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25/05/2016

KR'TNT ! ¤ 283 : MORLOCKS / CHAOS E. T. SEXUAL / COWARDS / CULT OF OCCULT / LONG CHRIS & JOHNNY HALLYDAY

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 283

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

26 / 05 / 2016

 

MORLOCKS / CHAOS E.T. SEXUAL

COWARDS / CULT OF OCCULT

LONG CHRIS & JOHNNY HALLYDAY


BOURGES / 06 – 05 - 2016
WILD AND CRAZY COSMIC TRIP FESTIVAL
MORLOCKS

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MORLOCKS NESS

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Pour son vingtième anniversaire, le Cosmic de Bourges s’est fendu d’une belle affiche : King Kahn & BBQ, Thee Legendary Shack Shakers, les Morlocks pour le premier soir, les Jackets, les Monsters, Heavy Trash et les Kaisers se deuxième soir. Une affiche de rêve. Même si on a déjà vu tous ces géants plusieurs fois, on apprécie de les revoir dans les meilleures des conditions. L’ambiance du Cosmic est bonne. On s’y rend pour faire la fête.

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En plein milieu de soirée voilà qu’arrive sur scène l’immense Leighton Koizumi, pur produit des sixties à l’Américaine, une vraie dégaine de sex god à la Jim Morrisson, très haut, massif, crinière noir de jais sur les épaules, gilet de cuir, chemise à motifs, jean moulant et boots en bananes. Eh oui, ça nous change des groupes de MJC.

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Ils sont cinq sur scène dont deux mecs des Gee-Strings, le batteur et le guitariste. Sur scène, Leighton Koizumi bouffe tout, comme dans ses meilleurs disques, il chante au gras et screame au gras, c’est l’un des grands barbares du garage, l’un de ceux qu’on n’aimerait pas rencontrer au coin du bois, au moyen-âge. Il ne sourit jamais et ne semble même pas connecté au public. Il a des absences. Il aligne une belle série de classiques, «My Friend The Bird», «Body Not Your Soul», «Easy Action», une reprise excitante de «Teenage Head». Il chante d’ailleurs «My Friend The Bird» avec de faux airs de Lizard King. Leighton Koizumi est certainement le dernier bastion de revival garage californien des années 80.

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Ses disques indiquent assez clairement le niveau de son purisme. Il complète ce bel aspect avec une dégaine de monstre sacré. Comme Iggy, Lux et quelques autres, il suffit de le voir sur scène pour comprendre qu’il est né pour ça. Il dégage un vrai parfum de légende. Et dans la grande salle du Cosmic, ça danse et ça ovationne. Tous les garagistes de France et de Navarre sont venus célébrer le culte des Morlocks. Son groupe a trente ans d’âge, mais on ne sent aucun signe de ralentissement. Leighton nous rabâche ses vieux hits de juke avec une foi inébranlable et met hors d’état de nuire tous ceux qui prédisent la fin du rock. Comme Lemmy, il ira sans doute jusqu’au bout et il remplira des salles pour donner de nouvelles fêtes païennes. C’est vraiment tout ce qu’on lui souhaiter.

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Les Morlocks sortent de la scène de San Diego, au Sud de Los Angeles. Au commencement, il y avait les Gravedigger V, hébergés par un certain Greg Shaw sur son label Voxx. Sans la présence d’esprit de Greg Shaw, les Gravedigger V seraient passés à la trappe du Père Ubu, comme des milliers et des milliers d’autres groupuscules garage qui en ces temps reculés pullulaient aux États-Unis.

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Leur seul album paru en 1984, «All Black And Hairy» mérite de figurer en bonne place dans toute collection de disques digne de ce nom. Car en matière de garage cra-cra, c’est un chef-d’œuvre.
La face A réserve quelques bonnes petites surprises, comme par exemple «No Good Woman» que chante Leighton - Yeah I’m tolkin’ tu yuuu !! - Il chante vraiment comme la pire des sales petites frappes, une vraie saloperie gluante et mauvaise, ah, quelle horreur ! On entend des guitares fantômes au fond du studio, et pour être tout à fait franc, ça sonne bien les cloches. L’autre abomination de cette face A, c’est «She’s A Cur». Encore un cut absolument dégoûtant de saleté garage ! Ce mec est si repoussant qu’il donne envie de gerber. Mais tout cela n’est rien à côté de la face B. C’est un coup à tomber dans les pommes, tellement le garage y est repoussant, puant, collant, enfin, comme il doit être quand il est bien frais. Si on considère qu’un cut garage repoussant peut atteindre au génie, alors il faut écouter «Searching». C’est du son maudit, malveillant, l’un des plus violents de l’histoire de l’humanité. Ça stompe avec mauvaiseté et ce vil coquin de Japonais dépasse les bornes de la délinquance. Mais ça ne s’arrête pas là, car avec «She’s Gone», il revient déverser tout son fiel et sa hargne de psychopathe. On pense aux Seeds, mais en mille fois plus dégradé mentalement. Encore une horreur avec «Don’t Tread On Me», tartiné à la pire fuzz et au tambourin rouillé, un vrai dégueulis de yeahhh et de chœurs à la vieille ramasse. Ah quel spectacle, les amis ! Il faut avoir le cœur bien accroché ! Il reste encore un truc à écouter si on a le courage : «She Got», une immonde saleté qui part dans tous les sens à cause de ses échappées de guitares et on retrouve cette manie qu’ils ont de vouloir pulser l’organique, comme les Seeds. Franchement, beeerk !

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Les méfaits du groupe ne devaient pas s’arrêter là. Un deuxième album parut un peu plus tard, une sorte de compilation intitulée «The Mirror Cracked». En face A se trouvaient les chutes de studio du premier album et de l’autre côté, on tombait sur un enregistrement live. Les chutes de studio se trouvaient bien entendu dans la lignée de ce qu’on avait entendu sur le premier album, dont un «Be A Caveman» qui donnait le frisson. Leighton se prenait pour Jim Sohns des Shadows Of Knight, c’est dire si ! Avec «It’s Spooky», ils passaient au heavy groove déviant et traîné par les cheveux dans une cave humide et sans lumière. Quelle ambiance ! Ces gens battaient tous les records de mauvaise conduite. Côté live, on retrouvait le fameux «Searching» du premier album joué quasiment sur les trois accords de Gloria. Ils terminaient avec un «Tomorrow Is Yesterday» joué sec et serré, bien puant comme on l’imagine et typique une fois encore des Seeds.

