Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04/07/2018

KR'TNT ! 381 : DEREK TAYLOR / JESUS AND MARY CHAIN / VALERY MEYNADIER / THE WILD ONES / WALTER'S CARABINE / LITTLE RICHARD / ALEISTER CROWLEY

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 381

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

05 / 07 / 2018

DEREK TAYLOR / JESUS AND MARY CHAIN

VALERY MEYNADIER / THE WILD ONES

WALTER'S CARABINE / LITTLE RICHARD

ALEISTER CROWLEY

 

VACANCES !

COMME CHAQUE ANNEE LES VALEUREUX ACTIVISTES DE KR'TNT ! PASSENT LEURS MOIS D'ETE DANS LES ÎLES PARADISIAQUES ENTOURES DE SINGES HURLEURS ET DE JEUNES FILLES NUES ( A MOINS QUE CE NE SOIT LE CONTRAIRE ). SOYEZ JALOUX ! TANT PIS POUR VOUS !

INUTILE DE VOUS SUICIDER, NOUS REVIENDRONS

LE 30 AÔUT.

TÂCHEZ DE SURVIVRE, CROISSEZ ET MULTIPLIEZ-VOUS !

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Derek Taylor vaut son 
pesant d’or

Vient de reparaître l’As Time Goes By de Derek Taylor, un recueil de mémoires rock qui a pour triple particularité d’être vif, drôle et pour le moins irrévérencieux. Comme l’ouvrage n’est pas gros, il s’avale d’un trait. La vivacité du style confirme ce qu’inspirent les images de Taylor disposées sur la couverture : ce sont celles d’un homme intelligent. Comme le savent tous les physionomistes, les deux choses qu’on remarque immédiatement sur un visage sont l’intelligence et le manque d’intelligence.

C’est Paul Myers qui nous met l’eau à la bouche dans un très bel article de six pages paru dans Mojo. La première double nous montre George Harrison assis, grattant sa guitare au milieu d’un attroupement de hippies et on voit Derek Taylor sur la droite de l’image, assistant lui aussi au récital.

Comme Shel Talmy ou Boss Goodman, Derek Taylor fait partie de ces personnages de second plan qui jouèrent des rôles capitaux dans l’histoire du rock. Il doit principalement sa réputation aux Beatles, dont il fut l’attaché de presse dès 1963. En fait, Paul Myers n’est pas loin de penser que les Beatles lui doivent tout. Myers parle d’une époque où les attachés de presse faisaient la pluie et le beau temps.

L’histoire est simple. En 1963, Taylor pige pour un canard de Manchester et quand il voit les Beatles pour la première fois à l’Odéon, il tombe de sa chaise (c’est lui qui le dit) : «Au début des années soixante, je ne voyais pas grand-chose d’intéressant dans la pop, but then came the Beatles to the Odeon Cinema, Manchester in May 1963, and I fell.» L’éloge qu’il écrit dans son canard plaît tellement aux Beatles que Brian Epstein l’engage et pouf, c’est parti ! Taylor devient the Beatles Press Officer. En prime, il réécrit la chronique hebdomadaire de George dans le Daily Express et fait le nègre pour Brian Epstein qui publie son autobio, A Cellarful Of Noise. Taylor admire profondément ces quatre petits mecs qui, comme lui, viennent de nulle part. Et tout particulièrement George : «Cher George. Je n’ai rien à dire de George qui ne soit chaleureux ou affectueux, et même fraternel. Globalement, c’est un saint homme.»

Ses mémoires ne fourmillent pas spécialement d’anecdotes. Elles fourmillent plutôt de traits d’esprits - Je ne sais pas ce qui était le pire, être avec les Beatles quand l’horrible pression nous jetait dans les bras de docteurs qui nous prescrivaient des pilules, ou être avec eux quand tout allait bien. Vous savez, certains jours, j’avais la langue sèche et gonflée à force de vouloir expliquer correctement les choses à des journalistes incroyablement stupides, et pourtant, c’était le bon temps, j’avais l’impression de mourir au combat avec mes boots aux pieds - Taylor rappelle que les Beatles ne furent acceptés en Angleterre qu’une fois acceptés aux États-Unis. The long and winding road.

