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30/01/2014

KR'TNT ! ¤ 174. PHILIP CHEVRON + RADIATORS / RINGTONES / HOT CHICKENS / PATHFINDERS

 

KR'TNT ! ¤ 174

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

30 / 01 / 2014

 

 

PHILIP CHEVRON ( + RADIATORS ) / RINGTONES

HOT CHICKENS / PATHFINDERS

 

 

PHILIP CHEVRON + RADIATORS

 

OEUVONS POUR CHEVRON

 

 

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En 1977, il était de bon ton de cracher sur les Radiators From Space. Trop pop. De toute façon, on crachait sur tout. Sur le boulot, sur les collègues de boulot, sur les parents, sur les politicards, sur tout ce qui portait un uniforme, sur les sportifs, mais pas sur l’argent ni les filles. On crachait volontiers sur les gros barbus du pub-rock qui buvaient de la bière et qui sentaient le tabac. On crachait sur les groupes embourgeoisés comme le Pink Floyd et tous les premiers de la classe du rock anglais. On ne jurait alors que par les Damned et les Ramones, les Pistols et les Hammersmith Gorillas, les Groovies et les New York Dolls.

 

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Pourtant, les fringants Radiators (Irlandais originaires de Dublin) étaient sur Chiswick, l’un des labels indépendants qui collaient bien à l’air du temps, puisqu’il sortait les singles des 101’ers, des Rings, des Gorillas, des Radio Stars et de Johnny Moped. On ramassait tout ce qui sortait, comme dix ans auparavant, quand tous ces EPs miraculeux des Kinks, des Pretty Things, des Who, des Small Faces, des Yardbirds et des Troggs pleuvaient du ciel. Ceux qu’on ne pouvait pas acheter, on les volait, bien sûr. Rien de plus facile à embarquer qu’une petite pincée de quarante-cinq tours.

 

Philip Chevron vient de disparaître, et comme la presse rock est restée assez avare de commentaires, je me suis dit qu’il fallait essayer de faire quelque chose pour réparer cette nouvelle injustice (curieusement, dans son numéro de décembre, R&F lui consacre sa rubrique Érudit Rock, balançant en pleine page un photo de scène spectaculaire le montrant en pantalon de cuir noir et plié sur sa guitare. Et le texte d’une demi-page tient bien la route. Alors là bravo !)

 

Cracher sur les Radiators, c’était un jeu. Ça n’empêchait pas d’écouter leurs disques.

 

Chevron et ses collègues participaient au festin punk du bout des lèvres. Le chaos n’était pas leur truc. Ils préféraient mille fois travailler les harmonies vocales et proposer de vraies chansons. C’est la raison pour laquelle Ted Carroll les admirait.

 

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Leur premier album s’appelle «TV Tube Heart». Ils sont cinq sur la pochette mais le groupe est vite redevenu un quatuor rassemblé autour de Phil Chevron et du guitariste Pete Holidai. Avec ce premier album, les Radiators défendaient l’idée d’un rock anglais classique basé sur de vraies chansons, comme le faisaient les Only Ones, amalgamés bien malgré eux au mouvement punk. «Television Screen», qui fut aussi leur premier single, est une pièce de pop punk flamboyante jouée en accords rock’n’roll qui révèle mieux qu’aucun autre titre leur goût prononcé pour le classicisme. C’est un titre emballant monté sur une ligne de basse de rêve, digne des gros hits des Vibrators et des Boys, grosses pointures de la première vague punk. Quand on réécoute «Television Screen» aujourd’hui, on s’aperçoit que ça n’a pas pris une seule ride. En 1977, les Radiators faisaient déjà preuve d’une alarmante maturité.

 

«Press Gang» est un peu plus punk dans l’esprit - «Talkin’ ‘bout my generation» - mais dans l’esprit punko-funkoïde qu’imposa ce brillant précurseur que fut Richard Hell. Voilà un morceau doté du décousu hirsute provocateur et des petites poussées de fièvre typiques du mentor de la Blank Generation. Il fallait oser. La face B de ce premier album est encore plus consistante. «Electric Shares» est un petit stomp auquel on adhère automatiquement, très adroit et inspiré, mais des petits ponts maladroits lui brisent les reins. Dommage. Ces roulements de tambour lui font le plus grand tort. «Ennemies» sonne comme un hit des Buzzcocks. Ils chantent «Ripped And Torn» à la manière des Groovies. Ce petit beat trépigné fait dresser l’oreille. Phil Chevron se prend pour Roy Loney et c’est très bien. Il est l’un des shouters les plus prometteurs du cheptel bêlant de 1977. Rien que pour ce morceau, on l’admire infiniment. On assiste aussi à une belle prestation du drummer Jimmy Crash et du coup, les Radiators entrent dans la cour des grands. Nouvelle surprise de taille avec «No Too Late» qui sonne comme un hit garage des Kinks repris par des proto-punks de série B. Ils jouent le vrai riff garage et Phil Chevron chante comme un voleur de mobylettes. Alors, que demande le peuple ? Ce titre est imparable. Ils versent là-dessus un solo liquide du meilleur esprit. Phil Chevron chante comme Lennon dans «Cold Turkey», en armant ces hurlements de fond de glotte qui ne sortent pas.

 

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Leur second album s’appelait «Ghostown» et sur la pochette on voyait l’ombre de Nosferatu hanter un mur. Ils vont profiter de ce nouvel album pour abattre leur jeu et grimper dans les harmonies vocales, aidés par Tony Visconti, arrangeur et producteur de renom. «Million Dollar Hero» est de la petite pop à l’Anglaise, mais ils l’enrichissent avec ces harmonies vocales dont les Anglais ont le secret. On se régale. «Johnny Jukebox» est beaucoup plus musclé. On sent la présence d’une force exécutive, c’est shooté au chant et même bien shooté. Ils nous servent là une pièce de mambo swing de bonne facture, pleine de wap-doo-wap et sacrément bien allumée au chant. On comprend que Ted Carroll soit devenu un inconditionnel des Radiateurs. On revient à la pop psyché arrangée jusqu’au délire avec «They’re Looking In The Town». Ces mecs sont gonflés. On les sent en bonne santé et ambitieux. C’est presque américain, dans l’esprit du Brill Building, tapé dans le fond et violonné à outrance. Impressionnant. On continue dans la pop riche en calories avec «Who Are The Strangers». C’est une fois de plus bourré d’harmonies vocales et doté d’un refrain ouvragé. Cette pop un peu infantile et si exigeante clame son indépendance. Les Radiators ont un aplomb terrible. Il fallait oser, en 1977. Phil Chevron chante «Kitty Ricketts» à la manière de Steve Marriott, avec un fort accent cockney. L’autre belle surprise de cet album est un morceau qui s’appelle «Song For The Faithfull Departed» qui s’annonce comme un petit rock bas sur pattes et puis à un moment, ça se déchire comme un ciel de nuages et une vraie mélodie chant éclate. Ils nous refont le même coup avec «Walking Home Alone Again», monté sur un riff punk et ça vire poppy, mais bien foutu et c’est même fantastique de vitalité chorale. Mary Hopkin chante dans des chœurs répartis en deux parties concomitantes, une courbe tasse les basses et l’autre prend la tangente, le tout serti d’un killer solo royal. Grâce à ces quelques morceaux exceptionnels, les Radiators sont entrés au panthéon.