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On passe aux Morlocks avec «Emerge» qui reste considéré par les Pairs de France comme un classique du garage-rock intemporel. C’est vrai que ce brave disque regorge d’insanités, à commencer par «Project Blue» qui se planque comme une sale bestiole dans l’ombre humide de la face B. Leighton nous l’arrose de dégueulis de scream. Voilà encore un cut incroyablement malsain, distordu, atroce, mauvais, décharné. Si on craint les maladies, il vaut mieux éviter de s’en approcher. Le cut qui ouvre le bal de la face A relève du même problème bactériologique. Avec «By My Side», on soupçonne les Morlocks d’avoir atteint le stade ultime du garage, le stade du non-retour. Comme l’ont fait les Chrome Cranks. Les Morlocks bravent tous les interdits. Scream Dracula scream ! Ils attaquent pourtant avec un beat à la Gloria, mais ils jettent toute leur fuzz pourrie dans la balance et ça tourne à l’orgie inflammatoire. Leighton se prend pour l’héritier de Van Morrison dans «In The Cellar». Il a raison, car sa gouaille l’emporte. Il se dégage encore de ce cut une bonne odeur de bas-fonds, un mélange capiteux d’odeurs de bière, de tabac froid et de pisse. Encore du rampant granuleux avec «24 Hours Every Day», tartiné de fuzz et de tortillades de solos bancales, presque velvetien tellement le mauvais esprit rôde. Notons au passage qu’ils sont sur le fameux label Midnight qui est aussi le label des Fuzztones, des Zantees et des Outta Place. En B, ils se prendraient bien pour les Stones avec «It Don’t Talk Much». Leighton s’y révèle le grand spécialiste mondial du wouaaaahhhh ! Mais pour une fois, le groupe joue un beat souple et racé, ce qui ne leur ressemble pas. Quant à l’«One Way Ticket» qui referme la marche, on penserait plutôt aux Stooges, tant le poids du pounding prévaut. En purs prévaricateurs, les Morlocks s’attaquent à la civilisation.

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Qu’on se rassure, malgré sa pochette immonde, le «Submerged Alive» paru en 1987 n’est pas très bon. On n’y risque pas grand chose. Leighton semblait vouloir faire des efforts pour paraître civilisé, si bien qu’un cut comme «She’s My Fix» sonne comme le «Green Onions» de Booker T & the MG’s. C’est exactement le même riff. Alors là bravo ! Avec «Black Box», ils nous font une grosse mélasse de garage à la saucisse, alors on en bouffe, ça dégouline de fuzz. On les sent préoccupés de grooves lysergiques, sans idée de cap précis. Ils reviennent en terre de connaissance avec une version bien sonnée du «Leavin’ Home». De l’autre côté, Leighton recoiffe sa couronne de roi du wouahhhhh dans «Body Not Your Soul» et avec «Two Wheels Go», ils développent un son assez gluant, d’autant que le guitariste joue au long. Alors ça dégénère en un horrible psyché verdâtre d’inspiration maladive, tout ce qu’on aime. Ils finissent avec un «Empty» tendu au pur binaire. Non, les Morlocks ne sont pas des loques. Ils tiennent bien la rampe. Ils sont gras comme des frites de fête foraine et nous gavent de solos de lousdé lardé de dégueulis d’Angola.

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«Uglier Than You’ll Ever Be» est un live enregistré à San Francisco en 1985. Cette horrible petite fiotte japonaise de Leighton nous met tout de suite le museau dans le garage le plus gras avec «I Need You». Il fait bien ses wouahhhh et le solo s’envenime comme il faut. Même chose avec l’atroce «You Mistreat Me» des Outsiders. Ils continuent de bombarder les cervelles avec une version explosive de «Leavin’ Here». Ils ne reconnaissent aucune loi. Il faut ensuite attendre «Ourside Looking In» pour retrouver ce qui nous intéresse, c’est-à-dire le gros rave sixties à la Seeds, entêté et revendicateur, fantastique et hurlé à la hurlette. On frise l’apothéose de l’épitome de tome de chèvre. Quelle classe intrinsèque et quelle force dans le sec du causse ! Ils attaquent «The K» au violent garage de crocodile vengeur. C’est dur et vénéneux, bien rampant sous le tapis, une vraie horreur de garage joué à la vie à la mort. On est au cœur du problème et ça pleut de partout, ça solote dans la fournaise de la maison Fournaise sur l’île de Chatou. On a plus loin un «Cry In The Night» noyé de guitares. Ah le travail ! Ces mecs-là ne respectent rien. Ils déversent une sorte de purée épouvantablement scintillante, le chant est couvert. Avec «By My Side», ils reviennent au pur jus de garage, ils visent une sorte d’intemporalité des choses. Admirable car l’échappée est belle.
En 1997, Leighton disparut des écrans radar pendant dix ans. On le disait mort. En fait, il s’était trouvé mêlé à une sale histoire de dope et il se prit dix grosses années de placard dans la barbe. Il sortit enragé, remonta une nouvelle équipe de Morlocks et se remit en route pour de nouvelles aventures.
Il serait certainement arrivé la même chose à Jim Morrison s’il avait été jugé à Miami : les grosses années de placard lui pendaient au nez. L’injustice et le rock délinquant ont toujours fait bon ménage.

