Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

29/05/2013

KR'TNT ! ¤ 146. SUBWAY COWBOYS / CREPY-EN-VALOIS

 

KR'TNT ! ¤ 146

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

30 / 05 / 2013

 

 

 

SUBWAY COWBOYS / ATOMICS / GHOST HIGHWAY

NELSON CARRERA & HOT ROCKS / GLENN TAYLOR

 

 

 

LONGJUMEAU / 24 – 05 – 13 /

 

 

BAR L'EXCUSE

 

 

THE SUBWAY COWBOYS

 

 

La teuf-teuf mobile cahote allègrement vers Longjumeau, Mister B profite honteusement du ralentissement causée par un accident pour lier conversation avec de jeunes et jolies conductrices esseulées, comme quoi les rockers n'ont aucun sens moral et profitent des situations les plus tragiques pour assouvir leurs instincts les plus primaires.

 

 

Nous avons toujours une Excuse pour aller à Longjumeau. La dernière fois c'était pour Hot Rhythm and Booze ( voir livraison 104 du 28 / 06 / 12 ), l'avant-dernière pour Burning Dust ( N° 101 du 07 / 06 / 12 ), pour l'antépénultième vous vous reporterez au soixante et unième chapitre du 14 / 07 / 11 de notre saga rock'n'rollienne qui vous offrira le compte-rendu du passage d'Eazy Lazy «  C » and his Silver Slippers .

 

a402excuse.jpg

 

Ce coup-ci, c'est pour les Subway Cowboys, on ne connaît pas, on a trouvé l'info sur Rockarocky et nous n'avons pas fouiné à l'avance sur leur facebook pour nous concocter une idée toute faite. Bien que dans les westerns nous ayons tendance à nous ranger du côté des indiens, nous ne professons aucun a priori envers les cowboys picardiens.

 

 

Huit heures tapantes – la légendaire exactitude des rockers – nous sommes devant L'Excuse, nos garçons vachers n'ont pas encore établi leur campement, un entassement d'amplis, d'étuis à guitares et un embrouillamini de fils électriques encombre la vitrine. Pour tuer le temps l'on croquerait bien une sémillante dorienne sur la banquette arrière de la teuf-teuf mobile, mais faute de gent féminine volontaire pour participer à de tels ébats récréatifs nous nous rabattons sur deux gros grecs graisseux que nous dévorons à belles dents dans une kebab turc. Comme nous sommes maintenant de vieux clients – la garçon nous a reconnus - le café nous est gracieusement offert par la maison. Perfecto ! nous exclamâmes-nous, ce qui n'est pas du latin de cuisine, mais de pur rocker cicéronien.

 

 

ENTREE EN MATIERE

 

 

Retour à la case départ, devant la vitrine de L'Excuse. Avant d'entrer l'on admire l'affiche – si réussie que je l'emporterai en partant - tout autant pour la photo, qui ne représente point le groupe des Subway Cowboys, mais qui donne dans la note country décalée d'une devanture de magasin exhibant toute une galerie de cadavres d'opossums de Virginie pendus haut et court par les pattes arrières, que pour le texte qui l'accompagne et qui se peut entendre comme un manifeste musical revendicatif.

 

 

Le voici recopié in-extenso : «  De Hank Williams à Johnny Cash, la musique de celui qui a perdu sa femme, son boulot, son chien, qui a tué ou qui va tuer, qui est en prison, à la rue, qui espère que la bouteille ne le laissera pas tomber, qui a sa distillerie dans les bois, sa guitare chez le prêteur...Un trio qui revisite l'âge d'or du Honky Tonk ! » Tout un programme ! Le sex drug and rock'n'roll du pauvre et des paumés en quelque sorte. Encore est-il nécessaire de savoir évaluer les maux les uns par rapport aux autres. Que la damoiselle se soit enfuie c'est autant de liberté retrouvée, autrement plus grave nous paraît l'irremplaçable et fatale disparition du mâtin fidèle... Tout emplis de cette profonde méditation philosophique nous poussons la porte.

 

 

Diable ! ( comme disait Robert Johnson ) Fred le patron a fait des frais. Sas d'entrée, double-vitrage, insonorisation du plafond. En a eu marre de voir défiler les plaintes du voisinage et les flics aux contraventions plus lourdes qu'un troupeau de long horns farcis, les soirs de concert. L'a pensé au bien-être des clients et à la continuité de la musique. Entre le rock'n'roll et le silence mortuaire des cités de banlieue endormies à huit heures du soir, Fred a opté pour le tohu-bohu et la frénésie de ces mélopées sataniques qui parfois débordent sur la (maré)chaussée. Faut dire que chez Fred se réfugient tout ce que la ville compte d'individus hauts en couleur et aux goûts divers et variés mais qui détestent s'ennuyer et se coucher tôt... Une ambiance chaleureuse et bruyante, explosive parfois, qui correspond parfaitement à l'esprit du honky tonk originel made in the United States of the America.

 

 

Nous tombons à point, The Subway Cow-boys se lèvent de table – ont eu droit, eux les veinards, au privilège de la fine tambouille de Fred – et se dirigent vers la scène située maintenant dans la salle d'entrée du café.

 

 

THE SUBWAY COWBOYS

 

a396sub3.jpg

 

L'espace n'est pas immense mais c'est beaucoup mieux que dans la pièce du billard sans fenêtre des concerts précédents. Comme tout contrebassiste qui se respecte Matt est relégué au fond contre la vitrine, Fab le lead guitar est devant, et par la force mathématique des choses Will se retrouve au centre derrière sa guitare rhymique et le micro. Dépasse ses deux acolytes d'une tête et dès qu'il entonne le premier couplet de Johnny Cash il monopolise l'attention. C'est quoi c'est ovni vocal ? Il y a deux minutes de cela il parlait calmement en français comme tout le monde et le voici par le miracle de son accentuation transformé en amerloque plus vrai que nature. Nous révèlera plus tard entre deux sets son secret : a vécu plusieurs années en Ecosse et aux Etats-Unis. Suffit pas d'avoir l'accent, faut encore une belle voix. L'en est doté, un timbre chaud et rauque merveilleusement adapté au répertoire countrysant du groupe.

