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02/02/2012

KR'TNT ! ¤ 83. L'EQUIPEE SAUVAGE. THOM GUNN.

KR'TNT ! ¤ 83
KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME
A ROCK LIT PRODUCTION
02 / 02 / 2012

MOTO-ROCK

L'EQUIPEE SAUVAGE

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    N'avais jamais vu le film, si ce n'est quelques extraits par ci, par là. Je ne devrais pas le dire car ça ne fait pas sérieux pour un adepte du rock'n'roll... D'abord je n'aime pas trop le cinéma – préfère et de loin les disques et les livres – et puis je n'ai jamais trouvé ce gros joufflu de Marlon Brando -excusez-moi mesdemoiselles – très sexy. Me fais moins vibrer que sa moto, avec sa gueule de jeune premier.

    Ce qui n'empêche pas qu'avec cette pellicule nous sommes aux origines de la mythologie du rock'n'roll. Point musicales, mais sociologiques.

HOLLISTER

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    Tout rocker qui se respecte vous dira que le rock est né à Memphis, in the south, dans les studios Sun. La génération suivante vous parlera du surf sur les plages de Californie et du Summer Love à San Francisco. En fait le mouvement rock ne faisait que rejoindre ses racines géographiques.

    C'est en effet en Californie que se constitue dès la fin de la guerre ( la deuxième ) les premiers cercles de motards outlaws ainsi surnommés parce qu'ils ne suivent pas les règlements de la Fédération des motocycles. Les retours de campagne sont toujours difficiles pour les soldats. D'autant plus s'ils sont victorieux. Peuvent pas dire qu'on les attend les bras ouverts. Les bonnes places sont déjà squattées et après les horreurs et l'excitation des combats beaucoup de jeunes héros ne se voient point pantoufler à la maison avec la petite amie qu'ils avaient laissée avant de partir au front et qui très souvent est entretemps parti avec un autre. Désillusions et colères rentrées, l'armée les relâche sans le secours d'une cellule psychologique d'accueil. Va falloir se débrouiller tout seul, ne compter que sur soi, et les copains.

    Les dérivatifs seront vite trouvés, bécanes, alcool, vitesse, bars, bandes. Toute l'année, nul besoin d'acheter une voiture comme les petits-bourgeois besogneux du coin, le climat californien permet de  rouler même en hiver sur deux-roues motorisées... L'on est ente pots, en rupture avec l'idéologie dominante du business, dans une espèce d'inter-monde où si tout n'est pas encore possible, la possibilité d'une autre existence pointe le bout de l'oreille.

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    La moto existait déjà, mais elle était l'apanage d'une certaine gentry, un peu comme l'équitation de haute compétition en Europe aujourd'hui. Nos jeunes hors-la-loi se regroupent en clans aux noms provocateurs comme les Gallopin' Goose et les Boozefighters. A proprement parler cela ne tire pas à conséquence. Il faut bien que jeunesse se passe...

    Le malheur ( celui qui fait toujours le bonheur des petits malins ) va s'en mêler. Le 4 juillet 1947, la petite ville d'Hollister fête l'Independance Day, dignement en organisant une course de motos sur circuit. Les organisateurs vont être dépassés par l'affluence de motards, dont les fameux Boozefighters, venus de toute la Californie et parfois de très loin. Quatre mille jeunes sans structure d'accueil qui ne vont pas s'entasser sagement autour de la piste pour regarder le spectacle. Préfèrent s'amuser à faire des dérapages contrôlés dans la rue principale...

    Chaude ambiance, l'on s'amuse comme des petits fous, l'on boit, on crie, on chante, on danse, on se provoque, on brise quelques verres et quelques vitrines. L'ambiance reste désespérément bon enfant. Ce ne sont pas les barbares qui déferlent sur l'Empire Romain. La police tire sans conviction quelques grenades lacrymogènes, arrête quelques contrevenants et enferment quelques autres en cellule de dégrisement. L'on se débarrassera de la horde sauvage en lui faisant suivre un camion sur le plateau duquel l'on a installé un orchestre...

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    Les autorités ne sont pas mécontentes, tout est bien qui finit bien, elles sont prêtes à reconnaître et à minimiser leur faute, elles n'ont pas su prévoir le flot de visiteurs. C'est sans compter sur les deux journalistes du coin qui couvraient la compétition locale. Flairent la poule aux oeufs d'or, prennent quelques photos, croquent trois papiers avec titres à faire frémir les grand-mères et vendent le tout à Associated Press... Le scandale devient national avec l'entrée en jeu de Life Magazine...