Le récit de Taylor s’articule autour de trois périodes : ses débuts Press Officer des Beatles, comme on vient de le voir, puis son départ en 1965 pour la Californie où il va travailler pour des groupes au moins aussi importants que les Beatles, et en 1968, retour à Londres, après la mort de Brian Epstein, pour retravailler avec les Beatles, cette fois au siège d’Apple, à Savile Row.

Californie, février 1965. C’est un certain Bob Eubanks qui l’engage pour le compte de sa boîte, Prestige Publicity. Taylor installe sa femme et ses quatre enfants à Los Angeles et commencer à travailler pour la crème de la crème de la scène locale qui est alors en plein boom : Paul Revere & The Raiders, puis Captain Beefheart, les Beau Brummels et pas mal de figures en passe de devenir iconiques. Il admire beaucoup Paul Revere qu’il qualifie de ‘North America, Oregon, answer to Liverpool’. Il affirme que «dans les mid-sixties, Paul Revere fit probablement plus de blé que n’importe quel autre groupe de rock dans le monde.» Au moment où il écrit son texte (1973), il dit que Paul Revere fait toujours autant de blé et que Mark Lindsay chante encore dans le groupe. And I must say, they have my admiration. Voilà, c’est tout le style de Derek Taylor, sharp & funny. L’autre réponse américaine aux Beatles (et à Gerry & The Pacemakers, comme il le rappelle avec un sourire en coin), ce sont les Beau Brummels. Mais un soir, Taylor emmena les Brummels voir un autre groupe qui démarrait, les Byrds, et ça ne plut pas au manager des Brummels qui vira Taylor sur le champ, l’accusant de bouffer à tous les râteliers. Eh oui, les Byrds venaient tout juste d’engager Taylor, comme attaché de presse, car ils avaient le même producteur que Paul Revere, Terry Melcher. Et d’après David Crosby, c’est Taylor qui va fabriquer les Byrds, tout au moins leur image, mais n’est-il pas vrai qu’à l’époque, l’image compte autant que la musique ? - On savait qu’il avait aidé les Beatles à démarrer et il n’est bien sûr pas imaginable que les Byrds aient pu démarrer sans Derek. Il communiqua brillamment pour nous et on avait confiance en lui, car il a toujours été carré avec nous - Taylor positionna en effet les Byrds comme the American Beatles et les accompagna lors de leur tournée anglaise de 1965 pour les présenter à la presse. Taylor fut aussi fasciné par les Byrds qu’il l’avait été par les Beatles - Tous plus charmants les uns que les autres et au moment où vous lirez ces lignes, soyez certain que David Crosby aura été explorer d’autres frontières, toujours plus loin, and like, how far out can you get ? - Et il ajoute plus loin : «Ma femme Joan et moi adorions les Byrds, et rien ne nous touchait plus que le premier line-up des Byrds qui chantait ses hits magiques sur Sunset Boulevard, dans les mid-sixties. Si les Beatles sont à l’origine de tout, les Byrds le sont aussi à leur manière.» Taylor dit aussi que les Byrds étaient le groupe préféré des Beatles.

