04/04/2018
KR'TNT ! 368 : MIKE HARRISON / KATHY AND THE FIREBRANDS / TONY MARLOW / ALICIA FIORUCCHI/ NEW NOISE / ORRYELLE DEFENESTRATE
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 368
A ROCKLIT PRODUCTION
05 / 03 / 2018
MIKE HARRISON ( + SPOOKY TOOTH ) KATHY AND THE FIREBRANDS TONY MARLOW / ALICIA FIORUCCI NEW NOISE / ORRYELLE DEFENESTRATE |
TEXTE + PHOTOS SUR :
http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
Harrison comme un nègre
Spooky Tooth se déplume : après Greg Ridley et Mike Kellie, voilà que Mike Harrison se fait la cerise. Le souvenir de la Dent Fantôme s’enfonce lentement dans l’océan. Bientôt il ne restera plus à la surface de la terre que des algues et des mollusques.
Quand ils montent les V.I.P.s dans les early sixties, Mike Harrison et Arf ‘Greg’ Ridley ne sont encore que des chtio quinquins amateurs de skiffle. Ils vivent en effet à Carlisle, dernière ville d’Angleterre avant la frontière écossaise. Ils comprennent rapidement que pour percer, il faut descende à la capitâle. Mike dit à sa jeune épouse :
— I’m going down to London. I’ll be leaving on Tuesday and we’re going there to make it !
— Tu seras parti combien de temps, chéri ?
— Oh ça ne prendra que trois semaines !
Mike Harrison commet la même erreur que Lucien de Rumbempré : il croit tellement en lui qu’il pense devenir célèbre en un rien de temps. Les trois semaines commencent par se transformer en trois mois de dèche intensive, puis le séjour va s’étendre à sept ans, avec des épisodes intéressants. Le premier à mettre le grappin sur nos chtio quinquins sera Larry Page, le temps d’un premier single, puis ce sera au tour de Mike Jeffery, qui est alors le manager des Animals. En 1965, nos chtio quinquins se retrouvent au Star Club de Hambourg. Ils deviennent les chouchous du public allemand - Most popular band after the Beatles - Puis Chris Blackwell qui manage le Spencer Davis Group leur met le grappin dessus. Les V.I.P.s sont le premier groupe blanc signé sur Island. Et c’est là que la connexion se fait avec le protégé de Blackwell, Guy Stevens, plus connu sous le nom d’Œil de Lynx. On lui doit en effet de sacrées découvertes : V.I.P.s qu’il va transformer en Spooky Tooth, Paramounts (futurs Procol Harum), Mott The Hoople, Free et Mighty Baby. Stevens est en outre un bec fin en matière de Soul, il est à l’époque le DJ le plus réputé de Londres. Il propose aux chtio quinquins d’enregistrer un hit de Joe Tex, le fameux «I Wanna Be Free». C’est là que Mike Harrison entre dans la légende. Si on ne possède pas cet EP magique des V.I.P.s, il faut alors se jeter sur The Complete V.I.P.s, une compile éditée par Repertoire en 2007 : on y retrouve tous les singles de ce groupe monumental et, sur une deuxième rondelle, des cuts live du groupe enregistrés en 1966, en Allemagne. C’est de la dynamite. À commencer par «I Wanna Be Free» qui n’a pas pris un seule ride en cinquante ans : c’est resté le hit garage suprême de la perfide Albion. Tout y est : le son, le groove, la voix et l’explosion. Mike Harrison a du génie, comme Van Morrison. Il dégage une sorte d’ampleur carnassière, comme Chris Farlowe. Il ouvre des horizons, comme Reg King. «I Wanna Be Free» est le Graal du rock anglais. Avec «Smokestack Lightning», il fait encore plus de ravages, car c’est amené au heavy stomp d’harmo et on a là l’un des plus beaux hommages à Wolf qui se puisse imaginer ici bas. Qualifions ça d’absolument définitif, si vous voulez bien. Mike Harrison chante avec une voix des cavernes, hear me cry, ses shining like gold sont d’une crédibilité invraisemblable. Sur cette compile bénie des dieux, on trouve aussi le tout premier single des V.I.P.s qui date de l’époque Larry Page : «Don’t Keep Shouting At Me/She’s So Good» : attention, c’est du heavy romp de british beat à la Pretty Things, emmené à folle allure. Mike Harrison est déjà dessus, comme l’aigle sur la belette. Si on se reconnaît un faible pour le british beat originel, alors on se régale. On tombe plus loin sur «Anyone», fantasmatique cut de raw Soul britannique. Eh oui, Mike Harrison peut sonner comme Ray Charles, il shoote à la glotte ardente, c’est un fervent buisson, il explose sa Soul de chtio quinquin. Et ça n’en finit plus de monter en température avec «Straight Down To The Bottom», un groove extraordinairement toxique. On y assiste à l’envolée de Mike Harrison, accompagné de filles terribles qui font des chœurs torrides. Comme le disait familièrement James Joyce, what a blow, Bloom ! On a là l’une de ces grandes émulsions prévaricatrices capables de nous réconcilier avec la vie. C’est en plus d’une rare modernité. Il chante aussi «Every Girl I See» à la bonne arrache duch’ Nord. Mike Harrison dispose d’extraordinaires réserves de ressources naturelles. Il est ce que les géologues du rock appellent un gisement prometteur. Sa version de «Stagger Lee» est un nouveau blow de Bloom, de même que «Rosemarie», claqué au beat avec des chœurs sur le quatrième temps. Explosif ! Mike Harrison chante ça à la Ray d’Angleterre au beurre noir, pur jus d’un Genius que Mike Harraisonne ! L’affaire se corse encore avec le disk 2 et notamment une version live de l’intouchable «You Don’t Know Like I Know» : Mike Harrison ose y toucher et réussit le prodige de sonner exactement comme Sam & Dave, mais il fait tout, et le Sam et le Dave. James Henshaw y coule un bronze de hot stunning heavy blast. Les V.I.P.s sont alors aussi puissants que le Spencer Davis Group et les Undertakers de Jackie Lomax. Sur scène, Mike Harrison donne les pleins pouvoirs à «Stagger Lee» et ce hit définitif qu’est «I Wanna Be Free». On tombe plus loin sur un romp superbe, «Talk About My Babe», emmené par un riff opiniâtre. James Henshaw y refait des siennes avec un solo entreprenant. Ça éclate dans une shoote de notes délétères - Baby won’t you please come home - Et ce diable de Mike Harrison sings his ass off, comme le disent si élégamment les Anglais. Encore une petite chose : si tu aimes vraiment le son des V.I.P.s, alors un petit conseil : chope l’I Wanne Be Free paru sur Beat Club International : le mix y est différent. On y entend la basse de Greg Ridley labourer «Stagger Lee» en profondeur et dans les deux sens. Non seulement la version est incendiaire, mais la bassline féroce de Ridley jette encore de l’huile sur le feu. Même chose avec «Rosemarie» : ces mecs avaient le diable dans le corps, il faut entendre gronder cette basse démente. Le seul qui savait aussi faire monter la basse dans le mix au bon moment, c’était Dickinson.
Grâce à Blackwell, les V.I.P.s décrochent une residency au Scotch Of St James, et c’est là qu’un beau jour de septembre 1966 débarque Jimi Hendrix. (Jimi passa bien sa première soirée à Londres au Scotch Of St James, et non au Speakeasy, comme l’affirme l’auteur des Cent Contes Rock). Jimi entre dans le club et n’en revient pas d’entendre ce son. Les V.I.P.s sont sur scène et Jimi demande à jammer avec eux. Il est tellement impressionné par la qualité du groupe qu’il leur demande quelques jours plus tard de devenir son backing-band, mais le groupe refuse poliment. En effet, qu’allaient devenir Mike Harrison et James Henshaw dans cette affaire ?
