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30/11/2016

KR'TNT ! ¤ 305 : SERATONES / PEURS SECRETES / WILLIGENS / CRASHBIRDS / KOMIKS KRONIK / POP MUSIC ROCK

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 305

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

01 / 12 / 2016

SERATONES / PEURS SECRÊTES / WILLIGENS

CRASHBIRDS / KOMIKS KRONIK

POP MUSIC ROCK

Le 106. Rouen (76). 15 novembre 2016
SERATONES


Que sera sera Seratones

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Elle s’appelle AJ Haynes. Retenez bien ce nom, car on va certainement beaucoup parler d’elle. Cette petite black rondelette est une véritable boule de feu. Elle a tout ce qu’une star peut désirer : l’énergie, la présence, LA VOIX, le sens du contact et un groupe excellent derrière elle. Il ne lui manque qu’une seule chose : la taille. AJ mesure 1,50 m. Elle est en plus un peu boulotte et ne fait rien pour arranger les choses car elle se pointe sur scène en short moulant et en santiags. Pas très élégant, en effet. Mais ça nous permet d’admirer un énorme gator tatoué sur la cuisse gauche. Elle a aussi les épaules couvertes de tatouages, comme Ciara Thompson des Buttshakers, et elle shake le shook avec le même chien que Lisa Kekaula.

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Eh oui, par moments on croit rêver, on croit entendre les BellRays de la première époque ! Les Seratones sont capables de jouer «Kick Out The Jams» en rappel, et depuis celle des Nomads, c’est la version la meilleure, c’est-à-dire la plus explosive, qu’on ait pu entendre ici bas. Wow ! - And I want to kick em out ! - Extraordinaire ! C’est comme si le rock qu’on aimait bien revenait avec tout l’éclat de sa candeur originelle. AJ est tellement dans son truc qu’elle pue l’intégrité à vingt lieues à la ronde. Il suffit juste de la voir gratter sa guitare, il suffit de la voir descendre dans la fosse pour aller chanter avec les gens. Elle réincarne cette vieille candeur du rock qu’on croyait perdue depuis que le m’as-tu-vu règne sans partage en ce bas monde.

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On finit par n’aspirer qu’à ça, au retour d’une forme de fraîcheur et de spontanéité, cette fraîcheur qu’on retrouve chez Tav Falco et Little Victor, chez Baby Woodrose et Bevis Frond, chez Robert Pollard ou Frank Black, celle qui émanait autrefois de groupes comme Redd Kross et les Laughin’ Hyenas, des gens incroyablement doués qui avaient l’audace de sortir des sentiers battus pour aller taquiner les muses du rock. AJ Haynes et ses amis font partie de ce monde-là. Ils regorgent de talent, d’énergie et de son.

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Sur scène, la petite AJ explique rapidement que son groupe vient de Louisiane (Shreveport, pour être exact, hometown d’Hank Williams et de James Burton). Matthew Johnson les a repérés et leur premier album est sorti sur Fat Possum, un label qui fut jadis spécialisé dans le North Mississippi Hill Country Blues. Le guitariste des Seratones s’appelle Connor Davis. Il faut l’avoir à l’œil car sous un faux air de hippie, il est capable d’allumer autant de chandelles que Joey Santiago. Il triture des ambiances à longueur de temps et lorsqu’il faut sortir la grosse artillerie des power-chords, il est au rendez-vous. Il est ce qu’on appelle un guitariste omniscient. Il reste actif de bout en bout et veille à la constance des incandescences. De l’autre côté, un nommé Adam Davis joue sur une basse Rickenbacker et, si elle n’était pas déjà prise, la palme pourrait revenir au batteur, un roukmoute barbu qui porte un nom d’ange : Jesse Gabriel. Il réussit ce que peu de batteurs savent faire : la powerhouse à la Jerry Shirley, mais subtile et déliée au poignet.

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Malheureusement, le club du 106 est loin d’être plein. Dommage pour ceux qui ratent un tel concert. Les Seratones jouent bien sûr tout leur album, en set court, ramassé et pour le moins fulgurant. Les petits travers prog qu’on pouvait reprocher à l’album lors d’une pré-écoute se volatilisent complètement sur scène. Comme ils jouent tout à l’énergie, les cuts passent en force et comme le groupe est bon - mais bon au-delà de ce qu’on peut espérer - ça tourne vite à l’énormité. AJ Haynes fait ce qu’elle veut de sa voix. Elle fait partie des shouteuses qui savent poser une voix à la surface de la fournaise. Elle n’est jamais couverte, au contraire, elle mène sa meute. Fantastique petit bout de bonne femme. Il faut l’avoir vue se dandiner. On dirait une gamine folle de joie à l’idée de jouer pour un public. Aucune trace de pathos chez elle. Rien que du pur jus.

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Le conseil qu’on peut donner, c’est d’aller voir les Seratones sur scène avant d’écouter leur album. C’est un peu comme si la scène mettait les cuts en lumière et qu’on retrouvait ensuite cette lumière sous le casque. On note au passage que Jimbo Mathus produit ce fabuleux premier album intitulé Get Gone. Dès l’ouverture du bal, on prend le son des early BellRays en pleine poire, avec «Chokin’ On Your Spit», une abomination cisaillée et grandiose à la fois. AJ monte directement dans le ciel. C’est aussi le cut avec lequel ils démarrent leur set. On a là-dedans toute la puissance et l’énergie qu’on peut attendre d’un cut de rock. C’est même du sans pitié qui explose les cadres de référence. Ça grouille de vie et Connor Davis passe un solo démentoïde.

