10/01/2013
KR'TNT ! ¤ 126. ROCK FRANCAIS 1960 - 1985.
KR'TNT ! ¤ 126
KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME
A ROCK LIT PRODUCTION
10 / 01 / 2013
ROCK FRANCAIS 1960-1985 |
ROCK'O'RICO
25 ANS DE CULTURE ROCK EN FRANCE
CHRISTIAN-LOUIS ECLIMONT
( Novembre 2012 / Editions GRÜND )
Ne faites pas comme moi. D'abord je suis inimitable, ensuite c'était une erreur. Lorsque je l'ai entrouvert et feuilleté rapidement, je n'ai vu que les photos. Il y en a un max. J'éprouve toutefois un faible pour le texte. Alors je l'ai reposé sur le présentoir et suis sorti du magasin. Deux heures plus tard, poussé par l'instinct bestial du rocker en manque d'information, tout comme l'assassin qui retourne sur les lieux de son crime, suis revenu le chercher en maugréant. Somme toute je verrai bien à l'usage.
A ROCKIN'DATE
Un truc me chiffonnait. Surtout qu'il n'est pas annoncé de tome 2. Que le bouquin commençât en 1960 pour faire un compte rond je l'admettais, mais qu'il finît en 1985, tout juste quelques années après Vingt Ans de Rock Français de Christian Victor et Julien Regoli paru en 1978 – le KR'TNTreader impénitent ne manquera pas de se rapporter à notre cinquante-huitième livraison du 23 / 06 / 2011 – je n'en voyais pas l'utilité.
Question dates, y avait encore le découpage qui me tarabustait. 1960-1966, me semble une erreur. J'aurais arrêté en 1964 et rajouté un interrègne 65-69 en lieu et place du 1967-1976 choisi par Christian-Louis Eclimont. Pour la troisième section 1976-1985 je serais plus coulant. Enfin nous en reparlerons.
Faut dire que Christian-Louis Eclimont procède d'une logique qui n'est pas dépourvue de raison. Le coeur a ses raisons que le rock ignore. Connaît tout de même son sujet et il ne s'est pas contenté de recopier les bios qui traînent sur internet. Certes il n'est pas parfait. N'a-t-il pas commis dans un passé proche ( 2011 ) un livre laudatif sur Georges Brassens ? Ce n'est pas un monomaniaque du rock, possède même un autre hobby qui roule : le cyclisme. On fermera les yeux sur tous ces défauts congénitaux en se remémorant son Swinging Sixties en 2009. Comme disait Keith Moon, un individu qui aime les Who ne peut pas être entièrement mauvais.
1960-1966 : L'EXPLOSION JEUNE
Passons sur l'introduction de Jean-Bernard Hebey, présentateur de Salut Les Copains, et soi-disant, selon sa biographie officieuse, introducteur de la Pop-Music sur RTL. Je voudrais pas cafter mais à l'époque il y avait un bon moment que le Président Rosko sévissait sur ces mêmes ondes avant qu'il ne débarquât devant le micro luxembourgeois. L'idée du rock, musique miroir du vingtième siècle ne tient que lorsque l'on a le courage de briser la glace ( tiens, voici Pete Tonwshend et son mongolito de Tommy qui passent en arrière-plan ) réfléchissante. Car seuls certains fragments sont indispensables. Ceux qui vous transportent hors de vous-mêmes.
Un bon point pour Christian-Louis Eclimont, n'a pas épuisé le bla-bla sociologique convenu – société de consommation et baby boom – qu'il tape à coups de chaînes de vélo sur Boris Vian, l'imbécile prétentieux, le jazzeux culculturel, qui ne supporte pas le rock, le décrie, le vilipendie, l'escamote et l'utilise sans oublier de se servir au passage dans le tiroir-caisse. Au moins nous sommes deux à jouer aux fléchettes sur cette baudruche puante de suffisance égrillarde.
