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23/01/2014

KR'TNT ! ¤ 173. ROCKERS KULTURE # 6 / JESSE HECTOR / JALLIES

 

KR'TNT ! ¤ 173

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

22 / 01 / 2014

 

 

ROCKERS KULTURE # 6

JESSE HECTOR + GORILLAS / JALLIES

 

 

ROCKERS KULTURE # 6 / 17 - 01 - 14

 

 

NEW MORNING / PARIS

 

 

JAKE CALYPSO / THE MIDNIGHT ROVERS /

 

THE SOUTHENERS / THE JALLIES

 

BLUE TEARS TRIO / MISS VICTORIA

 

EASY «  C » AND THE RHYTHM SCORCHERS

 

JAMY AND THE RYTHM TRIO / HOOP'S 45

 

SUBWAY COWBOYS / + THE RING STONES

 

 

 

Mister B fulmine. Si je l'écoutais la teuf-teuf aurait déjà laminé douze personnes sur les passages cloutés. Début du concert à vingt heures, un vendredi soir, en plein coeur de Paris ! L'on pourrait nous accuser de corser la difficulté. Oui, mais l'évènement clef du french rockabilly de ce début d'année, qui oserait s'en priver ! Pas nous ! Alors on fonce comme des sauvages à la recherche d'une hypothétique place de stationnement.

 

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A tout hasard l'on passe Rue des Petites Ecuries, du monde agglutiné devant l'entrée du New Morning. Ce fut comme une apparition. Le sourire radieux de Vaness des Jallies, traverse la rue juste devant nous. Nous fait un petit geste de surprise de nous voir. Signe du destin, notre moral remonte en flèche. Hélas, ça ne durera pas. Va falloir se résigner à engraisser la multi-nationale des parkings Vinci, mais à quand l'expropriation révolutionnaire des gros capitalos ? Toutefois la teuf-teuf ne se résout pas à une telle palinodie, à contre-sens dans un couloir de bus, elle nous dégote une place miraculeusement libre. Tant pis pour les dividendes des actionnaires !

 

 

Reste encore à franchir la piste cyclable sur le trottoir à ras des portières. Des envies de meurtre nous envahissent. Tous ces bobos minettes qui pédalent, sûres de leur bon droit écologique à vous rouler sur les pieds, sont exaspérantes. Les rockers aiment bien les filles mais il ne faut pas qu'elles marchent sur leurs chaussures de daim bleu. Apparemment, ces bêcheuses ne connaissent pas Carl Perkins. Quel manque de rockers kulture !

 

 

BLUE TEARS TRIO

 

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Après l'élogieux article que l'ami Cat Zengler nous avait écrit la semaine dernière ( voir livraison 172 de KR'TNT ), j'étais impatient de voir la merveille annoncée. Je n'ai plus qu'à verser des larmes de sang bleu. Nous arrivons trop tard. Sont déjà passés. Tony Marlow, le maître de cérockmonie leur avait confié l'ouverture des hostilités, et avec notre record homologué Paris-Provins en trois heures de stress, nous sommes privés d'apéritif, parfois le moment le plus agréable du repas. Sur les dix groupes prévus, l'un des rares que je n'avais pas encore vus. A charge de revanche. Dépité.

 

 

THE SUBWAY COWBOYS

 

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A peine ai-je poussé la porte que je suis accueilli par Hank Williams. Je sais, l'a quitté notre vallée de larmes depuis belle lurette, mais c'est bien son Honky Tonk Blues qu'entonne Will des Subway Cowboys. Alors que je règle les dix-huit euros de mon billet, j'aperçois leur trois silhouettes, découpées sur la scène. Will le grand au centre sous son inusable chapeau de cowboy, Matt sur sa doublebass de bois veinée de filets noirs, et Fab attentif à sa guitare. Tous concentrés. Jouent gros. Pas encore très connus du public. Toute erreur serait impardonnable. Dans la salle, l'on dresse l'oreille, et l'on arrête de bavarder. C'est que Will n'est pas un adepte du yaourt, sa voix de baryton sculpte les mots avec la même précision que celle de Johnny Cash. A croire qu'ils ont embauché un amerloque qui traînait dans le métro. Quel organe ! Viril à souhait. Mais quand il se lance dans une poignante complainte de Waylon Jennings, l'on ressent toute l'amertume d'une âme d'outlaw blessée par les chienneries de son existence. A ses côtés, les deux desesperados sont de fines gâchettes, ces deux croque-notes vous nettoient un saloon en trois minutes qui font la fortune du croque-mort de la ville. Magie du honky tonk. Vous ne comprenez rien, mais vous percevez tout. L'émotion transcende les mots. La musique tisse le décor, et chacun revit et réarrange le récit à sa façon. Applaudissements nourris. Ils n'ont pas vaincu, ils ont convaincu. A la fin de la soirée, il ne restera plus aucun exemplaire de leur premier disque sur le stand de Rock Paradise. Authentiques.

 

 

EASY «  C » AND THE RHYTHM SCORCHERS

 

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Easy «  C » revient avec un nouveau groupe, bye-bye les Silver Slippers, bonjour les Rhythm Scorchers. A pris le parti de délaisser les glisses sauvages sur les lames du surfin' rock au profit de brûlantes percées vers le blues de Chicago, mais revues à la sauce rockab. Mélange un peu hybride et chimérique. Mêler l'eau du delta aux flammes du rock'n'roll n'est pas obligatoirement évident. Possède un harmoniciste qui trille à merveille, s'envole dans les airs et voltige à volonté, loopings et feuilles mortes assurées, le problème c'est que la section rythmique ne suit pas. Elle sautille. On ne lui demande pas d'atteindre le ciel, au contraire de marquer le pas, de faire trembler le sol sous ses pas pesants. Il manque une frappe puissante qui plonge ses racines dans l'humus humain. L'ensemble donne l'impression d'un boeuf final dans lequel l'on a invité l'harmoniciste du combo précédent. Fin de partie, tout le monde s'éclate, ça tire à hue et à dia, un peu auberge espagnole, mais le public s'est rempli la panse les heures précédentes avec des recettes éprouvées. Idem pour le chant, très sud nasillant, mais trop blanc, pas assez noir qui bouffe ses syllabes. La formule est à revoir. Une bonne idée de départ, qui peut s'avérer très productive, mais il faut mieux lier la sauce. Question de dosage. Le groupe commence, suis sûr qu'ils sauront opérer les réglages nécessaires, nous pouvons leur faire confiance, ils ont de la réserve. Prometteurs.

 

 

THE JALLIES

 

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Vu la largeur de la scène, Julio le contrebassiste attitré de ces damoiselles se retrouve quasi au même niveau que les swingin' girls. Presque, car il ne faut pas trop exagérer, ce sont elles les Rock'n'roll Queens comme elles se plairont à le rappeler sur leur dernier morceau. N'empêche que Julio nous servira brûlants, deux de ces soli de folie dont on se remémore les notes le soir dans son lit avant de s'endormir. Oui mais le trio de nos oiselles, de charme et de choc, ne s'est pas contenté de batifoler aux abonnés absents entretemps. Elles ne démarrent pas le set, elles l'arrachent. Trois coups de caisse claire et c'est parti pour vingt minutes de délices. Les voix montent et descendent en crescendo. L'assistance dans la poche en trente secondes, et les applaudissements qui crépitent. Fines mouches, elles présentent avant tout leurs propres compos. A être, autant être soi-même. Elles ont la pêche. Melba. Glace vanillée aux cheveux blonds et coulis de framboise sur les lèvres de pourpre. Spécial cantatrice. For swinging gals. Leurs voix caressent les rêves et mordent à pleines dents. Douces comme du sucre, et acides comme l'alcool de contrebande. Nous en versent une pleine rasade. On nage dans le bonheur, par essence insaisissable. D'ailleurs, c'est déjà fini. Elles quittent la scène comme s'arrête une ondée bienfaisante. Trop vite. Julio les suit, on dirait qu'il marche sur un nuage. Nous aussi. Délicieuses.

