Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

24/03/2021

KR'TNT ! 503: MARC LANEGAN / MIRIAM LINNA / LOBBY LOYDE / PATRICK GEFFROY YORFFEG / ERIC BURDON AND THE ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XXVI

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 503

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

25 / 03 / 2021

 

MARK LANEGAN / MIRIAM LINNA / LOBBY LOYDE

PATRICK GEFFROY YORFFEG

ERIC BURDON AND THE ANIMALS

ROCKAMBOLESQUES 26

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Lanegan à tous les coups - Part Five

 

Tu es là bien peinard, calé dans ton fauteuil, à feuilleter le Record Collector qui vient tout juste d’arriver et paf, tu tombes sur un portrait plein pot de Lanegan. Cheveux longs pas coiffés, lunettes noires, mine fermée, front plissé, blouson de cuir et les deux mains croisées couvertes de tatouages, deux points et deux étoiles sur chaque doigt, un crucifix sur le dos de la main. Lanegan ne vieillit pas, il reste le dark outsider qu’il a toujours été, il est à l’image de son livre qui est une célébration du mal de vivre à travers tous les excès, cul, drogues, alcool, rock, violence, il incarne ça de toutes les molécules de son corps. Lanegan est un Jimbo qui a réussi à survivre. Un surhomme du sex & drugs & rock’n’roll circus.

Pas de meilleur real deal. Quand on sait en plus que ses albums et son autobio battent tous les records d’insalubrité publique. On a tous croisé dans la vie des mecs comme Lanegan, qui sont de parfaites incarnations de ce que l’on appelait autrefois l’esprit rock. Cuir, tatouages, coupe de douilles, on sait immédiatement ce que ça veut dire. Tu es dans le vrai monde, celui des gens qui ne font pas semblant. Rien à voir avec la frime. Ces mecs là n’ont pas besoin de se déguiser. Ils ont cette grâce naturelle qui chasse toute forme d’ambiguïté et qui en même temps les marginalise. Mais il vaut mieux être marginal que rien du tout. Rien n’est pire que de n’être rien du tout dans le néant d’une vie ordinaire avec un boulot ordinaire et une voiture ordinaire et une femme ordinaire. Rien qu’avec sa gueule, Lanegan affiche un palmarès, il n’a pas besoin d’écrire un CV, on sait tout de suite ce qu’il vaut et ça fait vite le tri. Dans la vie c’est pareil, on choisit son camp dès l’adolescence, et vers la fin des sixties c’était assez simple, car les cuirs, les tatouages et les coupes de douilles faisaient vite la différence. Bon alors après il y a les goûts musicaux et c’est vrai que ça se peut se compliquer. Lanegan n’a pas besoin de porter un T-Shirt à l’effigie d’un groupe pour indiquer son appartenance. Sa dégaine dit tout ce qu’il faut dire. Elle ne trompe pas. Et le choix de ses amis non plus : ce n’est pas un hasard si Jeffrey Lee Pierce, Layne Staley (Alice In Chains), Dylan Carlson (Earth) et Kurt Cobain sont ses meilleurs amis.

L’important serait peut-être de dire qu’il est assez réconfortant de voir qu’il existe encore dans le circuit des mecs comme lui, c’est-à-dire des purs et durs qui ne rentreront jamais dans le rang et qui ne vendront jamais leur cul pour un billet, comme l’ont fait tant de pseudo-stars par le passé. Quand Lanegan montre ses tatouages, c’est sa façon de dire fuck you au monde des beaufs et au music biz. Il n’est pas dans la frime, contrairement à tous ces mecs qui se font photographier aussitôt sortis du salon de tatouage. Dans son autobio, Lanegan explique qu’il s’est tatoué tout seul, après avoir barboté de l’encre de Chine chez le commerçant local. Tout ça parce qu’ado, il avait flashé sur un livre qui rassemblait des portraits datant du XIXe siècle de marins et de bagnards tatoués, la plupart du temps sur tout le corps, et cet univers le fascinait. Alors crac, tu dessines ton motif au stylo sur la peau, tu attaches deux aiguilles ensemble avec un bout de ficelle et tu pic et pic point par point, tu vois le sang perler et se mélanger à l’encre et quand c’est fini tu rinces la plaie à la bière. Le surlendemain, ça commence à cicatriser et la croûte s’en va dans les jours qui suivent. Ça donne un tatouage bien crade, comme ceux de Lanegan. Il fut un temps où les salons de tatouage se trouvaient dans les caves des HLM.

Alors pourquoi une interview dans Record Collector ? Lanegan n’a rien à vendre, cette année, son dernier album et son autobio datent de l’an passé et KRTNT en avait bien sûr fait ses choux gras. Rob Hugues l’interviewe simplement pour le plaisir. À 55 balais, Lanegan est un miraculé. Il confirme qu’il ne touche plus à rien et éclate de rire facilement - dry laughter - mais il ne rit pas des autres, il rit surtout de lui. Il indique aussi qu’il a beaucoup de mal à retourner dans le passé, car il a découvert qu’en vivant au présent, il se sentait mieux. Mais bon, pour son autobio, il a dû replonger dans les années noires. Il a mis quatre mois à écrire ce chef-d’œuvre crépusculaire. Rusé comme un renard, Hugues le branche sur ses premières influences musicales, et Lanegan cite «Folsom Prison Blues» de Cash et passe directement à «Anarchy In The UK» - A whole British and New York punk rock that made music the number one thing in my life - C’est là que le rock est devenu le truc le plus important dans sa vie. Puis il cite les Stooges, les Doors, les Ramones, le Velvet, all that right stuff. Puis il passe à des trucs plus out there, comme Astral Weeks (Van Morrison), Starsailor (Tim Buckey), Trout Mask Replica. C’est en écoutant Astral Weeks qu’il pense pourvoir faire un grand disque (something great) - It became my obsession - Quand il enregistre son premier album solo, The Winding Sheet, il fait encore partie des Screaming Trees, mais John Agnello trouve ses chansons brillantes et le convainc de faire un deuxième album solo, Whiskey For The Holy Ghost. Lanegan se marre car il sait bien que ses three-chords Leonard Cohen rip-offs sont assez limités - It was definitely not Starsailor or Trout Mask Replica - Il sait très bien qu’il n’a pas enregistré l’album du siècle, mais ça correspondait à la vision qu’il avait des choses, avec deux influences principales : Astral Weeks et le roman de Cormac McCarthy, Blood Meridian - The lyrics were kind of influenced by the imaginary and shit in that book, which is out of control (Les paroles sont vraiment influencées par ce livre, qui est complètement barré).

L’un des point forts de Lanegan, c’est l’auto-dérision. À ce petit jeu, il est imbattable. Il cite l’exemple d’un mec qui dit qu’il aime bien sa musique mais qu’il ne l’aime pas en tant que personne - what a piece-of-shit person - alors forcément, Lanegan explose de rire : «Comment pourrais-je prétendre le contraire ?». De plus en plus rusé, Hughes revient sur la fin de l’autobio, au moment où Lanegan sauve sa peau en entrant en detox et où, allongé sur la pelouse, il ressent un flash surnaturel. Expérience spirituelle ? Alors Hugues fait son Jacques Chancel : «Et Dieu dans tout ça ?». Lanegan s’esclaffe - I’ve never asked God for anything - Il ajoute que des gens trouvent une voie spirituelle quand ils n’ont plus rien à espérer. Il se souvient très bien du moment qu’il décrit dans son book, il était overjoyed parce qu’il était assis sur une pelouse au soleil et qu’il avait réussi à survivre. Et ça le faisait bien marrer - Fuck you ! Go ahead and try to kill me ! It’s impossible ! - Il se sait invincible. Et comme il sait que les pires ennuis vont succéder à ce court moment de grâce, il se met à chialer. Il sortait d’une période de misère totale - Self-created of course - et il ne sentait pas de taille à affronter la suite. Alors pour la première fois de sa vie, il s’est adressé au ciel : «God change me !». C’est là qu’il a vu toute sa vie défiler en un éclair. Il décrit brillamment cette expérience paranormale à la fin du book.

Hughes a gardé le meilleur pour la fin : l’actualité. Il demande à Lanegan ce qu’il pense du pandemic. Comme John Lydon dans une interview récente, Lanegan bouffe le fucking pandemic tout cru : «L’an passé nous avons été dans ce pays à la merci du pandemic et à la merci de ce gouvernement. Personne ne sait ce que nous allons devenir une fois que l’économie va s’écrouler - after the economy has been destroyed overnight - Est-ce qu’il y aura encore une place pour moi dans ce monde ? J’en sais rien. Et je m’en branle car j’ai 55 balais et j’ai vécu 20 ans de plus que prévu. Mais je serais triste de ne plus pouvoir faire de musique. J’aime tellement ça. L’an passé, je me suis dit que j’allais reprendre mon ancien métier, décorateur de cinéma, c’est un métier que je connais bien, pendant deux ans j’ai bossé pour des TV shows. Je vais donc faire un truc que je suis capable de faire, qui est légal et dont les gens ont besoin. Je dois bien réfléchir à ce qui va arriver, car je suis sûr que quelque chose va arriver.»

Signé : Cazengler, Lanegland

I was a nightmare to work with - Mark Lanegan interview. Record Collector # 516 - March 2021

Linna tout bon - Part One

 

Plom plom plom, Miriam Linna débarque dans Shindig! avec tout un tas de bonnes nouvelles : elle sort sur Norton le prochain album des Grys-Grys (To Fall Down), ainsi qu’un Greatest Hits. Elle annonce aussi la sortie d’un album de Cash Holiday, parfait inconnu au bataillon. Oh, elle tremble un peu à l’idée de sortir tous ces albums en plein cœur d’un pandemic, mais comme diraient Sonny & Cher, the beat goes on, ou plus exactement the beat must go on. Elle annonce aussi un nouveau numéro du mythic Kicks, le # 8, shortly, précise-t-elle. Elle reste aussi active dans la branche éditoriale de Norton (Kicks books) puisqu’elle annonce la parution d’un photo-book de Katherine Weinberger consacré aux Swiss teen gangs. À part Norton et les Suisses, on se demande bien qui peut s’intéresser aux Swiss teen gangs. Puisqu’on est dans Kicks books, elle en profite pour rappeler que Mind Over Matter: The Myths And Mysteries Of Detroit’s Fortune Records est disponible au prix de 100 $, sans compter le port. Bon, là elle exagère, car il faut être sacrément fortuné pour acheter un Fortune book à ce prix-là. Elle annonce aussi la parution de son autobio, Kicksville 76, qui risque de faire double emploi avec son blog Kicksville 66, où elle a déjà raconté en long en large et en travers toute son histoire, et en particulier l’épisode anecdotique de la formation des Cramps. Il est si délicieux qu’on va le resservir. Figurez-vous que les Cramps engagèrent Miriam comme batteuse parce qu’elle ne savait pas jouer de batterie. En nous vantant les charmes d’une simili-batteuse, Lux Interior faisait monter d’un cran le niveau du génie trash.

Comme l’interview s’étend sur quatre pages, ça brasse assez large. Point de départ ? Miriam se rappelle d’avoir entendu les premiers singles des Beatles à l’âge de 8 ans. En 1962, son frère Jack écoute «Love Me Do», puis elle voit sa sœur Helen devenir folle-dingue en entendant «She Loves You» sur une radio de Toronto. Quand Jack passe aux Stones et aux Animals, Miriam suit le mouvement. C’est là que germe en elle une petite obsession pour la radio et les disques qui dit-elle va finir par conditionner toute sa vie. Baisée ? Non sauvée.

Quand sa famille quitte Toronto pour s’installer à Cleveland en 1967, son obsession monte encore d’un cran. Elle se souvient en particulier d’une double affiche Slade/Stooges qui a traumatisé tous les gens qu’elle connaissait à cette époque. En 1974, elle était comme nous tous crazee about Slade et sur scène, Iggy portait dit-elle une culotte de gonzesse - That double barrel threat of UK vs USA loud sound blasted us out of orbit - Miriam ajoute que tous les gens qui ont assisté à ce concert ont ensuite monté des groupes. Alors évidemment, puisqu’elle parle de Cleveland, Jacques Chancel lui demande : «Et les Raspberries dans tout ça ?». La réponse ne se fait pas attendre : «The Raspberries were absolute superstars, and still are.» C’est bien qu’elle le rappelle parce qu’on aurait tendance à oublier Eric Carmen et les Raspberries. Elle cite aussi les Rocket From The Tombs et les Electric Eels. Elle avoue un soft spot pour les Rocket. Quand un tout petit peu plus tard, les Rocket deviennent Pere Ubu, ils enregistrent le faramineux «Final Solution». On pouvait à l’époque commander ce single via une adresse indiquée dans Who Put The Bomp!, et c’est Miriam qui faisait les paquets. C’est l’époque des petites mains de rêve : Miriam à Cleveland, Suzy Shaw à Los Angeles qui envoyait les albums choisis sur the auction list, ou encore Doug Hanners au Texas qui taillait des gros emballages en carton pour envoyer en Europe le précieux single des Spades, la version originale de «You’re Gonna Miss Me».

En 1973 Miriam et sa frangine Helen cassent leur tirelire et se payent un billet d’avion pour l’Angleterre. Leur projet est de suivre une tournée, et pas n’importe quelle tournée : celle des Spiders From Mars : Londres, Écosse, Irlande, elles voyagent en stop, Miriam et Helen sont dingues de Bowie et de Pin Ups. Cette dinguerie va durer jusqu’à Young Americans, après quoi Miriam arrache les posters des murs de sa chambre pour passer au punk-rock. Elle a 20 ans quand elle débarque à New York et qu’elle rencontre Lux & Ivy. Lux la connaît, puisqu’il vient lui aussi de l’Ohio. Il explique à Miriam qu’il vient s’installer à New York pour monter un groupe et c’est là qu’il fait sa proposition historique. Elle pense qu’il est complètement cinglé, mais elle accepte. Et pouf c’est parti. Les Cramps jouent leur premier set en novembre 76 au CBGB, en première partie des Dead Boys. Miriam revient ensuite sur deux personnages clés de la scène new-yorkaise d’alors, Peter Crowley et Marty Thau. Sans eux, dit-elle, cette scène n’aurait pas eu le même retentissement. Crowley programmait les groupes au Max’s Kansas City et Thau managea les Dolls avant de monter son label Red Star et de lancer Suicide. C’est Thau qui donne à Miriam son premier job dans le music biz : assistante chez Red Star. Méchante veinarde - It was one of the most amazing years of my life - Sur Red Star on trouve en plus de Suicide les Real Kids et les Fleshtones.

Shindig! la branche ensuite sur les Groovies. Quand Greg Shaw vient prospecter à New York pour son label Bomp!, il rencontre Miriam et lui demande de s’occuper du fan club des Groovies. Honorée, elle accepte. Elle commence à publier The Flamin’ Groovies Monthly en 1977, qui finira par muter pour devenir Kicks en 1979. Kicks bien sûr en l’honneur de Paul Revere & The Raiders. Et comme Greg Shaw, Miriam et Billy Miller qu’elle rencontre fin 77 passeront naturellement du fanzine au label.

Kicks, c’est 7 numéros en 15 ans. Les premiers numéros depuis longtemps épuisés ont été réédités, notamment le premier avec sa couverture rose et ses articles sur Vince Taylor, les Everly et les Groovies. Elle aime bien redire que Kicks et toute cette culture des fanzines qui remonte à Who Put The Bomp! servait surtout à célébrer des disques inconnus et rendre hommage à des under-celebrated individuals, comme par exemple Equerita ou Bobby Fuller. Miriam et Billy vont d’ailleurs se spécialiser dans l’exhumation d’under-celebrated individuals et faire de Norton un label légendaire. Parmi leurs gros coups, on note la sortie de 5 albums de Benny Joy et deux albums de démos de Johnny & Dorsey Burnette. Mais plein d’autres choses, comme Rudy Ray Moore, Link Wray, Charlie Feathers, Long John Hunter, Gino Washington, le catalogue de Norton est une vraie mine d’or. Ça va jusqu’à Sun Ra. À une époque, on trouvait tous ces albums au Born Bad de la rue Keller et le compte en banque prenait chaque fois une sacrée claque dans sa gueule de compte en banque. Miriam rappelle aussi l’aspect crucial de leur démarche : «We want to go down to the nitty gritty, and expose lost music and tell the tale.» Elle voulait aussi sortir de l’ambiance savante de la culture rock, le côté ampoulé de l’analyse critique, l’aspect prétentieux d’une certaine presse rock - This music is exciting, act like you’re excited, gosh darn it ! - Bien joué Miriam.

Alors forcément, Norton se spécialise dans l’oddball rock’n’roll et le garage/instro stuffy stuffah de préférence bien weird. D’où Hazil Adkins. Elle cite aussi les early tapes d’Arthur Lee qui sont sur Norton (Arthur Lee & The American Four), puis les early tapes de Tommy James ou encore celles de Question Mark & the Mysterians. Elle insiste aussi beaucoup pour recommander les lost recordings d’Esquerita avec Idris Muhammed. L’album s’appelle Sinner Man - C’est probablement le premier Norton issue que je recommanderais - Et quand Shindig! aborde le thème du garage revival des années 80, Miriam répond Lyres sans aucune hésitation - They were hard-edged and real - et dans le feu de l’action, elle indique qu’ils ne cherchaient pas à imiter des gloires gaga du temps passé - They were explosive, absolutely the best - Gildas ne s’était pas trompé non plus quand à l’époque il a flashé sur Monoman, l’âme des Lyres.

Billy et Miriam vont injecter leur passion pour ce qu’elle appelle the lost music dans les Zantees, le groupe qu’ils montent en 1979, et qui va devenir the A-Bones. Mais ils le font comme elle dit crudely. Nous y reviendrons dans un Part Two.

Alors bien sûr ça nous mène tout droit à la question panoramique : en 40 ans, Miriam n’a-t-elle pas tout fait ? Acheter des disques, vendre des disques, faire un fanzine, jouer dans un groupe, éditer des music books. Hé bé oui, comme on dit à Toulouse. Comme Mike Stax, Greg Shaw, Gildas et quelques autres, elle a bouclé la boucle. Mais en même temps, elle est assez amère sur la question de l’évolution des choses. Elle pense comme beaucoup qu’Internet a bousillé l’enthousiasme. C’est par les record shops et les radios qu’on chopait the real music. The real radio d’aujourd’hui lui semble incroyablement boring. Pour lui remonter le moral, Shindig! la complimente sur ses deux albums solo, Nobody’s Baby et Down Today. Elle est touchée et indique qu’elle doit tout à son ami producer/musician nonpareil Sam Elwitt.

Nobody’s Baby date de 2014. Elle y fait de belles reprises, à commencer par « There Goes My Babe » de Buffalo Springfield qui sonne bien psyché, d’autant qu’elle le Brille à la cloche comme si Totor était là, dans la cabine, à superviser, comme au bon vieux temps du Wall et des Ronettes. Elle tape ensuite dans les Pretties avec un « Walking Down The Street » tiré de The Electric Banana Blows Your Mind. Pur jus mythico-gaga. Elle s’énerve. Derrière serpente un joli fuzz snake. Elle dit bien son down. Clin d’œil aux Ramones avec « Questioningly ». C’est un hommage au Brill, et pouf ça s’en va télescoper les Dolls, les Shangri-las et Dion. Nouvel hommage, cette fois à Bobby Darin et sa merveilleuse pop d’anticipation, avec « Not For Me ». Par contre, la cover du « So Lonely » des Hollies est un peu foireuse. « My Love Has Gone » s’adresse à Ellie Greenwich et aux tambourins du Brill. Elle tape aussi dans Gene Clark avec « So You Say You Lost Your Baby » tiré de son premier album solo enregistré avec les Gosdin Brothers. Bel up-tempo de pop avantageuse. Elle remonte le courant toute seule. On applaudit. Ah bravo ! Elle ose aussi taper dans Billy Nicholls avec « Cut And Come Again », un cut qu’on retrouve sur l’excellentissime Home And Away de Del Sahnnon que produisit Andrew Loog Oldham. Et là, c’est très courageux de sa part, car elle tape dans un gros culte. Encore un shoot de Brill avec « I’m Nobody’s Baby Now », de Jeff Barry. Wall pur. Le drumbeat se perd dans l’écho du temps. Miriam a le bec fin. Elle aime les bons disques.

Son deuxième album solo s’appelle Down Today. C’est son Pin Ups, dit-elle. D’ailleurs elle y fait un Bowie, «You’ve Got A Habit Of Leaving». Attention aux trois premiers cuts du bal d’A, car elle tape dans Terry Reid avec «The Hand Dont Fit The Glove», une pop qui grimpe au mur comme le lierre, très sixties, mais Miriam est un peu juste dans les montées, elle ne dispose pas du raw de Reid. Elle contourne l’obstacle avec du petit trash. C’est très héroïque de sa part. Elle enchaîne avec une compo de Sam Elwitt, «I Keep Falling In Love», toujours d’esprit sixties, pop brillante, lumineuse, tendue vers l’avenir, avec un joli son, ambiance Ready Steady Go!, frange, féminité à l’Anglaise, mini-jupe, son étincelant, on pense aussi à Sonny & Cher ou à Jackie DeShannon. Troisième merveille, cette reprise du «Take Me For A Little While» de Jackie Ross, classique Northern Soul monté en épingle avec des éclats brillants. Bizarrement, la suite de l’album est nettement moins intéressante. Il faut attendre la reprise d’«Afterglow» des Small Faces qui se trouve de l’autre côté pour refrémir. Nouvel acte de courage, car Miriam ne dispose pas non plus des octaves de Steve Marriott. Alors, comme pour Terry Reid, elle contourne l’obstacle en se servant astucieusement de la mélodie. Elle passe au garage avec «Which End Is Up», tout y est, l’énergie, le tambourin et la poigne de vétérante de toutes les guerres. Mais il lui arrive aussi de chanter comme une casserole, comme le montre en bout de B sa cover de «You’ve Got A Habit Of Leaving», early Bowie, époque Lower 3rd. Elle s’en sort quand même pas trop mal grâce à un final explosif digne des Who, éventrement d’amplis et drumbeat d’explosivité latérale.

Signé : Cazengler, Linaze

Nobody’s baby - Miriam Linna Interview. Shindig! # 113 - March 2021

Miriam Linna. Nobody’s Baby. Norton Records 2014

Miriam Linna. Down Today. Norton Records 2015

 

Great Balls of fire

 

Lobby Loyde et ses Coloured Balls faillirent bien décrocher le jackpot dans les années soixante-dix avec leurs trois albums de glam-rock australien. Quand Lobby Loyde monte les Coloured Balls en 1972, il est déjà une sorte de vétéran de toutes les guerres de Brisbane. Il fit partie des Purple Hearts et des Wild Cherries, deux groupes sur lesquels nous reviendrons un peu plus tard. Avec les Coloured Balls, il développe un culte à base d’explosive rock’n’roll et de sharp haircut. On entre là dans le domaine sacré du proto-punk. En Angleterre, Jesse Hector fait exactement la même chose. Comme les Saints, les Balls sont mal vus, et dans un monde normal, on aurait dû les considérer comme l’un des meilleurs groupes australiens. Quand il arrive en Angleterre en 1976, Lobby découvre que les groupes sonnent comme les Coloured Balls. Alors il s’exclame : «Mais on fait ça depuis des années !».

L’objet de Lobby est de créer du high energy rock’n’roll on his own terms. Eh oui, il suffit d’écouter Ball Power paru en 1973 pour réaliser que les Balls ne sont pas là pour rigoler. Ils attaquent avec «Flash», une espèce de power speed freakout. Fabuleux shake de shook aussie ! Who is in the flash ! Lobby y va de bon cœur - Hey baby cause I love you so/ That’s the flash I ain’t let go - Globalement, les Balls se veulent wild et ils s’en donnent les moyens. «Mama Don’t You Get Me Wrong» sonne comme un boogie blast chauffé à la glotte blanche. Ces mecs ont un sens aigu du rock électrique. Tiens, écoute «Something New», ce heavy groove de feel so good. Tout est travaillé dans le lard de la manière, ils ont tout compris. Comme Jook, ils bossent leur son et leur look. L’un ne va pas sans l’autre. Encore un solide plotach de Balls avec «Human Being». En B, ils reviennent à un son plus seventies avec «Hey What’s Your Name». On croirait entendre Free avec un Cro-Magnon au chant. C’est complètement convaincu d’avance. Comme on peut le constater à l’écoute de «That’s What Mama Said», les Balls ont un sens aigu des dynamiques soniques. Ils se lancent là dans une longue jam qui préfigure le kraut. Lobby Loyde ne revient chanter que sur le tard. Ils répètent that’s what mama said ad vitam eternam et Lobby part en vrille se solo gras. Get the Balls !

L’année suivante, ils enregistrent un album beaucoup plus glam, Heavy Metal Kid. Dès «Do It», on observe leur admirable aisance à swinguer le glam. «Private Eye» sonne aussi comme un hit glam. On croirait entendre Marc Bolan. C’est un admirable cas d’osmose. Allez tiens, encore un brin de glam avec un «Dance To The Music» qui ne doit rien à Sly Stone mais qui se présente plutôt comme un cut extrêmement bien foutu avec ses accords de rock’n’roll et sa jolie tension en background. On voit qu’avec leurs coupes de cheveux, ces mecs ne font pas dans la dentelle de Calais. Ils tailladent leur morceau titre à la riffalama et cocotent salement leur beat goes on. Ils montent une réelle habileté à shaker le vieux «You’re So Square» de Leiber & Stoller. Pas mal de bonnes surprises en B, à commencer par «Back To You», heavy boogie down, solide et terrific à la fois. Ils se lancent dans un drive longue distance et tiennent bien la moyenne. Ces mecs sont rompus à toutes les disciplines. Ils font un cut à l’indienne avec «Sitting Bull» et des tambours de guerre. Ils sont étonnant et savent rester vifs comme l’éclair. On ne se lasse pas du power des Balls.

On ne reverra pas de sitôt un disque aussi parfait que The First Supper Last, enregistré en 1972, mais seulement paru en 1976. «Time Shapes» sonne comme du vrai glam de bretelles, joué à la moelle fondamentale du big riffing. Lobby et ses amis ont tout compris. C’est le meilleur heavy glam qu’on ait entendu depuis celui d’Helter Skelter. Le killer solo flash renverse toutes les quilles. Pur génie glam. Inespéré ! Ils jouent avec une énergie qui en dit long sur leur crédibilité. Oh boy, laisse tomber la pluie, c’est eux qu’il te faut. Véritable dégelée de gelée royale ! Avec tout le power qu’on peut imaginer. Ils tapent dans le «So Glad You’re Mine» de Big Boy Crudup. C’est bardé de son. Les murs vibrent. Ils surjouent leur shit de choc à l’aune du proto-punk avec une rage incommensurable. Encore un véritable coup de génie avec «Working Man’s Boogie». Ils nous embarquent pour six minutes de forte tension intellectuelle, six minutes dignes du MC5 et des grands éclaireurs. C’est violemment bon. Lobby rentre dans le chou du cut à la vrille moyenâgeuse. Ça vibre comme du gros T. Rex mal dégrossi, ça brûle au fond du cut comme au fond d’une marmite, le solo lèche les flammes de l’enfer. Lobby et ses amis détiennent le pouvoir suprême. On voit le solo courir comme le furet. S’il est un groupe qu’il faut saluer pour son énergie, c’est bien les Coloured Balls. Ils jouent leur «Mama Loves To» à la clameur et tout reprend feu avec «Liberate Rock Part Two Revisited». Heavy rock, oui, mais c’est bardé de son. Ils ont le génie du big Sound. Quelle présence ! Ils tapent à tous les râteliers, boogie, glam, Chuck, ils excellent particulièrement dans l’exercice de la heavy heavyness, ils jouent avec une énergie de tous les diables et sont écrasants de souveraineté. Ils ont même le génie du réflexe qui fait mouche. Et il faut voir ce final en forme de montée démoniaque. Liberate rock ! Set free oh yeah !