Puisque nous sommes partis pour dire du mal enchaînons sur Albert Raisner – un célèbre harmoniciste des années cinquante – pseudo-country imitateur des génériques western - qui n'a jamais réussi à filer le blues à quiconque, ce qui entre parenthèses est un comble quand on joue du même instrument que Sonny Boy Williamson, et qui se la pétait grave en présentant sa célèbre émission, Âge Tendre et Tête de Bois. Un galimatias innommable, qui mélangeait tout, le rock le plus pur à la variété la plus cloche. Même proportion que le pâté d'alouette : un oiseau rock pour un cheval de bêtise. Une entreprise de châtrage domestique. Le rock aux angles arrondis. Des commentaires de bonimenteur. Salissait tout ce qu'il touchait. Rapetissait tout. Si les yé-yé ont fini par détrôner le rock en France, Raisner y fut pour beaucoup. En lui confiant la seule émission télé qui passait régulièrement du rock, le pouvoir médiatique avait bien choisi son homme. Eteignoir professionnel.
Car c'était cela le rock en France dans les années soixante. Le papillon est sorti de son cocon mais il n'a jamais pu déployer ses ailes. On s'est dépêché de les lui brûler avant qu'il ne se précipitât de lui-même sur la flamme rougeoyante des révoltes aurorales. L'explosion jeune ! C'est vrai que l'on vous en a vendu de la jeunesse à en voilà en voici, même si vous n'en voulez plus. Overdose de jeunisme. Un marché intérieur captif en pleine expansion. Soyez sûrs que l'on n'allait pas laisser s'envoler le fromage, quitte à tuer dans l'oeuf le corbeau noir du rock'n'roll qui le tenait dans son bec.
Dès les premières heures le rock a dû apprendre à louvoyer. Avec le marché et les médias. Rien à redire, z'ont sacrément bien fait leur boulot. Ont désamorcé les grenades une par une. Ont remplacé l'explosif par du plâtre. Qui lave plus blanc. Maintenant faut être juste. Les jeunes étaient jeunes, et surtout très bêtes. Chantaient plutôt mal et jouaient de leur instrument pas très bien du tout. Mais ce n'était pas grave. C'est du côté de la cervelle qu'il y avait comme un vide. Un trou béant. Se sont engouffrés dans les années soixante sans savoir où ils allaient. Ne pensaient qu'à s'amuser. Les générations précédentes qui s'étaient reçues la première et puis la deuxième mondiale sur le coin du museau avaient tendance à voir le mauvais côté des choses. Alors ces galapiats qui exigeaient de l'argent de poche pour acheter des disques de bruits inécoutables... Vous parle même pas des filles qui se dévergondaient. En public, comme si elles ne pouvaient le faire discrètement. Comme leurs mères.
Le rock en France a toujours été un bâton merdeux. Vous ne pouvez le prendre par aucun de ses bouts. Mais le génie national possédait son arme secrète. Même pas atomique. Mais grande pourfendeuse des groupes – on les a estimés à plus de six mille – et des carrières. Personne ne vous empêchait de faire deux ou trois 45 tours de vinyl, mais très vite l'armée vous appelait. Avec la guerre d'Algérie en prime certains se sont payés jusqu'à trois ans de vacance gratuite.
Johnny, Eddy - y a laissé jusqu'à ses dernières chaussettes - et Dick ont pu négocier le virage. Mais pour la plupart des combos ce fut la Bérézina. Pas le pont, l'eau glacée. L'on reste atterré lorsque l'on étudie la discographie des groupes les plus connus. Trois, quatre disques, et puis bye, bye les amis. Heureux ceux qui décrochèrent un trente-trois tours ! L'on s'est souvent gaussé des prouesses vocales et instrumentales de ces pionniers. Mais on ne leur a pas laissé le temps. Ont découvert la guitare le jour où ils l'ont achetée. N'étaient pas à de rares exceptions – qui d'ailleurs ne provenaient pas en droite ligne musicale du rock – des virtuoses. Quant aux chanteurs qui essayaient de reproduire le haché biseauté de l'englishe sur la ligne mélodique du français ils ne sont jamais parvenus au bout de leur peine. C'est que là tout était à inventer et rien à imiter.
Aujourd'hui, cinquante ans après, il ne reste plus – dans l'inconscient collectif - que des noms. Qui écoute encore Danny Logan et les Pirates, Danny Boy et les Pénitents, les Missiles, El Toro et ses Cyclones, les Aiglons, les Panthères, les Mustangs, les Vautours, les Pingouins et toute la ménagerie... hormis les rescapés de l'époque, plus près du cimetière que du berceau, qui se rappellent une larme à l'oeil leur folle jeunesse ? Les collectionneurs de disques et quelques fans de rockabilly encyclopédistes qui veulent absolument tout connaître de l' époque légendaire. Oui.
