zag, l'on sent que Hervé Loison fait tout pour attirer les regards. Pas égoïste pour un sou toutefois. L'est pour les psychothérapies de groupe, les traitements de choc aussi. Les Hot Chickens c'est comme un hot rod, à fond la caisse, mais sans la carrosserie parce que c'est plus fun de savoir qu'à tout moment l'on risque de faire une pirouette, cacahuète. Les plus chouettes.

 

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Nous dit bonjour. S'excuse pour sa voix aphone. En fait, elle est plutôt devenue mégaphone. Miraculeuse médicamentation, l'a transformé les cordes vocales en tringles de fer. Inoxydables, car elles vont être mises à dure épreuve dans les heures qui suivent. Le mec sérieux, il annonce qu'ils vont nous faire une rétrospective de leurs parcours. Ordre et méthode, en commençant par leur premier CD dédié à Gene Vincent, et ploung ! c'est parti pour un Say Mama d'anthologie. Pour le second disque, Little Richard, il n'y aura pas de suivi tracé au cordeau. Sera donné en vrac, avec des morceaux du dernier Jake Calypso. Un peu foutoir, mais qu'est ce qu'on s'en fout. Un cat retrouve toujours ses petits. D'autant plus qu'ils hurlent de tous les côtés. Du rock torride. Une batterie qui tire à boulets rouges, une guitare kalachnikov qui arrose sans discontinuer, et Loison qui hulule comme Quetzalcoalt, l'oiseau-serpent, qui vaticinerait au-dessus d'un volcan en éruption. Evidemment la lave incandescente coule dans la salle maintenant pleine comme un oeuf de poule. Chaude. La fièvre monte à El Paso. Cuando el condor pasa. Pas sage du tout. Passage de la folie ordinaire à la la mania extraordinaire.

 

 

FIN DELIRANTE

 

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Jusque là nous sommes restés dans les limites du déraisonnable. Pour le deuxième set Hervé explose en plein vol. Demande à Eric, dans l'assistance de monter sur scène pour jouer de la contrebasse, lui il aura ainsi les mains libres et joignant ses gestes à ses paroles il jette dans un coin sa gratte sans plus de ménagement. Micro, voix, grognements, hoquets, raclements de gorge, borborygmes et onomatopées, toute la panoplie du rockab à profusion. Ne chante plus, il joue de son corps qui est devenu son instrument. Ce n'est pas sa guitare qu'il fracasse mais sa chair de rocker qu'il soumet à d'étranges tortures. Se couche, se tord, s'allonge, se vautre, la tête en bas, les pieds en haut, se lance dans d'informes et infâmes crucifixions joyeuses, des cruxifictions sacrificielles en l'honneur de la transcendance chamanique du rock'n'roll. Ombre de Vince Taylor en filigrane.

 

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Majorité de garçons dans les premiers rangs. Rock'n'roll, musique primaire des primates préhistoriques. Chanteur objet phantasmatique du désir masculin. Avec le public simulation de copulation anale. Alors le Hot Chiken number one plonge dans la foule pour aller chercher l'autre face du cul, le beau sexe, les poulettes, les filles, qui ne se font pas prier longtemps pour monter sur scène. Elles sont cinq sur le plateau – plus large il y en aurait eu dix – toute heureuse, jerkant sans fausse honte, Loison à leurs pieds, couchés comme le serpent du désir lové au bas des cuisses de la femelle. Mi-rieuses, mi-sérieuses, elles lui font de leurs jambes comme les arches d'un pont qui marche à sa rencontre...

 

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C'est la fin. Non le début. D'abord navigue à bout de bras autour de la salle balloté par la foule de fans enthousiastes. Ensuite il s'amuse un long moment avec son harmonica. Le lance en l'air, le rattrape parfois par chance, ou par le plus grand des hasards. Tombe et rebondit aussi par terre. Pas grave. Jettera aussi son micro. Le rock n'est pas une musique de conservatoire. Thierry et Christophe tiennent un train d'enfer, Eric doit abandonner sa contrebasse pour la basse électrique. Rock, sex et électricité, la grande trilogie de la défonce pure. La salle exulte, hurle et trépigne. L'on ne peut pas parler de rappel car les Hot Chickens jouent jusqu'à l'extrême limite de leurs forces. Reculent sans cesse le moment fatidique des adieux. Puisent dans les tréfonds de leur énergie. Et quand la coupe est vide, Hervé Loison se permet la dernière bravade, l'ultime provocation. «  Je vais vous chanter le morceau sur lequel je me suis cassé la voix hier soir ! ». Les rockers se moquent du lendemain qui sera un autre jour. Seul compte la magie de l'instant présent. Que l'on voudrait perpétuer jusqu'au bout de la nuit, jusqu'au bout de l'éternité.

 

 

END OF THE TRIP

 

 

Et c'est la fin. L'on reste encore un peu pour ne pas partir. Comme tout à l'heure l'on repartira pour ne pas rester. La décharge d'adrénaline a été trop forte. Rester, partir, les deux postulations sont aussi vaines. Une fois le teepee du rock'n'roll éteint, nous sommes comme des guerriers privés de territoire. Le monde n'a plus de formes assez ogivales à nous offrir. Nous sommes des errants, perdus dans nos existences, sans forces et sans âmes. Mais nous sommes des rockers, nous survivrons !

 

 

Damie Chad.

 

( Peu de photos de ces deux concerts, l'on a tapé des anciennes vues sur le facebook des artistes )

 

CROCKROCKDISC

 

 

TORNADO / THE PATHFINDERS

 

 

I'M LEAVING / BURY MY LOVE / TORNADO / AT TOP SPEED / DIRTY ROBER / SUR QUEL PIED / BOURBON MOON / MY WOLF / ROCK' YOU'RE BABY. WOODOO WOMAN. I FEEL SOMETHING... / RUSTY.

 

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Vocal : Lil'lOu Hornecker / Guitars : Thibault Ripault + Florian Mellin / Bass & Double Bass : Julien Dubois / Drums : Hugo « Sneaky » Deviers.

 

 

Des malins, les Pathfinders. L'on nous a déjà fait le coup, mais il marche toujours. La fille toute seule qui fait du stop sur le bord de la route. Vous freinez la mort, vous ouvrez la portière et vous vous retrouvez avec douze gros barbus avec sacs à dos dans le cockpit de la pink thunderbird. Donc ils ont mis Lil'lOu sur la couve, toute seule, sur un fauteuil, charme et tentation assurées.

 

 

Des gentlemen, les Pathfinders. Lil'lOu en premier parce lorsque vous mettez la rondelle sur la machine, d'abord vous n'entendez qu'elle. La Voix. Ventrebleu, ils se sont trompés à l'empaquetage, les idiots, z'ont glissé un disc de Carla Thomas, ou d'Aretha, ou de toute autre diva stax dans la couverture. Vous vérifiez, ben non, c'est bien elle, la Lil'lOu à la peau laiteuse de la photo qui chante en bleu et noir. Les mecs ils ont quand même tenu à laisser leur marque, se sont réservés un instrumental, rien que pour eux, un p't T-Boogie, pour que quand même l'on remarque qu'ils savent groover comme des grands. Oui, mais ils ont compris que dans un bijou ce n'est pas l'écrin que l'on regarde en premier, mais la perle qui attire les regards.

 

 

En plus ils ont raison. Ne sont pas des manchots du manche ou de la baguette. Ils ont invité une section de cuivres aussi puissante que les Bar-keys. Trompette, saxophone et trombone, toute la collection, sans oublier l'orgue, et surprise des chefs : un banjo. N'ont pas tort de se présenter sur le dos de la couve comme The Explosive Rockin' Soul Band. N'ont pas traversé l'Atlantique à la nage pour aller enregistrer au Muscle Shoal Studio de Shefield. Sont restés de ce côté-ci du rivage, au Studio Marbuzet de Roland Dubois. Pour faire un clin d'oeil à un vieil ami, Dan Giraud ( voir Kr'tnt N° 91 du 19-01- 12 ), je rappellerai ces jams enregistrés avec Dan, Rol Dubois et un certain Mickey Baker – les rockers apprécieront - en mon Ariège natale il y a plus de vingt ans... mais il est temps de passer aux choses sérieuses. Mais on y est en plein, parce que de Mickey à Lavern Baker, la transition est évidente et l'on est au coeur de notre sujet.

 

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I'm leaving, on n'a pas commencé que déjà Lil'lOu veut nous quitter ! Déclaration mélodramatique avec grande chute orchestrale en intro, les minettes ont le chic pour la mise en scène, mais la section cuivre n'entend pas la laisser partir et lui déroule un tapis de groove sur lequel sa voix fait des miracles. Du pur Memphis soul.

 

 

Bury my love, Lil'Ou insiste, elle entonne en plus appuyé, en plus définitif, les cuivres en boogie-soul, elle mène le bal à toute vitesse, à cette cadence, vous pouvez creuser une fosse commune en deux temps trois mouvements, car elle ne vous lâche pas une seconde, vindicative la fillette, mais on aime cela.

 

 

Tornado, la ballade bluesy qui donne son titre à l'album, un jeu de guitare à la Zeppelin, et Lil'lOu qui se glisse par dessus comme un serpent à la recherche d'une proie. Brûlure du Sud et chair de poule. Angoisse et sourde menace. Rien ne va plus. Vous nagez dans la chaleur moite des sueurs froides.

 

 

On laisse les boys s'amuser à la guitare, et l'on passe en toute vitesse à At top Speed, ce n'est pas qu'ils jouent mal, c'est qu'on est pressés de revoir la demoiselle. C'est qu'elle accentue le mouvement. Une branche du delta se nomme rhythm and blues, et l'autre s'appelle rock & roll. Nous sommes à la confluence.

 

 

Dirty Rubber. Faut se magner, elle s'est déjà embarquée dans un rockab-boogie, si bien foutu que Tony Marlow l'a repiqué pour le mettre sur la number five compilation de Rokers Kultur. C'est dire si ça accroche. Une reprise des Sonics.

 

 

Titre en français. Sur quel pied. Chat swingue bien. Une vilaine greffière qui s'amuse avec son rat apprivoisé. Facile à décrire, un chat dans la gorge et une chatte un peu plus bas. Elle finit sur le tin heat roof, à pousser des roucoulements de matoune énamourée. Entre Tennesse Williams et les Stray Cats.

 

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Après ces trois titres au plancher, ballade alcoolisée sous le clair de lune. Bourbon Moon, un orgue – oooh my soul, it's just a gospel blues, ballade romantique avec frisson dans la voix, guitare pleurnicheuse, choeur de cuivres, et les boys qui se prennent pour les Famous Flames. Lil'lOu nous verse des rasades de Four Roses. Avec les épines.

 

 

My Wolf. Dessin animé, scénario de Tex Avery. Ambiance swing jazz assurée. Scène de séduction high hot. Mais ce n'est pas le loup qui exprime le désir. L'on devine sous cette voix de gorge des seins animés.

 

 

Rock'you're baby, all night long, précise-t-elle dans le refrain. Un beau programme auquel nous souscrivons sans atermoiement. Surtout que les musicos balancent pas mal et que Lil'lOu roule pour nous, juste comme on aime.

 

 

L' appelé Koko Taylor en renfort. S'est appropriée sa Woodoo Woman, histoire de revendiquer une féminité de sorcière. Ce qui a l'air d'aiguillonner la fougue des boys, et c'est parti pour une longue conversation, musclée à souhait. Aucun des deux partis ne voulant s'avouer vaincu.

 

 

I feel something dit elle. Nous aussi, un plaisir sans limite, surtout qu'elle n'a pas fini un couplet que les musiciens relancent la sauce et que le ragoût est goûteux. L'on en reprend plusieurs assiettes pleines avec la voix ferme comme du cuisseau d'alligator et un jus d'instrus enivrants.

 

 

Rusty, l'on termine sur un blues musclé, juste pour nous faire regretter que ce soit déjà fini, la musique en arrière, la voix tonitruante devant, comme ces sépales qui enclosent la corolle des roses. De toute beauté.

 

 

J'ai voulu rattraper la cause des mecs. Sûr elle chante bien, mais faut avouer que le gars qui a signé la majorité des morceaux lui a taillé des diamants sur mesure. Quand j'ai regardé la liste des accréditions de près j'ai dû convenir que le sieur Hornecker, n'était pas un homme, mais le nom de Lil'lOu. De la ressource. Une créatrice, et cela fait la différence.

 

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Bref une galette royale. Pouvez la ranger avec votre série Special Rhythm And Blues des années 67, elle ne déparera pas. Du même niveau. Attention, on tient là un sacré numéro. Le plus grave, c'est qu'on sent qu'elle a encore de la réserve. Qu'elle n'a pas tout donné. A suivre, à ne pas quitter des yeux d'une micro-seconde, se promène sur tout le versant noir de la musique populaire américaine, comme si elle était née là-bas. A star is born.

 

 

Damie Chad.

 

 

 

 

23/01/2014

KR'TNT ! ¤ 173. ROCKERS KULTURE # 6 / JESSE HECTOR / JALLIES

 

KR'TNT ! ¤ 173

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

22 / 01 / 2014

 

 

ROCKERS KULTURE # 6

JESSE HECTOR + GORILLAS / JALLIES

 

 

ROCKERS KULTURE # 6 / 17 - 01 - 14

 

 

NEW MORNING / PARIS

 

 

JAKE CALYPSO / THE MIDNIGHT ROVERS /

 

THE SOUTHENERS / THE JALLIES

 

BLUE TEARS TRIO / MISS VICTORIA

 

EASY «  C » AND THE RHYTHM SCORCHERS

 

JAMY AND THE RYTHM TRIO / HOOP'S 45

 

SUBWAY COWBOYS / + THE RING STONES

 

 

 

Mister B fulmine. Si je l'écoutais la teuf-teuf aurait déjà laminé douze personnes sur les passages cloutés. Début du concert à vingt heures, un vendredi soir, en plein coeur de Paris ! L'on pourrait nous accuser de corser la difficulté. Oui, mais l'évènement clef du french rockabilly de ce début d'année, qui oserait s'en priver ! Pas nous ! Alors on fonce comme des sauvages à la recherche d'une hypothétique place de stationnement.

 

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A tout hasard l'on passe Rue des Petites Ecuries, du monde agglutiné devant l'entrée du New Morning. Ce fut comme une apparition. Le sourire radieux de Vaness des Jallies, traverse la rue juste devant nous. Nous fait un petit geste de surprise de nous voir. Signe du destin, notre moral remonte en flèche. Hélas, ça ne durera pas. Va falloir se résigner à engraisser la multi-nationale des parkings Vinci, mais à quand l'expropriation révolutionnaire des gros capitalos ? Toutefois la teuf-teuf ne se résout pas à une telle palinodie, à contre-sens dans un couloir de bus, elle nous dégote une place miraculeusement libre. Tant pis pour les dividendes des actionnaires !

 

 

Reste encore à franchir la piste cyclable sur le trottoir à ras des portières. Des envies de meurtre nous envahissent. Tous ces bobos minettes qui pédalent, sûres de leur bon droit écologique à vous rouler sur les pieds, sont exaspérantes. Les rockers aiment bien les filles mais il ne faut pas qu'elles marchent sur leurs chaussures de daim bleu. Apparemment, ces bêcheuses ne connaissent pas Carl Perkins. Quel manque de rockers kulture !