    En une semaine, les motards sont promus au nom d'ennemis publics numéro deux ( faut pas exagérer les communistes gardent la plus haute marche du podium )... Et puis le mal se tasse... en 1948, les motards essaient de remettre cela le 4 juillet à Riverside, quand on a une réputation autant l'entretenir, mais c'est un pétard mouillé... Plus personne ne s'en souviendrait aujourd'hui si...

THE WILD ONE

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    … si à Hollywood Stanley Framer ne décidait de produire un film inspiré de ces péripéties hollisteriennes et d'une nouvelle de Frank Rooney intitulée The Cyclist's Raid parue en 1951 écrite à la suite des mêmes évènements. Stanley Framer n'est pas un inconnu il a entre autres produit Le Train sifflera trois fois qui fut reçu comme une dénonciation du maccarthisme et Ouragan sur le Caine. La deuxième partie de sa carrière sera beaucoup plus commerciale. Il abandonne dès la fin des années cinquante ses problématiques ambitieuses qui lui valurent davantage de bonnes critiques que de colossaux succès au box-office. Il semble que la chasse aux sorcières dans les milieux cinématographiques entre 1947 et 1953 l'ait incité à davantage de prudence avec l'establishment.

    Le film est réalisé par Laslo Benedek. Les studios refusent d'en faire un cheval de guerre. Série B en noir et blanc. Le budget ne sera pas pharaonique. Il sera en partie tourné dans la ville d'Hollister. Presque du réalisme socialiste ! Il débute par un texte appelant les citoyens à se mobiliser pour que l'histoire mise en scène ne se déroule pas à l'avenir dans leurs cités. Difficile de faire plus populiste putassier !

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    La sobriété du film servira son esthétique. Pourquoi de la couleur sur des blousons noirs ! Elle masquera aussi le jeu de Marlon qui n'en brante pas une. Le beau ténébreux se la boucle de ceinturon la plupart du temps. Se passe pas grand-chose non plus dans tout le reste du film. Une amourette – le chef de la bande elle a aimé - qui ne sera pas consommée et la mise à sac d'une ville qui toute proportion gardée ressemble plus à une gigantesque bataille de polochons qu'à massacre à la tronçonneuse.

    Bien sûr entre temps l'on a droit au théâtre d'ombre des marionnettes de la lâcheté habituelle – la ligue des citoyens vertueux qui ne valent pas le prix de la balle avec laquelle on devrait les abattre, le piège de la justice qui se referme sur l'innocent, un grand classique toujours d'actualité dans nos propres tribunaux nationaux, le flic au coeur trop grand pour son mauvais boulot – que des poncifs. Mais sacrément mis en scène. Dramaturgie parfaite.

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    L'accusé ne parle pas car il n'a rien à dire. Ne se sent ni coupable, ni responsable, du piège de la société dans lequel tout le monde est englué. Refuse de jouer son rôle. Toutes les contradictions sont ainsi mises à nu. Aucune ne sera résolue. Nos bikers de service s'en vont comme ils sont venus. Et la vie continue. Sans eux, comme avec eux.

REBELLE

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    L'incarnation du rebelle. Avec toute la panoplie : le perfecto, le jean, la moto : Triumph et Harley. Un beau choix. L'uniforme du parfait rocker. L'on n'a rien trouvé de mieux depuis. Mais attention nos rebelles 53 ne s'éclatent pas à écouter du rock. Nous sommes avant Bill Haley, c'est le jazz qui mène le jeu. Certes  des orchestres de danse pour public blanc ravi de s'encanailler, mais le rythme est là. L'on sent qu'il n'en faudra pas beaucoup pour trouver la note juste, juste un petit coup de guitare électrique. C'est déjà post-be-bop et proto-lula.

    Rebelle de quoi ? Que me proposes-tu ? Une question réponse qui sonne dix ans à l'avance  comme l'humour décalé si spécifiquement non-sense-british des Beatles. L'important n'est pas d'apporter une réponse mais de poser la question. Soixante ans plus tard l'on n'a pas avancé d'une roue ( de secours ). Génération après génération les jeunes sont toujours aussi mal à l'aise dans leur peau. Et le rock'n'roll est au pire un entertainment, quelques autres fois un   dérivatif – pour ne pas dire un soin palliatif - et au mieux une révolte trop souvent stérile qui dégénère en guerre de clans... Lorsque l'on ne peut pas faire de mal à son ennemi l'on retourne ses propres armes contre soi-même. Auto-mutilation suicidaire comme disent les précis de psychologie appliquée. L'imbécillité même, au sens étymologique du mot qui signifie faiblesse...