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C’est sur «Easy Listening For The Underachiever» paru en 2006 qu’on trouve l’incroyable reprise de «Teenage Head». Avec celle de Sean Tyla et des Ducks DeLuxe, c’est la version la plus digne du grand Roy. Ils l’explosent et la feutrent dans le couloir de la menace. Ils régénèrent l’un des mythes les plus sales de l’histoire du rock. L’autre grande surprise de cet album est une chanson intitulée «My Friend The Bird». On sort du cadre garage et on va sur quelque chose de plus ambitieux, de beaucoup plus entreprenant - My friend the bird never to return - On y renifle des relents de Sister Morphine et la chanson envoûte, indiciblement. Dans «Sex Panther», on trouve le riffage des Troggs et le parfum des caves humides avec des chœurs à la Dolls. Alors ça réchauffe le cœur. Il y coule aussi une admirable dégueulade de solo. Voilà ce qu’il faut bien appeler un chef-d’œuvre de binarisme bien tempéré. On reste dans l’extrême violence garage avec «You Burn Me Out», pulsé par une bassline redoutable, et farci d’incursions de gimmicks mortels. Leighton se met à screamer pour de vrai, histoire d’introduire un solo à l’orientale malaisé. Wow, ça hurle dans la fumée de la bouillabaisse ! Sixties Sound à l’état pur pour «Cat (On A Hot Thin Groove)», car oui, ça scie à l’Anglaise et les Kray Twins viennent trucider le long break à coups de rafales de solo. On croirait entendre les Animals avec les Stooges, ça trogglodyte dans la dynamite, ça coupe quand il ne faut pas, ça patauge dans la purée de fuzz, maillots rayés, maracas, la sauce habituelle, l’étincelle dans la sainte-barbe et on attend une nouvelle preuve de l’existence de l’Apocryphe, Saint-Joseph, protégez-nous ! Garagiquement parlant, il ne manque rien. Comme d’ailleurs dans tous les disques des Morlocks. N’oublions pas que dans Morlocks, il y a mort, loque, morve et more, tout l’attirail de la mythologie garage.

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«Play Chess» est un disque touchant. En tous les cas, ça partait d’une bonne intention : rendre hommage au label Chess. Leighton s’en tire plutôt bien lorsqu’il tape dans «I’m A Man», mais ça reste tout de même en dessous de la version des Pretty Things avec Eddie Phillips. On l’attend au virage pour «Help Me». Saura-t-il rivaliser de démesure avec Alvin Lee et le Colonel J.D. Wilkes ? Non ! Il ne hurle même pas. La bonne surprise, c’est «Smokestack Lightning» de Wolf, car il s’en va hurler à la lune et ça lui réussit plutôt bien. Mais tout le monde n’est pas Cézanne/ Nous nous conterons de peu/ L’on pleure et l’on rit comme on peut/ Dans cet univers de tisane. Ils font une version de «Who Do You Love» à la Quicksilver tellement chargée de reverb que ça ne fonctionne pas. Le seul gros cut de ce disque raté se trouve de l’autre côté : une belle reprise de «Sitting On Top Of The World» traitée au garage sale. C’est l’un des faits les plus marquants de l’ère des Morlocks. Notons pour conclure qu’à chaque fois qu’ils tapent dans Chuck - trois fois - ils se vautrent comme des andouilles.


Signé : Cazengler, loque tout court


Morlocks. Wild And Crazy Cosmic Trip Festival. Bourges. 6 mai 2016

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Gravedigger V. All Black And Hairy. Voxx Records 1984
Gravedigger V. The Mirror Cracked. Voxx Records 1987
Morlocks. Emerge. Midnight Records 1985
Morlocks. Submerged Alive. Epitaph 1987
Morlocks. Uglier Than You’ll Ever Be. Voxx Records 1997
Morlocks. Easy Listening For The Underachiever. Olde Hat Records 2006
Morlocks. Play Chess. Fargo Records 2010

*

Me faisais une joie de mon week-end. De superbes concerts un peu partout dans un rayon de cent kilomètres. Que de bons groupes ! Pour vendredi soir, c'était réglé comme du papier à musique. La petite Yuki m'avait donné rendez-vous. Je déteste faire attendre les demoiselles. Petit bémol, je n'étais pas le seul à recevoir l'invitation, l'était adressée à tous les fans de Klaustrophobia. Et ils sont nombreux. Aux dix-huit Marches à Moissy-Cramayel, avec trois autres combos et une surprise en plus. Grosse note de tristesse, c'était le dernier concert des Klaustro, une des meilleures formation métal-rock de la région. L'arrive souvent que les chemins divergent à l'intérieur d'un jeune groupe, c'est la vie, c'est le rock, mais ils jurent de continuer leur combat rock, je promets que nous garderons un œil sur la suite de leurs aventures.
C'est vendredi après-midi à seize heures douze minutes précises que l'alligator s'est jeté sur moi, sans prévenir. Je tousse, je mouche, je m'étouffe, je morve, je pleure des yeux, je monte en fièvre, mes forces m'abandonnent, mes jambes flageolent, la mort dans l'âme, la vie éteinte dans mon corps, je me couche à huit heures... les dieux du rock and roll m'ont abandonné. Le problème c'est que le samedi soir, l'amélioration n'est guère prometteuse. Moi qui avais projeté de voir les Cactus Candies à Gometz – Le - Châtel. Je déclare forfait. Trop loin, trop faible.
Maintenant ne faut pas me lancer des défis idiots. Tiens, il y a une soirée trois groupes à Roissy-en-Brie, pas très loin de la maison, en ligne droite, des inconnus certes, mais quelle est cette mention attentatoire à l'orgueil de tout rocker qui se respecte : notre attention est attirée sur le fait que ce soir les groupes joueront particulièrement fort ? Et puis quoi encore, confondrait-on les passionnés de métal électrique avec les amateurs distingués de la musique de chambre ?
La teuf-teuf se montrera compatissante, quand ma vue décroche de la réalité objective du monde, au lieu de se perdre dans les images oniriques qui me traversent le cerveau sans préavis, elle reste stoïque les quatre pneus plantés dans le bitume. Je peux la remercier.
Un jeune couple prend ses billets devant moi. Sont gentiment prévenus, on leur propose et refile un sachet de protection auditive, des bouchons plastiques à s'enfiler dans les oreilles. On aura tout vu, des préservatifs pour les esgourdes, je ricane dans mon coin. Ce fachisme rampant à visage humain m'ulcère. D'un côté l'on se préoccupe de prévenir le moindre de vos bobos et de l'autre l'on vous envoie les gardes-mobiles pour vous faire accepter à coups de tonfa dans la gueule des lois iniques qui vous enjoignent d'accepter une régression sociale digne du dix-neuvième siècle. De toutes les manières avec ma trogne de grand malade, l'on doit penser que mes heures sont comptées, et l'on me laisse affronter le Godzilla sonore promis, les tympans à découvert.