 

 

BLUE TEARS TRIO

 

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Après l'élogieux article que l'ami Cat Zengler nous avait écrit la semaine dernière ( voir livraison 172 de KR'TNT ), j'étais impatient de voir la merveille annoncée. Je n'ai plus qu'à verser des larmes de sang bleu. Nous arrivons trop tard. Sont déjà passés. Tony Marlow, le maître de cérockmonie leur avait confié l'ouverture des hostilités, et avec notre record homologué Paris-Provins en trois heures de stress, nous sommes privés d'apéritif, parfois le moment le plus agréable du repas. Sur les dix groupes prévus, l'un des rares que je n'avais pas encore vus. A charge de revanche. Dépité.

 

 

THE SUBWAY COWBOYS

 

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A peine ai-je poussé la porte que je suis accueilli par Hank Williams. Je sais, l'a quitté notre vallée de larmes depuis belle lurette, mais c'est bien son Honky Tonk Blues qu'entonne Will des Subway Cowboys. Alors que je règle les dix-huit euros de mon billet, j'aperçois leur trois silhouettes, découpées sur la scène. Will le grand au centre sous son inusable chapeau de cowboy, Matt sur sa doublebass de bois veinée de filets noirs, et Fab attentif à sa guitare. Tous concentrés. Jouent gros. Pas encore très connus du public. Toute erreur serait impardonnable. Dans la salle, l'on dresse l'oreille, et l'on arrête de bavarder. C'est que Will n'est pas un adepte du yaourt, sa voix de baryton sculpte les mots avec la même précision que celle de Johnny Cash. A croire qu'ils ont embauché un amerloque qui traînait dans le métro. Quel organe ! Viril à souhait. Mais quand il se lance dans une poignante complainte de Waylon Jennings, l'on ressent toute l'amertume d'une âme d'outlaw blessée par les chienneries de son existence. A ses côtés, les deux desesperados sont de fines gâchettes, ces deux croque-notes vous nettoient un saloon en trois minutes qui font la fortune du croque-mort de la ville. Magie du honky tonk. Vous ne comprenez rien, mais vous percevez tout. L'émotion transcende les mots. La musique tisse le décor, et chacun revit et réarrange le récit à sa façon. Applaudissements nourris. Ils n'ont pas vaincu, ils ont convaincu. A la fin de la soirée, il ne restera plus aucun exemplaire de leur premier disque sur le stand de Rock Paradise. Authentiques.

 

 

EASY «  C » AND THE RHYTHM SCORCHERS

 

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Easy «  C » revient avec un nouveau groupe, bye-bye les Silver Slippers, bonjour les Rhythm Scorchers. A pris le parti de délaisser les glisses sauvages sur les lames du surfin' rock au profit de brûlantes percées vers le blues de Chicago, mais revues à la sauce rockab. Mélange un peu hybride et chimérique. Mêler l'eau du delta aux flammes du rock'n'roll n'est pas obligatoirement évident. Possède un harmoniciste qui trille à merveille, s'envole dans les airs et voltige à volonté, loopings et feuilles mortes assurées, le problème c'est que la section rythmique ne suit pas. Elle sautille. On ne lui demande pas d'atteindre le ciel, au contraire de marquer le pas, de faire trembler le sol sous ses pas pesants. Il manque une frappe puissante qui plonge ses racines dans l'humus humain. L'ensemble donne l'impression d'un boeuf final dans lequel l'on a invité l'harmoniciste du combo précédent. Fin de partie, tout le monde s'éclate, ça tire à hue et à dia, un peu auberge espagnole, mais le public s'est rempli la panse les heures précédentes avec des recettes éprouvées. Idem pour le chant, très sud nasillant, mais trop blanc, pas assez noir qui bouffe ses syllabes. La formule est à revoir. Une bonne idée de départ, qui peut s'avérer très productive, mais il faut mieux lier la sauce. Question de dosage. Le groupe commence, suis sûr qu'ils sauront opérer les réglages nécessaires, nous pouvons leur faire confiance, ils ont de la réserve. Prometteurs.

 

 

THE JALLIES

 

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Vu la largeur de la scène, Julio le contrebassiste attitré de ces damoiselles se retrouve quasi au même niveau que les swingin' girls. Presque, car il ne faut pas trop exagérer, ce sont elles les Rock'n'roll Queens comme elles se plairont à le rappeler sur leur dernier morceau. N'empêche que Julio nous servira brûlants, deux de ces soli de folie dont on se remémore les notes le soir dans son lit avant de s'endormir. Oui mais le trio de nos oiselles, de charme et de choc, ne s'est pas contenté de batifoler aux abonnés absents entretemps. Elles ne démarrent pas le set, elles l'arrachent. Trois coups de caisse claire et c'est parti pour vingt minutes de délices. Les voix montent et descendent en crescendo. L'assistance dans la poche en trente secondes, et les applaudissements qui crépitent. Fines mouches, elles présentent avant tout leurs propres compos. A être, autant être soi-même. Elles ont la pêche. Melba. Glace vanillée aux cheveux blonds et coulis de framboise sur les lèvres de pourpre. Spécial cantatrice. For swinging gals. Leurs voix caressent les rêves et mordent à pleines dents. Douces comme du sucre, et acides comme l'alcool de contrebande. Nous en versent une pleine rasade. On nage dans le bonheur, par essence insaisissable. D'ailleurs, c'est déjà fini. Elles quittent la scène comme s'arrête une ondée bienfaisante. Trop vite. Julio les suit, on dirait qu'il marche sur un nuage. Nous aussi. Délicieuses.

 

 

THE SOUTHENERS

 

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M'étais éloigné au bar. L'on s'agitait sur scène mais avec le monde qui me séparait du plateau, j'ai fait comme beaucoup, j'ai reçu le missile en pleine figure. Plein les oreilles, et plein les yeux. Cinq sur scène, deux guitares à chaque bout du plateau, un contrebassiste géant au milieu, tous trois engoncés dans d'épaisses drape jackets. Des teddies, mais rien qu'aux cinq premières notes balancées avec cette énergie, j'avais déjà deviné. Le batteur porte une chemise étoilée aux couleurs du Dixie Flag. Et puis je rêve : un chanteur ! Qui ne fait que chanter ! P'tit Loup, sanglé dans un costume à la Kirk Douglas, dans Règlements de Comptes à O.K. Corral. Jeu de scène époustouflant, quelques postures à la Gene Vincent mais surtout une gestuelle toute personnelle de félin. Ne chante pas toujours, car Pascal Albrecht, depuis son uperightbass se charge aussi du vocal de quelques morceaux. Mais, ça ne le gêne pas le loup privé de hurlement, il mime, il danse, il vit la musique de l'intérieur, il est à lui tout seul l'image du rock and roll sauvage. L'adolescent éternel devant sa glace. Et la musique ! Mais ça devrait être interdit de jouer aussi bien. A vous rendre malade de jalousie pour le restant de vos jours. Ca bombarde sec, et ça uppercute dans tous les sens. Le son vous enveloppe, vous mord à la gorge et refuse de vous lâcher, tel un chien enragé qui préfèrerait mourir sur place plutôt qu'ouvrir les mâchoires pour abdiquer sa raison de vivre. Dans la salle, ça commence à ressembler à un véritable concert de rock. On ne goûte pas, on ne déguste point, on crie, on hurle, on se déchaîne. Le moment le plus fort de la soirée. The Southeners. Un groupe de vétérans. Qui était déjà là à fin des années 70. Reviennent et remettent les pendules à l'heure. Around the rock. Le choc. Et ce Train Kept a Rollin', cette exultation finale de la foule enfiévrée. Si vous n'y étiez pas, commencez à le regretter. Monumental.

 

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MIDNIGHT ROVERS

 

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Fallait pas que la fièvre retombe d'un coup. Tony Marlow avait soigné sa préparation aux petits oignons. N'a pas désigné les Midnight Rovers au hasard. Chevauchement des générations. Après le rebel rock des années 80, le rock de la révolte sociale, celui des squats, celui des banlieues et de la rage électrique. N'ont pas le pur look rockab. Nico attire les regards, au centre, dans sa salopette paramilitaire, il nous rappelle que le rock est un combat. Et les Rovers ne tardent pas à en apporter la preuve. Pourraient provoquer l'hostilité d'un public ancré dans des modèles archétypaux. Mais non, leur énergie balaie toutes les préventions. Leur relecture survitaminée d'Honey Don't du grand Carl Perkins à la mode psycho-garage remportera tous les suffrages. Mécanique parfaitement huilée. Depuis sa batterie, Torz alimente les soupapes. Ses baguettes sont partout, sur tous les toms à la fois. Roulements tous azimuts, bouscule tous les codes de la binarité rythmique. Serait plutôt partisan d'une frappe bipolaire, en le sens où chaque rythme est rapidement confronté par son contre-rythme. Savant désordre architectural qui structure le son et ne permet aucune confusion. Sur le dernier morceau, entraîné par sa propre énergie, il quittera son siège, pour asséner des coups encore plus forts. Par deux fois Nico sort son harmonicat qui miaule dans le micro. Tous les chemins mènent au rockab, même ceux qui semblent s'en écarter. Les Rovers dans leur modernité électrique sont dans le droit fil de cette musique de prolétaires séminale. Violents.

 

 

MISS VICTORIA CROWN

 

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Un havre de paix dans un monde de violence. Miss Victoria se tient sagement debout à côté du micro, dans sa robe de satin, sur le modèle de celles qu'arborait Scarlett O'Hara dans Autant En Emporte Le Vent. L'on s'agite autour d'elle, les roadies s'empressent autour des musiciens, elle n'a pas l'air affolée. Même pas stressée. Pourtant l'on devine que les autres ne sont que des accompagnateurs, qu'ils sont là pour elle. Première fois qu'ils jouent sur Paris a averti Tony Marlow. Toute belle, toute blanche, toute jeune, elle esquisse un sourire tranquille, même pas timide. C'est parti. Une intro musicale un peu étrange, pas vraiment country jazz mais pas tout à fait autre chose non plus. La petite Miss s'approche du microphone et l'on oublie tout ce qui précède. Une voix d'une justesse absolue, pure mais qui swingue. Silence dans la salle. Une contrebasse aux relents jazzy, une guitare à peine effleurée, un sax qui cherche sa place, et un batteur debout devant sa caisse claire qui tape sec. L'ensemble est un peu disparate, mais dès le troisième morceau tout se met miraculeusement en place, sur des arpèges de douceur ne flottent plus que la voix de Miss Victoria et le saxophone qui se glisse entre ses syllabes induisant une extraordinaire continuité phonique. Elle chante comme vous respirez. Se joue de toutes les difficultés. Sans peur et sans reproche. Se laisse porter par le courant. Ovation. Tony Marlow précise que Vincent le guitariste est son père. Mais on l'avait deviné, à la fierté des regards qu'il lui jetait en douce. Nous apprend que cette jeune fille à qui Mister B ne donnait pas plus de dix-huit ans n'en a que treize. Et déjà reine du trad-country-rock normand. Couronnée.

 

 

THE RINGSTONES

 

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Le moment le plus horripilant de la soirée. Invité surprise de la soirée, les Ringstones ! Tout juste eu le temps de goûter le jeu de Philippe Fessard sur sa guitare que Tony Marlow intervient pour prévenir qu'il n'y aura pas de second morceau. Je me sens comme un gamin à qui l'on confisque le sucre d'orge qu'il a dans la bouche. Ecourtés.

 

 

HOOP'S 45

 

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Les Hoop's comme je ne les avais jamais vus. Et pourtant ils ne m'ont jamais déçu, mais pour ce sixième Rockers Kulture, ils se sont surpassés. Une tornade électrique. Steph au chant, transcendantal. L'énergie et la pression. Impossible de résister. Peut-être le désir de ne pas se laisser supplanter par les groupes précédents et suivants, j'opterais plutôt pour rejeter la faute sur le petit nouveau. Max le guitariste, un sacré envoyeur qui en six mois de présence a dû par son jeu très direct contribuer à électrifier le son. Joue plus rapide, plus trashy. Ce qui n'a pu qu'accentuer les tendances néo-rockab du combo. Steph en est comme libéré, peut se laisser aller à son penchant naturel d'un phrasé beaucoup plus expulsé, moins articulé, qui lui permet d'accentuer la raucité légèrement voilée de son timbre vocal. Le chat sauvage sort ses griffes acérées et ça fait mal. Nous aurons ainsi droit à un King Creole survolté revisité par Kaltrina. Ouragan sur la Nouvelle Orléans. Nous ont séchés, laissés de cul. Un set à réaction. Avec en plus la couleur. Ils auraient pu se contenter d'envoyer la purée, point, barre. Non Richard à la basse et Kevin à la batterie ont travaillé les résonances. Il y a le speed de la guitare, la vélocité de la voix, mais en plus toute une épaisseur musicale que la section rythmique édifie en même temps qu'elle participe au tempo de fou initiée par le soliste et le chanteur maître. La prestation passe à la vitesse d'une étoile filante. Arrache des cris de joies et d'étonnement aux spectateurs. Fulgurants.

 

 

JAMY AND THE RHYTHM TRIO

 

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Marlow au boulot. Très bon dans son rôle d'aboyeur, mais il est temps pour lui de rejoindre son poste et ses potes. Faudrait pas qu'il oublie qu'il officie derrière la batterie de Jamy and The Rhythm Trio. Jamy est déjà au micro dans une superbe chemise country immaculée et frappée des roses du Texas. Encore un qui n'y est pas allé par quatre chemins, lance la machine au quart de tour. Tout dans la voix, car dans le rockab c'est la voix qui emporte tout. C'est quand même mieux, quand sur les côtés, les moteurs auxiliaires ronronnent sans à-coups. Pas de bile à se faire pour Rocky encordé par ses doigts à sa comtesse, ne mouftera pas un mot de tout le set, mais entre ses mains la contrebasse se met à chanter à plein gosier. L'en a vu d'autres le Rocky, n'est pas né de la dernière pluie. Pour Little Nico, pardon pour Nico, car ce soir le petit Little est parti se coucher, c'est Nico le grand lui-même qui l'a expédié au lit. Oui, pour Nico, c'était un peu le baptême du feu, un passage initiatique, tenir la guitare solo dans une telle soirée, c'est se charger les épaules d'un gros poids. Le temps des responsabilités est venue. N'a pas fui. A fait front. Est sorti gagnant de l'épreuve. C'est fou ce que le groupe a gagné en cohésion. Joue plus vite et plus fort. Un set sans bavure. Sans temps mort. A train d'enfer. Enfile les morceaux sans faillir. Suis tellement captivé par le chant de Jamy que je n'ai aucune souvenance de ses mains sur sa guitare à l'effigie d'Elvis. Superbe.