Malgré ces trois albums, les Balls vont rester l’un des groupes les plus malchanceux des années soixante-dix. On les prenait pour un groupe anti-social, à cause de leur agressivité scénique et de leurs coupes de cheveux - the sharpie haircut - qui ramenait les skinheads dans leur sillage. Ils finirent par splitter en 1974, après avoir sorti deux bons albums (le troisième, The First Supper Last, ne sortira qu’après le split).

Mais l’essentiel n’est pas là : les groupes malchanceux abondent dans l’histoire du rock. L’essentiel est de savoir qu’un mec comme Lobby Loyde ne tombait pas du ciel. En 1973, il était déjà ce qu’on appelle communément un vétéran de toutes les guerres. Pour s’en faire une idée, il suffit de se plonger dans un fat book intitulé Wild About You. The Sixties Beat Explosion In Australia And New Zealand. Ian D. Marks & Iain McIntyre y racontent l’histoire de 35 groupes australo/néo-zélandais, parmi lesquels figurent les deux premiers groupes de Lobby Loyde, les Purple Hearts et les Wild Cherries. La présentation que fait McIntyre des Purple Hearts vaut bien celle des Pretty Things : il décrit un groupe prêt à embrasser every aspect of the dirty rock’n’roll lifestyle : copious drug use and unkempt clothes. Ils ne sentent pas bon et se gavent d’amphètes. Mais c’est leur son qui va établir leur réputation, hard-edged amphetamine-driven R&B and squalling guitar work, courtesy of Lobby, of course. Dans l’interview qu’il accorde à McIntyre, Lobby rappelle que les Puple Hearts étaient des pilules d’amphètes dont ils faisaient alors une grosse consommation. Ça leur était utile car il leur arrivait fréquemment de devoir jouer quatre fois dans la soirée, avec un dernier set à 5 h du mat, et pour tenir ce rythme, il vaut mieux gober des stimulants. Lobby revient aussi longuement sur la pression des flics australiens à cette époque. Les flics les harcelaient, faisaient des descentes dans leurs chambres d’hôtels, fouillaient leurs valises, vidaient leurs tubes de dentifrice et les considéraient tous ces kids chevelus comme anti-sociaux - You were batting with Satan. You were anti-Joh (gouverneur du Queensland) - Dans une interview, Chris Bailey rappelle lui aussi que la police dans certains coins d’Australie était la plus répressive du monde. Lobby est aussi très fier d’avoir acheté sa pédale fuzz avant que Keef n’achète la sienne pour jouer le riff de «Satisfaction». Lobby entre alors dans les détails et rappelle que Chet Atkins a inventé le fuzz-tone en 1957 et il se dit très fier d’avoir possédé l’un des modèles originaux, the Gibson maestro Fuzz-Tone - I like it because it was really dirty and filthy - Autre détail de poids : le batteur des Purple Hearts n’est autre que Tony Cahill qui va quitter le groupe pour rejoindre les Easybeats. Cette interview est fascinante car Lobby raconte à travers l’histoire des Purple Hearts toute l’histoire du wild rock des sixties. On est aux premières loges, surtout quand en 1965, les Purple Hearts jouent en première partie des Stones en Australie : Lobby y va de bon cœur : «Brian Jones was really a great fingerpicking blues guitarist. Et il était l’un de ces mecs très intenses. He used to get this weird vacant stare and play. À cette époque, Keith était le rythmique et Brian le lead guitarist.» Lobby rend aussi hommage aux Easybeats avec lesquels tournaient aussi les Purple Hearts en Australie : «They were ferocious little bastards. Glasgewians, mate, tough guys !». Lobby raconte aussi qu’il a participé à ce qu’on appelait alors the Caravan of Stars, avec Tom Jones et les Herman’s Hermits, et là forcément, ça drainait un autre public. Pendant la tournée, les Herman’s Hermits n’adressaient pas la parole aux Purple Hearts et Lobby explique qu’il n’avait encore jamais vu des gens aussi propres, aussi bien peignés, avec des chaussures aussi bien cirées et des guitares aussi clean - Lovely clean-cut fellers - Mais en même temps, Lobby rappelle que c’était très éprouvant de jouer en première partie de groupes connus, car le public ignorait totalement les premières parties. Lobby dit qu’on entendant chanter les grillons quand jouaient les Purple Hearts - You’d get pretty depressed out there - Alors il fallait jouer. Il évoque aussi les fameux sharpies qui vont conduire au look des Coloured Balls - The original sharpies were a heavy-duty bunch of guys - Les Sharpies étaient déjà là dans les années 60 et Lobby pense que s’il est allé sur ce look, c’était pour se différencier des wussy pop bands - You had to have a belligerent edge, just for your own survival - Quand McIntyre rappelle qu’un membre des Missing Links portait un flingue, Lobby abonde dans ce sens : oui, il y avait des barres de fer, guns and knives. Ça faisait partie de Sydney - Sydney was a tough place, mate.

Avant de disparaître, les mighty Purple Hearts n’enregistrèrent que cinq singles, mais quels singles ! Ils figurent tous les cinq sur Benzedrine Beat, une compile publiée par la Moitié de la Vache. On trouvera difficilement plus enragés que les Purple Hearts. Benzedrine Beat est là pour le prouver. Ils commencent par défoncer «Talkin’ Bout You» qui ne demandait rien à personne. Puis il font rôtir «Louie Louie» dans les règles du lard. Tout y passe, même «Gloria» qu’ils parviennent à massacrer ostensiblement. Bienvenue dans l’enfer des reprises ratées. Le problème est que les Purple Hearts se prennent pour des Yardbirds. Il faut attendre «Of Hopes And Dreams And Tombstones» pour voir l’oreille se redresser. C’est bien ramoné au bassmatic, on a là du Mod rock bien arrosé d’harmo. Ils tapent «I’m Gonna Try» au vieux retour de manivelle. Joli shoot de wild r’n’b aussifié avec une fantastique élasticité du répondant. «Just A Little Bit» vaut aussi le détour, c’est mille fois plus enflammé qu’un hit des Yardbirds. C’est là où les Purple Hearts prennent leur revanche. Lobby devient alors un démon de la voltige, il fait des siennes dans «You Can’t Sit Down». Et ça monte encore d’un cran avec «Tiger In Your Tank». Puis on trouve à la suite une série de cuts assez déments d’un groupe qui s’appelle aussi Coloured Balls, apparemment rien à voir avec Lobby. Ils font une reprise d’«A Song For Jeffrey», ils l’amènent à la flûte mais vont beaucoup trop vite en besogne. Il n’y a que les Aussies pour oser taper dans le vieux Tull. Robbie Van Delf (qui remplace Lobby) explose ensuite la rondelle des annales avec une version de «Killing Floor», puis avec le «Living In The USA» du MC5. Micheal Shannon chante ça à la bonne niaque des USA. Quel power ! Ces mecs ramènent du son à la pelle.

Après l’épisode Purple Hearts, Lobby rejoint les Wild Cherries. Dans Wild About You, Ian D. Marks interviewe John Bastow, le chanteur des Wild Cherries MK1, c’est-à-dire l’avant Lobby. Quand Bastow voit arriver Lobby et Mick Hadley, il comprend qu’il n’est qu’un amateur et renonce aussitôt à sa carrière de chanteur de rock - Mick Hadley was just an extraordinary shouter - Ce que va confirmer la Moitié de la Vache avec cette compile des Wild Cherries, That’s Life, dûment coupée en deux : l’avec Lobby et l’avant Lobby. C’est là qu’on voit Mick Hadley à l’œuvre. Wow, on n’est pas sorti de l’auberge avec ces mecs-là. Rien qu’avec «Krome Plated Yabby», on en a pour son argent : pur jus de freakout. Le problème c’est que c’est excellent. Ils se prennent pour des Anglais avec «Everything I Do Is Wrong», excellent et même au-dessus de toute expectative. Lobby ne traîne pas en chemin, comme on le voit avec «That’s Life», une autre giclée de freakbeat à l’Anglaise. Ils se prennent même pour les Small Faces («Try Me») ou le Spencer Davis Group («Gotta Stop Lying»). Mais l’avant Lobby qui date de 1965 est encore plus spectaculaire. Le guitariste s’appelle Malcolm McGee et ça sonne dès «Without You». En voilà un qui sait claquer ses notes. On va de surprise en surprise et les Wild Cherries commencent à taper dans les gros classiques avec «Bye Bye Bird», joué et niaqué de frais. On retrouve Malcolm McGee dans un autre «Without You». Il dévore tout, cut après cut et John Bastow chante divinement «I’m Your Kingpin». Ils rendent un stupéfiant hommage à Hooky avec «Mad Man Blues» et bouffent «Parchman Farm» tout cru. On se régale aussi du bassmatic de Les Gilbert. John Bastow y croit dur comme fer, ses versions de «Smokestack Lightning» et «My Generation» font partie des meilleurs versions jamais enregistrées. Petite révélation, soit dit en passant.

En 1976, Lobby s’installe à Londres pour trois semaines et mais il va y rester trois ans. Alors il tente de redémarrer une carrière solo et enregistre Obsecration. Attention, c’est un album de guitariste. Lobby joue alors son petit va-tout dans la plus parfaite indifférence. Il chante son everytime I think of you au clair du heavy rock anglais, just wanna play mah guitah babe. Ce morceau titre d’ouverture en quatre parties dure 17 minutes. Alors accroche-toi babe. Lobby wanna play his chords, c’est vite salué aux trompettes. Que de son, my son, c’est tiré au cordeau du Lobby. Comme Jimi Hendrix, il sait parfaitement créer un monde. Il joue ensuite «A Rumble With Seven Parts And Lap Dissolve» au rumble de Link. C’est le même esprit. Lobby ramène toute la musicalité du rock dans ses approches intempestives. Il tartine à la main lourde. «Dreamtide» dure 14 minutes. Lobby taille ses falaises de marbre à mains nues et ça donne un gros bousin de Carrare joué à l’acou. Tous les coups d’acou sont permis. Cet album devenu très rare fut réédité en 2006 par des Aztèques d’Australie qui eurent le bon goût de ajouter des bonus imprescriptibles. Comme par exemple cette belle reprise de «Do You Believe In Magic». Lobby y ramène une extraordinaire ampleur de son et des échos de Mungo Jerry. Encore une belle pop déterminée à vaincre avec «Gypsy In My Soul». C’est même cuivré à gogo. Lobby tient bon la rampe, il sait travailler un climax et passer des solos incroyablement lumineux. Il ramène aussi énormément de son dans «Too Poor To Die». Voilà encore un cut explosif et terriblement joué, ça frise le Humble Pie. Quelle belle clameur ! Il finit avec un cut simili prog de 9 minutes, «Fist Of Is» et joue les gros bras, c’est plus fort que lui.

La même année, les Aztèques d’Australie rééditaient un autre album solo de Lobby Loyde : Live With Dubs. Quand Lobby arrive à Londres en 1976, il monte un groupe nommé Sudden Electric. Dès «Crazy As A Loon», Lobby rafle la mise. Il joue à l’aune de l’horreur compréhensive, il claque du big heavy Lobby explosif, il entre en intraveineuse dans le bras armé du rock. Lobby peut tout exploser, il faut le savoir. Il nous embarque ensuite pour 13 minutes d’un «Weekeend Paradise» qui sonne comme du Steppenwolf ultra-joué, ultra-chanté, Lobby joue à la vie à la mort, il en rajoute à chaque instant, il n’en finit plus de sur-jouer son sur-jeu, il crée du swagger à la compulsive métronomique, c’est le même genre d’énergie qu’on trouve chez Del Bromham de Stray. Laisse tomber tes guitar heroes et écoute Lobby. Il va là où personne n’est jamais allé. Nobody but Lobby. Il n’a qu’un seul rival en ce domaine : le Jimi Hendrix d’Electric Ladyland. Encore du power de Zeus avec «Media Re-Make». Ça vire prog, bien sûr, mais quelle fournaise. Lobby jette tout son génie sonique dans la balance. Il bascule encore dans la démesure cabalistique avec «Sympathy In D». Nouvelle occasion de suivre l’enseignement de Lobby Loyde. Il tartine à la pelle, il se balade dans le son avec l’énergie du diable. On assiste rarement à de tels festins de son. On les voit même redémarrer en côte. Il faut essayer de prendre du recul pour apprécier un tel spectacle. Ces dévoreurs d’espace règnent sur les ruines d’un vieil empire. Lobby fait encore du lobbying avec «Gyspsy In My Soul». Il est quand même gonflé d’envoyer rouler un boogie de 8 minutes. Tous ces cuts faramineux datent de 1980. Par contre, les bonus datent de l’an 2000. Ça démarre avec un «GOD» assez demented, ce diable de Lobby joue tout en vrilles indescriptibles, il joue à la sheer energy du Loyde System. «Flash» explose aussi dans le creux de l’oreille. Lobby dicte sa loi, il joue «Heartbreak Hotel» au heavy reviens-y, c’est quand même plus sexy que la version foireuse de John Cale.

La même année, les Aztèques d’Australie rééditent l’encore plus rare Beyond Morgia. The Labyrinths Of Klimster. C’est aussi le titre d’un roman sci-fi qu’écrit Lobby en 1975, après la fin des Balls et juste avant la formation de Southern Electric. Un jour, Lobby craque et jette son manuscrit au feu. Fin du roman. Mais il a la musique de Morgia en tête. Alors il entre en studio avec les gens de Southern Electric. Quand on voit la pochette on sait ce qui nous pend au nez : un voyage intersidéral. Lobby nous embarque dans l’espace, mais à sa façon, à l’outro sci-fi. C’est un voyage sans retour, une expérience unique. Il faut attacher sa ceinture et accepter l’idée d’excès en tous genres. Il nous emmène dans des zones chères aux grands proggers de l’hyper-space, comme Hawkwind ou Utopia. C’est leur domaine. Tu fais comme tu veux : tu y vas ou tu n’y vas pas. Personne ne t’oblige à y aller. Le côté intéressant de cette affaire est qu’on voit Lobby touiller une vieille sauce synthétique. Pour l’amateur de sci-fi, c’est un régal, pour les autres, c’est plus compliqué. Le pire est que ça se laisse écouter. C’est bourré de son jusqu’à la nausée. En fait Lobby vise le mini-opéra. Il progge comme une bête. Il joue à n’en plus finir, il bâtit l’œuvre d’une vie, ses cuts durent encore 14 minutes, mais il joue chaque note de ses 14 minutes. Il exploite toutes les possibilités d’une île et vise l’extension du domaine de la turlutte. Il peut jouer 14 minutes sans débander.

Considéré comme un album culte, Plays With George Guitar n’est pas non plus l’album du siècle. Lobby y joue un rock seventies sévèrement niaqué. Il joue rigoureusement dans le son et bat tous les records de cisaille avec «George». On assiste rarement à de tels festivals. Il mélange tous les genres, le funk, le blues et le heavy duty, et il est tellement doué qu’il gratte tout ça à la revoyure d’anticipation. L’enthousiasme prévaut sur tout le reste. Ah pour jouer, il joue ! Il fait du Crosby Stills & Nash avec «I Am The Se» et du lobbying en embuscade dans «What I Want». Lobby n’en finit plus de surprendre.

Encore un joli coup des Aztèques d’Australie avec cette compile intitulée Summer Jam. Lobby’s Last. Ce sont les Coloured Balls enregistrés au Sunbury rock festival en 1973 : Trevor Young (drums), Janis John Miglans (bass), Ian Bobsie Miliar (guitar) et Lobby. Ils démarrent avec une version live d’«Help Me/Rock Me Baby». Quand on ouvre le digi, on les voit tous les quatre sur scène. Fantastique ! Ces mecs jouent pour de vrai, surtout Lobby qui développe un jeu à la Ten Years After. Il piétine les plate-bandes d’Alvin, il joue en tourbillon et on est là pour ça, pour le tourbillon. Il fait son vieux shoot de somebedy help me. 11 minutes de vraie jam camembert ! Il enchaîne avec le vieux «Going Down» de Don Nix. Ils y vont les cocos. Lobby farcit son «God» de riffs de Led Zep et ça prend vite une belle ampleur. Il sait embarquer son monde. Il indique dans le plantureux livret glissé dans le digi qu’il a composé «God» en 1971 et qu’il n’a jamais eu l’occasion de l’enregistrer en studio. La compile propose ensuite des inédits qui valent franchement le déplacement, à commencer par ce «Terra Vision» extrêmement powerful. Lobby et ses amis balancent ensuite un «Working Class Hero» de 14 minutes, en mode heavy jamming upwards assez convaincu d’avance. On finit par se faire avoir avec «Revolution». Trop de son. Lobby Loyde n’est pas un amateur. En 1973, il figurait déjà parmi les géants, mais personne ne le savait.

Signé : Cazengler, Lobby labite

Purple Hearts. Benzedrine Beat. Half A Cow Records 2005

Wild Cherries. That’s Life. Half A Cow Records 2007

Coloured Balls. Ball Power. EMI 1973

Coloured Balls. Heavy Metal Kid. EMI 1974

Coloured Balls. The First Supper Last Or Scenes We Didn’t Get To See. Rainbird 1976

Lobby Loyde. Obsecration. Aztec Music 2006

Lobby Loyde With Sudden Electric. Live With Dubs. Aztec Music 2006

Lobby Loyde. Beyond Morgia. The Labyrinths Of Klimster. Aztec Music 2007

Lobby Loyde. Plays With George Guitar. Infinity 1971

Lobby Loyde. Summer Jam. Lobby’s Last. Aztec Music 2018

Ian D. Marks & Iain McIntyre. Wild About You. The Sixties Beat Explosion In Australia And New Zealand. Verse Chorus Press 2011

 

WELCOME TO HARLEM

PATRICK GEFFROY YORFFEG

 

Non ce n'est pas un CD, cela se pourrait Patrick Geffroy Yorffeg est musicien, non ce n'est pas un recueil de poésie, cela se pourrait Patrick Geffroy Yorffeg est poëte, non ce n'est pas un tableau, cela se pourrait Patrick Geffroy Yorffeg est aussi peintre, mais l'on s'en rapproche, simplement ( cet adverbe ne signifie pas qu'il y aurait des arts mineurs ) des dessins, sur son album FB, il précise pour les visiteurs étrangers '' drawings'' , j'aurais presque envie de changer l'alpha en oméga et puis d'adjoindre une lettre pour obtenir ''drownings'', noyades en le sens où l'on descend en soi et l'on laisse défiler les images d'une vie incrustées dans le cortex de l'intelligence et encore plus profond dans le cerveau reptilien. Il existe une profonde analogie entre l'art du dessin tel que le pratique Partick Geffroy Yorffeg et le jeu de la trompette, Patrick Geffroy Yorffeg est ( entre autres ) trompettiste, dans les deux cas l'on apporte quelque chose au monde, mais pour émettre ce son ou ce tracé l'on est dans l'acte même de transmission obligé de se couper momentanément de l'univers, pour exprimer totalement sa solitude de créateur. Je n'ai pas dit d'amuseur ou d'afficheur public. Mais celui qui rajoute à l'être du monde, son propre être, crée ainsi un agrandissement, une amélioration, une doublure séparée de l'être du monde. Dans Le Domaine d'Arnheim, Edgar Allan Poe nous conte son héros qui se donne pour but, il y réussit, d'améliorer la création divine.

Des deux cent vingt dessins contenus dans cet album, aux thèmes multiples, nous ne nous attarderons que sur quelques uns. Kr'tnt ! étant un blogue à dominante musicale, nous en avons choisi 29 parmi ceux qui répondent à cette option.

1

SEUL DANS LA SPLENDEUR DU MONDE*

Autoportrait aux feutres pour une présence pas du tout feutrée, des notes bleues, la même encre que sur les anciens cahiers d'écoliers. Ne reste de l'artiste que sa tête et sa trompette, tout le reste est englouti dans une terrible solitude. Peut-être n'est-il pas seul, peut-être est-il seulement la splendeur du monde. Artiste en solo, les moments les plus concentrés, les plus éblouissants du jazz. Le trait discontinu nous rappelle que le jazz est une musique qui peut-être considérée comme un dialogue discontinu avec le silence.

( Un titre suivi d'un astérisque signifie que nous avons donné un titre là où l'auteur l'avait délibérément omis. Celui-ci est emprunté à John Keats )

1

COMMENT L'HOMME DEVINT OISEAU*

Un instant plus tard. Ou plus tôt. Qu'importe la fragmentation du temps, ce qui suit se passe parfois avant. Joyce nous a appris ces discordances structurelles. Dans le jazz ce sont des notes ou plus douces, ou plus criardes, qui s'en viennent faire leurs nids dans l'oreille des auditeurs, il existe une limite où le musicien ne respecte plus l'ordre immonde des choses du monde. Tout s'envole, nuées d'oiseaux acharnées sur le cadavre d'un souvenir, qui s'éparpillent d'un seul coup, sur un klaxon de trompe qui surgit en trombe, ou alors, c'est encore plus troublant, parce qu'une douceur des plus abstraites s'avère aussi inquiétante qu'un poison qui se dépose et cloue le bec du musicien, qui expire. Ou explose.

2

DEUX-SAXOS

Patrick Geffroy Yorffeg est parfois gentil. Vous offre un titre qui vous réconforte. Justement j'avais vu deux saxos vous exclamez-vous, vous êtes content, vous progressez en identification picturale pensez-vous. Eléphant dans un magasin de porcelaines peintes, vous n'avez pas vu le trait d'union, ce qui sépare et retient, vous faites des efforts, vous proposez une double-croche, vous avez effectué un pas dans l'abstraction, c'est bien, mais c'est autre chose, une dyade, ce principe platonicien qui permet de passer du Un au Deux, comprenez du Un au Multiple, car le Un unique ne saurait être accompagné d'un autre, que vous le nommiez 2 ou 3746, sans la dyade intermédiaire vous seriez incapable de compter jusqu'à deux, le musicien de jazz qui pousse son solo ne pourrait jamais jouer dans un groupe. L'on peut le dire la dyade est germinative ! Etonnez-vous si ce principe métaphysique de dualité, de duélité, préside à la production graphique de Patrick Geffroy Yorffeg, il est son unité rythmique de base, à partir duquel tout s'accroit ou tout s'amenuise.

2

LES SAXOPHONISTES

Ce coup-ci Patrick Geffroy Yorffeg ne vous trompe pas, sont bien deux. Les cuivres bourdonnent comme des abeilles. Je ne mens pas. Nous avons un bel ensemble. Au sens mathématique du terme. Avec deux éléments. Si vous regardez plus attentivement, vous remarquerez que chaque élément constitue un sous-ensemble de l'ensemble E. Si vous portez votre attention sur ce que l'on nommerait le décor, vous vous apercevez qu'il regorge d'éléments hachurés qui sont autant d'éléments de plusieurs sous-ensembles qu'il est parfois difficile de visualiser, pour cela il faut se servir d'une autre branche de la mathématique appelée la topologie, j'arrête avec les maths je sens que vous avez du mal à suivre, alors pensez à la musique sérielle, ce n'est pas un secret nous nous dirigeons davantage vers le free-jazz que vers le trad-jazz, imaginez les notes rangées sagement comme les rayons alvéolés des abeilles, emparez-vous du gâteau de cire, décomposez-le, lancez-les alvéoles isolés en l'air et étudiez les manières disparates dont elle vont une fois au sol se reconfigurer en différents paquets structurels. Recommencez à plusieurs reprises. Certes vous improvisez à chaque fois. Mais c'est pour mieux percer le mystère des règles du hasard.

1

LE CONTREBASSISTE

Encore un titre sans ambiguïté. Même que le dessin s'est efforcé à un minimum de réalisme... Nous sommes bien dans le 1. Mais alors pourquoi avoir fait paraître tout ce qui n'existe pas sur ce fond noir. Il eût été symboliquement plus logique de laisser le papier en blanc, le Un se suffit à lui-même, inutile de rajouter une couleur, à tel point que c'est elle que l'on voit en premier, or si le Un n'apparaît pas en premier c'est qu'il n'est pas seul, donc qu'il n'est pas Un. D'abord pourquoi noir ? Je soupçonne l'artiste de faire avec le feutre qui lui tombe sur la main, mais ceci est une autre histoire. Pourquoi pas rouge ? Je ne procède pas au hasard. Ce noir m'évoque irrésistiblement le rouge de la toile de Le Grand Concert de Nicolas de Staël avec son piano et sa contrebasse jaune qui ressemble à une poire géante. Tout cela pour dire que les dessins ( et les peintures ) de Patrick Geffroy Yorffeg ne sortent pas ex-nihilo mais sont aussi porteurs d'une tradition picturale qui remonte à loin. L'on ne fabrique pas un solo de jazz à partir de rien.

4

LE JAZZ EN NOIR EN BLANC ET EN LARGE

Quatre, nous avançons. Saxophoniste, bassiste, pianiste ( il y a aussi un piano dans la toile de de Staël, nous sommes en musique classique ) et batteur, pas d'équivoque nous sommes in jazz. Du Un nous sommes déjà à quatre, mais le noir est devenu blanc. Le titre nous le confirme. Faut-il penser que le jazz est une musique noire appréciée et jouée par les blancs. En large parce que la feuille utilisée était un grand format, la reproduction informatique ne permet pas d'en juger, mais nous revenons à l'adjectif grand devant concert qui désigne quoi au juste, la dimension de la toile ou la qualité du concert. Le noir a laissé place au blanc, il est l'essence de l'épure – admirez le rendu de la précision des poses des musiciens – est-ce parce qu'il n'a pas pu se débarrasser de l'invasion rougeoyante de sa dernière toile, que Staël a mis fin à son existence. Peinture et musique sont des arts dangereux.

6

LE JAZZ C'EST COMME LA VIE

Chassons les ombres du cimetière, il faut tenter de vivre a dit Valéry, certes le jazz est une musique de torturés, chacun dans sa case, mais aussi d'exultation corporelle, de danse, et de joie. Nous n'avons présenté jusqu'à maintenant que des dessins en blanc et noir, pas tout à fait, mais la couleur se fait discrète, ici simplement trois tâches rose, rouge, orangé, des marqueurs génétiques en quelque sorte, si le blanc et le noir correspondent au blues souterrain qui irrigue le jazz, les couleurs sont au centre des rythmiques et des des timbres, jugez de cette volonté de représenter le jazz par des productions muettes, ici le dessin ne saurait être représentation mais suggestion. C'est à vous de chaircher le rythme dans votre corps.

1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10...

FÊTE DE LA MUSIQUE

C'est encore mieux en le proclamant, de l'afficher sur les murs pour mieux le crier sur les toits, et cette apparition de l'animal, poisson froid et chien chaud, toute la gamme de cette force primordiale qui n'irrigue plus que très rarement le sang de l'homme et de la femme obligés de se coller l'un à l'autre pour se réchauffer. Ainsi va l'humanité... sur cette image peut-être un peu trop située dans l'ici festif et maintenant répétitif de la réalité française...

WELLCOME TO HARLEM ( 1 )

Nous entrons ici dans une série numérotée. De un à treize. Nous ne pensons pas que l'ordre numéral invite à la lire comme autant de case d'une bande dessinée racontant une histoire anecdotique avec un début et une fin. Sans doute faut-il la regarder comme l'on écoute des disques de John Coltrane, chaque morceau se développant comme un climat de l'âme de l'artiste. Une phrase de Friedrich Hölderlin donne le la : '' Une félicité nouvelle est donnée au cœur qui persiste''. Les amateurs de réalisme socialiste affirmeront que pratiquement rien dans ce dessin n'évoque le quartier noir d'Harlem. Sur le plan cadastral, ils ont raison, mais ils oublient l'essentiel, Harlem est juste une image, Harlem est partout dans le monde s'il est en vous. Il est sûr que cette cité en laquelle ( elle n'est pas la seule ) le jazz élut domicile en ses années légendaires est chère au cœur de Patrick Geoffroy Yorffeg, elle est à considérer comme un mot talisman, un lieu symbole du peuple du jazz, d'ailleurs le dessin est paré des plus douces fragrances, presque du lavis, une sérénité ineffable se dégage de cette œuvre qui n'est pas sans rappeler les douceurs hiératiques de Puvis de Chavanes. Cela peut étonner, mais Harlem est partout.