Pendant son séjour hollywoodien, il eut en plus la chance de travailler pour les Beach Boys, grâce à Van Dyke Parks qui fit les présentations. C’est l’âge d’or de Brian Wilson qui enregistre Pet Sounds. Derek Taylor voit immédiatement l’impact visionnaire de cet l’album. Il écrit dans Disc & Music Echo que Brian Wilson est un genius. Plus tard, à la mort de Derek, Brian Wilson dira que Taylor s’était gouré : ce n’était pas lui, Brian Wilson, le genius, mais Derek Taylor. Eh oui, Derek Taylor bâtissait des réputations qui allaient se transformer petit à petit en véritables mythes. Et chaque fois, il s’appuyait uniquement sur la qualité de ce qu’il entendait : Beatles, Byrds, Beach Boys, Beau Brummels, Paul Revere, Captain Beefheart, force est d’admettre qu’il n’y a rien à jeter, chez tous ces gens-là. Quand par exemple il entend «1941» de Nilsson sur son auto-radio, il achète un carton entier de l’album Pandemonium Shadow Show et en envoie des copies à tous ses amis. Aussitôt après, John et Paul prennent contact avec Nilsson pour le féliciter et George l’invite à une fête à Los Angeles. Derek Taylor venait de lancer la carrière d’un autre personnage à dimension iconique. Il est aussi avec Alan Pariser et Ben Shapiro à l’origine du festival de Monterey. Quand Lou Adler entre dans la danse, Shapiro et Pariser sont éjectés.

Bizarrement, Taylor n’est pas très bien payé, pendant son séjour californien. Lorsque les impôts lui tombent dessus pour un arriéré, ce sont les Beach Boys qui lui filent du blé. Rappelé à Londres par les Beatles, Taylor organise une fête d’adieu au Ciro’s pour financer son voyage. Il invite 500 amis qui payent une entrée de 5.50 $ pour le financement. Tiny Tim, les Byrds et Captain Beefheart jouent à l’œil. Taylor rentre à Londres complètement transformé : «On ne se sentait plus anglais, ce qui était plutôt une bonne chose. On appartenait à une sorte de communauté rock’n’roll, qui n’avait plus rien à voir avec nos origines, mais avec ce qu’on avait dans la tête, comme on disait à l’époque.» Il revient longuement sur ce qu’il appelle the Californian experience, qui pour lui est une expérience unique : «Vous devez juste vous installer là-bas et compter sur votre capacité à vous adapter, à rester vivant et en bon état. Si vous le faites en Californie, alors vous saurez le faire partout ailleurs. Faire quoi ? Tout. Prenons l’exemple des Beach Boys, ils y sont nés, ils y sont devenus célèbres, cinglés, complètement transformés, ils sont un parfait exemple de ce qu’est la California du Sud - incohérente, laxiste, optimiste, vaste, futile et innovante.»

De 1968 à 1970, il vécut une autre expérience intense, celle d’Apple à Londres. L’argent coulait à flots et les Beatles achetèrent un immeuble à Savile Row pour y installer leur business. Taylor reprit ses fonctions de Press Officer et retrouva de vieux compagnons de route comme Neil Aspinall qui appartenait lui aussi au cercle rapproché depuis les origines. C’est le temps magique du White Album et du dernier concert des Beatles sur le toit de l’immeuble. C’est aussi l’époque ou Allen Klein entre dans la partie, et c’est un peu le cœur du récit. Curieusement, Myers ne fait aucune allusion à l’arrivée de Klein dans cette histoire. A-t-il vraiment lu ce livre ? On se pose la question car à partir d’un moment, Klein dévore tout, dans ce livre.

Comme Taylor, Boss Goodman et Shel Talmy, Allen Klein fait partie des grands acteurs de second plan de l’histoire du rock, mais pas forcément au bon sens du terme. Klein est un businessman américain qui après avoir géré les affaires de Sam Cooke, prit en mains celles des Stones puis des Beatles. C’est justement Taylor qui favorisa la prise de contact, via Tony Calder. Aucun des quatre Fab Four ne voulait le prendre au téléphone et Taylor parvint à établir un contact entre Klein et John qui après l’avoir rencontré et passé une nuit à bavacher, tomba sous son charme. George et Ringo itou. Mais pas Paul qui ne voulait pas entendre parler de ça. Paul voulait que son beau-père Lee Eastman prenne les affaires des Beatles en main. Mais Klein l’emporta, et Paul quitta les Beatles.