 

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Mais si on veut se faire une idée claire de leur classe insolente, il faut écouter leur album live, «Alive Alive O !» enregistré en 1978 à Londres. Tous les morceaux qu’on appréciait sur leurs deux albums studio sont comme sublimés par le son live. «Electric Shares» saute à la figure, il faut voir comme c’est joué et comment c’est envoyé. Grâce à leur solidité et à leur culot, ils gagnent la confiance du public. «Prison Bars» tient sacrément bien la route sur scène. Très anglais dans l’essence. Les harmonies vocales explosent dans la version live de «Million Dollar Hero». Ils sont stupéfiants d’intégrité cavalante. Solo glorieux. Ils ne sont que quatre, alors ça nous épate, car il faut entendre cette densité du son. Les Radiators auraient dû exploser en Angleterre. Nouveau régal garanti avec la version live de «Television Screen» et sa ligne de basse swinguée à mort. On croirait entendre un classique de Chuck Berry, tellement c’est bien foutu et bien joué. Encore plus fantastique, la version live de «Walking Home Alone Again», avec sa fin de refrain perchée sur des harmonies vocales sidérantes. Ces mecs n’ont pas fini de nous émerveiller, avec cette montée décadente de type music-hall chantée avec tout le chien de leur chienne. Ils nous servent ensuite sur un plateau d’argent une reprise du fameux «Psychotic Reaction» des Count Five. Phil Chevron sait parfaitement inoculer les microbes malsains de la teigne garage. Ils terminent leur set avec une reprise de Frankie Lemon, «Teenage In Love», une reprise de rêve qui en a fait tomber plus d’un de sa chaise. C’est du niveau de ce que Joey Ramone fit avec le «What A Wonderful World» de Louis Armstrong.

 

L’une des grandes forces des Radiators fut un goût sûr pour les reprises. On en trouve une série en bonus dans la réédition de l’album live. Et notamment une reprise de «Teenage Head» qui tient du génie et qui fait oublier la misérable tentative des Barracudas à Honfleur il y a quelques mois. Tout y est : l’éclat des claques, les lignes de basse et le chant racaille de Roy Loney. Phil Chevron a ce talent. Ils reprennent aussi le «Shake Some Action» des Groovies période Chris Wilson. Ils en font une version solide, mais pas aussi géniale que celle de «Teenage Head». Et comme si ça ne suffisait pas, ils balancent une stoogerie chauffée à blanc : reprise de «1970», hurlée comme il faut, histoire de bien montrer la vraie nature de leurs racines. C’est dire si ces mecs sont fiables.

 

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Après ça, les Radiators ont disparu. Phil Chevron est allé jouer dans les Pogues dont il s’est fait virer pour cause d’alcoolémie invétérée. Les Radiators ne se reformeront qu’en 2005 pour enregistrer un nouvel album, «Trouble Pilgrim»

 

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Il se trouve que cet album fait partie des très grands albums de rock anglais. Phil Chevron et Pete Holidai ont chacun leurs chansons, Chevron dans un style toujours très ambitieux mélodiquement, Holidai dans une forme plus classique de belle power-pop immaculée. C’est Phil Chevron qui ouvre le feu avec une pop bien tendue, sacrément jouée, et des textes captivants, quasiment littéraires - «Another day on Earth and it looks like trouble, pilgrim» (encore un jour sur terre et ça ressemble à des ennuis, pèlerin) - un morceau qui nous ferre comme l’hameçon ferre ce gros con de thon, et c’est foutu. Il attaque ensuite «The Concierge» à la manière de «Gloria», mêmes accords garage, même puissance irlandaise, même touille et des ponts superbes par derrière. Pete Holidai attaque sa série de morceaux avec «Second Avenue» qui est du pur jus de rock anglais bien épaulé, plein de la science du son d’un mec fidèle à son éthos depuis trente ans. Phil rend ensuite un vibrant hommage à Joe Strummer - «I said that’s when I remember/ the summer I spent with Joe Strummer/ When we watched the World Cup together/ me and Joe and D.J. Scratchy», qu’on écoute même si n’aime pas beaucoup Joe Strummer parce que la chanson est admirable, riche en climats et en paysages sonores. Franchement, Phil Chevron est l’un des grands songwriters de son temps. Ses chansons piquent vraiment la curiosité. On ne s’ennuie pas une seule seconde en sa présence. Et après deux autres pop-songs de Pete, on tombe sur ce qu’il faut bien appeler un effarant chef-d’œuvre ambulatoire : «The Dark At The Top Of The Stairs». C’est une sorte d’oraison funèbre d’une classe folle - «I feel like an intruder, but will you tell me, Mister/ What’s it like at the precipice ?/ Was it like the dark at the top of the stairs ?» (Je me sens comme un intrus, mais vous me direz, monsieur, comment c’est au bord du précipice ? Ça ressemble à la pénombre en haut de l’escalier ?) Phil Chevron préfigure son voyage vers l’au-delà, mais il transcende cette fascination morbide pour la mort d’une façon qui pourrait renvoyer à un Edgar Poe serein. C’est à la fois humble et merveilleusement beau - «Oh Lord, your ocean is so big/ And my boat is so small/ I can fly if you want me to/ or you’ll catch me if I fall» - c’est vrai que quand on meurt, l’océan nous paraît immense, vu de notre petite barque, mais Phil a la délicatesse de demander à Dieu de le rattraper s’il tombe en essayant de voler. De toute façon, on sera tous amenés à voir ça de plus près. Autant se préparer gentiment à cette idée en compagnie d’un type aussi charmant et raffiné que Phil Chevron. Mais après ça, il y a encore une merveille démente qui s’appelle «Hinterland», et là, on est obligé de crier au génie. Phil Chevron nous claque le refrain à l’arpège de douze cordes. Ces mecs sont des démons - «Out here in the hinterland/ We live like kings/ Feasting on the plenty/ which every harvest brings/ Don’t say our riches lie beneath the sands/ of godforsaken holy lands/ where Faith is just mistaken self-belief» (On vit comme des rois dans le demi-monde, on se gave de ce que rapportent les moissons, ne dites pas que nos richesses sont sous le sable des terres maudites où la foi est une fausse croyance) - C’est une fantastique observation d’un monde moderne inféodé au pétrole et Phil Chevron a l’immense talent de chanter ça comme s’il était le roi d’une cour des miracles et chaque fois que revient le refrain, c’est une marée qui nous emporte au firmament. Rien que pour cette chanson absolument sublime, Phil Chevron aurait dû trôner en couverture de tous les magazines de rock.

