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26/01/2012

KR'TNT ! ¤ 82. DOORS. PATRICK GEFFROY.

KR'TNT ! ¤ 82
KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME
A ROCK LIT PRODUCTION
 26 / 01 / 2012


OUVREZ LES PORTES !

JIM MORRISON

SAM BERNETT

Editions du rocher / Mai 2011 / 190 pp.

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    On y a déjà fait allusion dans notre première chronique de cette année, la soixante dix-neuvième pour être précis, puisque c'était Sam Bernett qui officiait du micro qu'il tendait obligeamment à Dick Rivers, mais ici il s'agit d'un tout autre personnage, d'une icône sacrée de la rock-music, de Jim Morrison. Bien entendu ce n'est point la transcription d'une interview mais plutôt ce que l'on pourrait appeler les mémoires d'un témoin-clef.

    Sam Bernett n'a côtoyé Jim Morrison que quelques mois, les plus importants serait-on tenté d'ajouter, assez stupidement puisque au crépuscule de sa courte vie James Douglas Morrison avait déjà commis l'essentiel, pour ne pas dire la totalité, des actes significatifs de sa brève existence. Oui mais voilà, on n'a pas l'habitude de voir de superbes rockers venir agoniser sur notre sol national. Même notre Vince Taylor chéri s'en est allé mourir en Suisse, ce pays de coffre-forts si peu rock'n'roll.

    Faut avouer que Morrison nous a gâtés. Non seulement il s'adonna de par chez nous à des frasques alcoolisées dignes de Gene Vincent mais il n'avait de cesse de proclamer haut et fort son amour immodéré pour cette France, terre des arts et des poètes, dont 99,9% de nos contemporains se contrefoutent allègrement... un homme qui vous couvre de louanges ne saurait être tout à fait mauvais. Enfin presque, parce que Sam Bernett ne se gêne pas pour écornifler quelque peu la statue dorée. Et attention, ne se contente pas de raconter les cinq derniers mois de l'idole bringue-ballante, c'est à une véritable contre-expertise qu'il se livre, du jour de son apparition en cette vallée de larmes à celui de sa disparition.

INDIVIDUAL SAS

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    Première fois que j'ai entendu les Doors c'était sur Radio Monte-Carlo, en 1967, un jeudi après-midi, à seize heures. C'était une émission hebdomadaire que je ne ratais jamais. Très courte, on y présentait seulement quatre titres. Sponsorisée par les Disques Vogue. Pas n'importe lesquels, les nouveautés venues tout droit des USA – peut-être de France aussi, mais je n'en ai gardé aucun souvenir. C'est là que j'ai eu la primeur de la révélation des Doors et du MC.5. Les Doors avaient été annoncés comme le groupe qui montait et qui jouait gratuitement sur les campus de Los Angeles. Fausse info d'époque ou intox, je n'ai jamais su, mais Break on through to the other side m'est tout de suite resté dans l'oreille.

    Pour la petite histoire, je n'ai jamais rencontré un fan de rock qui ait souvenance de cette séquence. Aurais-je été le seul auditeur !

OUVERTURE DES PORTES

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    Pas aussi enthousiaste que mézigue Sam Bernett quand il se penche sur le début des Doors. Autrement dit l'enfance de James Douglas Morrison. Car il ne faut pas être hypocrite, les Doors sans Morrison, c'est un peu comme l'omelette sans les oeufs. Cassés, comme il se doit.

    Un insupportable mouflet. Déjà tout petit il mérite toutes les baffes qu'il a prises plus toutes celles qu'il n'a pas reçues. Au lieu de profiler des porte-avions dans le détroit du Mékong pour   niquer le Vietnam sous des tapis de bombes au napalm, le père aurait mieux fait de rester à la maison pour catapulter  coups de pied au cul sur coups de pied au cul à l'insupportable gamin. Méchant, cruel, sadique, vicieux, tordu, plutôt enveloppé et mal dans sa peau, le mineau n'a rien pour plaire. Comme par malheur il ne s'est dévoué aucun pédophile pour le couper en morceaux après avoir atrocement assouvi sur son cadavre encore chaud ses pires instincts, nous ne pouvons dresser de statue à cet éventuel bienfaiteur de l'humanité qui ne s'est pas présenté.

