28/03/2018
KR'TNT 367: MARK LANEGAN / HUDSON MAKER / VINCE ROGERS / THE RIDE
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 367
A ROCKLIT PRODUCTION
29 / 03 / 2018
MARK LANEGAN / HUDSON MAKER / VINCE ROGERS / THE RIDE |
TEXTE + PHOTOS SUR :
http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
Lanegan à tous les coups - Part One
Même si vous traînez la nuit dans des cimetières, vous ne croiserez jamais un être aussi délicieusement macabre que Mark Lanegan. Dans les westerns les plus trash, comme ceux de Sam Peckinpah, vous ne croiserez jamais un être aussi puissamment tragique que Mark Lanegan. Le désespoir et la désolation qu’il exprime à travers ses chansons relèvent d’un autre univers, celui des contes macabres d’Edgar Allan Poe, ou pire encore, des contes immoraux de Pétrus Borel. Mark Lanegan n’appartient pas au petit monde de la pop amazonée des phacochères aux yeux humides d’incompétence, non, ce personnage tient à la fois du loup-garou, du mountain man et du poète maudit. Son monde est celui des esprits et son odeur celle de la terre humide des tombes fraîchement creusées. Il n’en finit plus d’alimenter sa mythologie, il chante comme s’il creusait sa propre tombe, en quête d’une grandeur qui ne ressemble pas à celle qu’on imagine habituellement. L’univers de Lanegan se situe dans les profondeurs dignes de celles dessinées jadis par Piranese, celle de ces interminables enchevêtrements de caves et de soubassements qui décrivent mieux que ne le feront jamais les mots l’horreur de la nature humaine. Lanegan chante le péché originel, il chante la rédemption impossible, il chante la chute de l’ange, il transforme toute sa compassion luciférienne en démesure artistique. Il est l’un des artistes les plus intensément cruciaux des temps modernes. Et ce depuis le temps béni des Screaming Trees, c’est-à-dire depuis trente ans.
Chaque fois qu’on le revoit sur scène, que ce soit avec le Mark Lanegan Band, avec Isobel Campbell ou encore Greg Dulli dans les Twilight Singers, la magie opère. Ce n’est pas un hasard si le Café de la Danse affiche complet, ce soir de novembre dernier. Il arrive en boitant sur scène. Il porte des lunettes de vue. Et dès qu’il pose l’emplâtre de «Death’s Head Tattoo», il installe son ambiance, il diffuse ce capiteux mélange de drame et de beauté. Quelque chose de très baudelairien émane de Lanegan, mais baudelairien au sens de la modernité, cette modernité dont Baudelaire se prévalait en son temps. Puisqu’on parlait de tombe, voilà justement qu’il attaque «Graveddiger’s Song» - Tout est noir mon amour/ Tout est blanc/ Je t’aime mon amour/ Comme j’aime la nuit - Oui, ce diable d’homme nous fait l’honneur de chanter en français. Puis il rocke le Café avec «Hit The City» tiré du vaillant Bubblegum. Pas de pire hellraiser que Lanegan. Quand il prend une ville, c’est pour la raser. Quand il prend une âme, c’est pour la dévorer - Il porte un joli nom, Saturne/ Mais c’est un dieu très inquiétant, nous disait Brassens. Saturne, c’est Lanegan. Il va aussi tirer de Bubblegum le très sexuel «Come To Me» et l’effarant «One Hundred Days» qui à force de beauté déchirée atteint à des horizons chimériques. Lanegan semble fonctionner par séquences, car il enchaîne quatre titres tirés de son dernier album, le sombrissime Gargoyle. Avec «Sister», il prouve bien qu’il est le seul à savoir twister sur des râles d’agonie. Il chante «Emperor» avec de faux accents de Bowie et lance «Nocturne» au heavy beat - That lonely drug is in my vein/ Blood stained - C’est encore une chanson d’amour, une rengaine de do you miss me, miss me darling et le diable sait si elle lui manque. Et puis il refait exploser les canons de la beauté glacée avec «Beehive», une powerhouse digne du temps des Screaming Trees - Honey just gets me stoned / Just gets me stoned - Lanegan nous entraîne comme un courant, impossible de résister à une telle ampleur. Puis il enchaîne une séquence de cuts tirés de Blues Funeral, l’album aux roses, qui doit être l’un de ses meilleurs recueils d’élégies, à commencer par l’infernal «Bleeding Muddy Water», une ode à la destruction qui se révèle fatale - Muddy water/ Drowning in the rain / Now the rain done come - Et je vous prie de croire que le rain done come tombe comme une sentence, et pire encore, comme un couperet. Il monte encore d’un cran dans l’édification des édifices avec «Harborview Hospital» - Oh sister of mercy / I’ve been down too far to say / And all around this place I was a sad disgrace - De le voir donner vie sur scène à ces chansons qu’on connaît par cœur rend l’instant vécu particulièrement précieux. Il enchaîne deux stormers implacables, «Ode To Sad Disco» et «Riot In My House», surtout Riot qui blaste les colonnes du temple - Chaos is blossomming/ Run and hide little mouse - et cette brute fait rimer amputation avec strangulation. Lanegan ne fait pas dans la dentelle. Il fait aussi rimer medication avec levitation. Il réclame plusieurs fois l’extinction des projecteurs de voûte, et quand au contraire le régisseur les allume tous, Lanegan le menace violemment. Devant tout le monde.
La discographie de Lanegan s’étend comme un empire, sur plusieurs périodes : celle des Screaming Trees qui dure dix ans (de 1986 à 1996), puis celle des albums solo qui chevauche la troisième période, celle des collaborations avec Greg Dulli, Isobel Campbell et d’autres gens. On trouve dans chacune d’elles de quoi nourrir un régiment. L’homme se veut prolixe, dense, profond et le plus souvent insondable. On en a pour son argent, croyez-le bien.
La période Screaming Trees valait largement le détour, car le groupe dégageait une forte odeur de mad psychedelia, certainement l’une des plus sauvages d’Amérique. Le mélange Lanegan-débutant/Gary Lee Conner parvint au terme de sept albums à se montrer explosif. Il fallut en effet six albums aux Trees pour accéder à Dust qui reste l’un des meilleurs albums de rock américain jamais enregistrés.
Leur premier album Claivoyance voit le jour en 1986 et ça kick-asse dès «Orange Airplane», avec la basse dévorante de Van Conner. Ses notes ravageuses vrillent littéralement la moelle de l’épinière. Quelle fabuleuse cavalcade ! Ach ! comme dirait le fantassin que vient de traverser un obus de mortier. Sur l’une des photos de pochette, Gary Lee Conner porte les cheveux décolorés et mi-longs : il ressemble à Jeffrey Lee Pierce. De Gary Lee à Jeffrey Lee, il n’y a qu’un pas, dit-on dans certaines régions du cerveau. Welcome in the Trees land, baby. Ils restent dans les dynamiques du diable avec «You Tell Me All These Things» et on ne s’en lasse pas. Le gros Conner commence à faire le con dans la cave. Les Trees sont déjà extrêmement puissants. Avec «Forever», ils passent à l’uptempo mal intentionné, soutenu par la basse pouet-pouet de Van Conner. Ces mecs n’en finissent plus de sur-jouer leur rock de cave, un rock fantastique car si déterminé. Lanegan envoie ses Forever voltiger dans les essaims et ça devient fascinant. Ignorer cet album serait une grosse erreur. «Seeing And Believing», c’est encore une bonne raison de suivre les Trees à la trace. Ça sonne comme un stomp de bricoleurs du dimanche, sauf que les bricoleurs ont du talent à revendre. D’ailleurs, ils virent poppy et Lanegan tente de se faire passer pour un gentil mec. Arf Arf, comme dirait le label australien. Et en B, ça revoltige de plus belle avec «I See Stars», eh oui, on voit trente-six chandelles, les Trees préfigurent toutes les figures, toute la mad psyché à venir, tout le bad mad doom de Dust, c’est un peu comme si tout s’embryonnait. Et dans «Lonely Girl», on voit le gros Conner cisailler la branche sur laquelle les Trees sont assis, oui le gros Conner tâte de la cocote de cisaille acide, la pire qui soit ici bas. «Turning» sonne comme un violent turn-over et le gros Conner ressort sa meilleure cocote, alors que font les Trees ? Ils s’envolent ! Ils apprennent à exister dans des paysages, mais il leur faudra plusieurs albums pour imposer leur génie psycho-psyché de psychout so far out. Ils bouclent cet album engageant avec le morceau titre joué à la pire heavyness de cave. On dirait presque un rock réservé aux hommes. Les Trees shakent leur shook de cave et expédient les choses ad patres avec une vélocité qui laisserait coi le con du coin. Et le gros Conner coule sur les ruines du rock un joli bronze psychédélique. Belle façon de créer un monde, n’est-ce pas ?
