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23/05/2013

KR'TNT ! ¤ 145. COMIC TRIP FESTIVAL / MYSTERY TRAIN

 

KR'TNT ! ¤ 145

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

23 / 05 / 2013

 

 

THE JACKETS / THE MONSTERS

 

 

HARMONICA FRANK / ELVIS / RONNIE HAWKINS / CASH

 

 

COSMIC TRIP FESTIVAL

 

THE WILD'N'CRAZY ROCK'N'ROLL FESTIVAL

 

9 - 12 mai 2013 / Bourges (18)

 

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LA PETAUDIERE DES MONSTERS

 

Comme tous les fervents amateurs de garage, nous nous sommes transportés les 10 et 11 mai derniers jusqu'à la bonne ville de Bourges, où se tenait le 17e Cosmic Trip Festival, sous-titré The Wild'n'Crazy Rock'n'Roll Festival. Quand on part de Normandie, on doit malheureusement traverser les épouvantables contrées désertiques de la Beauce. Si bien qu'on arrive à Bourges fourbu, hagard, avec le gosier aussi sec qu'un parchemin. On se jette donc sur le premier pichet venu. Un conseil : testez le Reuilly, rouge ou gris. Idéal pour réhydrater une cervelle.

 

Se balader dans les rues de Bourges, c'est une façon comme une autre de changer d'époque. Certains quartiers datent certainement du Moyen-Age. L'herbe pousse entre les pavés des ruelles et on s'attend à voir surgir Lucien de Rubempré au carrefour suivant. Hélas, mille fois hélas, de grosses berlines de bourges nous ramènent bien vite à la triste réalité des temps modernes.

 

Vu que le premier groupe commençait à jouer vers 22 heures, ça nous laissait le temps d'aller nous goinfrer à la Cantine Berrichone (table chaudement recommandée). Reuilly aidant, nous dissertâmes longuement des vertus du cornichon berrichon, pas encore clôné, comme le sont les cornichons que vous trouvez dans les bocaux de votre super-marché habituel.

 

Après avoir longé un petit cours d'eau, l'Auron, nous atteignîmes le Palais d'Auron, où se tenait le festival. Une jolie foule se pressait aux buvettes et devant les stands des disquaires, notamment celui de Sébastien, boss de Rocking Bones et de Beast Records, un petit label indépendant qui monte très vite en puissance. (Parmi les dernières parutions, on trouve les deux excellents albums de Chicken Diamond, one-man band qui a tout compris, et celui des Primevals, prestigieux garage-band écossais de retour aux affaires).

 

King Salami ouvrait le bal, suivi des Autrichiens Wild Evel & the Trashbones. Belles clameurs garage, mais il nous semblait avoir déjà vu ces groupes mille fois. Le problème avec le garage, c'est que ça tourne souvent en rond. Wild Evel est une sorte de clone non pas de cornichon, mais de Question Mark. Il se démène bien sur scène, il secoue un tambourin et il connaît toutes les ficelles du garage. Hélas, les musiciens qui l'accompagnent restent figés comme des statues de sel, ce qui gâte le spectacle. Rien de pire qu'un(e) bassiste appliqué(e).

 

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Pendant que sur la grande scène les techniciens installaient le matériel du groupe suivant, un groupe jouait dans une petite salle attenante, la jungle room, en guise d'entracte. Grand bien nous prit d'aller y jeter un œil. Ce fut un véritable choc garage. Un trio occupait la petite scène. Une gonzesse chantait et jouait de la guitare. Disons 25 ans, brune, Loulou de Pabst avec une couette à la verticale sur le haut du crâne, le maquillage d'Alice Cooper (ou de Hank Von Helvete, au choix) autour des yeux, un petit costard noir, une chemise blanche et une bonne voix bien rude. Elle ruait dans les brancards et chantait avec une hargne édifiante. A côté d'elle, un blondinet jouait de la basse avec un son bien gras et en mélodie. Il enroulait sa ligne de basse avec une perfidie à peine croyable. On se serait cru dans un pub de Londres en 1964, quand les étudiants échappés des Art-schools se prenaient pour de sales petites frappes. Ce groupe s'appelle The Jackets. Ils viennent de la Suisse. Ne partez pas, car ce n'est pas tout. Elle a fini son couplet et soudain, pouf ! elle a disparu ! Il fallut vite fendre la foule pour aller voir ça de près. Wow ! Freak Out, wouaaaaaahhh it's the only way out ! Elle se tortillait au sol pour jouer un solo de dingue, les jambes en l'air. Elle avait tout pigé. Elle s'est relevée pour revenir au chant, même aplomb, même classe insolente, même génie garage directement issu de la délinquance juvénile de nos rêves les plus humides. Ceux qui voyaient les Them au Maritime Hotel de Belfast en 1964 devaient ressentir la même extase cutanée. Rien d'aussi jouissif que de voir jaillir la sauvagerie sur scène. Johnny Burnette et elle, c'est la même race. Indomptable. Ça hennit dans la prairie.

 

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( C : Amelia Photo )

 

Les Jackets ont disparu aussi vite qu'ils sont arrivés. Le public en voulait encore, mais non, impossible, le timing imposait sa dictature impitoyable et tout le monde refluait vers la grande scène où King Khan, tête d'affiche de la soirée, allait faire son apparition. Un set sans surprise pour les habitués, avec des Shrines égaux à eux-mêmes, élégants, solides, irréprochables, vêtus de noir avec les sempiternels colliers de dents de requin autour du cou. King Khan screamait ses James-Browneries jusqu'à l'os et il nous gratifia en rappel de sa fabuleuse reprise du «Know Your Product» des Saints. Le seul qui ose toucher à ça, c'est lui...