 

 

JAKE CALYPSO

 

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On l'a programmé en dernier parce que c'est trop dur de passer après lui, annonce Tony. Pas besoin de révéler qui se cache sous cette dénomination de Jake Calypso. Tout le monde sait que c'est Hervé Loison, le chanteur fou des Hot Chikens, qui à l'instar de Fernando Pessoa aime bien se fabriquer des hétéronymes. Mais il est facile de repérer le mouton noir au milieu des blanches brebis, chassez le naturel, il revient au galop. Faut vous le mettre dans la tête, ni Jake Calypso, ni Hervé Loison ne sont des chanteurs de rock'n'roll. C'est un mot qu'ils ne connaissent pas, ni l'un ni l'autre. Ne sont pas davantage chanteur de fandango ou de calypso. Non leur spécialité à eux, c'est le Wild Rock. Et peut-être même plutôt le wild que le rock. Vous êtes avertis. Ne venez pas vous plaindre. Peuvent vous enfumer. Un peu, mais pas plus de trois minutes. Exemple, Jake Calypso nous a interprété un country. Un titre doux qu'il avait promis. Certes ce ne fut pas une tuerie, mais tout de même une belle cavalcade. Mais s'était dépêché de nous rassurer que tout de suite après il terminerait sur quelques morceaux wild. C'est par là qu'il avait commencé, et c'est ainsi qu'il a fini. Sur du Warren Smith amélioré au détartrant psycho-punkitoïdal. Se roule par terre, grogne comme un cochon, meugle comme un boeuf qu'on égorge, fait le poirier et le tour de la salle porté à bout de bras. Le plus terrible, ce sont ses musicos qui jette du napalm sur le feu. Un guitaro qui lui cloue des banderilles électriques au travers du corps, un satané barjot qui s'y entend pour faire monter la mayonnaise au troisième étage de la tour Eiffel. Un batteur qui pousse le rythme hors des limites permises par la Convention de Genève, et un bassiste qui frappe ses cordes à la cadence d'un épileptique. Un speed trio de givrés plus un échappé de l'Hasil Adskin, bonjour les dégâts. A ce niveau-là, les assurances refusent de rembourser les incursions de ces adeptes du rockabilly borderline. Un véritable cas( lypso ) clinique. Démentiel.

 

THE END

 

 

C'était la dernière bobine. A partir d'aujourd'hui on coche les jours jusqu'en 2015. Comptons sur Tony Marlow et Rock Paradise pour concocter un tome VI de l'anthologie des french rockab bands. Le rockabilly se porte bien dans notre pays. Le genre commence même à irriguer les musiques voisines. Touche au blues, au country, au jazz, au swing, à l'électrique, leur donne plus qu'il ne leur emprunte, leur refourgue ce dont leurs jambes étiolées ont le plus besoin de par chez nous, un regain d'énergie. Cette cinquième édition de Rockers Kulture en est la preuve évidente. Le rockabilly une musique à réveiller les morts. Et les vivants.

 

Damie Chad.

 

( Photos de Edonald Duck prises sur le facebook des artistes et plus spécialement celui de P'tit Loup )

 

 

JESSE HECTOR

 

 

GARE AUX GORILLES

 

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Suite à d’heureux concours de circonstances, j’ai eu l’immense privilège de rencontrer deux proches de Jesse Hector, Philippe et Damien.

 

Jesse Hector ? C’est vrai qu’il n’a jamais fait la une de Paris Match. Pourtant, il a joué un rôle de premier plan dans l’histoire du rock. Il fait partie de ceux que Nick Cohn aurait pu glisser dans sa liste de héros oubliés du rock’n’roll. Il fut avec Crushed Butler (1969-1971), les Hammersmith Gorillas (1972-1975) puis les Gorillas (1976-1981) le véritable précurseur du punk-rock anglais et le grand dynamiteur de la scène anglaise. Tout le monde sait bien que le rock sans dynamite, ça ne vaut pas tripette.

 

Jesse Hector est devenu légendaire. Mais ce prince des rockers - comme Verlaine fut Prince des poètes - doit travailler pour survivre. Le destin des deux hommes présente des similitudes terribles. On reconnaît la suprématie de leur art, mais on les laisse se débattre dans une économie de survie. Verlaine va sombrer dans l’alcool et l’excès de mélancolie, Jesse Hector se lève à trois heures chaque matin pour aller nettoyer des bureaux de la Royal Horticultural Society, à Londres.

 

C’est en 1975 que je découvris l’existence des Hammersmith Gorillas, grâce à un single. La pochette me fit loucher : on y voyait deux mecs aux allures plutôt extravagantes pour l’époque. On était pourtant habitués aux excès vestimentaires de glamsters comme Noddy Holder et Dave Hill. Sur la pochette, le mec de droite tenait un micro. Il portait les cheveux courts, d’énormes rouflaquettes et un pantalon à carreaux comme on n’en avait plus revu depuis la grande époque de Dave Dee Dozy Bicky Mick and Tich. Plus spectaculaire encore, le mec de gauche était coiffé comme une poupée Barbie : deux larges franges d’un beau blond platine encadraient son visage. Il jouait la bouche ouverte sur une grosse basse blanche. Incroyablement flashy, comme disent les Belges. La photo dégageait une espèce de brutalité bizarroïde. Même les champions du look que furent les Stones n’auraient pas pu rivaliser avec eux. Et quand j’ai entendu leur reprise du «You Really Got Me» des Kinks, je me suis dit que ces gens là venaient tout simplement de réinventer la sauvagerie. Leur version est d’une agressivité sonique quasiment sans égale dans l’histoire du rock. C’est véritablement un shoot de blast punk sans précédent. En s’attaquant à un classique aussi parfait, ils montraient qu’on pouvait encore pousser le bouchon. La version saute à la gueule, Jesse passe deux couplets à la casserole et soudain, LOOK OUT ! il balance un solo tortillé qui prend le ventre. Il ré-attaque un couplet, rockaille de plus belle et HERE WE GO ! il repart en vrille et balance sa purée atomique. Je sentis mon imaginaire s’embraser, exactement de la même façon que le jour où j’entendis pour la première fois «1969» (nineteen and sixty-nine, beyebi) des Stooges. La violence sonique des Stooges avait quelque chose de rampant. Celle des Hammersmith Gorillas relevait plus du punch, au sens où on l’entend quand on reçoit un coup dans la figure.

 

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À partir de ce moment-là, je suis devenu un inconditionnel des Hammersmith Gorillas et donc de Jesse Hector. Deux singles parurent ensuite sur Chiswick, le label de Ted Carroll : «She’s My Gal» et «Gatecrasher», avec des pochettes toujours aussi mirobolantes. Grâce à ces singles magiques, on entrait dans un univers unique au monde : celui de Jesse Hector.

 

Comme beaucoup de ses congénères, ce londonien de Kilburn découvrit les pionniers du rock alors qu’il portait encore des culottes courtes. Piégé par son instinct, il décida de devenir rocker. Il commença par jouer du skiffle très jeune. Pouf, les Beatles arrivèrent. Puis les Who. Jesse devint un vrai Mod anglais. L’agressivité des Who le fascinait. Dans une interview qu’il accorda jadis à Philippe, il racontait que les Who étaient de vrais durs et qu’il n’était pas question de les approcher. Les Small Faces, John’s Children et les Who le firent frémir. Puis Hendrix débarqua à Londres et remit tous les compteurs à zéro. Jesse le vit sur scène et s’extasia. Et comme les Beatles, les Small Faces et d’autres groupes ne sortaient cette année-là que des classiques, il ne restait plus de place pour les groupes de débutants. Alors, Jesse se retira provisoirement de la compétition.

 

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Au commencement de «Message To The World», fabuleux documentaire retraçant l’histoire de sa vie, Jesse Hector cite les noms des gens qu’il admire : Elvis, Eddie Cochran, Buddy Holly, Brian Jones, Marc Bolan et Jimi Hendrix. Voilà où plongent ses racines.

 

Il revint en lice un peu plus tard et monta les Hammersmith Gorillas. Comme il trouvait que les Who s’étaient assagis, il voulut redynamiser la culture Mod («We wanted the Mods to continue, with a step further»). Jesse inventa un look, une attitude, un son. Avec «You Really Got Me», il inventa tout bêtement le punk-rock. Il se souvient d’avoir vu Johnny Rotten et Rat Scabies au premier rang, quand il était sur scène avec les Hammersmith Gorillas. Évidemment, lorsqu’il vit les premiers groupes punk débarquer dans la presse anglaise en 1976, Jesse se marrait : «On fait ça depuis des années en Angleterre». En fait, il riait jaune. Car c’est bien là le drame de sa vie : il aura été LE précurseur du rock anglais, le lanceur de tendances (et pas des moindres) et il n’aura jamais réussi à obtenir la moindre reconnaissance. Jesse n’a pas seulement inventé le punk-rock. On lui doit aussi une vision du glam anglais, la sienne.

 

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La preuve ? Crushed Butler, trio monté par le batteur Darryl Read et Jesse en 1969. Facile à vérifier, puisque «Uncrushed» (compile de tous les enregistrements du groupe) est réédité tous les dix ans, environ, grâce à l’inlassable travail d’historiographe de Darryl Read. L’un de leurs morceaux, «Factory Grime», s’ouvre sur un drumbeat glam et s’articule sur un riff slashé digne de celui qu’on entend dans le «Crosstown Traffic» de Jimi Hendrix. Les riffs battent tous les records de poids. Les Crushed Butler en arrivent presque à sonner comme le Black Sabbath du premier album. «Love Is All Around Me» aurait aussi très bien pu devenir un hit. Tout y est : le refrain boogie, le son de basse bien plein, le drumbeat cavaleur. Chose troublante : on retrouvera le riff de «High School Dropout» dans le «Get It On» de T Rex. À l’époque on le pompait déjà pas mal. Dans une interview accordée au NME, Jesse soupçonnait Noddy Holder d’avoir copié son look grosses rouflaquettes, pantalon en tartan écossais et chaussures deux tons.

 

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Tenez-vous bien, la dernière réédition de «Uncrushed» en date est un 25 cm accompagné d’un DVD. Et là, on ne rigole plus. C’est un cadeau de Darryl Read, tiré de ses archives personnelles : la séance de répète organisée en 1998 pour la reformation de Crushed Butler, avec Charlie Harty à la basse, fut filmée. Pendant 45 minutes, on voit Jesse torse nu répéter 4 morceaux avec ses deux amis. C’est comme si on était assis dans le studio. Jesse a 51 ans, mais il n’arrête pas de gesticuler, de basculer le torse en arrière, de hurler dans le micro, il plonge dans des fusions hendrixiennes, il y a même des moments où il disparaît de l’écran (la caméra est fixe), on imagine qu’il se roule par terre, hop il réapparaît, un vrai démon, la pire incarnation du rock. Il joue sur sa Strato rouge. Il montre les riffs de basse à Charlie Harty qui reste hors cadre. Il recale une seule fois Darryl Read, un sacré batteur dont la hargne impressionne. Jesse joue souvent en cocotte pour entraîner sa section rythmique aux subtilités de l’art suprême qu’est le power trio. Il fait péter ses accords comme des cocktails Molotov. Bhaaam et bras en l’air. Il n’arrête pas un seul instant. On a l’impression que ses oreilles bougent aussi, car on le voit souvent de dos. Il balance des riffs mortels, break, Hey babe have you heard the news, rock’n’roll is not the blues. Hey c’mon you gotta drive me wild, hey c’mon I’m a lonely child ! Il recale Charlie. Up there ! Il le fait monter d’un ton. G ! Jesse est atteint de fureur hendrixienne. Il sait claquer l’accord et jeter le bras en avant comme le faisait si bien Jimi jadis. Darryl connaît bien Jesse, ça fait trente ans qu’ils jouent ensemble. Il bat le beurre à la perfection. Il sait doubler sur les moments de fureur hendrixienne. Chose curieuse, Darryl n’a pas vieilli, il conserve exactement le même look qu’au temps de Crushed Butler : une grosse touffe de cheveux noirs frisés comme ceux de Marc Bolan.

 

Pendant deux ans, Jesse et Darryl auront mis les bouchées doubles pour essayer de percer. Chaque fois que Crushed Butler jouait sur scène, le public voulait du rab. Quand un groupe comme Osibisa avait le malheur de passer après eux, le public le huait et réclamait Jesse (plus tard, le phénomène se reproduira à maintes reprises - Philippe me disait que les Groovies en avaient fait les frais, ainsi qu’un groupe havrais qui voulait absolument jouer en tête d’affiche, après Jesse - et Philippe les mettait en garde - mais non, ils insistaient - alors ils ont vu jouer Jesse avant eux - et je cite Philippe - «ils sont passés du vert au bleu puis au cadavérique... hé hé hé» - Retenez bien ce conseil : ne montez jamais sur scène après Jesse Hector).

 

Quand Graham Breslau devint l’impressario de Crushed Butler, il débloqua des fonds et nos trois amis s’achetèrent un van rouge et des instruments neufs, dont une Strato que Jesse repeignit immédiatement en vert (certainement celle qu’on a vu à Mont de Marsan). (Pour l’anecdote : en 1976 ou 77, j’avais racheté du matériel d’occase à un musicien qui avait besoin de fric - une imitation Strato japonaise et un bel ampli Stal 100 W - et j’avais aussitôt démonté les cordes et les micros pour la repeindre en vert - à la fois en hommage à Jesse mais aussi à Danny Adler de Roogalator que je venais de découvrir à Londres - cette guitare a fini fracassée sur l’ampli, une nuit de jam stoogienne).

 

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Tout ce qu’on sait de Crushed Butler aujourd’hui, on le doit à ce fabuleux historiographe qu’est Darryl Read. Philippe m’apprenait au début du mois de juillet que Darryl Read venait de se tuer dans un accident de voiture en Thaïlande (un de plus, après celui qui avait coûté la vie à Alan Butler en 1981). Les récits de Darryl Read constituent de véritables mines d’information. On apprend que Neil Christian, qui connut son heure de gloire à Londres avec les Crusaders (dont fit partie le jeune Little Jimmy Page) prit les Crushed Butler sous son aile pour les aider à décrocher un contrat. Mais Neil Christian sombra peu à peu dans l’alcool. Jesse et son gang rencontrèrent aussi l’impresario des Move, Tony Secunda, qui se montra très intéressé. Mais ce contact ne donna rien. Secunda se contenta de mettre Trevor Burton, ex-Move alors dans BALLS, en contact avec Jesse. Pour vivre, Jesse avait gardé son boulot : il coupait du tissu pour un tailleur. Pendant ce temps, Darryl traînait avec Third World War, comme par hasard. Comme Crushed Buttler battait de l’aile, il envisageait de devenir le batteur de Terry Stamp et de Mick Avery, mais il était trop sauvage pour ce groupe de radicaux. Grâce à Darryl Read on entre dans le détail de l’histoire des groupes les plus intéressants de cette époque. Terry Stamp voulait monter un trio. Darryl lui conseilla de changer de look et de passer au blouson de motard en cuir clouté et aux Doc Martins. Ça se passait en 1970, je ne sais pas si vous réalisez à quel point ces mecs là étaient en avance sur leur époque. Crushed Butler joua sa dernière carte en invitant Don Arden, qui fut l’impresario des Small Faces. Don Arden se pointa à la répète accompagné de ses gorilles. Il apprécia beaucoup le groupe et donna des instructions à ses sbires pour qu’ils fassent jouer le groupe sur scène. Mais c’était trop tard. Co-manager des Who et patron du label Track, Chris Stamp venait d’embaucher Darryl. Il était censé travailler sur la promo des Who, mais il passait son temps avec Speedy Keen, l’âme de Thunderclap Newman, un trio resté célèbre pour un hit aérien, «Something In The Air».

 

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Jesse eut beaucoup de mal à se remettre de cet échec. Il récupéra son pote Alan Butler et redémarra avec les Hammersmith Gorillas (là on a deux versions pour l’origine du nom - Darryl affirme qu’il a adapté «Hammersmith Guerilla» des Third World War pour en faire un nom de groupe et l’a proposé à Jesse - alors que dans une interview accordée à Philippe, Jesse en attribue la paternité au producteur Larry Page - «a genius» - selon les propres termes de Jesse - qui a produit les Kinks, les Troggs, mais aussi et surtout le premier single des Hammersmith Gorillas - «You Really Got Me»).