On l’a oublié, mais SST fut dans les années 80 le grand label underground sur lequel tous les groupes rêvaient d’atterrir. Lanegan et les frères Conner eurent cette chance et d’une certaine façon Even If And Especially When les fit entrer dans la légende. Dès «Transfiguration», on sent le souffle, comme dirait Claude Nougaro, le souffle du fast heavy rock a bit grungy et d’essence maladive, une sorte de 13th Floor poussé dans le dos, un incroyable brouet de mauvais blast. Voilà de quoi devenir acro. Ils sont venimeux comme la patoutou et bons comme le sable chaud du désert. Le gros Conner tape déjà des descentes aux enfers sur le manche de sa guitare et ce démon de Lanegan les rattrape au vol, rien qu’en chantant avec âpreté. Il faut voit ce cirque ! On a là un brouet qui ne traîne pas en chemin. Et le gros Conner n’en finit plus de fourrer sa dinde par derrière. Ach ! fait la dinde, tu me fais mal, mon amour ! Et ça continue avec l’infernal «Straight Out To Any Place», une sorte de garage punk dévasté de l’intérieur. On se croirait à la MJC d’Hérouville, c’est sans aucun espoir, les Trees jouent comme des dieux pour six lycéens boutonneux. Ah quel panache ! Ils percutent le firmament en pleine gueule et sanglé dans son blouson minable, Lanegan continue comme si de rien n’était, en parfait roukmoute aux mains tatouées. Baisé d’avance. Le pire dans cette histoire, c’est qu’ils démultiplient les exploits comme on le voit avec l’arrivée de «World Painted». Tout repose sur une sorte d’énergie du désespoir et les idées de son du gros Conner. Ce groupe est plein de germes, comme une bite pas lavée. Ça grouille, ça cloporte de mad psychedelia de MJC et ça pue le col en mouton. Le pauvre Lanegan chante comme il peut avec sa voix d’homme qui a mué trop tôt. Ça joue fabuleusement. Ils enchaînent avec un «Don’t Look Down» qui sent le brûlé. Quel fabuleux coup d’orientalisme à deux balles ! Le gros Conner se montre expert dans ce genre de subterfuge. Comme il n’existe pas de littérature sur les Trees, il faut se contenter de la musique. Et quelle musique ! Vivante et ultra-jouée. Tout le son est déjà là, en couches supersoniques et le gros Conner part sans prévenir dans des pointes de vrille. Il est un peu le Brian Jones des Trees, l’homme à idées. Ils jouent «Flying» au trépidant du tepid. C’est à la fois terrible, intéressant et dramatiquement original, d’autant que le gros Conner entre en transe ultraïque. Même chose dans «Cold Rain», le gros se fond dans la masse du lard avec un chef-d’œuvre de solo vrillard. Toutes les prémisses de Dust sont déjà là. On croit même entendre «Dying Days» ! On reste dans la puissance inexorable avec «Other Days And Different Planets». Les Trees n’en finissent plus de bâtir l’empire du rock psychédélique. Lanegan menait déjà sa barque vers le néant du rock, vers la fin des temps qui est l’aboutissement de toute chose sur terre. Mais il le fait avec un panache exemplaire. Peu de groupes ont su se lancer dans la gueule du loup avec autant de génie. Les Trees devaient savoir à l’époque que se trouvait parmi eux le meilleur chanteur américain. Ils finissent ce brillant album avec «In The Forest». Le gros Conner nous le claque d’entrée de jeu. Ils groovent leur garage avec des chœurs géniaux, on sent les moyens du bord - In the forest baby - Leur garage pue merveilleusement des pieds.
Tiens, encore une galette de Pont-Aven : Invisible Lantern, un SST des 1988, devant lequel on se prosterne jusqu’à terre, pour au moins quatre raisons, à commencer par «Ivy», pure énormité que vient challenger le gros Conner. C’est ultra sonné des cloches - Ivy on the wall - Et le gros part en vadrouille dans les strawberry fields forever de la fever noire, ah quel soudard épouvantable ! C’est bardé de son, psyché jusqu’à l’os et chanté à la force du poignet. L’amateur de psyché va se goinfrer de «Lines & Circles». Comme ce cut fume ! Ça frise la sorcellerie. Van Conner ramone sa cheminée, ses lignes de basse roulent comme des dragons sous la surface de la terre et le gros Conner envoie sa giclée de mad psyché tâcher le plafond. Et puis en B, ça repart de plus belle avec «Smokerings». On s’effare de la maturité de leur son. Chaque cut imprime sa marque. Si un groupe doit détenir le record d’effervescence de mad psyché, c’est bien les Trees. Ils sont même dans l’omniscience de la patapsyché et le gros Conner n’en finit plus de tartiner sa confiture et de wha-wahter dans sa choucroute, il reprend à son compte toute la sauvagerie du freakbeat britannique, telle qu’elle existe dans les solos de Bryn Hayworth ou de John Du Cann. Ça continue de mousser avec le morceau-titre. Ce chanteur phénoménal qu’est Lanegan plonge dans le son connerien, ça wha-whate à tous vents et Lanegan décrit sa réalité altérée - So I took my illumination into the street/ Just a flash of confusion when we meet - Il y a quelque d’irrémédiablement anglais dans leur attaque. Tiens, encore une énormité fatidique avec «Direction Of The Sun», pur classique garage, et le gros Conner entre dans le lard du cut avec la hargne d’un spadassin, mais un spadassin de Seattle. Ce gros lard est certainement l’un des plus grands guitaristes américains. Et l’album se termine avec «Night Comes Creeping», et on peut dire que ça reste excellent jusqu’à la dernière goutte de son. Ils précursent le cursif.
Le mini-album Other Worlds manque un peu de viande. Ils démarrent avec «Like I Said», une sorte de petite pop merdique qui à l’extrême limite pourrait rappeler le 13th Floor ou les Seeds. Ils sonnent comme des freluquets. On y entend même des pointes de vitesse. Ça sent la cave : l’écho du son est pourri. «Pictures In My Mind» sonne comme du garage de cul entre deux chaises. La pauvre Lanegan essaye de sauver les mauvais cuts et on entend même un mec jouer de l’orgue sur «The Turning». Le morceau titre va plus vers le garage, mais on passe à travers. Il faut attendre «Barriers» pour trouver un peu de viande. On les sent plus ramassés. Le gros Conner joue bien liquide alors ça redevient intéressant. Voilà d’où sort le potentiel : un son, une voix et un guitar-hero. Avec «Now Your Mind Is Next To Mine», on peut parler de garage d’arbre. Le gros Conner y voyage intensément et Lanegan survole tout ça, tel une chauve-souris à tête humaine. Fascinant !
On trouve un véritable coup de génie sur Buzz Factory : «When The Twain Shall Meet», amené à l’aune d’une énorme bassline de gras-double. Les Trees passent directement au maximum overdrive, le gros Conner fout la pression et Lanegan hante tout ça en filigrane avec une sorte d’abjecte abnégation. On croit entendre le rock des pendus de François Villon, l’ultime rock des délinquants du Pacific Northwest. Une merveille. Ce sont les effluves toxiques du meilleur never know which one stays, basse fuzz, gros Conner et démon Lanegan en glissade de which one stays. L’autre poids lourd de l’album s’appelle «Wish Bringer», pur jus de heavy rock, puissant et wha-whaté à outrance. Avec «Windows», ils retombent dans le power-rock privé d’avenir, ça pue la poste restante, ils vont vite, mais nulle part, même si le gros Conner s’épuise à jouer comme un cake. Il surjoue aussi «Black Sun Mornings». Il est en hyperventilation permanente de wha-wha. Lanegan gueule dans le néant de l’underground foutu d’avance. Quand le gros Conner repart en solo, plus personne n’écoute. Ils terminent avec «End Of The Universe», un vrai shake de Trees.