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Voilà ce qui s’appelle planter le décors. La fête se poursuit avec «Headtrip», un stomp flamboyant de la Louisiane. AJ ouvre l’horizon comme si elle ouvrait les bras, elle détient ce pouvoir surnaturel. Elle pose sa voix sur le plateau d’argent de la légende du rock. Pour le lapin blanc, c’est une bénédiction. Elle perce la clé de voûte, elle éclate le toit du monde, c’est une éruption volcanique faite femme, elle crache de la beauté à jets continus. Quelle puissance extraordinaire ! C’est à ne pas croire. Même sur un balladif comme «Tide», elle se situe en tête de gondole à Venise. On dirait Grace Slick, même timbre et même côté saute-au-paf des barricades. Elle développe continûment ses immenses volutes de puissance. C’est un bonheur que de voir une chanteuse comme AJ sur scène, je vous le garantis. C’est un prodige de vitalisme impénitent. Cette femme n’est pas très belle mais elle devient plus belle encore que les actrices connues qui sont loin d’avoir son talent. S’ensuit un «Chandelier» joliment sonné des cloches de Jericho. Elle attaque son blitz avec une niaque digne de celle d’Aretha - You can take your time - C’est atrocement bon et Connor Davis baigne ça dans une singulière ambiance guitaristique. Ce genre de cut dégage toute la mauvaise herbe du m’as-tu-vu. «Sun» est le numéro deux de la set-list, bon choix, car voilà encore un cut explosé du bulbe par l’infernal Connor Davis. C’est chargé de son jusqu’à la gueule, comme on le dirait d’un canon de flibuste - You can sing it anyway you like it - Diable, comme ces gens-là peuvent être brillants. Grâce aux Seratones, le rock a encore de beaux jours devant lui. Ils surfent sans encombre à la surface de l’underground. Ils sont terrifiants d’efficacité. En écoutant «Sun», on revoit les cuisses potelées d’AJ twister le hot rock de la Louisiane. Ils prennent ensuite le morceau titre au heavy doom de Shreveport, elle pousse des ouh-ouh qui évoquent ceux de Katie Jane Garside. C’est à la fois heavy et génial. AJ monte au pire chat perché de l’univers. Elle extrapole le rock sans le vouloir. Le festin se poursuit en B avec «Trees», le dernier cut du set, bien énervé et même beaucoup trop énervé, joué à fond de train, bardé d’une ramalama d’accords dignes de ceux du MC5 et traversé de part en part par un cruel solo de trash killer. AJ amène ensuite «Kingdom Come» au chat perché qu’elle agrémente d’un hé hé hé de rigolade spontanée, histoire de montrer qu’elle est parfaitement à l’aise. Elle gratte encore sa guitare sur ce cut haleté et intrinsèque, mais attention, avec «Don’t Need It», ça repart de plus belle. Connor Davis balance un riff néandertalien et c’est repris à la beatmania frénétique. AJ entre là-dedans à la manière d’Aretha, oui, comme dans du beurre, et paf, elle explose tout. Elle shoute des ouh-ouh exceptionnels, oui, elle peut se prévaloir de l’apanage de la shoutabilité, aucun problème. Pur génie ! On ne peut pas résister à un coup pareil. Le solo n’en fait qu’à sa tête et se damne tout seul pour l’éternité. AJ s’installe dans l’ampleur maximaliste avec «Take It Easy» - Take it easy one me - Elle pose bien son me. Ces gens-là se situent très largement au-dessus de la moyenne.
Sur scène, les Seratones jouent deux cuts dramatiquement bons qui ne figurent pas sur cet album : «Brainwashed» et «Necromancer». Espérons les retrouver sur le deuxième album et allons brûler un cierge à Notre-Dame-de-Lorette.


Signé : Cazengler, sert à tout


Seratones. Le 106. Rouen (76). 15 novembre 2016
Seratones. Get Gold. Fat Possum Records 2016
Sur l’illusse de gauche à droite : Connor Davis, AJ Haynes, Jesse Gabriel et Adam Davis

MONTREUIL / 24 - 11 - 2016
LA COMEDIA MICHELET


PEURS SECRETES / WILLIGENS
CRASHBIRDS

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L'on ne peut se fier aux organes de reproduction. Rassurez-vous je parle des objets technologiques de guidance directionnelle. Me voici obligé de traverser Montreuil à pied faute d'une défaillance précisitive. Pas grave, je ne regrette pas ma soirée. Maintenant, soyons clair, la Comedia Michelet ce n'est pas la Comédie Française, question standing, car pour les intervenants, c'est foutrement plus sympathique. Cherchais le numéro 42, et y serai passé fièrement passer devant si dans l'entrebâillement d'une porte je n'avais point entraperçu une silhouette typiquement rock'n'roll, blouson noir et look punk destroy. A deux l'on a du mal à contenir dans l'espace de sas qui sert de couloir. Ma diabolique et prodigieuse intelligence proverbiale me permet de détecter la poignée d'une porte, il était temps car voici qu'un troisième larron s'en venait squatter notre terre d'accueil surpeuplée.
Participation libre. Telle une ombre errante parvenue sur la rive du Styx je me hâte de jeter mon obole dans le récipient que le nocher du lieu me tend avant de me laisser fouler ce territoire sacré et néanmoins infernal du rock and roll. Comptoir sur ma gauche, stand de disques et de BD sur ma droite. Pour les BD voir plus loin, pour les scuds, le stand Crashbirds vous présente aussi ses T-shirts, très classes, et tout à côté un bel assortiment de pochettes punkoïsidales des plus démentes.
Deux grandes salles, un comptoir aussi long qu'un porte-avions, une estrade à musicos reléguée dans un coin, des murs tapissés d'affiches de concerts, de larges étagères croulant sous les livres rendues inaccessibles par deux rangées de chaises, et puis du monde. Une faune incroyable. Une collection d'individus à part entière, destins brisés et squales des eaux profondes, des punks, des rockers, des étudiants, des habitués, des anglais de passage, des excités et des amorphes, de jolies minettes, et des chiens affolés par le bruit. Un cocktail explosif. Mais non, sourire, gentillesse, respect de tous les bords. Ici l'on vous prend pour ce que vous êtes. Pas d'école, pas de chapelle. Accepté d'office. L'on ne vous demande rien. Vous offrez ce que vous voulez.