 

 

THE SOUTHENERS

 

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M'étais éloigné au bar. L'on s'agitait sur scène mais avec le monde qui me séparait du plateau, j'ai fait comme beaucoup, j'ai reçu le missile en pleine figure. Plein les oreilles, et plein les yeux. Cinq sur scène, deux guitares à chaque bout du plateau, un contrebassiste géant au milieu, tous trois engoncés dans d'épaisses drape jackets. Des teddies, mais rien qu'aux cinq premières notes balancées avec cette énergie, j'avais déjà deviné. Le batteur porte une chemise étoilée aux couleurs du Dixie Flag. Et puis je rêve : un chanteur ! Qui ne fait que chanter ! P'tit Loup, sanglé dans un costume à la Kirk Douglas, dans Règlements de Comptes à O.K. Corral. Jeu de scène époustouflant, quelques postures à la Gene Vincent mais surtout une gestuelle toute personnelle de félin. Ne chante pas toujours, car Pascal Albrecht, depuis son uperightbass se charge aussi du vocal de quelques morceaux. Mais, ça ne le gêne pas le loup privé de hurlement, il mime, il danse, il vit la musique de l'intérieur, il est à lui tout seul l'image du rock and roll sauvage. L'adolescent éternel devant sa glace. Et la musique ! Mais ça devrait être interdit de jouer aussi bien. A vous rendre malade de jalousie pour le restant de vos jours. Ca bombarde sec, et ça uppercute dans tous les sens. Le son vous enveloppe, vous mord à la gorge et refuse de vous lâcher, tel un chien enragé qui préfèrerait mourir sur place plutôt qu'ouvrir les mâchoires pour abdiquer sa raison de vivre. Dans la salle, ça commence à ressembler à un véritable concert de rock. On ne goûte pas, on ne déguste point, on crie, on hurle, on se déchaîne. Le moment le plus fort de la soirée. The Southeners. Un groupe de vétérans. Qui était déjà là à fin des années 70. Reviennent et remettent les pendules à l'heure. Around the rock. Le choc. Et ce Train Kept a Rollin', cette exultation finale de la foule enfiévrée. Si vous n'y étiez pas, commencez à le regretter. Monumental.

 

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MIDNIGHT ROVERS

 

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Fallait pas que la fièvre retombe d'un coup. Tony Marlow avait soigné sa préparation aux petits oignons. N'a pas désigné les Midnight Rovers au hasard. Chevauchement des générations. Après le rebel rock des années 80, le rock de la révolte sociale, celui des squats, celui des banlieues et de la rage électrique. N'ont pas le pur look rockab. Nico attire les regards, au centre, dans sa salopette paramilitaire, il nous rappelle que le rock est un combat. Et les Rovers ne tardent pas à en apporter la preuve. Pourraient provoquer l'hostilité d'un public ancré dans des modèles archétypaux. Mais non, leur énergie balaie toutes les préventions. Leur relecture survitaminée d'Honey Don't du grand Carl Perkins à la mode psycho-garage remportera tous les suffrages. Mécanique parfaitement huilée. Depuis sa batterie, Torz alimente les soupapes. Ses baguettes sont partout, sur tous les toms à la fois. Roulements tous azimuts, bouscule tous les codes de la binarité rythmique. Serait plutôt partisan d'une frappe bipolaire, en le sens où chaque rythme est rapidement confronté par son contre-rythme. Savant désordre architectural qui structure le son et ne permet aucune confusion. Sur le dernier morceau, entraîné par sa propre énergie, il quittera son siège, pour asséner des coups encore plus forts. Par deux fois Nico sort son harmonicat qui miaule dans le micro. Tous les chemins mènent au rockab, même ceux qui semblent s'en écarter. Les Rovers dans leur modernité électrique sont dans le droit fil de cette musique de prolétaires séminale. Violents.

 

 

MISS VICTORIA CROWN

 

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Un havre de paix dans un monde de violence. Miss Victoria se tient sagement debout à côté du micro, dans sa robe de satin, sur le modèle de celles qu'arborait Scarlett O'Hara dans Autant En Emporte Le Vent. L'on s'agite autour d'elle, les roadies s'empressent autour des musiciens, elle n'a pas l'air affolée. Même pas stressée. Pourtant l'on devine que les autres ne sont que des accompagnateurs, qu'ils sont là pour elle. Première fois qu'ils jouent sur Paris a averti Tony Marlow. Toute belle, toute blanche, toute jeune, elle esquisse un sourire tranquille, même pas timide. C'est parti. Une intro musicale un peu étrange, pas vraiment country jazz mais pas tout à fait autre chose non plus. La petite Miss s'approche du microphone et l'on oublie tout ce qui précède. Une voix d'une justesse absolue, pure mais qui swingue. Silence dans la salle. Une contrebasse aux relents jazzy, une guitare à peine effleurée, un sax qui cherche sa place, et un batteur debout devant sa caisse claire qui tape sec. L'ensemble est un peu disparate, mais dès le troisième morceau tout se met miraculeusement en place, sur des arpèges de douceur ne flottent plus que la voix de Miss Victoria et le saxophone qui se glisse entre ses syllabes induisant une extraordinaire continuité phonique. Elle chante comme vous respirez. Se joue de toutes les difficultés. Sans peur et sans reproche. Se laisse porter par le courant. Ovation. Tony Marlow précise que Vincent le guitariste est son père. Mais on l'avait deviné, à la fierté des regards qu'il lui jetait en douce. Nous apprend que cette jeune fille à qui Mister B ne donnait pas plus de dix-huit ans n'en a que treize. Et déjà reine du trad-country-rock normand. Couronnée.

 

 

THE RINGSTONES

 

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Le moment le plus horripilant de la soirée. Invité surprise de la soirée, les Ringstones ! Tout juste eu le temps de goûter le jeu de Philippe Fessard sur sa guitare que Tony Marlow intervient pour prévenir qu'il n'y aura pas de second morceau. Je me sens comme un gamin à qui l'on confisque le sucre d'orge qu'il a dans la bouche. Ecourtés.

 

 

HOOP'S 45

 

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Les Hoop's comme je ne les avais jamais vus. Et pourtant ils ne m'ont jamais déçu, mais pour ce sixième Rockers Kulture, ils se sont surpassés. Une tornade électrique. Steph au chant, transcendantal. L'énergie et la pression. Impossible de résister. Peut-être le désir de ne pas se laisser supplanter par les groupes précédents et suivants, j'opterais plutôt pour rejeter la faute sur le petit nouveau. Max le guitariste, un sacré envoyeur qui en six mois de présence a dû par son jeu très direct contribuer à électrifier le son. Joue plus rapide, plus trashy. Ce qui n'a pu qu'accentuer les tendances néo-rockab du combo. Steph en est comme libéré, peut se laisser aller à son penchant naturel d'un phrasé beaucoup plus expulsé, moins articulé, qui lui permet d'accentuer la raucité légèrement voilée de son timbre vocal. Le chat sauvage sort ses griffes acérées et ça fait mal. Nous aurons ainsi droit à un King Creole survolté revisité par Kaltrina. Ouragan sur la Nouvelle Orléans. Nous ont séchés, laissés de cul. Un set à réaction. Avec en plus la couleur. Ils auraient pu se contenter d'envoyer la purée, point, barre. Non Richard à la basse et Kevin à la batterie ont travaillé les résonances. Il y a le speed de la guitare, la vélocité de la voix, mais en plus toute une épaisseur musicale que la section rythmique édifie en même temps qu'elle participe au tempo de fou initiée par le soliste et le chanteur maître. La prestation passe à la vitesse d'une étoile filante. Arrache des cris de joies et d'étonnement aux spectateurs. Fulgurants.