En 1967, nos chtio quinquins duch’ Nord changent de nom et deviennent Art - Looking for a hipper name - Luther Grosvenor vient juste de remplacer James Henshaw. Ils enregistrent l’album Supernatural Fairy Tales que produit Guy Stevens. Au dos de la pochette de cet album devenu mythique, on voit les quinquins photographiés dans un appartement typiquement londonien. L’image rappelle celles des Small Faces (et inspirera plus tard la pochette du premier album d’Oasis) : Mike Harrison est assis dans un fauteuil et les trois autres par terre, sur un parquet à la Madcap Laughs, avec les grosses lattes vernies. Ils portent des foulards noués autour du cou, des chemises bouffantes en tissu imprimé et des blazers en velours. Greg Ridley se trouve au premier rang, le regard noyé d’ombre, Grosvenor affiche un look à la Jeff Beck, Mike Kellie ressemble à Bill Wyman, et derrière, Guy Stevens apparaît en transparence, comme un fantôme. C’est un disque hanté, enregistré juste avant que Guy Stevens ne ramène dans le groupe un keyboardist américain nommé Gary Wright. Avec Supernatural Fairy Tales, Art invente the Spooky Sound, grâce à des morceaux puissants de type «What’s That Sound». Ils tapent aussi le fameux «For What It’s Worth» du Buffalo Springfield que ce nègre blanc de Mike Harrison embarque au firmament des reprises. Luther Grosvenor rôde dans les parages en tortillant des gros licks bien grassouillets, tout est déjà là, sous l’everybody looks what’s going down : nous voilà très précisément au sommet du rock anglais des late sixties. La fête se poursuit avec «African Thing», un fabuleux festival de percussions embarqué par ce batteur génial que fut Mike Kellie. Ça sent bon l’Afrique, la savane, le sang des zébus, la violence des guerres tribales, les sagaies rouillées, la grâce des guerriers Massaï aux bras chargés de bracelets, les tambours primitifs et le beat de la transe hypnotique, tout est là. Derrière un bow window de Londres, Art joue le jungle beat, mais pas n’importe quel jungle beat, un jungle beat démesuré, interminable, troué de cris. Puis avec le morceau titre, ils passent au rock supersonique, mais dans le fog londonien. Ça donne une sorte de Silver Machine qui file dans la nuit. Tiens, voilà un hit planétaire : «Love Is Real» ! Mike Harrison chante comme un dieu, il est aussi brillant que Rod Stewart ou Chris Farlowe, il chante avec une classe effarante et les autres envoient des chœurs de rêve. Tout le monde connaît «Love Is Real», mais personne ne sait que c’est une œuvre d’Art.
Sous l’impulsion de Guy Stevens, il changent encore une fois de nom et deviennent les Stooky Tooth. Un premier album intitulé It’s All About sort en 1968. Sur la pochette, ils se planquent dans les buissons. Ils portent des casques de cheveux crêpés et des foulards. Grosvenor et Mike Kellie portent des tuniques rouges, Mike Harrison, une cape noire par dessus une chemise à jabot blanc. Et sur le côté, Gary Wright porte lui aussi un jabot blanc et des cheveux plus courts. Jimmy Miller les produit, donc le son change. Pas en bien. On a l’impression que l’arrivée de Gary Wright a calmé l’ardeur des anciens V.I.P.s. Les cuts deviennent terriblement ambitieux, à commencer par «Sunshine Help Me». C’est bourré de son et de grosses nappes d’orgue. Grosvenor rajoute du gras-double avec sa guitare. Mais le cœur battant de cet album, c’est la reprise du classique de J.D. Loudermilk, rendu célèbre par les Blues Magoos : «Tobacco Road». Grosvenor vrille tout le vieux pathos de ce classique binaire avec une rage indescriptible. Et pour un shooter comme Mike Harrison, c’est du gâteau que d’enquiller la version longue d’un tel classique.
Paru un an plus tard, Spooky Two compte parmi les grands albums classiques du rock anglais. Mike Harrison et Gary Wright chantent à deux sur «Waiting For The World», un heavy groove fantasmatique lancé par Mike Kellie. On tombe plus loin sur le cut qui à l’époque installa Spooky Tooth dans l’inconscient collectif : «Evil Woman». Après quelques belles nappes d’orgue, Mike Harrison entre dans la danse et soudain, Gary Wright vient le percuter au chant d’un violent coup de falsetto. Alors ces deux géants s’en vont fondre leurs voix dans une hallucinante tourmente de nappes d’orgue. Pour corser l’affaire, Luther Grosvenor entre dans le lard du cut avec un solo en suspension et tire-bouchonne à l’infini. Eh oui, avec ce duo de screamers, on a là l’une des plus grosses fournaises de l’histoire du rock - digne de l’âge d’or des Righteous Brothers - Mine de rien, on assiste ici à la naissance du heavy rock. Gary Wright monopolise la B avec ses compos. Il recherche l’océanique épique hugolien, celui de l’esprit qui défie les éléments. Et soudain éclate l’écho divin d’un mid-tempo visité par la grâce : «That Was Only Yesterday» ! Mike Harrison l’emporte au firmament. Il joue avec la beauté comme le chat joue avec la souris. Il semble dégager de la joie dionysiaque. Mike Harrison et ses amis entrent à cet instant précis dans l’aristocratie du rock anglais.
Quand paraît The Last Puff , Gary Wright et Greg Ridley ont quitté le groupe. Mike Harrison et Grosvenor continuent d’alimenter la légende de Spooky Tooth. C’est là, chez Spooky Tooth, que se trouve la magie du Seventies Sound ! On trouve sur cet album sous-estimé une merveilleuse reprise d’«I’m The Walrus», sertie d’un solo de notes alanguies. Luther Grosvenor bricole aussi un truc bien convulsif dans «The Wrong Time». Ce mec-là aura su façonner le son de son époque. Tout le heavy rock des seventies est là, dans le gras de la voix de Mike Harrison et dans le jeu haut en couleurs de Luther Grosvenor.
Sur l’album suivant, You Broke My Heart, il ne reste plus que Mike Harrison. Tous les autres ont quitté la navire, même Mike Kellie. Devenu Ariel Bender, Luther Grosvenor remplace Mick Ralph dans Mott The Hoople. You Broke My Heart est presque un album solo de Mike Harrison. Le son reste bien épais, bien gras. Le nouveau guitariste s’appelle Mick Jones. Album extraordinairement dense, ce qui peut paraître logique quand il s’agit de l’album d’un grand chanteur. «Wildfire», passe comme une lettre à la poste. On admirait tellement Mike Harrison à l’époque qu’on le disait incapable d’enregistrer une mauvaise chanson !
Mike Kellie et Gary Wright rentrent au bercail pour l’album Witness. Une pyramide orne la pochette. Il y règne un sortilège, celui des grands albums de Spooky Tooth : grosses atmosphères plombées par les nappes d’orgue dans des cuts comme «Don’t Ever Stay Away» ou «Sunlight Of My Mind». Mick Jones joue bien, c’est vrai, mais on n’ose même pas imaginer ce qu’aurait amené ce diable de Grosvenor ! On retrouve sur Witness tout le big Spooky Sound. Dans «Things Change», Mike Harrison sonne les cloches à la volée. Il dégage une ardeur secrète. On retrouve une fois de plus tout le son dont on peut rêver, celui d’un groupe anglais enraciné dans la légende. Même si c’est difficile, on arrive même à accepter le fait que Luther Grosvenor soit remplacé par un autre guitariste. Pur jus de Spooky Sound que ce «Dream Me A Mountain». Mike Harrison y négocie bien ses wo-ooh-oooh, il connaît toutes les ficelles !