ROISSY-EN-BRIE / 21 – 05 - 2016
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COWARDS / CULT OF OCCULT
CHAOS E.T. SEXUAL

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Pas grand monde ce soir. Faut dire que question métal, a débuté à dix-huit heures à l'Empreinte de Savigny-Le-Temple, dans la série 22 h 22 / Concert Inter Lycées, une de ces mémorables soirées qui attirent toute la jeunesse du département avec Clouds On Fire et Fallen Eight... Et puis ici, c'est un peu particulier, c'est du sludge. Le genre de musique bourdonnante qui vous prend la tête et vous la fracasse méthodiquement à longs coups de marteaux pesants assénés avec force et lenteur.

CHAOS E. T. SEXUAL

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Petite déception, ne sont que trois sur scène. Pour l'apocalypse bruitique annoncée c'est un peu maigre. Et en effet le son restera dans des limites tout à fait supportables. Enfin presque. C'est du lourd, de l'entêtant, ça vous entoure le corps comme un boa constrictor et ça vous serre méthodiquement par à-coups, à peine si vous vous apercevez que la cadence du rythme s'accélère. Chaos : et vous pensez désordre, c'est une erreur, imaginez plutôt l'eidos platonicienne de l'obsession. Vous ont pris à la première seconde, ne vous lâcheront plus qu'à la fin. Au moment où vous ne l'espérez plus. Mais cela ne vous intéressera plus. Vous ont enlevé, vous êtes entraîné dans une sorte de vertige extra-terrestre horizontal d'un vaisseau spatial qui vous amène aux confins de l'univers. Attention pas d'extase sexuelle qui vous permettrait d'atteindre à une autre dimension. Une musique qui bande mais qui n'éjacule pas – comme l'on vous apprend dans les initiations tantriques. Ce qui explose se délite et perd de sa puissance. La puissance en acte est une retenue. Massue masturbatoire. Einstein nous l'a explicité, c'est le carré lumineux de la masse qui détient l'énergie.
A part que chez Chaos E. T. Sexual, la lumière n'existe pas. L'avenir est aussi sombre que le passé. Le set débute par la voix de Salvador Allende s'adressant au monde depuis la tribune de L'Organisation des Nations Unies. Une façon d'exposer le no future punk d'une manière un peu plus politique. Nous connaissons la fin sanglante de l'histoire. Le putsch de Pinochet. The dream is over. Ne reste que la noirceur du monde et de notre présent. Le sludge n'est pas une musique guillerette.

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Yves et Humbert sont à la guitare. Tirent des riffs épais comme les eaux boueuses du delta charriant des milliers de cadavres d'hommes et d'animaux emmêlés lors de la grande crue de 1927. Le Sludge est un bras mortuaire du blues. Le balancement régulier de la misère qui passe et repasse sans cesse. Tarik est au centre, debout, officie derrière sa console, boite à rythmes et croque morsure du rock. Lui aussi se laisse peu à peu entraîner dans le rythme assourdissant qu'il produit. Mais attention, au-delà du vacarme, il faut comprendre que notre oreille peut s'entrouvrir à d'autres rivages sonores inouïs. Se plient tous trois en avant, éperdus en une espèce de danse de sioux au Soleil inversée, il ne s'agit pas de ployer en arrière pour recevoir la lumière divine en pleine face mais de se courber vers le sol, comme pour indiquer que la profondeur de la terre est le dernier réceptacle humain. Le cul de basse force dans lequel tout périclite.
Chaos E. T. Sexual produit une musique qui vous guide vers la transe. Ni joyeuse, ni libératrice, vous tient dans l'éternel retour de son cercle infini. Pas répétitive car la cadence de la marche est toujours présente, toujours un pas en avant, toujours un rythme en avant, cette lourdeur installée sur les épaules qui vous oblige à avancer coûte que coûte, à continuer votre chemin intérieur tout droit, même si dans l'espace mental toute ligne droite finit par épouser la forme de la courbe fatidique.

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Devant les guitares s'allonge une ribambelle de fuzz et de pédales. Le son se doit d'être torturé si vous voulez qu'il corresponde à vos états d'âme. Et à l'état du monde extérieur qui ne va pas mieux que vous. Plus que de la musique, Chaos T. E. Sexual produit une vision. Noire, peuplée de cauchemars informes mais que vous identifiez sans problème car ils vous ressemblent tellement qu'ils sont vos portraits crachés. Miroirs suis-je si laid ? Oui mon fils de pute, le plus laid de tous les derniers des hommes. Est-il vraiment besoin d'ajouter quelque chose ? La guitare est abandonnée, elle gît comme un objet inutile, telle l'arme rouillée au pied du chevalier mort. Le guitariste est à terre, couché de tout son long, trifouille les fuzz comme si plus rien n'avait d'importance. Tarik a quitté sa table de commandement, bye-bye les témoins lumineux qui clignotent sans fin, le vaisseau amiral agonise dans les stériles paysages d'une planète perdue.
Plus personne sur scène, ne reste que le battement du coeur mort qui bat encore l'on ne sait pourquoi puisque toutes les fonctions vitales ont cessé d'émettre... Chaos E. T. Sexual, le groupe qui n'admet aucun survivant. Aucune survivance.
Silence triomphal. Grosse impression. Grande pression.



COWARDS


Pour des Cowards, je préfère vous prévenir ils n'ont peur de rien. Vous les retrouverez d'ailleurs sur la scène du Hellfest. Mais en attendant ils sont là, et bien là. Sludge certes, mais avec une bonne dose de rock and roll hardcore. Question lenteur, c'est mal barré. Pas de temps à perdre à vous serrer le cou pendant une heure pour que vous ayez le temps de vous sentir mourir tout doucement à petit feu. Ne sont pas cruels, du genre expéditif, trois gnons bien placés, c'est bon au suivant, vous pouvez visser le couvercle du cercueil. Pas de temps mort pour les morts. T. A. et A.L. sont à la guitare. G. T. à la basse, et C.L. à la batterie. Leurs noms et prénoms sont réduits à leurs initiales, jeunes gens pressés. Peut-être aussi le signe d'une éthique anti-rock and roll stars.