 

Précision importante : sur la dernière page du booklet, on tombe sur une photo de Joe Meek. Clin d’œil sidéral.

 

Il faut le redire : Phil Chevron avait du génie et certains morceaux sont là pour en témoigner. On retrouve ce génie composital chez des gens comme Greg Dulli (dans les Twilight Singers et les Gutter Twins avec Mark Lanegan), chez Gedge de Wedding Present, chez Murray Lightburn des Dears de Montreal ou encore chez Chuck Prophet. Tous ces gens enregistrent des albums bourrés de chansons qui donnent la chair de poule.

 

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Les Radiators refirent la une de l’actualité l’an passé avec un fantastique album de reprises, «Sound City Beat». Ne vous attendez pas à un exercice de style du genre «Pin Ups». Phil Chevron et ses amis ont eu l’idée de reprendre uniquement des chansons de groupes irlandais pas très connus et ils ont réussi à en trouver dix-huit. Là-dedans, vous allez trouver de sacrées merveilles, on peut faire confiance à Phil pour ça. Au moins, son testament musical a fière allure. Ce mec qui a défendu toute sa vie l’idée d’un rock classique à l’anglaise achève sa carrière en proposant un cocktail aussi explosif qu’enivrant d’hymnes Mod et de pépites psyché pour la plupart inconnues au bataillon. Ce souci de cohérence vaut tout l’or du monde. Phil Chevron n’aura pas connu la gloire, mais il aura mené sa barque de rocker irlandais d’une façon absolument irréprochable. Il trône désormais au panthéon des purs et durs, en compagnie de Nikki Sudden, de Syd Barrett, de Jackie Lomax et de quelques autres.

 

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Ils démarrent ce festin des rois avec «Head For The Sun», reprise d’un groupe irlandais inconnu nommé The Movement et qui a pour particularité d’être une belle pièce de pop joyeuse bardée d’harmonies vocales dignes des Beach Boys. Phil Chevron revient ensuite nous montrer qu’il sait très bien faire le méchant en chantant du gras de la glotte «I’m A King Bee», ce vieux classique de Slim Harpo jadis popularisé par les Stones. Sa méchanceté est particulièrement inspirée, pas loin de ce que savait faire Roy Loney. Ils reprennent aussi un morceau des Eire Apparent, ce groupe de la fin des sixties qui faillit décrocher la lune, car Jimi Hendrix veillait sur son berceau. «Yes I Need Someone» est une valeureuse pièce de psychout freakbeat et pour bien faire les choses, Phil a invité Henry McCullough (Grease Band, Mad Dogs, etc.) à venir jouer ce morceau qu’il connaissait bien, puisqu’il fit partie du groupe jusqu’au bust de Vancouver qui lui coûta sa place de guitariste dans le groupe. S’ensuit une merveille psyché empruntée à Andwella, un groupe qui connaît aujourd’hui son heure de gloire dans le milieu hermétique des Adorateurs du Gatefold Seventies. Cette pop lumineuse assez haut de gamme va bien sûr comme un gant aux vieux Radiators qui ont passé leur vie à défendre un idéal de beauté psyché. Ils finissent par lâcher une vraie bombe avec une reprise des Who irlandais qui s’appelaient The Next In Line. On se retrouve avec un hymne Mod absolument spectaculaire bardé de relances au chant dignes de John Lydon, de chœurs menaçants et de montées de sève belliqueuses. Phil raconte que The Next In Line jouaient en première partie des Who à Dublin et qu’ils étaient bien meilleurs que Daltrey et son équipe. Les Radiators nous servent cette bombe sur un plateau d’argent, comme on s’en doute. Et c’est là que se justifie l’achat de cet album.

 

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Voilà un groupe qui déterre des trésors, alors que demander de plus au père Noël ? Ils ne peuvent pas faire l’impasse sur les Them, alors ils tapent directement dans «Gloria» et une fois de plus, Phil s’en tire avec les honneurs. Il sait faire le raunchy, ça ne lui pose aucun problème. Phil ne craint pas la mort. Il peut taper là-dedans, il a les épaules. C’est un beat scorcher de premier niveau. Il connaît bien la crasse du garage, celle qui ne se lave pas. «Turn Of The Light» est une belle pièce de pop lumineuse des Creatures, parfaitement inconnus au bataillon. Les Radiators en font une version fantastique et vibrante qui ravira tous les amateurs de pop inspirée. Ils tapent ensuite dans le fameux «Morning Dew» popularisé par le Jeff Beck Group mais qui fut aussi joué par un groupe irlandais que personne ne connaît, Sugar Shack. Encore du rock psyché interprété dans les règles de l’art et on revient à la légende avec «That’s Alright», un hymne Mod traité garage et que chantait un certain Ron Ryan. Phil établit une connexion avec le Dave Clark Five et le Riot Squad qui fut un temps le backing-band de David Bowie. Phil Chevron ne peut pas s’empêcher de touiller les braises. Le parcours musical est déjà dense, il distille en plus de la petite information qui titille les zones érogènes du cerveau. En lisant le long texte qui accompagne le disque, on découvre que Phil Chevron est en prime une sorte d’érudit rock underground. «Never An Everyday Thing» est une pop psyché absolument fantastique enregistrée par un groupe nommé Grannys Intentions. La chose est bardée d’harmonies vocales capables de faire pâlir les surdoués de Badfinger.

 

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Ce disque vous laissera ahanant sur le rivage. Il vous faudra des jours et des jours pour remettre vos sens d’équerre. Mais c’est surtout l’attitude de Phil qui épate la galerie, car ce pauvre petit mec dévoré par un cancer était à l’article de la mort, et comme Wilco Johnson aujourd’hui, il a décidé de foncer et d’enregistrer un dernier disque. Et croyez-moi, «Sound City Beat» a déjà sa place dans la caisse des disques qu’on emportera sur l’île déserte.

