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04/07/2012

KR'TNT ! ¤ 105. WOODY GUTHRIE / CORCOVA DUO

 

KR'TNT ! ¤ 105

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

05 / 07 / 2012

 

 

 

racines blanches

 

 

EN ROUTE POUR LA GLOIRE

 

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WOODY GUTHRIE

 

 

 

Le toit à deux pentes. Country d'un côté, folk de l'autre. La première un peu plus exposée au sud, la deuxième au nord, mais les deux pans font bien partie d'une seule et même toiture. Celle de la musique populaire américaine. Maintenant on ne va pas jouer à tout le monde il est beau et gentil, et nous sommes tous frères. Dans les histoires de famille c'est toujours quelqu'un qui n'était pas là quand tout se passait bien qui s'en vient se mêler de ce qui ne le regarde pas et semer la zizanie.

 

 

C'est le cousin du country, ce petit bâtard à rouflaquettes, ce roquet roll, qui a déclenché l'affaire. L'on ne sait pas trop pourquoi mais cette arrogance de voyou qui reste l'apanage essentiel de cet adolescent pré-délinquant a eu dès le début le don de porter sur les nerfs de la componction humanisante de parrain-folk.

 

 

C'est vite devenu le match à couteaux tirés entre bébé-rock et pépé-folk. Baby-boom-rock and papy-old-folk pour le dire dans la langue de l'ennemi héréditaire. C'est aussi un peu pour amuser la galerie. Plus tard l'on a refait le coup avec les Beatles et les Stones. Tout le monde avait choisi son camp, mais celui qui possédait le max d'argent de poche ne se privait pas d'acheter les disques des uns et des autres.

 

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C'est aussi un peu comme ces gens qui dressent des murailles infranchissables entre le blues et le country alors qu'à l'origine les deux musiques sont aussi étroitement séparées qu'entremêlées. Pour revenir à notre sujet nous nous contenterons d'un seul exemple, This land is your land de Woodie Guthrie repris par Johnny Cash. Chanteur country certes, mais mêlé dès les premiers mois si organiquement à l'aventure Sun-Presley-Perkins qu'il fait partie pour tous les amateurs de la plus haute nomenklatura rock'n'roll. Pour descendre d'un cran chronologique nous insisterons sur les nombreux emprunts mélodiques effectués par Woody Guthrie à la Carter Family qui par un juste retour des choses donna ses propres versions de morceaux de Guthrie.

 

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IN THE FRENCH SIXTIES

 

 

Maintenant il est sûr que le contentieux ne repose pas que sur du vide. Oncle Country est beaucoup plus conservateur que Tonton Folk beaucoup plus libéral. Entendre ce mot à l'américaine, démocrate dirons-nous pour suivre le schéma politique du Nouveau-Monde. Pour le neveu rock il fut appréhendé quasiment comme révolutionnaire, et l'on se dépêcha de l'envoyer jeter sa gourme chez les pays amis de l'autre côté de l'océan. Le malheur c'est qu'au bout de quelques années il est revenu, en meilleure forme.

 

 

Il faut bien un symbole pour galvaniser les foules, la guitare électrique le devint à son corps ( pourtant solid-body ) défendant. Bob Dylan opéra le meurtre de la mère : il osa envoyer la gratte moyenâgeuse à six fils tendus au rebut pour prendre comme définitive compagne une électrique pétaradante. C'était en fait un retour aux origines pour celui qui assista à un des derniers concerts de Buddy Holly mais qui revendit sa guitare électrique pour en acheter une folk après avoir entendu Odetta Holmes passeuse noire qui révéla au grand public blanc les étroites accointances existant entre le black blues rural et le white folk originel... L'électrification des campagnes folk se mua en guerre de tranchées entre les modernistes et les passéistes. Notons que deux générations auparavant le blues s'était électrifié sans commotion particulière. Les bluesmen avaient compris que l'amplification sonore ne pourrait que leur permettre de se faire mieux entendre.