 

 

JAMY AND THE RHYTHM TRIO

 

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Marlow au boulot. Très bon dans son rôle d'aboyeur, mais il est temps pour lui de rejoindre son poste et ses potes. Faudrait pas qu'il oublie qu'il officie derrière la batterie de Jamy and The Rhythm Trio. Jamy est déjà au micro dans une superbe chemise country immaculée et frappée des roses du Texas. Encore un qui n'y est pas allé par quatre chemins, lance la machine au quart de tour. Tout dans la voix, car dans le rockab c'est la voix qui emporte tout. C'est quand même mieux, quand sur les côtés, les moteurs auxiliaires ronronnent sans à-coups. Pas de bile à se faire pour Rocky encordé par ses doigts à sa comtesse, ne mouftera pas un mot de tout le set, mais entre ses mains la contrebasse se met à chanter à plein gosier. L'en a vu d'autres le Rocky, n'est pas né de la dernière pluie. Pour Little Nico, pardon pour Nico, car ce soir le petit Little est parti se coucher, c'est Nico le grand lui-même qui l'a expédié au lit. Oui, pour Nico, c'était un peu le baptême du feu, un passage initiatique, tenir la guitare solo dans une telle soirée, c'est se charger les épaules d'un gros poids. Le temps des responsabilités est venue. N'a pas fui. A fait front. Est sorti gagnant de l'épreuve. C'est fou ce que le groupe a gagné en cohésion. Joue plus vite et plus fort. Un set sans bavure. Sans temps mort. A train d'enfer. Enfile les morceaux sans faillir. Suis tellement captivé par le chant de Jamy que je n'ai aucune souvenance de ses mains sur sa guitare à l'effigie d'Elvis. Superbe.

 

 

JAKE CALYPSO

 

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On l'a programmé en dernier parce que c'est trop dur de passer après lui, annonce Tony. Pas besoin de révéler qui se cache sous cette dénomination de Jake Calypso. Tout le monde sait que c'est Hervé Loison, le chanteur fou des Hot Chikens, qui à l'instar de Fernando Pessoa aime bien se fabriquer des hétéronymes. Mais il est facile de repérer le mouton noir au milieu des blanches brebis, chassez le naturel, il revient au galop. Faut vous le mettre dans la tête, ni Jake Calypso, ni Hervé Loison ne sont des chanteurs de rock'n'roll. C'est un mot qu'ils ne connaissent pas, ni l'un ni l'autre. Ne sont pas davantage chanteur de fandango ou de calypso. Non leur spécialité à eux, c'est le Wild Rock. Et peut-être même plutôt le wild que le rock. Vous êtes avertis. Ne venez pas vous plaindre. Peuvent vous enfumer. Un peu, mais pas plus de trois minutes. Exemple, Jake Calypso nous a interprété un country. Un titre doux qu'il avait promis. Certes ce ne fut pas une tuerie, mais tout de même une belle cavalcade. Mais s'était dépêché de nous rassurer que tout de suite après il terminerait sur quelques morceaux wild. C'est par là qu'il avait commencé, et c'est ainsi qu'il a fini. Sur du Warren Smith amélioré au détartrant psycho-punkitoïdal. Se roule par terre, grogne comme un cochon, meugle comme un boeuf qu'on égorge, fait le poirier et le tour de la salle porté à bout de bras. Le plus terrible, ce sont ses musicos qui jette du napalm sur le feu. Un guitaro qui lui cloue des banderilles électriques au travers du corps, un satané barjot qui s'y entend pour faire monter la mayonnaise au troisième étage de la tour Eiffel. Un batteur qui pousse le rythme hors des limites permises par la Convention de Genève, et un bassiste qui frappe ses cordes à la cadence d'un épileptique. Un speed trio de givrés plus un échappé de l'Hasil Adskin, bonjour les dégâts. A ce niveau-là, les assurances refusent de rembourser les incursions de ces adeptes du rockabilly borderline. Un véritable cas( lypso ) clinique. Démentiel.

 

THE END

 

 

C'était la dernière bobine. A partir d'aujourd'hui on coche les jours jusqu'en 2015. Comptons sur Tony Marlow et Rock Paradise pour concocter un tome VI de l'anthologie des french rockab bands. Le rockabilly se porte bien dans notre pays. Le genre commence même à irriguer les musiques voisines. Touche au blues, au country, au jazz, au swing, à l'électrique, leur donne plus qu'il ne leur emprunte, leur refourgue ce dont leurs jambes étiolées ont le plus besoin de par chez nous, un regain d'énergie. Cette cinquième édition de Rockers Kulture en est la preuve évidente. Le rockabilly une musique à réveiller les morts. Et les vivants.

 

Damie Chad.

 

( Photos de Edonald Duck prises sur le facebook des artistes et plus spécialement celui de P'tit Loup )

 

 

JESSE HECTOR

 

 

GARE AUX GORILLES

 

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Suite à d’heureux concours de circonstances, j’ai eu l’immense privilège de rencontrer deux proches de Jesse Hector, Philippe et Damien.

 

Jesse Hector ? C’est vrai qu’il n’a jamais fait la une de Paris Match. Pourtant, il a joué un rôle de premier plan dans l’histoire du rock. Il fait partie de ceux que Nick Cohn aurait pu glisser dans sa liste de héros oubliés du rock’n’roll. Il fut avec Crushed Butler (1969-1971), les Hammersmith Gorillas (1972-1975) puis les Gorillas (1976-1981) le véritable précurseur du punk-rock anglais et le grand dynamiteur de la scène anglaise. Tout le monde sait bien que le rock sans dynamite, ça ne vaut pas tripette.

 

Jesse Hector est devenu légendaire. Mais ce prince des rockers - comme Verlaine fut Prince des poètes - doit travailler pour survivre. Le destin des deux hommes présente des similitudes terribles. On reconnaît la suprématie de leur art, mais on les laisse se débattre dans une économie de survie. Verlaine va sombrer dans l’alcool et l’excès de mélancolie, Jesse Hector se lève à trois heures chaque matin pour aller nettoyer des bureaux de la Royal Horticultural Society, à Londres.