 

 

Signé : Cazengler, chevronné et fier de l’être

 

Radiators From Space. TV Tube Heart. Chiswick Records 1977

 

Radiators From Space. Ghostown. Chiswick Records 1978

 

Radiators From Space. Alive-Alive-O!. Chiswick Records 1996

 

Radiators From Space. Trouble Pilgrim. Chiswick Records 2005

 

Radiators From Space. Sound City Beat. Ace Records 2012

 

 

24 – 01 – 14 / BOURRON MARLOTTE

 

LE MARTINGO

 

THE RINGTONES

 

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Un peu dépités par la brièveté de la prestation surprise des Ringtones, à Rockers Kulture, la semaine dernière. Tony Marlow nous a repris en affirmant qu'ils avaient eu le temps de faire deux titres et non un seul comme nous l'annoncions dans notre krocknic, nous voulons bien le croire, mais alors si courts que l'on n'a pas entendu le train passer. En tout cas, ce qui n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd c'est l'invitation de Philippe Fessard à leur concert du lendemain à Bourron Marlotte. Vingt heures tapantes nous passons la porte de Martingo, Go ! Go ! Cats !

 

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Le Martingo n'est pas un club de rock, plutôt un restau chic à clientèle locale mais aisée car nous sommes près de Fontainebleau, toutefois de temps en temps ils laissent des musiciens profiter de la pièce du bar. Sympathique, mais c'est un peu la coexistence pacifique de deux mondes qui s'ignorent. Ceux qui mangent et ceux qui boivent. C'est lorsqu'ils repartent et qu'ils doivent passer entre le groupe et les aficionados appuyés contre le comptoir que la différence de classe se traduit, les beaux messieurs passent l'air le plus dégagé possible et les belles dames ondulent un peu du popotin pour montrer qu'elles sont encore dans le coup. Personne ne s'arrête ne serait-ce que deux minutes pour goûter la musique des saltimbanques.

 

 

Lorsque nous arrivons, le bar prépare le café pour la table des musiciens qui nous font signe de la main, en les attendant nous inspectons les instruments, surtout la steel guitare orange rutilant posée sur une desserte. Un grand mec à l'inimitable accent anglais essaie de draguer deux minettes qui viennent d'entrer, c'est Tom le chanteur des Ringstones. Et voici, ô surprise, Dan qui surgit derrière nous. Il est accompagné d'Andras et de Phil Baston, des anciens des Burnin' Dust l'ancien groupe de Dan. Phil Fessard – c'est lui qui accompagnait Ervin Travis, ( voir KR'TNT 158 du 10 / 10 / 13 ) en ce même café au mois d'octobre dernier – branche sa guitare.

 

 

PREMIER SET

 

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Nous ne prenons pas le train en marche, ce soir c'est la première gig des Ringtones, la trop brève participation à Rockers Kulture de la semaine précédente ne pouvant être comptabilisée comme un spectacle à part entière. Moment important pour un groupe, où l'on serre les derniers boulons devant un public averti. Je remarque que dans l'assistance l'on reprend les paroles en même temps que Tom, surtout un gars à lunettes à côté de moi, qui a tout l'air de piaffer d'impatience comme un cheval impatient de participer au derby d'Epsom. Un deuxième anglais, évidemment, but wait and see.

 

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Avec Phil Baston à la batterie et Andras à la contrebasse, les Ringtones bénéficient d'un moteur rythmique d'une fiabilité exceptionnelle. Phil bastonne dur, mais avec une aisance si extraordinaire qu'il semble frapper en dilettante qui s'amuse à rendre service à des copains sans prendre son rôle au sérieux, mais quelle oreille et quel sens du rythme et de la musique. Toujours juste, jamais en avance, jamais en retard, une véritable montre suisse, un chrono de précision atomique, et ces manières de trouver le chemin le plus court vers le tambour adéquat. Doit avoir un ordinateur surpuissant dans la tête, avec lui tout paraît facile. Un jeu d'enfant à la portée de tous. J'adore ces moulinets pour aller frapper la cymbale, un geste de robot intelligent sur une chaîne de montage parfaitement mis au point par un bureau d'études de trente ingénieurs, mais lui, il est tout seul à la manoeuvre et n'a besoin d'aucun aréopage de spécialistes. Avec ses baguettes pointillés de rouge, il a l'air d'un maître d'art martial qui porte le coup qui tue pratiquement sans bouger avec cette feinte placidité des félins qui s'apprêtent à bondir sur leur proie insouciante.

 

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Andras est plus loin, solitaire, à peine à l'écart du groupe. Tourné vers sa contrebasse blanche. Le monde n'existe plus pour lui. Ni le public, ni ses collègues de travail. Mais ce n'est qu'une illusion. Se suffit à lui-même mais sert du velouté harmonique à ses copains. Encore un des ces maîtres asiatiques qui les yeux bandés vous décochent des volées de flèches meurtrières, les unes à la suite des autres, dans le coeur de la cible. Mais c'est nous qu'il touche. Au début quand il a rejoint sa machine silencieuse, l'a eu une manière de lui tirer sur une corde de son seul petit doigt qui ne trompe pas. Ne l'a pas sortie du sommeil pour qu'elle broute les herbes du chemin. Maintenant elle avance comme un bulldozzer, faisant table rase de tout ce qui passe à sa portée. C'est qu'il a intérêt à ne pas faire de sentiment, Phil le Bastonneur ne laisse aucun interstice par où le jeu de la contreb pourrait s'immiscer, aussi Andras dépiaute-t-il sévère. Aucun des deux ne s'ôte de là, mais tous deux s'y mettent, sans préavis.

 

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C'est sur ce tapis de bombes que Tom a à déposer sa voix. Possède un beau timbre, oblitéré d'un lointain écho pop-country. Se débrouille bien, mais il a encore à poser ses griffures sur le rugueux tronc de la rythmique. Doit encocher plus sec ses attaques. Le rockabilly, une fois que c'est parti, c'est fini. Faut qu'il gagne cette fraction de seconde d'avance sur les deux mousquetaires qui ne rentrent jamais l'épée du rythme au fourreau. Doit respirer plus fort sans prendre le temps de souffler. Tout départ de lyric comme un hoquet de rockab sur la glace glissante du tempo pour prendre le raccourci d'un quart de temps et se projeter en tête de la course. Par contre il est très bon sur l'autre côté de la montagne, celle aux pentes ensoleillées et moins abrupte, quand la voix se fait indolente et chargée d'ironie. Mordre et sourire, sourire et mordre, les deux faces du chant rockabilly. Les deux seules alternances possibles. Son inimitable accent briton dès qu'il essaie deux mots de français entre deux morceaux lui donne une classe indéniable. Maltraite si bien la syntaxe françoise, qu'elle en ressort renouvelée, surprenante. Un charme inimitable qu'aucun froggie ne parviendra jamais à acquérir. Vous me direz que nous sommes en ces moments-là hors-champ du chant, certes mais un concert doit couler sans interruption et lorsque la musique s'arrête, il est bon que le flot ne soit point stoppé, et c'est au lead-singer de maintenir la cohésion du set par la modulation cohésive de sa parole.

