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06/06/2013

KR'TNT ! ¤ 147. BOULE NOIRE / BALAJO / LUKY GAMBLERS / 4° ROCK THE JOINT

 

KR'TNT ! ¤ 147

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

07 / 06 / 2013

 

 

 

PROTOKIDS / PRIME MOVERS / GHOST HIGHWAY

LUCKY GAMBLERS / HOT JUMPING SIX

DALE ROCKA & THE VOLCANOES

 

 

 

LA BOULE NOIRE / PARIS / 25 – 05 – 13

 

 

PROTO KIDS / PRIME MOVERS

 

 

LE JOUR DE GRAHAM DAY VIENDRA

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Lili ne connaissait pas les Prime Movers. Les Prime quoi ? Comme pas mal de gens d'ailleurs. Je l'avais invitée à venir les voir à la Boule Noire, et il me semblait opportun d'éclairer sa lanterne en situant le contexte. D'autant plus qu'il s'agissait d'un événement exceptionnel : le groupe se reformait spécialement pour jouer à Paris. Impossible de rater ça.

 

Situer le contexte, oui, mais par où commencer ? Par un panorama de la scène Mod des sixties, véritable identité culturelle du rock anglais ? Par les Prisoners, groupe fétiche de la scène Mod anglaise des années 80 ? Par un portrait de Graham Day, l'une des figures légendaires du rock anglais contemporain ? Plus simple, car elle se souvenait vaguement de l'avoir vu accompagner Billy Childish à la basse. Le type flegmatique qui portait une tunique de l'armée des Indes ouverte sur une chemise à jabot bleu turquoise ? Yes darling.

 

Nous décidâmes de casser une petite graine avant de descendre dans le métro. Ça me laissait environ une heure pour évoquer les quatre insolentes merveilles que sont les albums des Prisoners, puis les trois majestueux albums des Prime Movers, (toujours Graham Day et son ami bassman Allan Crockford), puis les quatre monstrueux albums des Solarflares (même casting de rêve que les Prime Movers), puis les deux excellentissimmes albums de Graham Day and the Goalers qu'on trouve encore dans les bacs de certains disquaires raffinés. L'embêtant, c'est que je n'avais pas pensé à apporter de quoi illustrer musicalement mes propos, aussi décidai-je de mettre la pédale douce et de fermer provisoirement le robinet didactico-dithyrambic.

 

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Nous nous régalâmes de bons maquereaux palpitants et de fenouil poêlé. Chez Lili, on se pourlèche toujours les babines. Nous arrosâmes cette bonne gamelle avec deux excellentes bouteilles de pif et hop, nous mîmes les bouts. Nous n'étions qu'à trois stations. Nous jaillîmes hors de la station Pigalle et fonçâmes droit sur l'entrée de la Boule Noire, située juste à côté de la Cigale. Nous nous attendions à trouver une salle pleine. Quelle déception ! Quelques personnes occupaient les bancs en bois situés de chaque côté du parterre. Pour ne pas céder au désenchantement, nous convînmes qu'au moins, les gens présents connaissaient leur affaire. Nous nous trouvions donc parmi les happy few. On pouvait même se laisser aller à éprouver une sorte de petite fierté. Mais qu'allait penser le pauvre Graham Day de tout ça ? Je vis exactement le même spectacle de désolation un soir de novembre 2005 au Nouveau Casino. Il faisait un froid de canard. Brian Auger arriva sur scène et salua un public composé d'environ douze personnes. Il ne cilla pas et remercia les courageux amateurs de s'être déplacés. Il nous expliqua qu'il venait du jazz, que son maître à penser s'appelait Jimmy Smith et soudain, il se pencha sur le clavier de son orgue Hammond et envoya la purée de son shuffle légendaire. On se vit alors tous catapultés en plein swinging London. Shout shabada, baby !

 

Nous fîmes nos emplettes au bar. Puis nous allâmes nous installer au pied de la scène. Il ne nous restait plus qu'à nous préparer psychologiquement à l'épreuve de la première partie. Une heure à tenir, au fond, ce n'est pas si terrible. Le nom du groupe prévu pour cette première partie n'inspirait pas confiance : les Protokids. En vérité, frères de la côte, je vous le dis, on s'attendait au pire. Du genre du duo immonde qui jouait l'autre soir en première partie de King Khan et BBQ au Gibus.

 

THE PROTOKIDS

 

 

Trois jeunes gens s'installèrent rapidement sur scène. Ils semblaient sortir d'une École Supérieure de Commerce ou d'un truc comme ça. Celui du milieu portait un polo blanc. Une sorte de Gérard Ménez jeune. Avec leurs T-shirts blancs, les deux autres faisaient plus banlieue ouvrière. Une fille s'installa derrière à la batterie, en polo blanc elle aussi, brune, cheveux taillés très courts avec deux mèches très longues effilées par devant les oreilles. Comme les banquettes en bois de la salle évoquaient des vieux souvenirs de salle de bal, on aurait dit un groupe de surboum. J'enfonçai la tête dans les épaules, m'attendant aux pires exactions.

 

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Avec leur premier morceau, les Protokids annoncèrent la couleur : beat soutenu, grosse énergie, harmonies vocales en place, parfaite balance entre les deux guitares et la basse, speed pop musclée, chant bien en place et accrocheur, urgence et montée d'adrénaline, en un mot comme en cent, on retrouvait dans leur petit fourbi sonique tout ce qui faisait le charme des groupes de la scène Mod revival anglaise, ce petit quelque chose bien spécifique à l'Angleterre, qu'on ne retrouvera jamais dans aucun groupe américain : l'énergie, le talent et l'exubérance who-ish, cette pop magique claquée d'accords cristallins et ululée par des chouettes sous amphètes. Étrangement, les Protokids renouaient avec cette tradition cruciale. 

 

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On touche là très certainement au point le plus sensible de l'histoire du rock anglais. Les jeunes issus de la classe ouvrière se retrouvaient pleinement dans cette culture et dans cette musique. Dans un bel article sur les early Who au Marquee Club, Mick Farren décrivait l'incroyable tension régnant dans la file d'attente qui remontait jusqu'en haut de Wardour Street. Il comparait cette tension à celle qui règne dans un troupe prête au combat. Tout le monde se souvient du col roulé blanc frappé d'une cocarde tricolore que portait Keith Moon. Et quand on entend un morceau des early Who et qu'on ferme les yeux, que voit-on ? L'Union Jack !