    Pire, ne vous faites aucune illusion, l'enfant ne va pas s'améliorer en grandissant. Enfin un peu, mais uniquement côté physique. Va devenir un Adonis, un Apollon, beau comme un jeune dieu grec. Ce qui fera beaucoup pour l'image du groupe, mais qui ne sera pas sans occasionner des difficultés d'un autre type. Car Morrison c'est l'archétype de l'enfant à poser des  problèmes, de haut niveau, du type équation à deux mille trois cent vingt-sept degrés, que personne ne sera capable de résoudre. Lui d'abord, qui était tout de même le premier concerné.

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    Passons sur les instits et les profs qu'il emmerdera à plaisir. Viré systématiquement de tous les établissements scolaires. Un désastre ambulant. D'autant plus exaspérant, que la petite vipère lubrique est intelligente. Très. Trop. De ce type cognitif d'intellection qui vous permet de comprendre l'inanité de la condition humaine et l'hypocrisie de toutes les lois sociales, du premier coup d'oeil, avant même que l'on vous envoie en maternelle.

    Cet asocial né aurait pu finir en sexual serial killer, c'est d'ailleurs ainsi qu'il a terminé, même s'il n'a tué qu'une seule fois, car il tenait à ce que ses victimes aient du répondant et quand il en a enfin trouvé une, il s'est avéré que c'était lui-même, mais nous ne sommes pas encore à la fin de l'histoire et notre chérubin rencontrera tout de même quelques dérivatifs à ses morbides obsessions.

AMERICAN BOY

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    Dix ans avant Patti Smith, Morrison nous fait le coup du Rimbaud Warrior. En France, l'on adore : un gars qui reconnaît la suprématie de nos poëtes nationaux mérite notre estime et le titre de compagnon de route. Morrison l'intello, Morrison le cultureux, Morrison le plus européen de tous les chanteurs de rock. Par ici, on aime. A part que Morrison il se nourrit exclusivement des mythes américains. Les indiens victimes d'un accident de la route dont les esprits entrent dans son corps, et la fascination pour les crotales du désert de la mort. Ne possède pas toutes les clefs, les rituels n'étaient pas au point, l'on a l'impression que le maître chaman s'est fait chamaniser par les forces qu'il a tentées de maîtriser.

    Fiasco sur toute la ligne. A part que tout ce grouillement de bestioles féroces et de fantômes non homologués dans son cerveau vont jouer à l'oracle de Delphes. Morrison se retrouve poëte, ce ne sont ni les muses ni les anges qui l'inspirent, mais les démons caïmanesques issus du marécage purulent de ses cauchemars  qui soufflent sur l'âtre horrifique de son imagination pervertie. 

AMERICAN ROCK

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    Se complaît dans son marasme. Lorsque Manzarek lui propose de se joindre à son groupe, ce n'est pas pour chanter mais pour mettre de la musique sur ses textes. L'expérience tournera mal. Morrison se révèle être un super chanteur. Belle gueule, belle voix, charisme fou et attrait sexuel garanti. Que demander de plus ? Durant deux ans, ce sera la belle vie, la baise, les concerts dans les clubs, l'alcool et la drogue à gogo. Rock'n'roll is back again in america !

    C'est après que la machine dérape. Etape suivante, transformer l'essai, enregistrer un disque. Chez Elektra, une major. Le jeu change de dimension. Démesure totalement américaine. Morrison a décollé l'avion, maintenant que l'appareil est lancé, il fout le pilotage automatique et retourne s'amuser avec les passagers... Ses trois autres acolytes surveillent l'altimètre des millions de dollars qui monte, monte, monte...

    Et nous ici, on reçoit les Doors sur le coin de la figure. A proprement parler, rien de surprenant. Ne sont guère plus avancés que les Animals. Même que leur orgue à arrangements ultra-schiadés qui puent le classique n'est pas aussi rentre dedans que cela. Oui, mais il y a ce qui a toujours fait la différence entre le rock américain et le rock anglais. Une voix. Somptueuse. Et originale. Morrison adorait Presley, l'a beaucoup écouté mais ça ne s'entend pas, il chante comme Morrison.