 

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Son destin de précurseur, Jesse l’a payé très cher. À l’époque de Crushed Butler, il affirmait jouer du «council estate rock» (du rock de HLM). Quelques années plus tard, tous les groupes de Londres vont jouer du council estate rock et se pavaner à la une des tabloïds. Dans un numéro de Record Collector daté de 1997, on trouve une double page consacrée à Crushed Butler et titrée : «Pretty Vacant in 1970».

 

Les Gorillas s’arrêtent en 1981. Ils n’ont enregistré qu’un seul album, «Message To The World» que Darryl, alors retiré du circuit, n’apprécie pas, puisque qu’il le trouve semi-glam. Il dépeint les Grillas comme une version édulcorée de Crushed Butler.

 

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Jesse ne baisse pas les bras. Après un break de onze ans, il revient à la charge avec un nouveau trio, Jesse and the Sound. Sur une belle rétrospective RPM titrée «Gorilla Garage», on peut entendre deux morceaux du trio, dont «Running Wild», où on sent que Jesse cherche toujours la pierre philosophale du rock. Il envoie ses grosses giclées d’accords sales et enfuzze le morceau à sa façon : monstrueusement. En 1994, il remonte un autre trio, Jesse Hector and the Gatecrashers.

 

En m’offrant le EP de Jesse Hector and the Gatecrashers, Damien n’imaginait pas à quel point il me comblait. Quand on déplie la petite pochette, on tombe sur une photo de Jesse et de ses deux compères prise dans une rue, sans doute quelque part à Londres. Ils posent tous les trois devant leur mur d’amplis. Quand on voit ça, on comprend que Jesse ne baissera jamais les bras. Et il suffit d’écouter cet EP pour en être définitivement convaincu. Les deux morceaux de la face A sont terribles («Carolina» est tout simplement stoogien - Jesse a la même énergie que Ron Asheton, voilà ce qu’il faut retenir - le monde leur appartenait), mais ceux de la face B relèvent du pur génie. «It’s You» n’est rien d’autre qu’une jolie pièce de glam pur jus montée sur un beat mélodique et soulignée par une basse mouvante. Une annonce maléfique au bord du gouffre, turn me loose, et on se jette dans un tourbillon fabuleux. «Keep On Moving» va plus sur le garage menaçant. On sent la patte de Liam Watson (Toe Rag). Jesse rallume son brasier. Il joue des riffs en sourdine. Effet garanti. Jesse reste le diable qu’on a toujours vénéré. Ses solos resplendissent toujours au firmament.

 

Sur la compile RPM, on trouve aussi deux morceaux de Helter Skelter (groupe monté par Jesse en 1971, aussitôt après la fin de Crushed Butler). L’un d’eux est une perle grasse : «I Need You». Rarement dans l’histoire du rock anglais, on aura entendu un son de guitare aussi gras. Avec Helter Skelter, Jesse graissait le son à outrance, au-delà de toute conjecture.

 

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Philippe est aussi l’instigateur d’une compile sortie sur Big Beat en 1999 : «Gorilla Got Me». Le texte qu’il a écrit pour retracer l’histoire du groupe dans le livret est exemplaire. Tout aussi exemplaire, son choix de morceaux, et dans le tas, des inédits. Et là attention, c’est un coup à tomber de sa chaise. Parmi les inédits se trouve «I Live In Style In Maida Vale», une rengaine pop géniale qui sonne comme un hit des Small Faces. Comme Jesse idolâtrait Steve Marriott, il cocknérise délicieusement son chant. Il touche là à l’âme du rock anglais et c’est une fois de plus produit par le mythique Larry Page. La chose se présente comme une pop-song, mais en réalité, ça sonne comme l’hymne perdu des dandies londoniens - I live in Style - ah - Maida Vale. Jesse chante cette pure perle maniérée avec une abnégation confondante. Ah - Maida Vale. Final enflé Ah ouh ! Ah yeah, dans la plus pure tradition des Small Faces. Autre surprise, une reprise de «Luxury» des Stones que Jesse passe à la moulinette.

 

Cette compile nous redonne l’occasion d’entendre «Gorilla Got Me», une belle pièce semi-instrumentale explosée dès l’intro, une intro qui d’ailleurs reste un modèle du genre. Au lieu de taper dans «Pipeline» les groupes devraient plutôt démarrer leur set avec «Gorilla Got Me». Jesse s’y révèle une nouvelle fois l’égal des dieux et derrière roule une bassline en folie. Produit par Rat Scabies, «Move It» est un boogie à l’anglaise incroyablement puissant et pas cuit, dégoulinant de jus. Autre inédit, autre surprise de taille : «Shame Shame Shame», grassement riffé. Avec cette nouvelle pièce de garage hirsute, Jesse s’arroge la couronne de roi du riff.

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C’est bien sûr grâce à Philippe que j’ai pu voir «Message To The World», le documentaire de Caroline Catz réalisé en 2006 et seulement diffusé en Angleterre. Bonne nouvelle : on annonce une sortie officielle. Ce film est beaucoup plus intéressant que tous ces films américains tournés ces dernières années (Ray, Walk The Line, et tous les autres «biopics» à la noix). On voit Jesse marcher dans des rues et dans un parc, jouer quelques accords en répète. Il nous emmène à la porte de Lansdowne studio, l’endroit où Larry Page produisit «You Really Got Me». On le voit aussi gratter sa guitare noire marquée Elvis sur un toit de Londres. Devant l’Albert Hall, il raconte qu’on l’avait invité à partager une affiche prestigieuse avec Eric Clapton, Paul Weller et Pete Townshend, mais à condition qu’il ne joue qu’un seul morceau. Quoi ? Qui ose poser des conditions à Jesse Hector ? Évidemment, il a refusé. Mais il ajoute : «Sometimes, you’ve got one chance in a lifetime.» (On a parfois qu’une seule chance dans une vie). Portrait poignant. Jesse se voit dans un miroir. Il consent qu’il ne peut pas revenir sur scène comme ça, avec son physique de pépère qui atteint la soixantaine. Plus tard, il vante les mérites de son métier, the cleaning. «Work early in the morning and play all day.» (Tu travailles tôt le matin et tu as toute la journée pour t’amuser.) Il y a même un plan bizarre vers la fin où il est filmé légèrement par en dessous et où il ressemble à Gollum.

 

Damien me l’a confirmé : cet homme est profondément bon. Il dégage quelque chose d’extrêmement rare et de chaleureux.

 

Miracle ! Damaged Goods vient tout juste de rééditer le fabuleux album des Gorillas qui, comme le docu, s’appelle «Message To The World». Pochette à l’identique et vinyle rouge. Jesse ouvre le bal avec une version de «Foxy Lady» qu’il rend légèrement hypnotico-autobahnique. On appelle ça une belle mise en bouche. S’ensuit «I’m A Liar», bien dru et bien tendu, monté sur un joli petit beat cavalant et sans prétention. Un peu plus loin, Jesse chante en cockney «Going Fishing», un boogie classieux et bien démarqué, traité à la bonne franquette. Connu comme le loup blanc, «Outta My Brain» file tout droit. En face B, Jesse revient avec un sacré clin d’œil aux Small Faces : «Waiting For You». Au premier abord, les compos de Jesse passent bien, mais on ne tombe pas de sa chaise. Par contre, on les réécoute avec beaucoup de plaisir, car elles sont indiciblement bonnes. Avec «Last Train», il choo-choote comme son idole Johnny Burnette et Alan Butler rappelle qu’il fut un très grand bassman. Hommage à Bo Diddley avec «It’s My Life» puis ils reprennent un morceau de Crushed Butler, «My Son’s Alive». On ne sait pas ce que Jesse va foutre à Mexico, mais on lui fait confiance. Un mec comme lui, on lui fera toujours confiance. Jamais à Stong ou à Paul Weller.

 

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Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, la presse anglaise déroule le tapis rouge à Jesse. La réédition de «Message To The World» est un événement, alors un ou deux journalistes anglais retroussent leurs manches. Quatre pages sur les Gorillas dans le numéro 15 de Vive le Rock, avec reproduction plein pot de la pochette de l’album, et page suivante, de la fabuleuse photo des Gorillas où l’on voit Alan Butler porter un costume de gorille. Rarement dans l’histoire du rock anglais on a égalé cette prodigieuse facilité à fabriquer du mythe visuel. Seuls les Stones y sont parvenus pour le tournage du clip de «Jumping Jack Flash» - avec leur maquillage et leurs lunettes de la quatrième dimension - et bien sûr les Pistols, live on the boat, le jour du Jubilee. Les Hammersmmith Gorillas avaient indéniablement un truc en plus. Le journaliste Hugh Gulland parle de power trio rock action et de rock’n’roll firmament et il rappelle dans sa courte introduction que Jesse ne vivait alors que pour ça.

 

Une double page aussi dans le numéro 35 de Shindig! On nous ressert la même photo, mais ce n’est pas grave, puisqu’elle est bonne. Phil King demande à Jesse de commenter les douze titres de l’album. Jesse redit son admiration pour Jimi Hendrix et sa volonté de lui rendre hommage. Il évoque le cockney bash de «Waiting For You» et cite en plus de celle des Small Faces l’influence des Love Affair de Steve Ellis. Il rappelle que son «Last Train» datait de 1960. On apprend enfin que les Gorillas n’ont pas fait de promo pour «Message To The World» parce qu’ils attaquaient leur second album, «Gift Of The Gab». Stoppé net, dit Jesse. L’album n’est jamais sorti. C’est le scoop du siècle : Jesse a une démo des douze titres enregistrés dans sa chambre.

 

Et crac, Jesse rappelle qu’à l’époque où est sorti «Message To The World», les groupes comme Queen, Status Quo et Led Zep cartonnaient. Alors, il voulait se démarquer et proposer quelque chose d’«a little bit original». Interview passionnante dans laquelle Jesse déroule l’historique du rock anglais, Cliff Richard, les Beatles, les Stones, les Who, Jimi Hendrix et finalement en 1969, tous les groupes portaient les cheveux longs «and looked so... nothing !» Alors, Jesse s’est senti investi d’une mission divine : réinventer le rock’n’roll, et ça passait par des coupes de cheveux, des fringues et un style musical entièrement nouveaux : «a ferocious live act that shocked everybody !» En 1974, Jesse avait une vision parfaitement claire de ce qu’il voulait faire. Il savait que son groupe allait devenir ÉNORME. Il n’en démordait pas. Mais il avoue qu’il ne savait pas comment s’y prendre pour entrer dans le business. Alors il a commencé par aller trouver Larry Page qui a tout de suite pigé et qui lui a proposé de démarrer avec une reprise de «You Really Got Me», le hit qu’il avait produit tout juste dix ans auparavant. Larry Page expliquait à Jesse qu’il avait découvert le groupe des frères Davies, qu’il avait trouvé le nom de leur groupe et qu’il en avait fait ce qu’ils étaient devenus. Pour Jesse, ce fut le conte de fées. Grâce à Larry Page, les Kinks avaient été en tête des charts, alors pourquoi pas les Hammersmith Gorillas ? Larry Page voyait l’énorme potentiel du power trio de Jesse. Ils avaient tous les trois un look unique en Angleterre.

 

Alors Jesse raconte la séance d’enregistrement avec Larry Page : ils commencent par enregistrer «some ferocious backing tracks» - les instruments - puis la voix. Jesse attaque gentiment : «Gir-r-l». Larry : «Non ! Recommence !» Jesse : «Girrrr-l !» Larry : «Non ! Recommence !» Au bout d’un moment, Jesse finit par en avoir sa claque et il se met carrément en rogne : «GIRRRRL !» Cette fois, Larry fait : «That’s it !». Le single reçoit un bon accueil dans la presse, mais il n’entre pas dans les charts ! What ?

 

Deux ans avant l’arrivée de la vague punk, ils ont un hit punk qui ne marche pas. Puis Ted Carroll vole à leur secours et les signe sur Chiswick, les envoie au festival de Mont-de-Marsan et les programme à la Roundhouse, où ils font un carnage. Jesse évoque ensuite une petite brouille avec Ted Carroll qui est en fait une catastrophe : «But the thing that Ted had built upon, he’d opened the doors for us getting to the top. But they were closed again because we’d split with him» (Ted nous avait ouvert les portes vers le succès, mais elles s’étaient refermées, parce qu’on avait coupé les ponts avec lui.) (Une histoire malheureuse qui rappelle singulièrement la brouille entre Sam Phillips et Charlie Feathers.) Jesse prend ensuite contact avec Raw, le label sur lequel sort l’unique album des Gorillas. Mais comme Jesse n’a pas envie de retourner jouer dans les pubs, il ne fait pas de promo. L’album s’est débrouillé tout seul : John Peel le passait et tous les journalistes le saluaient. Et puis quand les machines, les Human League et les Spandeau Ballet sont arrivés dans les années quatre-vingt, Jesse a décidé d’arrêter les frais. «And that’s the end of the Hammersmith Gorillas».

 

Et aujourd’hui ? Pour Jesse, plus question de remonter sur scène : «When you go back, you’ve got to be pretty good ! I’m sixty six now, I’m not a young kid. What we did do, I might not be able to do !» (Quand tu reviens sur scène, t’as intérêt à être vraiment bon. J’ai soixante-six ans maintenant, je ne suis plus très jeune. Je ne crois pas que je serais capable de refaire ce qu’on faisait !)

 

Vient aussi de paraître un 45 tours du Darryl Read Group, «On The Streets Tonight», co-écrit par Jim Avery de Third World War. Les amateurs de proto-punk explosif feraient bien de se hâter de le rapatrier, car c’est un tirage limité à 500 exemplaires.

 

Lors d’un concert organisé à la campagne pour une fête de la musique - voici deux ou trois ans - Damien était venu boire un coup. Comme j’étais à pieds pour redescendre en ville, il m’avait proposé de me déposer. Nous étions évidemment tous les deux ronds comme des queues de pelles. On roulait toutes les vitres baissées à travers des agglomérations désertes, avec ce qu’il fallait de musique pour s’attirer des ennuis. En arrivant en ville, je me souviens vaguement de lui avoir dit qu’il roulait dans un sens interdit, mais on rigolait tellement qu’on était incapables de s’arrêter à ce genre de détail. Bizarrement, sa voiture ultra-moderne était encore équipée d’un lecteur de cassettes. Pour finir la soirée en beauté, il avait choisi une cassette, l’avait glissée dans le lecteur et m’avait dit : «Écoute ça ! Tu n’entendras jamais ça ailleurs !» Il s’agissait d’une émission de la BBC enregistrée avec un Jesse en verve qui présentait des morceaux inédits. De la pure dynamite. Comme à son habitude, Damien avait mis le volume à fond. Une bonne moitié de la ville avait dû en profiter, vous savez comme les fins de nuits sont calmes vers la fin du mois de juin.

