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22/03/2012

KR'TNT ! ¤ 90. HOOCHIE COOCHIES / JOE MORETTI / ALBERTINE SARRAZIN

 

KR'TNT ! ¤ 90

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

22 / 03 / 2012

 

 

 

ETOGES / 19 / 03 / 2012

 

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CONCERT HOOCHIE COOCHIES

 

 

I'M A LONESOME HOBO

 

 

 

Tous des déserteurs, personne pour m'accompagner. Tant pis l'appel du rock triomphe. C'est sous une pluie diluvienne que je me dirige vers la teuf-teuf mobile qui démarre au quart de tour et ronronne comme une horloge. Direction la Marne, pas la Haute-Marne pourtant c'en n'en finit pas de monter, et Etoges doit être un sacré cul du bout du monde pour qu'aucun panneau ne le signale sinon juste trois kilomètres avant d'y tomber dessus. Une seule rue toute noirâtre, tiens ils ont une Eglise ( mais pourquoi si grande pour un bled qui ne doit pas abriter plus de quatre cent âmes ) et une pharmacie. C'est rassurant, mais je ne suis pas malade. Enfin un bistro en bout de course, juste avant le trou noir de la campagne. J'ai vu par miracle la fenêtre latérale éclairée. Quatre gars en bleu de travail qui sifflent une dernière goutte au comptoir. Je leur annonce l'étonnante nouvelle d'un concert dans leur village. J'ai presque à nouveau franchi le seuil que l'un d'eux avisant mon blouson noir se fend d'une illumination mystique «  Dites, ce ne serait pas un truc de rockers ? » J'acquiesce avec frénésie «  Ah oui, c'est la fête qu'ils font chaque année ! (excellente nouvelle je sais déjà que je reviendrai ) c'est en face de la pharmacie, tout à l'heure la porte était ouverte ! ».

 

 

Je me casse vers la pharmace, drapé dans mon Etoges de sénateur romain. Une porte en contrebas, avec de la lumière. Encore une fois saint Roch a guidé mes pas de mécréant ! Mais, où suis-je ? Me serais-je trompé ? Rockarocky m'aurait-il aiguillé vers une soirée tapas-fandango ? n'importe où où mes yeux se portent je tombe systématiquement sur la même inscription Los Moskitos. Rassurez-vous, chers kr'tntreaders, c'est bien une soirée rockabilly, Los Moskitos sont un groupe de bikers des plus sympathiques. Accueil des plus avenants, une minime participation aux frais des plus légères, cinq euros, boissons, frites à prix modiques, plus une ambiance détendue, tout le monde heureux de se retrouver. Les Baleines et Sirènes de Courboivin sont aussi présents, plus des Mustangs et des Corsaires. Des enfants qui se poursuivent entre les tables, un stand avec un très grand choix de bagues, plutôt des têtes de mort que les amoureux de Peynet, si vous voyez ce que je veux dire.

 

 

 

 

HOOCHIE COOCHIES

 

 

J'avais repéré leur nom depuis quelque temps et je voulais les voir. En fait que des têtes connues. Jimmy de Jim and the Beans, groupe qui était passé au premier Rockxerre Gomina et qui ne m'avait pas convaincu, Dom qui officie aussi chez les Megatons – jamais eu l'occasion de croiser leur chemin, mais sauterai dessus à la première occasion - et Vince qui n'est autre que le bassiste de Burning Dust. Comme quoi nous sommes en territoire connu.

 

 

Hoochie Coochies, malgré le nom nous sommes bien chez un groupe de rockab. Désolé pour Muddy Waters, mais le son est délibérément rock et pas blues. Entre deux sets Vince le bassiste avouera qu'il n'aime pas Willie Dixon, qui écrivit Hoochie Coochies pour Muddy, car il est trop jaloux de la virtuosité à la contrebasse du producteur de chez Chess. Pour les dames qui veulent toujours tout savoir, rappelons que l'expression Hoochie Coochie Man pourrait se traduire par l'homme qui fait des guili-guili - sous la ceinture - aux jolies filles. Mais arrêtons de nous perdre dans les joies des dessous de la sémantique pour regarder nos Hoochie Coochies men en plein travail. Musical, cela s'entend.

 

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Première étonnement Jimmy. Sacré touché de guitare. Moi qui avais le souvenir d'une statue de monarque assyrien immobile dans sa barbe, plaquant des accords mécaniques à la mode des combos ted, je suis plus qu'agréablement surpris. Connaît les nuances et les subtilités. Dès le second morceau, reprise de Rockabilly Man de Ray Campi et Rip Masters, le ton est donné jusqu'à la fin de la soirée. Voix flexible et bien posée.