    Velours et maëlstrom. Tempête et suavité. Trois mots et déjà un climat s'impose. Rarement tempéré. Carrément paradisiaque et franchement infernal. Rien au milieu. Non pas un chant, mais un récitatif. Le texte s'impose avant même qu'on ne le comprenne. Les traductions arriveront très vite. Bien avant celles de Dylan. Sans parler des exégèses.

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    Morrison commence par la fin. The end, le chant crépusculaire de l'Occident. L'aurait pu arrêter là, l'on savait déjà comment l'histoire allait se terminer. Mal. Terminus létal. Tout le monde descend au cimetière. Les survivants sont priés de composter un second ticket. Tuer son père, violer sa mère. Un programme d'éclate adolescent sans partage. Aujourd'hui qui pourrait se permettre de balancer un tel mot d'ordre à la face du système ? Times are changin' comme dirait l'autre, mais pas dans le bon sens. Le couteau du rock est émoussé. Malgré tous ces clones pathétiques qui n'arrêtent pas de se faire mousser.

    We want the world and we want it, now ! Autre exigence que les promesses des politiciens. Mais la profession de foi était cyniquement intitulée : When the music is over. Circulez le spectacle est fini. Plus rien à voir. Et encore moins à entendre. Sur scène le groupe explose. Morrison excite la foule mais ne contrôle rien. C'est la folie totale. Des moments de chuintements mystiques qui vous filent un frisson d'extase et des sautes d'ouragan qui détruisent tout. La chienlit et le capharnaüm. Ce les Pistols n'ont jamais réussi à atteindre vraiment.

    Morrison en fait trop. Derrière le groupe essaie de le raisonner. Peine perdue. Ils freinent des quatre fers mais la herse policière traîtreusement arrêtée causera l'embardée finale. Pour avoir trop chopiné à Los Angeles avec Gene Vincent qui a dû lui raconter comment pourchassé par l'ordre moral il a dû partir pour London avec Eddie Cochran, Morrison comprend qu'il est temps d'emprunter l'issue de secours. Exit vers la France. C'est toujours mieux que dix ans de prison... 

    Il n'y aura pas de retour. Nous nous contenterons de son évocation mythique dans la Célébration du Lézard. C'est le testament du poëte. Peut toujours prétendre qu'il peut tout faire. Dans la Littérature tout est possible. Mais dans la réalité he can do nothing.

AMERICAN POET

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    C'est un fuyard qui arrive à Paris. Ne veut plus entendre parler de groupe de rock. Désormais il sera ce qu'il a toujours prétendu être : un poëte. Il a joué le jeu et il a perdu. A vingt-sept ans il n'est plus qu'un alcoolo, obèse, impuissant, déglingué, et paumé, ressemble à une cloche, celle qui annonce le naufrage sur le Titanic. N'a rien perdu de ses tics de gosse, provoque sans arrêt et rembarre tous ceux qui l'écoutent les yeux exorbités de naïve admiration, comme les inconnus qu'il amadoue d'abord par une fausse gentillesse.

    C'est en ses derniers mois que le rencontre Sam Bernett qui officie au Rock'n'roll Circus. Nous ne retiendrons que ces conversations passionnées et fortement alcoolisées avec Johnny Hallyday. Qui ne s'en est vraiment jamais vanté.

    Morrison va nous refaire le coup d'Elvis. Crever dans les gogues. Tirez la chasse, plus rien à voir. D'une piqûre d'héroïne trop pure. La suite tient de cette notion du grotesque si chère à ce vénérable corbeau du malheur prophétisé que fut Edgar Allan Poe. Transport du cadavre dans la baignoire. Un tandis que j'agonise à la Faulkner puissance dix.