 

 

 

Signé : Cazengler, qui préfère les Hector aux hectares

 

Hammersmith Gorillas. You Really Got Me. Penny Farthing. 1974

 

Gorillas. She’s My Gal. Chiswick. 1976

 

Gorillas. Gatecrasher. Chiswick. 1977

 

Crushed Butler. Uncrushed. 25 cm + DVD. 2012

 

Crushed Butler. Uncrushed. CD RPM. 2005

 

Gorilla Garage. The Jesse Hector Story. CD RPM. 2005

 

Hammersmith Gorillas. Gorilla Got Me. CD Big Beat 1999

 

Jesse Hector and the Gatecrashers. Keep On Moving. EP 1999

 

Vive Le Rock #15. November december 2013 + Shindig! #35

 

Darryl Read Band. On The Streets Tonight. Last Years Youth Records. 2013

 

Sur l’illustration, de gauche à droite : Alan Butler, Gary Anderson et Jesse Hector

 

 

18 – 01 – 14 / CHAVIN ( 36 )

 

 

CLUB 931 / THE JALLIES

 

 

Un samedi soir pépère pointe le bout de son nez à l'horizon de ce début d'après midi. Nous sommes allongés, chacun sur notre canapé, face à face. La chienne me lance un coup d'oeil interrogateur. L'a deviné mon état d'esprit, je suis comme le crocodile qui se lamente dans son marigot, n'ai-je donc tant vécu que pour cette léthargie ? S'ennuie, l'a envie de sortir, une grande virée, pas une de ces promenades hygiéniques où l'on se contente de faire pipi devant la porte du voisin, non un truc qui sorte de l'ordinaire, tiens un concert de rock par exemple. Elle adore cela. Moi aussi. Le téléphone sonne, c'est Mister B, la mélancolie du blues embrume sa voix, si je ne lui propose pas un truc déraisonnable, va se mettre à haïr les week ends. « Tu sais, c'est un peu loin, vers le centre de la France, y en a pour plusieurs heures... » Je sens sa voix qui s'éclaircit : «  En effet ce n'est pas à côté, mais en y réfléchissant... » Je le coupe, c'est le moment de sortir l'argument massue, imparable  : «  Ce sont les Jallies ! ». «  Les Jallies ! Pas de temps à perdre, tu passes me chercher dès que tu es prêt ! ».

 

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Vous raconte pas l'autoroute, c'est une fois que l'on l'a quittée que l'inquiétude nous gagne. La cambrousse absolue. La nuit noire, striée de pluie. Brrr ! Pas une seule fois le nom de Chavin ne s'inscrit sur les rares poteaux indicateurs que nous croisons. Heureusement que le GPS a l'air sûr de lui, ce qui ne l'empêche pas de nous aiguiller imperturbablement sur des chemins vicinaux de plus en plus étroits. «  Tu crois que ça existe vraiment, ce bled ? » Je rassure Mister B avec un deuxième argument tout aussi imparable que le premier «  Si, si, même que Crazy Cavan y était au mois de juin. »

 

 

L'on n'est pas plus godiches que les englishes tout de même ! Un quart d'heure plus tard la Teuf-teuf se gare dans un pré ruisselant d'eau à quelques dizaines de maîtres d'une construction parallélépipédique un peu basse sur pattes. Quelques sombres silhouettes agglutinées sous un semblant d'auvent sont les seuls signes d'une présence humaine.

 

 

931

 

 

Sourires et serrements de mains. En une seconde nous avons l'impression de renouer avec la civilisation. Cuirs et jeans, il est évident que nous sommes en terrain rock. Attention, l'intérieur ressemble à un local de bikers, amélioré tout de même. Ne serait-ce que la chaleur qui dissipe l'humidité de cette interminable averse de crachin qui nous accompagne depuis plus de deux heures. Bar ( bière et cafés chauds, chili réconfortant ) pas cher, poster de bécanes, photos rock, eh bien non, la scène, la piste de danse, le coin tables basses, tout indique que nous sommes dans un endroit dévouée à la musique. Si vous aimez la variétoche abstenez-vous, ici les lieux sont dévolus au rock'n'roll, au blues, au rockabilly... et la plupart des groupes que nous avons chroniqués dans Kr'tnt ( et bien d'autres ) sont déjà passés par ici. Ou alors seront programmés dans les mois qui suivront.

 

 

Sourires et bises, ce sont les Jallies toute surprises de nous retrouver si loin de nos territoires de chasse. Peu de monde encore, les filles en profitent pour se refaire une beauté ( comme si elles en avaient besoin ! ) sur une petite glace portative. «  Ô Miroir, eau froide par l'ennui dans ton cadre gelée, que de fois et pendant des heures, désolée des songes et cherchant mes souvenirs qui sont comme des feuilles, je m'apparus en toi comme une ombre lointaine, miroir suis-je belle ? ». C'est beau comme du Verlaine, mais c'est du Mallarmé.

 

 

Comme nous sommes des gentlemen nous les laissons à leurs si féminines occupations pour discuter entre mecs de la seule chose sérieuse qui vaille le coup sur notre maudite planète, le rock and roll. Par exemple avec Jérémy, qui est une véritable encyclopédie, collectionneur de disques et organisateur de concerts. L'a tout vu et tout entendu. Aucune vantardise, le simple désir de partager sa passion, tellement rare aujourd'hui.

 

 

FIRST SET

 

 

Un détail qui ne trompe pas. Sans être petit le local n'est pas énorme, mais l'on a pensé aux musiciens, ne sont pas collés les uns aux autres comme des sardines dans une boîte, ont de l'espace pour bouger et respirer. Julio est presque au niveau des filles, elles se dépêchent de lui trouver un job qui l'occupera de temps en temps à l'arrière, l'est chargé de tourner les boutons de la sono tout le long du concert pour veiller à l'intensité sonore.

 

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Vais pas vous dérouler la set-list dans le détail, c'est la douzième fois que nous les chroniquons en treize mois – mais quand on aime, on ne compte pas – préfère m'appesantir sur les réactions du public. Ca ne rate pas, au premier morceau les visages s'illuminent, au deuxième les applaudissements crépitent, au troisième, elles sont comme le meneur de rats de la ville de Hamelin, elles ne jouent pas de la flûte, mais si les fils des guitares étaient assez longs, elles emmèneraient l'assistance se noyer dans l'Indre. Non, ne sont pas si cruellement démoniaques, quoique le pauvre Julio en prenne plein les dents. Elles ont juste envie de nous offrir du bon temps – tiens, puisque après le show l'on proposait de nouveaux titres pour leur répertoire, Let's The Good Rime Roll du vieux Fats, conviendrait parfaitement à leur répertoire, suis certain qu'elles en offriraient une version des plus jallinesques – et ça commence à guincher sur le parquet. C'est que le monde commence à affluer, et que la salle n'en finira pas de se remplir jusqu'à la fin du concert. C'est à ce moment précis ( 23 h 25, P.M. ) que j'entrevois une des clefs du succès des Jallies. Leur musique fonctionne, comme ces antiques groupes de bal country des Appalaches au début du siècle précédent. Pétillent de joie festive, tout en offrant une qualité musicale de haut-niveau. Musique populaire au sens noble de ce mot, en prise directe sur nos émotions. Elles traduisent par l'entremêlement de leurs voix, ce désir d'être ensemble, cette convivialité de tous entre tous, cette force souveraine qui émane d'un groupe social qui lutte pour sa survie. Musique d'espérance libératrice. Le swing comme principe d'expansion émancipatrice et le rockabilly comme expression de ces accumulations de colères rentrées qui ne demandent qu'à exploser. Rage et allégresse alternées.

 

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SET 2

 

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De sacrés danseurs dans la région. Ca rocke fort comme l'on dit du côté de Millau. Sans frime, sans exhibition, pour l'unique plaisir de virevolter et de faire tournoyer les filles comme des toupies et d'enchaîner les gars dans une ronde folle. A l'image de nos trois jalinettes qui changent de micros dans un menuet incessant. S'amuse comme des folles, des filles qui se piquent des fringues, et qui s'éclatent de se balader avec les oripeaux des copines. Echange qui relève du don et du partage. Plus Julio qui tient le rôle du valet de pique, celui qui se retrouve toujours tout seul. Possède tout de même un superbe lot de consolation, sa contrebasse dont il use sans modération. Les trois trapézistes peuvent se jeter dans le vide, Julio est là pour les rattraper dans le filet de ses cordes. Avec cette assurance tous risques, nos trois sorcières conduisent leur ballet sans crainte.

 

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Céline, Vanessa, Ady. Bouquet de roses, de neige claire, de safran soufré, et de sombre bleuïté. Céline qui nous étourdit de ses vocalises et nous caresse de sa blanche Fender, Vanessa qui nous griffe de sa voix et nous cogne de sa caisse claire, Ady qui crie le blues et nous grise de sa Gretch électrique. Plus haut, plus vite, plus fort. Ne nous laissent aucun répit. Toujours ces sourires enjôleurs qui nous mettent en attente fébrile de la suite et ensuite cette virevolte de rythmes qui s'envolent s'échappent, mais qu'elles capturent au vol et se passent les unes aux autres comme le furet du bois joli, qui court, qui court, et ne se rattrape jamais. Même lorsque au troisième rappel, elles hésitent et tergiversent sur le dernier titre. La salle aimerait les garder, surtout ces couples informels qui changent de partenaires à chaque nouveau morceau et les derniers arrivants qui comprennent à la fiévreuse animation qui règne dans la pièce qu'ils ont raté quelque chose. Dommage pour eux, tant mieux pour nous, mais avec les Jallies les absents ont toujours tort. Jallies, la féérie jaillit, telle l'eau miraculeuse des trois bouches d'or de la fontaine de jouvence.

 

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ROCK STORY

 

 

Les Jallies, certes. Mais aussi toutes ces discussions après le concert. Nous ne sommes pas chez des faiseurs. Pour certains le rock n'est pas uniquement une musique que l'on aime, mais un art de vivre, un engagement de toute une existence. Mister B est heureux, retrouve des légendes de son enfance lorsque son grand-frère le trimballait dans le milieu des premiers teds parisiens, les anecdotes et les souvenirs fusent, ce soir je tairai les noms et les aventures, par discrétion, sont des gaillards assez grands pour le faire eux-mêmes si l'envie les tenaillait. Tout ce que je dirais, c'est qu'il ne faudrait pas que ces pans entiers de l'histoire du rock en France, soient un jour perdus à jamais. Les rockers ont aussi un devoir de transmission. Quand on pense aux rares bribes de documents directs qui nous sont parvenus des premières bandes de blousons noirs de la fin des années cinquante et du tout début des années soixante, l'on se dit qu'il vaudrait mieux ne pas recréer un tel silence.

 

 

Ce qui est certain, c'est que malgré la distance, nous reviendrons un jour au Club 931. Premièrement ils passent de la bonne musique, mais surtout on s'y est senti bien.

 

 

Damie Chad.

( Photos d'Edonald Duck / New Morning )

 

 

 

 

 

16/01/2014

KR'TNT ! ¤ 172. HOWLIN' JAWS / OL' BRY / JOE FOSTER / MARILYN MANSON /

 

KR'TNT ! ¤ 172

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

16 / 01 / 2014

 

 

HOWLIN' JAWS / OL' BRY / JOE FOSTER

MARILYN MANSON

 

 

12 – 01 – 14

 

L'ALIMENTATION GENERALE / PARIS

 

 

OL' BRY / HOWLIN'JAWS

 

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Pas vu les Ol' Bry depuis le mois de mars et les Howlin' Jaws depuis avril, Doktor Rock m'a confirmé qu'un rappel était nécessaire, comme pour la malaria et le typhus, faut s'inoculer le microbe au plus vite, sinon l'étiolement nous guette, et la faucheuse se rapproche. D'ailleurs pourquoi ai-je raté les Howlin' en décembre ? Parce que j'étais au lit tout tremblant de fièvre. M'en suis sorti de justesse avec trois jours de perfusion rock à gros débit. Donc l'excuse du dimanche soir et du boulot tôt le lendemain matin, ne saurait tenir. La teuf-teuf mobile a compris que ma vie était en jeu, Mister B n'en revient pas, alors que toutes les places de stationnement sont systématiquement occupées sur des kilomètres de trottoirs, elle nous déniche un emplacement sur lequel on alignerait sans difficulté trois trente-huit tonnes, à deux cents mètres de l'Alimentation Générale.

 

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N'y a pas à se tromper d'éléphant. De l'extérieur, avec ses deux vitrines et les boiseries vintage d'époque d'après-guerre ( la première ! ) L'Alimentation Générale se présente comme une antique épicerie de détails, d'avant l'invasion des grandes surfaces. N'ont même pas changé le nom sur le fronton. L'ont gardé et adopté. Parfum rétro-bobo assuré, et gratuit. Petit hall d'accueil, cinq euros l'entrée, toujours le dimanche soir, nous apprend la sympathique ticketeuse.

 

 

Grande salle. Beaucoup de piliers et peu de tables. Sur votre droite un comptoir de quinze mètres de long. A gauche, ils ont vu beaucoup plus riquiqui pour la scène. Futurs musiciens postulants, faites un jeûne de trois semaines avant de vous risquez dessus, avec son trois mètres cinquante fillette, vous ne disposerez que d'un espace vital très limité. Mais le pire, c'est la déco. Z'auraient pu tout repeindre en rose bonbon ou en jaune canari, voire prêter les murs à une moyenne section d'école maternelle. Z'ont préféré, une espèce de géométrisation de formes simples ( rectangles + ronds ) style tapisserie design dans le style des années 70. Un gris-bleu d'une tristesse à vous faire prendre un alignement de tombes cimentées dans un cimetière de banlieue pour une toile de Matisse.

 

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Bon, je ne suis pas ici pour vous faire suivre un cours d'art-déco. A huit heures pas un chat, à part les musicos attablés, le temps de dire bonjour et l'on part se faire un grec. Expression ô combien malheureuse quand on pense à la Grèce d'aujourd'hui – l'antique Hellade pour laquelle un Lord Byron ( un sacré rocker ) n'a pas hésité à sacrifier sa vie - rançonnée par le FMI et dépouillée par nos banques bien aimées. A neuf heures c'est rempli de jeunes et d'étudiants – beaucoup d'étudiantes en Erasmus - une majorité d'habitués pas spécialement fanatiques de rockabilly, mais venus là pour prendre du bon temps. Vont être servis. Chaud.

 

 

THE OL'BRY

 

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Les Ol' Bry tentent de monter sur scène. Difficile, marchent sur des oeufs. Les instrus à eux tout seuls, c'est déjà un peu juste. Et comme les musiciens se présentent à cinq, il faut se serrer sur l'étagère. Mais vont vite nous faire oublier le confinement qui les étreint.

 

 

Eddie allume le feu, se projette comme un fou sur le Slipin' and Slidin' de Little Richard. Voix tonitruante avec derrière le combo qui pète le feu. Le sax de Rémy n'est pas assez en avant, faut le chercher, et c'est dommage car il souffle bien. Il en sera de même durant les premiers morceaux, jusqu'au Going Home de Gene Vincent où à la technique l'on comprendra enfin que le vieux rhymth and blues des familles sans cuivre, c'est un peu comme le coq au vin sans Bourgogne.

 

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Mais je m'avance un peu, et je ne voudrais pas vous induire en erreur. Les Ol' Bry – c'est connu de tout le monde – sont célèbres parmi les combos de rockab actuels pour être celui qui a su inclure dans son son des relents frénétiques de Doo Wop, mais ce soir il apparaît nettement que le groupe a accentué son côté rockabilly. Moins de suavité dans la voix, le hoquet remplace l'onctuosité. D'autre part, dès le second morceau Eddie sort son arme maîtresse. Le groupe ne se contente pas de reprises. La moitié des titres du répertoire, comme le She Don't Care qu'il annonce, sont des compositions originales, entrecoupés d'hommages remémoratifs à des classiques du rock'n'roll et du rhythm an blues, ils ne déparent en rien la qualité de l'ensemble.

 

 

Mister B me souffle à l'oreille que le travail de Thierry sur sa contrebasse est souverain. L'est sûr qu'il bénéficie d'une retransmission technique sans faille mais c'est le swing à l'arrache qui fait toute la différence. Les cordes ronronnent comme des élastiques tendues à l'excès et toutes les intros et tous les ponts sont portés par ces vibrations qui s'entremêlent comme un noeud de serpents.