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C.L. est tout au fond coincé entre deux murs de baffles. Difficile de l'apercevoir. Est-ce pour cela qu'avec son micro J. H. se tourne si souvent vers lui lorsqu'il chante ? Ou peut-être pour nous signifier que ce qui leur importe c'est leur musique et que nous, spectateurs, ne sommes que des épi-phénomènes adjacents. Un peu comme ces écrivains qui déclarent qu'ils n'écrivent que pour eux-mêmes. Très vite les deux guitaristes adapteront le même cérémonial. L'union fait la force des rituels. Plus vous libérez d'énergie, davantage le point focal et initial d'expulsion doit être resserré.
En tout cas, l'on en profite et le public jubile. Vous envoient les morceaux à la volée, un peu comme les Empereurs Romains qui faisaient balancer les cadeaux les plus précieux au bas-peuple relégué dans les gradins du haut. Ne s'arrêtent même pas quand les scuds se finissent. Ça se bouscule au portillon. Une véritable trombe de titres plus énergisants les uns que les autres. Fork You, Never to Shine, Frustation, Hoarse, Anything, Beyond, Bend the Knee, Birth, and Wish. Quand c'est fini, sans préavis ils éteignent les amplis et descendent sans plus de cérémonie de la scène.

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On se croyait au milieu du set, mais non, faut se contenter de ce qu'on a reçu. On ne peut pas dire que c'est peu, car ils nous ont envoyé quarante minutes d'uppercuts rock comme on a l'habitude de ne pas en réceptionner souvent sur le coin du museau. Une puissance apocalyptique. Un chanteur qui feule comme un tigre en rut que vous venez imprudemment déranger alors qu'il est en train d'honorer sa femelle. Des guitares aux griffes lacérantes, une basse panthère noire à la robe souillée de sang et un batteur fou qui bétonne de l'énergie solide.
Question son, c'est du costaud, mais rien de médicalement répréhensible. Certes ce n'est pas la flûte aigrelette de Bonne nuit le petits, c'est juste du rock and roll qui traverse tous les genres et tous les sous-genres. De l'énergie authentique et on aime cela. Quittent le plateau comme des voleurs qui ont emporté notre joie de vivre. Notre haine aussi. Le rock ne saurait être une oasis de béatitude pour imbéciles heureux. Cowards débite en tranches saignantes un rock sans concession face à la laideur du monde. Le refus d'une certaine médiocrité existentielle, l'exaspération devant des temps qui semblent marcher à reculons, tous ces ferments de venin vipérin, Cowards les véhicule dans son attitude.

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Cowards c'est la boue qui coule des cratères en feu lors des éruptions volcaniques. Ces fleuves de tourbes impavides qui vous enserrent dans leur gangue de glaise avant que la cendre brûlante ne pleuve sur votre carcasse et vous ne pétrifie à jamais dans votre statue d'argile cuite. Ne fuyez pas devant ce désastre annoncé, le sludge est né au pays des zombies et l'énergie irradiée par le groupe vous permettra d'attendre à l'ultime transmutation que vous désirez au-delà de vos peurs les plus obscures. Un grand moment de rock.

 

INTERSET


Etrange, autour de moi, tout le monde parle mais l'on n'entend plus rien. L'on croirait assister à la projection d'un film muet. Ce n'est pas mon système auditif qui est tombé en panne, c'est le guitariste de Cult Of Occult qui vérifie si son engin est bien accordé. Mon voisin était en train de nous révéler la légende maudite du groupe, là où ils passent, ils ne repassent pas, ce sont des Attila sonores, des monstres surgis des forges de Vulcain, n'exagérons rien, oui ils jouent fort, mais aucun acouphène n'est venu squatté le trou de mon oreille gauche. L'orifice de la droite non plus.

 

CULT OF OCCULT

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Cult Of Occult. Tout un programme. Le nom s'affiche sur le fond de la scène. Dès que le groupe commencera à jouer une image s'imposera, celle de leur album Five Degrees of Insanity, cinq visages interpénétrés, figés l'un dans l'autre qui dardent sur vous le bleu froid de leurs regards cruels. Etrangement, mais pas du tout bizarrement, l'esthétique du dessin rappelle la pochette de In The Court of King Crimson, l'homme fragmenté du Roi Cramoisi n'est peut être pas si éloigné de l'état morbide des âmes contemporaines. Ces drôles de cyclopes à deux yeux communicants ne vous veulent que du mal. N'espérez aucune mansuétude. Ce sont de mauvais fils du diable. L'image revient sans arrêt, tremble sur elle-même indéfiniment, comme pour mieux vous rappeler qu'il existe des portes battantes qu'il vaudrait mieux pour votre sécurité psychique que vous ne les ouvriez point tout à fait. Parfois, vous avez droit à un flash d'image noire, des pentacles invocatoires et sataniques, une potence au crochet de fer menaçants, et une seule fois, une silhouette noire levant un verre de libation en l'honneur de qui vous savez. J'ose espérer qu'il ne s'agit pas de vin de messe frelaté mais de sang coagulé des premières menstrues d'une vierge sacrifiée au Prince des Ténèbres. Pour ceux que ce genre d'icônes effraie, rabattez-vous sur de saines et courtes lectures, de simples vocables en lettres gotho-runniques barbelées qui s'affichent à intervalles réguliers, l'on pourrait appeler cela des encrages psykotiks destinés à vous tatouer l'intelligence par diffusion lente...