 

Le lendemain soir, le samedi, Powersolo ouvrait le bal. Quelques passages d'une belle intensité, mais comme beaucoup d'amateurs, nous n'étions là que pour les Monsters. Par un curieux hasard, les Monsters jouaient aussitôt après Powersolo, laissant la tête d'affiche de la soirée aux Fuzztones. Comment peut-on oser monter sur scène après les Monsters ? C'est tout bonnement impossible et les malheureux Fuzztones allaient faire les frais de cette grave erreur de programmation.

 

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Si vous ne le connaissez pas encore, sachez que le Révérend Beat-Man officie dans une paroisse suisse. Il porte non pas une tiare mais trois casquettes : en premier lieu, il est one-man-band de réputation mondiale et prêche partout le «primitive blues trash» (issu de la doctrine la plus orthodoxe qui soit). Depuis son plus jeune âge, ce mystique invétéré s'adonne sans relâche à sa vocation et officie pour le compte de la célèbre Blues Trash Church (toute nouvelle forme d'œucuménisme vociférant), dont il est à la fois le père spirituel, le père fondateur, l'épiscopat et le corps séminariste. Infatigable et pour ainsi dire hanté, il prêche à travers le monde l'évangile du «primitive rock'n'roll» et du «gospel blues trash». On a vu des foules se prosterner à ses pieds. Nombre d'albums dispensant la sainte parole sont disponibles dans les principaux lieux de culte, les basiliques comme les cathédrales psychédéliques, mais aussi dans les couvents modernes, là où les Carmélites érudites brûlent des cierges à la gloire de Clovis Trouille et du divin Marquis.

 

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En second lieu, le puissant Révérend préside à la destinée d'un superbe label discographique, Voodooo Rhythm Records. Alors attention au porte-monnaie, chère ménagère, car le catalogue de Voodoo Rhythm est à l'adulte déraisonnable ce que la vitrine du pâtissier est à l'enfant gourmand : une horreur, au sens de la tentation. Et comme le disait si bien Oscar Wilde, le meilleur moyen de résister à la tentation, c'est encore d'y céder. Les pochettes rivalisent entre elles de génie graphique, ce qui peut sembler naturel dans un pays où pullulaient jadis les typographes de renom planétaire. Les amateurs d'art graphique se régaleront, rien qu'en tripotant ces grosses pochettes cartonnées. Mais ce n'est pas tout. Le puissant Révérend attire sur son label tout ce que le monde compte d'artistes étranges, inclassables, primitifs, galeux, boiteux, loufoques, zébrés, difformes, vermoulus, barbus, basanés, comme les Guilty Hearts, véritables héritiers du Gun Club, Hipbone Slim & the Knee Tremblers, The Come N'Go. Pouf pouf, on reprend son souffle. Et puis voilà deux albums fantastiques du John Schooley One-Man-Band (l'ex Hard Feelings du Texas), Bob Log III, l'expat DM Bob, ils sont tous là, vétérans de la scène garage la plus inventive, King Automatic rescapé de Thundercrack, Roy & The Devil's Motorcycle (déjà 3 albums !), une belle pincée d'albums de Lightning Beat-Man et du Révérend Beat-Man et bien sûr... les Monsters. Car le Révérend est aussi l'incontrôlable leader des Monsters (troisième casquette), ce gang helvétique qui dégage les sinus aussi sûrement que l'explosion d'un bâton de dynamite.

 

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Quand il arrive sur scène, le Révérend nous fait penser à l'autre Révérend, le Texan, l'Horton Heat des enfers. Bonne bouille, bien ronde, mine joviale, un peu gamine, on sent le farceur, celui qui pince les fesses des filles et qui les fait rire. Il lui reste une petite houppette de longs cheveux filasses sur l'avant du crâne. Il a lui aussi cette allure de pépère artisan à la retraite, de petit bonhomme qui lève son chapeau pour vous saluer au coin de la rue. On l'imagine avec son caniche blanc, le matin, allant chercher son journal et son paquet de clopes sans filtres au bureau de tabac. Il porte une veste rouge à revers noirs comme celles que portent les musiciens dans les fanfares, avec un écusson cousu sur la poitrine. Bien entendu, la veste est trop courte et le pantalon gris foncé semble lui aussi très fatigué. Il porte des chaussures deux tons et une grosse guitare en bois électrifiée en bandoulière. Peut-être va-t-il interpréter quelques yodellings de ses montagnes natales, semblables à ceux que les colons suisses ont transporté jusqu'aux contreforts des Appalaches et qui plaisaient tellement à Howlin' Wolf gamin, lorsqu'il entendait Jimmie Rodgers ululer dans le poste de radio. Ses collègues le rejoignent sur scène, vêtus eux aussi de vestes rouges et de pantalons gris. Ils ont des têtes d'agents du Trésor Public. Le Révérend les accueille en leur serrant la main. Les deux batteurs s'installent face à face, derrière leurs batteries collées ensemble à l'avant de la scène et le bassiste fait claquer une corde. Blonk. Et là attention, le Révérend annonce la couleur : «Babiiii... I want...... You !».