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    De toutes les manières, même lorsqu'il se pavane en moto, le rock est d'abord à l'intérieur.

                                    DAMIE CHAD.

   
THOM GUNN ( 1929 – 2004 )

    Ne dites pas que vous ne savez pas qui c'est. Si vous avez ne serait-ce qu'une seule fois fois fredonné dans votre vie In The Ghetto d'Elvis Presley, vous connaissez au moins une de ses oeuvres puisque c'est lui qui en écrivit les paroles.
    Soyez fier de vous car vous avez échappé au pire. La poésie de Thom Gunn est en général mille fois plus complexe que la ritournelle entonnée par votre chat des collines préféré. Mais on lui pardonne car il a été le premier des poètes reconnus par l'establishment universitaire à prendre publiquement fait et cause pour Presley dès 1957. Fallait un certain courage pour s'y risquer. Que la sauvagerie et la vulgarité de la musique populaire puisse être revendiquée par un intellectuel de haut niveau, admis dans l'élite intellectuelle du pays, a choqué. C'était une époque où l'on ne mélangeait pas encore le torchon du rock'n'roll avec les serviettes blanches de la poésie...
    Thom Gunn était un rebelle dans l'âme. En 1954, il fuit la pudibonde Angleterre pour la libérale Californie, il y restera jusqu'à sa mort en 2004. Homosexuel, ouvert aux expérimentations psychédélique avant l'heure, l'homme était aux aguets de ce vent de révolte qui commençait à se lever dans les States. Le texte que nous avons traduit est son poème le plus célèbre paru en son deuxième recueil en 1957. Les lecteurs de KR'TNT ne manqueront pas d'y discerner en filigrane la figure de Marlon Brando menant sa horde infernale vers d'inquiétantes aventures...
    Notre connaissance de l'anglais ne nous a permis que de vous offrir non pas une véritable traduction mais ce que l'on pourrait surnommer une tentative d'équivalence approximative. Nous l'avons fait suivre du texte original...
    A notre connaissance il n'existe pas de recueil de poésie de Thom Gunn traduit en français. Coupable négligence, car il suffit de lire quelques strophes pour s'apercevoir que c'était un homme libre qui a chevauché la moto de la poésie à des vitesses que beaucoup sont loin d'égaler. 

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Dans le mouvement : Mec, tu te dois de bouger !

Dans les buissons se faufilant le geai bleu poursuit
Quelque obscur dessein, mais l'envol d'oiseaux
A tire-d'ailes au-dessus du champ, les véloces hirondelles
Sont restées dans les arbres et les taillis,
Obéissant soit à leur instinct, soit à leur fatigue, soit aux deux à la fois,
L'homme se meut en une violence aléatoire
En la poussière soulevée par l'incertitude du monde
Ou selon le tonnerre émoussé des mots approximatifs.

Sur leurs motos, du fond de la route, ils se rapprochent
Minuscules, noirs, telles des mouches dans la chaleur de l'été, le Garçon,
Tant que le voyage les projette en avant, ils pétaradent
Des ronflements de tonnerre, sanglés de peaux de veau et de cuissards.
Derrière leurs lunettes, cuirassés d'impersonnalité,
En blousons brillants parsemés de poussière,
Le doute en bandoulière – le dissimulant, sous leur force -
Ils entrevoient presque un sens à leur vacarme.

L'exacte signification de leur vigueur
N'est pas encore définie ; mais de là d'où ils viennent
Ils chevauchent, vers là où leurs roues les emportent.
Ils effraient un vol d'oiseaux à travers les champs,
Car souvent ce qui est naturel doit être soumis à la volonté de puissance.
Les hommes façonnent, et la machine, et l'âme
Et se servent de ce qu'ils maîtrisent imparfaitement
Pour risquer un futur en bout de vieilles routes.

C'est une partie de la solution, somme toute
Nul n'est nécessairement sujet de discorde
Sur notre Terre, ou damné parce que, à moitié animal,
L' Homme manque d'instinct naturel,  car l'Homme s'éveille
Flottant sur la vague qui disperse et brise.
Dans un monde dévalué, l'Homme rejoint le mouvement,
Le chevauchant, jusqu'à ce que, à la fois jouet et joueur,
L' Homme se meuve aussi, en avant, en avant.