 

a403chapeau.jpg

 

Ne se contente pas de chanter, présente chaque morceau, cite son interprète, définit en quelques mots le style et agrémente le tout d'une anecdote ou d'une rapide explication. Didactique appréciable. Beaucoup de groupes de rockabilly s'enferment dans une tour d'ivoire intransigeante de morceaux inconnus dénichés avec un soin maniaque dans la discographie de chanteurs oubliés par la plupart des amateurs... C'est que les Subway Cowboys ne revendiquent pas l'appellation estampillée pure rockabilly d'origine contrôlée Sun – Meteor.

 

a404tous.jpg

 

Se réclament du honky tonk. Traduirai cela par bordel musical généralisé. Les cats n'y retrouvent pas leurs petits, ou alors il y a des tas de bâtards qui grouillent. Le rock est né dans cette matrice. C'est un sang mêlé. Mélange instable de blues, de country, de swing, de jazz, de gospel, de jump, de bop, de variétoche, ne vous prenez pas la tête pour les proportions. Puisez au hasard, ce qui en ressortira sera toujours meilleur que ce que vous espérez. Donnez-vous quelques limites, mais sachez les transgresser. Les Subway Cowboys ont jeté leur prédilection sur les années quarante et cinquante. Sans s'y enfermer à double tour de vis.

 

 

Nous feront plusieurs Presley mais ne posent pas Elvis en tant que colonne vertébrale de leur répertoire. Le pilier du temple des Subway c'est Hank Williams. Bâtissent autour de lui. Il est le tronc, et ils remontent autant vers les racines Mississipi John Hurt que vers les feuillages les plus hauts. Trois sets époustouflants, des reprises, Merle Hagard, Merle Travis, Waylong Johnny, Bob Wills ( dont presque personne ne se revendique en douce France ), Johnny Cash, des morceaux connus mais interprétés de main de maître.

 

a401solo.jpg

 

La focale sur le vocal de Will ne faut pas s'y attarder même s'il pousse de temps en temps le yodel. Pourrait même davantage, à notre humble avis. Au niveau musical les Subway crépitent de petites merveilles. Le jeu des grattes d'abord. Au début l'on flashe sur la Martin de Will, quel son ! De toute beauté ! Une superbe résonance. Ne se contente pas d'accompagner au sens strict du terme. Ne balade pas la main de haut en bas et de bas en haut, style-j'assure-le-bruit-de-fond, en joue comme d'une guitare solo. L'on ressent combien il a souvent dû se débrouiller en solitaire dans les rues, au long-cours de son aventureuse jeunesse... L'on a même l'impression que sur sa Gibson, Fab n'a pour rôle que de déposer quelques précieuses ciselures de notes perlées sur les festons de la rythmique.

 

 

Fausse donne. Sûr que Fab n'en rajoute jamais, mais quelle sûreté, quelle précision ! Me demande seulement pourquoi il n'a pas adapté sur son instrument de bigsby vibratoire pour prolonger le son de quelques notes en fin de coda. Tout en finesse, ne sort pas le gros riff de derrière les fagots à tout bout de champ, joue en suivi, une phrase qui ne s'achève pour ainsi dire jamais, même s'il connaît tous les artifices des clausules finales. Sacré guitaro ! Aurait mérité que l'on s'intéressât uniquement à ses interventions durant toute la soirée. Au retour Mister B louera longuement l'exactitude et la connaissance de son jeu. Tombons tous deux d'accord sur la qualité des recherches requises pour parvenir à une telle aisance. Sait tout faire, ah ! ces parties de bottleneck blues et ces syncopes alternantes sur les deux standards de jazz !

 

a399bass.jpg

 

Subway Cowboys nous divulgue un honky-tonkabilly qui swingue entre riffs-rock esquissés et jeu-jazz jeté en jactance. Pas étonnant que Matt et Fab soient aussi membres de Swinging Dice un groupe – qui l'eût cru ! - de swing-jazz. Matt ne domine pas sa double-basse de toute sa hauteur. Peut l'opérer sans anesthésiant mais ne la maltraite pas. Fouille du regard au niveau des entrailles, la scrute, étudie la situation en praticien qui s'essaie à résoudre des problématiques dont il refuse au hasard le droit de les dénouer. Savant pas fou qui poursuit ses recherches. Intellectualise avec méthode. Nous délivrera quelques solos, très jazz mais sombres et ténébreux comme des menaces de mort. N'emploierai pas le terme de rythmique à proprement parler pour évoquer son jeu. N'accompagne pas, est sur une ligne parallèle de soutien et d'attaque. Cheval léger qui décide de son propre engagement, franc-tireur qui débusque les pièges et infléchit la course orchestrale du trio.