 

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Eddie balance tellement que sur My Babe il casse une corde de sa rythmique, ce qui ne l'empêche pas de marquer avec une égale férocité le tempo. Le vieux blues de Willie Dixon écrit par Dixon pour Little Walter l'harmoniciste de Muddy Waters. Cette adaptation prend ici tout son sens, My Babe provient d'un gospel traditionnel notamment repris par Sister Rosetta Tharpe et reformulé par Buddy Holly sous le titre Not Fade Away. Jeu de passe habituel entre les racines noires et blanches du rock'n'roll. Crossroad.

 

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Un Unchained my Heart, beau grain de gorge mister Eddie, ça râpe et ça fond, en même temps. Les demoiselles se trémoussent de plaisir devant la scène, ensorcelées, completely strolled. Ghost Highway en hommage amical aux Ghosts, et plus tard la reprise de Cause I forgot, en l'honneur de Mister Jull perdu dans la foule, pas besoin de monter sur l'estrade, Eddie reproduit à merveille le timbre de Jull.

 

 

L'hidalgo, derrière sa Squier Fender, c'est Diego, gravidad espanola sur le visage qui ne s'éclaire que rarement d'un sourire énigmatique lorsqu'il vous a piqué un petit solo dans le coeur, tiene dedos de oro, s'est dépris de toutes les fioritures latines qui enjolivaient son jeu au printemps dernier en faveur d'un phrasé beaucoup plus rêche et incisif, l'efficacité rock. L'enchaîne les morceaux sans s'attarder. Eddie a tout juste le temps de s'éponger la figure s'il ne veut pas prendre le train en marche. L'a laissé tomber sa chemise depuis longtemps, marcel et tatouage, il mène la danse sans faillir.

 

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Rémy le sax et Marcelo le batteur ne chôment pas. Sont en croisade exponentielle. Plus le show avance plus ils envoient la pression, Rémy est en souffle continu, exhale une note ronde cuivrée comme une coulée de miel et Marcelo se livre à un incessant ballet, ne marque pas vraiment le beat, joue des séquences rythmiques avec introduction, suites et salut final. Faut voir comment il ponctue ses petites saynètes. Prestance et élégance.

 

 

Le taulier vient rompre le charme, encore dix minutes et ce sera tout. Eddie parvient à caser tout de même trois derniers morceaux. Nous quitteront sur un dernier Let me Dance endiablé, très boogie. Une compo. Pas de rappel, juste le temps de promettre un super set des Howlin' qui vont suivre. Descendent de scène sous les applaudissements d'un public ravi qui en reprendrait encore trois bonnes louches avec avidité. C'étaient The Ol' Bry-llants.

 

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THE HOWLIN' JAWS

 

 

Sont déjà sur scène. Des crocs à rayer le plancher. N'ont pas branché leurs instruments que l'on sent l'électricité dans l'air. L'envie d'en découdre. Formation minimale. Trio, batterie, basse et guitare. Pas besoin de plus. Commando rock. Comme par miracle le public s'est épaissi. Pour le moment, ils sont penchés l'un vers l'autre, leurs silhouettes dessine comme un oeuf de tyranosaurus prêt à éclore. Une ogive nucléaire dont ils sont en train d'enclencher le compte à rebours.

 

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Sont polis, se présentent : «  Bonjour, nous sommes les Howlin' Jaws », sont gentils car ils détestent vous prendre en traître. Leur premier morceau s'intitulera Danger. Ce sont les deux seules qualités que nous leur reconnaîtrons, car pour le reste, tout le reste, ils sont méchamment rock'n'roll. Si vous n'aimez pas, rentrez chez vous, fermez la porte à clef, fourrez-vous sous le lit, et attendez que le tsunami rock soit passé. Personne ne peut rien faire pour vous. Les chevaliers de l'apocalypse sont insensibles à la pitié. Côté sono, l'on s'affole un peu. Le sonorisateur est un peu trop cartésien : «  Si la guitare jouait moins fort, l'on entendrait mieux la basse ». Ne pige pas les équations à entrées multiples, les Howlin' ne recherchent pas l'équilibre des fluides. Veulent que la guitare soit très forte et que la basse soit aussi très forte. Bien sûr, ça fait du bruit, mais c'est ce que l'on appelle le rock'n'roll. Sinon l'on jouerait du folk en acoustique. Et Djivan vous caresse les cordes de sa contrebasse d'un air dégoûté. Deux ou trois tâtonnements, et c'est réglé. Au maximum syndical. D'après moi l'on pourrait faire mieux. Mais l'on a évité le pire. Et puis le rock, c'est le son mais aussi l'énergie, et les Jaws en ont à revendre des tonnes. Sixteen exactement.

 

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Donc danger. Sur toute la ligne. Djivan le grand est à la contrebasse. La tient un peu de guingois car il est hors de question que le manche vienne se balader devant sa figure quand il chante. Ce qui est sûr, c'est que dans le couple qu'il forme avec sa doublebass c'est Djivan qui est le dominant. Ne s'en laisse pas compter par une gonzesse. Rocker jusqu'au bout du slap. La voix s'est affermie, a pris une belle plasticité, ne patauge plus dans le yaourt, découpe les syllabes, elle est un serpent mamba qui épouse les sinuosités de la branche sur laquelle il s'est enroulé. N'attend plus que vous passez à proximité pour vous inoculer la mort sûre à dose létale. Djivan est habité par une indolence naturelle. Le serein détachement du chat qui regarde le spectacle du monde d'un air amusé. Malheur à vous qui vous apprêtiez à le caresser, c'est un tigre royal altéré de sang, qui bondit sur sa proie toutes griffes ensanglantées dehors. Ce garçon charmeur est dangereux. Dans la vie de tous les jours il doit parvenir à donner le change, mais une fois dans son groupe de rock, le fauve est lâché.

 

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Donc péril. En la demeure. L'oeil bleu et le cheveu blond. Allure apollinienne. Lucas ne nous jette même pas un regard. Trop occupé par sa gratte. Sait s'en servir. A parfait son jeu depuis le printemps. L'était très bon. L'est devenu lui. N'aligne plus les plans. Est beaucoup plus libre. Souverain. Le seul à savoir où il va, et l'on suit les yeux fermés. Connaît de fameux raccourcis. Vous mène où il veut. Il frappe les cordes comme des étincelles de silex. Ne vous laisse jamais en paix. Pose hiératique, mais aux quatrième morceau ses mèches savamment peignés en arrière retombent de partout et forment comme une couronne de broussaille. Casque d'or, c'est ainsi que devait être Alexandre lorsqu'il menait la charge à Arbéles, cisèle des arabesques d'une élégance incomparable aussi brûlantes et ravageuses qu'un lance-flammes, tranchantes comme des sabres de samouraï. L'ivoire aiguisée des mâchoires, c'est lui. Grondement de train qui passe devant vous et vous laisse dans la stupeur de votre étonnement sur le quai désert. L'est déjà loin dans un somptueux bouquet de notes qui giclent de partout et vous traversent le corps comme des abeilles de braise.

 

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Donc pièges. Tout autour de vous. L'on ne le voit pas tout de suite. Comme tous les batteurs Crash Boum Hue, se bat derrière dans l'ombre. La frappe n'est pas lourde. Mais rapide. Ultra véloce. Avec les deux régiments de hussard qui caracolent devant sur sa droite et sa gauche, n'a pas intérêt à se laisser distancer. N'a pas le droit de laisser un espace vide par où l'énergie pourrait s'échapper. Fait la navette de l'un à l'autre tout en poursuivant son propre but. N'a pas le privilège d'être en retard. Pousse de temps en temps le vice jusqu'à être en avance, à leur ouvrir le chemin, à dégager le terrain à coups de nitro. Roulement de claquements secs, l'on a l'impression qu'il met la pédale douce sur un temps de suspension, mais c'est pour mieux laisser à ses deux acolytes l'opportunité de s'engouffrer ensemble dans la brèche qu'il vient d'ouvrir. Et il reprend son rythme infernal. La phalange au pas de course qui bloque toutes les issues de secours et qui interdit de retourner en arrière. Cours ou crève. Sans lui pas d'assise. Plus il tape, plus il s'aperçoit de la nécessité absolue de sa présence. L'en jubile. La joie irradie son sourire. A la fin il n'en peut plus, déborde d'euphorie, joue debout, et monte sur sa batterie.

 

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Les Howlin' culbutent le vieux rockab des familles. Lui foutent le feu au cul. Et le grand-père n'a pas l'air d'être mécontent de ce traitement de choc. S'en porterait même comme un charme. S'y prennent bien. Un tiers-temps rockab pour débuter, et un autre trente-trois pour cent du même acabit pour terminer. Attention ne donnent pas dans la reconstitution vintage. A chaque fois le pépé prend une sacrée dose de speed dans les rotules. De quoi dépoussiérer les oreilles et le plancher. Ca pète le feu dans les carburateurs. De quoi rendre les puristes du bon vieux temps un peu mi-figue, mi-raisin. C'est entre ces deux séquences – pas du tout radio-nostalgie - que ça se gâte. Pour tante Agathe. Qui pleure ses vingt ans. Qui ne reviendront pas. C'est qu'entre l'intro et la conclusion, ça dégénère sec. Les Howlin' ne sont pas à la recherche du temps perdu. Leur madeleine elle est terriblement électrique. Pas tout à fait psycho. Pas tout à fait garage. Mais foutrement rock'n'roll !

 

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Déterrent les racines. Mais pas pour les regarder s'étioler au travers du verre protecteur d'une serre stérilisée dans l'air confiné des vieux souvenirs. Les ont transplantées dans la jungle du vivant. Un peu de terre de jeunesse, un peu de délire survitaminé, un peu de la violence du monde, et les surgeons d'un new-rockabilly pointent dru, débordant de sève et de vigueur. N'ont aucun regret. Le rock'n'roll n'est pas une plante qui se sent à l'aise dans les cimetières. Les Howlin' Jaws poussent à la roue. Ils ont tout compris.

 

 

RETOUR

 

Super concert. Discussion dans le fumoir. Comme un sas de sécurité, avant de replonger dans le magma des jours grisâtres. Merci les Ol' Bry. Merci les Howlin' Jaws.

 

 

 

Damie Chad.

 

( Les photos prises sur le Facebook des artistes ne correspondent pas à ce concert )

 

JOE FOSTER

 

 

FOSTER PUSSYCAT kILL ! KILL !

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Le seul moyen de dénicher de l’info sur Joe Foster, c’est de suivre Alan McGee à la trace.

 

McGee fonda le label Creation au début des années quatre-vingt. Sur Creation, on trouvait le gratin du rock anglais : Primal Scream, les Boo Radleys, House Of Love, Teenage Fanclub, Ride, Nikki Sudden, les Bounty Hunters, Felt et bien sûr Oasis. La découverte d’Oasis fit de McGee un homme riche. Trop petit pour pouvoir gérer le succès commercial d’Oasis, il revendit Creation à Sony pour quelques millions de livres et il devint membre de la jet-set anglaise. Comme le font généralement les parvenus balzaciens, il ne put résister à l’envie de se mêler de politique et il entraîna Noel Gallagher dans les cercles du pouvoir, époque Tony Blair, l’une des périodes les plus fastes de l’histoire de l’hypocrisie politique à l’anglaise.

 

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McGee raconte tout le détail de ses aventures dans «Creation Stories - Riots, Raves and Running A Label». Son autobiographie se casse en deux, comme celle de Johnny Cash : on a une première moitié absolument passionnante, émaillée de rencontres avec des personnages fascinants et enrichie de tout le détail d’une consommation de drogues pantagruélique, puis break et seconde partie pépère où il ne se passe plus rien d’intéressant.

 

Le break, c’est la cure de désintox. McGee et Johnny Cash passent tous les deux à la casserole et ça finit mal - Cash découvre Dieu et McGee le coca allégé. Ils se mettent alors à délirer comme des beaufs sur la grande beauté de leurs résidences et de leurs relations sentimentales respectives, et - pour Johnny Cash - sur la rareté de la maladie dont il était atteint et qui semblait faire sa fierté. Quand McGee fait son break, c’est-à-dire la petite dépression post-désintox qui va le conduire à l’abstinence de fait - celle que dicte la morale - il est tellement fier de cette déprime qu’il nous en tartine plusieurs pages, et c’est assez choquant car ça n’a strictement aucun intérêt. Comme dirait mon amie la rose, faire étalage de ses déprimes, c’est manquer singulièrement d’élégance.

 

McGee est un petit mec originaire de Glasgow. Roucmoute et laid comme un pou, il a la chance d’avoir des copains comme Bobby Gillespie et Robert ‘Throb’ Young. Et la malchance d’avoir un père qui vient lui taper sur la gueule en pleine nuit, alors qu’il est en train de dormir. Ce qui l’autorise à dire qu’après ça, on ne craint plus rien ni personne. Dans son livre, McGee se bâtit donc une réputation de graine de violence. Mais quand on voit sa bouille, on se dit qu’il ne devait pas impressionner grand monde, à part la concierge de l’immeuble. Il aurait fait un excellent personnage de fable pour La Fontaine.

 

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Pendant la première partie de son livre, il roule sa caisse, et dans la seconde partie, il bat tous les records d’arrogance. Il se vante de tout un tas de conneries, comme par exemple d’avoir invité Bill Clinton chez lui et d’avoir rencontré Michael Jackson dans un jet. Il se vante même d’être devenu l’ami d’un McLaren qui mettait un point d’honneur à ne jamais payer une note au restaurant. Un boutiquier reste un boutiquier. Et chez McGee le parvenu, on retrouve tout ce qui chez un type comme Dave Grohl finit par donner la nausée. Quand on vient du monde magique des Mary Chain et de Primal Scream, on traîne théoriquement une sorte de parfum de légende, ce qui devrait induire une certaine tenue. Qu’on se rassure, le pauvre McGee n’a pas que des défauts, loin de là. Pourquoi Creation est devenu l’un des plus gros labels de l’histoire du rock anglais ? Tout simplement parce que McGee avait du flair.

 

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Si vous cherchez des anecdotes croustillantes sur Jesus & The Mary Chain, alors il faut absolument lire ce livre. McGee rappelle qu’on doit la découverte des Mary Chain à Bobby Gillespie qui récupéra tout à fait par hasard une cassette sur laquelle se trouvaient des démos des frères Reid. Et crac, Bobby craqua. Il envoya les Mary Chain chez McGee qui venait d’ouvrir un club à Londres. McGee raconte leur arrivée au club : «Avec leur allure complètement débraillée, ces punk-rockers d’East Kilbride arrivaient six ans trop tard. Les frères Reid étaient la version punk des Bay City Rollers.» McGee décrit dans le détail le premier concert des Mary Chain à Londres - Jim & William Reid, Douglas Hart (bass) et Murray Dalglish (drums). Ils n’avaient jamais joué sur scène auparavant et William Reid ne savait pas régler son ampli. Derrière la console se trouvait Joe Foster lui aussi parfaitement incapable de régler une sono. Résultat : le niveau de feedback battait tous les records. C’était intolérable. Et le problème s’aggravait de morceau en morceau. Voilà comment naquit la légende du sonic storm des Mary Chain. Ils allaient faire du chaos sonique - trouvaille accidentelle - leur fonds de commerce. Bobby prit la place de Murray Dalglish à la batterie et McGee devint leur manager : «Je les comparais aux Sex Pistols et je me prenais pour Malcolm McLaren. Je voulais générer du cash à partir du chaos.» (Il semble assez fier d’avoir réussi à recycler le fameux «cash from chaos».)