Retour aux choses très sérieuses avec Uncle Anesthesia. Ils viennent de signer sur Epic et dès «Beyond This Horizon», on voit trente-six chandelles. On sent qu’ils prennent du poil de la bête, la voix de Lanegan est plus posée et ça redevient vraiment très psychédélique. Ça prend même de l’ampleur, au sens vampirique du terme. Ils se dévergondent, comme si cela était encore possible. Nous voilà donc au cœur de la mad psychedelia, celle dont on rêve toutes les nuits. Ce cut dévale des pentes à toute blinde dans de grandes gerbes d’étincelles. Et ça repart de plus belle avec «Bed Of Roses». Lanegan se pose d’entrée de jeu et le groupe se montre terrifiant de présence cosmique. Ils se situent au très haut niveau, le niveau des inégalables. La voix porte si bien qu’elle enchante ce heavy balladif. Le géant Lanegan mène désormais le bal, le gros Conner lui livre les cuts clés en mains. Alors Lanegan shake le shook du morceau titre à coups d’awite et derrière, le gros Conner grouille littéralement de son. Ils tapent «Caught Between» au pire heavy groove qui se puisse imaginer ici bas. Lanegan entre dans la danse comme une étoile du Bolchoï chaussé de bottes de fantassin russe. Quel fantastique shoot de Trees ! Tous les germes de Dust sont là. C’est littéralement bardé d’accords et joué à outrance. «Lay Your Head Down» sonne plus pop, mais Lanegan ensorcelle. Il dispose de pouvoirs surnaturels. La grande âpreté de son timbre crée une ambiance unique au monde. Il colle aussi à la réalité du mythe Pacific Northwest avec «Something About Today». Il épouse les courbes de la psychedelia organisée, et le gros Conner monte tout ça en température à coups d’accords secs et nets. L’une de leurs spécialités est la plongée dans les abysses, et si on aime ça, alors il faut écouter «Alice Said». On sent bien que c’est le jeu favori de Lanegan, plonger dans les gouffres. Le gros Conner en crée les conditions à coups de tourbillons relentless et on assiste à une fin de cut séculaire, ils atteignent le paradigme du rock, de l’autre côté de l’univers. On ne se méfie pas de «Time For Light» et de son intro à la Led Zep acou. Ils basculent soudain en mode heavy sludge et Lanegan s’en vient exploser tous les contextes du cortex. De toute évidence, il n’existe rien de plus épais que cette purée. Avec «Ocean Of Confusion», ils passent tout simplement au déflagratoire. Lanegan chante comme s’il balançait de l’huile bouillante du haut des remparts. C’est joué au vertige pur.
Sweet Oblivion monte encore d’un cran dans l’excellence, d’autant que Don Flemming produit l’album. On retrouve leur effarante puissance dès «Shadow Of The Season». Toutes les puissances des ténèbres s’engouffrent dans la faille. Le gros Conner déverse des tonnes de psych-out et Lanegan lisse la surface de l’océan d’un simple revers de main. Il se dresse comme Neptune face à l’horizon alors que croise à ses pieds une monstrueuse bassline. Le hit de l’album s’appelle «Dollar Bill», un puissant balladif qui préfigure le Lanegan solo à venir. Cet homme incarne toute la mélancolie des loners de cabanes, les mountain men qui vivaient à la frontière et qui tuaient les ours pour se nourrir. S’il s’élève dans la mélodie, c’est à la dure, il est livré à lui-même, sans autre secours moral que celui d’une vieille bible - Goodbye mama -Et cette façon qu’il a de remonter son I’m gonna tell ya à contre-courant dans le groove - Torn like an old dollar bill - Fantastique descente aux enfers du paradis - Goodbye mama/ We’ve taken it too far - Rien qu’aussi puissant que ce «Dollar Bill». «Nearly Lost You» fume jusqu’au ciel, ça crache et ça tousse dans des remugles de basse. Ils renouent avec la tension maximaliste dans «Butterfly». Le «Winter Song» qui se niche en B vaut aussi le détour. Les Trees y cherchent un passage vers un nouveau monde. Ils sont puissants, gorgés de son. Ils enquillent le promontoire qui conduit à la meilleure pop du monde, in your heart. Avec ce hit à rebondissements, Lanegan mène bien la danse. On peut aussi se goinfrer de «Troubled Times», car voilà un fantastique battage d’accords, ces gens décollent comme des fusées en crachant la foudre. Voilà ce que sont les Trees, des diables bien profilés. Ils terminent ce bel album avec «Julie Paradise». Le gros Conner le plonge dans sa débauche habituelle, alors Lanegan n’a plus qu’à tailler et sabrer dans la densité, il chante à la pire niaque de l’Oregon et ça donne une invraisemblable dégelée de bersek balistique.
Et là, avec Dust, on entre dans la cour des grands, car il s’agit de l’un des plus beaux albums de rock de tous les temps. C’est du niveau de Blonde On Blonde, d’Hunky Dory ou encore du White Album, pour n’en citer que trois. Dès «Halo Of Flies», on est littéralement happé par une fantastique envolée psyché, une sorte de dream come true. C’est d’une puissance vitale qui dynamite toute idée préconçue. De soudaines envolées captent l’attention et quand Lanegan plonge dans le tourbillon, les frères Conner l’accompagnent. Le gros Conner joue du sitar de bonne franquette, comme Reggie Young au temps des Box Tops. C’est un modèle de mad psyché absolument définitif. Chaque fois qu’on réécoute cet album, on y découvre de nouvelles splendeurs, de nouveaux puits de lumière, de nouveaux ciels. On s’effare tout autant de cet «All I Know» joué au barrage d’accords contre le Pacific, et Lanegan monte sur ses grands chevaux de Tarquinia, c’est un rock d’une élégance invraisemblable. Lanegan sonne tellement anglais, il croasse son rock comme un vieux lord désabusé et rincé par les excès. Il vibre ses unissons dans une mélasse sonique qui relève de la magie blanche. Dès l’attaque de «Look At You», on sent le hit intemporel. Cette beautiful song fout des frissons partout - When I look at you/ I get a second chance - Impossible de résister à ça et le solo atteint des sommets aphrodisiaques. Et ça continue avec «Dying Days» - All those dying days/ I walk the ghost town/ Used to be my city - Puissances des ténèbres ! Et ce riff qui descend pour se fondre dans le génie vocal de Lanegan ! Il faut avoir vu ça dans sa vie au moins une fois. C’est atrocement bon - Can you ease my mind - Lanegan atteint au suprême, il chante comme un dieu de l’Olympe alors qu’autour de lui craquent des éclairs de génie psyché - All these dying days/ Aaaah yeahhh - S’ouvre alors un gouffre de vertige et avec Lanegan on cherche de l’air pour respirer. «Make My Mind» reste dans la veine du filon d’or et ce démon de Lanegan le reprend au pied levé, il chante ça au pire débotté qu’on puisse imaginer. Il reste encore une face à explorer. Cet album est une montagne, c’est sûr, car voilà «Sworn And Broken». Un solo d’orgue explose au paradis et Lanegan nous refout des frissons car il vibre son baryton jusqu’à la limite du supportable. Il chante ensuite «Witness» à la grande insistance et ils font du kashmir grungey avec «Dime Western». On est content quand ça s’arrête. Un album aussi bon n’a rien d’humain.
Puis le groupe s’est désintégré. Dommage. En 2011, le batteur Barrett Martin fit paraître ce qui devait être le dernier album des Trees, Last Words. Oh c’est sûr, on y trouve quelques belles énormités, mais ça n’est tout de même pas du niveau de Dust. «Black Rose Way» ravira les fans des Trees car c’est joué au riff mal intentionné. Voilà encore un cut terrifiant de présence et même spongieux. Ce gros Conner de pyromane joue avec le feu en permanence. Il semble ne s’intéresser qu’à la démence. Le son est en expansion. Tout aussi énorme, voici «Low Life». Imbattable car joué au psyché psycho puissant et bien développé, avec des guitares qui se chevauchent et ça vire rapidement à l’orgie de croisées. Ils sont tellement épais dans leur barn d’Oregon qu’ils en deviennent ganaches, c’est complètement bombardé du beat, le gros Conner pousse tout dans le corner. Encore une splendeur héroïque avec «Last Words», complètement écrasé de connerisation, ça coule de partout, voilà le son des Trees qui crient. Grands dieux, il pleut du sonic hell ! On trouve aussi du heavy sound à la pelle dans «Ash Gray Sunday», Lanegan y fond comme beurre en broche et le gros Conner joue le Grand Jeu de la mad psyché à la Daumal assurance. Les frères Conner chargent bien la barque de «Revelator», encore du très grand Trees car battu aux quatre vents. On a aussi un «Crawl Space» allumé d’avance. C’est d’une rare démence à cause de ce chanteur qui n’en finit plus de jeter ses mégots dans le sable pétrolifère de la mad psychedelia. Avec «Tomorrow Changes», Lanegan renoue avec quelques accents de «Sworn And Broken», il chante au divin des Appalaches et va chercher des accents inusités qui brillent dans la nuit comme des perles noires.