AMERICAN GIRL

    Dès qu'il y a meurtre il faut chercher la femme. Pas difficile. S'appelle Pamela Courson. Vous la trouverez facilement, son urne funéraire est au cimetière de Santa-Fé. Morte d'overdose. Le sachet d'héro que Jim, ce gros naïf, a goûté dans les toilettes du Rock'n'roll Circus lui était destiné. Encore plus rock'n'roll que Jim, Pamela. Belle et nymphomane, couchait avec Jim par intermittences, ne pouvait décrocher de ses dealers préférés. Mais se sont aimés tous les deux, jusqu'au bout. Une histoire à la Roméo et Juliette, mais les Capulet et les Montaigu étaient uniquement dans leur propres têtes. Ils avaient tout pour être heureux  - comme le barjotent les blaireaux - mais ils ont préféré être rock'n'roll. N'ont-ils pas eu raison ?

AMERICAN POET

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    Ce n'est que tardivement que l'on apposa une pierre sur la tombe de James Douglas Morrison au Père Lachaise. Peut-être pour l'empêcher de ressortir, mais y est-il seulement entré ? S'il en est un que les vers n'ont pas mangé c'est bien Jim Morrison. Ses vers nous l'ont conservé. Ses poèmes psalmodiés chantent toujours à notre oreille. Intérieure, celle qu'il ouvre sur un merveilleux pays de l'autre côté du miroir déformant de notre réalité.

    Certes il a ouvert la porte et franchi le seuil. L'embêtant c'est qu'il l'a refermée derrière lui et que depuis nous n'avons plus la clef. Celle du mystère de sa présence, qu'il a emportée avec lui.

                                        Damie Chad.


ROCK & FOLK. N° 534.
Février 2012.

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    Je n'avais pas terminé cette chronique que vendredi soir je tombe sur le dernier numéro de R & F ! La couverture aux couleurs de la pochette du dernier des disques des Doors me ravit. N'ont pas mégoté à la rédac, ils ont rappelé d'office Philippe Garnier l'émissaire de la revue aux States dans les années 70 et interview de Manzarek et Densmore.

    Que voulez-vous, il faut survivre et un petit million de dollars par ci ou par là ne sont pas à négliger. Si vous voulez mon avis personnel, avant de clamser Morrison auraient dû éliminer ses trois acolytes. L'on aurait pleuré une bonne fois pour toute et l'on serait passé à autre chose. Tandis que là l'on est obligé de ressortir les mouchoirs. De désespérance.

    Déjà l'on avait ri jaune lorsque le patron d'un hard-rock café parisien avait été obligé de jeter à la poubelle la décoration de son établissement qu'en amateur transi il avait composée à partir d'images de Jim Morrison et des Doors. Les avocats de ces derniers ont fait savoir que leurs clients ne voulaient pas  que le nom de leur groupe soit associé à l'idée de l'alcool... Pauvre Morrison qui en en sa courte existence aura enfilé à lui tout seul davantage d'hectolitres que n'en consommeront dans les dix prochaines années l'ensemble de la clientèle, l'a dû se retourner dans son tonneau...

    L'on compatit, sûr que la disparition de Jim les a traumatisés. Other Voices et  Full Circle qu'ils se sont dépêchés d'enchaîner malgré les critiques sympathiques de la presse rock de l'époque n'ont pas convaincu les fans... Le film d'Oliver Stone en 1991 a relancé l'intérêt... en  2002 les Doors se reforment sans Densmore avec Ian Asbury au chant... sordides procès entre les parentèles et le couple Manzarek / Kriegger et Densmore... tout cela au nom de Jim bien sûr...

    L'on a eu les 20 ans de Nevermind de Nirvana, voici donc les 40 ans de L.A. Woman des Doors... Avec les titres bonus et tout le bataclan... les chacals se nourrissent de cadavres...

                                        Damie Chad.


JIM MORRISON LU PAR PATRICK GEFFROY, POCKET TRUMPET

Une fois n'est pas coutume. Nous rajoutons un peu de son sur notre KR'TNT. D'habitude nous ne le faisons pas car nous pensons que nos lecteurs intéressés par une quelconque évocation d'artiste sont assez grands pour aller par eux-mêmes farfouiller sur You Tube et autres pourvoyeurs.

Mais ici, il s'agit d'un ami qui nous lit The Celebration of the Lizard, en français, avec un accompagnement de trompette. Evidemment, ça sonne un peu jazz, comme quoi nul n'est parfait. Mais l'ensemble a du souffle et mérite... ah ! Tension !

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