 

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Grâce à McGee, on entre dans la loge des frères Reid, on les entend bougonner à longueur de temps, puis on les voit monter sur scène pour des sets violemment écourtés qui se terminent systématiquement en grosses shootes. (Lors d’un concert à l’Élysée Montmartre, Jim Reid envoya son pied de micro en fonte dans la gueule d’un type qui se trouvait au premier rang. Le pauvre malheureux fut aussitôt évacué sur un brancard - typical Mary Chain). L’une des anecdotes les plus succulentes du chapitre Mary Chain est celle de The Old Grey Whistle Test : les producteurs de la célèbre émission de télé invitèrent les Mary Chain à venir enregistrer leur morceau à onze heures du matin. Comme ça, ils étaient certains de les voir sobres. C’était fort mal connaître les frères Reid qui se levèrent à six heures pour aller s’arsouiller et arriver au studio complètement ivres. McGee : «Le groupe avait l’esprit punk et il régnait à leurs concerts une atmosphère de violence qui avait disparu depuis des années, en Angleterre. Plus les concerts étaient importants, plus la tension montait. Les Mary Chain arrivaient en retard sur scène. Ils agressaient aussitôt le public. Ils disaient aux gens de fermer leur gueule et d’aller se faire enculer. Ils les traitaient de branleurs. Cerise sur la gâteau, ils jouaient très peu de temps.»

 

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McGee fréquentait aussi les Primal Scream qui sont restés longtemps dans le peloton de tête des Shooting Stars à l’anglaise. Ils prenaient de tout, de l’héro, du crack et de la cocaïne : «Avec les drogues, les Primal Scream se comportaient exactement comme les Stones : au grand jour et dans la démesure - champagne, cocaïne, héro.» À l’époque où ils enregistraient «Give Out But Don’t Give Up», les Primal Scream étaient pour ainsi dire paralysés par les excès. Ils s’enfermaient des mois entiers en studio et s’envoyaient en l’air. Jimmy Miller qui les produisait mourut d’une petite cirrhose très peu de temps après ces fameuses sessions. «Ce ne sont pas les Primal Scream qui l’ont tué, mais ça n’a pas arrangé les choses.» Comme les sessions d’enregistrement ne donnaient rien, McGee eut la riche idée de les envoyer à Memphis, histoire de les éloigner de leurs dealers et de Candem, où ils étaient censés enregistrer. «Le premier type qu’ils ont rencontré était un chauffeur de taxi qui dealait de la coke. Quand je suis arrivé, ils prenaient cette coke, certainement la plus forte qui devait exister au monde. J’en ai pris une ligne ou deux et je suis resté collé debout contre un mur à Memphis pendant trois jours pour être sûr que personne ne se glissait derrière moi.» Comme ils n’avaient rien produit en dix-huit mois, les Primal Scream finirent par comprendre qu’il fallait arrêter les conneries. «Alors ils ont arrêté l’héro et ils sont devenus alcooliques.»

 

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Dans Primal Scream, le personnage qui impressionne le plus McGee, c’est bien sûr Robert ‘Throb’ Young : «Il était le cœur palpitant du groupe. Il tirait sans doute son assurance de la grosseur de ses attributs.» Throb était l’un de ces purs rockers à l’anglaise, ceux qui jouent sur Les Paul et qui sortent un gros son. Il voyait plus Primal Scream comme des New York Dolls écossais et il fut hostile au virage acid house pris par le groupe pour «Screamadelica». Il détestait tellement cet album qu’il menaça cent fois de quitter le groupe. Mais bizarrement, il est resté.

 

Grâce à Throb, McGee fit un spectaculaire bad trip lors d’un voyage aérien : «L’hôtesse me demandait si j’avais pris de l’acide. Je voulais lui dire : ‘J’ai sniffé une ligne de coke aussi longue et aussi large que l’avant-bras de Robert Young’. Mais je ne l’ai pas fait.»

 

Très beaux portraits aussi d’Andrew Innes («Il a toujours été un bâtard cynique») et de Lawrence («Le premier album que Lawrence a enregistré pour moi était un truc de dingue : que des instrumentaux joués à l’orgue par Martin Duffy qui rejoignit Primal Scream plus tard.»)

 

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Clins d’yeux au Teenage Fanclub et à Guy Chadwick des House Of Love. Si on espère trouver dans ce livre des potins sur Oasis, c’est raté. McGee reste étonnamment discret sur les frères Gallagher, comme s’il avait peur de se faire casser la gueule.

 

Dès les premières pages, McGee fait l’éloge des Television Personalities. Il n’hésite pas à écrire qu’ils ont changé sa vie : «C’était en mars 1982, un concert Rough Trade. Quel set ! Il y avait une douzaine de copains à eux près de la scène. Ils portaient des costumes, têtaient des fume-cigarettes et se faisaient passer pour des aristocrates. Ed Ball jouait de la basse et Dan Treacy de la guitare. Joe Foster est monté sur scène pour chanter ‘Part Time Punk’ puis il a scié en deux la Rickenbacker de Dan Treacy, une guitare qui devait valoir au moins mille livres !»

 

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McGee allait ensuite embaucher Ed Ball et Joe Foster pour travailler chez Creation. Joe Foster sera aussi dans le bus, pour la première tournée des Mary Chain. «Joe Foster se prenait toujours pour Bob Dylan et il y avait une grosse consommation de speed dans ce bus. On faisait passer ça avec de la vodka polonaise.» D’après McGee, Joe Foster était un érudit des sixties. «Il connaissait les noms de tous les membres des Artwoods. Vous pouviez lui demander quel était le titre de la face B d’un single des Creation sorti uniquement en Allemagne, il vous répondait aussitôt. C’est lui qui m’a fait écouter le Velvet et les Byrds, et expliqué en quoi David Crosby était un compositeur de grand talent.» C’est la raison pour laquelle McGee va confier les clés de Rev-Ola, sa filiale de rééditions, à l’ami Joe. Tous les amateurs éclairés connaissent bien le fabuleux catalogue Rev-Ola.

 

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Mais Joe Foster devint incontrôlable assez vite. II prenait trop de speed et il avait le coup de poing facile. Apparemment c’était le genre de mec qui ne discutait pas. Il fallait que ça parte. Un jour, il en colla une belle dans le museau du responsable du réseau de distribution Rough Trade. McGee trouva qu’il avait dépassé les bornes. Il demanda à Joe de faire un break. Le break dura sept ans.

 

McGee est tellement prétentieux qu’il se croit encore plus cinglé que Joe Foster. «Je fais partie du très petit nombre de gens qui peuvent gérer sa folie. Certaines personnes pensent que je suis encore plus cinglé que Joe - c’est horrible. J’espère qu’ils se trompent.»

 

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Existe-t-il un lien entre Joe Foster le boxeur fou et Slaughter Joe, son pseudo de rocker ? Au niveau punch, certainement. Pour preuve, cette fantastique anthologie sortie en 2003 sur Rev-Ola : «Zé Do Caixao. The Complete Creation & Kaleidoscope Recordings». Sur la pochette, Joe Foster a un faux air de Souchon, alors que sur les rares photos de son passage dans les Television Personalities, il a un petit côté Besancenot.

 

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Au dos de la pochette de cette anthologie, on trouve un hommage signé Kim Fowley. Rien de moins. Joe et Kim se sont rencontrés lors de l’enregistrement de «Hidden Agenda» avec les BMX Bandits. Dès qu’il veut tout savoir sur les nouvelles tendances, Kim Fowley appelle Joe Foster. Pour Kim, Joe est le Sam Phillips, le Leonard Chess et même le Lee Hazlewood des temps modernes. Pour Kim, Joe est le grand spécialiste du garage anglais. Joe était à Detroit et on retrouve son histoire mêlée à celle d’Outrageous Cherry et d’Electric Six. Joe est une mine. Joe est partout. Il est aux origines de Jesus & the Mary Chain. Joe est aux sources de l’art-riot incarné par Brian Jonestown Massacre, Black Dice et BRMC. On parle ici de decadent feedback, de teenage riot et d’amplified dischord, de Pussy Galore, des Dirtbombs et des Butthole Surfers, de Dylan et de Nikki Sudden.

 

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Quand on commence à écouter «Zé Do Caixao», on se fait tout de suite harponner par «Positively Something Wild», un morceau absolument monstrueux, ultra-dynamique, emmené par une basse qui fend l’eau comme un cuirassé. Slaughter Joe a tout compris. Il est classique jusqu’au bout des ongles. On comprend que Mick Collins et Kim Fowley tapent du pied en entendant ce fouillis de guitares hurlantes. Tout y est, rythme d’enfer et solo maigrichon doublé de Farfisa, maelström incompréhensible, vache à lait de tous les mythes du rock, pureté aérienne, hallucinant solo de guitare résumeur de toutes les punky-motions, absolue nécessité de l’urgence. Slaughter Joe envoie sa basse voyager. Le son est plein comme un œuf, comme chez Mick Farren.Les guitares pleurent des larmes de sang. «I Know You Rider» qui suit est un joli clin d’œil aux Byrds. Au moins, Slaughter Joe sait faire sonner une basse ! Le trois est une reprise du Thirteen Floor Elevator, «Fire Engine». Joe tape dans le royaume étoilé du psyché texan. «Sally Go Round the Roses» qui suit est un vieux hit daté de 63 des Jaynetts, un girl-group originaire du Bronx. Ça psychette d’entrée de jeu. On voit même rôder le fantôme de Syd Barrett.Des nappes de guitare acidulées flottent dans l’air épais. Joe chante à nouveau du nez, comme son idole Dylan. Joe est le trésor caché du rock anglais. Avec «If I Die Before I Wake», on retrouve le bon vieux Diddley beat.La basse radine sa fraise. C’est le meilleur son de basse de tous les temps. Basse voyageuse, idéale pour ce genre de groove harcelant. Joe glapit et ça lui va bien. La pulsation est irrésistible. Du bon gros Bo, mais gonflé à l’extrême, rond et plein d’une fermeté enviable. Joe s’y promène comme d’autres se promènent sur les remparts de Varsovie. Il connaît toutes les arcanes des Byrds, de Syd Barrett, de Bo Diddley, de Roky Erickson, de Bob Dylan, il boit à toutes les sources en même temps.Il travaille exactement au même niveau que Kim Fowley. «Napalm Girl», c’est Dylan dans le garage des Mary Chain. Effet sidérant. Slaughter Joe a exactement la même énergie et la même classe que le Dylan de 1965. C’est d’une fluidité et d’une perfection absolument écœurantes. Dylan et les frères Reid, quel bon mélange ! Il fallait y penser. Les petits Jesus sont ce qui est arrivé de mieux à la vieille Angleterre, avec les Pretty Things et les Sex Pistols. C’est une bonne chose que Slaughter Joe se retrouve dans cette triangulation. Il pointe le cœur de l’ouragan. Joe sait comment doit sonner une guitare. Il sait qu’elle doit cracher son venin et hurler sa douleur.

 

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Et puis voilà «Tangerine». Et là, Joe se met à sonner comme le Dave Clark Five, son son s’envole tout seul. Il ramène à la surface toute la vitalité de la pop underground, Paul Revere & The Raiders et tout ce qu’on voudra. C’est trié sur le volet. Slaughter Joe fait exactement comme Nick Kent et Kim Fowley, il réinvente l’histoire du rock.

 

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S’ensuit «The Lonesome Death Of Thurston Moore». Joe balance des cris splendides. Le morceau bascule dans une sorte de folie. En réalité, Joe Foster amplifie les effets qu’avait inventés Dylan. Et toujours cette basse fascinante, noyée sous des nappes épuisées de réverb. Un son comme on n’en voit plus guère de nos jours. Joe est un mec qui peut tout se permettre. On finit par voir en lui une sorte de caméléon super-naturel.Ça finit même par devenir inquiétant. Il n’est pas logique qu’un mec aussi brillant soit passé à la trappe. Ou c’est une conjuration, ou c’est un déni de justice. «I’ll Follow You Down» est probablement le grand classique de Joe. Voilà encore du pur Mary Chain. D’horribles guitares se mettent en branle.Le morceau noircit comme un ciel d’orage. D’hirsutes mécaniques de garage psyché rampent de chaque côté de la voix - Hey ! I’ll follow you down ! - On entre là dans un monde de pureté garage, avec un son tendu, serré, dangereux, moite, mortellement raide. C’est le soundtrack d’une catastrophe imminente, et Joe vous balance un solo d’harmonica digne de Van Morrison. On comprend que Kim Fowley soit tombé de sa chaise à ce moment précis. «Surely Some of Slaughters Blues» nous ramène chez Bob Dylan. C’est plutôt une bonne chose. Si on osait, on dirait que cet album est l’album caché de Bob Dylan. Tout y est, la puissance des compos, les orgies sonores, l’inventivité des temps modernes, la touche de génie, la frénésie, l’envie d’en découdre, la morsure du destin. «She’s So Out Of Touch» suit de très près et nous plonge dans le Velvet. Comme par miracle. Joe sort exactement le même son que celui de «Some Velvet Morning», avec les touches de xylophone. L’animal chanterait presque comme Lou Reed. Hallucinante symbiose. C’est à ne pas croire.Rien ne peut échapper à Joe Foster. Son tableau de chasse laisse rêveur. Il est constamment dans le vrai. Il ne touche qu’à ce qui est bon.

 

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À part cette anthologie, il n’existe pas grand chose de Joe Foster sur le marché. Le seul album des Television Personalities auquel il participa fut «Painted Word». Fabuleux album bourré de petites pépites pop inspirées soit du Velvet, soit de Dylan. Ils réussissent le prodige de faire sonner «Stop And Smell The Roses» comme «All Tomorrow’s Parties», avec les accents gothiques de la voix de Nico. «A Sense Of Belonging» est une merveille digne des grandes heures de Dylan. «Say You Won’t Cry» revient aux atmosphères altérées du psyché délicat, finement teinté de gothique à la Nico et mêlé d’accents acides dignes des Byrds. Dan Treacy et Joe Foster n’avaient pas besoin de raconter leur vie. Il suffisait d’écouter leurs chansons pour savoir quels disques ils écoutaient. On trouve sur la face B une petite merveille de pop musclée intitulée «You’ll Have The Scream Louder», montée sur une ligne de basse entreprenante, ronde et présente, qui rebondit à chaque temps, parfois grêlée de notes doublées, fabuleusement souple, un modèle dynamique digne des grandes lignes de basse de Keith Richards. «Happy All The Time» est une féerie décadente mélodiquement parfaite et doublée d’accords incroyablement acides. Tout l’acid-rock londonien est là - I wish I was happy all of the time/ In my mind. L’autre grosse pièce de l’album est un nouveau clin d’œil appuyé au Velvet qui s’appelle «Back To Vietnam». Ils chantent ça à deux voix sur un riff répétitif qui évoque «Sister Ray» et qui renvoie, par l’acidulé du jeu des guitares, au puissant «Eight Miles High» des Byrds. En plein dans le mille. Long et beau comme du white heat velveto-byrdsien.