 

 

Mais pour le public folk du milieu des années soixante, ce fut un déchirement, une marche en avant qui fut considérée comme une trahison. Au début des sixties le folk est devenu moins populaire – au sens marxien de ce mot - qu'il n'y paraît. La petite bourgeoisie blanche qui fréquentait les universités s'était emparée de cette musique née dans les couches les moins favorisées du peuple américain. D'abord parce que toute une partie du prolétariat avait profité du boum économique de l'après-guerre pour accéder à une plus grande aisance et avait emmené avec elle son principal héritage culturel qui était justement ce back-ground folkloriste que l'on se transmettait à l'intérieur des familles depuis plusieurs générations. Ensuite parce que toute une bonne proportion de l'élite des cadres intellectuels de gauche vivait encore malgré le rouleau compresseur du maccarthysme dans l'illusion révolutionnaire entretenue par la puissance de l'URSS. Et surtout parce que les mutations introduites par le déchaînement des nouvelles habitudes de vie engendrées par la société de haute consommation suscita des phénomènes de rejet qui se traduisirent par la naissance des pensées écologistes. L'on se retourna avec mélancolie vers ce bon vieux temps où les rivières n'étaient pas encore polluées, les décharges surchargées et les guitares électrifiées.

 

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L'opposition à la guerre du Viet-Nâm et la lutte pour les droits civiques sera davantage rythmée par l'entrain optimiste de la guitare folk que par le désespoir des cordes du blues. Les folkleux jetteront un regard méprisant sur le reste de la jeunesse qui s'amuse à danser sur les idiotes paroles du rock'n'roll. Ces jeunes ados leur paraissaient inconscients, déconnectés de toute la problématique politique de leur temps. Le rock'n'roll ne saurait être qu'un piège sécrété par le capitalisme pour engluer les enfants des pauvres dans les liens d'un stupide apolitisme. N'avaient pas non plus tout à fait tort, mais murés dans leur bonne conscience, la dimension rebel-rock, la charge iconoclaste et destructrice de cette rurale musique du lumpen-prolétariat leur échappait totalement...

 

 

DE PAR CHEZ NOUS

 

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Restons français ! Au début des années soixante, l'on ne connaît que le rock. Plus tard on se mettra au twist et aux yé-yés, mais ceci est une autre histoire... Y a bien eu Hugues Aufray qui se promenait avec son skiffle group, mais d'abord ça venait d'Angleterre et sa première reprise de Dylan avec son couplet sur Kennedy s'il bouleversa le coeur de ménagères n'ébranla pas celui des rockers. Tira assez sur la sonnette d'alarme dès 1965 avec son album tout entier en hommage au Zimmerman pour qu'en 1966 le numéro spécial de Jazz Hot consacré ( avec dix ans de retard ) aux nouvelles musiques s'intitulât Rock & Folk. Mais comme la proportion restait des plus modestes, 1 % folk pour 99 % de rock, l'on ne s'inquiétait pas trop.

 

 

C'est après 68, que l'importance du Folk nous a sauté aux yeux, Les années 69 et 70 furent décisives. Gauchisme militant sur notre extrême-gauche et retombées Woodstock-baba-cool sur notre gauche nous ont ouvert les yeux. Hélas l'on avait les oreilles remplies de décibels rock et l'on a compris un peu de travers, et puis l'on s'intéressait davantage à la reprise de Summertime Blues par les Blue Cheer qu'au sens métapolitique des paroles de Dylan, un peu trop encombrées de métaphores bibliques pour être honnêtes, à notre goût. Quant au folk que nous écoutions celui de Fairport Convention et de Led Zeppelin ( III ) l'était quand même, même dans ses versions acoustiques les plus épurées, tellement imbibé d'atmosphère électrique, qu'il portait en filigrane la griffe indélébile du rock'n' roll.

 

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L'on est remonté au country par différents chemins, par Jerry Lee Lewis bien sûr, mais aussi par le Sweet Virginia des Stones et Gram Parsons et son Sweatheart of Rodeo, bref à force de chercher qui se cachait derrière Johnny Cash, l'on s'est aperçu que ce n'était pas seulement Hank Williams et Jimmie Rodgers mais que l'on croisait aussi la route de Woodie Guthrie dont on connaissait le fils Arlo qui chantait et jouait dans Alice's Restaurant le film culte de la mouvance hippie... Sympathique, mais pas affriolant. L'on a écouté un disque un jour par hasard pour se faire une idée, et l'on n'y a plus jamais touché... Un peu comme ce livre En Route pour la Gloire trouvé à 1 Euro dans une brocante et qui moisissait sur une étagère de la bibliothèque depuis trois ou quatre ans...