 

 

Tom has a nice voice, with a remote touch of a pop-country tone in it. He does it all quite well, but he still has to impose his style when the rhythm is rough. He gotta make his attacks sharper: once you've started it in rockabilly, it's over. He gotta get that fraction of a second that makes all the difference. He gotta breathe deeper without taking the time to breathe out.

 

On the other hand, he's very good on the other side of the mountain, the sun-bathed and gentle side of the mountain: when his voice becomes indolent, loaded with irony. To bite and to smile. Bite and smile. They're the two faces of rockab singing. The two options possible. His inimitable British accent, when he tries to force out two words of French, gives him indisputable class. He mistreats French syntax so well that it turns out something completely revisited and surprising. A charm no froggie can ever acquire. I can hear you say like "hey you're not talking 'bout any singing here". Well ok. But the flow of a concert must never stop, and when the music goes to a short halt, it is the lead-singer who has to keep the spirit of the set coherent, using what but his voice. 

 

 

Que des classiques du rockab dans ce premier set. Le groupe révise les maîtres. La création viendra plus tard. Pour le moment il se focalise sur l'impact scénique.

 

 

DEUXIEME SET

 

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Tom a préparé le piège. N'a pas fini le premier morceau qu'il tend le micro à Dan. Il est des invitations qui ne se refusent pas. Surtout quand le public n'espérait que cela. Vingt ans sur la route, toutes les semaines sur scène, Dan admet qu'il a fini par ressentir une certaine latitude, mais décroche-t-on un jour du plaisir de chanter et d'envoyer quelques chansonnettes dans les amplis ? Just for fun. A part que Dan, les chansonnettes il ne sait pas ce que c'est et lorsque sa voix résonne dans la pièce, l'on entre dans une autre dimension. L'on redécouvre l'Amérique celle de Charlie Feather et de Gene Vincent. N'en cherchez pas une autre, c'est la meilleure qui existe. Dan nous en sort six ou sept morceaux. A la suite, un vocal puissant. L'a du coffre ( au trésor ) Mister Dashin' Dan. N'a pas volé son surnom. Démarre la thunderbird rose au quart de tour et vous recevez les graviers en pleine figure. Et vous en redemandez.

 

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N'ai pas encore parlé de Philippe Fessard. Ce n'est pas qu'il a passé son temps à se rouler les pouces, n'a pas laissé chômer son médiator, mais dans ce deuxième round la set-list va devenir anecdotique. Chacun va taper dans ses morceaux préférés. C'est là que l'on va voir le guitariste. Facile – enfin tout est relatif – d'aligner les notes d'un classique inscrit au répertoire, suffit de faire comme le chameau et de bosser à la baraque, mais lorsque l'on vous somme à brûle pourpoint de jouer un truc de derrière les fagots dont vous ne connaissez que le titre, faut s'aligner au plus vite sur le singer qui est déjà parti à fond les manettes, faut improviser une intro, construire un pont, inventer un solo, et clore les festivités en deux minutes trente sept secondes. De bonheur. En respectant l'esprit du créateur original. En plus l'on saute du coq country au léopard rockab sans coup de semonce. Phil va nous montrer de quoi il est capable. Ce n'est pas tout à fait un novice dans sa partie. Possède des bases solides. Mais plus que cela, l'on s'aperçoit qu'il a réfléchi et intégré le jeu des plus grands. Prenez-le au dépourvu et quinze secondes plus tard il a trouvé la parade et peaufiné l'arrangement. Joue autant avec son cerveau qu'avec ses doigts, et ce n'est pas donné à tout le monde.

 

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C'est qu'il va avoir de la corde à retordre, le Phil. C'est encore un sujet de sa gracieuse majesté. Durant tout le premier set, n'a pas arrêter de sautiller sur sa place. Tom l'a appelé par deux fois pour qu'il chante un couplet en alternance avec lui. Mais maintenant, c'est lui qui hérite du micro, et il va pouvoir nous montrer ce qu'il sait faire, derrière ses lunettes noires et son costume vert. L'on apprendra par la suite qu'il possède son propre groupe à Londres, The Wampas Cats, je n'ai pas pu voir sur le net car à chaque demande je tombe sur des reportages sur les wampas sauvages en liberté au coeur des Rocky Mountain. Pourrais passer une thèse de zoologie sur ce cousin du puma, mais pour le combo je dois me contenter du seul spécimen qui nous ait été loisir d'étudier au Martingo. S'appelle Mark et nous a subjugués. Du vif-argent, insaisissable, ne touche pas la terre avec ses pieds. Vole au-dessus. Et cette voix ! Infatigable ! Se joue de tout ! Pas tout à fait l'orthodoxie rockab, flirte un peu avec le néo et le psycho, mais quel plaisir à l'écouter. En plus, il a l'air d'avoir un sacré répertoire, l'a tapé, afin de rester dans l'univers des Ringtones, dans dans les valeurs sûres à la Johnny Horton – revisité de fond en comble – mais je le soupçonne d'avoir des pépites alléchantes bien plus modernes dans sa besace.

 

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Phil's another one of Her Gracious Majesty's subjects. He's been jumping around during all the time that lasted the first set. Tom called him on stage so that they could alternatively sing, one after the other. But now, the mike is his, and he'll have the opportunity to show us what he can do, hidden behind his dark glasses and green suit.

 

We're made aware during this second set that Phil's got his own band back in London: The Wampas Cats. I wasn't able to find any information on the web for each time I googled that name, I was given information about the wild wampas that live in the Rocky Mountains... I could now write my PhD about this puma-like animal. But as far as the band is concerned, I'll have to do with only that one specimen I'm given to study at the Martingo.

 

The name's Marc and he amazed us. Made out of quicksilver, he's elusive, his feet aren't on the ground. He flies over it. And his voice! Unstoppable! It deals with everything. Not what you would call the usual rockabilly singer. But definitely, what a pleasure to listen to that voice. Moreover, seems like his song catalogue is endless. He stays in the Ringstones' universe, and he adds things from Johnny Horton (but revisited Johnny Horton). I suspect he has a lot more enticing songs in his repertoire, maybe more modern stuff.