WELLCOME TO HARLEM ( 2 )

Celle-ci pour s'apercevoir que la précédente était en couleur. Que voulez-vous le retour du même n'est pas exactement la répétition du même. A Harlem comme partout dans le monde, la nuit les chats sont gris. La nuit est même l'heure idéale de la fête. Le gris n'est pas obligatoirement gris, il grise. Une autre vision du bonheur, certes un jour nous ne serons que des ombres blanches au fond des enfers, de fait plus légers que dans notre vie. Il n'est pas obligatoire que la pulsation originelle qui nous assaille soit anéantie avec nous. La mort n'est peut-être que le filigrane de la vie.

WELLCOME TO HARLEM ( 3 )

Ce coup-ci il faut l'admettre, le dessin est beaucoup plus inquiétant. La foule semble s'agglomérer et l'esprit n'a plus l'air à la fête. Le gris s'assombrit, le solo ne se ressemble plus, il se teinte d'angoisse et d'attente. Le même se ressemble de moins en moins. Ce n'est plus la nuit, mais l'ennui. Une variation atmosphérique dans la perception du monde et nous voici dans un autre monde. La joyeuse kermesse du début se mue en morne défilé. Toute répétition engendre-elle la lassitude. Opacité.

WELLCOME TO HARLEM ( 4 )

L'on a poussé les murs, l'espace est libéré. Un champ de neige. Les ombres n'ont jamais été aussi noires et jamais aussi joyeuses. L'on sent l'entrain, la joie de vivre, tout baigne dans un merveilleux idyllique. Plus besoin de musiciens. La danse suffit. Autant de signes qui ne font pas signe mais qui gesticulent. Peut-être atteint-on à une sorte de transe mystique échevelée et immobile, le mouvement s'inscrivant comme des lettres inconnues sur le tableau blanc de l'âme vierge. Harlem n'est pas obligatoirement noir. Il peut atteindre à l'innocence de Marc Chagall.

WELLCOME TO HARLEM ( 5 )

Une subtile variation comme si le solo de trompette était en quelque sorte doublé par un feulement de sax aphone, les ombres noires paraissent plus sombres que sur le précédent car le blanc de neige est encombré de taches grises comme si l'ombre était plus claire que le corps qui la projette. L'ambiance n'en est pas morose pour autant, au contraire, elle s'intensifie, un remuement insaisissable dans tous les coins, il est temps de recopier le proverbe Igbo qui l'éclaire de sa sagesse sentencieuse : Le monde est comme un masque qui danse : pour bien le voir il ne faut pas rester à la même place. D'ailleurs n'est-il pas vrai que les couleurs du peintre sont son masque de guerre. Ici lumineuse. Vibrionnant tel un amas de spermatozoïdes.

WELLCOME TO HARLEM ( 6 )

Nous nageons en pleine folie. La diagonale du fou partage le tableau, blanc d'un côté, multicoloré de l'autre. Avec en plus cette noirceur des hommes qui s'en détachent souverainement. Comme pour affirmer la phrase d'Euripide : Nombreuses sont les merveilles de l'univers, mais la plus grande de toutes reste l'Homme. Que son âme soit blanche comme une colombe ou noire comme le cafard. Ici pas de cafard, comme si le jazz oubliait qu'il sortait du blues et qu'il était, aux heures de ses plus flamboyantes exaltations, encore plus bariolé que l'arc-en-ciel.

WELLCOME TO HARLEM ( 7 )

Ce sept serait-il de pique ! Nous sommes ailleurs. Ailleurs que le dessin. Pourquoi n'ai-je pas évoqué d'une façon précise les gestes des personnages. Oui certains sont musiciens, oui certains sont des danseurs, d'autres s'esbaudissent moultement sans que l'on puisse décider ce qu'ils font au juste. Et à l'injuste. Mais ce répertoriage me semble insignifiant. Ce qui compte c'est que par-delà leur signifiance, disons sociale, ils fassent signe. Pas à nous. Ne nous prenons pas pour le centre du monde, parce que celui-ci est comme Harlem partout, non ils font signe de Patrick Geffroy Yorffeg, ils sont à interpréter comme ces calligrammes que les calligraphes chinois jettent telle une bouteille d'encre à la mer sur la laque du papier, ils ne forment pas de mots, ils sont le mot à eux tout seul, tout le monde peut le déchiffrer mais ce que l'on doit lire c'est l'art du peintre, car le mot devient alors le nom du calligraphe. Il est nécessaire que l'amateur retrouve non pas la représentation de l'objet ou du sujet, mais le souffle, expulsé de l'intérieur de son soi, du geste qui le produit. Tout comme l'on reconnaît la flamme de Coltrane sans avoir vu la pochette du disque. L'on pense, puisque notre peintre est aussi poëte à ces glyphes que traçait Henri Michaux qui ne sont plus des lettres et pas encore des dessins. Il est des lignes où peinture et poésie se rejoignent.

WELLCOME TO HARLEM ( 8 )

Groupe de jazz est une expression consacrée. La série change de cap, Patrick Geffroy Yorffeg réduit la focale. Des fanfares de Congo Square l'on passe aux quatuors, aux quintettes des clubs. De la macro au micro. De la foule endiablée aux individus. Personnages qui passent telles des notes colorées d'un solo, ils glissent entre ciel de pare-brise balayé de traces d'essuie-glaces et le sable des rêves mouvants engloutis. Où va la beauté quand elle traverse le monde ! Et si la chatoyance du monde s'évanouit aussitôt que produite l'artiste a-t-il le don de la fixer par une opération d'alchimie synesthésique. Ne peut-on exprimer une chose que par ce qu'elle n'est pas.

WELLCOME TO HARLEM ( 9 )

Lorsque l'on se rapproche, que l'on cherche à savoir à quoi se résout cet effet qui a provoqué de profondes vibrations en vous, une pierre que l'on jette en soi qui n'arrête pas de tomber encore et encore, l'on est bien obligé de reconnaître que ce n'est qu'un simple la qui a bon do, tout comme ces gens issus des délires d'un Salvatore Dali et lorsque l'on s'approche l'on reconnaît nos costumes de tous les jours, comme ils sont laids et anguleux, des géométries figées sur place, à regarder de trop près l'on ne voit que la réalité, nous qui nous prenions pour des Narcisse orangés ! Nos écorces sont à terre et nous sommes couleur muraille. Grisâtres. Astres morts.

WELLCOME TO HARLEM ( 10 )

Cachons-nous dans le tutti de l'orchestre, fondons-nous dans la masse, devenons transparents, noyons-nous dans l'anonymat de la goutte séminale, à défaut d'être original, soyons l'originel indistinct, ce qui n'est pas encore advenu puisque nous ne sommes pas, soyons le possible, l'inattendu de l'attendu. Ne formons-nous pas une bande hermétique, ne sommes-nous pas comme des hiéroglyphes égyptiens que personne n'aurait encore déchiffrés, une fresque dont tous les éléments auraient été mélangés, les pièces éparses d'un puzzle...

WELLCOME TO HARLEM ( 11 )

Le tout est de se retrouver. Un jeu. Ce n'est pas que les murs ont des oreilles, c'est que nous sommes les murs. Mais certains s'en détachent. Le proverbe Igbo n'a jamais été aussi prophétique. Seuls seront eux-mêmes ceux qui auront osé être, le geste d'appel ou le geste d'acceptation, dans le passage du témoin ce qui est important ce n'est pas le témoin, c'est le passage, l'acte d'être soi en esquissant les silhouettes. Les flèches du lac de Stymphale tombent sur nous mais ne nous transpercent pas.

WELLCOME TO HARLEM ( 12 )

Du moins l'avons-nous cru. Nous voici debout et survivants dans la neige d'un autre âge. Une génération a passé. Le rap a remplacé le jazz. Pas de quartier. Toute tentative artistique est-elle vouée à l'échec. Quand votre solitude ne fait pas l'histoire c'est l'histoire qui vous ratt-rap. Qui vous jazz-trappe.

WELLCOME TO HARLEM ( 13 )

Que chacun se débrouille comme il peut dans ce monde qui nous ressemble de moins en moins, à chacun son petit carreau de plexiglas géométrique. Les pièces du puzzle se mettent en place, ce qu'il dessine c'est une étrange solitude à un, à deux ou a plusieurs, la règle est simple il faut être pareil à l'autre pour s'assembler. Un immense dallage vitrifie Harlem. La vie continue. Certains résistent, ils jouent encore de la musique. D'autres peignent. A l'instar de Patrick Geffroy Yorffeg.

 

Même quand tout est perdu, il est important de dessiner des signes de victoire sur la robe des poneys de guerre.

Damie Chad.

ERIC BURDON AND THE ANIMALS / 1968

 

Enregistré en décembre 67, sorti en mai 1968, cet album est souvent considéré comme le frère jumeau de Winds of Change. Apparemment son souvenir aurait moins marqué la mémoire collective même si deux de ses titres surgissent en vrac dans la tête de ceux devant qui le nom d'Eric Burdon est prononcé. Il est vrai qu'il est un peu borderline, un peu trop de son époque et en même temps un peu trop expérimental. Pour ne pas résister à un mauvais jeu de mots nous dirons qu'il est davantage hippie-free que hippie-freak !

La pochette attire l'œil. Elle est signée de Fred Otnes. Pas n'importe qui. Dans les années soixante il illustrera bien des couvertures des plus grands magazines américains. Pas le gars à se contenter d'une seule image. Vous en file sous les yeux un minimum de trois ou quatre, échelles différentes, utilisation de silhouettes monochromes et surimpressions. Son art confine au collage. Même s'il travaille à partir de photos connues ( hommes politiques, écrivains, etc... ) il essaie plutôt de suggérer une certaine idée de la globalité de l'évènement traité comme s'il réunissait plusieurs points de vue sur la question. Il réussit l'exploit de donner au lecteur l'impression que l'artiste a traduit la nébulosité, ou le questionnement, ou l'idée bien arrêtée qui agite son esprit. Otnes possède cette particularité de faire croire à tout un chacun qu'il penche de son côté. Son art intersectif réside en une manipulation abstraite de représentations réalistes. Il n'a réalisé que peu de pochettes de disques, les plus représentatives restent celles de la série anthologique Atlantic Rhythm and Blues.

Eric Burdon en blanc et noir occupe l'espace de quatre des vingt carrés qui parcellisent la pochette. Le nom d'Eric Burdon apparaît mais si vous voulez voir celui des Animals il vous faut le chercher... Les mauvais esprits remarqueront qu'il est disposé à côté de la case quasi-centrale qui représente un animal. Pas n'importe lequel : la colombe de la paix. Nous sommes en pleine guerre du Vietnam et il n'y a pas d'équivoque, Burdon est contre cette guerre et la mécanique destructrice de la société qui l'a engendrée... Le lecteur optimiste adorera l'effulgence orangée du recto de cette couve, le pessimiste s'attardera sur son verso, identique, mais d'une tonalité bleu sombre... Le titre de l'album est résolument positif, traduisons en forçant le trait, les ennemis finiront par se réunir, si vous préférez une vision dialectique, empruntons-la au président Mao Tsé Toung qui en ces temps-là enseignait au monde entier que Deux se réunissent en Un ( pour ajouter aussitôt que Un se divise en Deux ) je ne sais si Fred Otnes avait ce principe en tête lorsqu'il a composé son artwork avec face lumineuse et face obscure... Plus près de la culture britannique le titre The twain shall meet est pour ainsi dire une réplique de l'expression Never the twain schall meet tirée d'un des plus célèbres célèbres poèmes de Ruydard Kipling, The Ballad of East and West dans lequel un indien ( d'Inde ) et un anglais finissent après s'être âprement combattus par devenir frères de sang... Un jour l'amour entre les hommes triomphera, un des futurs albums d'Eric Burdon s'intitulera plus simplement Love is...

 

THE TWAIN SHALL MEET

ERIC BURDON AND THE ANIMALS

 

Eric Burdon : vocal / John Weider : guitar, violin / Vic Briggs : guitar / Danny McCulloch : bass, vocal / Barry Jenkins : drums.

Monterey : le festival de Monterey fut un révélateur pour Eric Burdon, pas tant musicalement parlant, n'en fut-il pas avec ses nouveaux Animais partie prenante, que par cette foule de jeunes gens, ces beautiful people, qui parurent à ce natif de la froide Albion un nouveau peuple, la résurgence d'une tribu d'indiens miraculeusement reformée un siècle après leurs exterminations, qu'elle ait changé de couleur de peau n'avait pas d'importance, la possibilité d'une autre vie, d'un autre pays, n'était plus une utopie, même plus un rêve, mais un embryon de réalité palpable du bout des doigts. En France, vieux pays révolutionnaire, se déroula aussi au joli mois de mai 68 un phénomène semblable mais totalement différent car enté selon une historiale dimension politique. Aux USA une foule pacifique offrait des fleurs, en France on jetait des pavés. Certains accouchements sont plus violents que d'autres, mais au résultat les deux bébés ne survécurent que peu de temps à leurs tumultueuses naissances... Mais lorsque Burdon et ses sbires enregistrent ce disque, ils se sentent chargés d'une mission quasi spirituelle, ce nouveau monde qu'ils ont touché du doigt est en demande d'une bande-son originale. Le précédent opus Winds of change dans la structuration de ses morceaux, si miroitants, si novateurs qu'ils soient, n'était à y réfléchir qu'un ramassis de chansonnettes des plus traditionnelles. L'hymne folk We shall overcome n'était que la future promesse d'un monde meilleur. Monterey est le témoignage que la la chose attendue a eu lieu, que le vœu pieux a été en partie réalisé. Que l'on est en train de quitter les champs du possible pour entrer dans l'autre contrée de l'effectivité. Quelques notes de cristal et Burdon qui murmure, trois mots, pas le merveilleux ''il était une fois'' dont on sait qu'il raconte une belle fable mensongère mais la formule sacramentelle du dépouillement prométhéen de Dieu, In the begining, c'est un nouveau monde qui commence, qui déboule sur une cascade instrumentale sans précédent, le groupe a bénéficié de musiciens additionnels – notamment une trompette à la Jéricho, longtemps que je l'avais écouté, mais une évidence m'a sauté aux oreilles, peut-être grâce à la chronique de la semaine dernière du Cat Zengler sur Jimbo, c'est que ce morceau propose de profondes analogies sonores avec le son des Doors, ne pensez surtout pas à du copiage ou de l'espionnage industriel, mais une rencontre, plus que l'air du temps, parfois des artistes sont des caisses d'incarnation miraculeuses de leur époque... Les lyrics évoquent l'ambiance et différents moments scéniques du festival écoutons-les comme des mantra opératifs que l'on récite sans en connaître le sens, c'est la musique - une fête pour les musicos - qui mène la danse du diable et des anges, emplie de folies galopantes et de ruptures sanglantes, pleine de ces années de feu et de cendre, d'avancées et de piétinements d'exaltation et de brisures effrayantes que furent les mid-sixties. Just the thought : vaguelettes, ne nous y trompons, cette flûte innocente, l'on pourrait s'endormir, mais non, une étrange conjonction avec le deuxième disque des Doors s'impose, même recherche d'une douceur rassurante et inquiétante, le morceau s'étiole, une fleur vénéneuse qui se meurt de respirer ses propres senteurs, musique ensorcelante aussi nauséabonde qu'une charogne de Baudelaire qui serait la seule invitation au voyage possible, Danny McCulloch est au vocal, il ne dépare pas après Burdon, loin de là, le texte est à la hauteur, tout se passe dans la tête mais parfois les tubéreuses corolles qui poussent hors de notre cerveau sont carnivores, l'homme est un cannibale qui se mange lui-même, ses rêves certes, mais aussi son corps. Les morts rêvent-ils encore. Peut-être sommes-nous, nous les vivants, fragmences de leurs cauchemars. Monterey était un hymne, Just the thought est un fredonnement délétère. Closer to the truth : c'est ce que l'on pourrait appeler un blues expérimental, très frustre et très savant, avec de subtils décrochages comme si le son vous parvenait d'un poste de radio éloigné puis rapproché puis exilé au loin, une jam-session improvisée, une partie de plaisir pour les guitares qui se tirent la bourre et s'interpénètrent, la voix de Burdon fait office de rythmique et vous avertit que le secret de l'homme est en lui et pas dans le monde. Sous prétexte de passer un message sans doute parle-t-il de lui. No self pity : philosophiquement dans la même veine, une osmose parfaite entre l'accompagnement, la basse de McCulloch est éblouissante, et Burdon qui joue au grand sage, vous dit que vous trouverez toujours plus grand et plus petit que vous, que le génie de l'homme n'est rien comparé aux beautés de la nature, il pourrait vous chanter la messe en latin ou votre propre condamnation à mort que vous trouverez l'ensemble merveilleux. Orange ans red beams : troisième tranche de la même trame musicale c'est pourtant le seul qui soit crédité uniquement à Danny McCulloch et non pas à tous les participants, c'est d'ailleurs lui qui se charge du vocal, chargé de glaires d'un nouveau-né qui a du mal à retrouver sa respiration, un morceau qui fonctionne un peu à la manière d'une maladie auto-immune, tempo lent sur lequel se greffent des bruits mal identifiables, à un tel point qu'à un certain moments malgré une trompette insistante, ce rampement de bassine terreuse sur le sol j'ai cru que les chiens s'amusaient entre mes jambes, mais non c'était le disque, lever du soleil, naissance d'un enfant, n'est-ce pas l'humanité entière qui renaît chaque matin en tout homme. Sky pilot : plutôt un astronaute de l'espace intergalactique, un véritable ovni tombé sur les ondes radiophoniques, bon pour la voix a cappella si magnifique pas de problème, celle de son maître Eric Burdon, n'a qu'à ouvrir la bouche pour que l'on comprenne que l'on est en plein drame, pas un truc fictionnel, un machin qui nous concerne, mais le morceau en lui-même, on n'en n'avait jamais entendu de pareil, ça démarrait à peu près convenablement, mais ce refrain qui s'élevait comme une prière impie, un chœur grégorien en goguette qui s'en va tirer la barbichette du divin, et le boucan qui survient au milieu, faudra attendre le II de Led Zeppelin pour en entendre un pareil, je veux dire qui s'harmonise destructivement avec ce qui précède et ce qui suit, et puis ces sons de cornemuses venus tout droit d'un régiment de hihglanders qui monte imperturbablement à l'attaque comme dans les films, et au milieu cette douceur révoltante... on ne comprenait pas tout mais assez pour intuiter que Burdon s'élevait contre les bombardements au Vietnam. Tout le monde en prend pour son grade, la prêtaille et la piétaille, la religion et l'armée, le titre est magnifique, vraisemblablement inspiré par l'actualité et par ces images qui traînaient partout à la TV où l'on voit le prêtre bénir l'avion qui va s'envoler pour larguer la bombe atomique sur le Japon... un oratorio d'une puissance folle, qui file la chair de poule et vous pousse à l'insoumission. Le genre de morsure qui ne doit pas vous faire que des amis dans l'establishment. A la limite il serait possible pour les imbéciles de traiter les morceaux précédents pour de la masturbation expérimento-musicale, un groupe de hippies pas très clairs sous fumette acidulée, mais là c'est un coup de boutoir dans la forteresse étatique... The unknown soldier des Doors ( sur Waiting for the sun ) ne lui arrive pas à la cheville. Burdon et ses Animals touchent à l'universel. We love you Lil : quand on a frappé si fort sur la plage précédente l'on peut tout se permettre à la suivante. Sans dire un mot de plus. Un instrumental, n'imaginez pas un petit coucou à une groupie, la petite Lil, l'air sifflé en préambule vous renseigne sur son identité officielle, Lili Marleen de Marlène Dietrich, l'hymne plébiscité par les troupes allemandes durant la deuxième guerre allemande, aucune nostalgie fachisante bien entendu mais une façon de dire que les ravages du conflit n'égaleront jamais le souvenir d'un amour dans une âme humaine... magnifique mélodie avec cette cloche qui résonne comme un glas funèbre sur les brouillardeux glissandi de guitares de Weider et de Briggs, et petit à petit la joie survient comme des pousses d'herbes folles qui sortent de terre car l'amour de la vie est plus fort que le désir de mort. Il est rare que l'on écoute un instrumental rock en-dehors des prouesses des musiciens, mais ici la beauté sonore l'emporte sur l'habileté qui n'est pas restée en rade. All is one : retour des highlanders, toute la nostalgie des bruyères et des landes, un vol de bourdonnement d'abeilles s 'enfuit d'un sitar, Burdon moane comme s'il récitait les koans du Yi King, et le chant gravit les étages et monte sans fin jusqu'à s'échouer sur la motte fondante de beurre du violon électrique, Burdon vous parle de l'unité de toutes les unités, une leçon de philosophie qui s'emballe comme un moulin à prières tibétain emporté par un ouragan, tout est un, et un est tout, tout est dit, tout est tu. Ne posez pas de question. Sinon vous n'avez pas compris.

Depuis les cinq cents livraisons précédentes je n'ai jamais pris autant de plaisir à (re)découvrir un disque.

SKY PILOT / 1968 Let's Go / Vancouver TV

ERIC BURDON AND THE ANIMALS

La petite sucrerie habituelle, sur You Tube, un bonbon au poivre, pour changer, c'est ce que l'on appelle de la télévision didactique, d'abord Eric prend la parole, ne mâche pas ses mots, ensuite les Animals sur scène plantés comme des piquets de tomates, regardez les bien car vous n'allez pas les voir longtemps, vous avez le son, puis les images qui envahissent l'écran, des scènes d'actualités, guerre de 14, de 39, jusqu'à la bombe d'Hiroshima, si vous n'avez pas compris que c'est une chanson anti-guerre c'est que vous êtes particulièrement obtus, frères chrétiens ne regardez pas les deux premières minutes, vous seriez déçus et honteux... sur les dernières notes, retour sur la scène, les musiciens ont disparu, sont remplacés par des militaires de tous les pays ( qui ont refusé de s'unir ! ). De ce temps-là les canadiens n'y allaient pas à vents couverts ! L'intention est bonne, le résultat un peu kitch !

Damie Chad.

XXVI

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

 

107

Le Chef n'eut même pas le temps de craquer l'allumette pour enflammer son Coronado, au fond de la fosse les Réplicants s'agitaient dans tous les sens, il était difficile de comprendre ce qui se passait. Au bout d'un quart d'heure la situation s'éclaircit. La plupart d'entre eux s'étaient massés sur les bords, laissant un vaste espace dégagé devant la plus grosse des machines sur lequel vinrent se placer une partie d'entre eux, il fut facile de les compter car ils se rangèrent à la manière des militaires, formant un impeccable bataillon de dix rangs de dix individus qui restèrent-là sans bouger. Nous ne comprenions pas ce qu'ils attendaient. Au bout d'un quart d'heure il nous sembla que la machine bougeait. Imaginez un énorme parallélépipède aussi long et trois fois plus large que deux wagons de marchandise. Une espèce d'auvent transparent coulissa du toit de l'appareil et se déploya lentement au dessus du bataillon immobile, puis commença à se retirer en arrière doucement. Les Réplicants n'avaient pas bougé d'un millimètre.

Tout à coup nous comprîmes que nous ne comprenions pas. Sitôt que le toit mobile eut repris sa position initiale à l'instant une centaine d'autres Réplicants se rangèrent devant la machine.

    • Nom de Zeus grogna Vince, j'ai dû rater un épisode !

Nous partagions tous la même incompréhension. Nous n'eûmes pas le temps d'épiloguer, déjà le toit mécanique se remettait en mouvement. Nous écarquillâmes les yeux, nous concentrâmes toute notre attention sur la scène, mais elle se déroula de la même manière que la précédente. Et nous restâmes plongés dans la même stupéfaction. Une nouvelle fois cent Réplicants vinrent se ranger devant la machine, mais leurs rangs étaient nettement moins rectilignes, chacun déposa à ses pieds une grosse caisse sur laquelle ils finirent par s'assoir attendant que le toit transparent les recouvrit et puis ait reculé. Une quatrième centaine de Réplicants poussant d'énormes malles se rangèrent tant bien que mal devant la machine !

    • Inutile de les regarder avec des yeux de merlans frits, la chose est aussi simple que bonjour dit le Chef

    • Moi il me manque une pièce dans le puzzle s'exclama Charlotte, ils se mettent devant, le toit avance et recule et d'autres viennent prendre leur place, mais où sont ceux qui les ont précédés, c'est tout de même étrange !

    • Non, pas du tout, c'est extrêmement logique, ils sont là mais vous ne les voyez pas quand ils s'écartent sur les bords ! Le Chef prit le temps d'allumer son Coronado. Cette espèce de couvercle qui les recouvre et puis s'en va n'est pas une vulgaire structure en matière plastique transparente mais un mécanisme ultra-perfectionné qui rend les Réplicants invisibles !

    • Un rayon d'invisibilité on aura tout vu, si je peux me permettre grogna Vince, nous avons affaire à un ennemi redoutable !

    • Par contre m'écriais-je j'ai compris les changements de la villa, non seulement les Réplicants sont invisibles mais tout ce qu'ils touchent aussi, puisque les caisses sur lesquelles ils se sont posés voulez-vous supprimer un arbre dans le jardin il suffit qu'un Réplicant pose la main dessus, voici pourquoi la maison changeait du tout au tout d'un jour sur l'autre, nous croyions être seuls nous étions entourés par une foule de décorateurs qui devaient se marrer à chaque métamorphose !

    • Certains sont invisibles mais d'autres ne le sont pas, ils sont donc doublement dangereux précisa le Chef

    • Je ne regrette pas d'être venue quand je pense à l'article que je vais publier, je sens que je vais être bombardée rédactrice en chef, Brunette en bondissait de joie sur place, finie la rubrique des chats et des chiens écrasés !

    • Ne prenez pas vos rêves pour des réalités – la voix était glaciale - vous êtes tombés dans le piège, oui nous pouvons être invisibles, et nous montons toujours la garde à l'endroit exact où Eddie Crescendo à disparu !

108

Nous n'étions pas fiers. Nous nous étions faits avoir comme des bleus d'Auvergne. Par une galerie que nous n'avions pas remarquée nous étions descendus tout en bas de la fosse, ils nous avaient délesté de nos armes, et même si nous ne les voyions pas nous sentions leurs fusils dans le creux de nos reins, et maintenant nous étions à notre tour assis devant la machine. Nous n'allions pas devenir invisibles, la voix glaciale nous avait tout expliqué, l'on sentait que le Réplicant prenait plaisir à vanter les performances de sa Rayonide ainsi la nommait-il, le rayon d'invisibilité fonctionnait à partir de deux principes, celui de la cryogénisation des particules temporelles qui structurent l'espace et celui de leur mise sous tension énergétique. Le premier permettait de rendre invisible tout corps physique et le second dégageait un rayon qui vous consumait en quelque secondes, mais à un point tel que l'on ne retrouvait même pas les cendres. Une espèce de bombe atomique qui ne dégageait ni explosion, ni nuage, ni radiation. Il nous assurait une mort écologique. Nous étions ligotés sur nos chaises, mais notre interlocuteur invisible possédait un cœur d'or, aurions-nous par hasard une dernière volonté, si cela était dans ses possibilités il nous l'accorderait volontiers ;

    • Vous serait-il possible de nous délier les mains afin que nous puissions profiter de nos derniers instants pour fumer un ultime Coronado demanda le Chef

    • Accordé, humains je ne vous comprendrai jamais, quelle race inconséquente êtes-vous, vous demandez à fumer avant de partir en fumée !