 

a397sub2.jpg

 

Peu d'amateurs dans le public qui n'est pas à même d'estimer - ce qui ne l'empêche pas de trépigner et d'applaudir à tout rompre mais parfois un peu pesamment - à leur juste mesure les choix d'interprétation expressément voulus par le triumvirat des musicos. Subway Cowboys nous a impressionné par sa richesse créatrice. Des reprises certes, mais ô combien intelligemment adaptées. Pas de batterie, nous sommes dans une orchestration pré-rock, voire même pré-Rhythm and Blues comme pour symboliser la finesse d'un jeu qui n'a nullement besoin de n'être ni soulignée ni ponctuée à grands coups grosse caisse.

a398sub3.jpg

 

Cette soirée sera un régal rarement égalé ces derniers temps. Il n'est pas de plus grand plaisir que de découvrir un nouveau combo droit dans ses bottes. Subway Cowboys ne sont pas exactement des nouveaux-nés – ont commencé par jouer dans le métro d'où leur nom - mais ils évoluent habituellement en région picardienne au nord de la Seine & Marne ce qui ne sera pas une excuse pour ne pas retourner les écouter. N'ont pas encore enregistré de disques mais commencent à envisager l'opportunité d'un tel moment.

 

 

Un groupe à suivre. Un de plus. Décidément la french scene rockabilly se révèle de plus en plus riche au fur et à mesure que nous poussons nos investigations.

 

 

( Pour les photos on a fauché sur leur facebook des photos de concerts précédents )

 

 

Damie Chad.

 

 

CREPY-EN-VALOIS / 26 – 05 – 2013 /

 

 

5 TH ROCK'N'ROLL AFTERNOON

 

 

ATOMICS / GHOST HIGHWAY

 

NELSON CARRERA & HOT ROCKS

 

 

SUPERBES PHOTOS D'EDONALD DUCK

 

PRISES SUR LE FACEBOOK DE NELSON CARRERA

 

 

a393.jpg

 

Au grand Meaux, les grands remèdes, la teuf-teuf mobile enfile tous les sens interdits de la cité à contresens, mais ce n'est pas grave puisqu'elle roule dans la bonne direction. Pas besoin d'en rajouter une couche nous voici à Crépy avant d'avoir à faire Valoy notre bon droit. N'empêche que la teuf-teuf fait la gueule, à l'entrée ils n'ont jamais voulu croire qu'elle était une voiture de collection, et ils nous ont refoulé dans un parking adjacent. M'en fous, j'ai mon arme secrète, la Salsette qui s'en va batifoler aux quatre coins de l'immense pelouse à la recherche de caresses. Y aurait-il eu la première Cadillac d'Elvis en exposition qu'elle n'aurait pas eu davantage de succès. De plus, alors que je piétine sagement devant un stand en attente de mon ramequin de frites, elle aboie si vindicativement que comme par miracle la file devant moi accélère l'allure et que deux minutes plus tard elle a déjà avalé ses trois saucisses brûlantes. Three Hot Dogs for a Wild Hound Dog. Beau titre rockab. Je tiens un hit. Me manque plus que les paroles et la musique.

 

a384voitures.jpg

 

La Sainte Agathe du Parc a dû prier pour les rockers. L'a réussi à ce que le soleil daigne briller, pas très fort mais tout l'après-midi. L'orga avait bien prévu un plateau toilé pour les musicos, mais combien d'aficionados seraient restés à découvert à prendre leur douche sous les prairiales giboulées ? Une cinquantaine de vieilles carrosseries en exposition, près de deux cents motos alignées, une rangée de boutiques de fringues – n'est-ce pas dingue ? - un espace bouffe – n'est-ce pas ouf ? - des bikers qui discutent dans tous les coins, des dizaines de familles au complet avec les gosses qui courent partout ( dans le vain espoir de se faire kidnapper ), la cohorte habituelle de fans que l'on retrouve à tous les concerts des Ghost, plus un important public rock made in Picardie, et il restera encore en fin de journée des ares de pelouse où le gant noir du rocker n'aura – selon la formule qui me botte - jamais posé la mexicaine.

 

 

THE ATOMICS

 

a369idem.jpg


 

 

Les Atomics sont sur scène. M'étais promis de les revoir. Les voici à l'aise, souriants, détendus, sur ce vaste plateau ont presque trop de place. N'occupent que la moitié gauche de l'espace. Dialoguent avec le public, dédient les morceaux aux Ghost, et aux amis. Jouent aussi de la musique. Plutôt de la bonne. Et même de la très bonne. Raphaël est au chant et à la guitare solo. Faut pas l'entendre, faut l'écouter.

 

a370raph.jpg

 

S'appuie du solide. Derrière Mister Drum est à l'affut sur ses fûts. Ne le lâche pas du regard, pas le genre à arriver en retard ou à partir à l'avance. Laisse tomber au moment pile où il se doit de faire face à l'interstice ménagé par Raphaël, le temps que ce dernier enclenche sur une autre note. Visage angulaire, barbichette en pointe, il présente ce petit côté diabolique de celui qui s'en vient lutiner là où l'on attend le moins par un écho de caisse claire qui s'en vient prolonger ou contrecarrer la vibration du cordage. Parfois l'on a l'impression qu'il s'amuse, comme le boxeur sur son ring qui fait pleuvoir une grêle de coups pour pousser Raphaël dans ses cordes et l'obliger à mordre plus fort à la prochaine contrattaque.

 

a372batteur.jpg

 

A parti du moment qu'il dialogue avec sa contrebasse Mister Double Bass a l'air de se contreficher du monde entier. Mais pas de nous, car encore un qui sert la marchandise dorée sur tranche à son soliste. Rien ne dépasse. Du cousu main. Pas de la camelote bêtement repiquée à la machine automatique. Ne mange pas de ce pain-là. S'adapte à la situation. Tout peut arriver. La maison assure. Ne ronronne pas dans son coin. Tisse des motifs qui s'harmonisent dans le jeu de Raphaël. Fais pas l'aumône quand il passe la donne, ramone plutôt sérieusement. En voici un qui a compris la signification de l'amplification du son. Il ne s'agit pas de pousser le bitonio pour jouer plus fort mais d'épaissir la note en la tenant serrée jusqu'à ce qu'elle coule, roucoule et exulte en catapulte.