 

 

 

Signé : Cazengler, fosterisé du ciboulot

 

Alan McGee. Creation Stories - Riots, Raves and Running A Label. Sidwick &Jackson 2013

 

Slaughter Joe. Zé Do Caixao. The Complete Creation & Kaleidoscope Recordings. Rev-Ola 2003

 

Television Personalities. The Painted Word. Illuminated Records 1984

 

 

 

 

 

MARILYN MANSON

 

( + neil strauss )

 

 

MEMOIRES DE L'ENFER

 

 

( Traduction de Gilles Vaugeois )

 

( DENOEL X-Trême / Mars 2003 )

 

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Plus de trois ans que le book séchait sur l'étagère musique de mon bouquiniste préféré. Trouvai toujours autre chose de plus intéressant à prendre. Marilyn Manson, je n'avais rien contre. Rien pour, non plus. Ma fille possédait un de ces CD... qu'elle écoutait dans sa chambre. Une anecdote plutôt sympathique à son sujet d'un ami pas du tout branché rock qui avait vu le film-enquête Bowling for Colombine de Michaël Moore. Deux lycéens qui avaient massacré au fusil semi-automatique douze de leurs condisciples et un professeur. L'était un peu choqué le copain : « De toutes les personnes interrogées tout le long du film, je n'en ai trouvé que deux qui tenaient des propos sensés, un flic très critique par rapport au rôle social de la police et de la justice, et un gars dont je n'ai pas retenu le nom, il était présenté comme un chanteur de rock – tu dois connaître, il porte un prénom de fille - qui a été l'unique intervenant qui ne se soit pas livré à un laïus bien-pensant sur les méfaits de la délinquance, mais qui s'est contenté de dire que l'on aurait mieux fait de s'inquiéter de ces meurtriers avant qu'ils ne passent à l'acte. »

 

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Comme il n'y avait rien d'intéressant sur le rayonnage, je l'ai pris pour les longues soirées d'hiver. Comme nous étions au mois de décembre, me suis dévoué. Qu'importe le flocon pourvu qu'on ait l'ivresse ! Surpris, m'attendais à un truc commercial torché à la va-vite pour les fans, beaucoup de photos, des déclarations à l'emporte-pièce et une mise en page éclatée pour occuper un maximum d'espace avec un minimum de bla-bla. Ben, non ! C'était un livre, un vrai, quelques illustrations, quelques reproductions de documents, et beaucoup de textes en petits caractères. Mais j'en reparlerai.

 

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Mémoires de l'Enfer. Titre flon-flon. Frères croyants, je regrette de vous décevoir mais je vous avertis qu'en parfait mécréant, je n'ai jamais davantage cru au méchant Diable qu'au Bon Dieu. Je veux bien admettre que le grand cornu montre un peu sa protubérance dans le fameux croisement de Robert Johnson, et un tantinet sa patte griffue sur le volant du hot-rod de Race With The Devil de Gene Vincent, mais déjà avec les Rolling Stones il vous adresse un sourire des plus sympathiques, et dans la myriade des Hot Rails to Hell des groupes de heavy-rock, l'évocation de ce personnage de carton-pâte est un prétexte à d'homériques glissandos de guitares ultra-speedées et jouissives, l'a beau s'égosiller qu'il maudit votre pomme jusqu'au trognon, vous avez du mal à le prendre au sérieux.

 

 

Mais ne plaisantons plus. Ne confondons pas l'Enfer avec son supposé propriétaire. Marylin Monroe parle de cette indésirable contrée au même titre qu'Arthur Rimbaud qui y séjourna toute une saison. C'est que notre starlette rockeuse ne s'aventure pas plus que le père Rimbe dans les demeures infernales de Belzébuth. En voici deux qui ont tout compris. Et qui assument, n'accusent point les copains comme Jean-Paul Sartre qui déclarera que l'Enfer c'est les autres... Vont nous décliner leur enfer sous toutes les coutures. Encore que dans le bled paumé de son Ardennes natales, l'Enfer de Rimbaud reste légèrement étriqué. Tout se passe surtout dans sa tête. Au-dehors, ce n'est ni la foule, ni la joie. Quelques bocks de bière à la terrasse des cafés à zieuter les filles interdites et quelques cigarettes de hachich les jours de chance, tout cela ne va pas chercher bien loin. La poésie sera son refuge, la chanson de sa plus haute tour. Marilyn est nettement mieux loti. L'Amérique est immense et peuplée d'une foule de décavés et interlope... Sans compter les progrès techniques accumulés depuis un siècle... Quand on pense que Rimbaud ne possédait même pas un tourne-disque pour écouter Alice Cooper ! Ne vous demandez pas pourquoi il a si mal tourné.

 

 

LE CHRIST ROI

 

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Né en 69 dans une famille américaine moyenne. L'enfer, autrement dit. Ne grattez point le vernis de surface. Sous les écailles la chair est beaucoup plus putréfiée que l'on aurait imaginé. Le père est un vétéran du Vietnam. La guerre ne l'a pas arrangé. L'a mis un couvercle sur ses cauchemars mais dessous la marmite est en ébullition. Le grand-père paternel est plus propre sur lui. Passe son temps à bricoler son circuit de train électrique dans son atelier qu'il s'est aménagé dans la cave de la maison. C'est là que le petit Brian et son cousin Chad ( non, non, ce n'est pas moi, je vous le jure ) sont pour la première fois confrontés aux dessous brûlants de l'iceberg humain, les deux enfants découvrent la collection des revues pornos du grand-papa, ses antiques sexual toys et quelques dessous féminins affriolants... De quoi alimenter de nombreuses phantasmagories.

 

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L'école est moins intéressante que l'antre du pépé. Les parents n'ont pas envoyé leur fils à l'école publique. Ont préféré payé la pension de l'Heritage Christian School, un établissement épiscopalien. Sont ainsi sûr que le rejeton sera élevé dans les vertueux chemins de la morale. Grosso modo, les épiscopaliens sont des catholiques qui refusent l'autorité du pape, aux USA la doctrine s'est fortement teintée de puritanisme protestant. L'on nettoie les corps, cheveux longs interdits, tenues décentes exigées, l'on passe l'âme l'âme à la machine à laver de l'armageddon trois fois par jour. La fin du monde est proche, peut-être avant le week end, tenez-vous à carreau car la colère de Dieu est terrible. Qui aime bien, châtie bien. C'est vrai puisque c'est écrit dans la Bible. Faites particulièrement gaffe, le Diable sait que dans quelques jours son règne sur cette terre sera terminé alors il lance ses dernières légions dans la bataille pour emporter avec lui un maximum de pêcheurs dévoyés dans les fournaises de l'Enfer. Ne cédez pas aux mirages du sexe ni aux sirènes des chants tribaux particulièrement pernicieux. Pour cette dernière recommandation l'on apporte des précisions et l'on cite des exemples précis : rock'n'roll, Kiss, groupes de hard rock... je vous laisse compléter la liste.

 

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Hélas, j'ai le regret et le devoir de vous annoncer une terrible et triste nouvelle, le jeune Brian comprend tout à l'envers, il collectionne les revues honteuses, les revend à ses camarades de classe, etc, etc... et s'entiche des groupes de rock les moins recommandables comme Judas Priest ( rien que le non déjà ), Bon Jovi, AC / DC et quelques autres du même acabit... Un sale garnement qui commet toutes les crasses inimaginables pour se faire virer au plus vite de cet enfer scolaire. Comme ses parents envoient religieusement leur chèque à chaque échéance, l'on usera d'une grande et patiente mansuétude envers ce rebelle si remuant.

 

 

LE ROI DU MONDE

 

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L'adolescence est un âge ingrat. Trop grand pour rester petit et trop petit pour devenir grand. Premier problème pour les garçons : les filles. Ne sont pas si coopérantes qu'on le souhaiterait. Le jeune Brian n'est pas un Don Juan. Espère beaucoup, mais du rêve à la réalité le fossé est large. Les premières expériences ne virent pas à l'extase. Heureusement qu'il y a le rock'n'roll et les copains ! Le rock présente des aspects frustrants. Coincés dans leur petite ville les adolescents américains n'en croient pas leurs oreilles : à la seule écoute d'un trente-trois tours de heavy-rock le chanteur a emballé douze nanas, remporté deux ou trois bastons, niqué une armada de policiers, avalé un demi-bocal de pilules, et convoqué deux ou trois fois le sieur Lucifer qui s'est servilement plié à ses quatre volontés. Le tout en moins de quarante-cinq minutes, chrono en main.

 

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Mais il ne faut pas s'attarder sur ces aspects décourageants. Le rock est une sacrée décharge d'énergie. Délivre à tout moment un message subluminal accessible à tous. Do It Yourself, si ça te plaît, fais-le toi-même. Prends ta vie en main, bouge-toi le cul, secoue-toi les morpions, le premier crétin venu est capable de transformer son vide existentiel en opéra féérique. Suffit de vouloir. Nul besoin de courir au bout du monde, regarde autour de toi, il y a plein de grands frères qui ont déjà emprunté les chemins détournés. Se procurer de l'alcool est un jeu d'enfant, une âme compatissante vous passera votre premier joint, imbibez-vous, enfumez-vous, le reste viendra sans crier gare. Soyez un peu systématique et bientôt de vous-même vous demanderez davantage.

 

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Eloignez-vous des centres villes, fréquentez les endroits discrets et retirés, propices aux trafics de toutes sortes, idéaux pour les fêtes un peu trashy-trashy. Derrière les cimetières, dans les masures abandonnées, vous pourrez tracer un cercle sur un vieux plancher démantibulé et récité les rituels interdits après avoir sacrifié quelques animaux innocents... Pour la suite de l'histoire, vous demanderez à ceux qui ont eu le courage de rester ce qui s'est réellement passé. A l'intérieur de votre tête. Ou à l'extérieur. Choisissez la solution que vous voulez, de toutes les manières l'Amérique est pleine d'adolescents détraqués. D'adultes aussi, mais ce n'est pas notre sujet. L'important est de passer à l'acte.

 

 

VERS LE ROCK

 

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Dix-huit ans, Kid Brian s'éteint doucement, finira par laisser sa place à Marilyn Manson. La famille a déménagé, de l'Ohio l'on est descendu en Floride. Notre héros a décidé qu'il deviendrait écrivain, même si les revues refusent ses textes et ses poèmes. Obliquera vers le journalisme – Edgar Poe n'était-il pas directeur de journal ! – s'occupera de la rubrique rock. D'abord c'est un passionné, l'a aussi un job dans un magasin de disques. Commence par chroniquer les galettes et est bientôt chargé de réaliser les interviewes des vedettes rock qui passent à Miami. Rencontrera Debbie Harris ( l'importance de l'apparence physique ), Malcolm McLaren ( spécialiste de la manipulation des medias ) et Trent Reznor le leader des Nine Inch Nails ( un modèle musical à suivre ). Mais Bowie l'a prédit : il y a ceux qui écoutent la musique et ceux qui la font. Marilyn Manson décide de jouer dans la deuxième catégorie.

 

 

L'OUTRAGE

 

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Depuis longtemps il se maquille les yeux. Beaucoup de noir. Marilyn Manson n'est pas un partisan de la discrétion. Tant à se faire traiter de pédé autant rajouter une touche de fond de teint, et pour faire totalement tantouze enfiler une robe. Parce qu'il aime ça. Mais aussi parce qu'il commence à théoriser sa démarche. L'Amérique est à l'image de l'être humain et de la lune. Une face sombre, une face ensoleillée. Ce n'est pas une question de couleur de peau. Ne nous refait pas le coup d'Al Jolson ou des Black Minstrels. La noirceur est à l'intérieur. Enfermée à triple tour dans la cage de notre boîte crânienne. Marilyn Monroe a décidé de laisser sortir le tigre altéré de sang qui est au-dedans de nous. Le laisse se pavaner en pleine ville. La bave aux lèvres assoiffées de sexe. Vous montre tout ce que la société fait semblant de ne pas savoir. La grâce féline de la fragile Monroe, la cruauté de Manson le gourou fou exécuteur de Sharon Tate. Vous pouvez inverser la donne : les turpitudes sexuelles de la Diva et la pureté des intentions du Mage Transcendantal.

 

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Pour l'image et la bande-son, ce sera du glam-indus, lourd, puissant et joué à fond les manettes, avec en bruit de fond, mais mixé très en avant, les poèmes du leader maximum. Marylin Manson, ne veut pas choquer pour choquer. Simplement pour tendre un miroir. Ne dites pas que je suis laid car je vous ressemble. Je ne suis que votre reflet. Si je vous fous la frousse, c'est parce que vous me faîtes peur depuis le jour de ma naissance. Si je suis l'excrément, votre société est la merde.

 

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Le premier concert se déroulera en 1989, mais le premier album Portrait of An American Family ne paraître qu'en 1994. Les chaotiques concerts de Marilyn Manson attireront très vite l'attention des milieux conservateurs. C'est qu'il ne mâche pas ses mots, ni dans ses textes, ni dans ses interventions scéniques, ni dans ses déclarations médiatiques. Ne prend pas de gants pour se déclarer anti-chrétien. Dans un pays rétrograde comme les Etats-Unis, faut avoir un sacré culot pour bâtir sa crèmerie sur un tel concept. John Lenon avait dû faire ses plus plates excuses pour avoir déclaré que les Beatles étaient plus célèbres que le Christ. Marilyn Manson ne baissera jamais sa culotte – ou alors sur scène – nommera même son deuxième 33 Tours, Antichrist Superstar, afin que tous les born again de la terre sachent qu'il ne sera jamais des leurs.

 

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Pour enfoncer le clou là où ça fait le plus mal – dans le corps du Christ – il accepte d'être nommé Révérend de l'Eglise de Satan d'Anton LaVey. Ce n'est pas du tout une renonciation de Marylin Manson à son athéisme militant. Pour Anton LaVey, Satan n'est pas un esprit, simplement un nom commode pour attirer la foudre des esprits étroits, et le nom de ce que nous sommes : l'homme. Un animal au même titre que tous les autres. Mais les puritains sont insensibles aux nuances. Brandissez l'épouvantail de Satan et les voici devenus fous. Anathèmes, dénonciations calomnieuses, manifestations, prières de rue, interdiction de concerts, tout est bon pour dénoncer la bête nuisible à abattre.

 

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Quand on pense qu'en 1977, Patti Smith affirmait que Jésus était mort pour nos pêchés, mais par pour les siens, et que l'on voit la grande prêtresse spirituelle de l'amour avec un grand A qu'elle se targue d'être devenue de nos jours, l'on se dit que les amerloques ont sacrément le christianisme chevillé au corps pour qu'il transpire de la peau de ses enfants terribles si facilement... La geste de Marilyn Manson, ne nous en apparaît que plus belle et téméraire, très rock and roll pour le dire en trois mots.

 

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BON BOOK

 

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Marylin Manson est le fils contre-nature d'Alice Cooper et d'Aleister Crowley. Pour le prophète 666 de la Bête nous vous renvoyons à notre trop courte chronique de la traduction de Magick opérée par Philippe Pissier ( livraison 162 du 07 / 11 / 13 ). D'Alice Cooper il tire son côté burlesque, grand guignol et grotesque, et d'Aleister Crowley son intransigeance intellectuelle, cette volonté iconoclaste de mettre ses mots en accords avec ses actes. Marilyn Manson est la face cachée et grimaçante de l'autre Amérique, celle de nos plus énormes fantasmes.

 

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Lisez ce livre, il est beaucoup plus fort que le bouquin STP : A travers l'Amérique avec les Stones de Robert Greenfield qui comparé à cette autobiographie ressemble un peu à cinq rock stars en goguette dans un pandémonium de carton pâte. C'est dire s'il est bon. A déposer sur sa table de nuit pour les heures d'insomnie. Une bible. Pour que votre âme ne repose jamais en paix. Mais qu'elle se vautre ad vitam aeternam dans la luxure du rock and roll.

 

 

Damie Chad.