 

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Mais là, on ne voyait pas l'Union Jack, même avec un coup dans le nez. On assistait au set impeccable des Protokids. Ils enchaînaient les morceaux avec une aisance à peine croyable. Le chanteur guitariste prenait des solos courts et incisifs, en roulant sa langue sous la joue, comme un gamin embarrassé. Il n'y avait pas la moindre trace de prétention, dans leur jeu. «Geometric Boy» sonnait comme un petit hymne des rues du West End, on s'attendait à ce que le public reprenne le refrain en chœur, un peu comme dans «Hersham Boys» des Sham. Tension permanente et drumbeat à l'anglaise, rush vespa et virages à fond, éclat des chœurs et refrains mélodiques, tout y était. Ils semblaient aligner des classiques, on pouvait tendre l'oreille pour essayer de reconnaître les morceaux, mais non, apparemment, il n'y avait aucune reprise. Et c'est là où l'étonnement dépassa les bornes pour atteindre l'ombilic des limbes, ils jouaient leurs compos, comme la petite batteuse allait me le confirmer à l'issue du set. Celle-là, je peux bien avouer qu'elle m'a laissé comme deux ronds de flanc. On a parlé des groupes de la scène Mod revival des années 80 et 90, du label Detour et des Purple Hearts. Évidemment, ils étaient en plein dedans. Allan Crockford, coiffé d'un petit chapeau, était juste devant moi. Il devait être très impressionné, car il n'a pas quitté le groupe des yeux pendant tout le set. On était même très inquiets pour les Prime Movers. Allaient-ils oser monter sur scène après une telle démonstration de force ?

 

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Grimpée sur le banc, Lili ne cachait pas son enthousiasme. La soirée s'annonçait bien et la salle commençait enfin à se remplir. On se contente parfois de peu pour se rassurer.

 

Voilà pour les Protokids. Prochain concert à la Mécanique Ondulatoire, le 15 juin. Et bientôt en tête d'affiche à l'Hammersmith Odeon (du moins l'espère-t-on). Ils vendaient 5 euros leur premier quarante-cinq tours. Pochette en noir et blanc bardée de pillules. Franchement, leurs morceaux sonnent comme des hits, mais le son du 45 t n'est pas bon. Quelques morceaux traînent sur Internet. Avis aux amateurs. On attend un album avec une impatience non feinte.

 

 

THE PRIME MOVERS

 

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Alors qu'Allan Crockford branchait sa basse et que Wolf s'asseyait derrière les fûts et disposait précautionneusement au sol près de lui une bouteille de Ballantine's et deux canettes de bière, Graham Day arriva sur scène avec sa réserve habituelle. Il portait un polo noir. Il entra tout de suite dans la vif du sujet : «The Good Things», pièce pulsative, immodérée, terriblement accrocheuse, solo de wha-wha splashé à la gueule des dieux. Du haut de sa perfide modestie, Graham Day régnait sans partage. Le trio grésillait littéralement d'énergie pulvérisatrice. On palpait la tension. Du coup, on comprenait nettement ce que signifiait le fameux slogan des Solarflares : «Force feeding psychedelic punk chaos to the drooling masses since 1988» (Le groupe qui depuis 1988 gave les foules - comme les oies - de chaos punk psychédélique)

 

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Les Prime Movers n'ont pas des allures de rock stars, loin de là. Graham Day ressemble à un moniteur de sport, Allan Crockford au pilier de comptoir du PMU et Wolf à un touriste bavarois. Mais ils perpétuent la brillante tradition du rock anglais. Abandonnés des dieux, ils ont contre vents et marées enregistré des albums irréprochables, bourrés de garage-rock incendiaire et de hits dignes de Who. Dans les années 80, le freakout des Prisoners n'intéressait plus personne. Ils ont partagé le sort des Flaming Stars et de Gallon Drunk, en sombrant dans les cercles cultissimes de l'underground britannique, alors que des groupes d'une invraisemblable médiocrité se partageaient les premières pages des magazines (on ne citera pas de noms, sauf si vous insistez).

 

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Ils enchaînèrent aussitôt avec «Mary» puis une reprise de Jimi Hendrix, «Freedom» (qu'on trouve sur l'album posthume «Cry Of Love»), transformée en classique soul. Wha-whatée quand même, mais staxée jusqu'à l'os. On croyait entendre Steve Marriott. La voix de Graham Day, soulman mirifique, éclatait au grand jour. C'était assez bouleversant, pour être tout à fait franc. On ne comprendra jamais pourquoi un rocker de cet acabit reste dans l'ombre.

 

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Parmi les grands chanteurs anglais, on cite couramment Rod Stewart, Chris Farlowe, Mike Harrison, Eric Burdon, Reggie King ou Steve Marriott. Bizarrement, on oublie toujours de citer Graham Day. Moddish maudit ?

 

Son dense et beat turgescent, voilà la règle chez les Prime Movers. Leur son sent bon la brique rouge des faubourgs anglais et le cheveu frangé. Ils n'ont pas d'autre ambition dans la vie que de faire rouler les hanches de leurs fans. Shake your hips ! Ils savent ficeler le stomper de piste de danse qui fera lever tout le monde. Leur son jute comme un gros bouton d'acné percé. Splash ! Droit dans le miroir de l'armoire à pharmacie. Ils réussissent l'exploit de mélanger la tension malsaine des Pretty Things avec le beat dynamité des Who, et de recouvrir tout ça d'harmonies vocales dignes des Hollies. Chez eux, il pleut des accords comme au temps béni des Move. Graham Day puise en permanence des accents toniques dans sa soute. Il connaît toutes les arcanes du r'n'b à l'anglaise, il rallume d'anciens brasiers, ceux qu'allumèrent jadis The Attack, The Creation, The Action, les Who, le Spencer Davis Group ou les fringants Artwoods. Sur scène, il rejoue le destin du rock anglais à la roulette. Il mise tout, tapis direct, car il sait qu'il ne peut pas perdre. Les Prime Movers ont tellement d'allure qu'ils donnent des leçons sans vouloir en donner. Graham Day peut même faire le méchant, mais sans toutefois égaler le génie vocal de Chris Farlowe. «You Want Blood» est une honnête petite bête de l'apocalypse. «You better treat me good», siffle-t-il entre ses dents et son solo coule comme une rivière de miel dans la vallée des plaisirs infinis. Et puis ils ont un sacré point commun avec les Sonics : la faculté d'exploser quand bon leur semble.