 

 

LE LIVRE

 

 

M'attendait à tout sauf à cela. Le plan Marshall que j'entrevoyais s'est avéré obsolète. Pas une seconde je n'avais saisi l'ironie du titre. Je le voyais déjà le petit Guthrie se saisir de la guitare de son grand-père et plaquer un de ces accords fulgurants qui avertissent le monde et la terre entière que a star is born. Pour la suite, premier concert à dix ans, premier disque à vingt, succès d'estime, puis enfin la consécration... un itinéraire tout tracé, la bio de chez bio garantie inoxydable. Le truc de pro à l'américaine, yes you can puisque moi I can do it !

 

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Même si c'est un livre autobiographique, ce n'est pas une biographie à proprement parler. Plutôt un roman qui s'inscrit dans la tradition du roman-reportage à la Jack London, celui des Vagabonds du Rail – titre original, quel hasard, The Road et celui du Peuple de l'abîme – textes parus dans les années 70 chez 10 / 18, très proche aussi par son contenu des Raisins de la Colère de John Steinbeck.

 

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Le livre de Steinbeck est paru en 1939, En route pour la Gloire sortira en 1943, dès 1940, John Ford en aura produit une adaptation qui reste un des classiques du cinéma. Cette concomitance des dates ne signifie pas que Woody Guthrie aurait platement copié Steinbeck. Raconte simplement une histoire similaire qu'il a vécue. Celle des Okies. Tous les rockers savent que les parents d'Eddie Cochran firent partie de ces vagues d'émigrés qui lors de la grande dépression partirent d'Oklahoma pour gagner l'ouest du pays... La famille fit une étape à Albert Lea où naquit Eddie ( 1938 ) avant de s'installer définitivement en Californie en 1953.

 

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Mais revenons à Woody Guthrie et ne saisissons pas toutes les occasions pour nous perdre dans les sentiers du rock'n'roll. Le livre débute par un chapitre dantesque qui se déroule dans un wagon de marchandises squatté par une centaine de hoboes, passagers clandestins en partance vers les mirages d'un nouveau boulot dans l'ouest américain. La frontière où l'on n'arrive jamais en quelque sorte. Puisque le travail est censé nous rendre libre il n'est pas interdit de voir en ces convois de la misère américaine comme une préfiguration des déportations de la deuxième guerre mondiale. Ce n'est pas un hasard si Woody inscrira en grosses lettres majuscules sur ces guitares l'inscription : «  Cette guitare tue les fascistes ».

 

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Suit un long flash back qui court sur la moitié du bouquin dans lequel Woody entraîne son lecteur vers les verts pâturages de son enfance. Ce n'est qu'une image. La couleur serait plutôt sombre, noir désespoir et noir misère. L'histoire ne commence pas si mal nous sommes dans la ville d'Okemah en plein état de l'Oklahoma, dans une belle demeure, en une famille aimante et unie. Mais il vaut mieux ne pas trop gratter sur cette couche superficielle de bonheur fragile. Le père se bat – ce n'est pas une métaphore – avec ses poings pour acheter et vendre des parcelles de terre à pétrole. Aux States l'économie ressemble toujours un peu à un western. Comme l'on ne gagne pas à tous les coups les affaires finiront par mal tourner. Et comment trouver du travail avec les doigts aux phalanges en compote ? Les coups, oh oui ça fait mal.