Et non. Car les disques circulent. Les rééditions CD, même quand elles finissent dans les bacs des soldeurs s'écoulent doucement. Il existe un véritable revival qui va de la pire exploitation commerciale style les Vinyls à la recréation révérente des Socquettes blanches. Tout cela se déroule encore dans l'impasse des nostalgies périmées. Mais l'essai malheureux ( et pas du tout transformé ) d'un groupe comme Mustang en 2006 qui s'en est allé fouiller dans les premières poubelles de l'histoire du rock français afin de peaufiner leur son en gestation nous incline à penser que tout un travail de réévaluation de cette époque reste à faire. Mustang s'est seulement trompé sur toute la ligne en interprétant cet héritage selon une dérive pop-mode à l'opposé de l'ancrage initial 100 % Rock comme l'affirmaient Les Chaussettes Noires sur leur premier 25 centimètres.
Puisque nous venons de hisser le drapeau noir autant en profiter pour évoquer la geste des Blousons Noirs. Christian-Louis Eclimont l'aborde par son côté le moins rugueux. Lorsque l'herpès social vous démange sortez vite votre tube de pommade sociologique. Ce qu'il y a de bien avec les Blousons Noirs c'est qu'ils ont très vite disparu des écrans radars de la société médiatique. Se sont rangés des voitures. Ont été bouffés par la société de consommation. Ont vu leur prestigieuse aura très vite annexée par les Rockers anglais. Ont adopté le look hippie. Sont rentrés dans le Milieu. Ont cédé la place aux petits loubards. Se sont retrouvés chez les Rockies, chez les Cats et même chez les Teds. Mais l'appellation contrôlée, plus personne ne la revendique depuis belle lurette. L'on oublie le principal : c'est que les Blousons Noirs furent les premiers porteurs du rock en France. Pas les introducteurs. Mais les passeurs. Les stalkers pour employer une image filmique. Ces fils de rien, issus du lumpen, ont tout de suite compris la colère, la hargne et la violence anti-sociétale véhiculée par le rock'n'roll. Se sont drapés de ses oripeaux flamboyants et l'ont transformé en culture. Plus tard la petite-bourgeoisie parlera de culture-underground. L'on y adjoindra le retour à la nature, la bouffe végétarienne et les énergies cristalliques. L'on étirera le concept jusqu'à sa propre parodie : ouvrez un poste de télé ou de radio, vous êtes sûr de tomber sur un spécialiste qui vous tartine des trémolos de bio-diversité et de développement durable. De l'anarchie la plus noire l'on s'est laissé glisser dans le gris pathos des discours lénifiants les plus libéralement catastrophiques. Les Blousons Noirs n'avaient qu'un seul défaut : ils n'étaient pas sociaux-démocrates. Point du tout compatibles. On les a éradiqués. Comme les tribus apaches. Dommage qu'ils n'aient pas su générer un Géronimo pour mener une résistance désespérée mais symbolique. Les bandes se sont éteintes d'elles-mêmes. Ne restent plus que le souvenir de leurs dieux tutélaires, Gene Vincent et Vince Taylor. Mythologie.
LE STYLE ANGLAIS
Après 1964 tout change. Les anglais débarquent. En fait il y a déjà longtemps qu'ils squattent le paysage. Passer sous silence l'influence des Shadows sur le rock français relèverait de la désinformation. Me souviens encore des tours d'échauffement et de stade durant les cours de gymnastique. Nous sommes déjà en 1965, mais dès que nous arrivons derrière les vestiaires nous devenons invisibles aux yeux du prof. Arrêt guitare. L'on caresse un instrument imaginaire et chacun se met à imiter le vrombissement d'une Eko en pleine cavalcade. Itou, Marsat, Derlon, bientôt rejoints par la moitié de nos congénères. A la fin n'y a plus que trois imbéciles de sportifs qui courent comme des dératés. C'est toujours le prof furax qui vient interrompre nos arpèges souverains.
Bref quand Beatles, Stones, Yardbirds et Animals ramassent la mise, le terrain a été salement préparé par les accompagnateurs de Cliff Richard. Deux pages sur Ronnie Bird, nous ronronnons de bonheur. Une page dithyrambique ( et amplement méritée ) sur Vigon nous exultons. Une colonne sur Noël Deschamps nous faisons la gueule. Surtout qu'après Polnareff et Antoine... il est temps que cela se termine. Ca finit à la page suivante sur Emmanuel Booz, vous en dirai rien, je connais le nom, j'ai entendu mais aucun souvenir dans mon cerveau clafoutis.