Toujours la même histoire, une bonne compile peut parfois rendre service et faire gagner de la place dans les étagères. Anthology. SST Years 1985-1989 passe en revue toute l’époque SST et c’est l’occasion rêvée de se refaire un petit shoot de «Transfiguration». On y retrouve le gros Conner qui fout le paquet. Et ce «Don’t Look Down» qu’on dirait joué par des sauvages ! C’est absolument terrifiant de présence trash et à l’époque, c’est le gros Conner qui mène le bal des vampires. On retombe aussi sur l’effarant «In The Forest» et le gros continue de faire le show dans «Other Days & Different Planets». On trouve ensuite quelques horreurs tirées d’Invisible Lantern. C’est là où la voix de Lanegan commence à se creuser. Le gros Conner bourre «Smokerings» de dégoulinades et Lanegan chante comme un guerrier apache. «Ivy» sonne comme une énormité infernale, une de plus. Tout ce qu’on aime dans le rock est chez les Trees. Ils sont certainement les maîtres de la mad psychedelia. En tous les cas, ils sont bien meilleurs que les autres à ce petit jeu. «Subtle Poison» sort de Buzz Factory et le gros Conner cherche à l’éclairer, mais on l’a vu, Buzz n’est pas leur meilleur album, même si des cuts comme «Windows» et «Black Sun Morning» bouillonnent d’énergie, surtout Black Sun que le gros Conner joue à la mésaventure de la Mesa du Cheval Mort. Quelle leçon de maximum overdrive ! Et puis bien sûr on retrouve en fin de compile ce coup de génie intitulé «Where The Twain Shall Meet», idéal avec un mec comme Lanegan derrière le micro. Et cet enfoiré de gros Conner joue tout son truc sous le boisseau. Arrghhh, comme dirait le sergent Speer, à l’instant même où une flèche lui traverse l’épaule.
Au rayon des collaborations, les trois albums que Lanegan enregistra avec Isobel Campbell valent autant le détour que ceux de Lee Hazlewood & Nancy Sinatra. C’est même aussi bon que tout ce que Gainsbarre enregistra jadis avec Jane. Le premier album du duo s’appelle Ballad Of The Broken Seas. Il date de 2006. «Black Montain» provoque un certain trouble car Isobel Campbell s’approprie sans doute inconsciemment la mélodie de «Scarborough Fair». Ce sont des choses qui arrivent. Le hit de l’album s’appelle «Honey Child What Can I Do». C’est là que ce joue le destin de l’album. Ça sent si bon le Brill, on assiste à une véritable élévation, elle avec sa voix lumineuse, lui avec son pesant d’or. Ah comme ils sont déments ! C’est orchestré comme au temps du Brill avec des guitares qui descendent du gratte-ciel et des nappes de violons rattrapées au vol par la voix d’ange d’Isobel. Il est évident que Lanegan frissonne de bonheur en chantant ça. Il vit dans l’instant le génie du Brill tel que décrit par Michel Butor. Par contre, le morceau titre sonne comme une vielle rengaine de taverne. Même chose avec «Rambling Man» : Lanegan adore ces vieilles ambiances qui puent le hareng fumé au tonneau. Isobel propose de la belle pop de Belle avec «Saturday’s Gone». Elle veille bien à son petit grain d’Ouest. Elle chante si divinement. C’est à Lanegan que revient l’honneur de refermer la marche avec «The Circus Is Leaving Town». Il se transforme pour l’occasion en Zampano alors qu’au loin aboient les chiens errants.
Deux ans plus tard paraît Sunday At Devil Dirt, un album attendu comme le messie. Lanegan et Isobel nous font ce qu’on appelle un joli duo d’enfer avec «Who Built The Road». C’est un enchantement. Elle ramène tout son attirail d’ingénue libertine dans la brise tiède des violons et ça donne une magnifique ambiance à la Gainsbarre - Dark and within the everlasting fire - C’est la pop du paradis. Nouveau coup de génie avec «Come On Over (Turn Me On)». C’est joué à la meilleure pop et orchestré à la diable. On sent nettement les vieux restes de Belle & Sebastian. C’est même digne des grandes heures de Phil Spector et des mélodistes en titre du Brill - Tell me baby / Tell me pretty lies - C’est attaqué à deux voix et ça reste chaud et profond. L’orchestration embarque tout, comme chez Gainsbarre, et ça bascule dans d’insondables abîmes de pureté évangélique - Is it any wonder how we lay awake all night - Et un certain Jim McCulloch part en solo, alors les choses rebasculent dans l’outrance de la prestance - Like a blind man driving at the wheel / Like a hound dog scratching out a meal - Lanegan ramène toute la beauté de sa violence. Pendant que défile «Something To Believe» et son mocking bird, on regarde les photos d’Isobel dans le livret et on s’exclame : «Diable comme elle est belle !» Et tout rebascule une fois encore dans le génie avec «Trouble». C’est chanté à deux voix comme dans un rêve. Lanegan et Isobel constituent l’une des meilleures combinaisons possibles - Down the line I will remind you / Listen how I love you - On croit entendre les accords de «Walk On The Wild Side», c’est dire si c’est bon. L’album fut curieusement réédité avec cinq bonus, et bien sûr, il n’est pas question de rater ça, surtout le «Rambling Rose Clinging Wine» que chante Lanegan sur fond de coups d’acou. C’est admirable de dépouillement - Don’t fret forever darling / Ain’t worth it - Puis Isobel chante «Hang On» comme une sainte. Elle finit par sonner comme une petite dévergondée. C’est tout simplement sublime - With you I stand on solid ground - On ne saura jamais si c’est un message destiné à Lanegan.
On retrouve encore un sacré clin d’œil au Brill sur Hawk paru en 2010 : il s’agit bien sûr de «Time Of The Season». On a des violons et du Hazlewood dans l’air doux. Lanegan et Isobel ne chantent pas, ils murmurent - And pair me with the circus clown/ At this time of the season - Le morceau titre est un instro tellement foutraque qu’il semble sortir tout croit de chez Cosimo. Ils chantent encore «Eyes Of Green» à deux voix et chaque fois, c’est une réussite. Lanegan ne rate pas l’occasion de glisser un petit blues funéraire avec «You Won’t Let Me Down Again». Quatre guitaristes l’accompagnent. Puis avec «Snake Song» joué à l’acou et au stomp, Lanegan revient à l’une de ses obsessions : moderniser le blues funeral. Il faut aussi l’entendre swinguer «Get Behind Me» à la vie à la mort. C’est incroyablement solide. Et puis avant de refermer cette page d’histoire, on notera que «To Hell & Back Again» sonne comme du Hope Sandoval. Même son, même voile de mystère.
Quand Isobel Campbell et Mark Lanegan ont commencé à se produire ensemble, la presse s’est vite emparée du phénomène. On voyait des « La belle et la Bête » un peu partout, mais l’analogie n’était pas très heureuse, puisque Mark Lanegan n’a rien d’un Jean Marais, et Isobel Campbell rien d’une Josette Day. L’ambiance rouge de leur concert de 2008 au Trabendo n’avait pas non plus de lien avec la lumière si particulière d’Henri Alekan. On se trouvait aux antipodes du monde de Cocteau. Les comparaisons hâtives sont monnaie courante dans le microcosme de la critique musicale et les tâcherons souffrent le plus souvent d’une embarrassante carence culturelle.
C’est vrai que le couple présentait un aspect magique, mais ils le devaient essentiellement à leurs pedigrees respectifs. Isobel avait participé à l’envol de Belle & Sebastian et Mark Lanegan avait déjà atteint le statut de légende vivante. Lanegan est sans doute le pire démon de l’histoire du rock. Les prêtres le craignent. Ils redoutent surtout son petit regard jaune, souvent posé de biais.
Ils donnaient ce concert au Trabendo pour promouvoir Sunday At Devil Dirt. Ils formaient un couple très particulier. Mark Lanegan restait comme à son habitude arrimé à son pied de micro et mal éclairé, mais on savait que c’était voulu.
Isobel Campbell semblait coupée en deux : très jolie blonde en haut et gros problème de poids en bas. Un cul de femme obèse. Pour aggraver les choses, elle portait un pantalon noir très moulant. C’était le seul défaut esthétique du spectacle, mais il était de nature à tout compromettre. Il y avait même quelque chose de choquant dans cette disgrâce : si on en revenait à l’analogie cocteauïque, elle pouvait inverser les rôles. Ils firent comme si de rien n’était. Isobel chantait d’une voix sucrée et très pop, Lanegan d’une voix très gave et très mélodique, et l’union des deux créait des ambiances de toute beauté capables de bouleverser les sens. Ce qui ne manqua pas de se produire.
L’autre très grand chapitre participatif de l’œuvre de Lanegan, c’est le duo qu’il constitua en 2008 avec Greg Dulli, les Gutter Twins, pour enregistrer Saturnalia.
Lors du concert parisien des Gutter Twins en février 2008, j’eus clairement l’impression d’assister à un show extra-ordinaire. Greg Dulli et Mark Lanegan semblaient recréer l’illusion des dieux antiques. Plongés dans une fournaise de lumière rouge et littéralement effervescents, ils déversaient sur un public complètement fasciné des hymnes élégiaques, et cela avec une sorte de grâce fatale qui n’en finissait plus de les rapprocher du divin.