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La lenteur est le signe de la noblesse des Dieux affirmait Aristote. Je ne sais s'il avait raison, mais il me semble que d'après Cult Of Occult elle est aussi l'attribut du Mal. Quatre encapuchonnés sur scènes qui nous servent un long et lent rituel d'une noirceur absolue. Ne le prenez pas mal. Le satanisme est une médecine douce, une opérativité homéopathique qui consiste à soigner le mal par le mal, à injecter une touffeur de mal dans le mal généralisé du monde. Opérations difficiles. Qu'il convient de maîtriser parfaitement. Si l'on ne veut pas déclencher des catastrophes. L'équivalent d'une menée alchimique par la voie rapide, dite sèche.

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Lent mais violent, une énergie qui se déploie en orbes concentriques, du doom domestiqué, du sludge suintant de maléfices. Quatre sur scène. Batteur, guitare, basse et micro. Un hurleur de carrefour, chaque cri comme une invocation démoniaque à Hécate. Sous leur capuches silencieuses ils sont comme une confrérie d'anti-moines voués aux allégeances des profondeurs méphitiques. Se rapprochent les uns des autres, donnent l'impression de se chuchoter d'immondes secrets couverts par le bouclier sonore qu'ils opposent au monde qui les entoure. Le chanteur est plié en deux, comme terrassé par le haut-mal, comme s'il tenait à se rapprocher des puissances infernales. Le sludge est né dans la zone de diffusion du vaudou. Cult Of Occult sonne comme un retour aux sources boueuses du rock and roll.

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Peut-être du cinéma, mais pas de cirque. Les interrupteurs sont méthodiquement éteints un par un et les musiciens descendent de l'estrade et se fondent dans le public. Fin de non-recevoir. Un peu comme ses enterrements sans fleur ni couronnes, expédié dès que le cercueil est descendu dans la fosse. Public admiratif et approbatif.

 

RETOUR

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Une grande claque cette soirée. En attendant c'est moi qui prend mes cliques et mes claques et qui m'éclipse vers mon clic-clac. La teuf-teuf fidèle me ramène, illico presto. N'empiète pas trop à part quelques embardées sans conséquence sur les visions de cauchemar qui hallucinent mon regard. Minuit quarante-cinq pile, je rentre sain et sauf à la maison. Je commence à croire à la légende des morts-vivants. Oui, mais j'ai raté Yuki.


Damie Chad.

JOHNNY
A LA COUR DU ROI

LONG CHRIS

( Filipacchi / 1986 )

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Encore un vieux bouquin sur Johnny, mais celui-ci écrit en 1986 par Long Chris. Une manière de côtoyer l'actualité puisque Long Chris était ce samedi 21 Mai chez Rock Paradise qui vient de sortir en CD son mythique album Chansons Etranges pour Gens Bizarres paru en 1966. Merci Patrick Renassia ! Long Chris est un personnage mythique du rock and roll français, était là au tout début bien avant que Jean-Philippe Smet ne devienne Johnny Hallyday. Même si une trentaine d'années plus tard un froid glacial s'est installé entre les deux hommes ce livre apporte son lot d'anecdotes et de mises au point sur la naissance du rock national. Mais l'est beaucoup plus que cela, nous livre un portrait intime de Johnny rarement égalé et surtout nous laisse entrevoir la personnalité et le cran d'un homme qui ne mâche point ses mots, ni ne cache ses idées. Long Chris aime à exposer ses points de vue avec une redoutable et saine franchise.

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L'histoire racontée par Long Chris culbute un peu les mythes et en conforte d'autres. Evidemment c'est la faute à Elvis Presley si Christian Blondieau rencontre Jean-Philippe Smet. La chose ne s'est pas faite en un jour. L'a mis du temps à accrocher à Elvis, le jeune Blondieau, lui l'est plus attiré par le western-folk. Ce disque d'Elvis, cadeau d'un GI américain, il le refile même à un copain. Lui faudra plusieurs semaines pour comprendre l'étendue de son erreur. Le temps de devenir un fan de rock and roll. Autrement dit d'Elvis. Elvis deviendra même son premier surnom. La connaissance des autres pionniers viendra plus tard. En attendant son destin bascule à la patinoire : discute cinq minutes avec un grand blond qui lui aussi connaît Elvis et possède ses disques... Bye-bye à la prochaine. Se retrouvent plus vite que prévu. Le blondinet est attendu à la sortie par un groupe de blousons noirs qui lui tombent dessus. N'ont pas tort, l'a volé la fille du chef, sont dix autour de lui et le jeune Blondieau s'en vient le soutenir. Geste héroïque qui se termine par une magistrale branlée pour nos deux héros. Et une amitié scellée dans le sang.

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Une véritable ouverture de film. Vont devenir inséparables. Deux ados qui essaient de grandir. Contrairement à la plupart d'entre nous, vont parvenir à réaliser leurs rêves. Pour Johnny, c'est plus simple mais beaucoup plus difficile. Pour Chris, les choses se mettront en place plus doucement, sera entraîné par le séisme mis en branle par son copain. La personnalité de Johnny est déjà en place, beaucoup de charisme, et beaucoup de pudeur. Le gars qui a systématiquement besoin d'un téléphone pour annoncer les nouvelles importantes à son poteau, et qui parvient à se faire accepter par les parents pratiquement comme un ami de la famille, alors que le père est disons très très vieux jeu... pour ne pas être cruel avec lui. L'a de la présence Jean Philippe, une âme de leader, les filles lui tombent dans les bras, on le sent déterminé à l'on ne sait pas trop quoi. Au moins à bouffer la pomme d'amour et de discorde de la vie jusqu'au trognon. Côté cour : extériorisation :  Elvis et la frénésie triomphatrice du rock and roll, côté jardin : intériorisation : le romantique destin brisé de James Dean.

Alors que Christian passe ses gammes d'étalagiste et de décorateur de vitrine, Jean-Philippe ne quitte plus sa guitare et s'essaie à chanter. Vous attendez à ce que tombe le coup de la carte magique du Golf Drouot. Christian et Jean-Philippe en ont entendu parler, le cherchent, mais ne le trouvent point ! Ce sera l'Astor, une boîte qui laisse le micro ouvert aux jeunes. Justement, y a un certain Jean-Philippe qui susurre une ritournelle pas vraiment glorieuse... Johnny sent qu'il peut faire mieux et le voici parti sur Party, guitare en bandoulière et le public qui acclame. Deux morceaux, un triomphe. Jean-Philippe a trouvé sa voie. Chanteur de rock and roll, et pas autre chose, c'est Lee, le «  frère » américain qui lui refile son pseudo d'artiste Halliday, désormais il sera Johnny Halliday. Desta et Lee prennent le rêve du petit au sérieux, Lee se met en quête de contrats... en vain. Le rock and roll n'intéresse personne. L'imprésario improvisé se heurte à un mur de refus polis mais sans appel...

