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16/09/2010

KR'TNT ¤ 13

 

KR'TNT ¤ 13

ROCK'N'ROLL CLANDESTZINE FLYER / N° 13 / 05 / 12 / 2009

A ROCK-LIT PRODUCTION

 

STORY OF A ROCKER

 

THE STORY BEHIND HIS SONGS. THIERRY LIESENFELD.

592 pp. Septembre 1992.BLUE GENE BOP.

 

Monumental pavé. Plus de 500 pages en format A4. J'ai longtemps rêvé de le posséder, j'ai fini par le trouver sur le Net. Il fut bien annoncé en son époque,ne serait-ce que sur Rock'n'Folk, mais jamais sans mention d'adresse... à chacun de se débrouiller, comme il pouvait. Du fond des lointaines provinces pas la moindre chance de tomber sur un dépôt en librairie !

 

Cessons nos jérémiades et inspectons le pachyderme. Ecrit par un français, mais en langue anglaise ! Comme si les fans anglais, américains ne pouvaient à leur tour, pour une fois, apprendre à se débrouiller in french language. D'autant plus, que plus de la moitié du bouquin se retrouve par la logique interne de son propre sujet écrit, en anglais !

 

En effet le livre est le genre de petit bijou, pardon de gros joyau dont vous avez toujours rêvé : la collection complète des lyrics de tous les morceaux enregistrés par Gene Vincent, entre 1956 et 1971. De quoi rendre malade tous ceux qui ont passé des nuits à surfer sur la toile pour réaliser sa précieuse anthologie personnelle. Avec en prime, sur la page précédent un tableau récapitulatif qui vous synthétisent les principaux renseignements : date d'enregistrement, numéro de matrice, numéro de la session, musiciens, instruments, la répartition des soli, les numéros des publications originales, disques et CD, bref de quoi croire au Pére Noël.

 

Il y a même son traineau garé juste au-dessous : compositeur (s) et parolier(s) avec rapide historique sur les gugusses, plus, si nécessaire, l'historique des versions enregistrées avant Gene et la liste des reprises post-Gégène. Y-a plus qu'à déguster tout chaud ! J'oublie les bonbons au chocolat et la dinde : des photos partout et des coupures – myopes, n'oubliez point vos lunettes - de journaux d'époque ! Rassurez-vous, Thierry Liesenfield n'a pas poussé le vice jusqu'à traduire en anglais, les articles empruntés aux revues françaises. Enfin pour les mécontents, si par hasard ils existaient, plus de cents pages de discographie des USA à la Corée, agrémentées de quelques reproductions de pochettes.

 

Rare plaisir que de lire les morceaux de Gene, les uns à la suite des autres, classés dans l'ordre chronologique. L'on a l'impression à les parcourir d'entendre les démarrages de Gene au début de chaque couplet. C'est un jeu de réminiscences musicales incessantes qui devient vite captivant. Et puis ces découvertes, la plupart du temps d'une simplicité désarmante, des strophes ou des lignes qui à l'écoute nous apparaissaient d'une totale opacité baignent subitement dans la clarté de leur évidence ! Qu'avons-nous été idiot de n'y avoir point pensé !

 

C'est que les lyrics de Gene ne s'apparentent point à la prodigieuse richesse des poèmes d'Edgar Poe. Désolé de le dire, mais la profondeur métaphysique n'est pas leur principale qualité. On ne s'enfonce pas plus profond que quelques contacts épidermiques avec de belles et fofolettes jeunes filles. Il nous étonne d'ailleurs que la pudibonde Amérique d'aujourd'hui n'ait pas jugé utile de renouveler l'indexation pour pornographie pédophilique des textes de nos premiers rockers. Rappelons-nous combien en leur temps Jerry Lee Lewis et Chuck Berry payèrent un lourd tribut pour leurs dérapages existentiels à l'encontre des bienséances presbytériennes. Vincent lui-même qui chantait les teens à tire-larigot, lors des soirées qui suivaient les concerts, se méfiait le l'âge des féminines fans qui s'en venaient toquer à la porte des chambres des musiciens...

On ne cherche pas la quadrature du cercle dans les textes de Gene Vincent, mais un endroit où danser, pas plus, loin si possible, que la prochaine rue où se déroulerait une party. Mais ce n'est pas ce que l'on dit qui est important, mais la manière dont on le dit qui fait sens. Et Gene avait le génie de vous balancer ses rock'n'roll bluettes aussi innocentes que des coups de poignard dans le dos, aussi brutales que des bastos dans le crâne, au fond du coeur, là où ça fait mal. L'on ressort rarement intact d'une véritable écoute de ces pépites d'or alchimique que sont les chansons de Gene. Tout l'art de Gene résida en cette étrange qualité de substitution que son chant opérait.