 

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Pour les bassistes, le spectacle d'Allan Crockford sur scène est un pur régal. Il se lance pour chaque morceau dans de folles aventures batailleuses, avec un son moelleux, rond et sourd comme une menace. Son de basse idéal, continuellement présent et jamais dans le m'as-tu-vu. Il insuffle au freakout d'énormes doses mélodiques qu'il va tricoter en bas du manche. Sous des airs pépères, il est en perpétuelle ébullition. Il lui arrive même de faire un petit bond au début de certains morceaux. Ce mec est magnifique d'inspiration. Il doit éprouver l'immense fierté d'accompagner Graham Day. Ce groupe pue la cohésion à dix kilomètres à la ronde. Un modèle du genre. Pendant que Graham chante du gras de la glotte, Allan buzze around comme une bête. Quant à Wolf, il peut pétarader le mish-mash de Keith Moon quand il veut, aucun problème de ce côté-là. L'éruption permanente n'a pas de secret pour lui. La source d'énergie nitroglycérique, c'est lui. Mais on le regarde à peine. Sur scène on ne remarque jamais les bons batteurs. On ne voit que les mauvais.

 

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Ils balancèrent aussi «I'm Alive», morceau plus ambitieux, digne de la grande mélasse fatidique des Prisoners, puissant des reins, monté sur un riffage moddish. Graham Day y coula un solo flash d'une infinie beauté boréale.

 

Et paf, «Love Me Lies» dans les dents. Graham chantait salement, il interférait dans une vieille vague déferlante à coups de gimmicks incendiaires. Il troussa son shake-out pernicieux et prit un solo gras, heavy comme pas deux, gluant et monstrueux.

 

Un set des Prime Movers peut vous mettre à plat, tellement ça pulse. Exactement comme quand on fréquente une nymphomane. L'aube approche, on y est depuis la veille, on croit qu'elle va enfin se calmer, et hop ! ça repart de plus belle, ça ne s'arrête jamais, elle vous tripote le caoutchouc, vous voulez dormir, mais bon, vous vous laissez faire. Les Prime Movers jouent à ce petit jeu : pas de rémission.

 

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Il y eut quelques morceaux en prime, dont un fabuleux «Begging You», digne du Spencer Davis Group, insolent carrousel lancé à pleine vitesse dans le ciel plombé de Medway. Écœurant de classe, Mod authentique et sauvage, dégoulinant d'adrénaline, Graham Day crachait ses «Begging you» à la face de dieux. Cinquante ans après l'épiphénomène Mod, il réincarnait le mythe avec une éclatante autorité.

 

On ne peut pas se lasser de sa luxuriante extravagance, de son rock gorgé de purple flashes. Il allie l'ultra-puissance des harmonies vocales à l'imminence de riffs dévastateurs, il mêle l'explosivité des claquages d'accords et des drum-rolls à la suavité poppy des boisseaux de chants perchés. Si HP Lovecraft s'en mêlait, il dirait que ce monstre freakbeat polymorphe promène ses hideuses tentacules sur l'histoire du rock anglais.

 

Ce bougre de Graham Day est beaucoup trop doué. Il n'appartient pas au commun des mortels. Il étonne par l'affolante fréquence de ses réactions, par l'aspect frénétique de son inventivité, il place des gimmicks un peu partout, dans le moindre recoin, surtout là où personne ne les attend. Ce n'est pas chez les Prime Movers qu'on trouvera un blanc.

 

Ils mirent le turbo avec «I Am the Fisherman». Ils fonçaient ventre à terre sur une belle ligne de basse, ils ondulaient sous le vent, négociaient les courbes avec grâce, et puis soudain, des gros breaks beatlemaniaques éclataient, suivis de chœurs byrdsiens savamment irisés. On n'avait encore jamais entendu un truc pareil ! Pure sorcellerie.

 

Graham Day et ses amis nous laissent rêveurs. Perpétuateurs de tradition et hallucinants de véracité, ils ne sombrent pas dans le passéisme mais tendent au contraire vers le modernisme le plus exubérant. Ils vont même jusqu'à nous proposer les morceaux que les Who ont toujours rêvé de composer. Pas mal, pour des relégués.

 

Le retour au réel fut d'une rare brutalité. Ce n'est jamais simple de descendre d'un nuage. Nous décidâmes de redescendre à pieds pour digérer le plus lentement possible nos émotions, comme le font les gros anacondas de la forêt équatoriale qui viennent d'avaler leur cochon sauvage hebdomadaire. Lili avait adoré le concert. Nous papotâmes tranquillement sans trop chercher à expliquer le divin désordre qui régnait dans nos esprits. Comme elle parvenait à relier ses souvenirs entre eux, ça permettait de bricoler une conclusion de bon aloi. En arrivant à la Trinité, nous étions d'accord : l'esprit saint des Mods anglais nous avait illuminé.

 

Alors nous grimpâmes ensemble les marches conduisant aux portes de l'imposante église et depuis le perron, nous nous mîmes à haranguer les rares passants : «Prosternez-vous, mes frères car, oui, le jour de Graham Day viendra ! Les populaces du monde entier attendent depuis des siècles la venue de celui qui montrera le chemin droit devant. Vous avez cru pouvoir compter sur Jesus-Christ, puis sur Malcolm X et enfin sur le Che. Mais à chaque fois, des forces obscurantistes intervenaient pour tout gâcher : les Romains, puis la CIA et enfin l'armée bolivienne. Mais rassurez-vous, mes frères, sachez qu'au cœur de l'underground britannique brille l'étoile divine de Graham Day !»

 

 

Signé : le facétieux Cazengler

 

 

The Prisoners : A Taste of Pink/ The Wisermiserdemelza/ The Last Fourfathers/ In from the Cold.

 

The Prime Movers : Sins of the Fourfather/ Earth Church/ Ark.

 

The Solarflares : Psychedelic Tantrum/ That Was Then...And So is This/ Look What I Made Out of My Head/ Laughing Suns.

 

Graham Day and the Goalers : Soundtrack to the Daily Grind/ Triple Distilled.

 

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GHOST HIGHWAY

 

 

PARIS / BALAJO / 29 - 05 – 2013 /

 

 

 

 

La Salsote n'est pas parigote, elle ne mouillote et ne trempote point sa patote sur le pavé humide de la capitale, l'a du flair l'est restée au chaud dans sa panière alors que Mister B and Aïe ( ça fait mal ) nous filons dare-dare sur le bitume du onzième arrondissement le dos vouté sous une averse diluvienne. Serait-ce déjà le week-end que tels des chiens mouillés nous fonçons tête baissée vers notre gamelle rock'n'roll hebdomadaire ? Que nenni fidèles lecteurs, à peine trois jours d'écoulés depuis le concert des Ghost Highway de Crépy-en-Valois et nous remettons le couvert. Ce soir nous donnons dans l'acharnement thérapeutique, les Ghost fêtent la sortie de leur nouveau disque au Balajo, le devoir du fan fidèle étant d'être là, nous répondons présents à cette festive invitation.