 

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Vince exécute un super boulot sur sa basse. Ne la quitte jamais des yeux et y placarde sans arrêt des baffes et des coups de griffes à la faire rougir de douleur. Sa main se lève et retombe à la vitesse d'un crotale endiablé. Ne sont que trois sur scène mais inutile d'aller chercher ailleurs pourquoi le son est si dense, sans trou d'air.

 

 

Excellent travail sur les cordes, plus d'une fois ça balance comme les Crickets de Buddy Holly, d'ailleurs dans ces instant-là les conversations au bar s'arrêtent et les yeux se tournent comme par hasard vers la scène. Faut dire que Dom apporte une pure rythmique. Se charge souvent du chant, et plus l'heure avancera plus il se collera au micro sans cesser d'usiner son beat léger et précis.

 

 

Trois sets. Le premier nous aura ouvert l'appétit. Le deuxième sera le meilleur, le troisième en fin de soirée, trop court, uniquement cinq petits misérables morceaux alors que l'on en aurait ingurgité sans tergiverser au moins le triple mais il est vrai qu'il est tard et que la fatigue se fait sentir. Jim n'est pas un grand extraverti, mais il se démène sur sa guitare. Donne l'impression de la tenailler davantage au ventre qu'au manche mais il sait la faire rumbler comme Duane Eddy.

 

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Le deuxième set est un véritable festival. Sais pas ce qu'on leur avait mis dans les saucisses frites de l'interlude, mais ce devait être salement épicé au roots'n'roll, car l'on a pris une sacrée rouste de rock. Ca défile à vitesse grand V, juste le temps de repérer si c'est Dom qui chante et Jim qui se charge de la seconde voix, ou juste le contraire, que l'on est déjà dans un autre morceau. Unité de ton assuré. La guitare de Jim miaule à la Hank Marvin et Vince déménage un max. Toujours un peu en retrait, un pas sur le côté mais les poignets qui bombardent sec. Nos Hoochie Coochies men, n'ont pas démérité de leur nom. Ca fait du bien par où ça passe. Par les oreilles.

 

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Sans aucune prétention en plus. Alignent quelques rondelles de leur acabit qui sonnent comme des incunables de la grande époque. Ne s'en vantent pas, sont tout heureux de vous l'offrir. Impressionnants et pas flambards pour deux dollars. M'ont scotché.

 

 

RETOUR A LA MAISON

 

 

Me suis éclipsé avant la soupe à l'oignon. Gratuite, mais déjà tout petit je tirais une gueule d'enterrement au seul mot de potage... Et puis les Hoochie Coochies m'avaient pleinement rassasié...

 

 

Damie Chad.

 

 

 

JOE MORETTI

 

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Un petit coucou à Joe Moretti, qui nous a quittés ce neuf février 2012, le nom ne vous dit peut-être rien, mais vous l'avez déjà sûrement entendu. Certes il ne fut qu'un guitariste anglais, mais un des tout premiers de la ribambelle qui suivit. Et puis surtout il a participé à deux des plus grands classiques du rock'n'roll. Le guitariste qui joue derrière Vince Taylor sur Brand New Cadillac et celui qui affûte sur Shakin' All Over avec les Pirates de Johnny Kidd, c'est lui, Joe Moretti. Deux morceaux, maintes fois repris et qui sont l'archétype de ce que devrait être le rock'n'roll. Si vous ne connaissez pas allez voir sur You Tube.

 

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Allez aussi faire un tour sur son blogue joemoretti.org C'est rempli de textes sur des dizaines de chanteurs qu'il admirait et pour lesquels il a souvent travaillé. C'est un peu le rôle des éminences grises du rock, ils sont partout mais leurs noms ne circulent que chez les connaisseurs. Joe Moretti a sans doute pris la mauvaise décision au mauvais moment, de musicien d'accompagnement il est passé petit à petit au statut de musicien de studio. L'aurait mieux fait de s'amalgamer à un groupe et de tenter sa chance... Certes il faut faire bouillir la marmite, mais le rock anglais en pleine ébullition en 1963-1964 offrait aussi bien d'autres portes de sorties...