 

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Pendant une heure, les Monsters vont secouer les cocotiers accrochés au fond de la grande scène. Ils vont aussi nous secouer la paillasse. Les Monsters déferlent. Littéralement. Ils jouent le garage le plus dévastateur, le plus rugueux, le plus âpre, le plus primaire qui soit. Ils sodomisent les oreilles. Très vite, le nez du Révérend goutte de sueur. Il fait voler sa houppette comme la lanière d'un fouet. Solo ! Ses jambes tricotent des 8, diablerie de la sauvagerie ultime, il saute sur place comme un marsupilami échappé du cabinet du docteur Caligari, il noie ses notes dans le trash le plus cru, son corps ondule, et il reprend le chant comme si de rien n'était. A la fin de morceau, il s'adresse avec un grand sourire au public en transe : «Bonchoir madames zé méchieux ! Next one is punk-rock !» C'est le moment de fendre la foule pour aller vibrer aux pieds de ce messie du trash. La chanteuse des Jackets est déjà là, en pleine danse de Saint-Guy. Quelle chance elle a d'avoir un tel compatriote ! Méchante veinarde ! Oh ! Ils attaquent «Blow Um Mau Mau». C'est pilonné comme à la forge du Creusot, ça pogote de plus belle dans la fosse. Il faut tout de même préciser que rester immobile, c'est absolument impossible. On a forcément un truc qui remue. La queue ? Ouaf Ouaf ! Ça hurle, ça siffle, ça sue. Cavalcade infernale, le Révérend enfile ses classiques garage-punk comme des perles, à une folle allure, sans jamais s'accorder la moindre seconde de répit. L'animal dégouline. Il y a quelque chose de surhumain dans cet homme qu'on voit gesticuler et ruisseler de sueur. Au Moyen-Age, on l'aurait brûlé vif, c'est certain. Fin de couplet, il jette le buste à l'arrière et laboure les cordes de sa guitare. Fin du morceau, il secoue les doigts, comme s'il avait mal. Fabuleux showman, héritier des bêtes de scène du Sud profond, animé du seul désir d'étourdir ses adorateurs. Grâce au Révérend, on réalise que le garage est l'expression moderne de la connaissance des limbes et de la sagesse. Les contorsions du Révérend expriment les entrelacs de la félicité. Il chante à sa façon l'harmonie du monde invisible, il restitue l'effervescence spirituelle baignée de lumière, celle que brossèrent jadis Dante Gabriel Rossetti et la Burne-Jones. Il saupoudre les âmes de poussière stellaire, truffe son garage d'énergie christique, bat comme plâtre la béatitude, enfonce ses clous avec l'ardeur maladive des crucificateurs. Il jette ses classiques iconoclastes au ciel et nous autres pauvres hères en nage ne pouvons que reluquer le clinquant des reliques écarlates. On se laisse riffer à vif, on pantèle à vue, on ravale sa glotte à gogo, et à chaque coup d'épaule, le Révérend pousse les colonnes du temple vers l'abîme.

 

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Signé : le très pieux Cazengler

 

 

The Monsters. Pop Up Yours ! Voodoo Rhythm Records 2011.

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The Jackets. Way Out. Soundflat Records 2012.

 

 

MYSTERY TRAIN

 

GREIL MARCUS

 

 

( FOLIO ACTUEL  )

 

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Premier livre de Greil Marcus un des rock critics américains les plus renommés dont nous avons déjà chroniqué, dans notre cent trente-sixième édition du 21 / 03 / 13, le Lipstick Trace. Rassurons nos lecteurs, ce Mystery Train est d'un abord bien plus facile à lire que ces zébrures de rouge à lèvres fiévreusement repérées par notre auteur dans toute la contre-culture européenne du vingtième siècle.

 

 

L'architecture du livre est une compilation de six articles de plus ou moins vaste ampleur sur six artistes appartenant de près ou de loin à la rock'n'roll music. Mais comme nous le révèle le titre in-extenso relégué en quatrième de couverture sur cette traduction française due à Héloïse Esquié, Justine Malle et Guillaume Godard, Greil Marcus les a choisis comme de représentatives Images De l'Amérique A Travers Le Rock'n'Roll. Une Amérique mythique et essentielle dont on retrouvera les germes dans les livres de Mark Twain et Herman Melville. Entre nous soit-dit j'ai plutôt l'impression que cette vue de l'esprit, si elle en impose par ses prétentions littéraires, est surtout une excuse pour réunir en un seul volume divers écrits qui n'entretiennent pas obligatoirement de fortes relations entre eux.

 

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Chaque monographie est accompagnée de notes discographiques rejetées en fin de bouquin. En 1975, date de sa sortie, ces dernières devaient occuper un modeste espace, mais soigneusement complétées et réécrites pour une réédition américaine en l'an 2000, elles s'étalent désormais sur cent quatre-vingt pages réduites au maximum par l'emploi d'une minuscule corps de caractère. Elles se présentent non pas sous la forme d'une simple discographie mais comme un commentaire sur la nécessité de posséder ou de ne pas acquérir tel ou tel coffret de compilations. Les compagnies de disques sont douées d'une rare rouerie pour éparpiller les raretés sur divers opus qui du coup deviennent pour un ou deux titres indispensables... Que le collectionneur ne dédaigne pas cet amas de notices, elles fourmillent de renseignements biographiques et de réflexions de fond - qui ne sont pas exemptes de jugements à l'emporte-pièce discutables - sur la vie, l'oeuvre et l'entourage de leur idole.