Des lames de couteaux invisibles sectionnèrent nos cordes, le Chef distribua ses Coronado, je me suis réservé le meilleur pour moi, j'espère que vous ne m'en voudriez pas, un negro grosso vomito, jeunes filles vous m'excuserez, je reconnais que parfois il peut dégager une odeur pestilentielle mais quel arôme dans le palais, ce cigare est une merveille, sans aucun doute ce que l'Humanité a produit de meilleur... je ne l'écoutais plus je regardais les volutes que dégageait le cigare du Chef, de grosses traînées blanchâtres qui convergeaient en plusieurs points autour de nous désignant ainsi la position des quatre gardiens qui avaient coupé nos liens...

    • Bon je vois que vous avez presque fini, vous les gardiens venez à mes côtés - zut nous ne pourrions même pas essayé de les neutraliser au dernier moment – regardez, la manette vers le haut je les rends invisibles, vers le bas je les fais disparaître à jamais, messieurs êtes-vous prêts, ô les petits cachotiers, vous avez profité que mes aides m'aient rejoint pour tenter de brûler à l'aide de vos cigares les cordes de vos jambes, quel effort pitoyable, je...

Il y eut une terrible explosion, une fumée noire s'échappait de la machine, l'on courait autour de nous mais nous ne voyions personne, un peu hébétés et titubants nous arrachâmes nos entraves, la lumière s'éteignit, un aboiement bref, Molossa nous indiquait la direction à prendre, nous fonçâmes mais derrière nous la poursuite s'organisait, sans doute étions nous dans la galerie qui nous permettrait de remonter, mais la galopade de nos poursuivants se rapprochait, c'est alors qu'il y eut une seconde explosion et qu'une boule poilue me sauta dessus en jappant, Molossito réfugié dans mes bras me léchait le visage, mais nous n'entendions plus rien, hormis la voix du Chef : Plus vite !

Nous nous extirpions du hangar tout essoufflés lorsqu'il s'écroula sur lui-même.

    • La machine a dû exploser, les galeries se sont effondrées, les Réplicants n'existent plus jubila Vince !

    • Agent Chad, heureusement que vos chiens sont plus performatifs que vous sinon nous serions morts à l'heure qu'il est !

    • Oui Chef, ils ont décampé sans se faire remarquer quand les Réplicant nous ont pris par surprise, et Molossa a déposé sa ceinture d'explosif sous la machine et a tiré sur le cordon d'allumage avant de s'éloigner à toute vitesse pour nous guider, quant à Molossito il s'est délesté de son gilet de sauvetage au milieu de nos poursuivants et les a ainsi proprement éliminés ! Ces chiens ont dû recevoir de leur maître une éducation hors-pair pour se conduire si intelligemment !

109

Les filles étaient heureuses. Elles savouraient notre triomphe, elles croyaient que l'aventure était terminée, le Chef doucha quelque peu leur enthousiasme :

    • Pour le moment nous nous en sommes bien sortis, mais ce n'était que les hors d'œuvres, que dis-je de chiches biscuits d'apéritifs, il nous reste à affronter le mystère le plus noir celui pour lequel Eddie Crescendo est mort, l'énigme de la boîte à sucres !

A suivre...

 

29/11/2019

KR'TNT ! 440 : CHAMBERS BROTHERS / MARK LANEGAN / DREIKANTER / JAGANNATHA / HIGH ON WHEELS / JARS / RIGHT

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 440

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

28 / 11 / 2019

 

CHAMBERS BROTHERS 

MARK LANEGAN

DREIKANTER / JAGANNATHA

HIGH ON WHEELS / JARS / RIGHT

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Musique de Chambers

 

Les Chambers Brothers sont arrivés dans le rond du projecteur en 1968 avec un sacré smash, le fameux «Time Has Come Today». Comme il durait huit minutes, Columbia l’avait coupé en deux pour pouvoir le vendre sur un single. Les Chambers Brothers furent le premier groupe de rock noir à émerger de la West Coast. On avait à l’époque très peu d’informations. On sut plus tard que les quatre frères étaient nés dans le Mississippi, à l’époque où la vie était encore rude pour les noirs. Ils étaient onze enfants dans la famille Chambers. George, Joe, Willie et Lester travaillaient aux champs avec leur père. Le dimanche ils chantaient à l’église où les blancs les payaient avec une pomme. Willie affirme qu’ils savaient se contenter d’une pomme. C’était mieux que ce qu’avaient les autres, ajoute-t-il.

Dans les années cinquante, ils jetèrent l’ancre à Los Angeles où s’était installé l’aîné, George, fraîchement démobilisé. Justement, George vient tout juste de casser sa vieille pipe en bois, alors on ne va pas laisser passer une occasion pareille : rendons hommage à ce groupe énorme que furent les Chambers Brothers.

Attention, leur discographie tient sacrément bien la route. C’est du solide. George et ses trois frangins ont ramené en Californie le power du gospel batch et les subtils bouquets d’harmonies du doo-wop. Ils chantaient tous les quatre et savaient composer. George jouait de la basse, Lester de l’harmo, Willie et Joe de la guitare. Un batteur blanc nommé Brian Keenan les accompagnait. Les Chambers firent comme Sly Stone le choix étrange d’un batteur blanc. Why not ?

Ils se firent connaître au Newport Folk Festival, puis tout alla très vite. Un premier album intitulé People Get Ready parut en 1966. Il y tapent un «Tore Up» d’Hank Ballard à la chaleur du doo-wop. Leur grande force est de savoir chanter à quatre. Ils reprennent plus loin le très beau «You’ve Got Me Running» de Jimmy Reed et le fondent dans l’or d’un boogie magnifié à la chaleur des voix combinées. Le morceau titre est la reprise du hit de Curtis Mayfield : «People Get Ready» avait à l’époque une résonance particulière. Pour le peuple noir, il ne s’agissait pas d’une chanson de discothèque, mais d’un hymne patriotique. On retrouve les voix chaudes du Mississippi sur «Hooka Tooka» en B et une version de «Summertime» qui vire doo-wop, mais on préfère celle de Janis qui tamponne bien le coquillard. Ils bouclent avec une fantastique version d’«It’s All Over Now», mille fois plus inspirée que celle des Stones. Joe Chambers chante comme un prêcheur du Deep South, avec de la fièvre dans les montées et du jus dans l’accent. Il swingue comme un démon béni des dieux. La fratrie Chambers se révèle redoutablement puissante.

La même année paraissait Now avec une pochette à la mode, puisqu’elle était recouverte de fleurs. Les Chambers vont confirmer ce qu’on pressentait avec le premier album : ils sont les rois de la reprise, the kings of the kover. Il faut entendre la kover qu’ils font de «High Heels Sneakers». Bon, d’accord, la version de Jerry Lee est indétrônable, mais on peut classer celle des Chambers aussitôt après. Ils en font une version torride et diablement inspirée. Attention, le «Baby Please Don’t Go» qu’on trouve sur cet album n’est pas celui des Them. Il s’agit d’un gospel blues, l’une de leurs grandes spécialités. Ils peuvent même taper une version de «Long Tall Sally» sans rougir, mais c’est le même problème qu’avec «Summertime» ou Sneakers, on peut avouer un faible pour une autre version, celle de Little Richard, bien sûr. En B, on tombe sur l’énorme «It’s Groovin’ Time», un gospel batch à l’image du delta, qui se perd sous l’horizon. Les Chambers excellent dans tous les domaines. Avec chaque album, on a de quoi nourrir un régiment.

Leur album culte The Time Has Come parut l’année suivante. On y trouve le smash qui fit leur succès, noyé d’écho, puissant, quasiment biblique, hanté par les cris de la jungle et des gros ha ha ha à la Clarence Carter. C’est bête à dire, mais «I Can Stand It» est encore meilleur. Voilà une belle pièce de r’n’b chaude et sensuelle, jouée à la cloche de bois et pulsée à la Sly. Ils font aussi une version absolument déterminante d’«In The Midnight Hour» - Oooh sock it to me - Ces mecs ont une classe folle, ils swinguent la Pickett Soul à leur manière qui est altière. On retrouve toute l’énergie des plantations dans «All Strung Out Over You», un heavy black rock de belle tenue. Autre chef d’œuvre impérissable : le «Please Don’t Leave Me» qui se trouve en B, un groove doo-wop monté sur la bassline élastique de George. Le doo-wop reste la botte secrète des frères Lagardère.

Sur l’album live Shout !, on trouve un coup de génie intitulé «Pretty Girl». Ça sonne comme le r’n’b de l’origine des temps, mais gorgé de toute l’énergie du doo-wop. Les quatre frangins ont du génie, aucun doute là-dessus. Il faut les entendre pulser leur pretty pretty pretty pretty girl ! On contemple le visage non pas de Dieu mais du génie rock des origines, ce mélange toxique de beat r’n’b et de doo-wop. Et en prime ça screame. Ils tapent une kover de «Johnny B. Goode» à la clameur, un blues à la Chambers («Blues Get Off My Shoulder» de Bobby Parker) et un brillant retour au gospel batch pur avec «I Got It». Il bouclent avec une version merveilleuse de «So Fine» chantée à l’unisson du saucisson.

Encore un superbe album avec A New Time A New Day paru en 1968. C’est là qu’on trouve leur monstrueuse kover d’«I Can’t Turn You Loose», le hit d’Otis. Bon, c’est dur à dire, mais leur version est mille fois meilleure que celle d’Otis. C’est une merveille inexorable, screamée jusqu’à l’os du crotch et derrière ça claque des mains il faut voir comme - Early in the morning/ I got the feeling/ late in the evening - Il s’enraye le gosier à gueuler comme ça. Fantastique ! Belle pièce aussi que ce «Do Your Thing», solide black rock poussé dans le dos par le beat pour qu’il avance plus vite. On croit entendre James Brown ! Ils tapent aussi le heavy funk de combat avec «You Got The Power». Ils sont tellement puissants que rien ne peut leur résister. Quand ils tapent dans le heavy blues, comme c’est le cas avec «Rock Me Mama», on voit trente-six mille chandelles. Ils sont bel et bien les maîtres du jeu - When you start to roll me babe/ You don’t know how you make me feel - Encore une belle fournaise avec «No No No Don’t Say Goodbye». Brian Keenan y fait un numéro de cirque sur ses fûts. Il n’en finit plus de pulser la soupière. Ils terminent avec le morceau titre, un groove de Soul à la Junior Walker. Les Chambers foutent le feu au ghetto, comme June le fit avec «Shotgun». Ils sortent pour l’occasion un groove absolument dévastateur. On y retrouve les cris de la jungle de Time et toute cette fantastique ambiance de ghetto en flammes.

Le Groovin’ Time paru sur Folkways en 1968 est une sorte de compile d’archives. On y trouve un très beau gospel blues («Down In The Valley», de source claire et noyé d’harmo), un gospel rock étonnant («Rough & Rocky Road») : pas de guitares, pas de basse, tout est pulsé aux clap-hands et à l’énergie des origines. Oui les Chambers savent très bien pulser le gospel batch et roller grand-mère dans les orties. Ce cut est une véritable énormité, digne de celles du Rev. Gary Davis. En B, ils tapent dans le boogie avec «Yes Yes Yes», fabuleuse pièce chargée d’écho, à consonance mythique. Belle version à la suite d’«Oh Baby You Don’t Have To Go». Ces mecs-là ne visent que l’épais et le bon.

On trouve encore une kover de rêve sur le double album Love Peace & Happiness paru en 1969 : «You’re So Fine», le vieux hit des Falcons. Voilà une version bien drivée, puissante et juste. Comme ça vient à la fin du live au Fillmore East (le deuxième disk), c’est une façon très élégante de saluer le public. Sur le live, on retrouve aussi leur kover d’«I Can’t Turn You Loose». Ils la surchauffent et ça tourne une fois de plus en eau de boudin de Trafalgar. Ils rebalancent leur kover de «People Get Ready» et tapent «Bang Bang» au riff de «Louie Louie». Ils font danser le Fillmore. Les gonzesses sont folles de joie. Elles peuvent danser le jerk. Pour finir, ils passent en mode doo-wop avec «Undecided/Love Love Love», et tout le Fillmore claque des mains. Quels veinards, ces hippies ! Sur l’album studio, on trouve un très beau gospel batch («Have A Little Faith») et deux hits : «If You Want Me To» (rock de Soul admirablement swingué et screamé sur le tard) et «Wake Up» (véritable Chamby Chambah noyé de Soul et de cuivres).

Les Chambers enregistrent énormément. Voilà leur huitième album en quatre ans, Feeling The Blues. On y trouve un chef d’œuvre de gospel batch intitulé «Just A Closer Walk With Thee». Les Chambers livrent là un gospel de charme nappé d’orgue avec du Oh Lord magnifico. Ils tapent dans les tous les styles avec une égale réussite : dans le blues à la «St James Infirmary» avec «Blues Get Off My Shoulder», dans le balladif à la Ray Charles avec «Travel On My Way», dans le jumpy des années vingt avec «Undecided» et dans le boogie ravageur avec «Girls We Love You», monté sur le beat de Sneakers. Ils chantent ça tous les quatre. On y sent une vraie énergie.

En 1971, New Generation paraît sous une pochette richement illustrée, en forme de calendrier aztèque. Au dos, une photo de groupe mélange les Chambers avec des blancs. Ils sont pour la mixité, apparemment. «Young Girl» est le hit de ce bel album, une adorable pièce de pop sentimentale chantée au doux du doo des Chambers. On en frémit, tellement c’est beau. «Funky» sonne aussi comme un hit. C’est même un hit, avec un mélange de jive de jazz et de Soul universaliste. Diable, comme ils sont brillants ! Ils reprennent «Practice What You Preach» à l’arrache de James Brown, avec une sorte de hargne vengeresse. En B, ils reviennent à la Soul de charme orchestrée avec «Reflections». Si on aime les ambiances chaleureuses, alors c’est là que ça se passe. Quant au morceau titre, il s’agit d’une jam de Soul rock bien portée par le bassmatic et secouée par quelques démonstrations de force. Ils finissent cet album étonnant avec «Going To The Mill», une chanson d’esclaves. Ils sont très forts : ils rappellent aux blancs que la vie des noirs ne fut pas toujours rose.

On reste dans les seventies avec Unbonded, un album qui vaut franchement son pesant d’or. Les Chambers l’attaquent avec une kover des Four Tops, «Reflections». Lester chante lead et il screame comme un damné pour faire décoller ce vieux hit qui n’en demandait pas tant. Ils tapent ensuite dans une autre légende du r’n’b, Hank Ballard, avec «Let’s Go Let’s Go Let’s Go». Willie chante ça avec toute la chaleur du doo derrière. Ils mêlent encore une fois la puissance du gospel au r’n’b. Lester prend «1-2-3» d’une voix incroyablement sensible. On entend là un swinger fou qui relance son cut au scream. Quelle science du beat Motown ! Il finit son cut au scream pur, comme Wilson Pickett. En B, ils tapent une belle kover du «Good Vibrations» des Beach Boys. Ils la chargent d’harmonies vocales issues du doo-wop et du gospel, du coup ça s’envole pour de bon. Nouvelle reprise de Curtis Mayfield avec «Gyspsy Woman». George la prend d’une voix incroyablement chantante à la Curtis. Ce mec est tout simplement génial. Ils tapent aussi une jolie kover du «Do You Believe In Magic» des Lovin’ Spoonful et finissent avec un «Looking Back» traité au gospel batch des adieux.

Leur dernier album studio paraît en 1975. La pochette montre une partie d’échecs et l’album s’appelle Right Move, qu’on pourrait traduire par joli coup. Les Chambers continuent de proposer des bons albums. On est frappé par l’énormité du son dès «Crazy Bout The Ladies», ce mélange de heavy soul et de blues rock arrosé d’harmo, sevré de puissance et vaste comme l’horizon. C’est comme à la Samaritaine, on trouve tout chez les Chambers Brothers. Voilà encore une belle pièce de rock blues avec «Miss Lady Brown», enrichi aux harmonies vocales et doucement wahté en fond de toile. On a même droit à des petits coups de baryton doo-wop. S’ensuit un «Lotta Fine Mama» chanté avec une hargne peu commune, un peu dans l’esprit de Little Richard, et saxé à gogo. En B, le doo-wop fait son retour dans «Smack Dab In The Middle». Il faut voir ces mecs comme des cracks à l’ancienne. Ils nous sortent là du pur swing des années trente. «Stealin’ Watermelons» sonne plus funk, mais c’est chanté avec les ficelles de caleçon doo-wop. La voix fait la stand-up. L’air de rien, ce genre de pirouette finit par fasciner. Ils tapent ensuite «Who Wants To Listen» à l’infra-basse du hip hop. On se repaît de ce magnifique son de basse, de sa rare profondeur, à la fois swampy et spirituelle.

Et voilà, ça se termine en 1976 avec l’excellent Live In Concert On Mars. On y retrouve le «Stealin’ Watermelons» de l’album précédent. Les Chambers font chanter des filles - I-I love something you get/ I-I love something you got - et ils répondent Oh yeah ! Ils finissent ce set en beauté avec du higher and higher à la Sly Stone. Les concerts des Chambers devaient être de véritables messes païennes. Le «Supestar» qui ouvre le bal de l’A est aussi une belle pétaudière, bien wahtée et jouée à l’énergie pure. C’est un classique du rock-soul psyché des seventies. On ne peut pas faire mieux. Avec «Me And My Mother», ils font ce qu’ils ont toujours fait, ils shootent toute la puissance du gospel batch dans le cul de la Soul californienne. Alors ça devient exceptionnel. Ils passent ensuite au funk avec «Midnight Blues». Ils y sonnent les cloches de la basilique. Ils sont complètement dans le groove du funk, le meilleur qui soit, le véritable emblème de la blackitude céleste.

Les trois frères de George seraient encore en vie. L’étonnant est qu’il n’existe aucune littérature qui leur soit consacrée, ni dans les mémoires de Bill Graham, ni dans les recueils d’articles de Joel Selvin. Que dalle.

Signé : Cazengler, Chamberk Brother

George Chambers. Disparu le 12 octobre 2019.

Chambers Brothers. People Get Ready. Vault 1966

Chambers Brothers. Now. Vault 1966

Chambers Brothers. The Time Has Come. Comumbia 1967

Chambers Brothers. Shout ! Vault 1968

Chambers Brothers. A New Time A New Day. Columbia 1968

Chambers Brothers. Groovin’ Time. Folkways Records 1968

Chambers Brothers. Love Peace & Happiness. Columbia 1969

Chambers Brothers. Feeling The Blues. Vault 1970

Chambers Brothers. New Generation. Columbia 1971

Chambers Brothers. Unbonded. Avco Records 1973

Chambers Brothers. Right Move. Avco Records 1975

Chambers Brothers. Live In Concert On Mars. Roxbury Records 1976

 

Lanegan à tous les coups

- Part Three

Dans le dernier numéro de Mojo, Keith Cameron déroule le tapis rouge à celui qu’il surnomme the Dark Lord with the Voice of Doom, c’est-à-dire Mark Lanegan. Cameron en fait peut-être un peu trop, comme ces gens qui baptisèrent jadis le duo Isobel Campbell/Mark Lanegan ‘La Belle et la Bête’, ce qui était à la fois insultant pour Lanegan et pour Cocteau. S’il est un film dans lequel le mythe Lanegan peut trouver un écho, c’est bien sûr «Les Enfants Du Paradis». N’oublions jamais que Lanegan vient de la rue et qu’il est parti de triple zéro pour bâtir un empire artistique.

Lanegan vit à Glendale, un northern Los Angeles satellite qui fut jadis le fief des Cramps. Chez Lanegan, Cameron voit des livres, des toiles et des photos. Pas n’importe quelles photos : Bowie, William Burroughs et Sid Vicious. Cameron annonce aussi la publication d’une autobio, Sing Backward And Weep, et d’un prochain album sur lequel sont invités des gens comme Warren Ellis et Adrian Utley. Lanegan ne traîne pas en chemin, il avance au rythme des projets à venir. Pour alimenter le côté morbide du mythe Lanegan, Cameron s’empresse de rappeler que son chemin de croix croise pas mal de tombes, notamment celles de ses vieilles idoles : Kurt Cobain et Jeffrey Lee Pierce, pour n’en citer que deux.

Très vite, Lanegan se montre intraitable sur la question de la popularité. Faire la première partie de Johnny Cash ou de Bon Jovi aux États-Unis ? Non, ça ne marche pas comme ça. Dans son pays, on le voit toujours comme le chanteur d’un groupe grunge qui n’a pas marché. Alors il développe des trésors de pédagogie laneganienne pour expliquer qu’il a dû tout reprendre à zéro afin de pouvoir exister en tant que Mark Lanegan - I had to forge a different sort of future for myself - Et c’est en Europe que ça marche, les gens achètent les disques et viennent le voir chanter sur scène, même si la plupart du temps, ils ne savent rien des Screaming Trees.

Ah justement, les Screaming Trees, parlons-en ! On manque cruellement de littérature sur ce groupe incroyablement fascinant que Lanegan s’empresse de démolir - The Trees were inherently flawed - C’est-à-dire foutus d’avance - They had no work ethic - Lanegan nous explique que Lee Conner composait chaque jour trois ou quatre cuts - He was a machine - Il recyclait en permanence les mêmes accords, that phony psychedelia that raised its head in the ‘80s. «Tous ses textes parlaient d’herbe et d’acide, mais le plus drôle de l’histoire, c’est qu’il n’a jamais fumé d’herbe ni pris d’acide. C’était moi qui fumais et qui prenais des acides, et la façon dont Lee Conner en parlait n’avait rien à voir avec ce que je connaissais. Il évoquait des chats qui rigolaient ou des arc-en-ciels mauves ! Et je devais chanter ce fucking crap alors que j’écoutais le Gun Club et Birthday Party - shit with balls - J’étais désespéré et pourtant, je voulais partir en tournée, car chanter ces trucs était le seul moyen d’accéder à la vie que je voulais vivre.» On apprend donc que Lanegan en bavait au temps des Trees. Les chansons de Lee Conner lui donnaient la migraine et il devait adapter sa voix, d’où l’accès au baryton. C’est au moment de Sweet Oblivion que Lanegan prend conscience de son power - I realised I had a powerful rock voice - C’est là qu’il commence à écrire les textes, and dude, I realised then that I could blow the fucking walls out ! Lanegan réalise qu’il peut secouer les colonnes du temple et devient alors l’un des plus grands chanteurs d’Amérique. Il commence même à enregistrer des albums solo, et dès le deuxième, Whiskey For The Holy Ghost, il se destine aux cimes - I was determined to do something great, even though I still was a cave man, trying to make fire (Je voulais faire quelque chose de grandiose, même si je sentais que j’en étais encore au stade de l’homme des cavernes essayant d’allumer un feu) - Il se sait limité, mais il rêve de grandeur, et pour illustrer son propos, il cite deux modèles : Starsailor et Trout Mask Replica - Unreachable paradigms (paradigmes insurpassables) - Tim Buckely et Captain Beefheart, pas mal non ? Et c’est là que Lanegan songe à quitter les Trees pour pouvoir exister artistiquement. Entre Sweet Oblivion et Dust, Lanegan passe à l’héro et tout devient très compliqué pour les Trees qui sont en passe de percer. Mais c’est bien là qu’est le problème : si Lanegan se schtroumphe avec autant d’opiniâtreté, c’est précisément parce qu’il ne supporte plus d’être dans ce groupe de malades - I realised right then part of the reason I was loaded the whole time was just to survive the mental beatdown of being in that band. Everyone of us was just a complete weirdo - Et moi en premier, s’empresse-t-il de préciser ! C’est à cette époque que Josh Homme rejoint les Trees - I was a degenerate drug-addict and he was a clean-cut kid. He became my spirit animal for those years - Quel bel hommage !

Degenerate ? Lanegan avoue sortir d’une sacrée lignée : repris de justice, trafiquants d’alcool, mineurs misérables, le fleuron étant son oncle Virgil Lanegan, un clochard alcoolique tombé d’un train et amputé des deux jambes. Lanegan rappelle qu’il a toujours eu des problèmes avec la justice, qu’il a été sous contrôle judiciaire pendant toute son adolescence, de 11 à 18 ans et au placard à 18 ans. Lanegan fut donc entièrement livré à lui-même, il donnait donc libre cours à ses pulsions les plus sombres, the darkest thoughts or obsessions. And that’s all I did. Alors Cameron lui demande comment il a réussi à survivre. «Pure luck, dude.» Coup de pot, mon pote. Il dit avoir une constitution plus solide que celle des autres. Il dit aussi avoir évité les drogues pendant de longues périodes - That’s the main reason I’m here - Mais quand il parle du crack, c’est pour en rappeler sa consommation compulsive, à la Crosby, toutes les dix minutes, où que ce soit, dans les aéroports ou les backstages.

Lanegan évoque aussi son passage dans les Queens Of The Stone Age et son coma de huit jours - Near death experience - suivi d’un retrait complet de la scène. Il devient alors décorateur sur des plateaux télé et c’est son poto Greg Dulli qui insiste pour l’emmener en tournée - Greg’s a very close friend and very persuasive - Puis Lanegan fait son grand retour avec Blues Funeral - It came back big time with Blues Funeral, the enjoyment, the inspiration, everything - Il retrouve l’inspiration et l’enthousiasme. Il s’enflamme à évoquer son évolution artistique : on s’améliore en vieillissant. «J’écris de meilleurs textes, je chante de mieux en mieux. Je ne vois rien qui puisse m’empêcher de continuer à évoluer.» Avec sa femme, il vient de monter un projet electro nommé Black Phoebe. Et quand Cameron lui demande s’il est ambitieux, Lanegan grommelle : «That’s out of me now.» Trop tard pour ça. Il se contente de se lever chaque matin pour composer. Il adore ça. Il a réussi à vivre ce qu’il rêvait de vivre et même bien au-delà - I’ve lived a life beyond my wildest expectations - «Je n’ai jamais été une star, mais j’ai réussi à survivre en tant que chanteur. Je possède ma maison et je vis un mariage heureux. J’ai mes animaux. Maintenant, j’adore partir en tournée, alors qu’avant je détestais monter sur scène. Je ne me sentais pas à l’aise, sans doute à cause des trucs que je devais chanter. Aujourd’hui c’est fini. J’ai 54 balais et j’en ai plus rien à foutre de rien - I don’t give a shit about anything any more. Nothing ! N’importe quoi peut arriver and it’s fine !» En matière de mise à nu, on a rarement vu plus impressionnant.