 

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C'était le bon côté du couple. Voici la face obscure. La mère, toute de douceur, est folle. A lier. Une folie qui s'installe peu à peu par crise violentes avec des périodes de rémission de moins en moins longues. Précipitera la ruine du cocon familial en mettant le feu à la belle maison du début. Ensuite ce sera la régression de taudis en taudis, jusqu'à l'asile final. Woody sera un enfant qui portera cette blessure suppurante au coeur... si l'on ajoute la soeur brûlée vive par la faute d'un poêle explosif, l'on se dit que notre héros eut plus que son compte d'intimes chagrins... Plus tard, bien plus tard, par un terrible ricochet du destin, ce sera la petite fille, que Guthrie aura le plus choyée parmi une nombreuse progéniture d'artiste sur la route, qui périra dans un incendie...

 

 

Le microcosme correspond souvent au macrocosme. La cellule familiale reflète le monde chaotique qui l'entoure. L'épuisement des nappes de pétrole locales et les tempêtes de sable, les terribles dust bowl précipitent la ruine de la région... La route est pour ainsi dire toute tracée pour un jeune garçon qui veut s'en sortir. Il suffit de mettre dans le baluchon de son cerveau les souvenirs d'une enfance de pauvre gars passée à se bagarrer dans les rues et les terrains vagues, et de sauter à l'aventure dans le premier train qui passe.

 

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C'est la longue saison picaresque des errances ferroviaires, les semaines à crever la faim, à marcher dans le froid et la neige, à jouer aux gendarmes et aux voleurs avec les employés du chemin de fer et les polices locales, plus cruelles que méchantes. Ces milliers de sans-emploi qui courent les lignes ne sont jamais les bienvenus, le mieux est encore de les envoyer ailleurs, ne serait-ce que deux ou trois comtés plus loin.

 

 

LE NON-DIT

 

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Récits palpitants et rencontres merveilleuses, celle des hommes qui plongés dans les pires incertitudes ont encore la force d'aider l'inconnu plus mal loti qu'eux. Guthrie fait l'apprentissage de la solidarité et peut-être plus encore de quelque chose de bien plus précieux : la vie. La vraie, celle de Rimbaud. Plusieurs fois le sort lui sourit, un riche parent prêt à l'accueillir, un emploi de chanteur bien rémunéré dans un club huppé du Rockefeler Center à New York, chaque fois au dernier moment il opère le choix qui fera de lui ce qu'il deviendra : il retourne à la rue, près des petites gens. Car il est né dans la rue, dans la rue.

 

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La musique n'est pas faite pour divertir les gens, l'artiste n'est pas le bouffon de la bourgeoisie. Pourtant c'est à peine si dans son adolescence l'on apprend en trois lignes qu'il s'est procuré une guitare, et si l'on sait qu'il en trimballe souvent une avec lui même si durant ses interminables pérégrinations – quand il ne la revend pas – n'a pas l'air de beaucoup y toucher. Ce n'est qu'à la toute fin du bouquin qu'on le voit improviser paroles et musiques à qui mieux-mieux chaque fois que la situation se tend.

 

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A aucun moment du livre Guthrie ne se dépeint sous les traits de l'agitateur politique qu'il fut. A-t-il cherché à éviter une censure insidieuse de la part des autorités ? Balance ses idées, mais comme si elles arrivaient dans sa tête un peu par hasard. Ne se gêne pas pour exposer le système de la Company Store qui endette ses cueilleurs de fruits de telles manières qu'ils se transforment en main d'oeuvre sous payée taillable et corvéable à merci. Essaie aussi de mettre de l'ordre dans la tête de ses alter ego, ce n'est pas parce que les USA sont en guerre contre le Japon qu'il faut s'en prendre aux immigrés du pays du Soleil Levant qui connaissent les mêmes difficultés d'embauche que l'ensemble du prolétariat américain. Le nationalisme qui essaie de rejeter la responsabilité des bas-salaires sur les noirs et les étrangers est une manoeuvre cousue de fil blanc. Le racisme est une manipulation de la bêtise humaine. Au lieu de lutter par soi-même l'on rejette la faute de sa propre condition sociale défavorisée sur plus faible que soi.

 

 

Guthrie dénonce mais n'affronte jamais de face l'ennemi. Il faut se souvenir comment les premiers mouvements anarchistes de la fin du dix-neuvième et du tout début du vingtième siècle ont été anéantis à coups de revolvers, de fusils et de lynchages par les milices patronales et les hommes de main des agences Pinkerton. Prudence est parfois la mère de la survie.