 

(Traduction : special thanks to Thomer  )

 

 

TROISIEME SET

 

 

Tom et Mark vont alterner les séquences. Tom a pris de l'assurance, devient plus incisif et derrière l'orchestre donne la gomme. Mark nous offrira un set dans le set de huit morceaux, avec notamment une reprise de Race with the Devil de Gene Vincent. Nous qui avions entendu la version d'Ervin Travis, avec Philippe Fessard qui imitait à la perfection le jeu de Cliff Gallup, nous sommes abasourdis par cette version si différente que Phil nous offre. L'a plus d'un jeu de cordes sur sa gratte ! Dans un dernier clin d'oeil il se sert de sa steel guitar rutilante sur un morceau bien enlevé sur lequel personnellement je n'aurais même pas pensé que quelqu'un puisse proposer un tel arrangement. Mais les notes tintanibulantes accentuent encore plus le côté speed du titre.

 

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Les derniers clients quittent le restaurant. Fin de la partie. Les conversations devant le café durent longtemps. Superbe soirée. Les Ringtones sont à l'orée d'une nouvelle odyssée. Nous veillerons à en suivre les rebondissements. Je termine sur cette petite fille qui s'ennuyait ferme à la table de ses parents, alors elle leur a tourné le dos et n'a plus enlevé ses mirettes de sur les musiciens. Extasiée. Ce soir le rock'n'roll a gagné une adepte de plus.

 

 

Damie Chad.

 

 

LAGNY-SUR-MARNE / 25-01-2014

 

 

LOCAL DES LONERS / HOT CHIKENS

 

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Je me dois de vous présenter mes excuses, chers lecteurs. C'est dur pour un rocker, mais je ferai mon acte de contrition jusqu'au bout. J'ai pêché par excès de confiance. Ce n'est pas vieux, pas plus tard que la semaine dernière. Dans mon compte rendu de Rockers Kulture. Une méga-faute. Un adjectif qualificatif employé hors de propos. Démentiel, ai-je noté pour clôturer d'un mot définitif la prestation de Jake Calypso. Lamentable erreur. Faut remettre les choses en perspective. Et à l'aune du concert des Hot Chikens à Lagny-sur-Marne, faut bien avouer qu'au New Morning, c'était juste un concert de charité pour les cacochymes pensionnaires d'une maison de retraite, juste de quoi amuser les petits vieux sans trop les exciter pour qu'ils n'en perdent pas leur dentier tout en prenant grand-soin de ne pas pousser les mémés dans les orties du rock'n'roll.

 

 

MAUVAIS DEBUT

 

 

Pourtant l'affaire se présentait mal. Pas les Loners à l'accueil toujours aussi sympathiques et chaleureux. Non, c'est quand on est rentrés dans la salle. Presque personne, normal c'était tôt. Non le problème c'était Hervé Loison. Tirait une drôle de trombine. Ne nous a adressé qu'un pâle sourire lorsque Mumu et Billy sont allés le saluer. Peu loquace, le gazier. A fini par nous révéler l'ampleur du désastre. Aphone, comme une carpe. Et le concert à donner d'ici une heure et demie. A sa place, vous vous seriez ouverts les veines.

 

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Pas lui. J'ai même observé un phénomène inquiétant. Au fur et à mesure que l'heure se rapprochait, il semblait de plus en plus heureux. Commençait à tenir de longues conversations avec les amis et les fans qui venaient le saluer, avec son filet de voix aussi épais qu'une aile de papillon. Pouvait aussi se sentir rassurer, à écouter parler, l'était entouré de médecins qui lui prescrivaient séance tenante le remède miracle salvateur : je cite en vrac, une écharpe autour du coup, un cataplasme, une bière au célestène, du miel, du rhum, un vin chaud, un rail de cocaïne, des piqures de cortisone, j'en passe et des meilleures. Mais comment vas-tu faire s'inquiétait-on ! D'un geste il désigna le bas de son abdomen et murmura qu'il irait chercher sa voix, là. Un chanteur ventrirock, comme les barytons d'opéra qui s'appuient sur la colonne d'air. Si vous préférez une métaphore davantage rock'n'roll, sur le serpent de la kundalini... Nous avons tous un cobra qui dort au fond de nous. Savoir le réveiller n'est pas donné à tout le monde.

 

 

Certains plus pragmatiques lui conseillaient de faire son tour de chant sans chanter, style Shadows sans Cliff Richard ( ce qui à mon avis est déjà mieux que Cliff Richard sans les Shadows, mais je m'égare ) d'autant plus que l'heure avait tourné et qu'il était temps de monter sur le podium. Mon éthique de pseudo-journaliste m'oblige à rapporter la scène honteuse qui suivit. Alors que les musiciens faisaient semblant de s'accorder, Mister Loison à genoux contre les amplis s'est livré à la préparation d'un maléfique breuvage : au moins trois gros cacheton d'aspirine écrasé dans un centimètre de whisky. Si ce n'est pas dommage de gâcher une telle médecine ancestrale ! Dénaturer ainsi l'ambroisie céleste des dieux pour en obtenir une pâte semi-liquide à l'aspect si peu engageant qu'il a avalée d'un coup ! S'est relevé, s'est dirigé vers le micro, et a commencé à chanter, aussi naturellement que s'il revenait du royaume des morts, recraché dans le monde des vivants par la gueule de l'enfer.

 

 

WHO'S WHO

 

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Vous ne confondrez pas les Hot Chikens avec Jake Calypso. Parce qu'à l'intérieur des deux groupes sévit le même énergumène, le dénommé Hervé Loison. Et comme il a tendance à se laisser aller à ses plus noirs instincts, l'on a parfois du mal à savoir si l'on est avec les Poulets Rôtis ou en train de planter son jack dans la divine Calypso. Pour vous aider à faire la différence, c'est facile, quand vous voyez une contrebasse c'est Jake Calypso, quand vous apercevez une basse c'est Hot Chikens. Ne me demandez pas pourquoi ce soir à côté des amplis repose une doublebass. Nous sommes pourtant bien en face des Hot Chickens.

 

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SUITE FLAMBOYANTE

 

 

Thierry se marre. De là où il est, derrière ses futs, il est aux premières loges pour le spectacle. Rien ne l'étonne, rien ne l'effraie. Le genre de mec, vous l'avertissez que la fin du monde surviendra dans dix minutes, ça le fout en joie. Lui en faudrait davantage pour le faire flipper. Prendrait ses baguettes et s'occuperait de peaufiner la bande-son de l'évènement. L'est habitué, tous les soirs, depuis des années, il marque le beat à côté d'un ouragan déchaîné, et quand Loison vient faire son nid et le poirier contre sa grosse caisse, il prend ça avec philosophie.

 

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Rien à voir avec Christophe. Un sourire gentil, une couronne de cheveux argentés, l'apparence du mec cool. Un tueur appointé de la maffia. Un teigneux qui a toujours un riff brûlant sur le feu, prêt à vous le balancer dessus sans votre permission. Tient un oeil de braise sur le patron, faudrait pas qu'il nous fasse une baisse de régime au milieu du show, lui jette des sourires complices et des accélérations flamboyantes entre les jambes. Prends moi ça dans les gencives, petit, ça te permettra de danser la gigue jusqu'à la saint glinglin.