Ce Mojo Interview tombe à pic car Mark Lenagan débarque en Normandie par un beau soir d’octobre. Et comme lors de chacune de ses apparitions sur scène, il donne une idée assez juste de ce que peut vouloir dire le mot grandeur. Lanegan shoote dans le rock toute sa démesure, on pourrait même parler de démesure prophétique. Il va de nouveau défrayer la chronique à coups de «Beehive» ou de «Hit The City», c’est le solid rock américain le plus straight in the face car chanté de droit divin - Gasoline in cool cool water/ I’m lying on a cooling board - Il semble que sa voix éclate comme jadis éclataient celles des rois dans les palais, c’est un éclat tellement impératif, chargé de tout l’écho du temps. Il ressort aussi son vieux «Bleeding Muddy Water» reconnaissable entre mille et cet «Harborview Hospital» d’une indicible tristesse - I walked by Harborview Hospital - l’accroche fatale bientôt suivi du fatidiquement beau Oh sister of mercy. Par la grandeur de ses intonations et sa profondeur de ton, il rejoint bien sûr la démesure poétique de Léo Ferré, l’homme qui mit Rimbaud, Aragon, Apollinaire, Baudelaire et toute la bande en musique - The devil ascended/ Upon some crystal wings - C’est somptueux et souvent, on se pose la question : sommes-nous réellement dignes d’un tel artiste ? Qu’on ne se méprenne pas, ce n’est pas un concert de rock ordinaire. Lanegan atteint à une autre dimension. Il devient malgré lui une sorte d’artiste subliminal. Il est même certainement ce qu’on peut espérer voir de mieux sur scène, si l’on recherche les grands interprètes. Lanegan se situe au niveau de stylistes comme Liza Minelli, Mavis Staples, Al Green, Jerry Lee, des gens capables dans leur genres respectifs de créer des moments d’émotion uniques. Il tape dans le nouvel album avec l’infernal «Disbelief Suspension» et son leitmotiv dévorant, you wanna ride/ You wanna take a ride - Lanegan utilise sa voix comme un instrument et n’en finit plus d’interpeller l’intellect. Il tire aussi du nouvel album le cavalé «Stitch It Up», qu’il emmène avec une poigne de chef de meute, puis «Penthouse High», qu’il plonge dans une ambiance synthé avec des Ghots inside this house. Il mène le bal au big beat electro et ça ne surprend personne, car il centralise tous les flux dans l’image de sa personne. Il se dresse dans les ténèbres éclairées tel une statue de sel - Don’t you come inside this house ! - Fan-tas-tique ! C’est Victor Hugo à Guernesey avec des guitares électriques ! Il sort plusieurs fois ce refrain diabolique : «It’s my only faith/ It’s my truest love/ It’s my holy rain from/ Up / Abôve !» et il faut voir comment il accidente la prononciation d’Abôve ! L’effet ! Tout est dans l’effet. Oui, Lanegan fait de l’art, attention, c’est un cran au-dessus de ce qu’on imagine. «Dark Disco Jag» sort aussi du nouvel album, autre moment d’apparence banale, mais attention aux attaques - There’s music in my bag/ A dark disco jag - Ses textes nous régalent autant que ceux du Dylan de l’âge d’or, ce Disco Jag vaut bien «Desolation Row» ou encore «Lost In Mobile With The Memphis Blues Again». Il y a quelque chose de sacré dans la perfection de ces textes. Lanegan revient aussi aux Twilight Singers avec «Deepest Shades». Le somment du set reste bien cette puissante dérive mélancolique intitulée «One Hundred Days» qu’il semble chanter entre deux eaux - As no good reason remains/ I’ll do the same/ Thinking of you - Il faut le voir tordre le bras de son thinking of you, instant d’une merveilleuse intensité - There is no morphine/ I’m only sleeping - Il donne l’idée exacte de ce que furent les paradis artificiels du XIXe siècle, c’est une dérive volontaire de beauté défoncée, Lanegan fait de l’art, il sculpte la matière vivante de sa mélodie - A ship comes in - On se demande ce qu’il raconte, ship comezinne, on dérive avec lui au large ou dans l’harbour alors que les frissons courent sur le haricot comme des bataillons en déroute, il en vient absolument de partout, des myriades de ship comezinne frissonnants, one hundred days, ship comezinne, pas besoin d’avaler un stupéfiant, Lanegan stupéfie. Il fait tout le boulot. Désolé de devoir encore parler de magie. On se dit aussi à ce moment-là que Lanegan laboure ses terres, c’est-à-dire le conglomérat de cervelles admiratives rassemblées dans la salle et qu’il va y faire germer du blé d’or. Lanegan est une sorte de Georges Rouquier du rock, et même pire encore, un Abel Gance perché au sommet d’un escabeau face à son équipe d’une centaine de personnes, l’exhortant à faire du tournage qui démarre un moment d’exception.

On reste dans l’exception avec Somebody’s Knocking, le nouvel album de Lanegan, partiellement défloré sur scène. On croise à nouveau «Disbelief Suspension» et son attaque frontale - Going downtown/ In the wrong direction - Ça sonne immédiatement, c’est du heavy rock et chaque mot tinte dans l’écho du temps - I’m going to fly up to the sun/ In a helicopter - Lanegan chevauche son dragon, alors t’es baisé. C’est du heavy stoner, you wanna ride/ You wanna take a ride, t’es baisé, car tu vas chanter ça tous les matins pendant un bon moment. Il nous sert sur un plateau d’argent l’apanage de l’archétype du heavy stoner puissant, sombre et caparaçonné. Lanegan appartient à toutes les époques, surtout celles des tableaux de batailles rangées du XVIe siècle. L’armure noire et le la mèche de cheveux rouges, c’est lui. Dans «Night Flight To Kabul», il se demande s’il va trouver du Gold in Kabul, il fait tellement sonner le boulle de Kaboulle qu’on frémit - Is there Gold/ Gold in Kabul ? - Il charge ses intermèdes de synthés et annonce qu’il se laisse pousser une paire de cornes - I grew myself a pair of horns - Fantastique esprit de désaille ! Il descend dans son chant comme on descend les marches d’une crypte - Alone I drift - Il démarre sa B avec le tutélaire «Dark Disco Jag», son music in my bag, ses accroches mirobolantes et ses atmosphères pesantes, il trouve même de la magie dans son sac, a dark disco jag. Il n’en finit plus de chanter les louanges des ténèbres, sway now sister sway/ To that funeral tone - Ce démon enchaîne avec «Gazing From The Shore» où il rejoint des vieux atmopherix des Gutter Twins, tout est travaillé dans l’intensité avec la plus âpre des mélodies - Don’t leave me stand here/ Just gazing from the shore - Cette B ne serait pas une B sans ce «Stitch It Up» emmené ventre à terre - Arson on the hillside/ Down to the seaside - Et forcément, the beast walks next to me, comme au temps béni du Gun Club - Ropes can’t bind me/ Knife still inside me - Terrific ! Ce double album ne s’arrête pas en si bon chemin car «Penthouse Hight» ouvre le bal de la C. Encore un plat de résistance pendant le set, avec ses Ghosts et son gros beat electro. «Paper Hat» fait partie des cuts les plus ensorcelants de l’album, Lanegan s’y moque de lui-même, mais en même temps, il demande à sa femme de ne pas jeter son love away, car dit-il, ce sera le dernier love qu’il pourra offrir avant de mourir. On retrouve dans «Name And Number» le beat métallique de «Methanphetamine Blues». Il chante ça à la rengaine vénéneuse - When your name has become a number/ A wilderness of sorrow & slumber - On croit qu’il va se calmer en approchant de la fin de l’album. Pas du tout. Il attaque sa D avec «War Horse», un heavy shit à la godille - I’m a war horse baby/ And you don’t want a war with me - Il la prévient. En fait, Lanegan excelle à tailler ses lyrics à la serpe - People look out/ My chemical imbalence - C’est encore une fois extrêmement bien foutu, vraiment digne de la vigne - What’s in the bedroom mirror/ Are malovelant spirits/ It couldn’t be clearer - pas loin de Rosemary’s Baby. Derrière arrive «Radio Silence», avec du synthé plein les chutes du Niagara et il pèse de tout son poids dans l’imbalence de son génie - Some imperfect science/ That’s what I need - And Lanegan, that’s what we need.

Signé : Cazengler, Mark Lannegland

Mark Lanegan Band. Le 106. Rouen (76). 5 novembre 2019

Mark Lanegan Band. Somebody’s Knocking. Heavenly 2019

Keith Cameron : The Mojo Interview. Mojo # 313 - December 2019

MONTREUIL / 24 – 11 – 2019

LA COMEDIA

DREIKANTER / JAGANNATHA

HIGH ON WHEELS

Du monde ce dimanche soir. Un public différent. C'est fou comme chaque genre de rock draine ses propres aficionados. Diversifications ou cloisonnements. Chapelles ou tribus. Le rock du désert possède ses adeptes, c'est un fait, ceux qui sont là dans leur immense majorité savent ce qu'ils sont venus écouter.

DREIKANTER

Trois tout de noir vêtus. N'imposent rien, néanmoins se dégage une classe ascétique innée. Quelque chose de sec et de racé qui leur colle à peau, Antoine Bartiett ouvre le jeu. La guitare seule. Se plaint-elle, rit-elle, roucoule-t-elle, pleure-t-elle, pour le moment on ne sait pas, mais l'on a compris que l'on est parti pour un grand moment. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a combat, entre lui et l'instrument, qui ne cessera de tout le set, un peu comme si chacun des deux luttait pour maîtriser l'autre. Il plaque des accords, mais c'est avant tout la guitare qui se plaque sur lui, comme si son corps était aimanté, essaie de l'éloigner de lui, la repoussant du haut du manche, Léda subjuguée saisissant d'une main ferme le col du cygne impétueux, tentant vainement de l'écarter pour échapper à l'étreinte cosmique, le blanc plumage de l'animal s'absorbant dans la blancheur laiteuse de sa peau, mais ici c'est noir sur noir, silhouette d'homme et de guitare se chevauchant, se rapprochant, se fuyant comme pour assurer une emprise définitive, l'impression de deux pièces de tangram qui chercheraient à signifier, à écrire les lettres d'un mot mystérieux que personne ne saurait lire mais qui retiendraient prisonniers tous les regards fascinés par la beauté de ses formes.

Bien sûr entre temps Pascal Berson à la batterie et Florian Allard sont entrés depuis longtemps dans la danse. En silence. Certes ils jouent fort, mais l'absence de chant confère aux longs morceaux qui s'étendent en leur infinité une subtile dimension d'irréalité. Une cérémonie magique qui se déroulerait sans que l'on en entende le sens. Etrangement celle musique, lourde, lente, figée et tournoyante n'est pas sans rappeler les groupes instrumentaux de surfin' des premières années soixante, mais l'innocence en moins, plus d'un demi-siècle s'est écoulé, le rêve et l'enthousiasme sont morts, la promesse de jours heureux n'a pas été tenue, la nuit a perdu ses étoiles, l'âme humaine s'est obscurcie, la musique est devenue ténèbres. Un ruissellement charivarique de beautés sombres nous submerge, ne reste plus rien que cette froideur irradiante qui nous enveloppe comme un manteau de neige noire et scintillante.

Pascal Bartiett joue-t-il vraiment de la guitare, ne serait-ce pas plutôt un fragment fuligineux d'aile d'ange tombé d'un poème de Rainer Maria Rilke qui tenterait en un dernier effort surhumain, de s'implanter, de se greffer dans une chair d'homme, et lui qui se débat, devant ce qu'il envisage tel un mufle de taureau minoen qui viendrait sur lui animé d'inquiétantes intentions qu'il serait incapable de déchiffrer. Le rock'n'roll n'est-il pas une corrida bruyante, une mise à mort symbolique de ce que l'on ignore. Sans doute de nous-mêmes. Un ballet funèbre de solitude. Ce qui est sûr c'est que quelque chose se passe, là sur cette scène. L'assistance s'est rapprochée, silencieuse et a écouté. Lorsqu'ils arrêtent, ils ont l'air surpris, presque gênés d'avoir généré une telle attention, comment eux, de simples buveurs de bière, ont-ils pu ce soir, par ce set, toucher à une poutre maîtresse de l'invisible.

JAGANNATHA

Jagannatha c'est la roue du karma et des illusions qui avance sans que vous puissiez la stopper. A moins que vous ne trouviez l'échelle de secours qui vous conduira au nirvana. Mais ne comptez pas trop sur votre chance. De toutes les manières votre sort n'est pas si terrible que cela, le torrent désastreux de la maya charrie de profondes horreurs mais aussi de superbes rutilances. La boue la plus fétide roule des gemmes les plus coruscantes. Il suffit de savoir voir. Et entendre. Pour cela les quatre gars de Jagannatha vont vous aider à percevoir.

Ne sont pas venus seuls. Ont apporté leurs plateaux d'offrandes que les trois guitaristes ont déposés à leurs pieds. De multiples petites boites à musique, car pour traduire le message du souffle divin et primal, vous avez intérêt à vous munir de décodeur, ce sont des trafiqueurs d'ondes sonores qui sont devant nous, la technologie est un sentier comme un autre, l'important est qu'il nous permette d'accéder à une réalité différente. Un batteur derrière. Jusque là tout va bien. Devant ni un bassiste, ni une lead guitare, ni une rythmique. Si vous voyez cela, c'est que vous vous trompez. Employons quelques mots désuets pour que vous compreniez mieux : trois violonistes virtuoses. Chacun possède un instrument et sa douzaine de magic-boxes. Jouent des treize en même temps. Qui est vraiment qui ? La question n'a que peu d'importance. C'est le résultat qui compte.

Le batteur n'a que ses toms et ses cymbales. Il marque le rythme. Il insuffle les départs, et les ruptures. Les trois autres lui obéissent même s'ils n'en ont pas l'air. Quand vous ouvrez les coffres au trésor les pierreries se répandent d'elles-mêmes. Vous êtes vite submergés. Et nous le sommes par toutes ces rutilances envoûtantes. Un flot intarissable de toute beauté. Chaque note est une merveille. Une chatoyance, un foulard de soie saumonée de rose tyrien, de vert émeraude et de pourpre impérieuse. Une pluie d'éclats.

La foule est massée tout autour. Immobile, silencieuse. Une assemblée de vampires dans une crypte convoquée pour l'ouverture de la tombe du maître Dracula, n'ayez pas peur, lorsqu'il ouvrira ses yeux de saphir vous serez baignés dans une ondée de bienfaisance, vos souffrances cesseront, vous aussi vous pourrez vous joindre au monde rieur des mortels sous les plus illuminatifs rayons du soleil, vous leur proposerez ce baiser de la mort, celui qui vous réunira dans l'éternité sans fin des jours écoulés.

Parfois ils se penchent vers leurs planche de salut, ils délaissent leurs instruments, tournent les boutons, et le son s'amplifie mais très vite ils brodent sur cette trame sonore de nouveaux motifs, des arabesques qui vous emportent en leurs tourbillons, des dessins de phénix en feu, des récits de voyages en des pays inconnus peuplés de rochers multicolores. Paix et tranquillité. Plénitude et sécurité. Zones safranées et sables versicolores. Aucune parole, les micros sont inutiles. La galerie de vos images intérieures à laquelle ils vous donnent accès est suffisante.

Jagannatha nous a emmenés très loin sur le tapis volant de leur stoner doom dépourvu de toute noirceur. Nous ont guidé vers la sérénité des orages et la splendeur salvatrice des tempêtes. La beauté n'exclut ni la puissance, ni la violence, ni la passion. Sont des régénérateurs. Vous enduisent d'énergie positive. Et lorsque l'envol du rêve se pose sur la mer étincelante, vous vous dites que vous revenez de loin. Que pour un peu vous auriez refusé de redescendre.

HIGH ON WHEELS

Sont-ce les trois micros, est-ce leur disposition en triangle méphitique, ou leur simple nom qui a induit cette intuition, cette fois-ci l'on allait entendre un stoner beaucoup plus nerveux. Certes ils n'ont pas manqué à cette lenteur de base qui est la marque de tout stoner bien élevé – quoique dans le désert les mœurs sont un tantinet rustiques, énormément sauvages affirment les explorateurs qui en sont revenus vivants - mais enfin ils se sont livrés à disons certaines déviances, qu'ils n'ont pas manqué de récidiver à intervalles ( très courts ) et extrêmement réguliers.

Le coupable est tout désigné. Grégoire B derrière sa batterie. Un hypocondriaque de la violence. Vous mène une rythmique majestueuse, d'une ampleur beethovinienne, et puis brusquement la folie le prend. La caisse claire ne lui a rien fait, mais il faut qu'il la tape, de toutes ses forces, faut qu'il la piétine de ses baguettes lourdes comme la massue d'Héraklès s'abattant sur le crâne du lion de Némée, ne se retient plus, s'énerve, la pile à mort, jusqu'à épuisement complet, d'ailleurs après ces espèces de razzia de démolition, il se courbe, se plie en deux, entre ses tambours, épuisé, mort, un nouveau mode de suicide auto-programmé.

C'est dans les pires moments que l'on reconnaît ses amis. Bruno G doit compter parmi ses meilleurs ennemis. Se saisit d'une de ses guitares, l'a prévu qu'une pourrait expirer sous ses doigts, et là il vous pousse un riff à réveiller une colonie de crocodiles qui fait la sieste sur le sable doré après avoir avalé les douze imprudents touristes du safari-photos, et aussitôt il recommence. Cinq six fois. Un peu plus fort à chaque fois. C'est alors que l'on assiste à une résurrection christique, Grégoire se réveille de sa torpeur comme si de rien n'était, et se met en devoir de couvrir la toniturance de son guitariste par une décharge battériale éhontée. Du coup, du fracas disons, Bruno hausse le ton et c'est parti pour le baston de la mort.

En plus, vous avez un traître. Facile à repérer c'est le plus grand. Gilles T, bassiste de son état. Apparemment il ne fait pas grand-chose. Il se contente d'envenimer la situation. La piqûre perfide du serpent minute qui sonne votre dernière heure. Un partisan de la basse coulée. Le sous-marin à l'affût qui lance ses torpilles. Toujours à bon escient. Sous la ligne de flottaison. En plein cœur de la soute à munitions. L'a le chic, pardon le choc, pour emmener son bidon de nitroglycérine à l'endroit exact où ça chauffe le plus.

Là c'était le début. Après ça c'est gâté, pourri jusqu'à la moelle. Pour le plus grand plaisir de l'assistance. A force de s'entre-regarder du style '' tu ne feras jamais mieux'' ils ont pété une durite, Bruno s'est emparé de sa guitare rouge, manifestement sa préférée, le voici sur le champ atteint d'une crise de délirium épaisse comme trois éléphants furieux, l'a zébulonné sur la scène et puis un peu ailleurs, nous a fait le coup d'Hendrix guitare derrière la tête, l'a fini allongé par terre, ébouriffant riffant à mort, jusqu'à ce que ses doigts refusassent de s'agripper au manche, mais tant pis, lui restait l'autre main pour cisailler les cordes encore et encore. Entre temps Bruno est revenu sept ou huit fois à la vie, a même essayé ( sans succès ) de mettre en marche un petit ventilateur pour éviter l' infarctus, tandis que Gilles le haranguait en douce en coulant des noirceurs strangulantes d'algues vénéneuses qui s'enroulaient autour de votre cou pour vous faire ressentir les approches des extases mortuaires.

Non je n'ai rien oublié de cette tuerie. Les trois micros, vous voulez rire. Non, ils n'ont pas chanté. Gilles après trois interjections inaudibles s'en est totalement désintéressé. Grégoire et Bruno s'en sont servi pour s'aboyer dessus, comme deux mâtins qui se lancent quelques amabilités bien senties avant de se jeter l'un sur l'autre, vous ont rugi en alternance des espèces d'invectives monosyllabiques, non, question lyrics High on Wheels sont très loin de partager la facilité de Marcel Proust ! Par contre réponse musique, ce n'est pas la petite phrase de la sonate de Vinteuil qu'ils vous font entendre. Sont des chauds partisans du tonnerre de Brest et du Pot-au-noir qu'ils vous déversent dessus, pas par le petit bout de l'entonnoir.

Nous ont noyé dans un déluge sonore, et l'on était radieux comme des requins mangeurs d'hommes qui se jouent des tempêtes, heureux des naufrages cataclysmiques. Subsistent en la mémoire des images, cette étrange danse, un catastrophique menuet, sur ce qui doit d'être un extrait d'une bande-son de film, qui fleure la parodie qui se finit dans le paroxysme d'un stoner qui fuzze à toute vitesse, et ces confrontations, faux-frères ennemis de Gilles et Bruno, face à face, guitare contre guitare, une passation pantomimique d'énergie, l'institution d'un rituel stoner estonant, destonant.

Damie Chad.

JARS

( Pogo Records / 127 )

Pochette noire. Contours blancs d'une rose noire. Fleur carnivore. Quelques ratiches disséminées sous la tige. A vous de signifier le symbole. Pour vous aider au verso un anneau de trousseau de clef, pendeloques et camelotes d'instruments bizarres. Kit de survie improbable ou couteau suisse du pauvre. Dans le coin inférieur des tessons de bouteilles saisies par leur goulot et fracassées sur le rebord d'une table lors d'un baston dans un rade louche, une fleur de verre déchiquetée comme un calice brisé, agrémentée d'un ruban marqué Jars. L'ensemble n'incite pas à un optimisme béat.

A l'intérieur, sur une feuille cartonnée, s'étalent les lyrics. Ont été établis par un traducteur peu performant. Certains restent sinon incompréhensible, du moins des plus ténébreux.

Vladimir Veselick : basse / Alexander Seleznev : drums / Anton Obrazeena : guitare, voix, noise ( 3 ), lyrics / Nikita Rozin : voix ( 7 ) / Vasya Ogonechek : voix, lyrics ( 5 ) / Anton Ponomarev : Sax ( 9 ) /

Nikolaï Lobanov : master / Andrei Letchick : enregistrement, mixage, master.

Enregistrement : décembre 2017 – mars 2018, DTH Studios.

Il s'agit de la reprise de l'album JARS II, contenant neuf morceaux, certains ont déjà été chroniqués dans notre 338 ° livraison du 14 / 11 / 2018, mais la traduction en anglais est parfois divergente avec celle que nous avions proposée.

E ( E ) : neuf minutes de désespoir, rôde comme un relent d'harmonica, mais ce n'est qu'une sursaturation de la guitare, la batterie effectue un travail de sape, elle enfonce les piliers de soutien du tunnel au bout duquel on déposera la bombe à neutrons. Dans le déluge sonore surnage l'illusion de voix expurgées de leurs corps. Grandiloquence des effets, suivi du grincement de l'alternateur de mise en tension du bouton de l'explosion finale. Les trois premières minutes de l'introduction du morceau rendent caducs les trois-quart de votre discothèque metal. Désolé, mais c'est ainsi. Le pire c'est que ça ne s'améliore pas par la suite. Un vocal excédé de misère. La voix est répétée comme une prière de haine épuisée. A vous glacer le sang qui coule des misérables cadavres ambulants de vos contemporains pour qui vous n'éprouvez aucune pitié. A commencer par vous. Superbe. Convulsion apodictique. Knife the existence ( Poignarde l'existence ) : la suite immédiate, ces séquences de film d'angoisse où la camera s'arrête sur l'arme du crime futur qui palpite dans la froide lueur de la lune. La musique est à son paroxysme. C'est la peau entre vos omoplates qui est prise en gros plan. Jaillissement du sang. Heureusement ils ont coupé, vous n'auriez pas supporté. A moveable feast (Une fête mobile ): vous avez fait cette expérience tout petit. Avec le moulin à café. Vous avez soulevé le couvercle, laissé échapper la moulure et à la place vous avez introduit vos doigts et la lame tournante les a réduits en poudre et puis le moignon sanglant qui n'est plus votre main, et puis votre bras, et puis vous avez plongé votre tête dans la cuvette sanglante, et vous avez enfin connu la paix extatique. Ceci n'est pas une traduction. Une transcription. Une auto-mutilation si vous préférez. Catbus : paroles incompréhensibles, c'est un peu comme si vous alliez promener votre chat au parc, vous entendez la guitare qui miaule et puis la batterie qui s'abat méthodiquement, froidement. Un hachoir de boucher. Vous n'avez emporté avec vous que l'essentiel, juste la tête au fond de votre poche pour qu'il n'ait pas froid. Votre chat heureux s'en va batifoler. Vous aimeriez être à sa place. Morceau fortement déconseillé aux véganistes qui ne supporteront pas cette tranche saignante de vie de chat. The swiss army knife man ( Soldat suisse ) : certains hommes sont plus surdoués que la moyenne. Prenez soin d'en avoir toujours un dans votre poche, un véritable couteau suisse. Un tueur en série sans défaillance. Ô mon amour t'écorcher vivante me fait autant de mal à moi qu'à toi. Mais l'on aime cela tous les deux. Un morceau d'une horreur inouïe. Le coït psychique occidental dans toute sa cruauté. Musique repoussée au bulldozer, les vocaux sont un concentré orgiaque de tous les opéras de Wagner. Le drame jusqu'au bout du mélodrame. Sabotage : tuer pour exister. Ma vie dépend de votre mort. Je ne suis pas fou. Musique destructrice pour chant triomphal. J'ai enfin compris, il ne s'agit pas d'être un tueur en série, c'est l'humanité mortuaire qui nous gouverne qu'il faut liquider. Saboter l'humanité voilà le mot d'ordre. Répétez après moi. Agissez comme moi. Pulsion de mort hiroshimique ! Killed (Tué) : ce n'est pas le cri de haine de l'assassin, c'est la clameur heureuse de celui qui a franchi l'acte de la libération totale, désormais il ne fait plus partie de l'espèce humaine, il a transgressé la lisière interdite, il est là où vous n'aurez jamais la force d'aller, de l'autre côté de la ligne. En illuminative contrée inhuminative, là où n'existent plus les chaînes de l'esclavage psychologique. Ce morceau comme une flaque de vomissure puante que vous avez abandonnée derrière vous, pour que tous les autres se baignent les pieds en cette argile sacrée, signe du renoncement à leur stricte condition humanoïdisante, annonciatrice de futures renaissances. Conspiracy of silence (Conspiration du silence) : froissements de saturation, un peu comme un télégramme qui annonce une bonne nouvelle que l'on se dépêche de jeter et de brûler dans la cheminée pour que personne n'en puisse plus parler. Quant à cette Elle qui viendra, vous pouvez toujours essayer d'y croire. Vous n'engagez que vous. Any ressemblance is coincidental ( Toute ressemblance est coïncidence ) : un grand final. Une superbe mise au point. Philosophique. Métaphysique. Pour échapper à soi-même il suffit d'être deux, de se dédoubler. Etre l'innocence et à l'autre toute la noirceur, qu'il tue à ma place, ma souffrance l'autorise. Tout lui est permis puisque je ne lui interdis rien. La batterie comme un chemin de croix. Je détiens la candeur du héros, et lui manipule la hache de l'injustice. Le cauchemar du monde. Si vous voulez vous serez la fleur carnivore qui se dévorera elle-même. Ensuite ce sera le tour de votre double et de vous-mêmes. Vous tomberez dans la fosse que vous aurez créé de vos dents manducatoires. Mais vous ne serez pas encore sorti d'affaire, tout trou n'est qu'un fond entouré de murs, et plus vous irez profond plus les murailles se dresseront. Une fois que vous aurez écouté ce grondement de quatorze minutes, il vous faudra songer à classer le deuxième disque du Velvet Underground et la Metal Music Machine de Lou Reed sur l'étagère des comptines que vous aviez achetées pour endormir votre nouveau-né.

Que dire de plus. Après l'effondrement de l'Union Soviétique, un magasin moscovite visant la clientèle des nouveaux milliardaires avait affiché un excellent slogan pour les attirer : '' Vous ne trouverez pas plus cher ailleurs !''. Pour attirer l'attention des amateurs de punk-noise-metal-musique extrême, je ferai de même : '' Vous ne trouverez pas pire ailleurs !''

D'ailleurs le tirage de P.O.G.O. RECORDS ( N° 127 ) s'est épuisé en quelques jours...

Damie Chad.

*

RIGHT

Comment vous ne connaissez pas les RIGHT ! Et vous vous proclamez amateurs de rock ! Je suis décidément entouré d'une foule d'ignorants. Je comprends pourquoi votre âme a été exilée en cette vallée de larmes, une juste punition ! A votre décharge, j'avoue que moi non plus. Enfin presque. Parce que la pub du livre était passée dans le fil d'actualité de mon FB. J'ai vite abandonné la lecture de la quatrième de couverture, du n'importe quoi, un truc aussi frappé que les Rockambolesques d'un certain Damie Chad, une espèce de thriller politico-rock, à la quatrième ligne je suis passé à autre chose.

Et puis un mail de Luc-Olivier d'Algange me demandant mon adresse pour un bouquin sur Pompéi. J'accepte, et trois jours plus tard, le facteur apporte non seulement le Pompéi book mais aussi cet Ambassador Hotel que j'avais dédaigné. Affligé d'un rhume aussi subit qu'inopiné, je me dis qu'une lecture légère aiderait mon esprit embrumé à passer ce désagréable moment. Confortablement installé dans mon fauteuil je me saisis de l'objet du délit comme aurait pu dire Maurice Scève, vachement lourd, près de six cents pages, et une police minuscule, l'ai dévoré toute la journée. Et une bonne partie de la nuit.