 

 

Un bonheur n'arrive jamais seul. Au détour d'une rue, notre visage s'illumine, une boutique de disques ! Au sec ! Serions-nous nés sous une bonne étoile ? Hélas, Born Bad ! Terrible signe du destin ! Et prestigieux label du rock français. L'on en ressortira tout heureux une demi-heure plus tard tous deux porteurs d'une rare galette vinylique : un Billy Fury pour Mister B et un Little Richard live in Paris for me. Mais nous voici à destination. Rue de Lappe. En réfection, Beyrouth en 1988. Plus de chaussée, plus de trottoirs. Bordée de bars douteux dans lesquels se presse une jeunesse dépravée et assoiffée. La honte de la nation, dans leurs yeux avinés l'on devine qu'ils ne pensent qu'au sexe, aux excitants et aux musiques épicées, mais laissons ce douloureux sujet de côté, ce soir nous avons rendez-vous devant une véritable institution française. Le Balajo.

 

 

LE BALAJO

 

 

Croyez pas que le Balajo fût simplement le temple de la musack. Sûr à la suite de Jo Privat tous les accordéonistes véreux de la terre se sont donnés rendez-vous en cet endroit, mais admirateurs sans borne de Cliff Gallup et de Grady Martin inclinez-vous. Django Reinhart le père à tous les gratteux d'outre Atlantique fréquentait l'endroit. Plus les mauvais esprits de l'époque, de Louis-Ferdinand Céline à Marcel Aymé. Et Chuck Berry y a joué ! Une réputation des plus franchouillardes, mais une caution rock suffisante pour se sentir libéré de toute compromission !

 

 

M'attendais à un espace plus grand, une pièce d'entrée avec bar, vous y mettez au grand maximum cent cinquante personnes debout serrées comme des harengs en caque, la salle de spectacle proprement dite, faussement circulaire, encombrée de tables et de chaises, piste de danse au milieu. Dans un renfoncement est installé le matériel des Ghost. L'on me présente ce que l'on appelle pompeusement le fumoir, un mini-compartiment vitré, un aquarium avec les poisons rouges des bouts incandescents des cigarettes qui scintillent dans la pénombre de la salle.

 

 

Vingt heures que l'on nous avait dit. L'on ne nous avait pas précisé que c'était pour le cours de danse. Soixante pékins en couple qui s'essaient à danser le rock. Il est sûr que la nature est injuste et que certains sont moins aidés que d'autres. L'on a dû tomber sur l'atelier des blaireaux apprivoisés. La prof a beau s'époumoner sur son micro, c'est mou de chez mou de veau. Me suis toujours demandé pourquoi de tristes et naïfs individus dont l'âme doucereuse n'a manifestement jamais été dévastée par le big beat s'obstinent à vouloir apprendre à danser le rock. Expliquez-moi Docteur Rock les funestes raisons de cette pathologique addiction à une danse qui ne leur ressemble pas ? Terrible impression que certains confondent danse de saloon à la Peckinpah et danse de salon de tantine Ernestine...

 

 

Le monde arrive, la salle se remplit peu à peu mais sûrement. La kyrielle des fans habituels mais au grand complet, le club de danse qui ne hisse pas les voiles, et un public d'inconnus attirés par le bouche à oreilles. Au bas mots plus de cinq cents personnes. Des têtes connues, Eddie des Ol' Bry, Jean William Thoury, Tony Marlow et bien d'autres. Jull nous renseigne : une demi-heure du tour de chant habituel – discussion serrée sur le choix des morceaux – une demi-heure de pose et l'album en entier en deuxième partie.

 

 

PREMIERE PARTIE

 

 

Dès que Turky arrête la musique et annonce les Ghost c'est la ruée vers la scène. Les places sont chères surtout qu'un grand nombre de petits malins stationnent en premières lignes depuis longtemps. Dommage pour Phil qui s'est commandé un superbe costume de lin blanc coupe fifty, l'est tout beau dedans, en impose à la galerie, l'a de l'allure et de la prestance, mais relégué tout au fond l'on n'aperçoit plus que sa figure de temps en temps.

 

 

Zio se retrouve pratiquement au centre Jull légèrement en avant sur notre gauche et Arno plus à droite mais beaucoup plus avancé. Nos quatre baroudeurs ont réussi à adopter une position en quinconce ! N'ont pas dû se mettre d'accord car ils vont y passer une bonne partie du répertoire habituel. Une bonne heure. La foule remue et rugit de plaisir à chaque intro.

 

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Du chaloupé ( mais du cat réussi ), Arno entonne la majorité des titres. Est en forme, la voix merveilleusement posée et bien en place. Balance aussi salement à l'harmonica. Lorsque Jull prend la rythmique pour Country Heroes, silence dans la salle, Zio ne touche plus ses cordes et soudain je réalise combien ce soir, tout comme le dimanche précédent, il est l'ossature dorsale du groupe. Dès le dernier sifflotement de Phil et l'extinction du miaulement de l'harmo d'Arno, Zio redémarre et le son prend une nouvelle ampleur. Faut avouer qu'ils bénéficient d'une sono parfaite, réglée au millimètre près.

 

 

Jull est sur la réserve. Surveille le beat, maîtrise le balancement syncopé très particulier qui définit toute une partie reconnaissable et inimitable du son des Ghost. Ca tangue dans le public. Sous extase. Au fond de la salle il y a encore des couples qui continuent leurs exercices de danse. Entre nous soit dit, feraient mieux d'arrêter leur gymnastique et d'écouter de toutes leurs oreilles pour tenter de saisir dans leur comprenette l'essence du rock'n'roll. Mais il n'est de pire sourd que celui qui ne sait pas écouter.

 

 

DEUXIEME PARTIE

 

 

Les Ghost remontent sur scène. C'est à croire que tout le monde connaît déjà par coeur les titres du nouvel album car très vite la salle reprend les refrains et réclame des titres précis. Nouveauté, les Ghost ont amené un piano sur scène, l'était dévolu à Jean-Pierre Cardot, mais il n'a pu se libérer, Arno le remplace. N'a pas choisi le plus facile, Crazy Arms de Jerry Lou, s'en sort bien malgré un faux départ. Sa voix imite les inflexions si caractéristiques du Killer, les Ghost ont modulé la tonalité, avec de tendres échos de nostalgie country et derrière Phil adopte un battement tout en souplesse moins pesant que la version de l'homme de Ferriday enregistrée pour Mercury.

 

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Saute tout de suite sur Cause I forgot, un original des Ghost, ballade chantée par Jull appelée à jouer dans le répertoire le même rôle que Country Heroes toujours attendu et salué dans les concerts. Un titre à la hauteur de Hank William III, tout comme les trois autres composés par le groupe qui s'insèrent sans problème dans la nomenclature habituelle. Mais je vous renvoie à l'analyse du CD ci-dessous.