Pour assainir les affaires de ses clients, Klein commençait par faire le ménage dans le personnel. Il débarqua à Savile Row pour virer les gens. Il arriva un beau jour dans le bureau de Taylor : «Klein came up to see me and said everything was going to be great. Great was a great word in thoses days. Great.» Et pouf, il commence à virer les gens comme des chiens. Méthode de management américaine : on rachète une boîte qui perd de l’argent, on assainit en dégraissant et on revend avec un profit. Klein demande à Neil Aspinall et à Taylor de lui faire des listes, ce qui bien sûr n’est pas possible. Il leur explique alors que les choses pourraient être bien pires - Usually, I come in and fire everybody - Oui d’habitude, il vire tout le monde quand il arrive. Alors virer ou être viré. Pour le pauvre Taylor, le rêve d’Apple se transforme en enfer - The Apple of our dreams was in a hell of a state - Même quand il décrit l’écroulement de ses rêves, Taylor réussit à être drôle.

Le pire est à venir avec la parution de l’album Let It Be. Klein fait remixer «The Long And Winding Road» par Phil Spctor qui ajoute des chœurs et des violons. Ça met Paul hors de lui. Comment ose-t-on bricoler sa chanson ? Ça fait rigoler Klein qui fait paraître Winding Road en single. Alors Paul se demande ce qui a déconné dans l’histoire des Beatles qui avaient pourtant tout fait pour protéger leur liberté artistique. Il n’avait plus aucune prise sur ses propres compos - He was wondering what went wrong. I am wondering too. Everyone is wondering. But Klein isn’t wondering. He knows, he knows - Et Taylor ajoute : «Klein is now Mr Big and Apple is an ABKCO (Allen B. Klein & Co, get it ?).» Selon lui, Klein a redressé les comptes, mais il se demande où sont passés Apple et les Beatles - If you find out, let me know - Taylor se sent un peu responsable de cette catastrophe, mais vers la fin du livre, il reconnaît que toute cette histoire dépassait complètement les gens, l’histoire des Beatles n’était pas à taille humaine - too big, too bloody vast for human beings, frail, ill-prepared human beings - et la chute tombe comme un couperet : «The manner of the ending of the Beatles is a shame, a real bummer.» Taylor n’a pas aimé la fin de cette histoire qui devait rester forcément magique. «Pour parler de moi, et c’est la première fois que j’avoue ceci, il est évident que d’avoir travaillé trop longtemps pour les Beatles a fini par tuer ce qu’ils m’avaient apporté au début - une façon de vivre extrêmement intense et de tous les instants - mais j’ai aussi perdu ce que j’avais toujours eu, la capacité de m’amuser (a capacity for fun). Plus rien ne m’amusait, parce que je pensais avoir perdu le droit de m’amuser.»

Taylor brosse un portrait quasi balzacien de Klein, tout en profondeur : «Je pense que Klein est un homme cruel, mais je pense aussi que je l’aime bien, et je crois qu’il m’aime bien aussi, bien que ni l’un ni l’autre ne sachions au fond ce qui nous pousse l’un vers l’autre. On est loin d’être francs là-dessus. Peut-être chacun de nous est-il terrorisé par l’autre. En tous les cas, je sais que je le suis.» Oui, à sa manière, Allen Klein est un titan et Derek Taylor sait que ce n’est pas son cas. Cette clairvoyance ne fait que grandir les deux personnages.

Après ce funeste épisode, Taylor passe à autre chose et bosse pour Warner. Il produit des gens comme Nilsson qu’il admire toujours, et s’occupe des Stones, de Viv Stanshall et d’autres gens. Et puis un jour, il croise Allen Klein dans une rue à Londres : «Il me serra dans ses bras et se mit à danser comme un ours autour de moi en disant :’How ya bin’, des trucs dans ce genre. Il me dit aussi qu’il cherchait plus à me revoir que je ne cherchais moi-même à le revoir. ‘True, Allen’, lui répondis-je, ‘mais il y a des périodes où c’est plus facile de vous aimer, comme par exemple en ce moment, Allen.» Vous l’aurez bien compris, ce livre tire sa force du niveau des échanges.