 

 

DESCENDANCE

 

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Bob Dylan sera celui qui utilisera jusqu'à la pervertir cette manière de médire sans trop dire. L'obscurité de ses paroles est souvent due à un parti pris de ne point trop s'engager jusqu'au bout. Il laisse toujours un peu de flou entre lui et l'ennemi. Non pas comme Gutrie pour se rapprocher au plus près afin de viser plus fort mais pour s'y cacher et ménager la possibilité d'une retraite nécessaire. Les reproches que lui adressera Joan Baez durant la lutte pour les droits civiques touchent au plus juste. Bob veut bien décocher quelques flèches qui font mal mais n'entend ni se transformer ni se statufier en porte-étendard du mouvement.

 

 

Nous remarquerons que Bruce Springteen, qui connut une gloire éclatante pour avoir été présenté au mitant des années 70 comme le nouveau Dylan – notamment grâce à l'excellent travail de promotion idéologique effectué par Newsweek, l'hebdomadaire de cette New Left, qui devait tout casser mais qui a fini par limer ses ongles qui n'étaient déjà pas trop longs - s'est lui aussi abîmé les dents sur la pérennité du Système américain. Il ne suffit pas d'être en colère, de se ranger du côté des ouvriers en grève et de voter Obama pour que les choses changent. L'artiste a vite fait de devenir le faire-valoir de la social démocratie libérale.

 

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Tom Joad le militant ouvrier des Raisins de la Colère de Steinbeck a certes influencé les oeuvres de Woodie Guthrie et de Bruce Springteen qui lui ont tous deux consacré un morceau, mais nos imaginaires sont emplis de figures tutélaires des plus respectables, qui reposent là comme des cadavres momifiés. Inutiles quelque part.

 

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Woodie Guthrie est mort en 1967. Cela faisait quatorze longues années qu'il avait demandé à être hospitalisé dans l'espoir d'enrayer les ravages du syndrome dégénératif de la maladie d'Huntington qui causa la folie de sa mère et qu'il reçut en héritage... Les espoirs de sa révolte se sont enlisés dans les sables mouvants du nihilisme punk... Depuis le rock'n'roll évite soigneusement de rouvrir sa tombe. Des fois qu'il en émanerait des ferments de révolte populaire.

 

 

 

Damie Chad

 

 

 

 

 

 

SAVINS / 24 / 06 / 2012

 

 

CORCOVA DUO

 

 

 

Non, ils ne viennent pas de Rio de Janeiro même s'ils mettent un pain de sucre dans leur café brésilien qu'ils servent brûlant et aromatisé. Crèchent tout simplement à dix kilomètres du patelin, dans cette bonne ville de Provins d'où nous concoctons votre site rock préféré.

 

 

Désolé, mais pour une fois ce ne sera pas très rock, car ils sont plutôt genre baleine à bossa. Nous nous en tirerons en affirmant que la bossa est le folk des latinos. Certes le temps n'est guère tropical en cette fin d'après-midi, pour tout dire il pleut à verse et le concert s'est réfugié dans l'église du village. Inutile de vous lancer sur la mansuétude du dieu chrétien qui aurait accueilli en son sein les spectateurs humidifiés pour les réchauffer dans son amour universel. Il y a longtemps que les Savinois ont dû bouffer leur curé car il n'en reste pas une miette et le Saint Lieu est une véritable ruine qui ressemble à la Cathédrale de Barcelone après le passage des anarchistes. Nietzsche a décrété que Dieu était mort, ce qu'ils ne savait pas c'est qu'on l'avait enterré à Savins. 77, pour ceux qui seraient tentés par le pèlerinage.

 

 

Bref l'endroit débarrassé de son encombrant et divin intrus est des plus agréables. Monceaux de pierres de voûtes écroulées, lattes déchiquetées de plafond entremêlées à terre comme les restes d'un navire brisé sur des récifs, plus un hurluberlu déguisé en artiste international qui s'est complu à élever une branlante pyramide de chaises vers le ciel (vide, rappelons-le ). Bref l'ensemble formerait un merveilleux garage pour motocycles de bikers genre équipée sauvage. Mais ce jour, c'est un bar à bossa.