 

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Filoche à cent à l'heure. Difficile de ne pas se laisser emporter par la suite ininterrompue des titres et de se livrer à une analyse plus objective que l'enthousiasme soulevé par la magie du live et le contentement de la foule qui applaudit et hurle à tout rompre. Le son n'est plus exactement le même. Les reprises sont retravaillées à la sauce Ghost, les élèves sont en train de revoir la leçon des maîtres pour en fournir des relectures plus savantes. Les nouvelles compos utilisent la guitare d'une autre manière. Elle ne sert plus de faire valoir à la mouture des morceaux, elle n'est plus le riff ponctuateur qui partage les eaux de la rythmique. Elle devient l'assise du morceau sur laquelle se greffent les autres instruments. Renversement hégélien de la structure de base. Les Ghost opèrent une redéfinition de leurs modes opératoires.

 

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Mais la salle s'en fout et s'en contrefout. Elle est subjuguée et emportée par la marée musicale. Ne repartiront pas comme cela. Brouhaha de satisfaction qui ne demande qu'à être encore comblée. Devront encore se fendre du rappel habituel. Termineront totalement défaits sur Goin'up to the Country. Z'ont raison après un tel triomphe il est temps de retourner à la maison. En partant je récupère un flyer sur une table. Les Ghost Highway au Gibus en novembre prochain. Le groupe qui monte.

 

Damie Chad.

 

( Images prises sur la chaîne You Tube de chrisdixie1 qui fime la plupart des concerts auxquels RK'TNT assiste et qui propose des centaines de vidéos )

 

CROCKROCKDISC

 

GHOST HIGHWAY / BACK ON THE ROAD

 

 

Hey Miss Fannie / Hunter / Warm Love / Crazy Arms / Nervous Wolfman / Born To Love One Woman / Thunderstorms & Neon Signs / Female Hercules / Black Slacks / Teenage Heaven / She Said I Love You Baby / Cause I forgot / Whenever You're Ready / I'm Ready / Gone Ridin'.

 

 

Arno ( Vocals, guitar, piano, harmonica ) / Jull ( Vocals & lead guitar ) / Zio ( Bass ) / Phil ( Drums ) + guests : Jean-Pierre Cardot : piano on 8 & Jacques Gavard : guitar on 7 & 8.

 

 

BLR Studio / Rock Paradise / Rockers Kultur

 

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Indéniablement un bel objet. Unité esthétique de la pochette, recto, intérieur, verso et CD lui-même. Pour l'originalité du dessin, un hot Rod avec les quatre têtes découpées, je ne crierai pas au génie. Un peu trop classique, un peu trop attendu. Mais l'on ne juge pas un disque sur sa pochette, faut écouter avant tout.

 

Quinze morceaux. Certains déjà au répertoire depuis longtemps, d'autres nouveaux mais déjà entendues sur scène, des compos originales signées par tous les membres du groupe et des reprises inédites si je peux me permettre cette incongruité sémantique.

 

Hey Miss Fannie une reprise de 1952 des Clovers groupe noir de doo wop qui connut son heure de gloire lorsque Ahmet Ertegun les signa sur label Atlantic.( Rappelons que c'est en hommage à Ertegun que Led Zeppelin se reforma en 2007 ). Belle introduction, le piano bastringue et la guitare ont remplacé le sax des Clovers, le morceau sonne beaucoup moins rhythm'n'blues mais beaucoup plus honky tonk comme si les Ghost s'ingéniait à le faire remonter plus haut dans les racines de ses origines.

 

Hunter : cent pour cent Ghost, le son syncopé allié à des solo de guitare très électrique et à chaque fois on refile le bébé au vacillement de base. Une réussite, l'équilibre idéal entre l'ancien et le nouveau.

 

Warm Love : démo des frères Burnette de 1957, vais me faire des ennemis mais la version des Ghost me paraît supérieure à celle de la Burnette family, soli de guitare plus appuyés vocaux davantage ancrés dans la chair du hit, un peu trop virevoltants sur la démo. Une véritable recréation.

 

Crazy Arms : l'on ne présente plus la référence absolue la cover Sun ultime de Jerry Lee Lewis ( qui l'enregistra maintes fois ). Le piano et la voix de Jerry Lee font toute la différence avec les versions qui précédèrent sa propre reprise. Les Ghost s'amusent à y coller au plus près, jeu dangereux que celui de se rapprocher du son original du studio miracle. Jull se fait discret si ce n'est deux ébrouements de cordes qui ne dépassent pas quatre secondes laissant toute la place au piano et au chant d'Arno qui s'en tire très bien. Très beau travail à la rythmique de Zio et de Phil. Belle carte de visite à tous ceux qui auraient envie de remettre en cause la légitimité de la prétention à l'authenticité des Ghost.

 

Nervous Wolfman : contraste total avec le précédent, la guitare de Jull prend sa revanche soutenue par l'harmonica d'Arno, rythmique d'enfer sur une base blues. Une des plus belles réalisations du disque qui montre l'étendue du registre du groupe. Très rentre dedans. Trace sa route sans se préoccuper du paysage.

 

Born to Love One Woman : ( maigre programme ) écrit et enregistré en 1956 par Don Johnston mais surtout connue par la version de Ric Cartey de 1957. Les Ghost y rajoutent une voix et une guitare bondissantes qui dynamisent le morceau sans rien trahir de l'original. Retour au roots.

 

Thunderstone & Neon Signs : de Wayne Hancock que les Ghost affectionnent, né en 1965 et grand ami de Hank Williams III créateur de Country Heroes – nous sommes bien dans la même nébuleuse d'influence revendiquée. Indolence sudiste le morceau s'étire paresseusement, la guitare fait des bulles, ont évité l'accent nasillard de l'original, vous l'avez compris ce n'est pas mon morceau préféré.

 

Female Hercules de Bill Carslile yodeleur bondissant et chanteur country qui l'enregistra en 1954, les Ghost nous rejouent la même partition fidélité à l'esprit de l'original mais son survitaminé

 

Black Slacks, vieille paire de pantalons noirs qu'Arno enfile avec délectation à chaque concert produit par les Sparklestones en 1957, a tellement de plaisir à le chanter qu'il le dynamite de l'intérieur, par contre le découplement de la batterie opérée au milieu du morceau par les Sparklestones qui sonne un peu comme un solo des Blue Caps m'agrée davantage.

 

Teenage Heaven : pas un des morceaux les plus connus d'Eddie Cochran, difficile d'égaler la voix ample et grave d'Eddie, le solo de sax est remplacé par un piano à la Fats Domino, relecture intéressante mais l'apport essentiel me semble résider dans les dernières notes de guitare, c'est sans doute par là qu'il aurait fallu commencer en électrisant davantage le morceau.