 

a371basse.jpg

 

Ne sont que trois et se débrouillent pour sonner comme un seul homme. Ne vous en mettent pas plein la vue, personne n'y va de son petit solo -admirez-moi-comme-je-suis-le-plus-fort. N'aiment pas se servir des copains comme faire-valoir. Un véritable groupe. Soudé. Qui produit une seule et même musique. Et laissez-moi vous dire que ça cavalcade sec. Vous aimeriez que ça ne s'achève jamais. Je me prends à rêver d'un disque des Atomics qui ne soit que musical. Pas de vocal ou alors sur le premier et le dernier morceau, encore que je préfèrerai toute une suite d'un seul tenant. Ce n'est pas qu'ils se dépatouillent mal au chant. Au contraire. Mais le combo possède une telle cohésion, ils enchevêtrent si bien leurs instruments que l'on a l'impression d'avoir affaire à un monstrueux soliste qui descend les gammes à la kalachnikov. Racines indéniablement rockab mais son outrageusement électrique. Et aucune de ces deux postulations ne fait de l'ombre à l'autre.

 

a368atomgroup.jpg

 

Plus tard Will des Subway Cowboys résumera la situation en disant que ce sont des perfectionnistes. Pas le genre de gugusses à bâcler l'à peu-près d'un morceau pour rallonger le répertoire. Sont comme le boa, ils ingèrent leurs reprises jusqu'à ce qu'elle acquière le son breveté des Atomics. Produisent leur musique qualité Bio-Atomics.

 

 

Suis surpris quand ils annoncent le dernier morceau. M'a semblé qu'ils n'étaient sur scène que depuis un quart d'heure. En plus malgré les applaudissements et un trop court rappel ils se dépêchent de laisser la place. Fair-play et modestes. Les aurais bien laissés batifoler une heure de plus.

 

 

 

NELSON CARRERA & HOT ROCKS

 

a374sorel.jpg

 

Du monde sur scène. Nelson se chargera des présentations. Dominique Sorel des Cool Cats – bonjour la nostalgie des années 80 – est à la rythmique, sobre et efficace durant tout le set. Les Hot Rocks ont changé de batteur. C'est Bob Vintage qui assure la forge. Plus rockabilly que lui, tu meurs ( du cerveau ). Kit de batterie aux futs customisés reprod peau de léopard, veste rouge avec col et revers de manche en imitation du même tonneau. Monsieur Loyal et la cage aux fauves à lui tout seul. Pas du tout le clown de service. Super batteur, l'a du métier et de l'imagination. Ne se laisse pas prendre au dépourvu. Remarquable.

 

a377vintagebob.jpg

 

C'est qu'il n'a pas intérêt à s'amuser. Alexis Mazzoleni est à la guitare solo. Pas un rigolo. Une des plus fines gâchettes de la profession. Vous lui refilez n'importe quel coucou et il vous en ressort le son voulu et la note adéquate, si proche de la perfection que vous ne pouvez qu'en être jaloux. Doit avoir un truc l'animal. Vingt ans à minima de travail assidu, et une réflexion poussée car il ne joue pas qu'avec ses doigts agiles. Se sert aussi de son intelligence.

 

a375alexis.jpg

 

Francis Gomez est à la contrebasse. S'y appuie nonchalamment dessus. L'on se demande si elle ne va pas casser sous la stature de ce géant placide qui lui administre sans méchanceté une kyrielle de grandes claques amicales qui vous feraient sauter les yeux de la figure. Ca cogne méchant dans les amplis, mais il a la mine sereine d'un papa gâteau qui murmure une comptine pour endormir son bébé.

 

a377+raph.jpg

 

Avec un tel quatuor à ses côtés aucun french Trafalgar en vue pour Nelson Carrera. Lui aussi possède sa rythmique mais c'est sa voix qui monopolise l'attention. A vite fait de vous entourlouper. L'on est loin de la fureur sauvage mais l'on a la force tranquille. Maîtrise sa partie à la triple croche près. Vous enfourne dans sa poche sans que vous vous en aperceviez. Raconte des blagues qui ne font rire personne mais que vous écoutez les oreilles grand ouvertes comme des pavillons tendus d'éléphant.

 

a373nelson.jpg

 

Connaît son métier sur le bout des doigts. Un Forty Days à en lécher le crâne tondu d'une moine syphilitique, un Gene Vincent en l'honneur de Jean-William Thoury présent dans l'assistance – vous le retrouvez régulièrement dans les bonnes pages de Rock & Folk et Jukebox Magazine, vous connaisez par coeur sa bio de Gégène au Camion Blanc, vous avez souscrit à son prochain opus sur les films de bikers – dans les deux cas Alexis vous ressort tous les plans de Chuck et de Cliff comme si c'était lui qui les avait inventés.

 

a376gomes.jpg

 

Nelson Carrera ne tire pas la couverture à lui, en attendant la venue de Raphaël des Atomics, il laisse la place libre au Hot Rocks. C'est alors que le volcan se réveille et souffle son feu le plus brûlant. Vous n'êtes pas allés à la montagne, alors elle fond sur vous et vous dévaste l'âme en deux minutes trente-cinq de bonheur. Les potentiomètres ont dû virer au rouge vif. Le colosse indolent qui tapotait amicalement sa contrebasse s'est subitement transformé en tornade meurtrière. King Kong a brisé ses chaînes et se déchaîne. Francis Gomez est entré en action, des millions de tonnes de rocs vous écrasent et vous réduisent en bouillie, et vous ne vous êtes jamais senti aussi bien.