Signé : Cazengler, Tayl’orbite

Derek Taylor. As Time Goes By. Faber & Faber 2018

Paul Myers. King Ink. Mojo # 294 - May 2018

 

The wind cries Mary Chain - Part Two

 

Deuxième retour des Mary Chain à Paris, après le grand hiatus cubitus, cette fois au Trianon, à deux pas de l’Élysée Montmartre. Cette belle salle offre les mêmes conditions de confort et d’espace, avec en plus les deux étages de balcons rococo qui caractérisent si bien les salles de théâtre bâties au XIXe. L’organisation s’adapte au prestige du groupe : volume ni trop petit ni trop grand, à l’image des Mary Chain qui ne sont ni des stars et qui sont aussi des stars, mais des stars de l’underground britannique, ce qui les sauve. De quoi ? Mais du star system classique qui commercialise tellement les groupes qu’ils en perdent leur âme. Les exemples abondent, il vous suffit de reluquer les couvertures des magazines spécialisés. Les Mary Chain n’ont fait à une époque que des unes intéressantes comme celles du NME qu’on lisait de la première à la dernière ligne chaque semaine, en plus du Melody Maker et de Sounds. On se régalait lorsque Jim et William Reid donnaient une interview. William ne disait connaître que quelques accords dont il ne savait même pas les noms et Jim ajoutait que pour faire du rock, ça ne servait à rien de savoir jouer de la guitare, il suffisait simplement d’avoir un peu d’imagination. Les frères Reid savaient provoquer, avec un panache que tenteront d’égaler les frères Gallagher, mais sans véritablement y parvenir. Liam et Noel ne compenseront leur manque de morgue que par une agressivité verbale qui n’a jamais été égalée depuis. Ils tiraient à boulets rouges sur la concurrence et on se poilait bien, comme lorsqu’on lisait Le Pal de Léon Bloy. Pas de pitié pour les canards boiteux. Comme les frères Reid, les frères Gallagher se moquaient du qu’en dira-t-on comme de l’an quarante. Eh oui, ils avaient les chansons et le son, alors rien ne pouvait les atteindre. Surtout pas les critiques. Il fut un temps où les rockers anglais ne mâchaient pas leurs mots, et ça donnait un sacré jus aux pages de tous ces vieux canards qui semblaient ronronner et qui ne fournissaient plus beaucoup d’efforts, puisqu’ils s’adressaient à ce que les gens du marketing appellent un public captif. Tous les fans de rock lisaient ces trois ‘tabloids’ britanniques chaque semaine, enfin peut-être pas les trois, car les sensibilités rédactionnelles variaient selon le support : Sounds soutenait vaillamment le punk-rock britannique, le Melody cultivait une certaine forme de classicisme pépère et pour assurer sa survie face au Melody, le NME se positionnait toujours en pointe, proposait des articles de fond qu’on conservait (comme on conservait les articles d’Yves Adrien dans R&F) et filtrait les tendances. La chronique la plus importante du NME était probablement On, un quart de page qui présentait chaque semaine un groupe débutant. C’est là qu’on découvrit les Chrome Cranks, par exemple, ou encore Jacob’s Mouse, des groupes qui n’avaient aucune chance d’apparaître ailleurs. Mais une fois apparus dans On, on ne les perdait plus de vue. Ces groupes symbolisaient la relève et quand le mec de On disait sans détours que Peter Aaron chantait comme Iggy, il ferrait l’hameçon. Il ne restait plus qu’à trouver le disque, et à cette époque, c’était extraordinairement compliqué. Les gens ne savent pas la chance qu’ils ont aujourd’hui de pouvoir entrer à n’importe quelle heure du jour et la nuit chez le plus grand disquaire du monde : Discogs. Tu cherches le premier album des Chrome Cranks ? Il est là. Et tous les autres disques de l’histoire du rock aussi. Si on continue d’aller fureter chez les disquaires, ce n’est plus pour dénicher des choses précises, on revient au plaisir de la découverte, comme on l’appelait à une époque.