 

She Said I love you baby : ce qu'ils font très bien sur l'original suivant avec une voix qui court en avant et qui s'étire comme une barre d'acier au laminoir. Très bon, avec ce hurlement de Jull en plein milieu.

 

Cause I forgot : le fameux numéro 12 qui dans les conversations se détache déjà. Un original dans la continuité du morceau précédent, très beau chant de Jull accompagné d'un super galop d'orchestre par derrière. Paroles d'une folle mélancolie. Idéal pour les passages radios.

 

Whenever You're Ready : écrite par Dorsey Burnette en 1956, un peu trop gentillette à mon goût, les Ghost en ont préservé l'aspect insouciant et adolescent en rajoutant une touche de coquinerie dans la voix qui sauve le morceau de sa fadeur initiale, un solo de guitare qui pousse le bouchon encore plus loin et Zio et Phil qui balancent comme des diables..

 

I'm ready : un morceau pour guitariste, c'est Hank Cochran qui chante encore un peu trop hillbilly et d'Eddie Cochran qui gretsche ses parties comme fou, Jull prend son pied à envoyer le morceau d'une seule traite alternant solos de guitare et inflation de la voix dans une optique davantage cochranesque.

 

Gone Ridin que l'on trouvait en 1984 sur le premier 33 tours de Chris Isaak, démonstration de guitare, urgence / éloignement / résurgence, à chacun de faire défiler ses propres images sur un tel scénario de base. La guitare de Jull emporte tout, à l'inverse de Chris Isaak il ne découpe pas le morceaux en plusieurs séquences, se lance dans une grande fuite en avant électrique. Les Ghost n'ont jamais sonné si fort.

 

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Tout ça ce n'est que de la dissection de cadavre. Coupez votre téléphone, fermez votre porte à clef, éloignez les âmes sensibles, sortez votre meilleur cigare, votre vintage bourbon, et poussez la sono ou le phono à fond. Offrez-vos quinze heures d'écoute sybaritique, passez et repassez chaque plage au moins vingt fois de suite et prenez votre pied à admirer le travail. Ce CD est un coffret de pierres précieuses dont vous allez savourer les teintes rares et les limpidités cristallines. Les Ghost ne refilent pas du toc. Les morceaux défilent et miroitent de toutes leurs subtilités. Un son d'une clarté absolu, l'on dirait qu'ils sont en train d'enregistrer dans la pièce à côté.

 

 

Les Ghost Highway sont un grand groupe. Non pas parce qu'ils répètent l'histoire du rockabilly qu'ils connaissent par coeur, mais parce qu'ils possèdent l'intelligence des nuances et qu'ils sont en train d'inventer un nouveau chemin pour ce style de musique. Ni copie conforme, ni psychobilly, ni wild, ni surfin, ni punkabilly, sont engagés sur une route des plus surprenantes. La galette est encore chaude que déjà l'on tire des plans sur la comète en imaginant ce que sera leur prochain disque. Ce Back on the Road soyons-en sûrs fera le bonheur du public mais ouvrira bien des débats chez les musicos, car la problématique du futur du rockabilly n'a jamais été aussi bien posée en France. Indispensable.

 

 

Damie Chad.

 

 

 

 

 

 

LA CALE SECHE / 31 – 05 – 2013

 

 

LUCKY GAMBLERS

 

 

La Cale Sèche, drôle de nom pour un rade où en toute innocence l'on entre pour s'arroser le palais de boissons capiteuses. De toutes les manières j'avais promis aux Lucky Gamblers de les revoir en concert, alors sèche ou pas, la teuf-teuf mobile ( pas bête à tout hasard elle a fait le plein avant de prendre la route ) me dépose à proximité de la rue des Panoyaux en plein Paname à Ménilmontant.

 

 

Première soirée printanière, les cafés et les locaux associatifs regorgent de monde, l'assistance déborde sur les trottoirs, pas de mal à repérer l'entrée de la Cale Sèche. Pas vraiment étroit mais pas large non plus. Le matos des Lucky est coincé dans le prolongement du bar et une espèce de cuisine ouverte. Une grosse marmite vaporise sur le feu. Affiche des Washington Dead Cats sur les murs, sur internet le lieu est catalogué dans la catégorie des bar-punk. Avec les punks faut se méfier, ils ont dû capturer un touriste japonais et le faire cuire à petits feux et gros flocons dans le chaudron communautaire. Hélas, la réalité est toujours au-dessous du mythe, à regarder le menu et à voir le cuistot remplir consciencieusement des saladiers, je dois déchanter, il semble que la spécialité de la maison soit le potage aux légumes. Beurk ! Comme chez votre grand-mère. Les japs peuvent se radiner tranquilles, n'ont pas de sushi à se faire. Quant à moi, je saute le plat principal et commande le café tout de suite. Désolé mais les rockers si vous leur enlevez le sandwich au cuisseau d'alligator...

 

 

En attendant le moulin est plein comme une huître, majorité d'étudiants qui discutent de leurs partiels. Qui très vite se révèleront n'être pas venus là par hasard. Les Lucky Gamblers possèdent apparemment leur public de fans. Le patron arbore un T-shirt des Pogues, ce qui ne l'empêche pas d'aller à 20 heures trente tapantes chercher séance tenante nos trois lascars qui discutent avec les copines sur le trottoir. L'anarchie oui, mais contrôlée.

 

 

THE LUCKY GAMBLERS

 

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Pour les amplis, presque des transistors. Les fils grouillent sur le plancher emmêlés comme des scoubidous, derrière leur trois micros les Gamblers essaient de ne pas s'y prendre les pieds. Sont trop proches l'un de l'autre, mais on les sent à l'aise et heureux d'être là. Donnent un concert très différent de celui mis en oeuvre à Tournan-en-Brie ( voir KRTNT 137 du 28 – 03 – 13 ). Pas du tout le même son que sur le plateau de l'association Fortunella. Du coup les guitares d'Arnaud et d'Alexis sonneront malgré leur amplification beaucoup plus comme des sèches. En parfaite harmonie avec cette Cale peu humidifiée.

 

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Ce qui est loin d'être désagréable mais qui change l'atmosphère des morceaux. Le premier set sonnera moins country qu'au pays briard, The House of the Rising Sun de par ses lourdes harmonies et sa gradation finale obtenue par le seul secours des choeurs nous plongera carrément dans une atmosphère très country blues. L'impression sera d'autant plus forte que François laisse filer sa partie de basse aux abonnés absents. On l'attendait avec sa double white bass mais il ne sent pas encore prêt de faire le saut et continue sur son électrique.