 

C’est en 1975 que je découvris l’existence des Hammersmith Gorillas, grâce à un single. La pochette me fit loucher : on y voyait deux mecs aux allures plutôt extravagantes pour l’époque. On était pourtant habitués aux excès vestimentaires de glamsters comme Noddy Holder et Dave Hill. Sur la pochette, le mec de droite tenait un micro. Il portait les cheveux courts, d’énormes rouflaquettes et un pantalon à carreaux comme on n’en avait plus revu depuis la grande époque de Dave Dee Dozy Bicky Mick and Tich. Plus spectaculaire encore, le mec de gauche était coiffé comme une poupée Barbie : deux larges franges d’un beau blond platine encadraient son visage. Il jouait la bouche ouverte sur une grosse basse blanche. Incroyablement flashy, comme disent les Belges. La photo dégageait une espèce de brutalité bizarroïde. Même les champions du look que furent les Stones n’auraient pas pu rivaliser avec eux. Et quand j’ai entendu leur reprise du «You Really Got Me» des Kinks, je me suis dit que ces gens là venaient tout simplement de réinventer la sauvagerie. Leur version est d’une agressivité sonique quasiment sans égale dans l’histoire du rock. C’est véritablement un shoot de blast punk sans précédent. En s’attaquant à un classique aussi parfait, ils montraient qu’on pouvait encore pousser le bouchon. La version saute à la gueule, Jesse passe deux couplets à la casserole et soudain, LOOK OUT ! il balance un solo tortillé qui prend le ventre. Il ré-attaque un couplet, rockaille de plus belle et HERE WE GO ! il repart en vrille et balance sa purée atomique. Je sentis mon imaginaire s’embraser, exactement de la même façon que le jour où j’entendis pour la première fois «1969» (nineteen and sixty-nine, beyebi) des Stooges. La violence sonique des Stooges avait quelque chose de rampant. Celle des Hammersmith Gorillas relevait plus du punch, au sens où on l’entend quand on reçoit un coup dans la figure.

 

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À partir de ce moment-là, je suis devenu un inconditionnel des Hammersmith Gorillas et donc de Jesse Hector. Deux singles parurent ensuite sur Chiswick, le label de Ted Carroll : «She’s My Gal» et «Gatecrasher», avec des pochettes toujours aussi mirobolantes. Grâce à ces singles magiques, on entrait dans un univers unique au monde : celui de Jesse Hector.

 

Comme beaucoup de ses congénères, ce londonien de Kilburn découvrit les pionniers du rock alors qu’il portait encore des culottes courtes. Piégé par son instinct, il décida de devenir rocker. Il commença par jouer du skiffle très jeune. Pouf, les Beatles arrivèrent. Puis les Who. Jesse devint un vrai Mod anglais. L’agressivité des Who le fascinait. Dans une interview qu’il accorda jadis à Philippe, il racontait que les Who étaient de vrais durs et qu’il n’était pas question de les approcher. Les Small Faces, John’s Children et les Who le firent frémir. Puis Hendrix débarqua à Londres et remit tous les compteurs à zéro. Jesse le vit sur scène et s’extasia. Et comme les Beatles, les Small Faces et d’autres groupes ne sortaient cette année-là que des classiques, il ne restait plus de place pour les groupes de débutants. Alors, Jesse se retira provisoirement de la compétition.

 

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Au commencement de «Message To The World», fabuleux documentaire retraçant l’histoire de sa vie, Jesse Hector cite les noms des gens qu’il admire : Elvis, Eddie Cochran, Buddy Holly, Brian Jones, Marc Bolan et Jimi Hendrix. Voilà où plongent ses racines.

 

Il revint en lice un peu plus tard et monta les Hammersmith Gorillas. Comme il trouvait que les Who s’étaient assagis, il voulut redynamiser la culture Mod («We wanted the Mods to continue, with a step further»). Jesse inventa un look, une attitude, un son. Avec «You Really Got Me», il inventa tout bêtement le punk-rock. Il se souvient d’avoir vu Johnny Rotten et Rat Scabies au premier rang, quand il était sur scène avec les Hammersmith Gorillas. Évidemment, lorsqu’il vit les premiers groupes punk débarquer dans la presse anglaise en 1976, Jesse se marrait : «On fait ça depuis des années en Angleterre». En fait, il riait jaune. Car c’est bien là le drame de sa vie : il aura été LE précurseur du rock anglais, le lanceur de tendances (et pas des moindres) et il n’aura jamais réussi à obtenir la moindre reconnaissance. Jesse n’a pas seulement inventé le punk-rock. On lui doit aussi une vision du glam anglais, la sienne.

 

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La preuve ? Crushed Butler, trio monté par le batteur Darryl Read et Jesse en 1969. Facile à vérifier, puisque «Uncrushed» (compile de tous les enregistrements du groupe) est réédité tous les dix ans, environ, grâce à l’inlassable travail d’historiographe de Darryl Read. L’un de leurs morceaux, «Factory Grime», s’ouvre sur un drumbeat glam et s’articule sur un riff slashé digne de celui qu’on entend dans le «Crosstown Traffic» de Jimi Hendrix. Les riffs battent tous les records de poids. Les Crushed Butler en arrivent presque à sonner comme le Black Sabbath du premier album. «Love Is All Around Me» aurait aussi très bien pu devenir un hit. Tout y est : le refrain boogie, le son de basse bien plein, le drumbeat cavaleur. Chose troublante : on retrouvera le riff de «High School Dropout» dans le «Get It On» de T Rex. À l’époque on le pompait déjà pas mal. Dans une interview accordée au NME, Jesse soupçonnait Noddy Holder d’avoir copié son look grosses rouflaquettes, pantalon en tartan écossais et chaussures deux tons.

 

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Tenez-vous bien, la dernière réédition de «Uncrushed» en date est un 25 cm accompagné d’un DVD. Et là, on ne rigole plus. C’est un cadeau de Darryl Read, tiré de ses archives personnelles : la séance de répète organisée en 1998 pour la reformation de Crushed Butler, avec Charlie Harty à la basse, fut filmée. Pendant 45 minutes, on voit Jesse torse nu répéter 4 morceaux avec ses deux amis. C’est comme si on était assis dans le studio. Jesse a 51 ans, mais il n’arrête pas de gesticuler, de basculer le torse en arrière, de hurler dans le micro, il plonge dans des fusions hendrixiennes, il y a même des moments où il disparaît de l’écran (la caméra est fixe), on imagine qu’il se roule par terre, hop il réapparaît, un vrai démon, la pire incarnation du rock. Il joue sur sa Strato rouge. Il montre les riffs de basse à Charlie Harty qui reste hors cadre. Il recale une seule fois Darryl Read, un sacré batteur dont la hargne impressionne. Jesse joue souvent en cocotte pour entraîner sa section rythmique aux subtilités de l’art suprême qu’est le power trio. Il fait péter ses accords comme des cocktails Molotov. Bhaaam et bras en l’air. Il n’arrête pas un seul instant. On a l’impression que ses oreilles bougent aussi, car on le voit souvent de dos. Il balance des riffs mortels, break, Hey babe have you heard the news, rock’n’roll is not the blues. Hey c’mon you gotta drive me wild, hey c’mon I’m a lonely child ! Il recale Charlie. Up there ! Il le fait monter d’un ton. G ! Jesse est atteint de fureur hendrixienne. Il sait claquer l’accord et jeter le bras en avant comme le faisait si bien Jimi jadis. Darryl connaît bien Jesse, ça fait trente ans qu’ils jouent ensemble. Il bat le beurre à la perfection. Il sait doubler sur les moments de fureur hendrixienne. Chose curieuse, Darryl n’a pas vieilli, il conserve exactement le même look qu’au temps de Crushed Butler : une grosse touffe de cheveux noirs frisés comme ceux de Marc Bolan.

 

Pendant deux ans, Jesse et Darryl auront mis les bouchées doubles pour essayer de percer. Chaque fois que Crushed Butler jouait sur scène, le public voulait du rab. Quand un groupe comme Osibisa avait le malheur de passer après eux, le public le huait et réclamait Jesse (plus tard, le phénomène se reproduira à maintes reprises - Philippe me disait que les Groovies en avaient fait les frais, ainsi qu’un groupe havrais qui voulait absolument jouer en tête d’affiche, après Jesse - et Philippe les mettait en garde - mais non, ils insistaient - alors ils ont vu jouer Jesse avant eux - et je cite Philippe - «ils sont passés du vert au bleu puis au cadavérique... hé hé hé» - Retenez bien ce conseil : ne montez jamais sur scène après Jesse Hector).