Le rock and roll est un rêve américain. Long Chris s'accroche à ce mantra. Le traduire en français serait une trahison. Ne sont que quelques centaines sur Paris à vénérer cette musique. Forment une bande, une famille, une secte. Le rock and roll est leur unique bien, leur refuge. Une citadelle indomptable au pied de laquelle viennent se briser les vagues menaçantes d'une société qu'ils refusent d'instinct. Johnny ne l'entend plus de la même oreille. Deux ans qu'il galère sans succès, commence à comprendre que s'il veut atteindre le public, il doit chanter en français, délaisser les purs et les durs. L'éternelle querelle des anciens et des modernes... Est-ce le hasard ou la nécessité qui initie la rencontre de Johnny et de l'éditeur de musique Claude Salvet qui vend les partitions américaines d'Elvis, et chez celui-ci la rencontre avec Pierre Mendelshon qui le fait passer dans son émission radio Paris Cocktail à la suite de laquelle il est contacté par le duo de paroliers Jil et Jan ? Qui écrivent leurs textes dans la langue de Molière.

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Nous sommes en 1960 et la carrière de Johnny Hallyday est lancée. Ne faut peut-être pas tout prendre au pied de la lettre. Le livre a été rédigé à l'instigation de Johnny à qui Chris relisait ses pages. On n'écrit pas l'histoire, on la réécrit. On passe sous silence les faits gênants, il existe des biographies non-autorisées qui comblent les vides. Pour nous, nous regretterons seulement l'absence de Philippe Duval qui fut le premier guitariste de Johnny. Pas tout à fait un simple accompagnateur. Chantaient à tour de rôle... Mais en 1960, un choix est fait : celui de privilégier Johnny. Duval, s'éloigne. On le retrouvera plus tard travaillant chez Claude Salvet...

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Je n'ai jamais aimé les disques de Johnny chez Vogue. Fut un temps où Johnny lui-même n'aimait pas les rééditions qui en étaient faites. Trouvait que cela nuisait à son image... Long Chris ne se gêne pas, n'y va pas de main morte. Se montre catégorique, à part Une Boum chez John et Oui, Mon Cher, il n'hésite pas à vomir sur cette daube qu'il qualifie de variété indigne d'un rocker. Certes, l'on peut arguer que Johnny est tout jeune, que sa voix n'a pas la maturité requise, mais plus que ces défauts de jeunesse c'est ce que nous nommerons l'idéologie prégnante cucul-la-praline des paroles fadasses qui le débectent. Reconnaît toutefois à son corps défendant que ce sont les stupidités à la noix de coco éventée comme Itsy Bitsy Bikini qui assirent la popularité de Johnny... Comme il est particulièrement teigneux il ne modère pas non plus ses acrimonies lorsqu'il aborde la première période chez Philips, le twist, le madison, le mashed potatoes et tout le reste des danses à la mode, il les exècre. Du rock perverti. Du rock abâtardi. Du rock dégénéré. Ne reprend goût à la vie pratiquement qu'en 1964 avec Les Rock les plus Terribles, qui d'après lui permettent à Johnny de récupérer le public des puristes qui l'avaient abandonné depuis son premier disque. L'oublie tout de même de préciser que toute une partie de ces amateurs de real rock and roll sont en train de se focaliser à cette même époque sur les pionniers américains qu'ils vont suivre et soutenir grâce à de minuscules fanzines ronéotypés durant la longue traversée du désert qui s'ouvrent pour ces devanciers submergés par la vague anglaise, près de quinze ans, jusqu'à l'éclosion des Stray Cats.

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Eprouve toutefois une certaine tendresse pour Sings American Rockin' Hits enregistrés à Nashville avec Shelby Singleton, qui plus tard reprendra les disques Sun, en 1962. Par contre n'est pas tendre avec le premier public jeune qui fréquente le Golf-Drouot. Trop propret, trop gentillet, trop minet. Rien à voir avec une génération d'outlaws en rupture de ban ! Heureusement que les filles préfèrent les bad boys. Se présentent lui et Johnny comme le cheval de Troie qui permettra l'intrusion d'un public un peu plus porté sur le rock and roll, l'intuition géniale d'Henri Leproux n'est guère mise en évidence dans le récit... La saga que rédige Long Chris n'est pas un traité sur l'éclosion du rock and roll en France durant les années soixante, à peine si nous entrevoyons la haute silhouette moqueuse et condescendante du grand Schmall, celui qui deviendra Eddy Mitchell. Le live ne fourmille d'aucune d'indication sur les groupes qui s'engouffrèrent dans la brèche ouverte par Johnny. L'évolution musicale de Johnny lui-même est supposée connue du lecteur. A lui de comprendre avec les simples noms des musiciens successifs qui l'accompagnent sur scène.

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Le succès venu, Johnny n'oublie pas les copains. Long Chris se voit bombardé secrétaire personnel de l'idole. Participe de près à l'épopée des premières campagnes de France. Décrit avec soin ce phénomène qui transforme le jeune chanteur en patron. Johnny comprend très vite que tout repose sur ses épaules. Intériorise la situation. Assume totalement. L'est le chef de la bande, des musiciens, des proches et du staff qui se met en place autour de lui. L'aime cette situation de leader, s'en délecte, elle lui permet de s'épanouir, touche à cette plénitude de jouissance que la volonté de puissance en actes permet d'atteindre. Sans être machiavélique, Johnny n'est pas sans être dépourvu d'une légère dose de perversité. Aime bien pousser les gens à bout, adore envenimer les situations, et une fois que les œufs sont montés en neige, il s'éclipse et vous laisse vous dépatouiller tout seul. L'est un peu manipulateur, mais n'en use point qu'à mauvais escient, vous pousse dans vos derniers retranchements, parfois pour vous mettre en face de vos incohérences mais souvent aussi pour vous permettre de franchir le pas que vous n'auriez jamais osé effectuer de vous-même.