1967-1976 : LE TEMPS DES UTOPIES
Le plus gros morceau du bouquin. Pas un hasard. En 1970 – l'est né en 1954 – l'auteur jouait de la batterie au Lycée Paul Valéry de Paris. En quelles circonstances précises la légende de la photo de présentation page 6 ne le dit pas. Mais vous aurez compris que Jean-Luc Eclimont aura vécu durant sa jeunesse bénie l'efflorescence post-soixante-huitarde des seventies. Parle en quelque sorte de l'intérieur.
Période faste. D'une richesse incalculable. A tous les points de vue : sociaux, philosophiques, et économiques. Ere de grande permissivité. Libération sexuelle, expérimentations psychotropiques et déluges fenderiens. Même si le film tirait sur sa fin pas très happy. Au niveau rock, vous ne saviez plus où donner de l'oreille. Ce fut l'apothéose. Mondiale. Pour le rock français un bémol s'impose. C'est que voyez-vous quand on fait le bilan de tout ce qui a précédé il est facile de percevoir qu'un Led Zeppelin ou un Jimmy Hendrix ne pouvaient surgir des cendres froides des Chats Sauvages ou des Champions.
Naquit cependant très vite une seconde génération de groupes nationaux. Remarquons qu'en épluchant d'un peu plus près les effectifs de ces nouvelles générations il saute aux yeux qu'une partie non négligeable des musicos ont fait leurs armes dans les formations des années soixante. Avec le temps, ils ont fini par apprendre et savoir jouer de leurs instruments. Et souvent mieux que bien. Paradoxalement cette amélioration générale du niveau musical fut l'une des deux causes principales de l'échec de ces nouveaux groupes aux dents aussi longues que leurs talents.
Un mal bien français. Maintenant que l'on n'était plus des nazes l'on allait passer aux étages supérieurs. Certains accuseront une ingurgitation désordonnée de pétards aux effets trop planants, pour notre part nous mettrions plutôt l'index sur cet intellectualisme pseudo-élitiste spécifiquement franchouillard rebuté par la force primaire du beat de base rock'n'rollien. Trop simpliste. L'on brûla les étapes. Les folies électriques des Yardbirds étaient trop grossières. Inutile de s'attarder. L'on prit pour modèle le roi en personne, King Crimson ! Pas moins et même plus. Derrière cette arrogance certains voyaient déjà plus loin que le rock et louchaient vers le jazz.
ALAN JACK CIVILIZATION
Le rock se devait d'être progressif. Ou de ne pas être. Deux groupes tirèrent leur épingle du jeu. Souverainement. Mais de manière antithétique. L'Alan Jack Civilization formé autour d'Alan Jack qui resta au plus près des racines du blues. Dans toutes ses extravagances, même les plus folles, l'on retrouve toujours le rythme primordial du Delta, sursaturé, électrifié à outrance, torturé mais intangible. En osmose parfaite avec ce que l'Angleterre produisait de meilleur. Fut reconnu à sa juste et haute valeur par ses pairs de l'United Kingdom. Considéré comme un groupe de deuxième catégorie par le public français, persuadé que tout ce qui ne venait pas de la perfide Albion était rédhibitoirement mauvais, l'Alan Jack Civilization ne connut qu'un succès d'estime. Lorsque en 1970 l'Alan Jack se dissout en une communauté « hippie », les médias préférèrent faire l'impasse sur ce groupe un peu trop anarchisant dans ses pratiques quotidiennes... Gageons que les quatre pages de Rock'O'Rico consacrées à Alan Jack ranimeront l'intérêt autour de ce groupe mythique.
MAGMA
A l'autre bout du spectre musical nous trouvons Magma. Longtemps que Christian Vander a quitté le marécage pré-chicagoïen. Tout petit Elvin Jones le prenait sur ses genoux pour lui refiler des plans de batterie ultra-secrets. Mais le jazz s'est tès vite avérée une musique trop facile pour notre surdoué. A fini par s'intéresser au classique, Stravinsky par exemple. Magma c'est un peu comme un quatuor de Bartok joué par des violonistes fous enchaînées sur des chaises électriques branchées sur du 25 000 volts.