 

Quand Graham Breslau devint l’impressario de Crushed Butler, il débloqua des fonds et nos trois amis s’achetèrent un van rouge et des instruments neufs, dont une Strato que Jesse repeignit immédiatement en vert (certainement celle qu’on a vu à Mont de Marsan). (Pour l’anecdote : en 1976 ou 77, j’avais racheté du matériel d’occase à un musicien qui avait besoin de fric - une imitation Strato japonaise et un bel ampli Stal 100 W - et j’avais aussitôt démonté les cordes et les micros pour la repeindre en vert - à la fois en hommage à Jesse mais aussi à Danny Adler de Roogalator que je venais de découvrir à Londres - cette guitare a fini fracassée sur l’ampli, une nuit de jam stoogienne).

 

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Tout ce qu’on sait de Crushed Butler aujourd’hui, on le doit à ce fabuleux historiographe qu’est Darryl Read. Philippe m’apprenait au début du mois de juillet que Darryl Read venait de se tuer dans un accident de voiture en Thaïlande (un de plus, après celui qui avait coûté la vie à Alan Butler en 1981). Les récits de Darryl Read constituent de véritables mines d’information. On apprend que Neil Christian, qui connut son heure de gloire à Londres avec les Crusaders (dont fit partie le jeune Little Jimmy Page) prit les Crushed Butler sous son aile pour les aider à décrocher un contrat. Mais Neil Christian sombra peu à peu dans l’alcool. Jesse et son gang rencontrèrent aussi l’impresario des Move, Tony Secunda, qui se montra très intéressé. Mais ce contact ne donna rien. Secunda se contenta de mettre Trevor Burton, ex-Move alors dans BALLS, en contact avec Jesse. Pour vivre, Jesse avait gardé son boulot : il coupait du tissu pour un tailleur. Pendant ce temps, Darryl traînait avec Third World War, comme par hasard. Comme Crushed Buttler battait de l’aile, il envisageait de devenir le batteur de Terry Stamp et de Mick Avery, mais il était trop sauvage pour ce groupe de radicaux. Grâce à Darryl Read on entre dans le détail de l’histoire des groupes les plus intéressants de cette époque. Terry Stamp voulait monter un trio. Darryl lui conseilla de changer de look et de passer au blouson de motard en cuir clouté et aux Doc Martins. Ça se passait en 1970, je ne sais pas si vous réalisez à quel point ces mecs là étaient en avance sur leur époque. Crushed Butler joua sa dernière carte en invitant Don Arden, qui fut l’impresario des Small Faces. Don Arden se pointa à la répète accompagné de ses gorilles. Il apprécia beaucoup le groupe et donna des instructions à ses sbires pour qu’ils fassent jouer le groupe sur scène. Mais c’était trop tard. Co-manager des Who et patron du label Track, Chris Stamp venait d’embaucher Darryl. Il était censé travailler sur la promo des Who, mais il passait son temps avec Speedy Keen, l’âme de Thunderclap Newman, un trio resté célèbre pour un hit aérien, «Something In The Air».

 

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Jesse eut beaucoup de mal à se remettre de cet échec. Il récupéra son pote Alan Butler et redémarra avec les Hammersmith Gorillas (là on a deux versions pour l’origine du nom - Darryl affirme qu’il a adapté «Hammersmith Guerilla» des Third World War pour en faire un nom de groupe et l’a proposé à Jesse - alors que dans une interview accordée à Philippe, Jesse en attribue la paternité au producteur Larry Page - «a genius» - selon les propres termes de Jesse - qui a produit les Kinks, les Troggs, mais aussi et surtout le premier single des Hammersmith Gorillas - «You Really Got Me»).

 

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Son destin de précurseur, Jesse l’a payé très cher. À l’époque de Crushed Butler, il affirmait jouer du «council estate rock» (du rock de HLM). Quelques années plus tard, tous les groupes de Londres vont jouer du council estate rock et se pavaner à la une des tabloïds. Dans un numéro de Record Collector daté de 1997, on trouve une double page consacrée à Crushed Butler et titrée : «Pretty Vacant in 1970».

 

Les Gorillas s’arrêtent en 1981. Ils n’ont enregistré qu’un seul album, «Message To The World» que Darryl, alors retiré du circuit, n’apprécie pas, puisque qu’il le trouve semi-glam. Il dépeint les Grillas comme une version édulcorée de Crushed Butler.

 

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Jesse ne baisse pas les bras. Après un break de onze ans, il revient à la charge avec un nouveau trio, Jesse and the Sound. Sur une belle rétrospective RPM titrée «Gorilla Garage», on peut entendre deux morceaux du trio, dont «Running Wild», où on sent que Jesse cherche toujours la pierre philosophale du rock. Il envoie ses grosses giclées d’accords sales et enfuzze le morceau à sa façon : monstrueusement. En 1994, il remonte un autre trio, Jesse Hector and the Gatecrashers.

 

En m’offrant le EP de Jesse Hector and the Gatecrashers, Damien n’imaginait pas à quel point il me comblait. Quand on déplie la petite pochette, on tombe sur une photo de Jesse et de ses deux compères prise dans une rue, sans doute quelque part à Londres. Ils posent tous les trois devant leur mur d’amplis. Quand on voit ça, on comprend que Jesse ne baissera jamais les bras. Et il suffit d’écouter cet EP pour en être définitivement convaincu. Les deux morceaux de la face A sont terribles («Carolina» est tout simplement stoogien - Jesse a la même énergie que Ron Asheton, voilà ce qu’il faut retenir - le monde leur appartenait), mais ceux de la face B relèvent du pur génie. «It’s You» n’est rien d’autre qu’une jolie pièce de glam pur jus montée sur un beat mélodique et soulignée par une basse mouvante. Une annonce maléfique au bord du gouffre, turn me loose, et on se jette dans un tourbillon fabuleux. «Keep On Moving» va plus sur le garage menaçant. On sent la patte de Liam Watson (Toe Rag). Jesse rallume son brasier. Il joue des riffs en sourdine. Effet garanti. Jesse reste le diable qu’on a toujours vénéré. Ses solos resplendissent toujours au firmament.

 

Sur la compile RPM, on trouve aussi deux morceaux de Helter Skelter (groupe monté par Jesse en 1971, aussitôt après la fin de Crushed Butler). L’un d’eux est une perle grasse : «I Need You». Rarement dans l’histoire du rock anglais, on aura entendu un son de guitare aussi gras. Avec Helter Skelter, Jesse graissait le son à outrance, au-delà de toute conjecture.

 

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Philippe est aussi l’instigateur d’une compile sortie sur Big Beat en 1999 : «Gorilla Got Me». Le texte qu’il a écrit pour retracer l’histoire du groupe dans le livret est exemplaire. Tout aussi exemplaire, son choix de morceaux, et dans le tas, des inédits. Et là attention, c’est un coup à tomber de sa chaise. Parmi les inédits se trouve «I Live In Style In Maida Vale», une rengaine pop géniale qui sonne comme un hit des Small Faces. Comme Jesse idolâtrait Steve Marriott, il cocknérise délicieusement son chant. Il touche là à l’âme du rock anglais et c’est une fois de plus produit par le mythique Larry Page. La chose se présente comme une pop-song, mais en réalité, ça sonne comme l’hymne perdu des dandies londoniens - I live in Style - ah - Maida Vale. Jesse chante cette pure perle maniérée avec une abnégation confondante. Ah - Maida Vale. Final enflé Ah ouh ! Ah yeah, dans la plus pure tradition des Small Faces. Autre surprise, une reprise de «Luxury» des Stones que Jesse passe à la moulinette.