 

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Rien qu'à la gratte, une Epiphone qui part un peu en zig-zag, l'on sent que Hervé Loison fait tout pour attirer les regards. Pas égoïste pour un sou toutefois. L'est pour les psychothérapies de groupe, les traitements de choc aussi. Les Hot Chickens c'est comme un hot rod, à fond la caisse, mais sans la carrosserie parce que c'est plus fun de savoir qu'à tout moment l'on risque de faire une pirouette, cacahuète. Les plus chouettes.

 

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Nous dit bonjour. S'excuse pour sa voix aphone. En fait, elle est plutôt devenue mégaphone. Miraculeuse médicamentation, l'a transformé les cordes vocales en tringles de fer. Inoxydables, car elles vont être mises à dure épreuve dans les heures qui suivent. Le mec sérieux, il annonce qu'ils vont nous faire une rétrospective de leurs parcours. Ordre et méthode, en commençant par leur premier CD dédié à Gene Vincent, et ploung ! c'est parti pour un Say Mama d'anthologie. Pour le second disque, Little Richard, il n'y aura pas de suivi tracé au cordeau. Sera donné en vrac, avec des morceaux du dernier Jake Calypso. Un peu foutoir, mais qu'est ce qu'on s'en fout. Un cat retrouve toujours ses petits. D'autant plus qu'ils hurlent de tous les côtés. Du rock torride. Une batterie qui tire à boulets rouges, une guitare kalachnikov qui arrose sans discontinuer, et Loison qui hulule comme Quetzalcoalt, l'oiseau-serpent, qui vaticinerait au-dessus d'un volcan en éruption. Evidemment la lave incandescente coule dans la salle maintenant pleine comme un oeuf de poule. Chaude. La fièvre monte à El Paso. Cuando el condor pasa. Pas sage du tout. Passage de la folie ordinaire à la la mania extraordinaire.

 

 

FIN DELIRANTE

 

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Jusque là nous sommes restés dans les limites du déraisonnable. Pour le deuxième set Hervé explose en plein vol. Demande à Eric, dans l'assistance de monter sur scène pour jouer de la contrebasse, lui il aura ainsi les mains libres et joignant ses gestes à ses paroles il jette dans un coin sa gratte sans plus de ménagement. Micro, voix, grognements, hoquets, raclements de gorge, borborygmes et onomatopées, toute la panoplie du rockab à profusion. Ne chante plus, il joue de son corps qui est devenu son instrument. Ce n'est pas sa guitare qu'il fracasse mais sa chair de rocker qu'il soumet à d'étranges tortures. Se couche, se tord, s'allonge, se vautre, la tête en bas, les pieds en haut, se lance dans d'informes et infâmes crucifixions joyeuses, des cruxifictions sacrificielles en l'honneur de la transcendance chamanique du rock'n'roll. Ombre de Vince Taylor en filigrane.

 

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Majorité de garçons dans les premiers rangs. Rock'n'roll, musique primaire des primates préhistoriques. Chanteur objet phantasmatique du désir masculin. Avec le public simulation de copulation anale. Alors le Hot Chiken number one plonge dans la foule pour aller chercher l'autre face du cul, le beau sexe, les poulettes, les filles, qui ne se font pas prier longtemps pour monter sur scène. Elles sont cinq sur le plateau – plus large il y en aurait eu dix – toute heureuse, jerkant sans fausse honte, Loison à leurs pieds, couchés comme le serpent du désir lové au bas des cuisses de la femelle. Mi-rieuses, mi-sérieuses, elles lui font de leurs jambes comme les arches d'un pont qui marche à sa rencontre...

 

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C'est la fin. Non le début. D'abord navigue à bout de bras autour de la salle balloté par la foule de fans enthousiastes. Ensuite il s'amuse un long moment avec son harmonica. Le lance en l'air, le rattrape parfois par chance, ou par le plus grand des hasards. Tombe et rebondit aussi par terre. Pas grave. Jettera aussi son micro. Le rock n'est pas une musique de conservatoire. Thierry et Christophe tiennent un train d'enfer, Eric doit abandonner sa contrebasse pour la basse électrique. Rock, sex et électricité, la grande trilogie de la défonce pure. La salle exulte, hurle et trépigne. L'on ne peut pas parler de rappel car les Hot Chickens jouent jusqu'à l'extrême limite de leurs forces. Reculent sans cesse le moment fatidique des adieux. Puisent dans les tréfonds de leur énergie. Et quand la coupe est vide, Hervé Loison se permet la dernière bravade, l'ultime provocation. «  Je vais vous chanter le morceau sur lequel je me suis cassé la voix hier soir ! ». Les rockers se moquent du lendemain qui sera un autre jour. Seul compte la magie de l'instant présent. Que l'on voudrait perpétuer jusqu'au bout de la nuit, jusqu'au bout de l'éternité.

 

 

END OF THE TRIP

 

 

Et c'est la fin. L'on reste encore un peu pour ne pas partir. Comme tout à l'heure l'on repartira pour ne pas rester. La décharge d'adrénaline a été trop forte. Rester, partir, les deux postulations sont aussi vaines. Une fois le teepee du rock'n'roll éteint, nous sommes comme des guerriers privés de territoire. Le monde n'a plus de formes assez ogivales à nous offrir. Nous sommes des errants, perdus dans nos existences, sans forces et sans âmes. Mais nous sommes des rockers, nous survivrons !

 

 

Damie Chad.

 

( Peu de photos de ces deux concerts, l'on a tapé des anciennes vues sur le facebook des artistes )

 

CROCKROCKDISC

 

 

TORNADO / THE PATHFINDERS

 

 

I'M LEAVING / BURY MY LOVE / TORNADO / AT TOP SPEED / DIRTY ROBER / SUR QUEL PIED / BOURBON MOON / MY WOLF / ROCK' YOU'RE BABY. WOODOO WOMAN. I FEEL SOMETHING... / RUSTY.

 

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Vocal : Lil'lOu Hornecker / Guitars : Thibault Ripault + Florian Mellin / Bass & Double Bass : Julien Dubois / Drums : Hugo « Sneaky » Deviers.

 

 

Des malins, les Pathfinders. L'on nous a déjà fait le coup, mais il marche toujours. La fille toute seule qui fait du stop sur le bord de la route. Vous freinez la mort, vous ouvrez la portière et vous vous retrouvez avec douze gros barbus avec sacs à dos dans le cockpit de la pink thunderbird. Donc ils ont mis Lil'lOu sur la couve, toute seule, sur un fauteuil, charme et tentation assurées.