Pas de plaisir de la découverte au Trianon. On a le cirque habituel des roadies qui vérifient cinq ou six fois de suite l’accordage de la basse et des guitares, qui trouvent des pannes de dernière minute sur les micros de la batterie et qui nous font détester encore plus l’attente. C’est comme on dit aujourd’hui d’une pénibilité sans nom. Comme on est arrivé en avance pour choper une place au premier rang, on se bouffe le cirque des roadies dans son intégralité, ainsi que la première partie dont on évitera de parler par charité. Pourquoi le premier rang ? Parce que l’an passé, il y avait trop de brouillard sur scène et on ne voyait rien ou presque. Et celui qui fait tout le spectacle, c’est William Reid, sur la droite de la scène, coincé entre ses deux gros amplis Orange marqués JESUS et ses retours. Même s’il ne bouge pas, il fait le spectacle. William Reid est l’un des guitaristes les plus complets et les plus fascinants d’Angleterre. Comme Chris Spedding, il joue absolument tout non pas en accords, mais en climats, c’est-à-dire qu’il amène du son là où il faut et des thèmes mélodiques pour soutenir de chant de son frangin Jim. Un cut comme «April Skies» qui date très exactement de trente ans a toujours le même pouvoir d’envoûtement. À quelques mètres sur la droite de la barrière, une très belle poule est déjà en transe, elle chante en même temps que Jim, les yeux fermés, et jusqu’à la fin, elle chantera toutes les chansons avec Jim les yeux fermés et les bras en l’air. Des fans de cette classe ajoutent encore à la magie du concert. Chaque fois qu’ils montent sur scène, les Mary Chain provoquent une sorte de commotion intersidérale, un mélange de beauté mélancolique et de violence sonique unique au monde. Jim reste devant, on le sent terriblement timide, il veille à rester fermement inexpressif. Il dit merci en Français et marmonne parfois des choses si bas qu’on ne les entend pas. Mais lorsqu’il chante, il réinstalle les Mary Chain sur leur piédestal. La salle est pleine de gens qui connaissent bien ce piédestal. Évidemment, ils enchaînent avec «Head On», l’un de leurs hits les plus mirifiques, l’un de ceux qu’on jouait à une époque dans un groupe de reprises, mais on préférait la version ultra-explosive des Pixies (tirée de leur meilleur album Trompe Le Monde) à celle des Mary Chain qu’on trouvait trop molle, question tempo. Ce qui fait la grandeur de «Head On», c’est la promesse que nous fait Jim alors que sonne l’apocalypse - Take me down/ To the dirty part of town/ Where all my trouble/ Can’t/ Be/ Found - Et le Found, il faut le cracher, le hurler, car à ce moment-là, le guitariste, que ce soit William Reid ou un autre, part en vrille sur un thème d’une beauté stupéfiante. Et bien sûr, avec «Head On», le fantôme de Jean-Jean surgit, car c’est lui qui nous chantait ça à s’en casser la voix, tout en grattant cette Epiphone rouge dont il était si fier. Jean-Jean, vieux compagnon de route, notamment pour tous ces concerts des Mary Chain qu’on voyait ensemble et qui s’est fait la cerise voici deux ou trois ans, vaincu par une maladie qui ne portait visiblement pas de nom. Mais en studio, il gardait «Head On» pour la fin, car il ne pouvait plus rien chanter après, tellement il en screamait la substantifique moelle. Alors évidemment, ça sonne les cloches d’entendre ce truc au Trianon. On reprenait aussi «Darklands», que les Mary Chain vont jouer un peu avant la fin du set. Jean-Jean vénérait la mélodie de ce cut qu’on jouait très laid-back, évidemment. C’est un morceau de chanteur, bien sûr, mais le travail qu’y faisait William en background était d’une beauté sibylline, tout en mélodie et d’une justesse de goût effarante. Ils vont enfiler les hits comme d’autres enfilent la cousine dans la cuisine, des trucs du style «Snakedriver» et «Teenage Lust» qui roulent comme autant de pierres blanches dans le jardin du rock anglais, ces choses du temps d’avant qu’on considérait comme de très haute importance, comme la perfection du sonic boom, refuge et oxygène à la fois, modèle et orgasme. Tout le son des Mary Chain passait par l’épiderme et par la cervelle en même temps. C’est tellement rare qu’il n’est pas inutile de le souligner.