 

Cette compile nous redonne l’occasion d’entendre «Gorilla Got Me», une belle pièce semi-instrumentale explosée dès l’intro, une intro qui d’ailleurs reste un modèle du genre. Au lieu de taper dans «Pipeline» les groupes devraient plutôt démarrer leur set avec «Gorilla Got Me». Jesse s’y révèle une nouvelle fois l’égal des dieux et derrière roule une bassline en folie. Produit par Rat Scabies, «Move It» est un boogie à l’anglaise incroyablement puissant et pas cuit, dégoulinant de jus. Autre inédit, autre surprise de taille : «Shame Shame Shame», grassement riffé. Avec cette nouvelle pièce de garage hirsute, Jesse s’arroge la couronne de roi du riff.

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C’est bien sûr grâce à Philippe que j’ai pu voir «Message To The World», le documentaire de Caroline Catz réalisé en 2006 et seulement diffusé en Angleterre. Bonne nouvelle : on annonce une sortie officielle. Ce film est beaucoup plus intéressant que tous ces films américains tournés ces dernières années (Ray, Walk The Line, et tous les autres «biopics» à la noix). On voit Jesse marcher dans des rues et dans un parc, jouer quelques accords en répète. Il nous emmène à la porte de Lansdowne studio, l’endroit où Larry Page produisit «You Really Got Me». On le voit aussi gratter sa guitare noire marquée Elvis sur un toit de Londres. Devant l’Albert Hall, il raconte qu’on l’avait invité à partager une affiche prestigieuse avec Eric Clapton, Paul Weller et Pete Townshend, mais à condition qu’il ne joue qu’un seul morceau. Quoi ? Qui ose poser des conditions à Jesse Hector ? Évidemment, il a refusé. Mais il ajoute : «Sometimes, you’ve got one chance in a lifetime.» (On a parfois qu’une seule chance dans une vie). Portrait poignant. Jesse se voit dans un miroir. Il consent qu’il ne peut pas revenir sur scène comme ça, avec son physique de pépère qui atteint la soixantaine. Plus tard, il vante les mérites de son métier, the cleaning. «Work early in the morning and play all day.» (Tu travailles tôt le matin et tu as toute la journée pour t’amuser.) Il y a même un plan bizarre vers la fin où il est filmé légèrement par en dessous et où il ressemble à Gollum.

 

Damien me l’a confirmé : cet homme est profondément bon. Il dégage quelque chose d’extrêmement rare et de chaleureux.

 

Miracle ! Damaged Goods vient tout juste de rééditer le fabuleux album des Gorillas qui, comme le docu, s’appelle «Message To The World». Pochette à l’identique et vinyle rouge. Jesse ouvre le bal avec une version de «Foxy Lady» qu’il rend légèrement hypnotico-autobahnique. On appelle ça une belle mise en bouche. S’ensuit «I’m A Liar», bien dru et bien tendu, monté sur un joli petit beat cavalant et sans prétention. Un peu plus loin, Jesse chante en cockney «Going Fishing», un boogie classieux et bien démarqué, traité à la bonne franquette. Connu comme le loup blanc, «Outta My Brain» file tout droit. En face B, Jesse revient avec un sacré clin d’œil aux Small Faces : «Waiting For You». Au premier abord, les compos de Jesse passent bien, mais on ne tombe pas de sa chaise. Par contre, on les réécoute avec beaucoup de plaisir, car elles sont indiciblement bonnes. Avec «Last Train», il choo-choote comme son idole Johnny Burnette et Alan Butler rappelle qu’il fut un très grand bassman. Hommage à Bo Diddley avec «It’s My Life» puis ils reprennent un morceau de Crushed Butler, «My Son’s Alive». On ne sait pas ce que Jesse va foutre à Mexico, mais on lui fait confiance. Un mec comme lui, on lui fera toujours confiance. Jamais à Stong ou à Paul Weller.

 

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Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, la presse anglaise déroule le tapis rouge à Jesse. La réédition de «Message To The World» est un événement, alors un ou deux journalistes anglais retroussent leurs manches. Quatre pages sur les Gorillas dans le numéro 15 de Vive le Rock, avec reproduction plein pot de la pochette de l’album, et page suivante, de la fabuleuse photo des Gorillas où l’on voit Alan Butler porter un costume de gorille. Rarement dans l’histoire du rock anglais on a égalé cette prodigieuse facilité à fabriquer du mythe visuel. Seuls les Stones y sont parvenus pour le tournage du clip de «Jumping Jack Flash» - avec leur maquillage et leurs lunettes de la quatrième dimension - et bien sûr les Pistols, live on the boat, le jour du Jubilee. Les Hammersmmith Gorillas avaient indéniablement un truc en plus. Le journaliste Hugh Gulland parle de power trio rock action et de rock’n’roll firmament et il rappelle dans sa courte introduction que Jesse ne vivait alors que pour ça.

 

Une double page aussi dans le numéro 35 de Shindig! On nous ressert la même photo, mais ce n’est pas grave, puisqu’elle est bonne. Phil King demande à Jesse de commenter les douze titres de l’album. Jesse redit son admiration pour Jimi Hendrix et sa volonté de lui rendre hommage. Il évoque le cockney bash de «Waiting For You» et cite en plus de celle des Small Faces l’influence des Love Affair de Steve Ellis. Il rappelle que son «Last Train» datait de 1960. On apprend enfin que les Gorillas n’ont pas fait de promo pour «Message To The World» parce qu’ils attaquaient leur second album, «Gift Of The Gab». Stoppé net, dit Jesse. L’album n’est jamais sorti. C’est le scoop du siècle : Jesse a une démo des douze titres enregistrés dans sa chambre.

 

Et crac, Jesse rappelle qu’à l’époque où est sorti «Message To The World», les groupes comme Queen, Status Quo et Led Zep cartonnaient. Alors, il voulait se démarquer et proposer quelque chose d’«a little bit original». Interview passionnante dans laquelle Jesse déroule l’historique du rock anglais, Cliff Richard, les Beatles, les Stones, les Who, Jimi Hendrix et finalement en 1969, tous les groupes portaient les cheveux longs «and looked so... nothing !» Alors, Jesse s’est senti investi d’une mission divine : réinventer le rock’n’roll, et ça passait par des coupes de cheveux, des fringues et un style musical entièrement nouveaux : «a ferocious live act that shocked everybody !» En 1974, Jesse avait une vision parfaitement claire de ce qu’il voulait faire. Il savait que son groupe allait devenir ÉNORME. Il n’en démordait pas. Mais il avoue qu’il ne savait pas comment s’y prendre pour entrer dans le business. Alors il a commencé par aller trouver Larry Page qui a tout de suite pigé et qui lui a proposé de démarrer avec une reprise de «You Really Got Me», le hit qu’il avait produit tout juste dix ans auparavant. Larry Page expliquait à Jesse qu’il avait découvert le groupe des frères Davies, qu’il avait trouvé le nom de leur groupe et qu’il en avait fait ce qu’ils étaient devenus. Pour Jesse, ce fut le conte de fées. Grâce à Larry Page, les Kinks avaient été en tête des charts, alors pourquoi pas les Hammersmith Gorillas ? Larry Page voyait l’énorme potentiel du power trio de Jesse. Ils avaient tous les trois un look unique en Angleterre.