J'ai vu Magma en 73. A Toulouse. Lugubre. Une section de cuivres et de bois wagnérienne emmenée par la voix sépulchrale de Klaus Basquiz. Un lamento que même Wagner n'aurait pas osé user pour la mort d'Ysolde. Pour dire comme c'était morbide. Un truc à trucider des cadavres. Avec en contrepoint Vander encastré dans sa batterie se débattant comme un diable en enfer. Mais ce n'était rien comparé à leur prestation de juin 75. Silence glacial quand dans leur longues robes noires, ils se sont inclinés, tout en haut de l'estrade surélevée, quasi religieusement, non pas devant nous pauvre petit public de pacotille, mais devant leur propre grandeur intérieure. Se sont installés et Vander a pris la parole. Non pas en kobaïen, mais en pur français bien de chez nous. N'a pas été prolixe, s'est contenté d'une toute petite phrase. Très lourde de sens. « Nous, nous construisons des pyramides ». Et puis ce fut l'apocalypse. Un roulement de panzer division a déferlé sur la foule. Je ne sais comment nous en sommes ressortis tous vivants. Fallait voir cette puissance, cette pulsation, et Didier Lockwood accroché à son violon parti dans un solo de vingt minutes à crever le fond de l'enfer. Quand je pense qu'il existe encore des imbéciles qui s'interrogent sur la signification de Mekhanik Destructiw Kommandöh !
CRIUM DELIRIUM
Ne croyez pas qu'entre Alan Jack Civilization et Magma, il n'y avait rien. Il y eut Crium Delirium. Rien que le nom, déjà on comprend qu'ils furent de sacrés allumés. Des allumeurs plutôt. De l'Alan Jack ils partagent la même philosophie communautaire d'une autre manière de vie. Avec un côté plus activiste, plus militant. Souvenez-vous que 1968 à 1974, le gauchisme triomphait. En apparence, très loin de Magma dont la seule attitude hiératique était une condamnation sans appel de toute cette chienlit hippisante envasée dans une promicuité douteuse avec marmaille pagailleuse et chiens puceux mal élevés. Z'étaient libres dans leurs existences et dans leurs têtes les Crium Delirium, groupe à géométrie variable, mais aussi dans leur musique. Branchés plutôt free jazz que rock. Produisaient une musique adjacente à celle de Magma, mais sans la grosse tête. Magma c'était les extra-terrestres et Crium Delirium les terrestres extras.
Les ai vus en concert ( vaudrait mieux dire en action ) et tiens à préciser pour la suite du récit que je n'en rajoute pas. C'était encore en Toulouse et mais en 1973. Nous occupions la faculté de Lettres. Des temps heureux ( qui devraient se dépêcher de revenir ), nous avions voté la grève illimitée jusqu'à la fin de l'université bourgeoise. Crium Delirium a débarqué en tout début d'après midi. Leur a fallu près de trois heures pour installer un matos qu'un groupe de rockabilly vous déballe en vingt minutes. Faut reconnaître qu'à quinze heures quand ils ont commencé à jouer ne se sont pas arrêter une seconde jusques à dix huit heures.
Pour la musique, hypnotique. Un serpent chatoyant qui vous entre dans le cerveau et qui refuse d'en sortir. Syncopé mais n'éclatant jamais. Une interminable phrase musicale aussi ondoyante que la syntaxe de Proust. Un buisson de flammèches dont on ne sort jamais. Davantage doux délire que cri aigu. Envoutant et nonchalant. Massage génital. Un peu comme si l'on vous faisait une fellation refoulante - cunninlictus pour les demoiselles - pour vous remplir d'un savant mélange survitaminé de sperme et de foutre. Lorsque au bout de trois heures ils ont arrêté, il y eut un silence total. L'on entendait la brise printanière qui jouait dans les feuilles des arbres de la cour.
Sans s'être concertées cinq cents personnes sont entrées comme des zombies téléguidés dans le plus proche amphithéâtre et chacun s'est assis sans mots dire sur les gradins de bois, face au tableau et au bureau vide. Et brusquement la poche a crevé. L'énergie accumulée s'est libérée. Vision d'asiles. Tout le monde hurlant, gesticulant, frappant des poings sur les pupitres, une énorme clameur qui n'a fait que croître, enfler et enfin exploser en un brouhaha charivarique indescriptible. Je préfère ne pas vous parler des dégâts, l'amphi détruit, les rangées de bureaux arrachées de leur travées, les solives du plancher à l'air nu...