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Ainsi Long Chris est sommé de se mettre au boulot. Comprenez de devenir chanteur. Dans toutes les maisons de disques, désormais l'on est à l'affût de nouvelles têtes, le rock est à la mode, faut sauter sur l'occasion. N'y a qu'un problème pour Chris, ne se sent pas l'âme d'un rocker, serait plutôt attiré par ce que l'on nomme le folk et le country. Publiera quelques disques, mais n'a pas le goût des projecteurs, le rôle de second couteau lui suffit amplement. Lui ce qu'il aime, ce sont les vieux objets inanimés qui ont une âme et les soldats de plomb, profite des tournées pour faire les boutiques de province... Plus tard, il sera antiquaire au Village Suisse. Johnny n'abandonne jamais une bonne idée. Certes Long Chris peut à l'occasion faire une excellente première partie, mais il vaut peut-être mieux s'en servir comme régiment de soutien logistique. Hallyday dresse ses plans de campagne, c'est avec des chansons qu'un chanteur remporte ses victoires. S'il n'écrit pas ses paroles Johnny n'en est pas moins attentif à ce qu'il chante, Chris se voit intimer l'ordre de sortir son stylo et de parapher des lyrics au pied levé. Et Chris s'exécute, lui écrira, et parfois en quelques minutes, quelques uns de ses plus beaux morceaux de La Génération Perdue à Je Suis Né dans la Rue, et de ses succès les plus remarquables de Voyage au pays des vivants à Gabrielle... C'est au début de cette époque que Long Chris produit ses mythiques Chansons Etranges pour Gens Bizarres.

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Long Chris aura été présent aux deux époques les plus symboliques de la carrière de Johnny, des débuts incertains mais fondateurs à celle qui le sacrera prince indéboulonnable du rock français qui débute après la tentative de suicide de 1966 et que nous ferons terminer avec la venue de Michel Mallory comme parolier ( voir KR'TNT ! 278 du 21 / 04 / 2016 ). C'est que rien ne va plus pour Johnny. Le départ à l'armée n'a pas été effectué de gaité de cœur. Le rocker passe sous les fourches caudines du Système qui ne lui aurait pas pardonné un refus... Rentre dans l'âge adulte et responsable. L'idole des jeunes se marie. Mais l'étalon fou ne tarde pas à ruer dans les brancards matrimoniaux. Y a désormais deux carrières à gérer, celle de Sylvie et la sienne. Notre jeune marié a du mal à abandonner sa vie de jeune célibataire, l'est auprès des filles comme un chien égaré dans un jeu de quilles, les fait tomber avec sa queue... Long Chris pousse l'analyse plus loin, les séquelles de l'enfance resurgissent : l'enfant délaissé par ses parents aspire à un foyer stable et uni mais lorsqu'il accède à cette stabilité affective il ne peut s'empêcher de reprendre ses galopades solitaires qui lui ont permis de survivre et d'accéder à son statut de star... Embrouillamini de couple, Sylvie essaie de faire le vide autour de Johnny, Long Chris est dans sa ligne de mire. Intuition et perfidie féminine ! Le vieil et antique adage de la guerre des cœurs sera appliqué dans toute sa rigueur : séparer pour mieux régner. Chris s'éloigne pour laisser les coudées franches à son ami qui le rappellera trois ans plus tard. L'en profitera pour embrasser la profession d'antiquaire spécialisé dans les militaria.

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Ce n'est que bien plus tard que Johnny retrouvera paix et sérénité grâce à la rencontre avec Nathalie Baye. Une embellie affective qui ne durera que trois années. Notre rocker retournera à ses vieux démons. L'existe trop de belles filles dans le monde pour s'en priver définitivement... Johnny parcourt l'Amérique et Nathalie l'attend à la maison... Un soir c'est Johnny qui s'en vient sonner à la porte de Chris avec ses valises et ses guitares... La lune de miel a tourné à l'aigre. Chris accueille son ami. Ne s'en doute pas, vient de faire rentrer le loup dans la bergerie familiale. Sa fille Adeline qui n'a que quatorze ans est éblouie par ce grand garçon triste... Plus tard ils se marieront, et là encore la comédie tournera au drame. Chris restera auprès de sa famille, il n'a jamais admis ce mariage, la différence d'âge entre la tourterelle et l'aigle blessé lui semble promesse de tempête future... Ainsi se clora une amitié de trente ans... No comment. Cela ne nous regarde guère. Même si nous soulevons un coin du voile en voyeurs vicieux. Les personnages publics ne s'appartiennent plus tout à fait. Et de toutes les façons dans le rock and roll, honneur à celui par qui le scandale arrive.

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Tout cela se déroulera quatre années après la parution du livre. Chris nous livre un portrait de Johnny en pleine métamorphose. Le rocker est toujours un rocker mais au contact de l'actrice Baye, il s'adonne à l'autre moitié de son rêve, le cinéma. James Dean ne mourra jamais. Une deuxième carrière se dessine, acteur. L'a tourné Détective avec Godard, le réalisateur branchouille de génie qui réconciliera un court laps de temps Johnny avec les intellectuels, mais le livre se termine alors que Johnny vient d'achever le tournage de Terminus, un Mad Max à la française qu'il sera de bon ton de décrier dans les rangs de l'intelligentsia...
Pour Chris tout va bien. Son ami est au faite de sa popularité. Johnny est en forme, même que Nathalie accepte de le revoir... L'on connaît la suite de l'histoire. Ce qu'il y a de bien avec Johnny, c'est qu'avec lui nous sommes sûrs que les orages chateaubriandesques que nous désirons tous pour égayer nos pâles existences ne tarderont guère à se lever...
Au final, un beau livre d'amour et d'amitié. Si c'était un western ce serait La Flèche Brisée...


Damie Chad.