 

Alors Jesse raconte la séance d’enregistrement avec Larry Page : ils commencent par enregistrer «some ferocious backing tracks» - les instruments - puis la voix. Jesse attaque gentiment : «Gir-r-l». Larry : «Non ! Recommence !» Jesse : «Girrrr-l !» Larry : «Non ! Recommence !» Au bout d’un moment, Jesse finit par en avoir sa claque et il se met carrément en rogne : «GIRRRRL !» Cette fois, Larry fait : «That’s it !». Le single reçoit un bon accueil dans la presse, mais il n’entre pas dans les charts ! What ?

 

Deux ans avant l’arrivée de la vague punk, ils ont un hit punk qui ne marche pas. Puis Ted Carroll vole à leur secours et les signe sur Chiswick, les envoie au festival de Mont-de-Marsan et les programme à la Roundhouse, où ils font un carnage. Jesse évoque ensuite une petite brouille avec Ted Carroll qui est en fait une catastrophe : «But the thing that Ted had built upon, he’d opened the doors for us getting to the top. But they were closed again because we’d split with him» (Ted nous avait ouvert les portes vers le succès, mais elles s’étaient refermées, parce qu’on avait coupé les ponts avec lui.) (Une histoire malheureuse qui rappelle singulièrement la brouille entre Sam Phillips et Charlie Feathers.) Jesse prend ensuite contact avec Raw, le label sur lequel sort l’unique album des Gorillas. Mais comme Jesse n’a pas envie de retourner jouer dans les pubs, il ne fait pas de promo. L’album s’est débrouillé tout seul : John Peel le passait et tous les journalistes le saluaient. Et puis quand les machines, les Human League et les Spandeau Ballet sont arrivés dans les années quatre-vingt, Jesse a décidé d’arrêter les frais. «And that’s the end of the Hammersmith Gorillas».

 

Et aujourd’hui ? Pour Jesse, plus question de remonter sur scène : «When you go back, you’ve got to be pretty good ! I’m sixty six now, I’m not a young kid. What we did do, I might not be able to do !» (Quand tu reviens sur scène, t’as intérêt à être vraiment bon. J’ai soixante-six ans maintenant, je ne suis plus très jeune. Je ne crois pas que je serais capable de refaire ce qu’on faisait !)

 

Vient aussi de paraître un 45 tours du Darryl Read Group, «On The Streets Tonight», co-écrit par Jim Avery de Third World War. Les amateurs de proto-punk explosif feraient bien de se hâter de le rapatrier, car c’est un tirage limité à 500 exemplaires.

 

Lors d’un concert organisé à la campagne pour une fête de la musique - voici deux ou trois ans - Damien était venu boire un coup. Comme j’étais à pieds pour redescendre en ville, il m’avait proposé de me déposer. Nous étions évidemment tous les deux ronds comme des queues de pelles. On roulait toutes les vitres baissées à travers des agglomérations désertes, avec ce qu’il fallait de musique pour s’attirer des ennuis. En arrivant en ville, je me souviens vaguement de lui avoir dit qu’il roulait dans un sens interdit, mais on rigolait tellement qu’on était incapables de s’arrêter à ce genre de détail. Bizarrement, sa voiture ultra-moderne était encore équipée d’un lecteur de cassettes. Pour finir la soirée en beauté, il avait choisi une cassette, l’avait glissée dans le lecteur et m’avait dit : «Écoute ça ! Tu n’entendras jamais ça ailleurs !» Il s’agissait d’une émission de la BBC enregistrée avec un Jesse en verve qui présentait des morceaux inédits. De la pure dynamite. Comme à son habitude, Damien avait mis le volume à fond. Une bonne moitié de la ville avait dû en profiter, vous savez comme les fins de nuits sont calmes vers la fin du mois de juin.

 

 

 

Signé : Cazengler, qui préfère les Hector aux hectares

 

Hammersmith Gorillas. You Really Got Me. Penny Farthing. 1974

 

Gorillas. She’s My Gal. Chiswick. 1976

 

Gorillas. Gatecrasher. Chiswick. 1977

 

Crushed Butler. Uncrushed. 25 cm + DVD. 2012

 

Crushed Butler. Uncrushed. CD RPM. 2005

 

Gorilla Garage. The Jesse Hector Story. CD RPM. 2005

 

Hammersmith Gorillas. Gorilla Got Me. CD Big Beat 1999

 

Jesse Hector and the Gatecrashers. Keep On Moving. EP 1999

 

Vive Le Rock #15. November december 2013 + Shindig! #35

 

Darryl Read Band. On The Streets Tonight. Last Years Youth Records. 2013

 

Sur l’illustration, de gauche à droite : Alan Butler, Gary Anderson et Jesse Hector

 

 

18 – 01 – 14 / CHAVIN ( 36 )

 

 

CLUB 931 / THE JALLIES

 

 

Un samedi soir pépère pointe le bout de son nez à l'horizon de ce début d'après midi. Nous sommes allongés, chacun sur notre canapé, face à face. La chienne me lance un coup d'oeil interrogateur. L'a deviné mon état d'esprit, je suis comme le crocodile qui se lamente dans son marigot, n'ai-je donc tant vécu que pour cette léthargie ? S'ennuie, l'a envie de sortir, une grande virée, pas une de ces promenades hygiéniques où l'on se contente de faire pipi devant la porte du voisin, non un truc qui sorte de l'ordinaire, tiens un concert de rock par exemple. Elle adore cela. Moi aussi. Le téléphone sonne, c'est Mister B, la mélancolie du blues embrume sa voix, si je ne lui propose pas un truc déraisonnable, va se mettre à haïr les week ends. « Tu sais, c'est un peu loin, vers le centre de la France, y en a pour plusieurs heures... » Je sens sa voix qui s'éclaircit : «  En effet ce n'est pas à côté, mais en y réfléchissant... » Je le coupe, c'est le moment de sortir l'argument massue, imparable  : «  Ce sont les Jallies ! ». «  Les Jallies ! Pas de temps à perdre, tu passes me chercher dès que tu es prêt ! ».

 

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Vous raconte pas l'autoroute, c'est une fois que l'on l'a quittée que l'inquiétude nous gagne. La cambrousse absolue. La nuit noire, striée de pluie. Brrr ! Pas une seule fois le nom de Chavin ne s'inscrit sur les rares poteaux indicateurs que nous croisons. Heureusement que le GPS a l'air sûr de lui, ce qui ne l'empêche pas de nous aiguiller imperturbablement sur des chemins vicinaux de plus en plus étroits. «  Tu crois que ça existe vraiment, ce bled ? » Je rassure Mister B avec un deuxième argument tout aussi imparable que le premier «  Si, si, même que Crazy Cavan y était au mois de juin. »

 

 

L'on n'est pas plus godiches que les englishes tout de même ! Un quart d'heure plus tard la Teuf-teuf se gare dans un pré ruisselant d'eau à quelques dizaines de maîtres d'une construction parallélépipédique un peu basse sur pattes. Quelques sombres silhouettes agglutinées sous un semblant d'auvent sont les seuls signes d'une présence humaine.