L’éléphantesque Greg Dulli et le fantomatique Mark Lanegan constituaient à l’époque une équipe de rêve. Les seuls auxquels on pouvait les comparer étaient les Righteous Brothers. Physiquement, Greg Dulli pourrait faire penser à Apollinaire, mais sans la bonhomie, car il émane du personnage et de ses récits une certaine violence. Il avoue avoir frôlé la mort à plusieurs reprises. Il se souvient d’avoir quitté un bar une hache à la main, avec le crâne ouvert comme une noix. 56 points de suture. Il ventripote allègrement et il ne porte que du noir, mais pas du petit noir à la mormoille. Greg Dulli est homme à s’habiller chez un tailleur. Depuis l’époque des Afghan Whigs, il a doublé de volume. On voit bien qu’il mène la grande vie : jolis poules, cigares et alcools chers. Il mange certainement comme dix et fume à la chaîne. Le voir fumer sur scène dans un pays où il est interdit de fumer en dit assez long sur son tempérament de fucker génial. Il faut le voir sur scène. Il y déplace énormément d’air. Il bouge constamment et fait parfois des pas de danse disco. Il plaque sur sa grosse Gibson noire de sacrées bordées d’accords. C’est un entertainer de premier ordre et un sacré cabochard. Il s’assoit parfois au piano pour placer des compos riches en teneur minérale. Greg Dulli est un songwriter complet, ample, épique au sens de Brel, et extrêmement envahissant. C’est un conquistadore de l’impossible, un fracasseur d’étoiles filantes. Les albums qu’il enregistre avec les Twilight Singers sont tout bêtement d’inépuisables mines d’or mélodique. Certains morceaux des Gutter Twins montent en drone, sur des atmosphères lourdement chargées d’orientalisme pervers.
Ils jouèrent aussi ce soir-là les douze titres de Saturnalia, album fatidique. On y trouve «God’s Children», un morceau traversé par un véritable vent de folie. Ils vont croiser leurs voix au chat perché et c’est repris au mitoyen de l’unisson des géants. Voilà bien ce qu’il faut appeler une terrifiante merveille. Peu de gens savent croiser les chants d’une manière aussi fascinante. Avec «All Misery/Flowers», on retrouve toute la noire mélancolie de Lanegan. Il pose sa voix sur un beat à l’agonie - Oh Lord ! Oh Lord ! - Ce cut pue la mort. On retrouve son génie vocal dans «Idle Hands», un cut dégingandé de chien de piste. On assiste une fois de plus à une fantastique élévation, car voilà un cut hanté par les envols de guitare, puissants et si drus. C’est à s’en démettre de ses fonctions. Le timbre coloré de Lanegan donne à ce cut toute sa valeur aurifère. C’est un nouveau chef-d’œuvre interprétatif, un de plus. Lanegan pétrifie le rock dans des environnements de guitares extraordinaire. Comme Mick Farren, il sait sublimer ses chansons par le son. Encore une admirable prestation avec «We Will Lead Us». Il chante comme s’il agonisait à l’issue de la bataille de Gettysburg. Il est stupéfiant d’angélisme mortifère. Greg Dulli a beaucoup de chance de côtoyer un mec comme Lanegan. Dulli revient à ses chères embrouilles sentimentales avec «I Was In Love With You» et trouve facilement le chemin des ampleurs catégoriques.
Il reste à explorer le troisième volet du Lanegan world, le volet solo, certainement le plus vaste et le plus déshérité des trois. Il fait l’objet d’un Lanegan Part Two.
Signé : Cazengler, Lanegland
Mark Lanegan. Café de la Danse. Paris XIe. 25 novembre 2017
Screaming Trees. Clairvoyance. Velvetone Records 1986
Screaming Trees. Even If And Especially When. SST Records 1987
Screaming Trees. Invisible Lantern. SST Records 1988
Screaming Trees. Other Worlds. SST Records 1988
Screaming Trees. Buzz Factory. SST Records 1989
Screaming Trees. Uncle Anesthesia. Epic 1991
Screaming Trees. Sweet Oblivion. Epic 1992
Screaming Trees. Dust. Epic 1996
Screaming Trees. Last Words. The Final Recordings. Sunyata Records 2011
Screaming Trees. Anthology. SST Years 1985-1989. SST Records 1991
Isobel Campbell & Mark Lanegan. Ballad Of The Broken Seas. V2 2006
Isobel Campbell & Mark Lanegan. Sunday At Devil Dirt. V2 2008
Isobel Campbell & Mark Lanegan. Hawk. V2 2010
Gutter Twins. Saturnalia. Sub Pop 2008
TROYES / 24 – 03 – 2018
3 B
HUDSON MAKER
Vite, my pony, my riffle and my 3 B, suis en manque, plus d'un mois que je n'ai pas mis les pieds au 3 B, nécessité urgente de ma dose de rockabilly et d'amitié, la teuf-teuf dévore les kilomètres à la manière d'un xénarthre vermilingua myrmécophage – un fourmilier pour ceux qui ne sont pas naturalistes – qui se goinfre d'apocritas holometabolas acuelatas neopteras si vous voyez ce que je veux dire. Pas le temps de vous expliquer, Fabien est à la console et les Huson Maker sont déjà sur scène.
HUDSON MAKER
Pas un de plus, pas un de moins. Trois. Vu l'ampleur sonore qu'ils dégagent cela suffit amplement. N'ai jamais compris comment l'on être un faiseur d'Hudson, mais pour le rockabilly, sont des spécialistes. Avec un son très particulier qui n'appartient qu'à eux. Sur sa batterie Franky vous envoie sa camelote ( premier choix ) franchement. Diapason haut. Si vous êtes devant, vous ne pouvez pas rester insensible à cette abondante mixture. Franky l'est un partisan du mouvement. Vous répand la mayonnaise en giclée continue. Devant une telle avalanche ou vous vous faites tout petit et vous disparaissez à jamais ou vous rajoutez vos grains de sel. Faut tout de même qu'ils soient gros comme des menhirs. Cela tombe bien, Alban en a toute une collection dont il ne sait que faire, vous les sort des cartons et vous les aligne par centaines sur deux files. Le genre de gars à qui il ne faut pas trop en promettre, s'occupe de tout, l'est partout, en cuisine derrière le gril, en salle à servir la purée. Spécialiste du riff tranchant, pas le tomahawk qui vous assomme bêtement et qui vous estourbit si fort que vous n'entendez plus rien, non l'est un adepte du tranchant aiguisé, s'enfonce en vous de la tête au sexe, vous sépare en deux, puis il amincit les deux moitiés encore en deux, traitement de faveur, vous pouvez appréhender, en fait c'est incompréhensiblement revigorant, l'assistance se lance dans des danses des scalps de lindy hop endiablés, mais ce n'est pas tout. Alban n'est pas bien grand, sous sa barbichette, sa casquette et ses grosses lunettes, possède une seconde arme pour les combats rapprochés. Une rapière meurtrière, un rasoir démoniaque, une voix-laser qui vous découpe en tranches. Une lanière de fouet avec ce soupçon d'accent traînant pur-Appalache qui fait toute la différence. L'est comme Franky, doit avoir le rapide pour Yuma à prendre, pas du genre à parlementer, tirent d'abord et ne prennent même pas le temps de compter les morts. Le problème c'est que le troisième tueur est du même acabit. S'appelle Tof, l'a l'étoffe des grands. Cul de contrebasse à gros fessier, hanches marquées rehaussée d'un bustier affriolant, tient sa compagne très haut comme s'il lui serrait le cou. Peux vous affirmer que la gerce ne se permet aucune désobéissance. Ronronne comme un hélicoptère de combat, avec sa taille de géant et ses slaps de commando Tof n'a aucune pitié, du coup sous les coups elle chante comme si sa vie en dépendait, y met toute sa voix, ce n'est même plus les cordes qui claquent c'est le bois qui vibre de toutes ses fibres. L'a de l'énergie à revendre Tof, alors tout en continuant à faire subir un vibro-massage des plus éprouvant à sa big mama, il prête main-forte à Alban, se charge des chœurs, indispensables pour la rythmique rockab, z'avez l'impression d'enclumes d'une précision inouïe qui volètent parmi vous sans même vous effleurer, mais ce n'est pas tout, l'a encore une spécialité, le scream, un truc effroyable, vous voici transportés sur le Titanic au moment où l'iceberg s'en vient fracasser la coque, en plus il est sympa Tof, au cas où vous n'auriez pas entendu vous le refait rien que pour vous, version Andromède nue, ligotée sur son rocher, alors que le kraken lui épile à vif le sexe d'un coup de langue, toujours ce cri de terreur résonnera dans votre tête. Si vous croyez en avoir terminé avec Tof, ce n'est pas fini. Ses copains ne lui octroient qu'un seul morceau. C'est dommage mais compréhensible. Il est strictement interdit de laisser les fauves en liberté. Tof ne chante pas. Il ouraganise, il démantibulalise, rawckabilly puissance mille, jamais entendu un truck si jouissif, un bulldozer qui passe sur la maison de votre ennemi. Qui arrache les plaques de béton et lui écrase dix-sept fois la tête à coup de godets. Et vous criez, encore, encore !!!