Rien à redire, Crium Delirium n'avait pas volé son nom.
OTHER VOICES
Evidemment le grand public rock regardait ailleurs que vers ces trois démiurges ! Triangle, Martin Circus et Ange. Tiercé gagnant dans l'ordre. Les ai vus eux aussi. Voudrais pas être méchant mais Triangle, hormis la fameuse pochette au piano en feu, n'a jamais résolu la quadrature du cercle. Réputation surfaite. Un bon groupe de répétition qui cherchait encore sa voie. Laborieux en live. Le seul truc intéressant à visualiser c'était le grand gong blanc derrière le batteur. Je tiens à vous confirmer qu'au bout d'une heure la vision de cet instrument de percussion sur lequel Prévotat s'est contenté d'appliquer trois coups de maillets mollassons engendre une certaine lassitude. Ont quitté la scène sous les applaudissements polis.
On aurait mieux fait de les retenir. Si l'on avait su ce qui allait suivre je crois que l'on se serait tous cotisé pour qu'ils refassent le même set. A l'identique. Car la prestation de Martin Circus fut consternante. Inférieur à un mauvais groupe de balloche. Même pas catastrophique. Une médiocrité navrante. Comme l'on était assis dans l'herbe chaude et appaméenne de ce beau mois d'août 1970 chacun a entrepris de discuter avec son voisin, même que certains se sont intéressés à leur voisine. L'on a réalisé que c'était fini quand on n'a plus rien entendu. On ne s'est même pas rendu compte qu'ils étaient sortis du plateau.
Serai plus respectueux envers Ange. En 1972, salle du Taur à Toulouse. Ne cherchez pas, elle a été détruite depuis. Peut-être parce qu'elle possédait, grâce à ces panneaux de teck qui recouvraient les murs, une merveilleuse acoustique. Ne suis pas un grand amateur du groupe. Le rock médiéval qui privilégie les clairs de lunes sur les toits ardoisés au détriment du fracas métallique des épées qui s'entrechoquent sur des armures, ça me laisse froid. Dois tout de même reconnaître qu'en leur genre ils furent plutôt bons. J'ai surtout apprécié le ligth-show final, un jeu de lumières ultra rapides qui permettait de voir le groupe là où il n'était pas.
Christian-Louis Eclimont aborde encore d'une quantité de groupes comme Etron Fou Leloublan, Variations ( la seule formation résolument rock ) ou Au Bonheur des Dames, et autres sujets annexes, mais essentiels, comme la presse rock. Le début des années soixante-dix fut encore plus riche que je ne l'imaginais. Le destin de toutes ces formations se ressemblent un peu. Une montée en flèche quasi-fulgurante dès leur formation - si leur nom a survécu c'est bien parce qu'ils ont circulé à l'époque – suivie d'une désagrégation tout aussi rapide. Bizarrement les groupes splittent d'eux-mêmes. Ce sont les musicos qui se décident pour de nouvelles aventures souvent obscures. J'analyserai cela comme le mal idéologie de l'époque, si tu réussis c'est que quelque part tu es un pourri et un vendu. Les vrais artistes crèvent de faim et ne sont reconnus qu'après leur mort. Van Gogh ou le Suicidé de la Société d'Antonin Artaud est en ces temps d'efflorescences révolutionnaires le livre de chevet de bien des jeunes gens qui se cherchent...
1976-1985 : LES ANNEES DE PLOMB
Ferai comme l'auteur, m'y attarderai point trop. Mais pour des raisons différentes. Les temps changent et l'on sent que Christian-Louis Eclimont le regrette. A du mal à s'habituer. Johnny avait tort : quand les cheveux perdent de leur longueur les idées deviennent encore plus courtes. Mais je ne jetterai pas comme lui le bébé du punk avec l'eau du bain du rock banalisé. Toutefois je ne m'attarderai pas sur la french wawe punk pour la simple raison que cela créerait un double-emploi avec notre récente cent vingt-troisième livraison du 19 / 12 / 12 consacrée à L'Histoire du Punk en 45 Tours du Géant Vert.
Lorsque le punk s'éteint ne surnage plus grand chose. Un rock surfait, sympathique ( pour certains ) mais qui flirte tant avec la variété qu'il finit par y perdre son âme, Suicide Romeo ( heureusement qu'il ne s'est pas raté ), Mathématiques Modernes ( ouf ! On est revenu aux anciennes ) et quelques autres que nous avons déjà oubliés...