AMBASSADOR HOTEL

LA MORT D'UN KENEDY, LA NAISSANCE D'UNE ROCK STAR

MARIE DESJARDINS

( Editions du Cram / Mai 2018 )

Normal que vous n'ayez jamais entendu parler de RIGHT, le groupe n'a jamais existé que dans l'imagination de Marie Desjardins. Marie Desjardins est canadienne. Ambassador Hotel est son sixième roman, elle a l'air de s'intéresser à des personnages limites, Nelly Arcan écrivaine suicidée à trente-six ans, Irina Ionesco jugée, en nos temps de puritanisme avancé au triple galop, coupable d'avoir produit des photographies malsaines de sa fille en des âges pré-pubères, cette Irina Ionesco qui accompagna de ses photos Litanies pour une amante funèbre, recueil de poèmes de Gabrielle Wittkop, dont Le Nécrophile fut longtemps interdit à la vente en France, tous les amateurs de rock gothique devraient avoir lu ce soleil noir, et plus proche de nous, petits franchouillards patentés, elle commit un roman, son troisième, sur notre couple national, Sylvie johnny une love story.

Reste maintenant avant de passer à RIGHT à liquider Bob Kenedy. Je vous rassure tout de suite RIGHT n'y est pour rien. Le hasard a voulu que le groupe soit de passage à l'Ambassador Hotel le soir où le frère de John Kenedy fut assassiné. Marie Desjardins sait ménager le suspense. Ce n'est qu'au bout de trois cents pages que nous aurons le témoignage des membres de RIGHT et de ses proches qui n'ont pas grand-chose à révéler puisqu'ils n'étaient pas présents dans les cuisines de l'hôtel dans lesquelles le sénateur a été abattu. Ce n'est pas le sujet du livre. Une incidence sur la carrière du groupe toutefois : jusqu'à la fin il leur sera reproché d'avoir surfé sur ce terrible événement : n'est-ce pas le soir même du crime que le groupe compose Shooting At the Hotel qui se vendra à des millions d'exemplaires. De quoi faire des jaloux. Surtout que le titre leur apporte la gloire, sont désormais juste derrière les Stones et le Zepplin.

Alors RIGHT demanderont les lecteurs pressés. Du calme, ce n'est pas tout à fait le sujet du livre. Le héros c'est son chanteur : Roman Rowan. Nous le suivons depuis tout petit jusqu'au dernier concert de RIGHT. Un demi-siècle de carrière. Il est grand, il est beau, et au détour d'une page nous apprenons qu'il pousse la goualante rock à des cimes inégalables, qu'il atteint avec facilité des notes auxquelles Rober Plant n'a pas accès. Dans mes prochaines mémoires je vous apprendrai que je joue superbement mieux de la guitare que Jimmy Page. Mais laissons ces fariboles. Marie Desjardins est douée. L'a agencé son roman comme une partie de go que vous joueriez contre vous-mêmes. Ce qui est doublement idiot puisque vous seriez sûr de ne jamais perdre. Ni de jamais gagner.

Pions noirs, pions blancs. Retournés. Les plus sombres sont ceux qui content dans l'ordre chronologique les concerts de la dernière tournée de RIGHT. Les plus clairs, les moins darkness, rappellent dans un pseudo désordre temporel les épisodes-clés de l'existence de Roman Rowan. C'est bien fait. Le ton du récit n'est pas sans rappeler le Who I am l'autobiographie de Pete Townshend qui entre parenthèses vient de sortir son premier roman...

Jetons d'abord l'os du rock aux chiens affamés qui ne voient que l'ombre du monument qui s'étend devant eux. RIGHT est un groupe de hard rock progressif, musicalement nous n'en saurons guère plus. Roman Rowan est né en 1942, il fait partie de la deuxième génération du rock anglais. Celle des Beatles, des Stones, des Yardbirds, des Kinks, des Animals, des Who, qui va magnifier l'héritage des pionniers américains, le nom de Gene Vincent est l'un des rares cités. Roman Rowan suit la filière classique. Fonde son groupe Cool and the Shutters, qui n'est pas plus mauvais qu'un autre, ( un peu quand même ) mais le déclic ne vient pas. Personne ne les remarque. Le coup de pouce tant attendu n'a pas lieu. Marnent à mort au travers de l'Angleterre brumeuse et pluvieuse, se forgent des fans dans tous les minables troquets où ils jouent, le succès d'estime, celui de la vache enragée. Jusqu'au jour où les deux survivants Roman et Clive, son ami indéfectible, sont convoqués pour être admis à la première audition dans le combo Bronteshire qui a le vent en poupe. Tout de suite c'est la bataille d'égo entre Roman et Bronte le pianiste génial fondateur de Bronteshire. L'instinctif contre l'intellectuel. Roman le Dionysiaque et Bronte surtout pas l'Apollinien, même pas l'Apollon Lyncée ou Hyperboréen, plutôt un fils de la lune froide plutonienne. Roman impose le nom de RIGHT, exit Bronteshire. RIGTH explose, de 1967 à 1973 le groupe est au firmament. Roman le quitte sur un coup de tête. Ne reviendra que seize ans plus tard en 1989, rappelé par Bronte. Seize années d'interlude, peu amusantes... Puis ce sera au tour de Bronte de partir en 1997, pas le clash final car en 2000 Roman reprend le groupe, sans Bronte bien entendu, désormais le leader incontestable...

La dernière tournée. Pas de drame à la Steven Tyler le chanteur d'Aerosmith qui dans son autobiographie Est-ce que ce bruit dans ma tête te dérange ? s'attarde longuement sur ses ennuis de voix qui a tendance à le lâcher en bout de carrière, celle de Roman claironne sans anicroche jusqu'à l'ultime prestation. Le problème est ailleurs. Dans sa tête. Dans sa vie. Qui revient. Ses souvenirs qui remontent. L'a beaucoup vécu. L'a tout connu, les groupies, les producteurs, les maisons de disques, les pressions commerciales et les projets foireux, tout le bataclan rock de A jusqu'à Z. Grandeur et démesure. Rock star absolue. Gloire, femmes, argent, sex and rock'n'roll mais pas de drugs. S'en méfie. Par contre l'ingurgite les vodka orange comme les gamins les fraises tagada. Nombreuses scènes de soulographie, vous êtes conviés dans les coulisses, parties fines, fêtes pimentées, réveils comateux, et l'on remet ça au plus vite. Roman n'est pas un moine et encore moins un renonçant. Partisan des jouissances sans entrave. Rien ne lui résiste. Tout pour être heureux. D'ailleurs il ne se plaint pas. Est conscient d'avoir une vie de rêve même si parfois les cauchemars ne sont pas loin. Beaucoup mieux qu'un esclavage d'ouvrier à l'usine ou une chaîne d'employé de bureau. Une quarantaine de concerts les uns après les autres, des ambiances répétitives, c'est un peu toujours le même turn over, mais l'on ne s'ennuie pas une seconde. Marie Desjardins nous tient en haleine. Car l'essentiel n'est pas là. Ce roman qui ne cesse de phantasmer le rock'n'roll ne traite pas spécialement du rock'n'roll. Même s'il ne parle que de cela. Au début, je lui reprochais son écriture, pas foutrement rock'n'roll, très classique. Je regrettais cette apparente dichotomie entre le fond et la forme, jusqu'au moment où l'évidence s'est imposée, ce n'est pas un livre sur le rock'n'roll, mais tout simplement un roman psychologique. Un peu plus remuant que La princesse de Clèves. Pas ennuyant pour un sou. Une longue introspection.

Tout d'abord l'iceberg de carton-pâte. Roman Rowan court sur sa soixante-dixième année. Le temps idéal pour prendre sa retraite. A force de galoper après l'ombre de sa jeunesse l'on finit par l'attraper à la manière d'un boomerang qui vous revient en pleine figure vous casser les dents. Faut savoir arrêter. Preuve de sagesse. Mais aucune illusion. Une fois terminé, ce sera bien fini. La rock star devient comme monsieur tout le monde, ne lui reste plus qu'à cheminer paisiblement vers le cimetière. Une seule consolation, le nom que vous laissez gravé dans l'Histoire du Rock'n'roll. Hélas, vous n'êtes plus là pour le lire, et les marbres les plus durs ont tendance à s'effriter plus rapidement qu'on ne le penserait...

Evitons le pessimisme, gardons-nous du nihilisme. Roman a de la chance, sa femme l'attend dans un douillet foyer. Z'ont accumulé assez de fortune pour être à l'abri du besoin jusqu'à la fin de leurs jours. Mais c'est avant la fin que ça coince. Entre Roman et Gil, la mère de sa fille, il ne se passe plus grand chose, les sentiments se sont émoussés, Pénélope s'ennuie au foyer, lui reproche ses sempiternelles absences. Pour les polissonades au lit Roman est défaillant, l'a trop expérimenté sur les groupies complaisamment offertes, à moins que Dr Freud ne nous explique que c'est la froideur de son épouse qui a provoqué ces pannes de raidissement... Bref, Roman est comme l'Ulysse de Jean Giono qui s'attarde un peu trop auprès de multiples Calypso...

Mais Ulysse n'était pas menacé par le calendrier. L'avait tout son temps pour décider de son retour. Roman est victime d'une date fatidique. Le couperet de la guillotine se rapproche. A toute vitesse. L'existence dorée ne durera plus longtemps, la nouba interminable se réduit comme peau de chagrin, alors comme un noyé qui voit sa vie défiler à toute vitesse avant le dernier glouglou, Marie Desjardins nous repasse le film des trépidations de Roman. Laissons de côté le décor rock'n'roll, fixons notre regard au plus près de Roman, pas plus loin que son corps attirant, souvent collé à des chairs de partenaires féminines, qu'il baise en toute quiétude, en toute équanimité d'âme. Frénétiquement. Goulument. Par tous les bouts. L'a brouté des clitoris par centaines. L'a enfilé des chattes en aussi grand nombre. Ne s'est privé de rien. N'a pas eu besoin d'user de violences. Toutes consentantes, s'offrant d'elles-mêmes au désir du mâle royal. La preuve : aucune ne lui a quarante ans plus tard fait le coup à-la-me-too-ce-n'était-pas-du-tout-romantique. Marie Desjardins prend ses précautions, il a aussi détruit des rêves de jeunes femmes qui ne s'étaient pas imaginées être des objets jetables de consommation courantes... Autres temps, autres mœurs. Autre époque. Le livre s'achève tout de même en 2015... Le rock'n'roll est une musique de voyous. Vous le saviez, ne venez pas vous plaindre.

Roman s'attarde sur les quatre dames qui ont le plus compté pour lui. Sybil, une erreur de jeunesse. De toutes les manières c'est lui qui s'est fait avoir. On l'avait averti. N'a voulu en faire qu'à son désir. Il a joué, il a perdu. Il ne se plaint pas. Affaire classée. Chris qui n'a pas supporté ses infidélités qu'il a quittée pour une scène de reproches du jour au lendemain. Elle a beaucoup souffert. Tant pis pour elle. Regrets inutiles. Gil, l'épouse en titre, la reine mère qui lui téléphone de moins en moins. Qui s'éloigne. N'a-t-elle pas un amant. Et puis Havana, qui voulait publier un livre de photos sur lui. A abandonné le projet parce que Gil... Havana, des rencontres ratées, épisodiques, une histoire inachevée qui l'obsède et le ronge. C'est toujours ce que l'on n'a pas vraiment obtenu qui nous manque le plus.

C'est tout. A ceci près que jusque à la dernière ligne Marie Desjardins nous ménage une happy end. La vie en rose. Oui mais rose très clair. Layette. A part qu'à la toute dernière ligne, tout s'assombrit. Les coeurs tendres ne partageront pas mon avis. Marie Desjardins nous laisse dans l'expectative. A vous de tirer les conclusions. Elle siffle la fin de la partie alors que le ballon décisif est en plein dans la trajectoire de la cage...

Ce n'est pas tout. Marie Desjardins est plus fine mouche qu'il n'y paraît. L'est une adepte de la théorie de la patate chaude. Le bébé de l'eau du bain que l'on refile au plus proche parce que l'on n'a aucune envie de procéder à sa toilette. D'abord du côté familial : Gil n'agit-elle pas envers Roman comme la mère de Roman qui a gâché la vie de son père ( qui l'a trahie ), la complicité entre Gil et leur fille Chance n'est-elle pas similaire à celle d'Erin envers Félicity la sœur de Roman, et Roman n'a-il pas induit par ses attitudes équivoques la reproduction d'un même et incapacitant schéma de base ? Famille je vous hais disait Gide...

Ce n'est pas du tout tout. Hypocrite lecteurs. Marie Desjardins vous a réservé un chien de sa chienne. Maintenant c'est à vous qu'elle refile la parmentière chauffée à blanc. Oubliez Roman et son rock'n'roll. Ambassador Hotel. La mort d'un Kenedy, la naissance d'une star n'est pas un roman de Marie Desjardins. Ce n'est pas moi qui l'affirme. C'est elle. Il s'agit d'un livre, une biographie non-autorisée d'un journaliste rock David Bridge ( over trouble water ) qui fait paraître son livre, le jour même du dernier concert de RIGHT. Ne se gêne pas la Marie, en retranscrit même quelques pages dans son roman. Vous connaissez l'astuce le tableau qui se représente lui-même comme un tableau reflété dans un miroir, reflété lui-même dans un miroir. Vertige abyssal ! Rien de plus terrible que la littérature qui se met à parler de littérature. Surtout si vous le faites par l'entremise d'un groupe de rock qui n'est lui-même que le reflet de groupes de rock ayant véritablement existé, parfaitement catalogués dans l'histoire du rock'n'roll. C'est quoi RIGHT ? Une idéale figure platonicienne des groupes de rock des années soixante-dix, ou un vulgaire artefact baudruchique et chimérique bricolé à partir d'anecdotiques fragmentations de ces mêmes seventies dinosaures ?

Roman répond à la question : qu'importe que ce ce soit vrai ou faux, pourvu que ça se rapproche de la vérité de ce qui a eu lieu. De toutes les manières la vérité d'une chose n'est déjà plus, est déjà un peu plus que, la chose elle-même. Faudrait peut-être d'abord définir ce qu'est la – ou au moins une - vérité rock. Nous allons donc donner notre avis : ni plus ni moins que la vérité rock de Marie Desjardins. Et puis si le tubercule chaud bouillant que je vous repasse vous embarrasse, croquez-le, à pleines dents, de tous vos yeux, il est délicieux.

Damie Chad.

28/03/2018

KR'TNT 367: MARK LANEGAN / HUDSON MAKER / VINCE ROGERS / THE RIDE

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 367

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

29 / 03 / 2018

MARK LANEGAN / HUDSON MAKER /

VINCE ROGERS / THE RIDE

TEXTE + PHOTOS SUR :

http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Lanegan à tous les coups - Part One

 

Même si vous traînez la nuit dans des cimetières, vous ne croiserez jamais un être aussi délicieusement macabre que Mark Lanegan. Dans les westerns les plus trash, comme ceux de Sam Peckinpah, vous ne croiserez jamais un être aussi puissamment tragique que Mark Lanegan. Le désespoir et la désolation qu’il exprime à travers ses chansons relèvent d’un autre univers, celui des contes macabres d’Edgar Allan Poe, ou pire encore, des contes immoraux de Pétrus Borel. Mark Lanegan n’appartient pas au petit monde de la pop amazonée des phacochères aux yeux humides d’incompétence, non, ce personnage tient à la fois du loup-garou, du mountain man et du poète maudit. Son monde est celui des esprits et son odeur celle de la terre humide des tombes fraîchement creusées. Il n’en finit plus d’alimenter sa mythologie, il chante comme s’il creusait sa propre tombe, en quête d’une grandeur qui ne ressemble pas à celle qu’on imagine habituellement. L’univers de Lanegan se situe dans les profondeurs dignes de celles dessinées jadis par Piranese, celle de ces interminables enchevêtrements de caves et de soubassements qui décrivent mieux que ne le feront jamais les mots l’horreur de la nature humaine. Lanegan chante le péché originel, il chante la rédemption impossible, il chante la chute de l’ange, il transforme toute sa compassion luciférienne en démesure artistique. Il est l’un des artistes les plus intensément cruciaux des temps modernes. Et ce depuis le temps béni des Screaming Trees, c’est-à-dire depuis trente ans.

Chaque fois qu’on le revoit sur scène, que ce soit avec le Mark Lanegan Band, avec Isobel Campbell ou encore Greg Dulli dans les Twilight Singers, la magie opère. Ce n’est pas un hasard si le Café de la Danse affiche complet, ce soir de novembre dernier. Il arrive en boitant sur scène. Il porte des lunettes de vue. Et dès qu’il pose l’emplâtre de «Death’s Head Tattoo», il installe son ambiance, il diffuse ce capiteux mélange de drame et de beauté. Quelque chose de très baudelairien émane de Lanegan, mais baudelairien au sens de la modernité, cette modernité dont Baudelaire se prévalait en son temps. Puisqu’on parlait de tombe, voilà justement qu’il attaque «Graveddiger’s Song» - Tout est noir mon amour/ Tout est blanc/ Je t’aime mon amour/ Comme j’aime la nuit - Oui, ce diable d’homme nous fait l’honneur de chanter en français. Puis il rocke le Café avec «Hit The City» tiré du vaillant Bubblegum. Pas de pire hellraiser que Lanegan. Quand il prend une ville, c’est pour la raser. Quand il prend une âme, c’est pour la dévorer - Il porte un joli nom, Saturne/ Mais c’est un dieu très inquiétant, nous disait Brassens. Saturne, c’est Lanegan. Il va aussi tirer de Bubblegum le très sexuel «Come To Me» et l’effarant «One Hundred Days» qui à force de beauté déchirée atteint à des horizons chimériques. Lanegan semble fonctionner par séquences, car il enchaîne quatre titres tirés de son dernier album, le sombrissime Gargoyle. Avec «Sister», il prouve bien qu’il est le seul à savoir twister sur des râles d’agonie. Il chante «Emperor» avec de faux accents de Bowie et lance «Nocturne» au heavy beat - That lonely drug is in my vein/ Blood stained - C’est encore une chanson d’amour, une rengaine de do you miss me, miss me darling et le diable sait si elle lui manque. Et puis il refait exploser les canons de la beauté glacée avec «Beehive», une powerhouse digne du temps des Screaming Trees - Honey just gets me stoned / Just gets me stoned - Lanegan nous entraîne comme un courant, impossible de résister à une telle ampleur. Puis il enchaîne une séquence de cuts tirés de Blues Funeral, l’album aux roses, qui doit être l’un de ses meilleurs recueils d’élégies, à commencer par l’infernal «Bleeding Muddy Water», une ode à la destruction qui se révèle fatale - Muddy water/ Drowning in the rain / Now the rain done come - Et je vous prie de croire que le rain done come tombe comme une sentence, et pire encore, comme un couperet. Il monte encore d’un cran dans l’édification des édifices avec «Harborview Hospital» - Oh sister of mercy / I’ve been down too far to say / And all around this place I was a sad disgrace - De le voir donner vie sur scène à ces chansons qu’on connaît par cœur rend l’instant vécu particulièrement précieux. Il enchaîne deux stormers implacables, «Ode To Sad Disco» et «Riot In My House», surtout Riot qui blaste les colonnes du temple - Chaos is blossomming/ Run and hide little mouse - et cette brute fait rimer amputation avec strangulation. Lanegan ne fait pas dans la dentelle. Il fait aussi rimer medication avec levitation. Il réclame plusieurs fois l’extinction des projecteurs de voûte, et quand au contraire le régisseur les allume tous, Lanegan le menace violemment. Devant tout le monde.

La discographie de Lanegan s’étend comme un empire, sur plusieurs périodes : celle des Screaming Trees qui dure dix ans (de 1986 à 1996), puis celle des albums solo qui chevauche la troisième période, celle des collaborations avec Greg Dulli, Isobel Campbell et d’autres gens. On trouve dans chacune d’elles de quoi nourrir un régiment. L’homme se veut prolixe, dense, profond et le plus souvent insondable. On en a pour son argent, croyez-le bien.

La période Screaming Trees valait largement le détour, car le groupe dégageait une forte odeur de mad psychedelia, certainement l’une des plus sauvages d’Amérique. Le mélange Lanegan-débutant/Gary Lee Conner parvint au terme de sept albums à se montrer explosif. Il fallut en effet six albums aux Trees pour accéder à Dust qui reste l’un des meilleurs albums de rock américain jamais enregistrés.

Leur premier album Claivoyance voit le jour en 1986 et ça kick-asse dès «Orange Airplane», avec la basse dévorante de Van Conner. Ses notes ravageuses vrillent littéralement la moelle de l’épinière. Quelle fabuleuse cavalcade ! Ach ! comme dirait le fantassin que vient de traverser un obus de mortier. Sur l’une des photos de pochette, Gary Lee Conner porte les cheveux décolorés et mi-longs : il ressemble à Jeffrey Lee Pierce. De Gary Lee à Jeffrey Lee, il n’y a qu’un pas, dit-on dans certaines régions du cerveau. Welcome in the Trees land, baby. Ils restent dans les dynamiques du diable avec «You Tell Me All These Things» et on ne s’en lasse pas. Le gros Conner commence à faire le con dans la cave. Les Trees sont déjà extrêmement puissants. Avec «Forever», ils passent à l’uptempo mal intentionné, soutenu par la basse pouet-pouet de Van Conner. Ces mecs n’en finissent plus de sur-jouer leur rock de cave, un rock fantastique car si déterminé. Lanegan envoie ses Forever voltiger dans les essaims et ça devient fascinant. Ignorer cet album serait une grosse erreur. «Seeing And Believing», c’est encore une bonne raison de suivre les Trees à la trace. Ça sonne comme un stomp de bricoleurs du dimanche, sauf que les bricoleurs ont du talent à revendre. D’ailleurs, ils virent poppy et Lanegan tente de se faire passer pour un gentil mec. Arf Arf, comme dirait le label australien. Et en B, ça revoltige de plus belle avec «I See Stars», eh oui, on voit trente-six chandelles, les Trees préfigurent toutes les figures, toute la mad psyché à venir, tout le bad mad doom de Dust, c’est un peu comme si tout s’embryonnait. Et dans «Lonely Girl», on voit le gros Conner cisailler la branche sur laquelle les Trees sont assis, oui le gros Conner tâte de la cocote de cisaille acide, la pire qui soit ici bas. «Turning» sonne comme un violent turn-over et le gros Conner ressort sa meilleure cocote, alors que font les Trees ? Ils s’envolent ! Ils apprennent à exister dans des paysages, mais il leur faudra plusieurs albums pour imposer leur génie psycho-psyché de psychout so far out. Ils bouclent cet album engageant avec le morceau titre joué à la pire heavyness de cave. On dirait presque un rock réservé aux hommes. Les Trees shakent leur shook de cave et expédient les choses ad patres avec une vélocité qui laisserait coi le con du coin. Et le gros Conner coule sur les ruines du rock un joli bronze psychédélique. Belle façon de créer un monde, n’est-ce pas ?

On l’a oublié, mais SST fut dans les années 80 le grand label underground sur lequel tous les groupes rêvaient d’atterrir. Lanegan et les frères Conner eurent cette chance et d’une certaine façon Even If And Especially When les fit entrer dans la légende. Dès «Transfiguration», on sent le souffle, comme dirait Claude Nougaro, le souffle du fast heavy rock a bit grungy et d’essence maladive, une sorte de 13th Floor poussé dans le dos, un incroyable brouet de mauvais blast. Voilà de quoi devenir acro. Ils sont venimeux comme la patoutou et bons comme le sable chaud du désert. Le gros Conner tape déjà des descentes aux enfers sur le manche de sa guitare et ce démon de Lanegan les rattrape au vol, rien qu’en chantant avec âpreté. Il faut voit ce cirque ! On a là un brouet qui ne traîne pas en chemin. Et le gros Conner n’en finit plus de fourrer sa dinde par derrière. Ach ! fait la dinde, tu me fais mal, mon amour ! Et ça continue avec l’infernal «Straight Out To Any Place», une sorte de garage punk dévasté de l’intérieur. On se croirait à la MJC d’Hérouville, c’est sans aucun espoir, les Trees jouent comme des dieux pour six lycéens boutonneux. Ah quel panache ! Ils percutent le firmament en pleine gueule et sanglé dans son blouson minable, Lanegan continue comme si de rien n’était, en parfait roukmoute aux mains tatouées. Baisé d’avance. Le pire dans cette histoire, c’est qu’ils démultiplient les exploits comme on le voit avec l’arrivée de «World Painted». Tout repose sur une sorte d’énergie du désespoir et les idées de son du gros Conner. Ce groupe est plein de germes, comme une bite pas lavée. Ça grouille, ça cloporte de mad psychedelia de MJC et ça pue le col en mouton. Le pauvre Lanegan chante comme il peut avec sa voix d’homme qui a mué trop tôt. Ça joue fabuleusement. Ils enchaînent avec un «Don’t Look Down» qui sent le brûlé. Quel fabuleux coup d’orientalisme à deux balles ! Le gros Conner se montre expert dans ce genre de subterfuge. Comme il n’existe pas de littérature sur les Trees, il faut se contenter de la musique. Et quelle musique ! Vivante et ultra-jouée. Tout le son est déjà là, en couches supersoniques et le gros Conner part sans prévenir dans des pointes de vrille. Il est un peu le Brian Jones des Trees, l’homme à idées. Ils jouent «Flying» au trépidant du tepid. C’est à la fois terrible, intéressant et dramatiquement original, d’autant que le gros Conner entre en transe ultraïque. Même chose dans «Cold Rain», le gros se fond dans la masse du lard avec un chef-d’œuvre de solo vrillard. Toutes les prémisses de Dust sont déjà là. On croit même entendre «Dying Days» ! On reste dans la puissance inexorable avec «Other Days And Different Planets». Les Trees n’en finissent plus de bâtir l’empire du rock psychédélique. Lanegan menait déjà sa barque vers le néant du rock, vers la fin des temps qui est l’aboutissement de toute chose sur terre. Mais il le fait avec un panache exemplaire. Peu de groupes ont su se lancer dans la gueule du loup avec autant de génie. Les Trees devaient savoir à l’époque que se trouvait parmi eux le meilleur chanteur américain. Ils finissent ce brillant album avec «In The Forest». Le gros Conner nous le claque d’entrée de jeu. Ils groovent leur garage avec des chœurs géniaux, on sent les moyens du bord - In the forest baby - Leur garage pue merveilleusement des pieds.

Tiens, encore une galette de Pont-Aven : Invisible Lantern, un SST des 1988, devant lequel on se prosterne jusqu’à terre, pour au moins quatre raisons, à commencer par «Ivy», pure énormité que vient challenger le gros Conner. C’est ultra sonné des cloches - Ivy on the wall - Et le gros part en vadrouille dans les strawberry fields forever de la fever noire, ah quel soudard épouvantable ! C’est bardé de son, psyché jusqu’à l’os et chanté à la force du poignet. L’amateur de psyché va se goinfrer de «Lines & Circles». Comme ce cut fume ! Ça frise la sorcellerie. Van Conner ramone sa cheminée, ses lignes de basse roulent comme des dragons sous la surface de la terre et le gros Conner envoie sa giclée de mad psyché tâcher le plafond. Et puis en B, ça repart de plus belle avec «Smokerings». On s’effare de la maturité de leur son. Chaque cut imprime sa marque. Si un groupe doit détenir le record d’effervescence de mad psyché, c’est bien les Trees. Ils sont même dans l’omniscience de la patapsyché et le gros Conner n’en finit plus de tartiner sa confiture et de wha-wahter dans sa choucroute, il reprend à son compte toute la sauvagerie du freakbeat britannique, telle qu’elle existe dans les solos de Bryn Hayworth ou de John Du Cann. Ça continue de mousser avec le morceau-titre. Ce chanteur phénoménal qu’est Lanegan plonge dans le son connerien, ça wha-whate à tous vents et Lanegan décrit sa réalité altérée - So I took my illumination into the street/ Just a flash of confusion when we meet - Il y a quelque d’irrémédiablement anglais dans leur attaque. Tiens, encore une énormité fatidique avec «Direction Of The Sun», pur classique garage, et le gros Conner entre dans le lard du cut avec la hargne d’un spadassin, mais un spadassin de Seattle. Ce gros lard est certainement l’un des plus grands guitaristes américains. Et l’album se termine avec «Night Comes Creeping», et on peut dire que ça reste excellent jusqu’à la dernière goutte de son. Ils précursent le cursif.