Attention, j'ai peur de me faire mal comprendre. A me lire vous allez les prendre pour de sombres brutes sans foi ni loi. Ce serait un tort. Beaucoup de finesse. Excursionnent dans le rockabilly avec la doigté de l'entomologiste qui fait le relevé des espèces rares, savent aussi ce que c'est que le bluegrass – Alban profite de l'occasion pour faire sonner sa guitare comme un banjo - et toutes les nuances du country, je n'ai pas dit qu'ils vous égrenaient des balades sentimentales à vous faire pleurer dans votre mouchoir, ce n'est pas le genre de la maison, ils ont le crocodile mais pas les larmes, font plutôt dans les chevauchées d'outlaws et les descentes de rapides, vous ne vous ennuyez jamais avec eux, que ce soit sur les reprises des classiques ou sur leurs propres morceaux, ils veillent particulièrement à la finition de la construction, z'ont un style et un doigté qui n'appartiennent qu'à eux, certes les titres déboulent avec la soudaineté des grandes glaciations néolithiques, mais dedans c'est agencé au millimètre, c'est du réfléchi, du pensé, du pesé, le brut de décoffrage mais servi avec la pureté inventive des lignes dans le détail de l'ameublement. Livraisons expéditives mais avec soins scrupuleux. Hudson Maker, le plaisir du rocker !
Encore une chaude soirée au 3 B ! Merci Béatrice Berlot !
Damie Chad
*
Ouvrir chaque matin sa boite à lettres est la dernière aventure qui puise arriver à l'homme moderne. Que sera-ce aujourd'hui ? L'enveloppe rose parfumée d'une admiratrice en manque de tendresses, une lettre d'excuse du percepteur me signalant que pour les services rendus à la Nation par mon blogue KR'TNT ! je suis exempté à vie de toute imposition ? Voyons voir, je tire doucement le couvercle, glisse un œil et pousse un rugissement de colère à effrayer tous les lions de Tanzanie. Il y a tout de même des gens qui ne se gênent pas, si je tiens le mec qui a garé son hydravion dans ma boîte à surprises, va y avoir de la chair fraîche sur les murs. Un truc qui pèse au minimum deux tonnes et demi, à y regarder à deux fois ça ressemble plutôt à un engin explosif déposé par les services secrets, soyons circonspect, inspectons cet étrange objet aux flancs légèrement bombés, peut-être un de ces cercueils que la Maffia sicilienne envoie en guise d'avertissement à ses futures victimes, hum ! hum ! Prudence est la mère de la sécurité, j'ouvre précautionneusement la grosse enveloppe rembourrée de papier kraft et me saisit de l'objet que j'extrais doucement de sa gangue protectrice... Je ne m'y attendais pas, je suis désolé pour tous les chercheurs du trésor de Rennes-le-Château, le Graal est là, entre mes mains, si vous ne me croyez pas, vous n'avez qu'à lire l'étiquette :
THE REAL ROCKIN' MOVE PROJECT
UN FILM
DE
VINCE ROGERS
La mine d'or de l'allemand perdu enfin trouvée. Sur ce coup j'ai devancé Blueberry, just call me Damie Chad, Babe, trente ans que tout le monde en cherche un exemplaire, et l'est là modestement posé sur ma table. Ça ressemble à un canon de DCA livré en pièces détachées par IKEA, même pas besoin d'une notice de montage tout juste la nécessité d'un ordinateur et éventuellement d'une paire de lunettes pour les myopes Je suis bon prince, vais vous décrire toutes les pièces une par une, ne me remerciez pas, c'est pour votre édification morale.
NEW ROCKIN' IN NICE N° 2
30 Ans de Rock sur la Côte
Un petit mot tout d'abord sur Vince Rogers. Facile à présenter, un activiste rock'n'roll. Ce n'est pas de sa faute, tombé tout jeunot dans la marmite, ne s'est jamais remis de la morsure de l'Alligator. Les docteurs disent qu'il n'existe pas d'antidote et que le poison circule en toute liberté dans vos veines jusqu'à votre mort. Et que même après... mais ceci est une autre histoire. En plus n'a pas eu de chance, le bouillon véhiculait un autre virus, celui du cinéma, pas le septième art, la pire des souches, celles des séries qui commencent après la lettre Z, les innommables, les cradingues resplendissantes, celles dont la bienséance se détourne en se bouchant le nez. Demoiselles méfiez-vous si Vince Rogers vous invite chez lui, ses estampes japonaises ce sont les couvertures de fort mauvais goût des romans policiers et d'horreur des années cinquante, ne dites pas que je ne vous avais pas averties. Evidemment possède un dernier vice Vince, dont il ne se cache même pas, l'écriture. D'ailleurs ce New Rockin' In Nice n'est autre que la réédition d'une infâme brochure parue en l'an de disgrâce 1987. Récidiviste trente ans après. On ne peut pas vraiment lui reprocher de manquer de constance dans le funeste entêtement rock'n'rollien.
Sans en avoir lu la moindre ligne vous aimez déjà. Un fanzine comme l'on n'en fait plus. Encre juteuse, photos si noires qu'elles retrouvent la splendeur des bois d'un Félix Valloton, slappé à la machine à écrire. Maquette drumée comme un solo de sax. Pas tout à fait les Riches Heures du Duc de Berry, plutôt Nice, baie des devils' in disguise.
Normal, Vince Rogers l'est de Nice – arrêtez de criailler les filles, voici son adresse – DERRY SCIARRA / 7 Place Garibaldi / 06 300 Nice – en plus s'il vous refuse vous refile un lot de consolation, pour 38 Euros vous emportez une réplique de la big box.
Je ne m'étends pas – vous comprendrez pourquoi en poursuivant votre lecture - sur le contenu de l'opuscule pourtant à vous faire péter les opercules, l'histoire du rock'n'roll à Nice, entendons-nous sur le vocabulaire, le premier rock'n'roll, celui que Vince Rogers surnomme the real rock'n'roll, n'a duré que trop peu de temps, de la toute fin des années cinquante au surgeon des années soixante, raconte l'histoire, les débuts fabuleux d'innocence autour du premier Festival Rock de Juan-Les-Pins, qui révéla Vince Taylor, un profond traumatisme une secousse sismique, qui précipita le prurit rock sur la Côte d'Azur et hâta l'émergence d'un mouvement rock sur la région de Nice. Pour les contemporains ce ne ne fut qu'un feu de paille mais une explosion atomique pour toute une génération. Le showbiz se dépêcha de poser les barrières anti-radiations, communément appelés les Yé-Yé, mais la contamination n'en continua pas moins de pervertir certains esprits. Toutefois question rock entre 1968 et 1977 le rock azurien perd sa belle couleur, Vince Rogers reste totalement réfractaire au rock planant et progressif... Le real réveil arrivera avec les Punks et leur retour à un rock primaire et batailleur, qui se conjuguant avec la mode revival suscita le sursaut rockabilly des années 80... Vince Roger cite un peu trop rapidement les Bachwards, les Sherry Ice, les Boppers, les Jumpin' Cadors, les Blue Suede Shoes, les Ducky Boys... tous éclos dans la zone niçoise...
A tout seigneur tout honneur, Dick Rivers et les Chats Sauvages ont leur parcours et leur discographie traités beaucoup plus longuement, mais ils ne sont pas les seuls, Vince Rogers détaille aussi la carrière des Loups Garous, contemporains des premiers efforts d'Hervé Forneri ( aka Dick Rivers ), qui se firent doubler en quelque sorte par les Chats Sauvages... rappelle aussi les origines niçoises : de Claude Ciari guitariste des Champions qui fit carrière au Japon, José Salcy – nous retiendrons son J'en Parlerai à mon Cheval – les Fingers groupe musical à la Shadows, tout amateur de rock se doit de posséder Special Blue-Jean dans sa discothèque, de Mark Robson et Le Poing ( avec Jojo Dumoutier qui druma derrière Gene Vincent et Maxime Scmitt dont parmi les futurs hauts-faits de gloire nous recommandons la lecture de la BD Vince Taylor N'existe Pas ) et enfin the last but not the least, Vince Rogers himself.
Bref un document de 80 pages, un collector indispensable, écrit par un témoin et un propagandiste de l'époque. Un véritable stalker qui nous guide sur les chemins interdits des zones irradiées.
Nous passons rapidement sur les formats A5 couleur – notamment le magnifique poster VINCE ROGERS and THE BLACK VAMPIRES, et la série de photos sur les Studios de la Victorine – le temps d'apprendre que si le fils est devenu rockeur, le père était cascadeur – car nous n'en sommes qu'au tout début du REAL ROCKIN'MOVE PROJECT reste encore les quarante-huit séquences du film réparties sur trois DVD à visionner.