 

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HARMONICA FRANK

 

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Question à deux euros. Quel est le premier blanc qui chantait comme un noir que Sam Phillips enregistra ? Inutile de lever le doigt. Ce n'est pas Elvis. C'est Frank Floyd beaucoup plus connu sous son nom de guerre Harmonica Frank. N'est plus un jeune homme lorsque le gourou de Sun le fit entrer dans son studio en 1951. L'est né en 1908, aurait pu être le père de Presley. C'est un blanc mais qui a connu une vie de chien errant. Orphelin, très tôt il a couru la route avec sa guitare et son harmonica. S'est appris à jouer tout seul, capable de tenir son instrument entre la moitié droite de ses dents et de chanter avec sa moitié gauche. Numéro qui tient un peu des medecine shows et des vaudevilles, mais Frank Harmonica ne fraie pas vraiment avec les noirs. C'est un solitaire. Partage leur pauvreté et le blues, mais tape aussi dans tout le legs populaire hillbilly blanc.

 

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Mille misères, mille boulots et mille chansons au coin des rues. N'a pas le temps de s'alanguir dans la tristesse du blues ou la mélancolie du country, fonce en avant, un rythme sautillant qui n'est pas s'en rappeler celle de Charlot le hobo sur ses vieux films... Harmonica Frank Floyd sera un des chaînons essentiels de ce que l'on pourrait appeler le rockabilly blues à un moment où le rockabilly n'existe pas encore. Sam Philips a dû faire écouter ses prises à Presley... Redécouvert en 1972 par Stephen C Lavere, alors que l'on retrouvait ses enregistrements sur des compilations d'earlier blues noir, Harmonica Frank se vantera d'avoir chanté du rock'n'roll sans le savoir bien avant l'invention du genre... Finira sa vie de manière plus agréable qu'il ne l'avait débuté, reconnu par tout un milieu d'amateurs de blues, en Amérique et en Europe.

 

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ROBERT JOHNSON

 

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Le grand ancêtre. De tous les américains. Sauf d'Elvis Presley serais-je tenté de dire. Mais l'on reviendra sur ce paradoxe. Greil Marcus ne parle pas de blues pour qualifier la musique de Johnson. Emploie l'expression country blues. En un sens plus juste car elle explique bien qu'au départ blues et country étaient beaucoup plus proches qu'on ne s'est employé à les séparer par la suite. Une manière aussi d'augmenter la dose de blues dans les racines du rock'n'roll blanc. Ce n'est pas un hasard si Sam Phillips élevé dans une plantation commença par enregistrer des chanteurs de blues sur Sun. Les ésotéristes ne se priveront pas d'évoquer le culte conceptuel du soleil noir en le mettant en relation avec le revitalisme des cérémonies vaudous. Rappelons que Papa Legba est le lwa des carrefours. Robert Jonhson en savait peut-être plus sur le diable qu'il ne le prétendait dans Crossroad.

 

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Mais Greil Marcus n'explore pas cette piste. Juste un petit paragraphe lorsqu'il donne, parmi d'autres, une version de l'agonie de Robert Johnson, empoisonné par un mari jaloux, à quatre pattes sur le plancher aboyant comme un chien, victime vraisemblable d'une pratique magique. Passe vite sur cette image qui défie notre rationalisme. Toutefois - s'en est-il rendu-compte à la relecture ? - toute l'analyse empreinte de subjectivisme signifiant qu'il opère des morceaux de Johnson est acté par la figure mythologique des chiens d'Hécate, la terrible déesse proto-grecque des carrefours. Quel que soit le chemin que vous empruntez, vous ne rencontrerez sur votre route Robert Johnson que sur les accotements d'un croisement.

 

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Reste encore à définir la rencontre qui s'opère dans l'oeuvre même du guitariste. Facile de la projeter dans le temps en rappelant son influence sur les guitaristes et les groupes du british blues, Eric Clapton et Rolling Stones en tête. Greil Marcus ne cède pas à cette facilité généalogique. Ne porte pas ses regards et ses oreilles si loin. Ne s'en vante pas en toutes lettres mais il faut comprendre que d'après lui l'oeuvre qui entre le plus en résonance avec celle de Johnson réside en les cinq singles d'Elvis enregistrés chez Sun.

 

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Au travers de leurs titres c'est un peu le fantôme de l'Amérique qui se lève. Une Amérique sans espoir fallacieux, vide de toute promesse, une tombe sans fleur ni couronne. Ni plus ni moins que la dénonciation du rêve américain. Mais tout cela Greil Marcus l'atténue par la sémentale évocation des Feuillets d'Herbe de Walt Withman. Nous grands mangeurs de grenouilles nous nous amuserons à considérer cet optimisme outrancier des Amerloques comme un remake de Ma Verte Prairie de Long Chris. L'espérance christique des pionniers. Cette foi rudimentaire, legs encombrant de vaseline puritaine qui n'a jamais quitté Elvis, grand amateur de gospel, mais qui ne semblait pas être le souci majeur de Robert Johnson. Les pauvres diables se tournent vers ce qui leur ressemble le plus, l'Adversaire de l'establishment qui leur ouvre les bouteilles et le lit des femmes.

 

 

Etrange histoire où le petit blanc est plus fidèle à l'Eglise de son enfance que le petit noir qui préfère gambader dans les jambes des joueurs de blues... Rôles inversés.