PEURS SECRETES

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Voudrais pas vous faire le coup de Jean-Paul II, mais n'ayez pas peur. Pas le style de groupe fleurs carnivores la guitare entre les dents, genre cool qui ne se prennent pas pour des superstars. Leur installation est un spectacle à elle toute seule. Pas pressés pour deux sous. Un regroupement hétéroclite de personnalités, un batteur style père tranquille qui s'aperçoit qu'il a oublié de brancher sa batterie électronique, un bassiste à la dégaine de vieux rocker qui a tout connu mais qui dispose soigneusement ses tablatures hiéroglyphiques à ses pieds, un jeune organiste fou qui ne parvient pas à scotcher le nom du groupe sur l'armature de son Roland, et un guitariste qui déroule pendant vingt minutes un longue promenade de guitare si absorbé dans son jeu, malgré un sourire narquois adressé en permanence à ses co-équipiers, que l'on pourrait se demander si le concert n'a pas débuté. Mais non, il s'interrompt pour la balance. L'en manque toujours un, celui justement que le gars à la console aimerait entendre, pas d'affolement il vadrouille quelque part dans la salle. Enfin sont là tous les quatre. Un petit bout d'essai et c'est parti... pour un faux départ. Le chanteur rappelle l'organiste à l'ordre, non, on ne présente pas le groupe tout de suite. D'abord un instrumental, et puis la présentation. On aura droit à l'instru, mais ils squeezeront la présentation...
Avec cette équipe de bras cassés, vous vous attendez au pire. Et bien, pas du tout. C'est parfaitement en place et l'ensemble folâtre joliment sur les aires d'un rock'n'roll joyeux et plus réflexif qu'il n'y paraîtrait. Peurs Secrètes : un façade de fausse insouciance dans un monde qui va mal. Gab sous son chapeau est à la guitare et au micro, prend le temps de présenter les morceaux Profil Bas, celui que l'on adopte devant le chef de service qui vous crie dessus, si ce n'était pas l'état pitoyable de votre porte-monnaie vous le pousseriez volontiers par la fenêtre du quinzième étage. Mais non, il ne faut pas céder à la haine. Ce sera le thème de Requête. Je veux bien l'entendre philosophiquement, mais en pratique perso je préfère le Kick out the Jams des MC 5.

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Devant la scène le public s'éclate. Celui qui me surprend le plus c'est le batteur, autant avant le set il avait l'air à vingt mille lieues sous les mers, autant maintenant il frappe dur et juste. La basse est des plus simples, la même note ressassée jusqu'à outrance mais propulsée parfaitement, des ondes rondes et noires, bienveillantes. Se débrouille à la guitare, Gab, une sonorité claire et rampante à la fois. Sera à plusieurs passages chaleureusement applaudi. Mais c'est déjà la fin. Le chant des sirènes. Pas l'usine qui vous appelle pour rempiler sur votre poste de torture. Celui-là est beaucoup plus fun. La modulation que produit la gent féminine lors de ses instants de plus grand bonheur. Ce ne doit pas être du réalisme sonore, car pour moi, je ne reconnais pas. Le band émet une sorte de ronronnement rapide tel un matou grasouillou qui dort sur le canapé à côté de son écuelle de canigou vide. Agréable à entendre, mais peu ressemblant. Du moins si j'en juge d'après mes pauvres expériences personnelles. En tout cas, ces sirènes ont charmé les filles qui virevoltent et s'envoient en l'air un sourire radieux aux lèvres (supérieures ) sur ce qui s'avèrera être le dernier morceau du répertoire.
Nous ont pas donné le secret de la peur. Mais du bon temps qui roule.

WILLIGENS


Normalement je n'aurais pas dû en parler. Que venaient-ils faire au milieu de cette soirée rock and roll ? Je ne suis pas sectaire, mais je n'aime pas le reggae, ni le dub. Ni tout ce qui y ressemble de près ou de loin. Oui mais ils ont assuré. Un organiste qui lasure un max, un percussionniste qui sait se faire remarquer, et le reste – basse et batterie - à l'avenant. Et puis Thibaut Willigens à la guitare et au micro. Mettent une ambiance du tonnerre. Des filles qui n'arrêtent de danser et des garçons qui hurlent. Un dernier morceau particulièrement bien enlevé, maîtrisent parfaitement leurs instruments, pour un peu cela aurait pu être du rock. Mais ne rêvons pas. Arrêtent au bout de huit morceaux et malgré les pressentes réitérations du public qui avalerait sans problème une lampée de plus, ils se dépêchent de libérer la scène pour Crashbirds. Se fait tard et les concerts doivent se terminer à vingt-trois heures. Les honnêtes travailleurs du quartier doivent impérativement reprendre les forces qu'ils immoleront sitôt le jour levé au dieu de la production et de l'exploitation capitaliste.