DVD 1
FROM NICE TO ATTIGNAT :
En route sur mythique la nationale 7, photographies, scènes filmées et séquences INA s'entremêlent, nous n'allons pas à Paris mais à Attignat, bourgade de l'Aisne qui serait restée dans l'anonymat le plus complet s'il ne s'y déroulait pas depuis une trentaine d'années le festival de rockabilly le plus important de France. Ne soyez pas pressés l'on se balade au rythme chaloupé du blues, l'on visite le musée des vieux tacots, l'on a droit à Charles Trenet interprétant son hymne légendaire à la gloire de la fameuse artère des vacances au soleil, l'on traverse les vieux goudrons de la vieille France d'antan et provinciale, déclassés par les rubans autoroutiers, la caméra s'attarde sur le passé révolu, si loin et si près pour reprendre le titre de Dick Rivers, à croire que l'on court sur les sentiers d'une jeunesse perdue. Pompes à essence rétro-sixties, Amérique phantasmée, la nuit tombe sur un sax langoureux, le matin se réveille aux congas, fantômes de baigneuses bikini et garages en déshérence fermés à tout jamais. Carcasses de vieilles voitures, tous les êtres vivants vous manquent, l'on n'attend plus que l'impossible résurrection. La voici au bout de la route, l'affiche jaune annonçant le Festival Good Rockin' To-night d'Attignat. Si le passé ne peut pas venir à toi, c'est toi qui iras à sa rencontre.
Rock Aroud the Clock pour réveiller les ombres, les fameux mobil-homes d'Attignat et les hommes mobiles qui se pressent sous le marabout des marchands du temple du rock. Plans fixes sur des two-tones shoes et de minuscules extraits de shows, Vince Rogers ne recopie pas, fait apparaître un peuple de zombies rassemblés en une étrange nuit du Walpurgis. Robes à motifs et mollets tatoués. Dehors au soleil, carrosseries américaines rutilantes, gros bonbons de toutes les couleurs chouchoutés, cela suffit-il pour que le passé renaisse de ses cendres ?
THE FRENCH RIVIERA IN THE GOLDEN FIFTIES
ANDD THE EARLY SIXTIES
Ouverture en bande-annonce hitchcockienne avec Gary Grant et Grace Kelly au générique, action on the french Rieviera, sure ! Très logiquement sur la Croisette de Canne apparaissent starlettes de cartes postales aux seins dénudés. It was a good time ! Film appâts à touristes américains, photos en blanc et noir, colorées, et en couleurs de Juan-Les-Pins, en toile de fond l'orchestre typique de Bob Azzam ( pas de quoi se défenestrer de plaisir ), attention sous la variétoche de pacotille se profile le twist du générique du gendarme de Saint-Tropez, l'ultime – Vince a pitié de nous, glisse quelques photos de Brigitte Bardot - pente à gravir avant le ROCK !
Documents télé avec la grande parade de la Coupe du Rock de Juan-les-Pins, le temps d'apercevoir dans ( ou sur ) leur décapotables Danny Boy et ses Pénitents, Les Chaussettes Noires, Les Chats Sauvages, et quelques bout de séquence live de Rocky Volcano, d'Hallyday ( matez l'inénarrable batteur jazz derrière ) qui vous conseille de laisser tomber les filles et Dick Rivers ( ses Wild Matous au profil beaucoup plus rock ) et enfin Jenny Rock, si vous ne la connaissez pas, ne regrettez rien.
Pochettes de disques et extraits de morceaux, les Loups Garous, z'ont le bon son, celui des Chaussettes Noires et le chanteur qui fait sa grosse voix à la Eddy Mitchell de l'époque, Les Champions qui accompagnèrent Gene Vincent, Claude Ciari à la guitare mais l'on préfèrera celles plus bourdonnantes des Milords qui ronflent presque à la Link Wray, dommage qu'ils y mêlent ces passages par trop sucrés destinés à capter les oreilles du grand public, les Monégasques réussissent mieux à imiter le vol psychotique du moustique... Tous ces quarante-cinq tours de groupes à guitares des early sixties sont à réécouter, trop souvent dédaignés de nos jours.
Saut dans le temps et la qualité, Chuck Berry est sur scène, taisez-vous et écoutez. Dieu le père est devant vous, les anges maudits du rockabilly ne tarderont pas à suivre. Les Jumpin'Cadors trio à pertinente dégaine, le son encore près des groupes soixante mais un chant au phrasé plus authentiquement américain, les Sherry Ice davantage au point mais qui oublient un peu trop le poing de la hargne.
Dick Rivers et sa baie des Anges, pas vraiment ce qu'il a fait de mieux, les Daisy Ducks groupe féminin qui vous interprètent une version d'Hoochie Coochie Man qui ne renforcera pas vos convictions féministes, heureusement que le frangin Willy Eckert et les Nighthawks sont là pour relever le niveau familial. Un bon blues rock qui secoue dans le sens du vent. La séquence se termine avec les Playboys grimés en black faces qui effectuent le chemin inverse délaissent le blues électrique pour se tourner vers un mélange de rag-time-hillbilly des plus originaux. Et l'on se retrouve au début des années 2000 avec les Swamp cats trio rockabilly, caisse claire, slappin' contrebasse, guitare bien électrique, ainsi se termine ce voyage dans le rock niçois qui résume assez bien quarante ans de real rock français.
CINE A NICE ET SUR LA CÔTE
ACTEURS ET CASCADEURS
Je passe plus rapidement. Je ne suis pas un grand amateur de cinéma. M'attarde juste sur le personnage d'Eddie Constantine qui fut un peu le James Dean ( moins de fureur, davantage de bonne humeur ) du rock français. Acteur et chanteur à l'humour qui inspira beaucoup un certain Eddy Mitchell qui lui doit beaucoup. Son hit Cigarettes Whisky et P'tites Pépées avait un esprit beaucoup plus rock que les pitreries de Boris Vian...
Une belle séquence dédiée à Laurent Sciarra le père de Vince, pour tous ceux qui aiment les cascades et les voitures tamponneuses avec Gil-Delamarre et Jean Marais. Emotions et tôles froissées garanties.
DVD 2
LES FIGURES EMBLEMATIQUES DU ROCK / DU CINé
DU VINTAGE / DE LA CÔTE
VINCE ROGERS
Vince Rogers le chanteur. Toute une carrière. Vince Rogers and The Losers, Vince Rogers and The Rebels. Vince Rogers Rockin' around the Cave, Vince Rogers Real Rockin' Rock, Hommage à Vince Taylor, Vince Rogers présente New Rockin' in Nice, Vince Rogers of the Haunted Train, Définitivement Real Rock Vince Rogers, Vince Rogers and The Squeletons, Frankeistein Be Bop, Vince Rogers and The Black Vampires, Gene Vincent the Legend, MP3 and Video-Stations, Wild rock Fifties and Wild Rockabilly, succession de photos et flyers d'annonces de concerts, de clips, esthétique post-apocalyptique, tous aussi beaux que des poèmes graphiques, la forme qu'aurait dû donner Arthur Rimbaud aux textes d'Une Saison en Enfer. Je ne vous recommande pas la bande-son, Vince est au micro, vous auriez peur, du lourd, du poison, du visqueux, de la vidange de lavabo, tout ce que les Cramps n'ont jamais osé faire, ce que devait psamoldier Sreamin' Jay Hawkins dans son cercueil, de l'infra Race with the Devil de Gene Vincent, du ugly comme écrivait Edgar Poe pour caractériser la Chute de la Maison Usher.
Une version live de Twenty Flight Rock transgressée en trente septième étage avec mal aux pieds assuré. Batterie lourde, Vince prêt à bouffer le cromi, humour de croque-mort au bord de la tombe, rythmique qui sautille allègrement comme un squelette dans les allées du cimetière, une version à ne pas en croire vos oreilles peu habituée à la musique des catacombes.
Rockabilly King, pas d'images filmées cette fois-ci, juste des photos d'un noir épais et de gris blafard, encore plus flippantes, directement chanté depuis le fond d'un égout, une guitare rayon de soleil et une voix qui s'obstine à ne pas sortir des Enfers comme l'Eurydice perdue d'Orphée. La bête grogne au fond de son terrier. Je vous en prie n'allez pas la voir, vous n'en reviendriez pas. Un grand moment de rock'n'roll. Peu compatible avec ce qui existe en ce bas-monde.
Teddy Boys Boggie. Vince ne porte pas de drape-jacket, n'empêche que vous êtes dans de beaux draps. Toujours cette voix de mort qui be-boppe très grave, à vous faire grignoter les pissenlits par la racine et vous régaler des vers de terre... suivi d'un salmigondis d'extraits du répertoire de Vince Rogers, jetez les deux oreilles sur la french version déjantée de Johnny Be Goode, belles images en papier calque des musicos qui assurent, plus loin l'on sent des relents de Johnny et d'Eddy dans la voix, Vince est un amoureux de rock français, c'est bien ces extraits, mais aussi très frustrant, l'on aurait préféré un récital entier. Un jalon important du french rock'n'roll.