 

a378nelson+gomes.jpg

 

Et puis tranquille il relâche son micro dans lequel il éructait un tremblement de terre et tapote gentiment le manche de sa basse comme vous caressez d'une main précautionneuse les souples ondulations de l'échine de votre chat. N'a plus rien à prouver, alors il refile le paquet cadeau à Mazzoleni pour qu'il nous interprète sa dernière composition. Me demande comment Alexis va s'en tirer après la secousse sismique que le Francis a abattu sur nos abattis.

 

 

Comme un chef. Une démonstration éloquente. Tout ce que l'on peut faire à la guitare en rockabilly. L'on oublie en moins de deux la grosse secousse qui nous a déboîté la comprenette pour suivre les aventures de Mister guitare. Ce n'est pas sa dextérité qui est fascinante mais l'adéquation parfaite qu'il établit entre le style de morceau qu'il entame et la sonorité idéale qui définit ce genre de musique précis.

 

a373raph.jpg

 

Plus tard lorsque Raphaël montera enfin sur scène faudra attendre la deuxième chanson pour que la connivence se fasse entre les deux solistes, et que chacun laisse à l'autre non pas le temps matériel mais l'espace mental idiosyncratique nécessaire à tous les deux pour se côtoyer sans se marcher sur les pieds.

 

 

Une fois ces intermèdes achevés Nelson Carrera reprend la main comme si de rien n'y était. S'impose et persuade très vite son auditoire. La preuve en sera apportée par tous les disques que les spectateurs viendront en nombre lui acheter et se faire dédicacer.

 

 

GHOST HIGHWAY

 

a385groupe.jpg

 

Les Ghost Highway clôturent l'après-midi. De belle façon. Un tour de chant charnière, entre l'ancien répertoire et le contenu du nouveau disque. Faut retrancher et faut rajouter. Equilibre alchimique à réaliser. Qui ne s'improvise pas. Le problème n'est pas de combiner la meilleure set-list possible. Ce serait trop simpliste. S'agit pas de bazarder dix nouveaux titres sur un CD et coucou nous revoilou, on est aussi fou qu'avant. Ne vous inquiétez pas les copains l'on n'a pas changé.

 

a392groupe.jpg


 

 

Les groupes de rock font des disques de rock, mais il faut comprendre que le prédicat de base est réversible. Ce sont les disques qui font aussi les groupes de rock. Lorsque l'on se répète, l'on stagne et l'on recule. Faut évoluer, non pas en se reniant mais comme le serpent qui acquiert une nouvelle peau, parce qu'il est devenu plus grand et plus fort. Les psychanalystes disent qu'il faut savoir tuer le père pour grandir. Le problème pour les groupes de rock c'est qu'ils sont leur propre père, entre tuer et muer la différence n'est pas si grande. S'enfoncer un couteau dans le coeur tout en restant en vie, afin de l'aiguillonner et non le stopper. Se planter sans se planter. Un cran, mais pas d'arrêt.

 

a381zioboulot.jpg

 

Les Ghost ont grandi. Sortent de leurs gonds. Sont en terrain pas si conquis que cela. Beaucoup les connaissent mais une grande partie du public les découvre. A la fin du set nombreux sont ceux qui s'interpellent, la mine gourmande et repue mais curieuse «  D'où ils viennent ? D'où sortent-ils ? ». Mais ce n'était pas gagné d'avance. N'y avait qu'à voir Zio pour comprendre. Sérieux comme un pape. Concentré sur sa contrebasse comme jamais. On ne l'a pas entendu de la soirée. Je parle de Zio mais pas de sa bécane à quatre cordes. Parce que celle-là il l'a faite bosser sans répit, un bourdon grondant, un moteur d'avion qui survole avant de tirer sur ses cibles. Ce n'est que dans les rappels qu'il nous a régalés de ces regards d'enfant malicieux et facétieux. L'a porté le groupe sur ses ailes.

 

a379ziosourit.jpg

 

Mais c'est quoi les Ghost Highway au juste ? La réponse est facile. Un groupe de rockabilly, pleinement rockabilly. C'est-à-dire avec un retour vers le son originel des roots. Mythique bien sûr, ne serait-ce que parce que la répétition du Même n'est déjà plus le Même comme disent les philosophes. Et toute la grandeur des Ghost Highway réside dans cet essentiel décalage. Ce n'est plus la réverbe de chez Sun, mais l'impact de la modernité sur l'écho du passé, et cela les Ghost Highway l'ont intuitivement compris et mis en oeuvre, ce qui explique pourquoi le groupe tape aussi bien dans l'oreille des amateurs du pure rockabilly que des néophytes habitués à des sonorités différentes.

 

a381ziosourit.jpg

 

Reste que maintenant je suis de ceux qui pensent que l'essence d'un morceau de rockabilly estampillé authentic fifty ne réside pas absolument dans son accompagnement musical mais dans l'interaction et l'impaction entre celui-ci et la voix du chanteur et que c'est cette dernière qui prime et emporte l'adhésion de l'auditeur. C'est cette difficulté majeure que les Ghost ont parfaitement réussi à surmonter, leurs morceaux sont toujours subtilement amenés et aménagés selon les parties de leurs deux solistes, Jull et Arno. Sont parvenus à tisser une adéquation parfaite entre les voix et le background vraisemblablement due à une instillation ou plutôt pour faire davantage southern comfort une distillation country du meilleur aloi. Un retour aux sources du rockab certes mais en même temps l'adoption d'un genre musical très plastique qui se plaît à toutes les avancées.