CRASHBIRDS

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Montagnes russes. Passer du fun dub au crash rock'n'roll, la chute risquait d'être brutale. J'étais l'oiseau de mauvais augure. Pour le public de la Comedia on ne fait pas un drame de ce genre de faribole, tant que la musique est bonne et que le rythme vous emporte, pas de problème. If my baby quits me, l'hypothèse du bon Doctor Feelgood met tout le monde d'accord en moins de cinq minutes. Faut avouer que les Crashbirds sont particulièrement en forme ce soir. Un long moment à attendre pour sortir du nid et déployer leurs ailes les a boostés à mort.

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Pierre Lehoulier. Une guitare et trois pantoufles sonores qu'il a bricolées à la maison, à la manière des inventeurs fous. Avec ce bagage minimal, l'est sûr de lui, se sent capable d'aller au bout du monde. Sérénité absolue. Assis sur son chaise tabouret, avec sa barbichette grisonnante sous le menton, ses yeux mi-clos, dont on ne voit que le blanc lorsqu'il se penche en avant pour marquer le tempo, l'a l'allure d'un moine bouddhiste, d'un sage en méditation, perdu depuis huit jours dans la contemplation d'un pétale de fleur de cerisier, alors que ses mains font mécaniquement tourner mille moulins à prières. Erreur d'optique, achetez-vous des lunettes et un sonotone. C'est une ruse. C'est le plus féroce de tous les moines shaolin, ce qu'il tient entre ses mains n'est pas un bâton de sagesse mais une guitare sabre. L'entaille les riffs comme l'on tranche la tête de ses ennemis, d'un coup sec mais en prenant garde à ce que l'agonie dure un peu, le sang des notes dégouline le long du manche. Vous scratche le blues sans une seconde d'hésitation. Impitoyable, donnez-lui un simple anatole de trois accords et il vous l'étire, vous l'étripe, vous l'éventre comme le lapin que vous désirez manger à midi. Opère en pleine lumière, et tous les yeux sont fixés sur cette main qui remonte en miaulant tout le long des frettes.

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Âmes sensibles après cet écorçage, cet écorchage des vieux patterns du blues qui n'arrêtent pas d'exsuder leurs cris de souffrances, sans doute avez-vous besoin d'un peu de présence et de tendre douceur féminine et vos regards se portent sur Delphine Viane. Beauté parfaite, mais ne répondant nullement à ce que vous attendiez et souhaitiez. Crinière de feu, long corps d'immarcescible blancheur gainée de vêtement noirs qui la grandissent encore plus. Fière et altière. Une guerrière. Redoutable. Une héroïne de roman  fantasy, un port étincelant de déesse, un visage aussi envoûtant qu'un portrait de Dante Gabriel Rossetti. Fascinante, son corps épouse la forme ondoyante des jeunes bouleaux que les vents du septentrion enlacent des serpents de leurs bras invisibles. Attirante. Ensorcelante. Modérez vos ardeurs. Chaque fois qu'elle laisse retomber ses mains sur sa guitare, vous ressentez l'effet d'une vitre qui entaille votre chair. Mais ce n'est rien. Son secret et son mystère résident dans sa voix. Pousse des cris mélodieux, du givre qui vous transperce tout en stimulant ces océans de force qui dorment au fond de vous. En joue, s'en amuse, monte haut, et lorsque le public tente de l'imiter, elle fuse encore plus loin, et vous contemple de l'air moqueur de l'aigle qui dans les nuées contemplent les blaireaux qui rampent sur la terre.

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Couple infernal. Se sont partagés les rôles. Lui il s'occupe du reptile du blues lui fait une incision sous le ventre et puis lui arrache la peau tout du long. Et elle elle torrée le taureau du rock. L'enveloppe dans la cape de ses cordes vocales, l'assomme de véroniques exaltées jusqu'à ce qu'il s'effondre sous ses yeux amusés. I Want to Kill You, Hard Job, No Mercy, Someone to Hate, ne dites pas qu'ils vous prennent par surprise, les titres sont des déclarations d'intention qui se passent d'explications. Et la foule aime ça. Faut entendre les exclamations d'extase qui suivent Dead City de l'Iguane.

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Onze heures sonnent. L'heure fatidique de ranger le carrosse de killer Cinderella, mais non, c'est trop beau, c'est trop bon, et c'est le patron lui-même qui fait signe de continuer. S'engouffrent dans la brèche temporelle, et ce n'est qu'une heure et quart plus tard que le feu d'artifice devra stopper. La foule arrête d'onduler et gémit. Fusent suppliques et implorations, mais non, this is the end. Quelle fête ! Quel plaisir ! Quels magiciens ! Se sont emparés de nos cerveaux et l'ont pressée comme une éponge pour en expulser toutes les scories et nous l'ont rendu gorgé du sang du blues et de la lymphe du rock.

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( Photos FB : Hubert Bonnard )


Damie Chad.