Le dernier album des Spooky Tooth paru dans les seventies s’appelle The Mirror. La pochette pompe goulûment Magritte. Ce disque pue l’arnaque, car le seul Spook qui reste, c’est Gary Wright. Tous les autres sont partis, y compris Mike Harrison. Mike Patto le remplace. Un bon chanteur, c’est vrai, mais plus rien à voir avec Mike Harrison. Il n’a pas la même profondeur.
Nos chtio quinquins refont surface en 1999 avec Cross Purpose. Fabuleux album ! Les quatre membres originaux apparaissent sur la pochette, Greg Ridley, Luther Grosvenor, Mike Harrison et Mike Kellie. Le plus vieux, c’est Mike Harrison, il a déjà les cheveux blancs. Nos quinquins reprennent «That Was Only Yesterday», le hit interplanétaire qui se trouvait sur Spooky Two. Version magique. Greg Ridley y joue un beau drive de basse. Ils sont encore meilleurs qu’à leurs débuts ! Luther Grosvenor fait de beaux ravages ! Oh ils reprennent aussi «Love Is Real», tiré de Supernatural Fairy Tales, la crème de la crème, la pop anglaise à son apogée, hit monstrueux, ils jouent ça dans l’écho du temps, dans l’éclat d’un matin de Carlisle - Real love has no time for lies/ Love is real - Luther Grosvenor joue ses arpèges préraphaélites et Mike Harrison nous berce de langueurs monotones. Grosvenor claque un solo sec, furieusement sec, et il revient exploser la fin du morceau. Jamais un Anglais n’a joué avec une telle violence. C’est comme s’il donnait des coups de hache ! Il fait aussi des miracles dans «How». Oui, Grosvenor a du génie. C’est lui le grand guitar hero méconnu de l’histoire du rock anglais, il joue à l’ongle cassé et presse ses notes pour que le gras dégueule bien, il dévore le morceau de l’intérieur. Autre merveille : «Kiss It Better», hommage aux Stones, pur jus d’heavy boogie, fantastique black-out de sharp stonesy.
Le dernier album de Spooky Tooth s’appelle Nomad Poets. On y retrouve Mike Harrison, Mike Kellie et Gary Wright ! Trois sur cinq, c’est déjà ça. Ils tapent tous leurs vieux hits, «That Was Only Yesterday», «Wildfire» et même «Tobacco Road», mais avec un sacré panache ! Avec «That Was Only Yesterday», on voit le jour se lever sur le génie des Spooky Tooth, alors qu’ils sont au crépuscule de leur vie. Mike Harrison se dresse au sommet de la falaise, le visage tourné vers l’horizon. Cet homme a quelque chose de grandiose en lui. Son groove est resté pur, quasiment virginal. Ils renouent avec leur légendaire heavyness dans «Wildfire». Le son explose, voilà de quoi sont capables les Anglais ! À cet instant précis, le petit Mike Harrison semble régner sur le monde du rock. Et la version de «Tobacco Road» passe comme une lettre à la poste, même si le fougueux Guv’nor Grosvenor n’est plus là. Gary Wright et Mike Harrison nous refont le coup du duo des enfers. Ils sont complètement dingues, tous les deux, ils montent leur Tobacco à l’incandescence. Ils sont beaucoup trop puissants. Ils ne s’arrêtent pas en si bon chemin, car ils relancent cette machine infernale qu’est «Evil Woman». Belle façon de boucler la boucle - Evil woman, when I saw you comin’ - Comme si notre vie n’avait duré que le temps d’une chanson.
Resté fidèle à Chris Blackwell et à son label Island, Mike Harrison entreprend une carrière solo en 1971 et enregistre un premier album intitulé Mike Harrison. Il ne s’est pas foulé pour le titre. Attention, l’album peut heurter les âmes sensibles. On s’y ennuie, et c’est un euphémisme que de dire ça. Il faut attendre «Hard Head Woman» pour trouver enfin un cut ambiancier. Mike Harrison s’y bat avec le thème, ça reste courtois, très Island d’époque, puis ça finit par évoluer pour devenir un beau groove océanique. Une jolie échappée de free vient enluminer cette Sargasse de son. Cat Stevens signe cette compo attachante. Mais le reste de l’album refuse obstinément de décoller. Il reste au moins une règle d’or en ce bas monde : il faut savoir confier de bonnes chansons aux grands interprètes, sinon, les disques ne servent à rien.
Notre chtio quinquin préféré enregistre Smokestack Lightning un an plus tard à Muscle Shoals, et là, on ne rigole plus. Toute l’équipe est là : David Hood, Jimmy Johnson, Pete Carr, Roger Hawkins. Dès «Tears» on retrouve l’ultra-orchestration qui caractérise le son si particulier de ce studio. Mike Harrison n’a aucun problème à sonner comme ces nègres dont sont si friands ces blancs de l’Alabama. «Paid My Dues» reste très anglais dans le chant, comme si Mike Harrison ramenait quelque chose de Penny Lane dans le brouet des rednecks. Avec «What A Price», on entre de plein fouet dans la Deep Soul et notre chtio quinquin s’en sort avec les honneurs. L’ineffable Pete Carr joue des tortillettes éplorées et au final, on se retrouve avec un fantastique classique de white-niggahrisme éclairé, éloquent et bien mis. Pour boucler le bal de l’A, Mike Harrison reprend son vieux Wanna Be Free. Il rallume la chaudière du mythe. Étrange qu’il soit aller retaper dans la fourmilière, si loin de l’Angleterre, comme le disait si bien Petula. On note au passage que les rednecks sont contents de chanter les wanna-bi-friii/ wanna-bi-friii derrière l’immense Mike Harrison. Quel drôle de parti-pris ! Puis les choses reprennent tranquillement leur cours en B avec «Turning Over». Heavy groove idéal pour un walking-bassman de la trempe d’Hood. Tout est en place et sans histoires. Franchement, on se demande pourquoi Mike Harrison est allé jusqu’en Alabama pour enregistrer ça. Il termine sa B avec une interminable version de «Smokestack Lightning». Il nous refait le coup du Tobacco à rallonges du premier Spooky. Avec le temps, il devenu expert en petites wolferies, ses ah-ooooh valent le détour. David Hood joue son bon groove pépère et Roger le bat sec et net. La fête dure douze bonnes minutes - Aw tell me baby - Mike Harrison y croit dur comme fer, du coup, nous aussi, et on assiste à une relance extraordinaire, comme emmenée au combat, prolifique et glorieuse, incapable de tomber de cheval, c’est une merveilleuse bénédiction, voilà ce dont est capable l’immense Harrison of a bitch.