Le mini-album Other Worlds manque un peu de viande. Ils démarrent avec «Like I Said», une sorte de petite pop merdique qui à l’extrême limite pourrait rappeler le 13th Floor ou les Seeds. Ils sonnent comme des freluquets. On y entend même des pointes de vitesse. Ça sent la cave : l’écho du son est pourri. «Pictures In My Mind» sonne comme du garage de cul entre deux chaises. La pauvre Lanegan essaye de sauver les mauvais cuts et on entend même un mec jouer de l’orgue sur «The Turning». Le morceau titre va plus vers le garage, mais on passe à travers. Il faut attendre «Barriers» pour trouver un peu de viande. On les sent plus ramassés. Le gros Conner joue bien liquide alors ça redevient intéressant. Voilà d’où sort le potentiel : un son, une voix et un guitar-hero. Avec «Now Your Mind Is Next To Mine», on peut parler de garage d’arbre. Le gros Conner y voyage intensément et Lanegan survole tout ça, tel une chauve-souris à tête humaine. Fascinant !

On trouve un véritable coup de génie sur Buzz Factory : «When The Twain Shall Meet», amené à l’aune d’une énorme bassline de gras-double. Les Trees passent directement au maximum overdrive, le gros Conner fout la pression et Lanegan hante tout ça en filigrane avec une sorte d’abjecte abnégation. On croit entendre le rock des pendus de François Villon, l’ultime rock des délinquants du Pacific Northwest. Une merveille. Ce sont les effluves toxiques du meilleur never know which one stays, basse fuzz, gros Conner et démon Lanegan en glissade de which one stays. L’autre poids lourd de l’album s’appelle «Wish Bringer», pur jus de heavy rock, puissant et wha-whaté à outrance. Avec «Windows», ils retombent dans le power-rock privé d’avenir, ça pue la poste restante, ils vont vite, mais nulle part, même si le gros Conner s’épuise à jouer comme un cake. Il surjoue aussi «Black Sun Mornings». Il est en hyperventilation permanente de wha-wha. Lanegan gueule dans le néant de l’underground foutu d’avance. Quand le gros Conner repart en solo, plus personne n’écoute. Ils terminent avec «End Of The Universe», un vrai shake de Trees.

Retour aux choses très sérieuses avec Uncle Anesthesia. Ils viennent de signer sur Epic et dès «Beyond This Horizon», on voit trente-six chandelles. On sent qu’ils prennent du poil de la bête, la voix de Lanegan est plus posée et ça redevient vraiment très psychédélique. Ça prend même de l’ampleur, au sens vampirique du terme. Ils se dévergondent, comme si cela était encore possible. Nous voilà donc au cœur de la mad psychedelia, celle dont on rêve toutes les nuits. Ce cut dévale des pentes à toute blinde dans de grandes gerbes d’étincelles. Et ça repart de plus belle avec «Bed Of Roses». Lanegan se pose d’entrée de jeu et le groupe se montre terrifiant de présence cosmique. Ils se situent au très haut niveau, le niveau des inégalables. La voix porte si bien qu’elle enchante ce heavy balladif. Le géant Lanegan mène désormais le bal, le gros Conner lui livre les cuts clés en mains. Alors Lanegan shake le shook du morceau titre à coups d’awite et derrière, le gros Conner grouille littéralement de son. Ils tapent «Caught Between» au pire heavy groove qui se puisse imaginer ici bas. Lanegan entre dans la danse comme une étoile du Bolchoï chaussé de bottes de fantassin russe. Quel fantastique shoot de Trees ! Tous les germes de Dust sont là. C’est littéralement bardé d’accords et joué à outrance. «Lay Your Head Down» sonne plus pop, mais Lanegan ensorcelle. Il dispose de pouvoirs surnaturels. La grande âpreté de son timbre crée une ambiance unique au monde. Il colle aussi à la réalité du mythe Pacific Northwest avec «Something About Today». Il épouse les courbes de la psychedelia organisée, et le gros Conner monte tout ça en température à coups d’accords secs et nets. L’une de leurs spécialités est la plongée dans les abysses, et si on aime ça, alors il faut écouter «Alice Said». On sent bien que c’est le jeu favori de Lanegan, plonger dans les gouffres. Le gros Conner en crée les conditions à coups de tourbillons relentless et on assiste à une fin de cut séculaire, ils atteignent le paradigme du rock, de l’autre côté de l’univers. On ne se méfie pas de «Time For Light» et de son intro à la Led Zep acou. Ils basculent soudain en mode heavy sludge et Lanegan s’en vient exploser tous les contextes du cortex. De toute évidence, il n’existe rien de plus épais que cette purée. Avec «Ocean Of Confusion», ils passent tout simplement au déflagratoire. Lanegan chante comme s’il balançait de l’huile bouillante du haut des remparts. C’est joué au vertige pur.

Sweet Oblivion monte encore d’un cran dans l’excellence, d’autant que Don Flemming produit l’album. On retrouve leur effarante puissance dès «Shadow Of The Season». Toutes les puissances des ténèbres s’engouffrent dans la faille. Le gros Conner déverse des tonnes de psych-out et Lanegan lisse la surface de l’océan d’un simple revers de main. Il se dresse comme Neptune face à l’horizon alors que croise à ses pieds une monstrueuse bassline. Le hit de l’album s’appelle «Dollar Bill», un puissant balladif qui préfigure le Lanegan solo à venir. Cet homme incarne toute la mélancolie des loners de cabanes, les mountain men qui vivaient à la frontière et qui tuaient les ours pour se nourrir. S’il s’élève dans la mélodie, c’est à la dure, il est livré à lui-même, sans autre secours moral que celui d’une vieille bible - Goodbye mama -Et cette façon qu’il a de remonter son I’m gonna tell ya à contre-courant dans le groove - Torn like an old dollar bill - Fantastique descente aux enfers du paradis - Goodbye mama/ We’ve taken it too far - Rien qu’aussi puissant que ce «Dollar Bill». «Nearly Lost You» fume jusqu’au ciel, ça crache et ça tousse dans des remugles de basse. Ils renouent avec la tension maximaliste dans «Butterfly». Le «Winter Song» qui se niche en B vaut aussi le détour. Les Trees y cherchent un passage vers un nouveau monde. Ils sont puissants, gorgés de son. Ils enquillent le promontoire qui conduit à la meilleure pop du monde, in your heart. Avec ce hit à rebondissements, Lanegan mène bien la danse. On peut aussi se goinfrer de «Troubled Times», car voilà un fantastique battage d’accords, ces gens décollent comme des fusées en crachant la foudre. Voilà ce que sont les Trees, des diables bien profilés. Ils terminent ce bel album avec «Julie Paradise». Le gros Conner le plonge dans sa débauche habituelle, alors Lanegan n’a plus qu’à tailler et sabrer dans la densité, il chante à la pire niaque de l’Oregon et ça donne une invraisemblable dégelée de bersek balistique.

Et là, avec Dust, on entre dans la cour des grands, car il s’agit de l’un des plus beaux albums de rock de tous les temps. C’est du niveau de Blonde On Blonde, d’Hunky Dory ou encore du White Album, pour n’en citer que trois. Dès «Halo Of Flies», on est littéralement happé par une fantastique envolée psyché, une sorte de dream come true. C’est d’une puissance vitale qui dynamite toute idée préconçue. De soudaines envolées captent l’attention et quand Lanegan plonge dans le tourbillon, les frères Conner l’accompagnent. Le gros Conner joue du sitar de bonne franquette, comme Reggie Young au temps des Box Tops. C’est un modèle de mad psyché absolument définitif. Chaque fois qu’on réécoute cet album, on y découvre de nouvelles splendeurs, de nouveaux puits de lumière, de nouveaux ciels. On s’effare tout autant de cet «All I Know» joué au barrage d’accords contre le Pacific, et Lanegan monte sur ses grands chevaux de Tarquinia, c’est un rock d’une élégance invraisemblable. Lanegan sonne tellement anglais, il croasse son rock comme un vieux lord désabusé et rincé par les excès. Il vibre ses unissons dans une mélasse sonique qui relève de la magie blanche. Dès l’attaque de «Look At You», on sent le hit intemporel. Cette beautiful song fout des frissons partout - When I look at you/ I get a second chance - Impossible de résister à ça et le solo atteint des sommets aphrodisiaques. Et ça continue avec «Dying Days» - All those dying days/ I walk the ghost town/ Used to be my city - Puissances des ténèbres ! Et ce riff qui descend pour se fondre dans le génie vocal de Lanegan ! Il faut avoir vu ça dans sa vie au moins une fois. C’est atrocement bon - Can you ease my mind - Lanegan atteint au suprême, il chante comme un dieu de l’Olympe alors qu’autour de lui craquent des éclairs de génie psyché - All these dying days/ Aaaah yeahhh - S’ouvre alors un gouffre de vertige et avec Lanegan on cherche de l’air pour respirer. «Make My Mind» reste dans la veine du filon d’or et ce démon de Lanegan le reprend au pied levé, il chante ça au pire débotté qu’on puisse imaginer. Il reste encore une face à explorer. Cet album est une montagne, c’est sûr, car voilà «Sworn And Broken». Un solo d’orgue explose au paradis et Lanegan nous refout des frissons car il vibre son baryton jusqu’à la limite du supportable. Il chante ensuite «Witness» à la grande insistance et ils font du kashmir grungey avec «Dime Western». On est content quand ça s’arrête. Un album aussi bon n’a rien d’humain.

Puis le groupe s’est désintégré. Dommage. En 2011, le batteur Barrett Martin fit paraître ce qui devait être le dernier album des Trees, Last Words. Oh c’est sûr, on y trouve quelques belles énormités, mais ça n’est tout de même pas du niveau de Dust. «Black Rose Way» ravira les fans des Trees car c’est joué au riff mal intentionné. Voilà encore un cut terrifiant de présence et même spongieux. Ce gros Conner de pyromane joue avec le feu en permanence. Il semble ne s’intéresser qu’à la démence. Le son est en expansion. Tout aussi énorme, voici «Low Life». Imbattable car joué au psyché psycho puissant et bien développé, avec des guitares qui se chevauchent et ça vire rapidement à l’orgie de croisées. Ils sont tellement épais dans leur barn d’Oregon qu’ils en deviennent ganaches, c’est complètement bombardé du beat, le gros Conner pousse tout dans le corner. Encore une splendeur héroïque avec «Last Words», complètement écrasé de connerisation, ça coule de partout, voilà le son des Trees qui crient. Grands dieux, il pleut du sonic hell ! On trouve aussi du heavy sound à la pelle dans «Ash Gray Sunday», Lanegan y fond comme beurre en broche et le gros Conner joue le Grand Jeu de la mad psyché à la Daumal assurance. Les frères Conner chargent bien la barque de «Revelator», encore du très grand Trees car battu aux quatre vents. On a aussi un «Crawl Space» allumé d’avance. C’est d’une rare démence à cause de ce chanteur qui n’en finit plus de jeter ses mégots dans le sable pétrolifère de la mad psychedelia. Avec «Tomorrow Changes», Lanegan renoue avec quelques accents de «Sworn And Broken», il chante au divin des Appalaches et va chercher des accents inusités qui brillent dans la nuit comme des perles noires.

Toujours la même histoire, une bonne compile peut parfois rendre service et faire gagner de la place dans les étagères. Anthology. SST Years 1985-1989 passe en revue toute l’époque SST et c’est l’occasion rêvée de se refaire un petit shoot de «Transfiguration». On y retrouve le gros Conner qui fout le paquet. Et ce «Don’t Look Down» qu’on dirait joué par des sauvages ! C’est absolument terrifiant de présence trash et à l’époque, c’est le gros Conner qui mène le bal des vampires. On retombe aussi sur l’effarant «In The Forest» et le gros continue de faire le show dans «Other Days & Different Planets». On trouve ensuite quelques horreurs tirées d’Invisible Lantern. C’est là où la voix de Lanegan commence à se creuser. Le gros Conner bourre «Smokerings» de dégoulinades et Lanegan chante comme un guerrier apache. «Ivy» sonne comme une énormité infernale, une de plus. Tout ce qu’on aime dans le rock est chez les Trees. Ils sont certainement les maîtres de la mad psychedelia. En tous les cas, ils sont bien meilleurs que les autres à ce petit jeu. «Subtle Poison» sort de Buzz Factory et le gros Conner cherche à l’éclairer, mais on l’a vu, Buzz n’est pas leur meilleur album, même si des cuts comme «Windows» et «Black Sun Morning» bouillonnent d’énergie, surtout Black Sun que le gros Conner joue à la mésaventure de la Mesa du Cheval Mort. Quelle leçon de maximum overdrive ! Et puis bien sûr on retrouve en fin de compile ce coup de génie intitulé «Where The Twain Shall Meet», idéal avec un mec comme Lanegan derrière le micro. Et cet enfoiré de gros Conner joue tout son truc sous le boisseau. Arrghhh, comme dirait le sergent Speer, à l’instant même où une flèche lui traverse l’épaule.

Au rayon des collaborations, les trois albums que Lanegan enregistra avec Isobel Campbell valent autant le détour que ceux de Lee Hazlewood & Nancy Sinatra. C’est même aussi bon que tout ce que Gainsbarre enregistra jadis avec Jane. Le premier album du duo s’appelle Ballad Of The Broken Seas. Il date de 2006. «Black Montain» provoque un certain trouble car Isobel Campbell s’approprie sans doute inconsciemment la mélodie de «Scarborough Fair». Ce sont des choses qui arrivent. Le hit de l’album s’appelle «Honey Child What Can I Do». C’est là que ce joue le destin de l’album. Ça sent si bon le Brill, on assiste à une véritable élévation, elle avec sa voix lumineuse, lui avec son pesant d’or. Ah comme ils sont déments ! C’est orchestré comme au temps du Brill avec des guitares qui descendent du gratte-ciel et des nappes de violons rattrapées au vol par la voix d’ange d’Isobel. Il est évident que Lanegan frissonne de bonheur en chantant ça. Il vit dans l’instant le génie du Brill tel que décrit par Michel Butor. Par contre, le morceau titre sonne comme une vielle rengaine de taverne. Même chose avec «Rambling Man» : Lanegan adore ces vieilles ambiances qui puent le hareng fumé au tonneau. Isobel propose de la belle pop de Belle avec «Saturday’s Gone». Elle veille bien à son petit grain d’Ouest. Elle chante si divinement. C’est à Lanegan que revient l’honneur de refermer la marche avec «The Circus Is Leaving Town». Il se transforme pour l’occasion en Zampano alors qu’au loin aboient les chiens errants.

Deux ans plus tard paraît Sunday At Devil Dirt, un album attendu comme le messie. Lanegan et Isobel nous font ce qu’on appelle un joli duo d’enfer avec «Who Built The Road». C’est un enchantement. Elle ramène tout son attirail d’ingénue libertine dans la brise tiède des violons et ça donne une magnifique ambiance à la Gainsbarre - Dark and within the everlasting fire - C’est la pop du paradis. Nouveau coup de génie avec «Come On Over (Turn Me On)». C’est joué à la meilleure pop et orchestré à la diable. On sent nettement les vieux restes de Belle & Sebastian. C’est même digne des grandes heures de Phil Spector et des mélodistes en titre du Brill - Tell me baby / Tell me pretty lies - C’est attaqué à deux voix et ça reste chaud et profond. L’orchestration embarque tout, comme chez Gainsbarre, et ça bascule dans d’insondables abîmes de pureté évangélique - Is it any wonder how we lay awake all night - Et un certain Jim McCulloch part en solo, alors les choses rebasculent dans l’outrance de la prestance - Like a blind man driving at the wheel / Like a hound dog scratching out a meal - Lanegan ramène toute la beauté de sa violence. Pendant que défile «Something To Believe» et son mocking bird, on regarde les photos d’Isobel dans le livret et on s’exclame : «Diable comme elle est belle !» Et tout rebascule une fois encore dans le génie avec «Trouble». C’est chanté à deux voix comme dans un rêve. Lanegan et Isobel constituent l’une des meilleures combinaisons possibles - Down the line I will remind you / Listen how I love you - On croit entendre les accords de «Walk On The Wild Side», c’est dire si c’est bon. L’album fut curieusement réédité avec cinq bonus, et bien sûr, il n’est pas question de rater ça, surtout le «Rambling Rose Clinging Wine» que chante Lanegan sur fond de coups d’acou. C’est admirable de dépouillement - Don’t fret forever darling / Ain’t worth it - Puis Isobel chante «Hang On» comme une sainte. Elle finit par sonner comme une petite dévergondée. C’est tout simplement sublime - With you I stand on solid ground - On ne saura jamais si c’est un message destiné à Lanegan.

On retrouve encore un sacré clin d’œil au Brill sur Hawk paru en 2010 : il s’agit bien sûr de «Time Of The Season». On a des violons et du Hazlewood dans l’air doux. Lanegan et Isobel ne chantent pas, ils murmurent - And pair me with the circus clown/ At this time of the season - Le morceau titre est un instro tellement foutraque qu’il semble sortir tout croit de chez Cosimo. Ils chantent encore «Eyes Of Green» à deux voix et chaque fois, c’est une réussite. Lanegan ne rate pas l’occasion de glisser un petit blues funéraire avec «You Won’t Let Me Down Again». Quatre guitaristes l’accompagnent. Puis avec «Snake Song» joué à l’acou et au stomp, Lanegan revient à l’une de ses obsessions : moderniser le blues funeral. Il faut aussi l’entendre swinguer «Get Behind Me» à la vie à la mort. C’est incroyablement solide. Et puis avant de refermer cette page d’histoire, on notera que «To Hell & Back Again» sonne comme du Hope Sandoval. Même son, même voile de mystère.

Quand Isobel Campbell et Mark Lanegan ont commencé à se produire ensemble, la presse s’est vite emparée du phénomène. On voyait des « La belle et la Bête » un peu partout, mais l’analogie n’était pas très heureuse, puisque Mark Lanegan n’a rien d’un Jean Marais, et Isobel Campbell rien d’une Josette Day. L’ambiance rouge de leur concert de 2008 au Trabendo n’avait pas non plus de lien avec la lumière si particulière d’Henri Alekan. On se trouvait aux antipodes du monde de Cocteau. Les comparaisons hâtives sont monnaie courante dans le microcosme de la critique musicale et les tâcherons souffrent le plus souvent d’une embarrassante carence culturelle.

C’est vrai que le couple présentait un aspect magique, mais ils le devaient essentiellement à leurs pedigrees respectifs. Isobel avait participé à l’envol de Belle & Sebastian et Mark Lanegan avait déjà atteint le statut de légende vivante. Lanegan est sans doute le pire démon de l’histoire du rock. Les prêtres le craignent. Ils redoutent surtout son petit regard jaune, souvent posé de biais.

Ils donnaient ce concert au Trabendo pour promouvoir Sunday At Devil Dirt. Ils formaient un couple très particulier. Mark Lanegan restait comme à son habitude arrimé à son pied de micro et mal éclairé, mais on savait que c’était voulu.

Isobel Campbell semblait coupée en deux : très jolie blonde en haut et gros problème de poids en bas. Un cul de femme obèse. Pour aggraver les choses, elle portait un pantalon noir très moulant. C’était le seul défaut esthétique du spectacle, mais il était de nature à tout compromettre. Il y avait même quelque chose de choquant dans cette disgrâce : si on en revenait à l’analogie cocteauïque, elle pouvait inverser les rôles. Ils firent comme si de rien n’était. Isobel chantait d’une voix sucrée et très pop, Lanegan d’une voix très gave et très mélodique, et l’union des deux créait des ambiances de toute beauté capables de bouleverser les sens. Ce qui ne manqua pas de se produire.

L’autre très grand chapitre participatif de l’œuvre de Lanegan, c’est le duo qu’il constitua en 2008 avec Greg Dulli, les Gutter Twins, pour enregistrer Saturnalia.

Lors du concert parisien des Gutter Twins en février 2008, j’eus clairement l’impression d’assister à un show extra-ordinaire. Greg Dulli et Mark Lanegan semblaient recréer l’illusion des dieux antiques. Plongés dans une fournaise de lumière rouge et littéralement effervescents, ils déversaient sur un public complètement fasciné des hymnes élégiaques, et cela avec une sorte de grâce fatale qui n’en finissait plus de les rapprocher du divin.

L’éléphantesque Greg Dulli et le fantomatique Mark Lanegan constituaient à l’époque une équipe de rêve. Les seuls auxquels on pouvait les comparer étaient les Righteous Brothers. Physiquement, Greg Dulli pourrait faire penser à Apollinaire, mais sans la bonhomie, car il émane du personnage et de ses récits une certaine violence. Il avoue avoir frôlé la mort à plusieurs reprises. Il se souvient d’avoir quitté un bar une hache à la main, avec le crâne ouvert comme une noix. 56 points de suture. Il ventripote allègrement et il ne porte que du noir, mais pas du petit noir à la mormoille. Greg Dulli est homme à s’habiller chez un tailleur. Depuis l’époque des Afghan Whigs, il a doublé de volume. On voit bien qu’il mène la grande vie : jolis poules, cigares et alcools chers. Il mange certainement comme dix et fume à la chaîne. Le voir fumer sur scène dans un pays où il est interdit de fumer en dit assez long sur son tempérament de fucker génial. Il faut le voir sur scène. Il y déplace énormément d’air. Il bouge constamment et fait parfois des pas de danse disco. Il plaque sur sa grosse Gibson noire de sacrées bordées d’accords. C’est un entertainer de premier ordre et un sacré cabochard. Il s’assoit parfois au piano pour placer des compos riches en teneur minérale. Greg Dulli est un songwriter complet, ample, épique au sens de Brel, et extrêmement envahissant. C’est un conquistadore de l’impossible, un fracasseur d’étoiles filantes. Les albums qu’il enregistre avec les Twilight Singers sont tout bêtement d’inépuisables mines d’or mélodique. Certains morceaux des Gutter Twins montent en drone, sur des atmosphères lourdement chargées d’orientalisme pervers. 

Ils jouèrent aussi ce soir-là les douze titres de Saturnalia, album fatidique. On y trouve «God’s Children», un morceau traversé par un véritable vent de folie. Ils vont croiser leurs voix au chat perché et c’est repris au mitoyen de l’unisson des géants. Voilà bien ce qu’il faut appeler une terrifiante merveille. Peu de gens savent croiser les chants d’une manière aussi fascinante. Avec «All Misery/Flowers», on retrouve toute la noire mélancolie de Lanegan. Il pose sa voix sur un beat à l’agonie - Oh Lord ! Oh Lord ! - Ce cut pue la mort. On retrouve son génie vocal dans «Idle Hands», un cut dégingandé de chien de piste. On assiste une fois de plus à une fantastique élévation, car voilà un cut hanté par les envols de guitare, puissants et si drus. C’est à s’en démettre de ses fonctions. Le timbre coloré de Lanegan donne à ce cut toute sa valeur aurifère. C’est un nouveau chef-d’œuvre interprétatif, un de plus. Lanegan pétrifie le rock dans des environnements de guitares extraordinaire. Comme Mick Farren, il sait sublimer ses chansons par le son. Encore une admirable prestation avec «We Will Lead Us». Il chante comme s’il agonisait à l’issue de la bataille de Gettysburg. Il est stupéfiant d’angélisme mortifère. Greg Dulli a beaucoup de chance de côtoyer un mec comme Lanegan. Dulli revient à ses chères embrouilles sentimentales avec «I Was In Love With You» et trouve facilement le chemin des ampleurs catégoriques.

Il reste à explorer le troisième volet du Lanegan world, le volet solo, certainement le plus vaste et le plus déshérité des trois. Il fait l’objet d’un Lanegan Part Two.

Signé : Cazengler, Lanegland

Mark Lanegan. Café de la Danse. Paris XIe. 25 novembre 2017

Screaming Trees. Clairvoyance. Velvetone Records 1986

Screaming Trees. Even If And Especially When. SST Records 1987

Screaming Trees. Invisible Lantern. SST Records 1988

Screaming Trees. Other Worlds. SST Records 1988

Screaming Trees. Buzz Factory. SST Records 1989

Screaming Trees. Uncle Anesthesia. Epic 1991

Screaming Trees. Sweet Oblivion. Epic 1992

Screaming Trees. Dust. Epic 1996

Screaming Trees. Last Words. The Final Recordings. Sunyata Records 2011

Screaming Trees. Anthology. SST Years 1985-1989. SST Records 1991

Isobel Campbell & Mark Lanegan. Ballad Of The Broken Seas. V2 2006

Isobel Campbell & Mark Lanegan. Sunday At Devil Dirt. V2 2008

Isobel Campbell & Mark Lanegan. Hawk. V2 2010

Gutter Twins. Saturnalia. Sub Pop 2008

 

TROYES / 24 – 03 – 2018

3 B

HUDSON MAKER

Vite, my pony, my riffle and my 3 B, suis en manque, plus d'un mois que je n'ai pas mis les pieds au 3 B, nécessité urgente de ma dose de rockabilly et d'amitié, la teuf-teuf dévore les kilomètres à la manière d'un xénarthre vermilingua myrmécophage – un fourmilier pour ceux qui ne sont pas naturalistes – qui se goinfre d'apocritas holometabolas acuelatas neopteras si vous voyez ce que je veux dire. Pas le temps de vous expliquer, Fabien est à la console et les Huson Maker sont déjà sur scène.