 

Donniez-lui une romance insipide, il vous la transformait en ballade-rasoir encore plus meurtrière qu'un sabre-laser. Quant aux tubes plus enlevés, il vous en faisait des bazookas d'apocalypse. Et toujours avec une telle facilité déconcertante que la légende court encore, cinquante ans après, que les enregistrements de 56 n'eurent qu'une prise ! Les interprétations de Vincent sont si éblouissantes qu'elles semblent définitives. Vincent a toujours eu l'intelligence innée du rock. Il a compris cette musique au moment même où il en définissait, avec quelques autres, les canons. Gene ne chante jamais d'instinct, comme Presley à ses débuts, mais en maître accompli, qui dès la première mesure, pose non pas la pierre fondatrice, mais sommitale et fondamentale, qui couronnera l'édifice qui n'est pas encore sorti de terre.

 

Ce qu'il y a de terrible avec Vincent c'est que la précision du phrasé ne vient pas du vers mais qu'elle est articulée selon chaque mot qui devient en lui-même une entité sonore. Autrement dit le son prédomine sur le sens qui se trouve ainsi recréé comme après coup par la juxtaposition de chaque vocable si clairement identifié par la diction. Pour l'auditeur chaque syllabe – et l'anglais est fortement monosyllabique du fait même de sa prononciation – est une explosion sonore en elle-même – dont il se doit d'apprécier la justesse de ton et la vitesse d'exécution, si bien que, autant pour Vincent que pour l'auditeur, le texte est avant tout un objet de virtuosité technique qui vise autant à démontrer la vélocité élocutoire de l'artiste qu'à fasciner de sa maestria l'auditoire rapidement conquis. Notons que le jeu de guitare de Cliff Gallup se prêtait admirablement à la plasticité vocale de son lead singer. Celui qui écoutera, par exemple comment dans son Pistol Packin' Mama, Al Dexter nous narre un désopilant scénario et comment Gene Vincent s'amuse à prononcer les mêmes mots de la même histoire avec une telle rapidité démoniaque qu'ils en arrivent à n'être plus qu'une prouesse sonore dont on ne peut plus se détacher, si ce n'est en se mettant à notre tour à les fredonner a capela.

 

Si les paroles de Vincent ne racontent rien d'intéressant, c'est qu'elles sont conçues avant tout, comme un bibelot phonique plastiquement destiné à s'entremêler à part égale dans la trame instrumentale de l'orchestre. Il est sûr que dans la deuxième partie de sa carrière, Gene sera gêné par le fait de ne plus posséder de groupe stable et attitré. Sur scène, lors de certaines tournées, notamment la dernière française, le handicap a pu se révéler catastrophique. Mais l'on remarquera comment sur ces cinq derniers 33 T Gene a su adapter sa diction à des styles d'orchestration très différent. Même si incidemment la voix est parfois brisée par excès d'alcool et de mal-être.

 

Cette facilité due en partie à une étroitesse congénitale du palais, n'a pas été sans conséquence sur le choix des morceaux enregistrés par notre rocker qui était capable d'avaler et de recracher n'importe quelle mixture sonore avec un maximum d'efficacité talentueuse. Certains avancent que si Vincent n'a jamais été le gros vendeur de disques qu'il aurait dû être, cela tiendrait à ce que le public était désorienté de trouver sur un même disque un uppercut aussi percutant qu'un Pink thunderbird et une ballade aussi génialement géniarde qu'un Peace of mind. Nous avouons nous-mêmes que l'amplitude est des plus surprenantes. Mais nous préférons y voir, le même phénomène se retrouve aussi sur les disques d'Elvis Presley ( voir la différence entre un Jailhouse rock et un I need you, I want you, I love you ) la distinction qui sépare la musique blanche d'origine européenne de la musique noire de provenance africaine. Pour un Chuck Berry ou un Little Richard, les racines blues ont égalisé en amont les différents tempos de la musique. Pour le rock blanc, il faudra attendre la génération suivante de chanteurs pour que – justement sous l'influence du blues – l'héritage populaire des différents folklores rejette dans les coulisses de la production de masse le courant perverti de la musique savante abâtardie sous forme d'ersatz sous-culturels de basse-consommation tels que dans les grandes villes de l'Union, l'industrie du spectacle de Tin Pan Alley les avait déjà aseptisés.

 

Autre exemple : d'un Have Lately told that I love you à un Summertime blues d'Eddie Cochran, nous passons encore une fois d'un registre à un autre. Nous pouvons donc nous interroger sur les critères de choix des chansons des plus grands rockers blancs. Tout en comprenant que sur ce plan-là, Vincent n'était pas plus avancé que ses principaux congénères blancs. Nous aborderons cette épineuse question dans un prochain KR'NTNT ! Remarquons toutefois avant de nous quitter que comme par hasard si Jerry Lee Lewis s'en tire mieux que ses acolytes, sans d'ailleurs y échapper entièrement, c'est que grâce à son pumpin' piano il se tient au plus près des country roots !

 

DAM CHAD.

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