 

KRONIK KOMICKS
Octobre 2016 / N° 13 / SPECIAL HORREUR

 

LUCAS DE GEYTER / AURELIO / CHRISTOPHE SENEGAS / NED / BEUH / PIERRE LEHOULIER / EL PRIMATE / CAMILLE PULL / GROMAIN / TOKI / PAT PUJOL / JOKOKO / SYL & LENTHE CHRIS / MELI & FAT MAT / VIRGINIE B / TUSHGUN / KEN MALLAR / MINI TRAILLETTE / KIK / BENJO SAN / GWEN TOMAWHAWK / JEANNE SMITH / TAGA / GOME.

Retour au stand BD à la Comedia Michelet. Pas par hasard qu'ils soient présents en cet antre que l'on pressent ouvert à toutes formes de Kultur Underground. Spécialement en cette soirée Crashbird puisque Pierre Lehoulier, outre sa fonction de guitariste chez nos zoziaux avec qui la vie n'est pas du tout cuit-cuit est aussi artefacteur de bande dessinée.

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Présentation du numéro 13, cent vingt quatre pages couleur, papier glacé, format B5. Parution semestrielle. Derrière le magazine grouille un monde informe, une association d'artistes et créateurs renforcée d'un collectif d'intervention d'une douzaine d'auteurs. Le mieux est d'aller faire un tour sur leur site www.kronickomick.com qui vous présente les différentes activités de cette bande d'énergumènes et vous permet de voyager dans les blogues et les sites des différents artistes. De quoi s'en mettre plein les yeux et de passer quelques heures agréables.
Une vingtaine d'auteurs qui oeuvrent selon un même esprit. Crazy gore. Sexe et parodie. Un esprit déjanté à la Cramps. L'on cherche le rire, l'on provoque le dégoût, l'on glousse jaune, l'on gloupse vert. Humourglobine à toutes les pages. Vomissures et ricanures. Critique sociale de notre monde de chacals. Mais à vous d'opérer les transferts nécessaires. L'on est loin de la grosse rigolade gratuite. Faut gratter le sang séché et passer la serpillère sur les flaques fraiches pour sentir et humer le noir du désespoir derrière les gros bouillons floconneux du magenta.
Punk Kritik de la folie pure de notre univers. L'absurde soudoie les conduites humaines qui cherchent une transcendance à leur délire. Les intentions sont bonnes et motivées par les baudruches de nos idéaux. Mai le gâteau se dégonfle aussi vite qu'il monte en pâte. L'horreur est horrible parce qu'elle fait rire. Farces burlesques qui tournent mal. Rêves brisés qui déjantent salement. Comédies politiques et tragédies existentielles. Aux imbéciles les mains pleines, de sang. Surtout et de préférence le leur. L'art de rire compris en tant que manuel d'auto-dérision. D'auto-mutilation persuasive. Scartologiphilesque. Rien ne vous sera épargné. Ne venez pas vous plaindre. Si vous ouvrez cela, c'est que vous aimez déjà. Que vous n'avez aucune objection à opposer à l'abjection représentative de vos phantasmes mous. Correspondent trop à des fragments de la réalité triviale qui vous phagocytent pour qu'ils aient acquis la fermeté de ces certitudes intérieures que rien ne saurait effriter. Ne l'oubliez pas l'horreur est avant tout dans le champ de ruines de votre tête. Si vide et si mal faite. Trois fois hélas !
Faites gaffe. Le rire est une issue de secours. Vous l'employez comme une soupape de sécurité. Vous pensez trouver une porte de sortie, un sas de fuite, qui vous permette d'échapper à l'insupportable mais l'orifice est bouclé. Tripe anale fermée à triple tour. Le cul du monde est bouché. Où que vous portiez vos pas, vous pataugez dans la merdouille. La marée diarrhétique vous englue dans le pays de l'horreur tiède. Vous y êtes au chaud comme dans le ventre de votre maman. Position foetale du lecteur qui suce son pouce plein de merde. Ne vous récriez pas, c'est la sienne. C'est la vôtre. Le rire est une cacatharsis.
Un petit défaut. Economique. Indépendant de la volonté collective. Toutes ces participations demanderaient le format tutélaire d'un véritable album. Les images n'en seraient que plus trash. Le rire que plus cruel. Et le mufle de l'horreur n'en paraîtrait que plus bêtement horrible.


Damie Chad.

POP MUSIC ROCK

PHILIPPE DAUFOUY & JEAN-PIERRE SARTON

( Editions Champ Libre / 1972 )