Autres facettes de Vince, les bouquins. Sa revue Rockin' In Nice, les couvertures défilent, beaucoup consacrées au cinéma, films d'horreur de préférence, fantastique aussi, des sommaires laissent entrevoir des richesses insoupçonnées de Monsieur Tout le Monde et des curiosités déviantes. Un fanzine fabuleux, du mauvais genre, tout douteux-goûteux, que les enfants lisent en cachette. Juste pour y apprendre la vie. Et ses débordements.
Tiens ce n'est pas Vince Rogers. Enlevez vos mains, petits saligauds, c'est Miss Domi, la copine à Vince. Connaît le prix de l'or Mister Rogers, la montre un peu mais pas trop. Par contre question objets, l'a le goût foireux ( mon préféré ), vous entraîne sur son stand de brocante brock'n'roll, le genre d'endroit où vous jurez de ne pas même y jeter un coup d'œil et vous restez deux heures à admirer, je vous recommande la poupée de collection à vingt euros pour votre belle-mère...
CINEMA AVEC ERIC ESCOFFIER
Un ami de Vince aussi frappé que lui, un spécialiste des films Vampire et Loup-Garou du cinéma anglais, des affiches qui se fichent dans votre cerveau et qui refusent d'en sortir, âmes sensibles s'abstenir. Des visages de filles si hallucinés de terreur que jamais vous n'en embrasserez une autre de tout le restant de votre vie, des couleurs à vous arracher les yeux, la belle voix grave de Vince qui s'y connaît autant que qu'Eric Escoffier, trouve la juste formule : un art baroque.
FANTAXTIQUE BD
Séquence BD avec Fantax l'invincible... premier super-héros à la française ( presque un Frantax ), qui après-guerre eut un immense succès populaire et du coup fut inquiété par les autorités pour sa violence...
Deux trop courtes séquences finale, l'une sur Stephan Cannas et son rêve customisé américain, l'autre sur Miss Dey and the Residents, de Nice bien sûr, qui chante dans le style female Rock fifty... z'auraient nécessité un peu plus d'explications.
DVD 3
LES FIGURES EMBLEMATIQUES DU ROCK / DU CINé
DU VINTAGE / DE LA CÔTE
Revue des personnages qui ont contribué, à leur manière, à la poursuite de l'inaccessible rêve du Real Rockin Roll de Vince Rogers... Ce troisième DVD est à regarder comme les pièces d'un puzzle en vrac dans une boîte mais dont l'assemblage donne un réel aperçu des différentes passions qui peuvent habiter l'esprit des rockers.
Le restau-musée de Luca dédié à Elvis dans la bonne ville de Menton, présentation de Matty - doit avoir cinq ans en costume blanc qui imite Presley - me méfie toujours un peu de ces enfants qui sont les clones des rêves de leurs parents... Phill Rizza interprétant une version peu originale de Blue Suede Shoes, vues éparses du festival Drap'n'Rock organisé par Philippe Teboul, extraits similaires d'une réunion du Rockin'Club de Patrick Mambo, Christelle Di Lorenzo beau brin de pin-up, quelques pas de danse, visite de Crazy Rhythm la dernière boutique vinyl-rock de Nice, présentation hommagiale de Ritchie, Teddy Boy de toujours, sur fond d'Alabama Motorcycle et Club Harley, Chris Rebel affine et confirme sa banane de Teddy Boy, explique son passage rock fifties ( Gene Vincent, Vince Taylor ) au Teddy boy rhythm de Crazy Cavan dont Vince importa les premiers disques à Nice, belles carrosseries et film poursuite de voiture vintage réalisé par Vince, images floues et flashantes, danse avec la mort et la lumière des phares dans la nuit, Franck remonte son buggy vintage, le recrée à partir de rien... à ce qu'il paraît le dieu de la bible en aurait fait autant pour l'univers, mais on n'est pas obligé de le croire, Frank si. Images à l'appui. Idem pour Vince Rogers qui dans les deux dernières minutes se présente en train de monter son chef d'œuvre que vous achevez de visionner.
Paul Valéry a laissé dans ses papiers un précieux tapuscrit intitulé Manuscrit trouvé dans une cervelle. Vince Rogers nous fait le même coup, nous fait cadeau du Film trouvé dans la cervelle d'un rocker. Evidemment si vous n'êtes pas un adepte du real rock'n'roll, vous risquez d'être décontenancé. Rassurez-vous cette splendide magic big-box n'a pas été conçue pour vous. Only to the Happy few. The real rockin' thing !
Damie Chad.
Pour las amateurs : dépêchez-vous, tirage en cours d'épuisement !
THE RIDE
STEPHANIE GILLARD
( 2018 )
Ce n'est pas un western ou alors très terne, un documentaire, une longue chevauchée de quatre cent cinquante kilomètres au travers du Dakota pour commémorer le massacre de Wounded Knee du 29 décembre 1890. Qui marqua la fin des guerres indiennes... Attention dès les premières images la mythologie en prend un sacré coup, nos indiens, accoutrés comme nous, dans leurs gros 4 / 4 ressemblent étrangement aux cowboys modernes d'aujourd'hui. Vaudrait mieux en rester là et ne pas s'aventurer plus loin. Dès que l'œil s'accroche aux détails la sordide réalité vous saute à la gorge. La misère.
Le synopsis du film est très simple : suivre une trentaine de gamins sur leurs poneys qui vont refaire le trajet effectué par les Lakotas qui s'enfuient à pieds de la réserve dans laquelle Sitting Bull vient d'être assassiné pour rejoindre les chefs Big Foot et Red Cloud... Le septième de Cavalerie les rattrapera à quelques dizaines de kilomètres de leur but, et une fois désarmés, en abattra à la mitrailleuse trois cent cinquante, femmes et enfant compris... aujourd'hui les bonnes âmes qualifieraient cela de crime de guerre...
Mais aujourd'hui en fait tout le monde s'en fout. Un film glaçant. Pas parce qu'il se déroule en plein hiver de neige et de vent dans des paysages d'herbe jaune désertique, par la réalité qu'il montre. Les indiens n'ont pas seulement perdu la guerre, ils y ont laissé leur âme. L'est sûr qu'un bon indien est un indien mort, d'ailleurs dans le film ils sont tous morts. N'en reste plus. A part un petit groupe d'adultes qui organisent la cavalcade annuelle, sont à la recherche de leur fierté, essaient de transmettre l'héritage ancestral à la nouvelle génération. Des gamins, pas beaux du tout, pour beaucoup bouffis de mal-bouffe, engoncés dans la chape de plomb de leur acculturation. Certains regards s'allument devant les portraits de Sitting Bull et de Red Cloud mais d'autres s'embrument de larmes lorsque la console ne marche plus. Des pauvres sans avenir et sans passé. Sont à l'image de leurs accompagnateurs, qui tentent de s'accrocher à leur rêve de grande nation. Les plus vieux ont fait le Vietnam, les plus jeunes l'Afghanistan... Terrible partition intérieure que ceux qui n'ont d'autres solutions économiques que de servir dans l'armée qui a anéanti leur peuple...
Ne sont pas sur le sentier de la guerre, ni sur les chemins d'une renaissance spirituelle, juste sur la dernière piste de la survie. Terrible solitude, à chaque étape l'accueil est des plus maigrelets, point de festivités préparées, tout juste si l'on n'a pas mis la clef des salles de fête sous une pierre à côté de la porte, parfois l'on a même oublié de mettre le chauffage en marche... Remarquez que souvent il vaut mieux être seul que mal accompagné, le Père Noël qui offre des cadeaux de plastique aux enfants en parlant du bon dieu chrétien devrait plutôt être attaché au poteau de torture, mais vous savez dans la vie faute de merle l'on a la merde, et l'on avale les couleuvres toute crues...
Adultes nostalgiques qui faute de mieux devant les voies sans issues du présent essaient sans trop y croire de revenir sur les herbages sacrés du passé, enfants entre deux mondes, l'un qui n'est plus et l'autre qui n'est pas pour eux, seuls les poneys indomptables sont restés fidèles à eux-mêmes, vous mangent dans la main dès que les tambours de guerre battent en sourdine... modernité, désillusion et déshérence, le visage d'un gamin s'illumine et un homme à la prestance de chef de guerre passe silencieux parmi les siens... les feux du retour ne s'éteignent jamais tout à fait dans le cœur des vaincus.
Tant qu'il y a de la mort, il y a de l'espoir.
Damie Chad.
09:19 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mark lanegan, hudson maker, vince roger, the ride