Voilà-t-y pas qu’il récidive en 1975 avec Rainbow Rider. Attention, c’est un très bel album, chaudement recommandé aux amateurs de gros son anglais. Ne serait-ce que pour ce «Like A Road (Leading Home)» signé Dan Penn et Don Nix, une authentique merveille. On sent la patte du grand Dan Penn dès l’intro. Mike Harrison ultra-chante cet extatique slowah, il le monte au pinacle des possibilités. Et derrière, Wayne Jackson et les Memphis Horns en rajoutent à qui mieux-mieux. Mike Harrison fait comme Moloch, il tape à bras raccourcis dans les compos de Don Nix. Voilà donc «Maverick Woman Blues». Don Nix n’a rien d’un auteur révolutionnaire, mais on se retrouve en tous les cas avec un son énorme. The big heavy seventies Sound. Sans pitié pour les canards boiteux. On reste dans le Southern rock avec «You And Me». Quel son ! Cet album est bien plus vivace que les deux précédents. Mike Harrison tape ensuite dans Dylan avec «I’ll Keep It With Mine». C’est monté aux chœurs de gospel. Mais quand il tape dans les Beatles avec «We Can Work It Out», ça ne marche pas. Retour des Memphis Horns en B sur «Okay Lay Lady Lay», cut idéal pour un groover aussi judicieux que Mike Harrison. C’est plein de son et infernalement bon. Encore un cut qui ne courbe pas l’échine. Ce diable d’Harrison n’est pas du genre à renoncer.
Paru en 2006, Late Starter redonne confiance en l’avenir de l’humanité. Quel album ! Mike Harrison finit son parcours de shouter en beauté avec un ensemble de reprises toutes plus somptueuses les unes que les autres. À commencer par le «Come Back Baby» de Ray Charles. Le génie tape dans le Genius. Mike Harrison trépigne et chuinte comme Ray, voilà la white Soul à son apogée ! Quel incroyable shoot de grandeur aveugle ! Ce démon de Mike Harrison colle au train du cut, il le prend dans ses bras - Come back/ Aw yeah/ Let’s take it over one more time - C’est aussi désespéré que le Brel de «Ne Me Quitte Pas». Nouveau coup de Trafalgar avec «Night Time», tapé au vieux boogie blues, cousu de fil blanc comme neige, mais les basses vibrent, Mike Harrison s’y sent comme un fish in the clear blue sky, c’est stupéfiant de baby baby et les chœurs font night & day baby, alors oui, cent fois oui, the night time is the right time. Au soir de sa vie, Mike Harrison est encore capable de fracasser les colonnes du temple. On le voit aussi taper dans «Tony Joe White avec «Out Of The Rain» (version hantée par l’harmo), dans le «Your Good Thing Is About To End» d’Isaac Hayes et David Porter (on tombe dans l’escarcelle de Stax, slowah torride joué aux accords obliques), dans «Sinners Prayer» de Lowell Fulsom (heavy blues écœurant de feeling, Lord have mercy if you please). Il faut aussi l’entendre chanter «Jealous Kind» à l’angle atone de la glotte fêlée. Comme ce mec peut être bon ! Il faut l’entendre prendre son envol en fin de cut. Il y a quelque chose qui tient de l’aigle royal dans sa démesure. Il transforme aussi «Don’t Touch Me» en aventure - Don’t touch me if you don’t love me - Quelle histoire ! C’est joué à outrance. Il faut l’entendre chanter my falling tears are running wild dans «Drown In My Own Tears». Il est encore plus royaliste que le roi des Soul Brothers. On se retrouve là dans les affres de l’interprétation définitive. Et ce n’est pas un hasard s’il termine cet album d’adieu avec Otis et «I’ve Got A Dream To Remember». Au temps de Mike Harrison, nous pouvions encore jouir d’un immense privilège : celui d’être reçu chez les géants.
Signé : Cazengler, Mike Harrassant
Mike Harrison. Disparu le 25 mars 2018
V.I.P.s. I Wanne Be Free. Beat Club International
V.I.P.s. The Complete V.I.P.s. Repertoire Records 2007
Art. Supernatural Fairy Tales. Island Records 1967
Spooky Tooth. It’s All About. Island Records 1968
Spooky Tooth. Spooky Two. Island Records 1969
Spooky Tooth. The Last Puff. Island Records 1970
Spooky Tooth. You Broke My Heart So... I Busted Your Jaw. Island Records 1973
Spooky Tooth. Witness. Island Records 1973
Spooky Tooth. The Mirror. Goodear Records 1974
Spooky Tooth. Cross Purpose. Ruf Records 1999
Spooky Tooth. Nomad Poets. Live In Germany 2004. Evangeline Records 2007
Mike Harrison. Mike Harrison. Island Records 1971
Mike Harrison. Smokestack Lightning. Island Records 1972
Mike Harrison. Rainbow Rider. Island Records 1975
Mike Harrison. Late Starter. Halo Records 2006
CONNANTRE / 31 - 03 - 2018
KATHY AND THE FIREBRANDS
TONY MARLOW / ALICIA FIORUCCI
Connaître Connantre ! Facile, vous vous emmanchez sur la RN 4 et vous filez tout droit vers l'Est. La fin du trajet est la plus difficile. Nous nous plaçons ici à un pur niveau psychologique. Traversons le village de Moeurs en trombe sans trop nous attarder mentalement sur cette injonction vindicative. En avons-nous vraiment envie ? Lorsque vous passez Broyes vous regrettez de ne pas avoir suivi le pèlerinage de Lourdes que vous avait recommandé tante Agathe, trop tard il ne vous reste plus que les yeux pour pleurer. Ça tombe bien, vous voici à Pleurs. La route se perd dans un no man's land de rase-campagne, champs d'herbe rare à perte de vue, déchetterie à droite, sucrerie à gauche, enfin la pancarte Connantre.
En règle générale une ville comporte plusieurs rues, Connantre n'en compte qu'une, d'une seule traite, longue, interminable. Parfois entre deux maisons les phares de la teuf-teuf se perdent dans l'horizon d'une immensité désertique, z'auraient pu disposer la ville en carré, en pentagramme, en rectangle, en losange, en triangle, en parallélépipède irrégulier, mais non à Connantre ils sont persuadés que la ligne droite est le plus court chemin. Pour aller où ?
Toute question mérite réponse. La voici donc. Connantre possède un centre ville. Très circonférique puisqu'il s'agit d'un rond-point. Pas très large. Mais c'est là, à cet instant précis que la mégalomanie connantraise vous arrache les yeux. Sur votre droite une pharmacie, aussi spacieuse qu'un hôpital. Sur votre gauche un parking d'aéroport, au fond des bâtiments commerciaux qui épousent la forme ondulée et la longueur des colonnades de la place Saint-Pierre à Rome. Tiens un truc à dimension humaine sur notre gauche, une vitrine éclairée avec des gens qui se pressent entre des tables. L'on essaie de pousser la large baie qui s'obstine à rester fermée, l'on nous adresse de grands gestes, nous traduisons, continuez sur votre droite.
On aurait dû s'en douter, mais la rencontre sur le pas de la porte en haut des escaliers de Billy du 3 B tourne à l'effusion sentimentale, l'on n'accorde même pas une seconde d'attention à la salle d'entrée, juste un sourire goguenard à l'espace vestiaire – quel fou se vanterait d'avoir rencontré un rocker capable de se délester de son perfecto – tout sourire nous poussons la porte.
Tromperie sur la marchandise ! Salle des fêtes qu'ils avaient marqué sur le flyer, n'en ai jamais vu de cette taille, une cathédrale géante, que dis-je un hall de montage pour les gros porteurs d'Airbus, vous y casez au minimum au moins trois A 380, rien que le plafond bizarroïde, des espèces de flanc de navires tarabiscotés qui se couchent sur la mer pour couler, traduit l'imagination éléphantesque d'un architecte fou, jaloux des pyramides, à qui le conseil municipal a donné les pleins pouvoirs et crédit illimité.