Une minute les réalise, eux qui sont venus pour partir :
Leur auto-dénigrement, à califourchon sur l'exigence de leur volonté.
Ils s'enfuient au loin, les villes qu'ils traversent
Ne sont des refuges ni pour les oiseaux ni pour la sainteté,
Car les oiseaux et les saints accomplissent leurs desseins.
Pour le pire comme pour le meilleur, l'Homme est en mouvement
Sans atteindre d'absolu en lequel se poser,
L'homme est toujours au plus près quand il ne reste pas en place.

 

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On The Move 'Man, You Gotta Go.'

 
The blue jay scuffling in the bushes follows
Some hidden purpose, and the gush of birds
That spurts across the field, the wheeling swallows,
Have nested in the trees and undergrowth.
Seeking their instinct, or their pose, or both,
One moves with an uncertain violence
Under the dust thrown by a baffled sense
Or the dull thunder of approximate words.

On motorcycles, up the road, they come:
Small, black, as flies hanging in heat, the Boy,
Until the distance throws them forth, their hum
Bulges to thunder held by calf and thigh.
In goggles, donned impersonality,
In gleaming jackets trophied with the dust,
They strap in doubt--by hiding it, robust--
And almost hear a meaning in their noise.

Exact conclusion of their hardiness
Has no shape yet, but from known whereabouts
They ride, directions where the tires press.
They scare a flight of birds across the field:
Much that is natural, to the will must yield.
Men manufacture both machine and soul,
And use what they imperfectly control
To dare a future from the taken routes.

It is part solution, after all.
One is not necessarily discord
On Earth; or damned because, half animal,
One lacks direct instinct, because one wakes
Afloat on movement that divides and breaks.
One joins the movement in a valueless world,
Crossing it, till, both hurler and the hurled,
One moves as well, always toward, toward.

A minute holds them, who have come to go:
The self-denied, astride the created will.
They burst away; the towns they travel through
Are home for neither birds nor holiness,
For birds and saints complete their purposes.
At worse, one is in motion; and at best,
Reaching no absolute, in which to rest,
One is always nearer by not keeping still.




LOOK BOOKS

CARENAGE. SYLVAIN COHER.
ACTES SUD. Mai 2011. 150 pp.

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    Moto, l'autre face du rock'n'roll. Born to be Wild. Laissez tomber. Sylvain Coher a fait trente-six métiers. Mais il n'est ni rocker ni motard. Remarquez qu'il a l'instinct. Triumph. A chacun sa marque. Pas le logo. Mais ce qui griffe. Tatouage de la mort à même la peau. Pas très loin autour. Un espace mobile, qui se déplace, jamais plus loin que le devant de la roue.

    Pas trop de place par derrière. Un peu sur le fin bout de la selle. Passagère. Vite débarquée. Anton n'épouse que sa propre vie. N'habite que dans sa peau. De cuir. Telle la bête. Lâchée uniquement la nuit. Au petit matin. L'essentiel et l'absolu. A réduit le reste du monde des autres au néant. Rien n'existe que cette terrible solitude de l'homme et de la machine.

    Sauf l'intruse qui s'est immiscée par effraction dans cette vie d'anachorète qui s'aperçoit qu'il n'y a rien à voler. Un point de ralliement autour duquel l'on se contente de tourner pour le transformer en point de non retour à soi-même, alors même que l'on revient dans le carénage exigu de sa cellule. Afin d'oublier que cette vie ne vaut pas la peine d'être vécue.

    A part ces heures de froid délire aux commandes  de la mort. Guidon comme ces cornes de taureau que l'on a empoignées et qui ne deviendront mortelles qu'au moment où on les relâchera. Car la bête rue aussi fort que le bête rut.

    La lointaine Leen mouille sa culotte. Seul le silence est grand. Que rajouter à cela sinon d'aller dans l'absence de l'enfance, trop tôt disparue, caresser la mort une dernière fois avant qu'elle n'ait tout emporté. L'homme et la moto. La jouissance est au-delà du sexe. Et peut-être même au-delà de la mort.

    Méta-moto. Sans le cirque et la panoplie qui obscurcissent la donne. Plutôt Wild to be born ! Pas de frime. Juste le crime de soi-même. On the road again !

                                Damie Chad.







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