HUDSON MAKER

Pas un de plus, pas un de moins. Trois. Vu l'ampleur sonore qu'ils dégagent cela suffit amplement. N'ai jamais compris comment l'on être un faiseur d'Hudson, mais pour le rockabilly, sont des spécialistes. Avec un son très particulier qui n'appartient qu'à eux. Sur sa batterie Franky vous envoie sa camelote ( premier choix ) franchement. Diapason haut. Si vous êtes devant, vous ne pouvez pas rester insensible à cette abondante mixture. Franky l'est un partisan du mouvement. Vous répand la mayonnaise en giclée continue. Devant une telle avalanche ou vous vous faites tout petit et vous disparaissez à jamais ou vous rajoutez vos grains de sel. Faut tout de même qu'ils soient gros comme des menhirs. Cela tombe bien, Alban en a toute une collection dont il ne sait que faire, vous les sort des cartons et vous les aligne par centaines sur deux files. Le genre de gars à qui il ne faut pas trop en promettre, s'occupe de tout, l'est partout, en cuisine derrière le gril, en salle à servir la purée. Spécialiste du riff tranchant, pas le tomahawk qui vous assomme bêtement et qui vous estourbit si fort que vous n'entendez plus rien, non l'est un adepte du tranchant aiguisé, s'enfonce en vous de la tête au sexe, vous sépare en deux, puis il amincit les deux moitiés encore en deux, traitement de faveur, vous pouvez appréhender, en fait c'est incompréhensiblement revigorant, l'assistance se lance dans des danses des scalps de lindy hop endiablés, mais ce n'est pas tout. Alban n'est pas bien grand, sous sa barbichette, sa casquette et ses grosses lunettes, possède une seconde arme pour les combats rapprochés. Une rapière meurtrière, un rasoir démoniaque, une voix-laser qui vous découpe en tranches. Une lanière de fouet avec ce soupçon d'accent traînant pur-Appalache qui fait toute la différence. L'est comme Franky, doit avoir le rapide pour Yuma à prendre, pas du genre à parlementer, tirent d'abord et ne prennent même pas le temps de compter les morts. Le problème c'est que le troisième tueur est du même acabit. S'appelle Tof, l'a l'étoffe des grands. Cul de contrebasse à gros fessier, hanches marquées rehaussée d'un bustier affriolant, tient sa compagne très haut comme s'il lui serrait le cou. Peux vous affirmer que la gerce ne se permet aucune désobéissance. Ronronne comme un hélicoptère de combat, avec sa taille de géant et ses slaps de commando Tof n'a aucune pitié, du coup sous les coups elle chante comme si sa vie en dépendait, y met toute sa voix, ce n'est même plus les cordes qui claquent c'est le bois qui vibre de toutes ses fibres. L'a de l'énergie à revendre Tof, alors tout en continuant à faire subir un vibro-massage des plus éprouvant à sa big mama, il prête main-forte à Alban, se charge des chœurs, indispensables pour la rythmique rockab, z'avez l'impression d'enclumes d'une précision inouïe qui volètent parmi vous sans même vous effleurer, mais ce n'est pas tout, l'a encore une spécialité, le scream, un truc effroyable, vous voici transportés sur le Titanic au moment où l'iceberg s'en vient fracasser la coque, en plus il est sympa Tof, au cas où vous n'auriez pas entendu vous le refait rien que pour vous, version Andromède nue, ligotée sur son rocher, alors que le kraken lui épile à vif le sexe d'un coup de langue, toujours ce cri de terreur résonnera dans votre tête. Si vous croyez en avoir terminé avec Tof, ce n'est pas fini. Ses copains ne lui octroient qu'un seul morceau. C'est dommage mais compréhensible. Il est strictement interdit de laisser les fauves en liberté. Tof ne chante pas. Il ouraganise, il démantibulalise, rawckabilly puissance mille, jamais entendu un truck si jouissif, un bulldozer qui passe sur la maison de votre ennemi. Qui arrache les plaques de béton et lui écrase dix-sept fois la tête à coup de godets. Et vous criez, encore, encore !!!

Attention, j'ai peur de me faire mal comprendre. A me lire vous allez les prendre pour de sombres brutes sans foi ni loi. Ce serait un tort. Beaucoup de finesse. Excursionnent dans le rockabilly avec la doigté de l'entomologiste qui fait le relevé des espèces rares, savent aussi ce que c'est que le bluegrass – Alban profite de l'occasion pour faire sonner sa guitare comme un banjo - et toutes les nuances du country, je n'ai pas dit qu'ils vous égrenaient des balades sentimentales à vous faire pleurer dans votre mouchoir, ce n'est pas le genre de la maison, ils ont le crocodile mais pas les larmes, font plutôt dans les chevauchées d'outlaws et les descentes de rapides, vous ne vous ennuyez jamais avec eux, que ce soit sur les reprises des classiques ou sur leurs propres morceaux, ils veillent particulièrement à la finition de la construction, z'ont un style et un doigté qui n'appartiennent qu'à eux, certes les titres déboulent avec la soudaineté des grandes glaciations néolithiques, mais dedans c'est agencé au millimètre, c'est du réfléchi, du pensé, du pesé, le brut de décoffrage mais servi avec la pureté inventive des lignes dans le détail de l'ameublement. Livraisons expéditives mais avec soins scrupuleux. Hudson Maker, le plaisir du rocker !

 

Encore une chaude soirée au 3 B ! Merci Béatrice Berlot !

Damie Chad

*

Ouvrir chaque matin sa boite à lettres est la dernière aventure qui puise arriver à l'homme moderne. Que sera-ce aujourd'hui ? L'enveloppe rose parfumée d'une admiratrice en manque de tendresses, une lettre d'excuse du percepteur me signalant que pour les services rendus à la Nation par mon blogue KR'TNT ! je suis exempté à vie de toute imposition ? Voyons voir, je tire doucement le couvercle, glisse un œil et pousse un rugissement de colère à effrayer tous les lions de Tanzanie. Il y a tout de même des gens qui ne se gênent pas, si je tiens le mec qui a garé son hydravion dans ma boîte à surprises, va y avoir de la chair fraîche sur les murs. Un truc qui pèse au minimum deux tonnes et demi, à y regarder à deux fois ça ressemble plutôt à un engin explosif déposé par les services secrets, soyons circonspect, inspectons cet étrange objet aux flancs légèrement bombés, peut-être un de ces cercueils que la Maffia sicilienne envoie en guise d'avertissement à ses futures victimes, hum ! hum ! Prudence est la mère de la sécurité, j'ouvre précautionneusement la grosse enveloppe rembourrée de papier kraft et me saisit de l'objet que j'extrais doucement de sa gangue protectrice... Je ne m'y attendais pas, je suis désolé pour tous les chercheurs du trésor de Rennes-le-Château, le Graal est là, entre mes mains, si vous ne me croyez pas, vous n'avez qu'à lire l'étiquette :

THE REAL ROCKIN' MOVE PROJECT

UN FILM

DE

VINCE ROGERS

La mine d'or de l'allemand perdu enfin trouvée. Sur ce coup j'ai devancé Blueberry, just call me Damie Chad, Babe, trente ans que tout le monde en cherche un exemplaire, et l'est là modestement posé sur ma table. Ça ressemble à un canon de DCA livré en pièces détachées par IKEA, même pas besoin d'une notice de montage tout juste la nécessité d'un ordinateur et éventuellement d'une paire de lunettes pour les myopes Je suis bon prince, vais vous décrire toutes les pièces une par une, ne me remerciez pas, c'est pour votre édification morale.

NEW ROCKIN' IN NICE N° 2

30 Ans de Rock sur la Côte

Un petit mot tout d'abord sur Vince Rogers. Facile à présenter, un activiste rock'n'roll. Ce n'est pas de sa faute, tombé tout jeunot dans la marmite, ne s'est jamais remis de la morsure de l'Alligator. Les docteurs disent qu'il n'existe pas d'antidote et que le poison circule en toute liberté dans vos veines jusqu'à votre mort. Et que même après... mais ceci est une autre histoire. En plus n'a pas eu de chance, le bouillon véhiculait un autre virus, celui du cinéma, pas le septième art, la pire des souches, celles des séries qui commencent après la lettre Z, les innommables, les cradingues resplendissantes, celles dont la bienséance se détourne en se bouchant le nez. Demoiselles méfiez-vous si Vince Rogers vous invite chez lui, ses estampes japonaises ce sont les couvertures de fort mauvais goût des romans policiers et d'horreur des années cinquante, ne dites pas que je ne vous avais pas averties. Evidemment possède un dernier vice Vince, dont il ne se cache même pas, l'écriture. D'ailleurs ce New Rockin' In Nice n'est autre que la réédition d'une infâme brochure parue en l'an de disgrâce 1987. Récidiviste trente ans après. On ne peut pas vraiment lui reprocher de manquer de constance dans le funeste entêtement rock'n'rollien.

Sans en avoir lu la moindre ligne vous aimez déjà. Un fanzine comme l'on n'en fait plus. Encre juteuse, photos si noires qu'elles retrouvent la splendeur des bois d'un Félix Valloton, slappé à la machine à écrire. Maquette drumée comme un solo de sax. Pas tout à fait les Riches Heures du Duc de Berry, plutôt Nice, baie des devils' in disguise.

Normal, Vince Rogers l'est de Nice – arrêtez de criailler les filles, voici son adresse – DERRY SCIARRA / 7 Place Garibaldi / 06 300 Nice – en plus s'il vous refuse vous refile un lot de consolation, pour 38 Euros vous emportez une réplique de la big box.

Je ne m'étends pas – vous comprendrez pourquoi en poursuivant votre lecture - sur le contenu de l'opuscule pourtant à vous faire péter les opercules, l'histoire du rock'n'roll à Nice, entendons-nous sur le vocabulaire, le premier rock'n'roll, celui que Vince Rogers surnomme the real rock'n'roll, n'a duré que trop peu de temps, de la toute fin des années cinquante au surgeon des années soixante, raconte l'histoire, les débuts fabuleux d'innocence autour du premier Festival Rock de Juan-Les-Pins, qui révéla Vince Taylor, un profond traumatisme une secousse sismique, qui précipita le prurit rock sur la Côte d'Azur et hâta l'émergence d'un mouvement rock sur la région de Nice. Pour les contemporains ce ne ne fut qu'un feu de paille mais une explosion atomique pour toute une génération. Le showbiz se dépêcha de poser les barrières anti-radiations, communément appelés les Yé-Yé, mais la contamination n'en continua pas moins de pervertir certains esprits. Toutefois question rock entre 1968 et 1977 le rock azurien perd sa belle couleur, Vince Rogers reste totalement réfractaire au rock planant et progressif... Le real réveil arrivera avec les Punks et leur retour à un rock primaire et batailleur, qui se conjuguant avec la mode revival suscita le sursaut rockabilly des années 80... Vince Roger cite un peu trop rapidement les Bachwards, les Sherry Ice, les Boppers, les Jumpin' Cadors, les Blue Suede Shoes, les Ducky Boys... tous éclos dans la zone niçoise...

A tout seigneur tout honneur, Dick Rivers et les Chats Sauvages ont leur parcours et leur discographie traités beaucoup plus longuement, mais ils ne sont pas les seuls, Vince Rogers détaille aussi la carrière des Loups Garous, contemporains des premiers efforts d'Hervé Forneri ( aka Dick Rivers ), qui se firent doubler en quelque sorte par les Chats Sauvages... rappelle aussi les origines niçoises : de Claude Ciari guitariste des Champions qui fit carrière au Japon, José Salcy – nous retiendrons son J'en Parlerai à mon Cheval – les Fingers groupe musical à la Shadows, tout amateur de rock se doit de posséder Special Blue-Jean dans sa discothèque, de Mark Robson et Le Poing ( avec Jojo Dumoutier qui druma derrière Gene Vincent et Maxime Scmitt dont parmi les futurs hauts-faits de gloire nous recommandons la lecture de la BD Vince Taylor N'existe Pas ) et enfin the last but not the least, Vince Rogers himself.

Bref un document de 80 pages, un collector indispensable, écrit par un témoin et un propagandiste de l'époque. Un véritable stalker qui nous guide sur les chemins interdits des zones irradiées.

Nous passons rapidement sur les formats A5 couleur – notamment le magnifique poster VINCE ROGERS and THE BLACK VAMPIRES, et la série de photos sur les Studios de la Victorine – le temps d'apprendre que si le fils est devenu rockeur, le père était cascadeur – car nous n'en sommes qu'au tout début du REAL ROCKIN'MOVE PROJECT reste encore les quarante-huit séquences du film réparties sur trois DVD à visionner.

DVD 1 

FROM NICE TO ATTIGNAT :

En route sur mythique la nationale 7, photographies, scènes filmées et séquences INA s'entremêlent, nous n'allons pas à Paris mais à Attignat, bourgade de l'Aisne qui serait restée dans l'anonymat le plus complet s'il ne s'y déroulait pas depuis une trentaine d'années le festival de rockabilly le plus important de France. Ne soyez pas pressés l'on se balade au rythme chaloupé du blues, l'on visite le musée des vieux tacots, l'on a droit à Charles Trenet interprétant son hymne légendaire à la gloire de la fameuse artère des vacances au soleil, l'on traverse les vieux goudrons de la vieille France d'antan et provinciale, déclassés par les rubans autoroutiers, la caméra s'attarde sur le passé révolu, si loin et si près pour reprendre le titre de Dick Rivers, à croire que l'on court sur les sentiers d'une jeunesse perdue. Pompes à essence rétro-sixties, Amérique phantasmée, la nuit tombe sur un sax langoureux, le matin se réveille aux congas, fantômes de baigneuses bikini et garages en déshérence fermés à tout jamais. Carcasses de vieilles voitures, tous les êtres vivants vous manquent, l'on n'attend plus que l'impossible résurrection. La voici au bout de la route, l'affiche jaune annonçant le Festival Good Rockin' To-night d'Attignat. Si le passé ne peut pas venir à toi, c'est toi qui iras à sa rencontre.

Rock Aroud the Clock pour réveiller les ombres, les fameux mobil-homes d'Attignat et les hommes mobiles qui se pressent sous le marabout des marchands du temple du rock. Plans fixes sur des two-tones shoes et de minuscules extraits de shows, Vince Rogers ne recopie pas, fait apparaître un peuple de zombies rassemblés en une étrange nuit du Walpurgis. Robes à motifs et mollets tatoués. Dehors au soleil, carrosseries américaines rutilantes, gros bonbons de toutes les couleurs chouchoutés, cela suffit-il pour que le passé renaisse de ses cendres ?

THE FRENCH RIVIERA IN THE GOLDEN FIFTIES

ANDD THE EARLY SIXTIES

Ouverture en bande-annonce hitchcockienne avec Gary Grant et Grace Kelly au générique, action on the french Rieviera, sure ! Très logiquement sur la Croisette de Canne apparaissent starlettes de cartes postales aux seins dénudés. It was a good time ! Film appâts à touristes américains, photos en blanc et noir, colorées, et en couleurs de Juan-Les-Pins, en toile de fond l'orchestre typique de Bob Azzam ( pas de quoi se défenestrer de plaisir ), attention sous la variétoche de pacotille se profile le twist du générique du gendarme de Saint-Tropez, l'ultime – Vince a pitié de nous, glisse quelques photos de Brigitte Bardot - pente à gravir avant le ROCK !

Documents télé avec la grande parade de la Coupe du Rock de Juan-les-Pins, le temps d'apercevoir dans ( ou sur ) leur décapotables Danny Boy et ses Pénitents, Les Chaussettes Noires, Les Chats Sauvages, et quelques bout de séquence live de Rocky Volcano, d'Hallyday ( matez l'inénarrable batteur jazz derrière ) qui vous conseille de laisser tomber les filles et Dick Rivers ( ses Wild Matous au profil beaucoup plus rock ) et enfin Jenny Rock, si vous ne la connaissez pas, ne regrettez rien.

Pochettes de disques et extraits de morceaux, les Loups Garous, z'ont le bon son, celui des Chaussettes Noires et le chanteur qui fait sa grosse voix à la Eddy Mitchell de l'époque, Les Champions qui accompagnèrent Gene Vincent, Claude Ciari à la guitare mais l'on préfèrera celles plus bourdonnantes des Milords qui ronflent presque à la Link Wray, dommage qu'ils y mêlent ces passages par trop sucrés destinés à capter les oreilles du grand public, les Monégasques réussissent mieux à imiter le vol psychotique du moustique... Tous ces quarante-cinq tours de groupes à guitares des early sixties sont à réécouter, trop souvent dédaignés de nos jours.

Saut dans le temps et la qualité, Chuck Berry est sur scène, taisez-vous et écoutez. Dieu le père est devant vous, les anges maudits du rockabilly ne tarderont pas à suivre. Les Jumpin'Cadors trio à pertinente dégaine, le son encore près des groupes soixante mais un chant au phrasé plus authentiquement américain, les Sherry Ice davantage au point mais qui oublient un peu trop le poing de la hargne.

Dick Rivers et sa baie des Anges, pas vraiment ce qu'il a fait de mieux, les Daisy Ducks groupe féminin qui vous interprètent une version d'Hoochie Coochie Man qui ne renforcera pas vos convictions féministes, heureusement que le frangin Willy Eckert et les Nighthawks sont là pour relever le niveau familial. Un bon blues rock qui secoue dans le sens du vent. La séquence se termine avec les Playboys grimés en black faces qui effectuent le chemin inverse délaissent le blues électrique pour se tourner vers un mélange de rag-time-hillbilly des plus originaux. Et l'on se retrouve au début des années 2000 avec les Swamp cats trio rockabilly, caisse claire, slappin' contrebasse, guitare bien électrique, ainsi se termine ce voyage dans le rock niçois qui résume assez bien quarante ans de real rock français.

CINE A NICE ET SUR LA CÔTE

ACTEURS ET CASCADEURS

Je passe plus rapidement. Je ne suis pas un grand amateur de cinéma. M'attarde juste sur le personnage d'Eddie Constantine qui fut un peu le James Dean ( moins de fureur, davantage de bonne humeur ) du rock français. Acteur et chanteur à l'humour qui inspira beaucoup un certain Eddy Mitchell qui lui doit beaucoup. Son hit Cigarettes Whisky et P'tites Pépées avait un esprit beaucoup plus rock que les pitreries de Boris Vian...

Une belle séquence dédiée à Laurent Sciarra le père de Vince, pour tous ceux qui aiment les cascades et les voitures tamponneuses avec Gil-Delamarre et Jean Marais. Emotions et tôles froissées garanties.

DVD 2

LES FIGURES EMBLEMATIQUES DU ROCK / DU CINé

DU VINTAGE / DE LA CÔTE

VINCE ROGERS

Vince Rogers le chanteur. Toute une carrière. Vince Rogers and The Losers, Vince Rogers and The Rebels. Vince Rogers Rockin' around the Cave, Vince Rogers Real Rockin' Rock, Hommage à Vince Taylor, Vince Rogers présente New Rockin' in Nice, Vince Rogers of the Haunted Train, Définitivement Real Rock Vince Rogers, Vince Rogers and The Squeletons, Frankeistein Be Bop, Vince Rogers and The Black Vampires, Gene Vincent the Legend, MP3 and Video-Stations, Wild rock Fifties and Wild Rockabilly, succession de photos et flyers d'annonces de concerts, de clips, esthétique post-apocalyptique, tous aussi beaux que des poèmes graphiques, la forme qu'aurait dû donner Arthur Rimbaud aux textes d'Une Saison en Enfer. Je ne vous recommande pas la bande-son, Vince est au micro, vous auriez peur, du lourd, du poison, du visqueux, de la vidange de lavabo, tout ce que les Cramps n'ont jamais osé faire, ce que devait psamoldier Sreamin' Jay Hawkins dans son cercueil, de l'infra Race with the Devil de Gene Vincent, du ugly comme écrivait Edgar Poe pour caractériser la Chute de la Maison Usher.

Une version live de Twenty Flight Rock transgressée en trente septième étage avec mal aux pieds assuré. Batterie lourde, Vince prêt à bouffer le cromi, humour de croque-mort au bord de la tombe, rythmique qui sautille allègrement comme un squelette dans les allées du cimetière, une version à ne pas en croire vos oreilles peu habituée à la musique des catacombes.

Rockabilly King, pas d'images filmées cette fois-ci, juste des photos d'un noir épais et de gris blafard, encore plus flippantes, directement chanté depuis le fond d'un égout, une guitare rayon de soleil et une voix qui s'obstine à ne pas sortir des Enfers comme l'Eurydice perdue d'Orphée. La bête grogne au fond de son terrier. Je vous en prie n'allez pas la voir, vous n'en reviendriez pas. Un grand moment de rock'n'roll. Peu compatible avec ce qui existe en ce bas-monde.

Teddy Boys Boggie. Vince ne porte pas de drape-jacket, n'empêche que vous êtes dans de beaux draps. Toujours cette voix de mort qui be-boppe très grave, à vous faire grignoter les pissenlits par la racine et vous régaler des vers de terre... suivi d'un salmigondis d'extraits du répertoire de Vince Rogers, jetez les deux oreilles sur la french version déjantée de Johnny Be Goode, belles images en papier calque des musicos qui assurent, plus loin l'on sent des relents de Johnny et d'Eddy dans la voix, Vince est un amoureux de rock français, c'est bien ces extraits, mais aussi très frustrant, l'on aurait préféré un récital entier. Un jalon important du french rock'n'roll.

Autres facettes de Vince, les bouquins. Sa revue Rockin' In Nice, les couvertures défilent, beaucoup consacrées au cinéma, films d'horreur de préférence, fantastique aussi, des sommaires laissent entrevoir des richesses insoupçonnées de Monsieur Tout le Monde et des curiosités déviantes. Un fanzine fabuleux, du mauvais genre, tout douteux-goûteux, que les enfants lisent en cachette. Juste pour y apprendre la vie. Et ses débordements.

Tiens ce n'est pas Vince Rogers. Enlevez vos mains, petits saligauds, c'est Miss Domi, la copine à Vince. Connaît le prix de l'or Mister Rogers, la montre un peu mais pas trop. Par contre question objets, l'a le goût foireux ( mon préféré ), vous entraîne sur son stand de brocante brock'n'roll, le genre d'endroit où vous jurez de ne pas même y jeter un coup d'œil et vous restez deux heures à admirer, je vous recommande la poupée de collection à vingt euros pour votre belle-mère...

CINEMA AVEC ERIC ESCOFFIER

Un ami de Vince aussi frappé que lui, un spécialiste des films Vampire et Loup-Garou du cinéma anglais, des affiches qui se fichent dans votre cerveau et qui refusent d'en sortir, âmes sensibles s'abstenir. Des visages de filles si hallucinés de terreur que jamais vous n'en embrasserez une autre de tout le restant de votre vie, des couleurs à vous arracher les yeux, la belle voix grave de Vince qui s'y connaît autant que qu'Eric Escoffier, trouve la juste formule : un art baroque.

FANTAXTIQUE BD

Séquence BD avec Fantax l'invincible... premier super-héros à la française ( presque un Frantax ), qui après-guerre eut un immense succès populaire et du coup fut inquiété par les autorités pour sa violence...

Deux trop courtes séquences finale, l'une sur Stephan Cannas et son rêve customisé américain, l'autre sur Miss Dey and the Residents, de Nice bien sûr, qui chante dans le style female Rock fifty... z'auraient nécessité un peu plus d'explications.

DVD 3

LES FIGURES EMBLEMATIQUES DU ROCK / DU CINé

DU VINTAGE / DE LA CÔTE

Revue des personnages qui ont contribué, à leur manière, à la poursuite de l'inaccessible rêve du Real Rockin Roll de Vince Rogers... Ce troisième DVD est à regarder comme les pièces d'un puzzle en vrac dans une boîte mais dont l'assemblage donne un réel aperçu des différentes passions qui peuvent habiter l'esprit des rockers.

Le restau-musée de Luca dédié à Elvis dans la bonne ville de Menton, présentation de Matty - doit avoir cinq ans en costume blanc qui imite Presley - me méfie toujours un peu de ces enfants qui sont les clones des rêves de leurs parents... Phill Rizza interprétant une version peu originale de Blue Suede Shoes, vues éparses du festival Drap'n'Rock organisé par Philippe Teboul, extraits similaires d'une réunion du Rockin'Club de Patrick Mambo, Christelle Di Lorenzo beau brin de pin-up, quelques pas de danse, visite de Crazy Rhythm la dernière boutique vinyl-rock de Nice, présentation hommagiale de Ritchie, Teddy Boy de toujours, sur fond d'Alabama Motorcycle et Club Harley, Chris Rebel affine et confirme sa banane de Teddy Boy, explique son passage rock fifties ( Gene Vincent, Vince Taylor ) au Teddy boy rhythm de Crazy Cavan dont Vince importa les premiers disques à Nice, belles carrosseries et film poursuite de voiture vintage réalisé par Vince, images floues et flashantes, danse avec la mort et la lumière des phares dans la nuit, Franck remonte son buggy vintage, le recrée à partir de rien... à ce qu'il paraît le dieu de la bible en aurait fait autant pour l'univers, mais on n'est pas obligé de le croire, Frank si. Images à l'appui. Idem pour Vince Rogers qui dans les deux dernières minutes se présente en train de monter son chef d'œuvre que vous achevez de visionner.

Paul Valéry a laissé dans ses papiers un précieux tapuscrit intitulé Manuscrit trouvé dans une cervelle. Vince Rogers nous fait le même coup, nous fait cadeau du Film trouvé dans la cervelle d'un rocker. Evidemment si vous n'êtes pas un adepte du real rock'n'roll, vous risquez d'être décontenancé. Rassurez-vous cette splendide magic big-box n'a pas été conçue pour vous. Only to the Happy few. The real rockin' thing !

Damie Chad.

Pour las amateurs : dépêchez-vous, tirage en cours d'épuisement !

THE RIDE

STEPHANIE GILLARD

( 2018 )

Ce n'est pas un western ou alors très terne, un documentaire, une longue chevauchée de quatre cent cinquante kilomètres au travers du Dakota pour commémorer le massacre de Wounded Knee du 29 décembre 1890. Qui marqua la fin des guerres indiennes... Attention dès les premières images la mythologie en prend un sacré coup, nos indiens, accoutrés comme nous, dans leurs gros 4 / 4 ressemblent étrangement aux cowboys modernes d'aujourd'hui. Vaudrait mieux en rester là et ne pas s'aventurer plus loin. Dès que l'œil s'accroche aux détails la sordide réalité vous saute à la gorge. La misère.

Le synopsis du film est très simple : suivre une trentaine de gamins sur leurs poneys qui vont refaire le trajet effectué par les Lakotas qui s'enfuient à pieds de la réserve dans laquelle Sitting Bull vient d'être assassiné pour rejoindre les chefs Big Foot et Red Cloud... Le septième de Cavalerie les rattrapera à quelques dizaines de kilomètres de leur but, et une fois désarmés, en abattra à la mitrailleuse trois cent cinquante, femmes et enfant compris... aujourd'hui les bonnes âmes qualifieraient cela de crime de guerre...

Mais aujourd'hui en fait tout le monde s'en fout. Un film glaçant. Pas parce qu'il se déroule en plein hiver de neige et de vent dans des paysages d'herbe jaune désertique, par la réalité qu'il montre. Les indiens n'ont pas seulement perdu la guerre, ils y ont laissé leur âme. L'est sûr qu'un bon indien est un indien mort, d'ailleurs dans le film ils sont tous morts. N'en reste plus. A part un petit groupe d'adultes qui organisent la cavalcade annuelle, sont à la recherche de leur fierté, essaient de transmettre l'héritage ancestral à la nouvelle génération. Des gamins, pas beaux du tout, pour beaucoup bouffis de mal-bouffe, engoncés dans la chape de plomb de leur acculturation. Certains regards s'allument devant les portraits de Sitting Bull et de Red Cloud mais d'autres s'embrument de larmes lorsque la console ne marche plus. Des pauvres sans avenir et sans passé. Sont à l'image de leurs accompagnateurs, qui tentent de s'accrocher à leur rêve de grande nation. Les plus vieux ont fait le Vietnam, les plus jeunes l'Afghanistan... Terrible partition intérieure que ceux qui n'ont d'autres solutions économiques que de servir dans l'armée qui a anéanti leur peuple...

Ne sont pas sur le sentier de la guerre, ni sur les chemins d'une renaissance spirituelle, juste sur la dernière piste de la survie. Terrible solitude, à chaque étape l'accueil est des plus maigrelets, point de festivités préparées, tout juste si l'on n'a pas mis la clef des salles de fête sous une pierre à côté de la porte, parfois l'on a même oublié de mettre le chauffage en marche... Remarquez que souvent il vaut mieux être seul que mal accompagné, le Père Noël qui offre des cadeaux de plastique aux enfants en parlant du bon dieu chrétien devrait plutôt être attaché au poteau de torture, mais vous savez dans la vie faute de merle l'on a la merde, et l'on avale les couleuvres toute crues...

Adultes nostalgiques qui faute de mieux devant les voies sans issues du présent essaient sans trop y croire de revenir sur les herbages sacrés du passé, enfants entre deux mondes, l'un qui n'est plus et l'autre qui n'est pas pour eux, seuls les poneys indomptables sont restés fidèles à eux-mêmes, vous mangent dans la main dès que les tambours de guerre battent en sourdine... modernité, désillusion et déshérence, le visage d'un gamin s'illumine et un homme à la prestance de chef de guerre passe silencieux parmi les siens... les feux du retour ne s'éteignent jamais tout à fait dans le cœur des vaincus.

Tant qu'il y a de la mort, il y a de l'espoir.

Damie Chad.