Sont comme ça à Connantre, quand ils ont un projet ils ne salopègent pas le boulot. Z'ont la maniaquerie du détail, jamais vu une telle organisation, des foutraques du détail, des fignoleurs de la mise en scène, c'est simple vous n'êtes pas dans une salle de concert mais dans :
LE PARADIS DES ROCKERS
L'espace scénique d'abord, car un concert sans scène ressemble à bateau-mouche privé de Seine. Au milieu s'éparpille le matos des deux groupes, leur restait de la place, ni une ni deux, question ambiance rock'n'roll on ne mégote pas, à droite l'on a stationné une antique Motobécane, modèle des années cinquante, n'est plus en état de marche, mais l'on ne sait jamais, à tout hasard l'on a placé à ses côtés une ancienne pompe à essence Shell – z'ont dû partir la chercher aux States – évidemment de l'autre côté il y avait comme un vide, z'ont embauché Elvis Presley. En réplique de plastique, grandeur nature, costume noir guitare plaquée sur le cœur.
Devant le vide : de quoi permettre à trois cent personnes de danser, et au fond de part et d'autre de l'allée centrale dans laquelle un char d'assaut évoluerait à l'aise les longues travées de tables, un panonceau vous révèle le nom de chacune : table Chuck Berry, table Jerry Lee Lewis, table Eddie Cochran... pour le bonheur des enfants l'on a disposé des modèles de grosses voitures américaines en carton, au bout du bout, le bar, pompe à bière et collection de gâteaux, plus stands d'exposition, tous ces objets inutiles de première nécessité...
KATHY AND THE FIREBRANDS
Normalement tout groupe qui se respecte et qui possède une jolie fille, la propulse devant, en produit d'appel, pour parler comme un DRH de grand-magasin. Les Firebrands eux, adoptent la technique des auto-stoppeurs un brin machistes, la posent sur le bord de la route et quand vous vous arrêtez, vous avez quatre gros malandrins poilus et moustachus qui squattent les sièges après avoir remisé la mignonnette dans la malle avec le chien et les sacs-à-dos.
Vous l'avez compris les gars sont devant. Ne savent pas quoi faire pour se faire remarquer. Yannick ne compte ni sur son costume à cravate multicolore ni sur son étrange banane à moitié pelée sur la tête, possède son miroir aux alouettes, une superbe contrebasse, un peu à l'épate italienne, verte à liserets blancs et à motifs divers, vous le regardez et vous ne voyez qu'elle, Cyril a misé les valeurs sûres, indétrônables chez les rockers, Gretch à la Cochran et même coupe de cheveux que l'effigie de cire d'Elvis. Bref ils font les beaux.
Mais dans la vie, ça ne se passe jamais comme vous le voulez. Kathy est au loin, derrière sa batterie, et je peux vous certifier que les deux oiseaux vont marcher à la baguette. Toute mince, toute fluette, sourire directif aux lèvres, chapeau de cowboy et longue queue de cheval, toute de noir vêtue mais la tunique recouverte de longues franges blanches à la David Crockett, elle chante, elle bat la mesure et surtout ce mouvement du bras qui se tend en hauteur à chaque fin de séquence rythmique, un truc à vous couper l'herbe sous les pieds du cheval d'Attila, parce que les boys ils ont compris qu'ils ont intérêt à ne pas chômer, et le combo turbine à mort.
Rien à dire, Kathy n'a pas pris des cas désespérés pour l'accompagner, s'est servi chez les cadors, ce n'est pas parce qu'ils connaissent leur métier sur le bout des doigts, c'est qu'ils forment une mécanique de haute précision. Vous devriez les visualiser tous les trois ensemble, mais vous n'y parvenez pas. Chacun nécessite votre attention à part entière. Poussent le vice à adopter une vitesse d'exécution des plus surprenantes, à peine entamé le morceau est déjà fini. Pas bâclé ! Chacun se débrouille pour y porter ses bibelots les plus précieux. Tous ensemble et chacun à leur tour. Sans casse sur les étagères. Ces petits rien qui font la différence, ces deux notes de guitare jetée entre deux frappes de caisse claire ou cet entremêlement de slap en plein-milieu du contre-temps, des arrangements d'une subtilité arachnéenne, des interventions héliportées qui renforcent le point d'attaque à point nommé, en plus vous avez l'impression qu'ils s'attendent, qu'ils savent d'instinct ce que les deux autres vont faire, au dixième de seconde près. Pas d'erreur, pas de cafouillage, ça pulse et ça s'emboîte à merveille.
Infatigables, increvables, connaissent tous les classiques et vous les interprètent avec une méticulosité surprenante, mais à leur manière, et cette joie de jouer, de donner toute la gomme, d'envoyer valser l'énergie aux quatre coins du monde. Cyril et Kathy alternent le vocal, Kathy plus nerveuse, plus incisive, Cyril avec une emphase country très légèrement plus modulée, une alternance des plus heureuses.
TONY MARLOW
Gibson rouge et chemise noire à têtes squelettiques, l'en impose Tony, la classe naturelle du pirate. Fred Kolinski sur les drums la tête nimbée de ses longs cheveux blancs, Amine Leroy à la contrebasse aussi noire que ses cheveux frisés. Une courte introduction musicale, juste le temps de réveiller le serpent de la kundalini dans votre moelle épinière, la faire virer au rouge, les doigts de Tony courent sur sa guitare, l'art de choisir les notes qui se plantent en vous telle des piqûres d'abeille, Amine dévale un travelling pulsique nettement jazz, l'halètement sauvage du chien qui s'apprête à mordre, et Fred repousse les limites en douce, l'air de ne pas y toucher à chaque break il vous rapproche du gouffre béant du rock'n'roll, avec ce sourire angélique du garnement qui vous a crevé les quatre pneus de la bagnole et qui attend le dérapage incontrôlé.
Terminé. L'intro n'a pas duré longtemps mais le public s'est massé au pied de l'estrade. Pas besoin de sortir d'Harvard pour intuiter que ce soir la braise sera brûlante. Tony se hâte de parfaire la prophétie. Annonce la couleur, Rock'n'roll troubadour et Chuck Berry. Tradition française et inscription américaine. Grand écart assumé entre les deux continents. Le rock de chez nous et le rock des racines, indissolublement mêlés. Exaltation et exultation. Un Tony en grande forme et deux musiciens en pointe. Que voulez-vous de plus ? Rien, alors Tony va nous sortir la totale.
Des tranches de vie, ainsi présente-t-il des bijoux comme Le Garage de la Voisine, et Le Cuir et le Baston. Balzac les aurait inscrites dans ses Scènes de la vie des Rockers, jeunesse séminale et tapageuse, jeux coquins et jeux de vilains, le tout est une question de mise en scène, la voix d'abord qui narre – entre velours nostalgie et bagarre vocale – et la musique entre espièglerie cordique et rebondissements drumique. Un festival, Fred hilare qui casse les breaks et Amine qui soufflette sa big mama pour lui signifier que le duel à mort va commencer. Tony module sa voix et ses sourires entendus, la guitare frémit d'aise et gémit sous les pincées. La grande comédie rock'n'roll met en scène ses propres représentations. Une qualité d'écriture qui n'est pas sans évoquer les petits bijoux de paroles que sont les titres de Chuck Berry.