Et quand ils tapent dans le vieux «Some Candy Talking», la poule aux yeux fermés sur la droite commence à basculer dans le soufisme. Elle n’a pas la place de bouger, car les premiers rangs sont devenus des rangs de sardines en boîte avec des mecs qui sautent et qui envoient de méchants coups dans le dos. On fait ouch toutes les deux minutes. On pensait que le concert allait être calme et puis non, au contraire, dès que William envoie la purée, ça pogote dans la boîte à sardines et quelques débuts de shootes éclatent ça et là. Impossible de rester dans la musique, le chaos règne. Et pourtant William Reid cultive le chaos, on devrait trouver ça logique, mais les coups dans le dos sont d’une violence qui oblige à réagir, et pour ceux qui sont habitués aux gigues de fosse, c’est un classique. Le problème, c’est que tous ces mecs-là n’écoutent pas la musique. Ils ne se défoncent pas pour écouter la musique et entrer dans l’univers du groupe qu’ils vont voir, ils se défoncent pour autre chose. La musique des Mary Chain ne semble pas faite pour ce type de chaos, comme l’est le punk-rock, par exemple. Au temps de l’âge d’or du punk-rock londonien, il n’était pas question d’aller devant. Surtout que le fait d’être français se voyait comme le nez au milieu de la figure. Et aussitôt après ce havre de paix qu’est «Darklands», William met en route cette apocalypse notoire qu’on appelle «Reverence» et qui reste l’un des cuts les plus violents de leur répertoire. Jim y va franco de port à coups d’I wanna die just like Jesus Christ et une sorte de tornade sonico-déflagratoire s’abat sur le pauvre Trianon, quelque chose de l’ordre du surnaturel, et le plancher se met une fois de plus à onduler. On a cette fois l’impression très nette qu’il va céder et qu’on va tous descendre d’un étage. William Reid sait lever des ouragans, d’ailleurs c’est tout ce qu’il sait faire dans la vie. Il retrouve sa carrure de wizard of sound. Il est l’un des derniers survivants de cette caste du guitaristes qui savaient créer leur monde. Il joue avec une concentration de tous les instants et veille à ce que le monde s’écroule avec lui. Tant de pouvoir dans les mains d’un petit branleur écossais, quelle indécence ! Et pourtant c’est exactement le spectacle qu’il nous offre, sous son énorme tignasse blanchie. Ces mecs vieillissent (et nous aussi), mais leur sonic trash ne prend pas une ride. En rappel, ils vont taper dans une nouvelle série de cuts de non retour, du genre «Just Like Honey», qui reste la pop-song parfaite d’antan, et le «Cracking Up» qui annonça leur retour en 1998, quand on n’espérait plus rien d’eux. Fantastique morceau monté sur un riff tarabiscoté imaginé par William Reid et qu’on écoutait à l’époque sur le parking, en attendant que le studio de répète soit libre. Ils bouclent ce voyage à travers le temps avec leur cut le plus dévastateur, le plus ultime, «I Hate Rock’n’Roll» et là, baby blue, tout bascule dans le gouffre de Padirac.