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Un vénérable diplodocus. Quand il a vu la couverture légèrement déchirée le bouquiniste en a divisé le prix peu onéreux par deux, tout heureux de se débarrasser de ce fossile dédaigné depuis des lustres par son habituelle clientèle. Pour le retour sur investissement du petit commerçant je n’aimerais pas me prononcer, mais même avec une patte abîmée une bestiole des temps antédiluviens est un spécimen qui mérite une étude approfondie. Rappelons que Champ Libre fut une maison d’édition fondée par Pierre Lebovici qui disparut mystérieusement assassiné par on ne sait qui. Ce gauchiste entreprenant gênait beaucoup de monde…
Bouquin daté mais je me rallierai point aux esprits railleurs qui liraient raté. D’une autre époque, oui. Et chevillé à elle corps et âme. L’après-mai 68. Mais chez les purs et les durs, les pieds solidement ancrés dans la mouvance gauchiste. Parlent de rock, mais au travers du prisme critique déformant et éclairant du marxisme. En ce temps-là Saint-Marx était l’opium monothéiste du peuple des intellectuels. Révolutionnaires comme il se devait. Ne disaient pas que des bêtises. Se prononçaient dans le feu de l’action. Etaient mêmes aux avant-gardes des réflexions sociétales. En quelque sorte prenaient tous les risques de la prophétie à court terme. Ont entrechoqué les silex de la pensée en vain. N’ont pas produit les étincelles géniales qui auraient dû mettre le feu à toute la plaine. Pour leur part Philippe Daufouy et Jean-Pierre Sarton furent de farouches militants communistes non-autoritaires d’Argenteuil très actifs avant et pendant mai 68.
Nos deux bretteurs analysent un phénomène en plein essor. Sont au début de la décennie qui sera celle de l’apogée de la réception de la musique rock en France ( et partout ailleurs ). Connaissent leur sujet. Ont peut-être davantage lu qu’écouté mais ils se débrouillent bien. En 1971, y avait peu de monde en notre pays qui pouvait se targuer d’une vision synoptique de l’histoire de la musique populaire américaine, anglaise, voire même nationale. Ont potassé leur sujet et possèdent une structure de fer idéologique des plus efficaces.

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Pour bien comprendre leur étude faut saisir la nuance dichotomique entre idéologie et critique. Une infime variation au cœur du marxisme, ce dernier terme correspondant à l’ambivalence dialectique saisi en son démarquage même, non pas au travail de pensée de Marx en œuvre dans ses ouvrages, mais à la mise en pratique de sa méthode de pensée par toute personne qui n’est pas Marx. L’idéologie est un produit de la superstructure des rapports sociaux-économiques qui s’imposent à vous tandis que la critique - loin d’être une description plus ou moins subjective de la réalité subie - est l’arme absolue qui vous permet de réaliser théoriquement la transformation du recensement froidement objectif d’une oppression en acte en une option clarificatrice d’action révolutionnaire. Effectué très souvent a posteriori des évènements historiaux ou alors à chaud dans le maelstrom de leur déploiement, ce genre d’analyse insupporte bien souvent ceux qui la reçoivent. Personne n’aime les donneurs auto-patentés de leçons. Qu’ils aient tort ou raison. C’est qu’intuitivement tout un chacun est persuadé qu’hormis la sienne propre, la vérité ne saurait être que multiple. L’on allume toujours des contrefeux à la moindre évidence qui psychologiquement ne nous convient pas. Le marxisme atteint ainsi sa limite : son rendu des phénomènes ne prend jamais en compte leur réception qu’il ne peut inclure dans la continuité de son analyse nécessairement irrémédiablement bornée par l’action de sa divulgation même. Toujours un temps de retard. La phénoménologie marxiste bute sur les interstices quantiques de son déploiement. Sempiternellement elle doit jouer les prolongations. Le réel lui échappe au dernier instant.
Pop Music / Rock. C’est ainsi qu’ils l’écrivent. Prisonniers d’un temps où les media avaient imposé le terme pop-music pour désigner ce qui n’était que la suite logique et continue de cette musique qu’auparavant l’on désignait sous le terme de rock and roll. Qui à la fin des années soixante dégageait encore de par chez nous un petit fumet un tantinet dérangeant, une légère senteur blouson noir, peu vendeuse alors qu‘une nouvelle fraction d’un large public de jeunes découvrait avec retard ce genre musical. Les Habits Neufs du Président Mao Tsé Rock pour parodier le titre d’un livre célèbre paru en 1971.
Ne s’en vantent pas mais établissent un distinguo subtil : la musique n’est pas le lieu privilégié de la lutte de classes, n’est que l’expression des rapports de classes. Pour mettre les point sur les I : ses capacités révolutionnaires sont faibles. Vous ne changerez pas le monde en gratouillant une guitare. Pour cela faudrait que vous vous rendiez maître de vos outils de production et de diffusion : studios, média, et magasins de distribution. Les compagnies de disques se chargent de ce rôle très lucratif et vous redistribuent les miettes de ses profits. Le miroir aux alouettes est d’autant plus performant que seuls quelques rares élus toucheront aussi une partie du pactole.
Bien sûr il y a des passionnés qui montent des petits labels pour défendre la musique qu’ils aiment. Mais s’ils veulent survivre et perdurer doivent accepter les lois du marché. Soit vous mettez la clef sous la porte, soit vous vendez votre âme au système capitaliste, soit vous revendez votre catalogue à plus important que vous. Loi  de l'économie : les plus gros mangent les plus petits. Mais il y a pire que cela. La musique est un marché. Pour vendre un maximum vous avez intérêt à ce que vos productions correspondent au goût du public.