Que serait le rock sans guitare ? Ressemblerait sans aucun doute à la Grèce antique sans Alexandre le Grand. L'instrument pyromane par excellence. Encore faut-il qu'il soit entre les mains d'un expert es boute-feux. Lorsque Tony vous lance l'intro de Johnny Be Goode, c'est votre âme qui prend feu. Dans la salle ça tangue comme un bateau en perdition mais sur scène c'est l'Amiral Nelson aux commandes du Victory. Ce Johnny tout le monde vous le massacre, Tony lui refile la couleur, il ne le joue pas en tenant les riffs comme les toutous des grands-mères en laisse qui compissent tristement dans le les roues des voitures arrêtées le long des trottoirs, vous les fait crépiter comme une traînée de poudre noire qui se dirige tout droit vers la soute à munition. Amine ne se retient plus, slappe comme un sanguinaire, court sur place comme un dératé aux côtés de sa contrebasse comme s'il participait à un cent-dix mètres haies, et Fred vous file de ces chiquenaudes à ses tambours à les faire rentrer sous terre, en plus il agit vicieusement, il frappe au moment où vous vous y attendiez le moins, par surprise, en traître, mais à la seconde idéale qui vous fait rebondir le morceau en une gerbe d'étincelles. Avec ces fous furieux à ses côtés, Marlow ne se retient plus, fait le marlou, vous traverse la scène de long en large, manière de faire voir du pays à sa guitare endiablée, et puis il vous imite la marche du caneton sauvage poursuivi par le mâtin de la basse-cour décidé à lui déplumer le croupion, une course à la mort pour l'honneur du rock'n'roll. En plus le triomino dément nous remettra le couvert avec Rock'n'Roll Music, un truc démoniaque, que plus personne en France ne sait jouer, c'est un bijou qui demande autant de doigté et de précision que la pesée de l'âme dans la mythologie égyptienne, d'un côté la guitare mais attention elle doit savoir se taire une fois sur deux pour laisser la rythmique vous plonger lourdement son couteau dans les reins, et Fred et Amine se complaisent à merveille à ce pas traînant de spadassin sans pitié.
ALICIA FIORUCCI
Entre nous soit dit un troubadour sans Dame n'est qu'un pauvre ménestrel sans âme, alors sous prétexte de reposer sa voix, Tony appelle Alicia Fiorucci sur scène. Jusqu'à lors elle tenait sagement le stand de disques mais elle s'empare du micro aussi à l'aise qu'une mouette rieuse sur la falaise, Alicia venue spécialement pour nous du pays des merveilles du rock, la prestance et l'aisance, Mélusine serpentaire au sourire ambigu de glace et de feu. Nos trois musicos se mettent immédiatement à son service, tissent une gangue protectrice pour ce diamant noir. Uniquement deux morceaux mais intuitivement interprétés en leur unicité, le premier beaucoup plus hard et éruptif et le second ce You Never Can Tell, z'avez l'impression de revivre la scène au bureau quand le chef de bureau vient vous réprimander pour vos retards répétés, vous tirez brutalement la moquette sous ses pieds, il perd l'équilibre et se fracasse la mâchoire sur la machine à café, ne pourra plus prononcer une parle durant deux ans. Cette malignité goguenarde du rock Alicia Fiorucci vous la restitue avec une terrible justesse. Retourne à son stand sous une nuée d'applaudissements.
Quant à Tony ne lui faites plus jamais confiance, lui à la voix soi-disant défaillante nous finit le set avec un Down on the Corner de Creedence, un shouting démentiel à la Little Richard, un vocal-storming la Jailhouse Rock, une dévastation épileptique, une calamité publique, une réplique sismique de force mille qui vous tarabuste, vous culbute et vous azimute ad vitam aeternam !
KATHY AND THE FIREBRANDS
Non ce n'est pas une erreur. Deuxième set de la soirée. Pas tout à fait, plutôt un deuxième show. L'on prend les mêmes et l'on ne recommence pas. Beaucoup plus de compositions personnelles. La fois précédente, j'avais beaucoup apprécié Yannick, son jeu de contrebasse, une rêcheté veloutée, une pulsion octavienne, pas une seconde de répit, premier de cordées, mais ce coup-ci c'est Cyril qui prend la tête, guitare en fête, s'agit juste de faire dépasser la rondeur des graves un gramme plus lourd que la contrebasse, cela vous change toute l'orchestration, le même film en noir et blanc mais ce coup-ci en couleur, aucune des versions n'est supérieure à l'autre, mais le vocal prend un peu moins d'importance, joue en quelque sorte le bourdon, c'est le côté instrumental qui prédomine, un set pratiquement plus expérimental. Prennent leur temps, épuisent le répertoire, y a de ces fricotis de pizzicato à vous hacher la cervelle, et ne croyez pas que pendant ce temps Kathy tape comme une sourde que l'on a oubliée dans le coffre de la voiture. Elle envoie, grave et méchant, plus vite et plus pointilleuse. Les guys ont intérêt à s'accrocher, car elle ne leur laisse pas le temps de réfléchir à la course des planètes. En plus elle charge Cyril - dans la série qui peut le plus peut le mieux - de davantage de morceaux à chanter, elle en profite pour se livrer à quelques acrobaties rythmiques des plus sophistiquées, et lorsqu'elle s'occupe du vocal elle s'amuse à dissocier les deux actions, l'on dirait qu'elle frappe à gauche et qu'elle pose sa voix à droite, une espèce de subtile délatéralisation structurelle du meilleur effet. Yannick s'en vient conforter son camarade qui descend dans le parterre parmi le public remuant. Sont partis pour ne plus jamais s'arrêter, continueraient bien toute la nuit, mais il est déjà deux heures du matin... Z'ont mis le feu, mais ne l'ont pas éteint.
TONY MARLOW
Tony revient. Encore plus rock que toujours. Débute par un Proud Mary hallucinant de force et de justesse. Ne restent plus que les purs amateurs – la section du 3 B au grand complet – et c'est reparti pour un tour de folie. Tous trois en grande forme. Fred en propulseur irremplaçable et son imparable technique du n'ayez-pas-peur-je-vous-pousse-au-dernier-moment-au-fond-du-précipice-mais-vous-aimez-ça, Amine qui piaffe autour de sa contrebasse tel un bronco sauvage décidé à faire mordre la poussière à son cavalier d'infortune et Tony survolté, prêt à nous montrer tout ce que l'on peut faire sur une guitare, choisit les morceaux ultra connus Summertime Blues ou Train Kept a rollin' juste pour y imprimer sa patte à lui et démontrer que son jeu n'est jamais pâle copie ou vulgaire imitation, mais recréation personnelle tout en manifestant un profond respect aux originaux. Une voie étroite mais royale pour ceux qui peuvent s'y aventurer.
Dans le même ordre d'idée Alicia Fiorucci est appelée sous les acclamations à revenir au micro, Trois morceaux qui se terminent par un somptueux Le Diable en Personne la reprise de Shakin'All Over par les Fantômes que Tony avait exhumée sur son premier disque hommagial à Johnny Kidd. Alicia nous en offre une version éruptive et sensuelle à vous précipiter dans une perdition perpétuelle.
C'est d'ailleurs ce qui se passe. Kathy est la première atteinte elle danse comme une folle parmi le dernier carré, Yannick s'offre un tour de motobécane tandis que le triomino diabolique nous entraîne sur L'Homme et la Moto, Cyril aide Tony à se munir de sa Fender, la Gibson en panne sèche et définitivement hors-jeu, ce n'est plus un set c'est un jukebox, le public criant ses titres préférés, Tony se délassant les index sur le torride Les Guitares Jouent de Johnny et nous faisant l'offrande de Toute la Musique que j'aime, Duduche, impérial, le héros du 3 b, saute sur scène et dynamite le morceau au micro sous une monstrueuse ovation.
C'est le plus triste, le moment des adieux, tempéré par la promesse de se revoir au même endroit, avec la team organisatrice de Connantre qui concocte une soirée spéciale pour le premier septembre.
Damie Chad.