 

 

RANDY NEWMAN

 

 

Greil Marcus s'autorise des privautés avec la chronologie. De Robert Johnson l'on saute au Band et à Sly And The Family Stone. De premier il nous paraît plus logique d'en parler après Elvis, quant au second nous l'avons traité isolément dans une livraison à venir intitulée Soul & Sly. Enfin nous avons droit à la grosse incongruité du bouquin : Randy Newman.

 

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De peur de commettre une erreur ou d'être victime d'une déficience mémorielle, je me suis rendu sur You Tube. Chers lecteurs, vous ne saurez jamais jusqu'où peuvent m'amener les scrupules moraux. Mes souvenirs étaient bons. C'était bien cet artiste de variété inodore auquel je pensais, une sorte d'Elton John sans saveur, et les Dieux n'ignorent point mon profond dégoût envers Elton.

 

 

Le pire c'est que Greil Marcus n'est pas loin de partager mon avis sur Randy. Au début tout va bien. Loue ses talents de paroliers. L'est plus à même que moi de juger. J'ai zieuté les traducs, c'est sans complaisance envers soi-même et le public. Cynisme très middle-class de ces petits-bourgeois intellectuellement besogneux des années 80 qui pensaient que le libéralisme les enrichirait. Ont bien déchanté par la suite. Greil Marcus aussi. Pas pour des motifs économiques mais pour des raisons artistiques. Le cynique de service s'est mis à caresser le public dans le sens du poil. N'y a pas perdu son âme, car il n'en avait pas. Bref Greil Marcus n'en dit plus que du mal. L'aurait été plus honnête de bazarder l'article dans la poubelle. Si Randy Newman est un indicateur artistique censé nous dévoiler la face cachée de l'Amérique, il vaut mieux fermer les yeux. Ni paradisiaque, ni infernale. Médiocre. Et nous sommes comme le Seigneur de la Bible ou plutôt, pour employer une image plus consensuelle, comme les punks nous crachons sur les tièdes.

 

 

ELVIS PRESLEY

 

 

Faut se souvenir d'un détail qui a son importance : lorsque Greil Marcus écrit son livre Elvis Presley est encore vivant. Un pied dans la tombe certes, lui reste encore deux années à vivre, mais trop addict aux pilules pour pouvoir faire marche arrière. Le King s'enfonce inexorablement vers le tunnel final, englouti sous son propre poids.

 

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Pourrait l'être mais Marcus s'en garde bien, possède trop de tendresse envers l'Idole pour être sévère envers lui. Le défend, Elvis se meurt d'ennui. Elvis n'est plus que l'image d'Elvis. Portrait cloné ou hideuse caricature, l'aspect importe peu. Il est une icône du rêve américain et même déchirée en mille morceaux et jetée par la fenêtre, elle possède toujours sa place appropriée dans le panthéon de l'Amérique. La première, la plus importante. Il est le Dieu et tous les autres ne sont que des petits saints de campagne dont les noms commenceront à s'effacer, à peine auront-ils définitivement fermé l'oeil. Une preuve parmi tant d'autres : il se publie davantage de livres sur Presley que sur Kennedy.

 

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Faut dire que s'il ne s'est pas vanté comme les Beatles d'être plus célèbres que le Christ, lui Elvis il est passé aux actes. Pas des apôtres. N'a jamais joué les seconds couteaux. S'est contenté de refaire le coup de la résurrection. En vrai, en couleurs, et en direct à la télé pour que tout le monde puisse y assister. D'ailleurs personne n'a osé mettre la chose en doute. Les Amerloques ça leur a foutu le cerveau en loques pour un bout de temps. Greil Marcus comme les autres retourné tel un steak sur la grille d'un McDonald. Le burger était trop gros à avaler.

 

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Pensaient tous qu'Elvis s'était fourvoyé. Entre parenthèses ils avaient raison. Comme tous les déçus Greil Marcus en rajoute, n'accorde pas la moindre valeur aux films que Presley a tournés. Trop méchant à notre goût. Ses westerns ne sont pas mauvais, sont même bons. Mais Marcus ne veut rien entendre. Jette le boudin avec l'eau du caca. Comparé à nous, l'était aux premières loges pour vérifier. Un traumatisme pour le citoyen de base américain, le King qui s'exile sur les plages de sable fin et qui ne se soucie plus de ses sujets. Transparaît aussi entre les lignes que son orgueil national est blessé par la suprématie des petits englishs, Beatles et Rolling Stones, dans les charts.

 

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N'en croit pas ses oreilles que le King puisse sortir de si mauvaises bandes-son. Il est à l'affût. En 1967 des bruits avant-coureurs se font entendre, coup sur coup Big Boss Man de Jimmy Reed, real bluesman alcoolisé, Guitar Man et U.S. Male de Jerry Reed country rocker as du pikin' guitar. Marcus exulte. Ce ne peut être que prophétique ! Je préfère ne pas décrire son exaltation pour les deux années qui suivent : les shows télé qui surprennent tout le monde – ne se retient plus, avance que certains de ses premiers morceaux hillbilly revisités sont plus classes et plus forts que les originaux - les first shows à Las Vegas, sans parler du trente-trois centimètres From Elvis In Memphis...