 

a386harmo.jpg

 

Arno et Jull sont donc à la croisée des chemins – c'est par là que toujours surgit le diable – de la chevauchée des Ghost. La rythmique d'Arno qui apporte toujours son parfum d'authenticité roots et la Gretsch de Jull ouverte à toutes les aventures, mais chacune prête à épauler l'autre dans ses errements préférés. Chez les Ghost l'on n'oublie jamais d'où l'on provient mais l'on marche toujours vers l'avant. Et le set des Ghost cette après-midi en fut la parfaite illustration.

 

a391arno.jpg

 

L'on a l'impression que les morceaux sont plus courts que d'habitude, compactés à l'extrême et envoyés en pleine face comme des uppercuts qui vous cueillent au menton et vous envoient au tapis avant même d'avoir pu réaliser que l'on est déjà passé au suivant. Je n'ai jamais vu Arno envoyé autant de sauce sur sa sèche Gibson, la dépiaute sévère et quand il s'approche du micro faut s'accrocher car il envoie du gros calibre. Idem pour Julien, un peu moins de riffs mais une attaque tout azimut qui pulvérise les lignes harmoniques, quant au chant c'est l'intumescence démesurée qui débouche sur de longs cris de rage non contenue. Fallait-être là pour le Burnin Love que je qualifierai de cherokee. Fièvre indienne.

 

a382jullcrie.jpg

 

La clope au bec, Phil n'a pas l'air de s'affoler, le genre de gars qui galope au milieu d'un ouragan en ayant l'air de trouver la situation tout à fait normale. Vous jette même de temps en temps des sourires torves du genre on vous a bien eu et vous n'avez pas fini d'en entendre. Je ne sais pas comment il fait mais entre Zio qui bourdonne à mach 2, les deux autres ostrogoths qui foncent sur l'autoroute à cimetière grand ouvert, sans se départir d'un came olympien, à chacun de ses coups de baguettes magiques le grand Phil recolle les morceaux et vous remet de l'ordre dans le chaos.

 

a383phil.jpg

 

Croyaient s'en tirer comme cela, avec les honneurs de la guerre, devront faire une demi-heure de rappel supplémentaire. La prochaine fois ce sera une heure et demie. Ca leur apprendra à être trop bons.

 

a389bonphil.jpg

 

FIN DE PARTIE

 

 

Pas envie de partir après une telle tornade, l'on boit un coup avec les opossums des Subway Cowboys qui sont venus faire un tour. ( Aucun mérite ils sont du coin, eux ! ). J'en profite pour passer un message personnel : Sara Stridsberg : Darling River, Livre de poche 32719 sorti en 2012, sous-titré Les variations Dolores, un bouquin qui se lie avec ardeur.

 

 

Sur le chemin du retour Salsa me confie que les Ghost ont tout intérêt à enregistrer Three Hot Dogs for a Wild Hound Dog et qu'avec une simple pub de trois cents euros dans Trente Millions d'Amis ils en vendraient autant d'exemplaires.

 

Damie Chad.

 

 

LA BALLADE DE GUEULE TRANCHEE

 

GLENN TAYLOR

 

( Grasset 2010 )

 

a394couvetranché.jpg

 

My Glenn Taylor is rich

 

 

A la fin d'un long mail, Alain, amateur de rock éclairé et chroniqueur passionné, me recommande la lecture d'un roman, «La Ballade de Gueule Tranchée». Il ajoute : «... d'un certain Glenn Taylor, picaresque romance bluesy qui devrait vous plaire». Habituellement, je me méfie de ce genre de recommandation, surtout quand rôde l'épithète «picaresque». Peut-être vous souvenez-vous du désastre des traductions en langue française des Contes de la Folie Ordinaire de Charles Bukowski (deux tomes parus au Sagittaire en 1977)... Depuis je fuis comme la peste les traductions en français d'auteurs anglais ou américains. Trop de déperdition. Le travail du traduction est en fait une recherche constante de compromis. À la lecture, le texte coule de source, mais la transformation, c'est une autre paire de manches. On hésite en permanence entre le souci d'exactitude et le confort du lecteur. Il existe mille manières de remanier une phrase. Les choix se font dans une sorte de constant bras-de-fer intellectuel et là, un grave danger nous guette : on perd de vue l'essentiel, l'énergie du texte. Un prof de langues orientales me disait à une époque que Pouchkine restait intraduisible, en dépit de tentatives successives, et qu'il valait mieux faire l'effort d'apprendre le Russe pour le lire, plutôt que de se contenter d'une piètre approche, qui dans tous les cas ne refléterait jamais l'éclat de son génie poétique.

 

Bref, ça tombait bien. J'étais à Paris pour mettre le grappin sur quelques bonnes vieilles galettes de vinyle. Pourquoi ne pas en profiter pour faire un raid éclair dans la librairie à 5 étages du boulmich' ? Banco ! Et même bingo puisqu'une grosse vendeuse sympathique me dénicha une édition d'occasion du roman de Glenn Taylor. Je repartis guilleret vers la gare. Installé dans le train, je sortis le livre de ma besace et l'ouvris, pour me faire une idée rapide. Introduction, épilogue, exergue, tout ça ne me disait rien qui vaille. Le préambule nous sert sur un plateau l'histoire d'un vieux schnock qui se coud la bouche avec du fil de pêche. En tournant la page on tombe sur un exergue d'une rare débilité («Qu'on me descende à coups de canon ou de fusil») et en allant feuilleter les dernières pages, on se régale d'un épilogue incompréhensible. Le texte de quatrième de couverture n'est d'aucun secours, il sent la retape de camelot, comme tous les textes de quatrième de couverture. Je me souviens d'avoir murmuré une phrase du genre : «Oh la la....». Rien à voir avec les Faces, bien sûr. L'idée de renvoyer ce livre dans la besace et de le remplacer par le nouveau numéro de Shindig me traversa l'esprit, et puis non. Il fallait en avoir le cœur net. Don't juge a book by looking at the cover, disait fort justement Bo Diddley, le Platon du rock. Je me remis droit dans le siège et réexaminai l'objet. En découvrant la photo de Glenn Taylor imprimée sur le rabat, je pris comme prétexte qu'il avait une mine mimi et je m'y mis aussi sec.