Les dernières pages présentent Bashung, Indochine, Téléphone et Trust. Des réussites médiatiques. Mais chacune demanderait à être analysée un peu plus profondément. L'on sent que Christian-Louis Eclimont est pressé d'en finir. L'aurait tout de même pu évoquer le mouvement rockabilly qui émerge en France en ces mêmes années, au moins mentionner les TeenKats et les Sprites... De même impasse complète sur les fanzines des fan-club pure rock'n'roll des années 60, la constitution de la Farc et le label Big Beat...
Quoi qu'il en soit, à ma connaissance, il n'existe pas de livre consacré au rock français qui présente un tel panorama sur ces années 1960-1985. Je n'ai, pour ma modeste part, en fait couvert à ma manière qu'une trentaine de pages sur les deux cents quarante présentées. Vous reste de la marge !
Damie Chad.
VINTAGE GUITAR N° 10.
Janvier – Mars 2013
Va bientôt falloir un 38 tonnes pour ramener Vintage Guitar à la maison. Au tout début vous achetiez un numéro et vous repartiez chez vous. Plus tard vous déboursâtes la somme idoine mais pour le prix d'un l'on vous en donnait deux. Parfois un précédent Vintage que vous offriez à un ami, ou une autre revue spécialisée guitare. Par la suite l'on a ajouté un magazine avec disque de démonstration. Et cette fois-ci deux revues avec deux CD de démo. Je ne sais pas ce que ça va devenir lorsqu'ils en seront à leur cent quarantième livraison. En attendant c'est bien sympa.
Hendrix en couverture. Photo d'appel car l'on n'en parle point mucho-mucho dans le numéro. Petit topo sur le hard pour débuter. Très classique, de Led Zeppe à Metallica. Ca fait toujours du bien aux oreilles intérieures de se remémorer ces grandes sagas sonores. Mais l'on revient vite à l'analyse biométrique des guitares de légende. Gibson ES-335, 345, 355. Du classique. De la valeur sûre.
Pages suivantes l'on passe – comme il se doit car il ne faut faire de jalousie – chez le frère ennemi. Fender. Mais le Fender d'après, après la revente à CBS. Christian Séguret nous supplie de ne pas sortir nos mouchoirs. La baisse de qualité, la Fender Stratocaster à l'économie, a bien été imposée par les contraintes du merchandising, mais doucement, en 1965 et 1966 l'on créait encore de bien belles moulinettes...
Visite chez Larry Wexer à New York. Un genre de gars qui vous reçoit chez lui à domicile. Jusque là c'est sympa. Pour la suite vous n'oubliez pas votre carnet de chèques car le monsieur donne dans la guitare Vintage haut de gamme. Beaucoup trop d'acoustiques à mon humble goût de rocker bruiteux. Vous m'en emballerez cinq dans un carton, j'enverrai le chauffeur les chercher avec la rolls.
Beaucoup plus sympa lorsque l'on tourne la page : les guitares Burns. Celles qu'Hank Marvin a fait créer après Apache, qui fut gratouillée, comme chacun sait, sur une Fender. Simplement pour le plaisir de changer. Genre de caprice qui rend le bonhomme encore plus sympathique. Le problème c'est que des Burns Marvin, il n'en fut fabriqué que 315 exemplaires. J'ai vérifié dans mes placards. Même pas l'ombre d'une.
Toujours dans les regrets éternels, grand étalage de guitares Dan Armstrong. Un sorcier du micro. Construisait ses prototypes en plexiglas et recouvrait le manche avec du formica. Quand on vous disait que le buffet léguée par Tante Adèle vous servirait un jour ! Sonnaient d'enfer. Keith Richards à qui l'on a chouravé ses deux spécimens en 1972, les pleure tous les jours. Si vous ne voulez pas dire l'article, personne ne vous y oblige. Mais regardez toutefois la photo de tête avec Cyril Jordan et les Flamin Groovies.
Le numéro 10 s'achève, je passe sur le coin du bricolo et les posters double-pages sur les demoiselles aux hanches parfaitement galbées... Dave Matchette exerce un drôle de métier, photographieur de guitares. Souriez jaune, cinq pages sur le vintage japonais. Plus les petites annonces des lecteurs... qui recherchent déjà les premiers numéros. Ils ont raison.
Damie Chad.
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