 

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Suite à Shakin All Over il enregistrera Restless toujours avec Johnny Kidd et It's not unusual avec Tom Jones, cerise sur le gâteau il partira en tournée avec Gene Vincent. On le voit notamment sur l'enregistrement de Gene à la RAI, en Italie. Il laisse d'ailleurs un témoignage émouvant sur Gene sur son blog. Pour ceux qui ne comprennent pas the english langage vous trouverez la traduction sur le site français de Gene Vincent ( voir le forum ). De même sa rencontre avec Vince Taylor qui le loge chez lui avec sa guitare et sa femme est à regarder. Le texte est souvent repris ( parfois sans être cité ) dans les articles consacrés à Vince.

 

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( photo rollcallblogpost )

 

 

Pour la petite histoire Joe Moretti n'a jamais renié les racines noires du rock'n'roll, n'y a qu'à parcourir les têtes de chapitre de son blog pour comprendre qu'il détestait le racisme et autres fariboles du même genre.

 

 

Je ne sais pas ce qui se passe au paradis des rockers, mais une jam-session avec Vincent, Taylor, Kidd, et Joe Moretti ne me déplairait pas.

 

 

Damie Chad.

 

 

 

Non, Albertine Sarrazin n'est pas une chanteuse de rockabilly, mais dans les années 50-60 sa vie a été bien plus rock'n'roll que beaucoup... de la même génération que Gene Vincent pour situer le personnage... sûr que Johnny Cash aurait chanté pour elle... alors écoutez la triste ballade que O. Murcia notre collaboratrice a composé en son honneur...

 

 

 

ALBERTINE

 