ACTE 1

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A tous les niveaux, c’est l’âne qui court après la carotte et pas besoin d’un coup de bâton pour le faire avancer. Delta, country blues, jump blues, rhythm’n’blues, le blues ne cesse de se métamorphoser en s’acoquinant à tout ce qui passe, électrification, boogie, jazz-swing, industrialisation, urbanisation. C’est la musique des noirs. Un véritable trésor culturel sur lequel les prédateurs blancs ne vont pas tarder à lorgner. Admettent le rythme trépidant mais les paroles sont un peu trop obscènes. Les nègres vous ont de ces impressions salaces des plus choquantes. Le rock ‘n’ roll corrige le tir. Les adolescents blanchâtres n’auront que la moitié de la copie, les paroles sont coupées à l’eau de rose. Les choses se passent en deux temps, les labels indépendants tels Aladin, King, Vee-Jay, Specialty, Sun, forgent le premier étage de la fusée, chacun selon sa spécialité mettant davantage l’accent sur ses préférences musicales, country, rhythm’n’blues, cuivres, guitares, rythmes, danse, tous les ingrédients sont permis et déjà émergent nos pionniers, Bo Diddley, Chuck Berry, Little Richard, Fats Domino, Elvis Presley… les gros labels se précipitent et donnent au rock ‘n’ roll une audience nationale. Le deuxième étage de la fusée est lancée, Presley met le feu aux States, Eddie Cochran et Gene Vincent se révèlent être ses meilleurs émules, mais déjà l’on prépare le troisième, des petits clones tout blancs à la Pat Boone qui noient le poison. L’on introduit en douce la ballade sirupeuse issue du gospel et pour les récalcitrants l’on prépare un produit de substitution : le twist. Mais de son côté la musique noire suivra le même chemin, s’adoucit, s’édulcore, s’offre des violons langoureux, miracle de l’intégration, les noirs deviennent propriétaires de leurs labels, la Tamla Motown… Tout se passe pour le mieux dans le meilleur des mondes pacifié.

ACTE 2

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Hélas le monde ne tourne pas aussi rond qu’un quarante-cinq tours. L’intégration n’est qu’un leurre, les ghettos s’enflamment, James Brown et l’émergence de la soul music autour de Memphis et des studios Muscle Shoals traduiront cette montée de colère qui de cristallise autour du mouvement des Black Panthers. Mais le danger vient aussi d’ailleurs. D’Angleterre où le rock ‘n’ roll abattu en plein vol aux Etats-Unis renaît de ses cendres sur cette terre étrangère. Et par malheur comme un effet dévastateur de boomerang, les groupes anglais donnent à la jeunesse américaine un très mauvais exemple . Qui ne pouvait advenir au pire moment.

ACTE 3

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Les deux premiers actes ne sont que des préliminaires. Pour le moment les auteurs n’ont présenté qu’une histoire du rock pas très différente de celles qui précédèrent ou suivirent. Même s’ils ont soigneusement pris garde de ne jamais séparer les différentes évolutions musicales de leur substrat sociologique. Mais à partir de 1965 et jusqu’en l’été 1967, la donne change. Les évènement prennent une dimension politique qu’ils n’avaient pas jusqu’à lors dans la jeunesse blanche. Les campus universitaires se réveillent. La guerre au Vietnam cristallise les oppositions, les étudiants se regroupent et manifestent, se heurtent un peu à la police mais ce n’est pas le plus grave. Le Vietnam n’est qu’un révélateur, une prise de conscience s’opère, c’est contre l’avenir tout tracé de futurs petits soldats et grands officiers du capitalisme que la lutte s’engage dans les têtes pensantes des futures élites du pays.
Cette cassure du consensus national se double d’une véritable révolution culturelle. Portera le nom de mouvement hippie. Pour expliciter la naissance et le développement de cette nouvelle idéologie nos deux lascars puisent abondamment leurs sources dans les ouvrages de Michel Lancelot… ( nous les chroniquerons d‘ici peu). De quoi inquiéter le gouvernement américain qui ne craint qu’une chose : la jonction des luttes des mouvements noirs et blancs. Emeutes noires et manifestations d’étudiants de plus en plus violentes formeraient un cocktail explosif d’un type nouveau.

ACTE 4

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Le meilleur moyen de crever un abcès est de favoriser sa maturation dans le but d’empêcher une diffusion lente de sa toxicité à tout l’organisme. Si nos deux bretteurs sont enchantés des quartiers noirs qui brûlent, le mouvement hippie et sa naïve foi en la non-violence les chagrine. Les uns développent une attitude révolutionnaire et les autres se concoctent une niche écologique d’égoïste survie adaptatoire, de bien-être petit-bourgeois. C’est ici que Philippe Daufoy et Jean-Pierre Sarton utilisent leur arme secrète d’analyse marxiste que l’on pourrait appeler le retournement dialectique.
Toutes les initiatives que l’on porte généralement au crédit des hippies il les présente comme de diaboliques manœuvres, une espèce de plan condor soft digne des pires manipulations de la CIA. S’agit de fixer les déviants sur leur propre nombril, afin de les rendre inoffensifs. Les hippies créent une presse libre : ce n’est pas pour appeler à la révolte mais pour échanger des recettes de cuisine et de nouvelles manières de rouler les joints. Ils ont leurs propres salles de concerts : parfait, la musique adoucit les mœurs. Un petit concert c’est bien, ça vous change les idées pour une journée, mais un festival, c’est mieux. Cela vous azimute pour un mois. Cela permet de récupérer les groupes sauvages, de leur faire miroiter des plans de carrière pharamineux, de faire rentrer ces brebis noires tant soit peu anarchisantes dans le troupeau des futures rockstars. Par ricochet, pour donner le change et ratisser encore plus large les majors fabriquent des sous-marques soi-disant indépendantes. En d’autres termes l’on appelle cela de la récupération. Le mouvement hippie ne s’en relèvera pas, désormais l’on vous vend de l’underground. Du vrai, garanti pure pig par l’Oncle Sam.