 

On plonge dès le début du premier chapitre dans la Virginie de 1903. Plouf. À partir de cet instant précis, je n'ai plus lâché ce roman. Il est comme on dit inlâchable. Sauf pour sortir de la gare, récupérer la teuf-teuf (clin d'œil appuyé à Damie Chad) et rentrer au bercail. Et là, lecture d'un trait, cul sec. Je suis prêt à parier que tous ceux qui auront ce foutu roman dans les pattes finiront comme ça : ivres, hagards, mauvais, la bave aux lèvres, prêts à fuir dans les montagnes.

 

C'est un roman qu'on ne lâche plus, mais en vérité, c'est le personnage qu'on ne quitte plus d'une semelle. Le pouvoir du romancier, c'est de donner vie à un personnage. L'écrivain Glenn Taylor réussit ce tour de force. Il donne vie à Early Taggart.

 

Pauvre gamin... Sa mère, dévote givrée, tente de le noyer en le jetant dans une rivière gelée, sous la couche de glace. Re-plouf. Puisque le père est parti, elle est persuadée que son enfant est l'œuvre du diable. Miracle ! Une veuve récupère l'enfant gelé un peu plus loin et le ramène à la vie. C'est ce qu'on appelle un départ dans la vie un peu compliqué, mais le romancier doit frapper un grand coup, s'il veut ferrer son lecteur. C'est d'ailleurs le seul reproche qu'on pourrait faire à ce texte : un premier chapitre peu crédible et laborieux. Nager sous la glace quand on a quelques mois et y attraper la maladie des gencives qui vaudra au héros son surnom, voilà qui n'a rien d'évident. L'expression «Gueule Tranchée» doit être un compromis de traduction (Trenchmouth, dans la version originale), car le baby sauvé des eaux n'a pas la gueule tranchée (comme l'avaient ces malheureux poilus filmés dans les hôpitaux de la Grande Guerre) mais la gueule pourrie. Nuance. Cette notion de pourriture (odeur, vermine, spectacle insoutenable des gencives pourries qu'il faut sans cesse dissimuler) va cavaler tout au long du roman. C'est la raison pour laquelle notre héros se coud la bouche au fil à pêche à la fin de sa vie. Il laisse juste un trou pour passer une paille et ces fameuses Chesterfield qu'il aime tant fumer.

 

Après une entrée en matière pour le moins chaotique, ce fantastique roman se met en route. Gueule Pourrie grandit et on grandit avec lui. Mieux, il se produit une sorte de transfert lacanien, puisqu'on voit à travers ses yeux, grâce à sa fameuse vision élargie, qui lui permet de viser juste. La veuve qui l'élève nous fait baver d'envie : on aurait bien aimé recevoir son éducation et surtout goûter sa fameuse gnôle. La veuve s'appelle Ona Dorsett. Elle est la clé du mythe. Le personnage rayonne littéralement d'intelligence sauvage. Elle gère tout à l'instinct et enseigne le dur métier de survivre à Gueule Pourrie et à Clarissa, sa fille, elle aussi trouvée et adoptée. Ona Dorsett distille de l'alcool de contrebande et soigne les gencives pourries du gamin en les imbibant d'alcool. Comme la louve, elle protège ses petits de tous les dangers, et notamment du père venu récupérer son fils. Elle le tue pour sauver sa vie et l'enterre sous ce que Glenn Taylor appellera tout au long du roman les toilettes extérieures, c'est-à-dire la cabane des chiottes au fond du jardin, et qui va devenir l'une des composantes du mythe de Gueule Pourrie. Six ans plus tard, intrigué par l'odeur, notre héros déterre le cadavre en creusant à mains nues. Mise devant le fait accompli, Ona Dorsett lui dit la vérité : le gosse vient de déterrer le cadavre de son père. Pas grave, puisque, comme l'écrit si joliment Glenn Taylor, «tous les jours de sa jeune existence il avait pissé et chié sur son propre père. Ce qui lui convenait parfaitement, décida-t-il.»

 

Là, on commence à prendre le personnage très au sérieux. On ne le quitte plus des yeux. On le suit à la trace. Adolescent, il se retrouve dans une église locale un peu spéciale. On y tripote des serpents, symboles vivants du mal absolu. Gueule Pourrie ne les craint pas. Les vipères cuivrées ne le mordent pas. Il les charme. Ébahies, et par nature hystériques, les femmes affiliées à cette secte s'arrachent notre charmeur de serpents. Mais comme sa bouche les répugne, elles refusent de l'embrasser et lui fourrent directement la tête entre leurs cuisses, sous les volumineuses jupes d'époque. Comme le précise si pudiquement Glenn Taylor, «Gueule-Tranchée découvrit la religion dans les parties infernales de cette femme».

 

Dans les années 20, la Virginie est une région de mineurs. Glenn Taylor nous sert un petit pan d'histoire socio-économique américaine : comme chez Zola, les mineurs font grève pour demander une amélioration de leur condition et les brutes patronales envoient des briseurs de crânes régler le problème. À cette époque, tout le monde est armé. On roule en Ford Model T et ça canarde dans tous les coins. Gueule-Tranchée tire sur les briseurs de grève, profite du rififi pour buter un ennemi ou deux et, pour échapper aux poursuites, il s'enfuit dans la montagne. Et là, comme par miracle, il disparaît pendant un quart de siècle.