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Rien ne serait arrivé si mon arrière grand-mère n’avait pas été communiste, si elle n’avait pas eu, sur les photos, l’élégance un peu surannée des femmes aux portes cigarettes et si sa fille n’avait pas conservé, en l’état, sa bibliothèque. Je dois vous avouer que je cherchais plutôt des brochures staliniennes. Rassurez-vous, mon œil expert n’a pas tardé à en dénicher quelques unes. De celles qui ont des titres au moins trois fois plus absurdes que leur contenu, de celles qui vous expliquent sans rougir en quoi les Etats-Unis sont moins évolués que la Belgique qui est elle-même beaucoup moins évoluée que l’URSS qui est elle-même en phase d’accéder (mais, oui, c’est pour bientôt) au stade suprême du communisme. Tant que j’y étais, j’ai entrepris d’examiner de plus près ce qu’elle lisait, la grand-mémé aux amants légendaires. Un peu de tout, beaucoup de romans. Et, parmi eux, un petit livre à la couverture grise, un joli visage de femme et un titre qui n’éveillait pas grand-chose en moi: L’Astragale. Vous êtes certainement en train de vous dire que vous vous moquez éperdument de la façon dont j’ai découvert Albertine Sarrazin, il est vrai qu’il ne s’agit pas là de la révélation de l’année et que je n’ai pas exactement le profil pour que cette touchante anecdote fasse la une de paris match demain. Il est simplement surprenant qu’un livre vendu à des millions d’exemplaires dans les années soixante ne soit plus qu’un classique de bouquiniste que vous trouvez en triple chez Emmaüs et dont tout le monde semble obstinément vouloir se débarrasser à chaque déménagement. Toujours est-il que moi,  dans mon innocence contemplative, après l’avoir lu et avant de savoir que je me procurerais facilement l’œuvre complète à moins de cinq euros et d’une demi-heure de voiture, j’étais persuadée d’avoir déniché la perle rare. C’était un de ces livres qui vous pousse à tenter d’expliquer à chaque personne que vous croisez à quel point il est complètement indispensable qu’elle le lise sans que jamais vous soyez complètement sûr de pouvoir le lui prêter sans le regretter immédiatement. Les années soixante dix ont enterré Albertine Sarrazin. Dans tous les sens du terme. Sa gloire a été à peu près aussi longue que ses années de liberté, c'est-à-dire qu’elle lui a à peine laissé le temps de mourir. Je ne suis pas de ceux qui s’invente des combats dans la réhabilitation d’auteurs oubliés, je ne suis pas de ceux qui pensent que le monde irait mieux si Albertine Sarrazin était étalée en vitrine à la Fnac ou soigneusement disséquée par une meute d’étudiants en littérature. Je ne m’interdis pas pour autant de penser que si l’Astragale n’est plus lue que par d’irréductibles gauchistes ou des arrières grand-mères communistes, c’est parce que, passée la « révolution intellectuelle » soixante-huitarde, on s’est empressé d’inventer la littérature de gauche. Vous allez me dire que la littérature de gauche c’est mieux que la littérature de droite. Oui, sauf que c’était l’œuvre de petits bourgeois qui s’inventaient une alternative au marxisme, qui grinçaient des dents à en rayer le parquet et qui produisaient une foultitude de théories très intéressantes mais qui ne visaient très souvent qu’à justifier leur position d’intellectuels militants et leur propre révolte. Albertine Sarrazin, c’est une plume presque classique, archaïque, suspendue entre l’élégance dix-neuvième et la merde des prisons modernes. Elle ne porte pas un discours révolutionnaire, elle ne porte pas d’autres discours que celui d’une fillette qui, même devenue femme, n’a connu que la prison et ne rêve que de vivre ailleurs, là où elle pourra prouver qu’elle n’a de comptes à rendre à personne et qu’elle en vaut bien une autre. Elle écrit du fond d’une cellule, à chaque ligne, elle prouve qu’elle existe, qu’elle est, à part, entière, Albertine. C’est misérable. C’est effrayant. Mais le plus terrible, c’est qu’alternativement ça vous brûle, ça vous tord, ça vous glace l’estomac. Vous n’avez pas envie qu’elle crève, vous n’avez pas envie qu’elle pleure, sans hésiter, vous scieriez ses barreaux à dents nues, jusqu’aux gencives. N’y voyez pas la catharsis commisérative, il n’en n’est pas question. Et puis, vous y briseriez vos sourires. Du début à la fin, elle dit qu’elle est différente, qu’elle va sortir et que là, ils devront tous reconnaître que l’Albertine, elle en a dans le ventre, qu’elle leur fera baisser les yeux, elle qui n’a jamais baissé la tête. Elle le dit tellement que ça paraît injuste. Injuste pour ses camarades de cellules, injuste parce que ce que vous voulez, vous, c’est que plus jamais, ni Annick, ni Annie, ni aucun autre n’ait à prouver que la prison, c’est à détruire sans discuter. Je pense qu’elle était d’accord mais sa haine, c’est celle de ceux qui ont passé leur temps à regarder les autres vivre et dont l’existence ressemble à un couloir de palais de justice. Alors, ce qu’elle veut, c’est avoir une maison, ne plus jamais travailler, faire cramer son corps au soleil, conduire une voiture et ne plus obéir à quiconque. Jusque là, tout va bien. Finalement, si tout le monde savait vouloir comme Albertine, le capital ne ferait pas de vieux jours. Mais elle veut être lue aussi, elle veut être reconnue. Comment le reprocher à celle qui, boiteuse, blessée, brisée, n’a même jamais eu de nom à elle ? A celle qui, quand elle touche du doigt ce qu’elle attendait tant, se rend compte que la force dont elle a fait preuve jusque là, cette force inextinguible, exceptionnelle, elle doit l’employer à refuser tout ce qui risquerait de me remettre dans des prisons plus subtiles. Celle qui ne tiendra pas deux ans à ce nouveau régime, qui se brûle en moins de temps qu’il n’en faut pour la lire. Le capital :1, Albertine :0. Elle est K.O. Elle a beau faire la une des magazines et passer à la télé, elle n’est qu’un témoin, une jolie bête de foire qui sait écrire. Y en a plein les prisons, des prolétaires qui vont y passer leur vie. Alors, ça fait quoi comme différence qu’elle ait raconté la misère et la violence ? Aucune. Pourtant, c’est pas rien L’Astragale, La Cavale et La Traversière. Ca m’a désarçonné, jeté à bas du cheval, fait mordre la poussière.

 