 

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Sont méchamment applaudis à chaque fin de morceau et vivement encouragés pendant les chorus et les solos. Mais le meilleur de la prestation c'est quand Arnaud et Alexis rivalisent d'ardeur sur leur cordes. Ce qui arrive souvent. Ne se piquent pas les plans mais se poussent l'un l'autre à aller plus avant. Nous sortent une première compo pas piquée des hannetons dans le droit fil de l'ambiance qu'ils ont sue créer. Nous offrent aussi un Hurt de toute beauté, caschienne en diable et émouvante.

 

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La séquence ne dépassera pas les trois quart d'heures. Trop peu. Trente minutes d'entracte à tirer la clope sur le devant du bar et à prendre des photos avec les amis. Les Lucky Gamblers sont sollicités de tous côtés. Rires, embrassades, amitiés. Rappel à l'ordre, du même qui regarde sa montre aux soutiers qui comprennent qu'il est temps de rentrer la marchandise dans la cale.

 

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Un passager clandestin dans l'équipage. Arnaud et François ne sont pas encore dans la mâture. Un grand garçon châtain à la barbe veloutée s'est emparé du micro, et Alexis le présente comme un membre de son autre groupe. N'ai pas pu saisir son prénom dans les cris des spectateurs, mais je peux certifier qu'il possède une super voix, entre vieux bluesman alcoolisé et la râpe de Tony Joe White, n'est pas godiche non plus à la guitare avec laquelle il s'accompagne pour un second morceau. S'éclipse à la fin de sa chanson comme s'il espérait que personne ne l'ait remarqué... Raté.

 

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Le deuxième set, encore plus court que la première partie sera d'une autre obédience. Musique plus nerveuse et vocaux plus incisifs. Des compos personnelles que l'on sent très électriques dans leur conception. Chaleur artique. Du jeté-frappé sans concession. A chaque fois c'est l'ovation. Lucky Gamblers nous dévoile une autre face de son image. Alexis parvient à unir ces deux facettes un peu antithétiques grâce à l'énergie vocale qu'il déploie, plus rauque et sombre quand il aborde le côté roots du répertoire et beaucoup plus entaché d'un phrasé british pour les morceaux originaux. Je ne sais s'ils en sont conscients mais les Lucky Gamblers tentent de faire couler en un même lit la boue alluvionnaire du Mississippi avec les brumes de la Sheaf. Rude travail en perspective.

 

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Au terme de cette deuxième vision Les Joueurs Chanceux nous ont dévoilé un aspect de leur projet peu mis en valeur à Tournan. Qui suscite intérêt et attention. Il n'y a pas que le rockabilly pur et dur dans la vie. A suivre.

 

 

THE END

 

 

Dans la véranda du fond les amateurs de potage ont dû finir de laper leur écuelle car l'on fait signe au groupe de terminer au plus vite. Un rappel et c'est fini. Dix heures vingt-cinq. Est-ce une heure pour terminer un concert ? J'avais cru en avoir jusqu'à deux heures du matin. Mais l'on est déjà à fond de Cale.

 

 

Faute de mieux, je rejoins la teuf-teuf mobile. Ne tombe pas en panne sèche, elle.

 

( photos prises sur le facebook des Gamblers )

 

Damie Chad.

 

 

VILLENEUVE SAINT GEORGEs 

 

/ 01 – 06 – 13 /

 

4 TH ROCK THE JOINT

 

 

HOT JUMPING SIX

 

 

DALE ROCKA & HIS VOLCANOES

 

 

GONER, GONER, GONER

 

 

Désolé mais lorsque je suis arrivé les Wild Goners étaient en train de signer leur 45 tours au bas de l'estrade. Vous vous doutez que ce n'est pas de ma faute, que c'est la teuf-teuf mobile qui sans m'en avertir a emprunté un mauvais embranchement sur le parcours, l'a fallu toute ma science autoroutière pour réparer les dégâts, des Wild Goners je ne dirai donc rien si ce n'est cette phrase «  Les Wild Goners, ne sont pas wild, mais très rockabilly tout de même. » de Steve Rydell à qui j'achetais sa dernière production, le troisième tome de sa série Rockabilly Queens consacrée à Little Lou. Vous le chroniquerai, la semaine prochaine.

 

 

HOT JUMPING SIX

 

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Viennent de loin, d'Allemagne, originaires de Berlin, la veille ils étaient en concert à Fribourg et les voici à Villeneuve Saint George. Y aurait de quoi former deux groupes de rockabilly tellement ils sont nombreux. Non pas six mais sept. Un orchestre de rhythm & blues. Joey le chanteur est au micro, un peu freluquet quant on le confronte à l'imposante stature de Maltze qui tient entre ses bras de géant un énorme saxophone baryton. Comme il souffle dans le modèle au-dessous, un simple saxophone ténor, Stefan n'est ni aussi grand ni aussi costaud. Guitare à notre droite, contrebasse sur la gauche, piano et batterie sont au troisième rang, point trop visibles.

 

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L'ensemble déménage sec. Ambiance orchestre de bal des années quarante-cinquante. Retranché derrière son piano Sascha joue le monsieur Loyal, il annonce les morceaux avec une voix de publicitaire prêt à vous faire passer sa belle-mère pour Miss Monde et relance la machine par une formule choc du genre Here, we go ! Et ça repart pas au quart de tour, mais avec trois secondes de retard, le temps que Joey indique le tempo à ses camarades.

 

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Faut du temps pour saisir les interventions de Dieter à la guitare, très concises mais indispensables à la gestion des morceaux. Au début question cordes l'on ne saisit que celles de Sasha sur sa basse. Une antiquité, toute noire, qui essaie d'imiter la forme de la guitare de Johnny Cash, écaillée de partout. En voici une qui a dû rouler sa basse dans tous les combos de la création. Son propriétaire n'a pas la beauté de la Venus de Milo, par contre il tricote allègrement de ses deux bras et de ses deux mains. Un concerto pour harpe et ouragan.

 

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Les sax fournissent le bruit de fond et de front. Maltze se sert de son baryton comme d'une trompe tibétaine en pilotage automatique. Ne porte pas le groupe, il le pousse par devant de son souffle puissant d'éléphant en rut. Véritable joueur de Hamelin qui emporte le public à sa suite. Ne croyez pas qu'il se charge de tout le boulot. Stefan ne reste pas sur le bord de la route. Pique de ces solos à vous faire pâlir d'envie. Changera par deux fois de hanche qu'il rejette sur le plancher l'air mi-désabusé, mi-furieux. S'entendent comme des larrons en foire. Toujours un cuivre au feu. Ca pulse et ça éructe de tous les côtés.

 

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Le miracle dans cette purée de poix c'est que Sascha parvienne à intervalle réguliers à délivrer quelques broutades de piano honky tonk qui ont pour seule fonction, non pas d'apaiser la fusion, mais au contraire de précipiter la fission. N'en oubliez pas pour autant Thomas le batteur, joue serré, au plus près des coupures rythmiques, le même rôle que la guitare, presque en retrait mais indispensable quant à l'architecture de l'ensemble.