 

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Greil n'en demande pas plus. La longue descente qui s'en suivit, il n'en a rien à faire. Un homme qui a été capable de ressusciter une première fois peut tomber gravement malade. Les docteurs et les spécialistes peuvent même tirer des mines d'enterrement, pas d'inquiétude à avoir, Elvis possède la recette du miracle. Le phénix renaîtra de ses cendres où il voudra et quand il voudra. La banque de la confiance absolue lui ouvre un crédit illimité.

 

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Les esprits chagrins se demanderont toujours comment Elvis qui a commis les plus belles pépites de l'american popular zique a pu s'enliser dans les sombres profondeurs de la variétoche la plus désolante. Renvoie la balle d'une façon imparable Marcus, très simple : Elvis aimait la musak. Il appréciait tous les genres, le blues et le rock, le gospel et le country, les chants de Noël et la variété grand public. L'alcool de contrebande au venin de mamba comme le sirop de grenadine sans colorant délayé dans vingt-cinq volumes d'eau plate. Insurpassable dans tout ce à quoi il a touché, le meilleur de tous dans le meilleur de la musique et meilleur que n'importe qui dans tout ce que la chansonnette peut véhiculer de pire. Et pour la deuxième postulation tellement bon dans le genre que s'il n'a pas été le pire il a atteint l'essence du pire. Ce qui est encore pire que tout.

 

 

SUNRISE

 

 

Mais ce Presley indépassable dans la beauté comme dans l'horreur, aurait-il été l'incomparable Elvis, l'indétrônable Roi, s'il n'y avait pas eu les séances Sun. Le jeune gars qui débarque dans le studio miteux de Sam Phillips ne sait pas où il met les pieds. Sur le crotale du rock'n'roll, mais ce n'est pas son affaire. D'instinct lui, il préfère les ballades country. Greil Marcus ne prend pas les pincettes pour expédier les slows insipides à la I Love You Because ou à la I Forgot To Remember To Forget qu'il ne peut pas blairer. Ce n'est pas que ce soit carrément mauvais, c'est que c'est franchement inutile. Pas étonnant que Presley se soit entiché de musak sirupeuse à Las Vegas. Le bacille était en lui depuis le début. Les long-horn de la ballade country ont poussé leurs malheureuses cornes dans ces pistes immortelles.

 

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Oui bien sûr, mais à côté de ces horreurs se trouvent des incandescences comme That's All Right Mama, Milk cow blues ou Mystery Train, qui donne son titre au livre de Marcus. Des trucs inouïs au sens étymologique du mot, que personne n'avait encore entendu. Greil insiste sur le dosage en testostérone blues dont elles ont bénéficié. Nous n'ergoterons pas. La comparaison avec les country langoureux n'est guère à l'avantage de l'héritage blanc. C'est tout de même passer un peu vite sur les racines hillbillies du jeune cat.

 

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Quelle est la différence entre le chant et le jeu de guitare d'Elvis Presley et ceux d'Harmonica Frank ? Frank Wright chante du hillbilly avec application et surtout parce que c'est son boulot, se dirige vers la cinquantaine et ne sait faire que cela. Elvis s'amuse, il ne chante pas, il joue, il s'auto-parodie et dans son salmigondis de génie il touche aux racines du blues d'avant le blues, remonte jusqu'aux numéros, sketchs, danses et chansons entremêlés des vaudevilles, n'est pas si loin que cela de Tin Pan Alley, n'oublions pas qu'il était fan de Dean Martin et que la carrière de Bing Crosby s'imposait à l'époque à tout auditeur de radio. Elvis réalisa l'impossible jonction alchimique, de toutes les écorces mortes de l'entertainment, il obtint un nouveau précipité, la pierre philosophale du rockabilly était née. Plus tard on le chargera d'un autre nom, on l'appellera rock'n'roll, un peu pour en cacher ses origines campagnardes, beaucoup pour l'orienter selon le tumulte des grandes métropoles. Le cat des villes finira par occulter le cat des champs.

 

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Pourquoi fut-il le premier ? Parce qu'il eut la chance d'habiter Memphis la même ville que Sam Phillips, et peut-être plus que tout parce que Phillips était en recherche et qu'il n'a pas économisé sur le temps nécessaire aux tâtonnements. Quelques heures à peine, mais dans un studio new-yorkais où l'on enregistrait à la chaîne, l'aurait fallu libérer les lieux à la fin du créneau imparti. C'est en tant que musicien de studio qu'Eddie Cochran parvint à créer son propre son et son propre style. Eut le temps de réfléchir et d'essayer. Elvis ne bénéficiera pas d'un tel privilège. N'est pas sorti de derrière le micro de Sun que déjà il part en tournée. Lui qui plus tard se confinera dans Graceland roule sa bosse par monts et par vaux, sillonnant sans fin les routes du Tennessee. N'a plus l'espace de respirer. S'il se met si facilement sous la coupe du Colonel c'est en partie parce que celui-ci se charge de toutes les formalités administratives et qu'il s'attèle à préparer un plan de carrière dont le gamin n'aura plus à se préoccuper. Toutefois en signant chez RCA Elvis se coupe de ses racines rockabilly sans qu'il ait le temps de réaliser. C'était aussi ce qu'il voulait, l'était prêt à payer le prix mais lorsqu'il eut au bout de dix ans fini de régler la facture, le montant de l'addition lui laissa un goût saumâtre dans la gorge.