 

 

Vous vous y attendiez, mais le Corcova Duo se compose de deux membres. Lui et Elle. Plus une guitare. C'est lui qui la tient le pied posé sur l'escabeau. Inutile de me torturer, je vous donnerai son nom et son signalement. Richard, un sang fier, vif et ombrageux. Il parle d'une voix douce, rassurante et presque pédagogique. Il présente les morceaux, l'air de rien, mais il faut se méfier, il possède l'art des fins de phrases assassines. C'est que ce grand pays démocratique qu'est le Brésil a flirté dans les années septante du siècle précédent avec des régimes militaires pour le moins autoritaires pour ne pas dire fascisants et beaucoup des musiciens qui seront évoqués et interprétés dans le tour de chant ont connu les douces joies de l'arrestation et de l'exil.

 

 

Non je ne manque pas de respect aux dames. J'ai gardé la plus belle pour la fin. Une beauté noire, toute de finesse au sourire éclatant. Après le concert elle avouera qu'elle était morte de peur. Ca ne s'est point vu. Et encore moins entendu. C'est leur deuxième apparition en public. Mais la veille elle a bluffé des spectateurs portugais, elle qui ne parle pas un traître mot de la langue de Camoëns et de Fernando Pessoa, la chante à la perfection, nous laissant accroire par ses intonation qu'elle en souligne toutes les subtilités sémantiques. Pour les indiscrets, ce sucre fondant de sereine apparence se prénomme Annick.

 

 

Richard caresse sa guitare. Je ne vous l'apprends pas la bossa c'est l'antithèse de la brutalité rock. En bossa tout n'est que luxe, calme et volupté, l'on effeuille les arpèges et la marguerite, sans se presser. De temps en temps une corde miaule sur une brisure de rythme, mais point trop fort comme un chat poli à qui l'on a marché sur la queue mais qui sait se tenir. Et se retenir. Jeu subtil, Richard avance d'un barré et recule de deux, c'est la voix d'Annick qui se coule et se moule sur ces atermoiements rythmiques. Elle épouse les frisures que Richard dessine et cisèle au crayon gris.

 

 

Le public est sous le charme. Personne ne moufte. Enfin presque. Deux petits anges se glissent sous le micro et s'emparent des maracas qui attendaient sagement dans le panier. Marqueront le rythme. Ce bruissèlement caractéristique et chuintant de la bossa, ce chuintement énervant au possible qui donne cet inappréciable goût de fouet que l'eau de vie ajoute au café. Merci à Toshiro et Paloma d'avoir parfumé à la perfection le dessert sucré mitonné par leur maman.

 

 

Tapent dans le répertoire nova-trad de la bossa, Joao Gilberto, Antonio Carlos Jobim, Chico Buarque, Marcia Maria, Caetano Veloso, Baden Powel. Pas spécialement des grands rockers, mais Richard est à la fête avec les lignes de guitare. Pas le temps de rêvasser ou de se reposer. Faut assurer, ne jamais laisser Annick seule et la servir royalement, de telle manière que l'on ne sait plus lequel des deux accompagne l'autre. Richard a compris que rien ne sert d'intellectualiser cette musique, il ne nous la joue pas jazz, mais bossa. Entre parenthèse, z'ont dû sacrément bosser – comme le chameau nietzschéen du célèbre apologue, celui qui finit par se métarmorphoser en lion – pour atteindre à cette remarquable et commune fluidité.

 

 

Vous suivez le jeu des mains de Richard qui parcourt son manche de haut en bas et la voix susurrante d'Annick s'infiltre en vous, l'air de rien, mais comme un venin de serpent qui vous paralyse sans que vous vous en rendiez compte. C'est déjà le dernier morceau et va falloir se quitter sur le pot de l'amitié. Y a longtemps que les gamins se sont rués sur les olives pendant que les adultes écoutaient bouche bée ( de Rio ) la guitare et la voix magiques de Corcova Duo.

 

 

Damie Chad.

 

 

 

 

 

 

 

 

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