 

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Joey se débrouille bien au chant, un peu trop dans le style white rock des années soixante, je lui reprocherai sa voix justement un peu trop trop blanche, trop lisse, pas assez noire et râpeuse. N'empêche qu'il mène le set de main de maître et que le band captive l'attention d'un public qui à la base n'est point trop porté vers ce style de musique. L'on en redemanderait encore mais les bonnes choses ont toute une fin. Les recroiserai dans l'inter-set, le masque de la fatigue est sur leur visage. Ils ont tout donné et rien repris.

 

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( photos prises sur leur facebook de plusieurs concerts précédents )

 

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DALE ROCKA AND HIS WILD VOLCANOES

 

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One, two, three, c'est... Trop tard vous avez raté le train. L'est déjà parti. Chez Dale Roka and his wild Volcanoes, il n'y a pas de fumeroles pour vous avertir de la future éruption. Irruption dans le bop sans crier gare. Ces italiens ils valent à eux quatre l'Etna, le Vésuve et le Stomboli. Ne s'arrêtent jamais. Enchaînent les morceaux comme vous les Jack Daniels à l'apéro. Des fous furieux, il est bien connu que l'on n'a jamais vu un rital s'arrêter à un feu rouge.

 

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Le set n'a pas commencé depuis deux minutes que brusquement les cinq premiers rangs des spectateurs s'écroulent d'un seul coup. Non ce ne sont pas les gradins ( y en n' a pas ) ni le vide sanitaire qui vient de s'affaisser, seulement les trois cordistes qui nous font un plan à la Blue Caps, style poster réclame couleur pour les nouveaux kits de guitare Fender. Poses à la clapper boy, clin d'oeil à Tony Facenda, et le château de cartes se relève en une seconde et c'est reparti comme un piqué de spitfires. Au grand dépit des porteurs de portables qui ont raté la photo de la soirée. Ne le referont que deux fois au cours du set.

 

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N'y a que Giovanni qui depuis sa batterie n'a pas participé à la fête. Est occupé ailleurs. En règle générale un batteur de rockab qui se respecte travaille quasi-exclusivement sur sa caisse claire, avec de temps en temps un coup sur la cymbale pour amortir les frais de son achat. Le Giovanni y frappe dessus comme un madurle sur son clairet, à croire qu'il voudrait tanner la peau de bison qu'il viendrait d'abattre d'un seul coup de baguette sur la tête. Mais c'est là un travail d'appoint. Doit être un adepte de la boxe française car lui il joue en premier lieu avec les pieds. Savates et tatanes sur la grosse caisse. Grêles de coups de bélier ininterrompue. Frappe continue. Concassage sempiternel. Quatre cents pulsations à la minute. Pas de répit. Pas de pitié. Drumming au marteau-pilon. Estampage maison. Sans façon. Tape comme une brute de décoffrage. Grosse Bertha à tir tendu. Missile tomahawk à domicile dans vos oreilles. Le train entre gare mais ne s'arrête pas.

 

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Luca a laissé la banane sur le régime, crâne rasé et gueule d'intello trop malin pour laisser filer le TGV. Arbore une contrebasse deux fois plus large que lui, un bahut aux planches cirés de près, une mastodonte qui a dû couler des jours pépères dans un orchestre symphonique et qui est venu s'encanailler chez les rockers. Doit regretter le bon vieux temps car Luca lui tire sur les cordes comme lorsque l'on étripe un chat. Et puis il lui fait le coup Haley les gars – une larme pour Marshall Lytle qui vient de casser sa pipe – s'y allonge dessus, pendant que Massimo écarte les jambes pour jouer au petit train qui passe sur le viaduc, s'y posent dessus à deux, à trois, assis, debout, couchés, toutes les positions de la saine émulation virile de rockers en goguette qui s'amusent.

 

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Gratte et chant Massimo donne le maximum. Parfois il se casse en deux et saute en arrière comme s'il était brutalement victime d'une crise cardiaque. L'on pense qu'il va s'effondrer définitivement sous nos yeux, mais non il se redresse tel un phénix et se porte en avant pour mordre le micro. Méchant. Vous fait tout ce que vous voulez, du Billy Lee Riley, du Billy Fury, du Flyin' Saucers

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. Même pas besoin de demander. Vous sert le plateau repas, cuisson à l'étouffé et canard au sang. Apparemment sa maman ne lui a jamais appris que l'on ne trépigne pas sur place comme un enfant gâté qui veut la meilleure part du gâteau.

 

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Sont infatigables. Ne savent pas ce que c'est qu'un mid-tempo. La lente prégnance hypnotique du blues ce n'est pas leur truc. Sont plutôt pour la morsure mamba. Faites gaffe au guitariste. Pas démonstratif, mais le rôle du second couteau qui vous en plante un entre les deux yeux et un autre dans le dos. Lorsqu'il hisse le drapeau blanc de sa mitraillette contrapunctique ce n'est pas pour une trêve et signer l'armistice. Vous lance des accords aussi redoutables que des étoiles de ninja en fureur. Pas du genre à vous jouer une symphonie lorsque deux coups de nunchaku vous règlent la situation en deux secondes.

 

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Ca fait un moment que l'orga tente des signaux désespérés le nez sur leur o clock, les Volcanoes foncent en prenant soin de ne pas les remarquer. Au bout d'une demi heure, ils font signe, ok ! ils terminent dans deux minutes. Enchaînent donc coup sur coup huit morceaux sur le même tempo de fous furieux et lorsqu'ils s'arrêtent... reviennent illico pour un rappel transcendantal.

 

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Descendent enfin de scène le dos voûté tels des vieillards asthmatiques qui entament leur dernière marche vers le cimetière communal. N'ont plus de jus. Ont laissé leurs instruments à terre qui gisent-là comme des poupées brisées... Lorsqu'un forcené dans le public réclame une dose finale, tout le monde s'écarte, à l'impossible nul n'est tenu... Maintenant je sais pourquoi la Tour de Pise est penchée, Dale Rocka and his Volcanoes ont dû donner un concert devant.

 

 

Les malheureux n'ont pas un seul disque à vendre. Z'en auraient fourgué quatre cartons. M'en fous, Mister B possède la collection complète de leurs 45 tours. Regrette déjà de ne pas être venu. Lot de consolation, Dale Rockers and His Volcanoes préparent un 33 tours. Vinyl, bien sûr. Ils ne donnent pas dans le simili vintage. Pure Wild Rockabilly !

 

 

( photos prises sur leur facebook de plusieurs concerts précédents )

 

Damie Chad.

 

 

 

 

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