 

On tombe alors en pleine mythologie. On quitte le demi-monde sauvage d'Hasil Adkins pour entrer dans l'univers sacré de Jeremiah Johnson. Gueule-Tranchée quitte ce monde des collines où, plus qu'ailleurs, toutes les races se métissent, pour aller vivre comme une bête sauvage dans la montagne. La force de Glenn Taylor est telle qu'il parvient à nous mettre en osmose avec son personnage. Les détails de sa survie sont d'une précision hallucinante. Ceux qui ont défié le temps dans la solitude absolue savent que la folie les guette, et les souvenirs finissent par devenir des mots vides de sens. Glenn Taylor illustre bien l'état de fatigue psychologique de son personnage lorsqu'il écrit : «les ouvriers, les chevalements de mine, les mules et les toilettes extérieures, les parties infernales des femmes, les serpents, tous ces gens qui parlaient dans des langues inconnues, les Ford Model T. Tout cela relevait de la plus pure imagination». Gueule-Tranchée et Robinson Crusoé même combat ? Allez savoir.

 

Puis un jour, pouf, notre homme des bois découvre une cabane habitée au pied d'une falaise. Un couple vient tout juste de s'y installer. Un noir, une blanche et leurs enfants. Gueule-Tranchée vient à leur rencontre en criant : «S'il vous plaît, n'ayez pas peur. Je m'appelle Chicopee.» Il change de nom pour entrer dans une nouvelle vie. Les amis du couple sont des musiciens noirs. Parmi eux se trouve Johnnie Johnston. Oui, parfaitement, le pianiste qui mettra le pied de Chuck Berry à l'étrier.

 

a395affichegueule.jpg

 

Notre héros s'appelle maintenant Chicky d'Or et il joue de l'harmonica. Il retourne à la civilisation avec les musiciens, et c'est là où les Athéniens vont s'atteignir, comme on dit, et où tous les amateurs de musique roots américaine vont se régaler : Glenn Taylor nous décrit, à travers le parcours biscornu de cet homme des bois aux pieds nus la genèse de la musique populaire américaine. Si on veut humer le terreau dans lequel le rock et le blues américains plongent leurs racines, c'est là, dans ce type de roman. Comme dans «Le Petit Arpent du Bon Dieu» d'Erskine Caldwell, où l'on kidnappe les albinos, puisque certains les disent doués de dons surnaturels.

 

Chicky d'Or va circuler dans les États, il va jouer dans des stations de radio et même échouer à Saint-Louis où bien sûr, il ne manquera pas de rencontrer Chuck Berry, alors à l'aube de sa carrière. Séquence elliptique bien sûr, mais d'une terrible efficacité. Pas besoin d'entrer dans le détail de la vie de Chuck Berry. Chicky d'Or jamme avec lui et on n'en perd pas une miette. Plus tard, Chicky d'Or croisera Hank Williams dans des circonstances abracadabrantes, comme vous allez pouvoir le constater.

 

Glenn Taylor nous retrace une partie de l'histoire du comté de Mingo, situé en Virginie Occidentale. C'est aussi fin, précis et documenté qu'une histoire de la Frontière signée Hugo Pratt. Petite cerise sur le gâteau, Glenn Taylor ramène du passé des paroles de chansons ouvrières qui pourraient très bien sortir du répertoire de Woody Guthrie. Ne manque que la musique...

 

Tout au long du récit, l'auteur veille à ce qu'on reste à proximité du corps svelte de Gueule-Tranchée. Comme lui, on assure ses pas. Comme lui, on affine sa vision en plissant les yeux. Comme lui, on essaye de prendre les bonnes décisions. Comme lui, on saigne des gencives. Comme lui, on soigne la douleur avec de l'alcool. Comme lui, on sent l'énergie dans la musique. Chicky d'Or ou le degré zéro de la musique des Appalaches : un harmonica, des airs qu'on joue à l'oreille, les pieds nus et une bouteille de gnôle. Pas besoin de Cadillac rose. Il est sorti des bois après s'être taillé la barbe et les cheveux au couteau. D'ailleurs, il retournera dans les montagnes, comme d'autres repartent à zéro. Les épisodes émouvants se succèdent jusqu'à la fin du roman. Tous plus émouvants les uns que les autres. Vous irez de surprise de taille en surprise de taille. On aimerait que ça continue longtemps. D'ailleurs, s'il devait mourir, il serait déjà mort. Tant que Glenn Taylor reste dans les parages, il ne mourra pas. C'est même peut-être l'inverse. L'auteur ne décide plus de rien. Gueule-Tranchée va encore changer de nom. Il va traverser d'autres époques. C'est lui qui décide, ça saute aux yeux.

 

Avec une telle matière, Glenn Taylor aurait pu nous pondre 300 pages de plus et rivaliser de réalisme sibérique avec les gros romans russes, mais non, il préfère les chapitres bien ramassés, comme s'il se limitait à l'essentiel. Il fait dans le frugal. Un sac datant de la Guerre de Sécession sur le dos, le strict nécessaire pour survivre un quart de siècle. Bel exploit que de raconter une vie comme celle-ci en 300 pages. Après ça, pas facile de revenir à la vie normale, au monde numérique et à ses petites fadeurs.

 

 

Signé : Cazengler, aventurier raté.

 

 ( il y avait un superbe illustration de la main de notre aventurier pas si raté que cela, mais l'ordi l'a refusée, on essaiera de vous la donner en prime à la prochaine livraison )

 

Glenn Taylor. La Ballade de Gueule-Tranchée. Grasset 2010.

 

Les commentaires sont fermés.