 

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Elvis eut la main libre sur ses premiers enregistrements chez RCA, Hound Dog, Heartbreak Hôtel, I got a woman et Tutti Frutti sont des merveilles finement ciselées, la quintessence de la mise en place, mais très vite la compagnie imposa ses choix et le King laissa faire. Lui le créateur du rock'n'roll n'était pas un rocker dans l'âme. Ne rua pas dans les brancards. Tendit les lèvres vers les deux autres tétons du rock, sex and drugs.

 

 

THE BAND

 

 

En France c'est Dylan qui fit la renommée du Band. Fut son groupe d'accompagnement pendant dix ans. Dans sa période la plus faste, entre 1965 et 1976. Dylan les engagea lorsqu'il décida d'électrifier sa musique. Les folkleux purs et durs lui tirèrent une gueule de vingt cinq milles de long, le traitèrent de traître, se levaient en guise de protestation dès qu'il entamait son second set électrique mais le troubadour du vingtième siècle avait compris que le folk était une cause perdue face à la déferlante rock.

 

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Au début le public n'avait d'yeux que pour Dylan et tout le monde se foutait un peu de ses accompagnateurs. Vexés – on les comprend – pour signifier qu'ils n'étaient pas de simples faire-valoir ils se choisirent un nouveau nom. The Band, comme tous les autres bands qui existaient de par le monde, mais eux ils étaient si bon qu'il leur était inutile d'adopter un titre particulier. Suffit de dire le Band pour qu'on reconnaisse le groupe dont on parle. Car il n'y a qu'un seul Band digne de cette appellation sur notre planète bleue.

 

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Vous avoue que Dylan, j'aime bien mais qu'il ne me fait pas vibrer, de même pour le Band que j'ai toujours tenu pour des tâcherons, des bûcherons puisqu'ils sont originaires du Canada, des gars sympathiques, qui assurent, qui connaissent leur métier sur le bout des ongles, quelques bons morceaux par ci par là, mais pas plus. Greil Marcus les admire. Nous fait la même entourloupe que pour Randy Newman, se pâme sur leur premier disque Music From Big Pink sorti en 1968 puis rabat un peu de son enthousiasme à chaque parution de nouvel album.

 

 

RONNIE HAWKINS

 

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Zoui mais. C'est que comme l'ignoraient tous les babas et les hippies de l'époque, derrière Dylan et The Band se cachaient Ronnie Hawkins and The Hawks. Les Hawks fut le premier nom du Band, sans doute l'abandonnèrent-ils car il devait sonner un peu trop vieille époque pour le public branché de Dylan, petits-bourgeois à prétention révolutionnaire qui se sentaient mal dès qu'on employait le mot rock'n'roll qui sent un peu trop fort la sueur des travailleurs de force...

 

 

Peut-être s'en dessaisirent-ils aussi car il semblerait qu'ils ne l'aient pas choisi, Ronnie Hawkins ayant pris très tôt l'habitude d'affubler ses divers groupes d'accompagnement de la générique appellation de The Hawks. Ronnie Hawkins et ses Faucons. Cousin du célèbre Dale Hawkins l'immortel créateur de Suzie Q Ronnie Hawkins est un pionnier du rock à part entière. Refusé par les disques Sun il n'en a pas moins travaillé avec Jerry Lee Lewis, Conway Twitty, Roy Orbison et Carl Perkins.

 

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L'on peut se prendre la tête qui d'Elvis ou de Bill Haley a créé le premier morceau de rovck'n'roll. Né en 1935 comme Elvis et Gene Vincent, Ronnie Hawkins a toujours prétendu qu'il avait gravé en 1952 un single avec la première version de Bo Diddley avant même son ami Bo Diddley. Mais l'on n'a jamais retrouvé un exemplaire de ce 45 tours mythique ou mystificateur.

 

 

Hawkins finit par se fixer au Canada où il jouit d'un véritable prestige. C'est là qu'il rencontra en 1959 les musiciens qu'il embaucha et qui plus tard deviendraient The Band. C'est ainsi qu'ils apprirent le métier. Hawkins qui faisait essentiellement des reprises tournait beaucoup et incluait chaque semaines de nouveaux titres à son répertoire. Mais en 1963 le temps de l'apprentissage étant terminé, Robbie Roberston, Rick Dano, Richard Manuel, Garth Hudson, Levon Helm, en gaillards faucons épris d'aventures, s'en furent voler de leurs propres ailes...

 

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Ils n'oublièrent jamais d'où ils venaient et surent renvoyer l'ascenseur. En 1976 Ronnie Hawkins se retrouvera sur scène avec Dylan, Clapton et Muddy Waters pour leur concert de séparation dont fut tiré le film The Last Waltz, disponible en vidéo. Ronnie diversifia ses activités, il sur devenir un acteur reconnu er recherché. Il tint son plus beau rôle dans le chef-d'oeuvre de Mickaël Cimino, le magnifique Heaven'Gates qui fut démoli par la critique en 1980 avant même sa sortie. Fallut attendre trente ans avant que la version intégrale du film soit accessible...

 

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A l'heure où nous écrivons Ronnie Hauwkins est toujours vivant. Il est un des derniers survivants de la grand époque. N'a pas laissé un titre qui soit devenu un véritable classique mais il fut un infatigable promoteur du rock'n'roll toute sa vie. Un passeur générationnel indispensable, à qui nous tenions à rendre ce bref hommage.

 

 

MYSTERY TRAIN

 

 

Le train mystérieux du rock'n'roll reprend son voyage. Ce livre de Greil Marcus nous a moins convaincu que son Lipstick Traces, plus disparate, moins cohérent, mais il regorge de renseignements et d'anecdotes indispensables...