 

 

Des gentlemen, les Pathfinders. Lil'lOu en premier parce lorsque vous mettez la rondelle sur la machine, d'abord vous n'entendez qu'elle. La Voix. Ventrebleu, ils se sont trompés à l'empaquetage, les idiots, z'ont glissé un disc de Carla Thomas, ou d'Aretha, ou de toute autre diva stax dans la couverture. Vous vérifiez, ben non, c'est bien elle, la Lil'lOu à la peau laiteuse de la photo qui chante en bleu et noir. Les mecs ils ont quand même tenu à laisser leur marque, se sont réservés un instrumental, rien que pour eux, un p't T-Boogie, pour que quand même l'on remarque qu'ils savent groover comme des grands. Oui, mais ils ont compris que dans un bijou ce n'est pas l'écrin que l'on regarde en premier, mais la perle qui attire les regards.

 

 

En plus ils ont raison. Ne sont pas des manchots du manche ou de la baguette. Ils ont invité une section de cuivres aussi puissante que les Bar-keys. Trompette, saxophone et trombone, toute la collection, sans oublier l'orgue, et surprise des chefs : un banjo. N'ont pas tort de se présenter sur le dos de la couve comme The Explosive Rockin' Soul Band. N'ont pas traversé l'Atlantique à la nage pour aller enregistrer au Muscle Shoal Studio de Shefield. Sont restés de ce côté-ci du rivage, au Studio Marbuzet de Roland Dubois. Pour faire un clin d'oeil à un vieil ami, Dan Giraud ( voir Kr'tnt N° 91 du 19-01- 12 ), je rappellerai ces jams enregistrés avec Dan, Rol Dubois et un certain Mickey Baker – les rockers apprécieront - en mon Ariège natale il y a plus de vingt ans... mais il est temps de passer aux choses sérieuses. Mais on y est en plein, parce que de Mickey à Lavern Baker, la transition est évidente et l'on est au coeur de notre sujet.

 

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I'm leaving, on n'a pas commencé que déjà Lil'lOu veut nous quitter ! Déclaration mélodramatique avec grande chute orchestrale en intro, les minettes ont le chic pour la mise en scène, mais la section cuivre n'entend pas la laisser partir et lui déroule un tapis de groove sur lequel sa voix fait des miracles. Du pur Memphis soul.

 

 

Bury my love, Lil'Ou insiste, elle entonne en plus appuyé, en plus définitif, les cuivres en boogie-soul, elle mène le bal à toute vitesse, à cette cadence, vous pouvez creuser une fosse commune en deux temps trois mouvements, car elle ne vous lâche pas une seconde, vindicative la fillette, mais on aime cela.

 

 

Tornado, la ballade bluesy qui donne son titre à l'album, un jeu de guitare à la Zeppelin, et Lil'lOu qui se glisse par dessus comme un serpent à la recherche d'une proie. Brûlure du Sud et chair de poule. Angoisse et sourde menace. Rien ne va plus. Vous nagez dans la chaleur moite des sueurs froides.

 

 

On laisse les boys s'amuser à la guitare, et l'on passe en toute vitesse à At top Speed, ce n'est pas qu'ils jouent mal, c'est qu'on est pressés de revoir la demoiselle. C'est qu'elle accentue le mouvement. Une branche du delta se nomme rhythm and blues, et l'autre s'appelle rock & roll. Nous sommes à la confluence.

 

 

Dirty Rubber. Faut se magner, elle s'est déjà embarquée dans un rockab-boogie, si bien foutu que Tony Marlow l'a repiqué pour le mettre sur la number five compilation de Rokers Kultur. C'est dire si ça accroche. Une reprise des Sonics.

 

 

Titre en français. Sur quel pied. Chat swingue bien. Une vilaine greffière qui s'amuse avec son rat apprivoisé. Facile à décrire, un chat dans la gorge et une chatte un peu plus bas. Elle finit sur le tin heat roof, à pousser des roucoulements de matoune énamourée. Entre Tennesse Williams et les Stray Cats.

 

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Après ces trois titres au plancher, ballade alcoolisée sous le clair de lune. Bourbon Moon, un orgue – oooh my soul, it's just a gospel blues, ballade romantique avec frisson dans la voix, guitare pleurnicheuse, choeur de cuivres, et les boys qui se prennent pour les Famous Flames. Lil'lOu nous verse des rasades de Four Roses. Avec les épines.

 

 

My Wolf. Dessin animé, scénario de Tex Avery. Ambiance swing jazz assurée. Scène de séduction high hot. Mais ce n'est pas le loup qui exprime le désir. L'on devine sous cette voix de gorge des seins animés.

 

 

Rock'you're baby, all night long, précise-t-elle dans le refrain. Un beau programme auquel nous souscrivons sans atermoiement. Surtout que les musicos balancent pas mal et que Lil'lOu roule pour nous, juste comme on aime.

 

 

L' appelé Koko Taylor en renfort. S'est appropriée sa Woodoo Woman, histoire de revendiquer une féminité de sorcière. Ce qui a l'air d'aiguillonner la fougue des boys, et c'est parti pour une longue conversation, musclée à souhait. Aucun des deux partis ne voulant s'avouer vaincu.

 

 

I feel something dit elle. Nous aussi, un plaisir sans limite, surtout qu'elle n'a pas fini un couplet que les musiciens relancent la sauce et que le ragoût est goûteux. L'on en reprend plusieurs assiettes pleines avec la voix ferme comme du cuisseau d'alligator et un jus d'instrus enivrants.

 

 

Rusty, l'on termine sur un blues musclé, juste pour nous faire regretter que ce soit déjà fini, la musique en arrière, la voix tonitruante devant, comme ces sépales qui enclosent la corolle des roses. De toute beauté.

 

 

J'ai voulu rattraper la cause des mecs. Sûr elle chante bien, mais faut avouer que le gars qui a signé la majorité des morceaux lui a taillé des diamants sur mesure. Quand j'ai regardé la liste des accréditions de près j'ai dû convenir que le sieur Hornecker, n'était pas un homme, mais le nom de Lil'lOu. De la ressource. Une créatrice, et cela fait la différence.

 

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Bref une galette royale. Pouvez la ranger avec votre série Special Rhythm And Blues des années 67, elle ne déparera pas. Du même niveau. Attention, on tient là un sacré numéro. Le plus grave, c'est qu'on sent qu'elle a encore de la réserve. Qu'elle n'a pas tout donné. A suivre, à ne pas quitter des yeux d'une micro-seconde, se promène sur tout le versant noir de la musique populaire américaine, comme si elle était née là-bas. A star is born.

 

 

Damie Chad.

 

 

 

 

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