 

 

931

 

 

Sourires et serrements de mains. En une seconde nous avons l'impression de renouer avec la civilisation. Cuirs et jeans, il est évident que nous sommes en terrain rock. Attention, l'intérieur ressemble à un local de bikers, amélioré tout de même. Ne serait-ce que la chaleur qui dissipe l'humidité de cette interminable averse de crachin qui nous accompagne depuis plus de deux heures. Bar ( bière et cafés chauds, chili réconfortant ) pas cher, poster de bécanes, photos rock, eh bien non, la scène, la piste de danse, le coin tables basses, tout indique que nous sommes dans un endroit dévouée à la musique. Si vous aimez la variétoche abstenez-vous, ici les lieux sont dévolus au rock'n'roll, au blues, au rockabilly... et la plupart des groupes que nous avons chroniqués dans Kr'tnt ( et bien d'autres ) sont déjà passés par ici. Ou alors seront programmés dans les mois qui suivront.

 

 

Sourires et bises, ce sont les Jallies toute surprises de nous retrouver si loin de nos territoires de chasse. Peu de monde encore, les filles en profitent pour se refaire une beauté ( comme si elles en avaient besoin ! ) sur une petite glace portative. «  Ô Miroir, eau froide par l'ennui dans ton cadre gelée, que de fois et pendant des heures, désolée des songes et cherchant mes souvenirs qui sont comme des feuilles, je m'apparus en toi comme une ombre lointaine, miroir suis-je belle ? ». C'est beau comme du Verlaine, mais c'est du Mallarmé.

 

 

Comme nous sommes des gentlemen nous les laissons à leurs si féminines occupations pour discuter entre mecs de la seule chose sérieuse qui vaille le coup sur notre maudite planète, le rock and roll. Par exemple avec Jérémy, qui est une véritable encyclopédie, collectionneur de disques et organisateur de concerts. L'a tout vu et tout entendu. Aucune vantardise, le simple désir de partager sa passion, tellement rare aujourd'hui.

 

 

FIRST SET

 

 

Un détail qui ne trompe pas. Sans être petit le local n'est pas énorme, mais l'on a pensé aux musiciens, ne sont pas collés les uns aux autres comme des sardines dans une boîte, ont de l'espace pour bouger et respirer. Julio est presque au niveau des filles, elles se dépêchent de lui trouver un job qui l'occupera de temps en temps à l'arrière, l'est chargé de tourner les boutons de la sono tout le long du concert pour veiller à l'intensité sonore.

 

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Vais pas vous dérouler la set-list dans le détail, c'est la douzième fois que nous les chroniquons en treize mois – mais quand on aime, on ne compte pas – préfère m'appesantir sur les réactions du public. Ca ne rate pas, au premier morceau les visages s'illuminent, au deuxième les applaudissements crépitent, au troisième, elles sont comme le meneur de rats de la ville de Hamelin, elles ne jouent pas de la flûte, mais si les fils des guitares étaient assez longs, elles emmèneraient l'assistance se noyer dans l'Indre. Non, ne sont pas si cruellement démoniaques, quoique le pauvre Julio en prenne plein les dents. Elles ont juste envie de nous offrir du bon temps – tiens, puisque après le show l'on proposait de nouveaux titres pour leur répertoire, Let's The Good Rime Roll du vieux Fats, conviendrait parfaitement à leur répertoire, suis certain qu'elles en offriraient une version des plus jallinesques – et ça commence à guincher sur le parquet. C'est que le monde commence à affluer, et que la salle n'en finira pas de se remplir jusqu'à la fin du concert. C'est à ce moment précis ( 23 h 25, P.M. ) que j'entrevois une des clefs du succès des Jallies. Leur musique fonctionne, comme ces antiques groupes de bal country des Appalaches au début du siècle précédent. Pétillent de joie festive, tout en offrant une qualité musicale de haut-niveau. Musique populaire au sens noble de ce mot, en prise directe sur nos émotions. Elles traduisent par l'entremêlement de leurs voix, ce désir d'être ensemble, cette convivialité de tous entre tous, cette force souveraine qui émane d'un groupe social qui lutte pour sa survie. Musique d'espérance libératrice. Le swing comme principe d'expansion émancipatrice et le rockabilly comme expression de ces accumulations de colères rentrées qui ne demandent qu'à exploser. Rage et allégresse alternées.

 

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SET 2

 

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De sacrés danseurs dans la région. Ca rocke fort comme l'on dit du côté de Millau. Sans frime, sans exhibition, pour l'unique plaisir de virevolter et de faire tournoyer les filles comme des toupies et d'enchaîner les gars dans une ronde folle. A l'image de nos trois jalinettes qui changent de micros dans un menuet incessant. S'amuse comme des folles, des filles qui se piquent des fringues, et qui s'éclatent de se balader avec les oripeaux des copines. Echange qui relève du don et du partage. Plus Julio qui tient le rôle du valet de pique, celui qui se retrouve toujours tout seul. Possède tout de même un superbe lot de consolation, sa contrebasse dont il use sans modération. Les trois trapézistes peuvent se jeter dans le vide, Julio est là pour les rattraper dans le filet de ses cordes. Avec cette assurance tous risques, nos trois sorcières conduisent leur ballet sans crainte.

 

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Céline, Vanessa, Ady. Bouquet de roses, de neige claire, de safran soufré, et de sombre bleuïté. Céline qui nous étourdit de ses vocalises et nous caresse de sa blanche Fender, Vanessa qui nous griffe de sa voix et nous cogne de sa caisse claire, Ady qui crie le blues et nous grise de sa Gretch électrique. Plus haut, plus vite, plus fort. Ne nous laissent aucun répit. Toujours ces sourires enjôleurs qui nous mettent en attente fébrile de la suite et ensuite cette virevolte de rythmes qui s'envolent s'échappent, mais qu'elles capturent au vol et se passent les unes aux autres comme le furet du bois joli, qui court, qui court, et ne se rattrape jamais. Même lorsque au troisième rappel, elles hésitent et tergiversent sur le dernier titre. La salle aimerait les garder, surtout ces couples informels qui changent de partenaires à chaque nouveau morceau et les derniers arrivants qui comprennent à la fiévreuse animation qui règne dans la pièce qu'ils ont raté quelque chose. Dommage pour eux, tant mieux pour nous, mais avec les Jallies les absents ont toujours tort. Jallies, la féérie jaillit, telle l'eau miraculeuse des trois bouches d'or de la fontaine de jouvence.

 

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ROCK STORY

 

 

Les Jallies, certes. Mais aussi toutes ces discussions après le concert. Nous ne sommes pas chez des faiseurs. Pour certains le rock n'est pas uniquement une musique que l'on aime, mais un art de vivre, un engagement de toute une existence. Mister B est heureux, retrouve des légendes de son enfance lorsque son grand-frère le trimballait dans le milieu des premiers teds parisiens, les anecdotes et les souvenirs fusent, ce soir je tairai les noms et les aventures, par discrétion, sont des gaillards assez grands pour le faire eux-mêmes si l'envie les tenaillait. Tout ce que je dirais, c'est qu'il ne faudrait pas que ces pans entiers de l'histoire du rock en France, soient un jour perdus à jamais. Les rockers ont aussi un devoir de transmission. Quand on pense aux rares bribes de documents directs qui nous sont parvenus des premières bandes de blousons noirs de la fin des années cinquante et du tout début des années soixante, l'on se dit qu'il vaudrait mieux ne pas recréer un tel silence.

 

 

Ce qui est certain, c'est que malgré la distance, nous reviendrons un jour au Club 931. Premièrement ils passent de la bonne musique, mais surtout on s'y est senti bien.

 

 

Damie Chad.

( Photos d'Edonald Duck / New Morning )

 

 

 

 

 

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