 

 

L'on terminera par le prologue, cette évocation de Little Richard invité à une émission littéraire qui trépigne d'impatience devant l'interminable dispute qui oppose un critique et son auteur, jusqu'au moment où excédé le petit Richard s'empare du micro pour leur jeter à la ( baby ) face que dans vingt ans personne ne se souviendra d'eux, alors que lui, the Great Little Richard, il a par son chant bouleversé le siècle...

 

 

Ce qu'il y a de terrible, c'est qu'il avait raison.

 

 

Damie Chad.

 

 

 

JOHNNY CASH

 

 

UNE VIE [ 1932 – 2003 ]

 

 

REINHARD KLEIST

 

 

Dargaud / 2008

 

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Bande dessinée. En noir et blanc. Et des gris. L'a laissé les couleurs de l'arc-en-ciel dans la palette. Personne n'y aurait cru. Avec Johnny Cash, pas besoin d'en rajouter. Le drame se suffit à lui tout seul. Reinhard Kleist l'a compris. Quelques paroles de morceaux scénarisés pour décrire l'univers mental, c'est tout ce qu'il s'est autorisé.

 

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Pas plus de deux cents pages pour raconter la vie de Cash, c'est peu. Reinhard a fait ses choix. L'enfance, les débuts, la lente et irrémédiable désagrégation du mariage avec Vivian Liberto, l'addiction aux pills, l'enregistrement de Folsom Prison Blues, les dernières séances du vieillard pas plus sage que quand il était jeune avec Rick Rubin. N'oublie pas de rendre hommage à Luther Perkins, Marshall Grant, Carl Perkins, mais obligatoirement il y a des coupes sombres. Surtout la plus lumineuse – selon Cash – car nous les européens, on la stigmatise très vite de bondieuserie ahurissante. Cash est un scotch à double-face. Nous préférons et de loin le côté obscur de la force. Parce que le Christ à Tibériade une fois que l'on a admis qu'il a marché sur les pierres, il n'en reste plus grand-chose. Ce qui nous rassure c'est que Cash lui-même avait de solides appétences pour crapahuter dans l'ombre. He walked the line, but the dark line.

 

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Mais très beau portrait intérieur de Johnny Cash. Reinhard s'est surtout préoccupé de comprendre le fonctionnement du bonhomme, le mot malhomme conviendrait mieux. Mentalité américaine. Difficile à admettre sur notre continent. De peu de foi, dès que quelque chose ne tourne pas rond, nous avons le réflexe d'accuser Dieu. C'est pas nous, c'est Lui. Les Amerloques restent des puritains invétérés. Ne rejettent pas la faute sur le Lointain. Même pas sur le prochain. Endosse toute la responsabilité. Il y a du masochisme dans cette attitude. De la fierté aussi, pas besoin du Diable non plus pour me dédouaner. Suis capable à moi tout seul de me faire le plus grand mal possible.

 

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Et la politique dans tout ça ? Car elle nous rattrape toujours, dans nos moindres faits et gestes. Cash est troublant. Son regard est impitoyable, mais il n'est pas un révolutionnaire. Ne s'intéresse pas aux groupes. Seul le concerne l'individu. Nous sommes ici aux racines de l'individualisme conservateur américain. Mais Cash ne porte pas d'oeillère idéologique. L'est du côté du Cow-boy et du côté de l'Indien, sans discrimination. A partir du moment où chacun combat pour sa liberté. Mais cette expression n'est guère cashienne, sent la phraséologie bien-pensante de la gauche molle, cette New-Left qui surgit dans les années soixante aux Etats-Unis gorgée de promesses et qui finira par installer un pacte de non-agression avec le libéralisme triomphant. Si Cash n'est pas de gauche. Il n'est surtout pas mou. Cash aurait plutôt dit à partir du moment où chacun essaie de se tirer du guêpier de son existence. N'aurait pas ajouté les vocables creux de courage et de dignité. Personne n'est digne de la misère, ni matérielle, ni sociale, ni intellectuelle, ni même spirituelle. Si Dylan a fini par incarner la bonne conscience de l'Amérique, Cash en restera la mauvaise. Celle qui ne mise sur aucune rédemption. Du côté des boys, mais pas de la guerre. Si les premiers trempent leurs doigts dans le sang, ce ne sont pas eux qui font la seconde. Ce Cash qui se voulait si près du Christ se tient dans l'ombre de Ponce Pilate, qui s'en lave les mains. Dans une eau un peu trop sale, a real muddy water, inconfortable situation pour un chrétien. Mais Cash s'en fout autant que de la réserve naturelle que par inadvertance il enflamme. Préfère pêcher – je n'ai pas écrit pécher - qu'appeler les secours. Après tout si Cash a souvent jeté de l'huile sur le feu, n'a jamais pensé que son rôle était de l'éteindre. Incendiaire oui, pompier volontaire non. Spécialiste des rings of fire. Un peu les feux de l'amour des autres. Beaucoup de la haine de soi. La meilleure façon de s'aimer, à en croire Cash.

 

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Un livre à posséder. Vous ai pas parlé de la finesse et de la force du talent de Reinhard Kleist, c'est que moi – contrairement à l'idiot qui regarde le doigt qui lui montre la lune - lorsque l'on me tend un dessin de Cash, je ne vois que Cash.

 

 

Damie Chad.

 

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