ACTE 5

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Cette nécrose galopante du mouvement hippie n’est pas sans provoquer ses propres antidotes qui se révèleront inefficaces. L’été 1968 verra naître le feu de paille des Yippies menés par Jerry Rubin, Krassner et Hoffman qui refusent la non-violence. Mais l’été de la haine ne durera pas plus longtemps que celui de l’amour. C’est trop tard, dès 1969 le candidat Nixon à la future élection présidentielle promet d’arrêter la guerre du Vietnam, vaut mieux s’attaquer à la cause de ses désagréments qu’à leurs conséquences. Quant à la petite frange radicalisée à outrance des Weathermen, le FBI, la Garde Nationale et l’Armée lui règleront à coups de procès et d'éliminations physiques son compte malgré une entrée dans la clandestinité...
Mais ce ne sont là que les derniers soubresauts de l’agonie. L’ensemble des troupes se hâte de rentrer dans le rang. Musiciens en tête. Qui en prennent pour leurs grades. Sont tous cités, un par un et accusés de haute trahison. Les anglais comme les américains. Pas un n’échappe à la vindicte générale de nos deux scripteurs. Peut-être un peu le MC 5, responsable d’une splendide émeute lors de l’un concert à Détroit qui sera réprimée avec une très grande violence par les forces de police. Sont tous accusés d’édulcorer leur rock and roll, de lui ôter son venin, de se laisser acheter… Chacune de nos idoles se voit chargée de sa tache d’infamie : les Doors sont un ramassis de petit-bourgeois artisto-nombriliques, Jimi Hendrix un sombre révisionniste pour avoir joué l’hymne américain à Woodstock, Johnny Winter est un bon instrumentiste mais un bluesman moyen… pourrais continuer longtemps ainsi car chacun est habillé pour les hivers qui suivront jusqu’à la dislocation de notre planète…

ACTE 6

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Pourquoi tant de haine ? On comprend nos analystes. L’histoire du rock qu’ils décrivent est à l’image de Mai 68, un début éblouissant mais une débandade finale en queue de poisson. Tout le monde rentre dans le rang et tout continue comme avant. Le changement dans la continuité comme le confirmera Valéry Giscard d’Estaing en 1976 en une synthétique et oxymorique merveilleuse formule.
Nous arrivons dans les toutes dernières pages. Circulez, le spectacle est terminé. La vraie vie est ailleurs, surtout pas dans la pop music. Mais ce n’est pas fini, alors que nos deux iconoclastes semblent s’éloigner vers d’autres champs de bataille bien plus révolutionnaires - ne précisent pas lesquels - c’est alors qu’ils décochent à l’encontre de notre musique chérie, leur dernière flèche, celle du Parthe, porteuse de leur ressentiment.
Portent la dernière accusation. La plus meurtrière puisqu’elle touche le rock and roll dans sa raison d’être. Le vide comme une truite de sa substance êtrale. Le rock est une musique stupidement rythmique. Simpliste, enfantine. Qui n’a pas su évoluer. Vomissent un coup sur Soft Machine, Zappa et Captain Beefheart qui ont fait semblant de promouvoir une nouvelle musique tout en faisant attention de ne pas franchir les limites des patterns commerciaux du rock…

EPILOGUE

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Que le rock soit une musique qui puise sa sève dans un sentiment de rébellion envers les duretés de la société capitaliste soit devenu un inoffensif bruit de fond d’agrément et de divertissement, cela peut s’entendre. Mais il reste encore l’argument massue. Celui dont on ne se relèvera pas. Le rock porte en sa structure même son vice rédhibitoire. C’est… je vous laisse deviner… non, vous êtes loin de la solution… c’est ( bis repetita… ) qu’il est une musique stupidement rythmique. Vous ne comprenez pas, vous pensez qu’il est difficile de vouer aux gémonies le poireau sous prétexte qu’il donne à la soupe au poireau que vous avez préparée avec tant de soin, un goût de… poireau ! Le raisonnement vous semble stupide. Mais Daufouy et Sarton nous apprennent ce que le rock and roll aurait dû être. Parti du stupide balancement primordial du blues, l’aurait dû évoluer vers une complexité sans faille. Laquelle ? Celle atteinte par la musique classique contemporaine d’un Luciano Berio, d’un Luigi Nono par exemple… Le serpent se mord la queue, les petit-bourgeois veulent bien s’encanailler un temps avec le rock and roll, mais point trop n’en faut, jeunesse ne dure que quelques printemps, l’est un moment où il faut raison garder et retourner aux valeurs sûres de la culture classique officiellement bourgeoise. Les chevaux qui ne sont pas nés en liberté finissent par revenir au galop à l’écurie. Le foin vous tombe comme par miracle dans le râtelier ! Triste exemple de retournement idéologique ! Les rivières en dépit de leurs méandres coulent toujours selon leur pente naturelle. Voici le type même de critique marxiste dont on pourrait s’amuser à accabler nos auteurs dans un superbe retour aux envoyeurs. Nous nous en abstiendrons car  nous ne savons rien de leur évolution ultérieure. Même si notre diatribe, pas tout à fait gratuite,  est symptomatique de l’évolution du gauchisme national dont à la fin des seventies les principaux protagonistes se rangèrent dans le camp libéral. Nous voulons simplement faire part de notre ironique inquiétude quant à l’emploi jargonnant de toute prétention logico-scientifique. Les mots englobent souvent les choses dont-ils parlent. Sont parfois plus grands que la réalité qu’ils expriment. Et en même temps ils sont beaucoup trop simples pour décrire la complexité des phénomènes qu’ils sont censés décrypter.

Damie Chad.