NEW NOISE
N° 43 / Mars -Avril 2018
Magazine papier. De la musique qui déchire. Exemple, ce mois-ci je l'ai pris pour l'interview de Pogo Car Crash Control. Une première constatation qui saute aux yeux attentifs aux divergences signifiantes. C'est beau comme un jardin français. Tiré à quatre épingles et au cordeau. Une mise en page qui ne correspond guère avec l'esthétique attendue des fanzines bruiteux. C'est rangé comme la boîte à couture de Tante Agathe. Pas question que ça dépasse, encore moins que ça rue dans les brancards de la typographie. Les colonnes se suivent et se ressemblent. Les photos ne vous crèvent pas le globe oculaire, couleurs mates, du blanc et du noir. Nulle fantaisie. Elégance glacée post-Bauhaus. Une impression de sérieux désolante. Pour les articles, z'ont adopté la fatigante méthode des magazines de métal, une demi-page de présentation voire de relation des circonstances et interview des groupes. Chroniques disques et livres. Bien fichu, bon boulot, intellectuellement honnête, l'ai acheté, me suis jeté sur la kro de l'album des Pogo, lu l'interview, feuilleté le reste, et reposé sans le lire. Remarquez, je soupçonne beaucoup de lecteurs de Kr'tnt ! d'agir de même avec le blogue... Plaisir égotiste de faire, refus de l'ère de la communication, le rock est-il en train de devenir un art autiste ? Les dents de l'alligator seraient donc élimées ? Do It Yourself or Enjoy Yourself ?
Peut-être qu'il n'y a plus rien à mordre.
Damie Chad.
ORRYELLE DEFENESTRATE
Non, il ne passe pas son temps à défenestrer les gens. Ou plutôt si. Mais alors uniquement de la fenêtre de leurs appartements. Précisément de celles de leur intérieur. Car très souvent elles sont fermées. Renforcées par d'épais contrevents qui ne laissent filtrer aucune lumière. Pas celle du jour. Car pour celle-là, les baies sont grand-ouvertes. Même que la commune humanité adore et s'y dore. Mais il existe des soleils noirs plus subtils. Pas besoin d'aller chercher les bouches d'accès, elles sont en vous, employons une image poétique un peu éculée que tout le monde comprendra, dans la maison de l'âme. House of the holly. Un terrier puant, mais depuis le temps qu'on y habite, l'on s'y sent bien, dans nos propres remugles, dans nos vomis psychiques. Si bien que l'on n'a aucune envie d'en sortir. L'on a même oublié, pire l'on ignore depuis toujours, que comme toute habitation à loyer modéré, elle possède des issues de secours. C'est la Loi. Non pas celle du procureur de la République. L'autre. Alors si vous ne comprenez pas, Orryelle vous aide à faire la grande bascule. N'ouvre pas les portes à la manières de Jim Morrison, préfère forcer les fenêtres tenues fermées par votre ignorance. Et votre peur aussi. Are you ready ? C'est comme le saut à l'élastique, sauf qu'il n'y a pas d'élastique.
Vous connaissez tous Rock around the clock de Bill Haley ? Très bien. Alors vous êtes prêt pour Rock around the chaos. Pour la pendule, ne vous inquiétez pas, vous pourrez en récupérer facilement un modèle sur le FB d'Orryelle Defenestrate, farfouillez un peu, suivez les liens, comment croyez-vous que Christophe Colomb ait découvert l'Amérique ? En allant y voir. Pour les indécis, vous ai rédigé ci-dessous, deux prospectus incitateurs. Comme vous aurez été sages, vous en rajouterai deux, un peu comme ces images impieuses que l'on offre aux enfants après une messe luciférienne.
Doucement, avant la dernière gigue autour de l'horloge, vous ai aménagé un sas intermédiaire d'entrée. Nous sommes encore en pays connu. Enfin presque.
DIONYSOSSS
( Vidéo )
Remarquez ces trois SSS serpentaires et terminaux qui sifflent sur votre tête. Mais n'anticipons pas, je cite seulement le nom des musicos :
Orryelle : violon, voix, percussions, harpe, flûte de pan / Evan Flux : synthétiseur / Les acteurs : chœurs
Soyez sans crainte, mais faites attention, ceci n'est pas une simple vidéo mais un rituel orphique. Matez le chien qui passe en arrière-plan comme par hasard. Vous conseille un vestibule si vous êtes hésitant. L'Après-midi d'un Faune de Stéphane Mallarmé et de Claude Debussy dansé par Nijinsky, Orryelle dispose son corps d'une manière qui n'est pas sans évoquer la lascive gestuelle de l'étoile russe. Lyre d'Orphée stylisée dès les premières images, le trident de l'ébranleur dionysiaque des sens, entourée de lierre sempervirens pour signifier l'éternité des ondulations. Celles de la lumière comme celles des plus extrêmes focalisations que sont les corps humains. Il s'agit bien d'une danse sacrée. La musique glisse, le son dérape, ce n'est pas un truc de montage, mais l'imitation des méandres reptatives du corps du serpent sur les sables de la terre. Mais c'est le chant profond qui vous assaille, celui qui vient des tréfonds des viscères, ces serpents digestivores qui nichent au fond de nos entrailles. Pour ceux qui ne comprennent pas le reptile se meut en surimpression sur les images. Car toute image n'est qu'une représentation d'une réalité non pas surréelle mais sousréelle. Récitatif, hymne orphique. Blancheur des cuisses des jeunes nymphes à peine entrevues, car seuls les dieux ont droit au regard limpide de l'Artiste schopenhaurien, nous sommes à mi-chemin d'un groupe de carnaval et d'une menace plus sombre d'exultation. Blancheur des linges nausicaaens et corps qui se tordent et se roulent en un lent exorcisme néolithique. Rondes joyeuses et folles tarentelles, jusqu'à l'apparition du serpent de feu dans la fournaise de sa propre mythographie. Le son s'arrête, pleurs et désolations, le masque de Dionysos apparaît. Ici et maintenant et toujours. Au cœur de la nature immémorielle comme dans les rues d'une ville de Belgique. Partout le dieu dans l'immensité du monde. Et le drame de la présence se mue en rires, éclats burlesques, éclosions grotesqueS. Reprise finale scandée du nom de Dionysos, la musique s'accélère, un peu comme ces cataclysmes instrumentaux qui terminaient les représentations antiques. Ne cherchez pas plus loin l'origine de l'accord final discordant de la neuvième de Beethoven. Il est étrange de s'apercevoir que cette musique qui s'inscrit tout naturellement dans un catalogue rock ( dans l'écume de In the wake of Poseidon de King Crimson ) émarge tout aussi bien à la discothèque classique, le traitement insistant du violon n'est pas sans rappeler cette espèce de clinquance incendiaire du vibrato des cordes que l'on entend dans certains enregistrements des Quatuors de Bartok. Pas de tous, car beaucoup d'interprètes issus des conservatoires ont les oreilles bouchées, ils n'entendent pas lorsque le dieu leur parle.
CHAOS CLOCK
( Vidéo )
Poussez les hauts-parleurs à fond. La musique aidera à faire passer les images. Mélodies du diable. S'agit d'une expérience dangereuse. Qui dit violon ne dit pas Paganini. Certains visent à plus dangereux. Nous avons déjà évoqué en kr'tnt ! ce mystérieux roman d'Hervé Picart ( qui officia dans Best ) tiré de la non moins singulière série de l'Arcamonde, La Pendule Endormie, dans laquelle le héros se livre à une étrange tentative d'arrêt du temps. Dans CHAOS CLOCK Orryelle s'adonne à une expérience similaire. Dans la série arrêt sur l'image, il a bien son violon en main, mais pas toujours sa tête. L'est remplacée par un cadran d'horloge. Tout ce qu'il y a de plus honnête, avec ses douze chiffres. Notons que chez Picart, il n'y en avait que onze. Mais là parfois, il y en a treize. C'est l'unité première qui a disparu. Nerval nous a avertis, la treizième revient, et son corps a fini par se balancer à un lampadaire de la rue de la Vielle-Lanterne comme un balancier d'horloge. Musique métaphysique. Être et Temps nous a prévenu Heidegger. Qui commence par le commencement. Orryelle remonte son violon comme tout un chacun sa montre avant l'apparition des cadrans électroniques. Mais les projets d'Orryelle sont d'une essence moins égotiste, ne s'occupe pas de son seul oignon.