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A la lecture de sa dernière lettre, son étrange adieu à son seul amour qu’elle attend de l’autre côté du chronomètre, j’ai pleuré comme une gamine, triste jusqu’au fond du cœur. Elle était morte. A ce moment là, malgré le beau garçon qui lisait nu à côté de moi, j’ai eu un petit peu froid. Alors, si j’ai l’air de compter les points, de chipoter sur l’inanité du témoignage en lui-même, c’est simplement parce que je me demande pourquoi ces textes m’ont si violemment frappé. Ils l’ont fait, c’est sûr, par leur puissance littéraire. La Sarrazine n’est pas un écrivain de pacotille, une romancière du dimanche. Elle a digéré, en plus des sales menus de tôlarde, une bonne tonne de livres. Elle écrit comme ceux qui ont trop lu, c’est racé, élégant, profondément régulier et rythmé, brillamment intelligent. Et surtout, c’est débarrassé de toute volonté d’objectivité, de neutralité. Elle n’abolit pas l’égo, elle le brandit. Narrateur et auteur se confondent. Il n’y a pas de pacte avec le lecteur, pas de cette hypocrite tendance contemporaine qui consiste à raconter des choses qui n’intéressent personne sous prétexte que derrière est enfoui un précieux sens caché et universalisant. Elle n’a que ça l’égo, Albertine, elle ne connaît que ce qu’elle apprend d’elle. Alors, soit vous êtes prêts à fumer quinze cigarettes et à boire cinquante cafés avec elle en attendant qu’elle ait fini de vous dire ce qu’elle pense, comment et pourquoi, soit vous n’avez rien à faire là. Il n’y a pas de lecteurs, pour Albertine. Juste les mots si bien trouvés et qui peinent pourtant tant à dire ce qu’elle est, nue, à même la page. Elle est trahie, toujours, parce qu’il n’y a pas de juste phrase pour dire une quelconque vérité. Elle est trahie mais ça ne compte pas, ni pour vous, ni pour elle, parce que, malgré tout, vous vous approchez d’elle, un peu, et que c’est presque aussi fort que d’aimer quelqu’un. D’aimer quelqu’un que vous ne verrez jamais, d’un amour tranquille, qui vous épargne, mais qui vous montre à quel point vous êtes loin de demander à la vie tout ce qu’elle vous doit. Les livres d’Albertine, ce sont des exigences, des cris de désir : voilà tout ce que j’ai et tout ce que je n’ai pas, voilà tout ce que je trouve à dire alors même que je n’ai rien à faire, voilà ce que je veux et voilà que je veux vouloir. Je crois qu’il existe une forme très rare, qui est l’expression même du bonheur, la façon de dire que l’on est heureux sans déclencher une nausée générale. La joie n’a pas d’intérêt littéraire, peut-être qu’elle se suffit à elle-même et empêche de se demander si l’on va gribouiller quoique ce soit. Ne me faites pas dire que c’est ce que fait Albertine, ses livres ne sont que souffrance et douleur, que frustration et tristesse, sa vie est un carnage. Mais, par moments, elle atteint une telle violence du désir et de l’espoir que vous ne pouvez pas vous empêcher de penser que cette envie est si forte que ce qu’elle réclame à corps et à cris doit en valoir un peu le coup. Ne croyez pas qu’elle fait aimer la liberté de ceux qui ne sont pas prisonniers, non, elle fait aimer, à chacun, plus fort, tout ce qu’il aime déjà. Elle décroche pour vous la finesse précieuse de la volonté d’être. C’est tout ce qui lui reste. Si vous étiez en train de tomber du deux cent troisième étage, vous n’auriez rien à perdre à admirer le paysage. Mais vous ne le feriez pas.  Albertine non plus. Mais elle vous raconterait, doucement, lentement, combien chaque étage qui passe fait plus mal et plus peur que le précédent mais combien il fait croître son envie de ne pas tomber, de durer encore. Même si c’est impossible, même si chaque heure qu’on lui vole, elle ne la reprendra pas, même si elle vit le chronomètre en main, même si c’est ce monde le plus fort. Il n’y a pas de honte, Albertine, la machine est forte qui t’a éreintée. Et seule face à elle, tu ne pouvais pas. Il faut être ensemble pour la vaincre un jour.

 

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C’est drôle comme elle parle de la mort qui paraît si douce, à peine effrayante, sombre et repoussée mais moins dure, moins crue que tout le reste de l’horreur. La condition humaine ? Le malheur d’être mortel ? Comparé à l’injustice du monde, c’est un hoquet pour Albertine, un mal de ventre, pas un ulcère. Finalement, la fatalité que décrit Albertine, c’est une fatalité altérable, quelque chose qui peut être détruit. C’est ce qui met en rage, ce qui fait que l’on pleure. Elle aurait pu ne pas mourir. C’est cru, c’est nu, c’est aveuglant, juste une proie de plus sur le tableau de chasse. Morte pour rien. Tuée par l’ordre des choses, à la longue, à l’usure. Tu as beau te tenir debout, tu n’en es qu’une cible plus visible. Mais tant pis : Albertine d’abord, je fonce. Je vous embrasse. Merci de m’aider si gentiment à vieillir…

 

 

O. Murcia.

 

 

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