Le maître de cérémonie est prêt. Suivez de tous vos yeux. Il est en même temps, et le maître, et la cérémonie. Balancements d'archet. Scrupuleusement à haute voix il énonce le compte – à moins que ce ne soit un décompte – les chiffres se suivent et ne se ressemblent pas, finissent par s'entremêler les aiguilles. Avez vous vu la discrétion des pentagrammes, et l'étoile ninja des flèches qui tournent sur elles-même, votre tête vacille, c'est que la musique s'accélère, images tournoyantes, mais le but n'est pas d'aller trop vite, l'on risquerait de dépasser le temps et l'on serait trop loin, dans l'impossibilité de le maîtriser. Le rythme se ralentit, battements lourds du cœur humain, les passions intérieures stagnent et deviennent hypnotiques, des corps traversent la pièce, le violon donne l'heure à l'instar de la tour du beffroi dressé comme un sexe psychanalytique, mais la chair se cristallise, les yeux se diamantisent et les dents ne sont plus que verre de perles pilé. Il se passe quelque chose. Deux serpents en surimpression, deux Ouroboros qui se mordent la queue, nous sommes dans un conte d'Hoffmann, le papillon bleu a une aile cassée.
Tout cela ne serait rien si la puissance n'était là. Se manifeste sous le signe du pouvoir. Le baladin passe en toute innocence – reconnaissez-lui le sourire énigmatique du meneur de rats de la bonne ville d'Hamelin. Porte sagement son violon dans son étui. Les beaux messieurs dans leurs costumes de banquier le regardent d'un mauvais œil. Mais c'est lui qui entre dans le temple de la bourse. Time is money et ses yeux sont pièces d'euros scintillantes. Se lasse vite de ces enfantillages. L'est sur la place publique, les gens passent derrière lui, son violon les transforme en pantins, vite, vite, vite, la calèche du maître est avancée, revient du temps d'avant, la calèche du maître est reculée, un film que l'on rembobine à l'envers, le temps devient rosace de cathédrale, l'esprit est atteint, les gens ne sont plus que les figurines de l'horloge qui défilent. La calèche repart dans le bon sens. Mais c'est trop tard. La folie s'est emparée de la population. Le baladin est maître du temps et des âmes.
Chaos Clock le chaos éclot.
Prenez le temps de le voir. Ne jurez pas que vous n'avez pas le temps. Ne dure que huit minutes. Enfin, c'est ce qui est écrit. Peut-être plus longtemps. Quant à la musique. Pas de problème. Certification démoniaque.
METAPHYSICAL CHESS
A Metamorphic Ritual Theater Production
Female Vocals : Meg Mightjar / Violon : Orryelle.
Très beau. Pour vous en convaincre écoutez d'abord simplement la bande-son. Sombre et médiévale. Un véritable poème de Swinburne. Une lady Godiva auditive. Mais Valéry l'a souventes fois répété, en poésie le son et le sens se doivent d'être indissolubles. Nous nous attarderons surtout à décrypter la beauté des images.
Un jeu d'échecs. Rien de plus innocent. Rien de plus absolu. Mais ici le combat ne consiste pas à tuer l'autre. Ne pas fondre sur l'ennemi, se fondre en lui. Stratégie d'alliance subtile. Les figurines de verre sont de Cas Davey. Les spagyristes furent cousins des alchimistes. Cornues et serpentins d'alambic ne trompent guère, l'opération qui se déroule ici est une figure du grand-œuvre. Des doigts invisibles ou des mains qui sortent de blanches mousselines poussent pièces et pions. Ceux-ci sont fiole de folie. La caméra se déplace par soubresauts. Les symboles secrets sont dévoilés mais resteront indéchiffrables pour les esprits grossiers. Deux figurines attirent les regards. Encolures d'oiseaux issus d'une représentation du cercle de l'alliance des contraires du Yin et du yang. La peinture archétypale en sera projetée plus tard. Cygne blanc et signe noir. Identiques en leurs différences. Oie blanche et corbeau noir aux sombres desseins.
La mariée est en blanc et le chevalier vermeil joue du violon. Chacun se projette dans la fureur solennelle du jeu. Phantasmes éclatés de la richesse du monde. Le Roi se transmue en Hercule grec et la Reine en tour d'ivoire aux mille mamelles. La force du mâle, la profusion de la femelle. Le dieu paon bleu se glisse sur l'échiquier. Rouge des menstrues et blanc de sperme. La musique souveraine gicle en souveraines saccades. La caméra tournoie et le monde s'écroule.
Une voix caverneuse annonce l'hymen hiérogamique de l'aigle blanc et du lion rouge. Les pièces sont face à face. Des dessins symboliques apparaissent. Le serpent s'enroule autour de l'œuf primordial. Les deux souverains ont la couleur de la terre glaise, une pâte qui s'entremêle et ne forme plus qu'un œuf terminal qui disparaît de l'échiquier déserté de toute sa population. Focus sur la case noire, mal peinte, parsemée de taches laissées en blanc, voie lactée spermatique sur la béance noire de l'univers. L'œuf revient tel un ovaire de poule qui se métamorphose en terre et se sépare pour reprendre la forme du couple primordial. Images en blanc et noir, gueule de lion anamorphosée en vulve de femmes, petites lèvres représentant les jumeaux alchimique, le couple se sépare, bruit d'un tronc d'arbre qui s'ouvre en deux. Le serpent de la genèse qui se mord la queue entoure les deux corps. Générique de fin. Coagulation infinie. Naissance de l'homme et de la femme. Serait-ce ce que l'on appelle l'échec partitif du désir ?
DIVINE
THE CHRUSHING OF THE KING
La suite de l'antérieur. Mais sur l'anneau de l'éternel retour il est difficile de savoir exactement où se trouve le précédent et le successif. Quoi qu'il en soit, nous admettrons que la scène se passe juste après la vidéo des échecs métaphysiques. Même atelier d'alchimiste et même plateau échiquéenne de symbolisation actionnelle. Le Roi est jeté dans le creuset et réduit en miettes à coups de pilon. Orryelle est au travail mais il prend son violon, nous voici dans la première vidéo, dans la nature, Orphée en tunique blanche en train de danser. Mais ce sont plus de douces nymphes qui l'accompagnent, se sont transformées en ménades. Musique chaotique, l'entremêlement des corps devient spasmodique, Orphée essaie d'échapper à la fureur jalouse des prêtresses qui ne peuvent le ligoter dans les rets de leurs désirs. Le mettent nu et à mort.
Pour mieux comprendre les production d'Orryelle Defenestrate et sa démarche nous invitons nos lecteurs à lire Les Hymnes Homériques ( Collection Budé ) et surtout à se pencher sur les oeuvres d'Aleister Crowley ( livraison 162 du 14 / 11 / 2013 ) et d'Austin Osman Spare ( livraison 330 du 25 / 05 / 2017 ) déjà succinctement présentées dans KR'TNT ! par l'entremise des traductions de Philippe Pissier, espion-Sebek.
Damie Chad.