Signé : Cazengler, Mary Chiant

Jesus & Mary Chain. Le Trianon. Paris XVIIIe. 27 juin 2018

*

Tout près de Beaubourg. Mais pas au centre-cul. Quoique, si l'on réfléchit à la valeur sémantique des mots que l'on récuse, l'on soit toujours au plus près de l'objet du délit, celui de la plus haute vertu selon Maurice Scève. Un lieu inhabituel pour les rockers, le local LGBT. Lesbiennes, Gays, Bi, Trans, je traduis pour ceux qui auraient des doutes sur la signification des initiales, n'ayez pas peur, toute sexualité est équivoque, puisqu'elle met en cause au moins deux fragmentations du réel, vous-mêmes et votre désir. Oui je suis en danger, mais divin, puisque ce soir Valéry Meynadier lit quelques extraits de son livre Divin Danger.

28 / 06 / 2018

CENTRE LGBT / PARIS

VALERY MEYNADIER

+ MARIE COLETTE NEWMAN

Petite salle du bas, au bout d'un escalier hélicoïdal, public essentiellement féminin, car la performance s'inscrit dans les les festivités préparatoires au Salon du Livre Lesbien à la Mairie du Troisième Arrondissement de 14 à 18 heures, le samedi 7 juillet 2018.

Silence. Toutes deux sont assises. Valery Meynadier le visage retranché dans le rideau de sa chevelure noire, le corps à moitié voilé par le ruissellement de cette longue chevelure - telle une toge de prêtresse antique - qui une fois debout tombe en cascade, très bas, bien en-dessous de ses genoux. Marie Colette Newman, carrure d'homme transgressive, penchée sur sa guitare basse électrique dont la forme et la décoration ne sont pas sans évoquer une mandorle vénitienne. La diseuse de bonnes aventures se lève et sépare les serpents de ses cheveux, les tient dans sa main, les exhausse tels des boas sacrés – ceux qui dormaient dans la couche d'Olympias la mère d'Alexandre – elle profère les litanies succulentes du plaisir saphique, et Marie Colette entremêle les mots de ses cordes, elle suit les flexibles inflexions de la voix, sait se faire caresse, tendre insinuation, intumescence de clitoris, et vaporisations implosives, car les vocables de Valéry Ménadier se dressent droits d'ardeurs et d'impudeurs tel le reflet tranchant de la vitre du désir transparent de l'autre, ils chantent les chaudes chattes de femelles énamourées, toi brulante, émois sans atours, la langue cherche ton sexe comme la courbure du bateau appelle l'effusion de la mer chavirante. Les lèvres se livrent et le livre s'élève en cette lente gesticulation du corps de l'officiante. Deux coques de chair s'entrechoquent en offertoire, Valéry lit, du bout de la langue, elle susurre et murmure, ses gestes délivrent le dire de l'appel exaucé, la foule, à sa bouche allaitée d'écume, boit ses paroles d'un miel bourdonnant d'Hymette lesbienne, et suit des yeux la lente danse sacrale de son corps de femme, qui ondoie et ondule, gracieux, gracile, qui raconte les jouissives rencontres décisives, l'entremêlement charnellement gordien que tout effort de séparation resserre plus qu'il ne défait. Statue de foudre mobile, transformée en incarnation de la Grande Déesse, celle qui préside aux grandes étreintes comme aux arrachements les plus cruels, elle est, et la poétesse, et la lyre modulée, qui chante dès que le vent de l'attirance effleure et effeuille ses nerfs de vulves vives et frémissantes. Elle ne prend le micro que pour confier encore plus bas les secrets inexpiables des joies les plus païennes. Elle préfère parler à voix nue, espiègle et piégeuse, dans le rire de l'innocence et de l'offrande. Colombe qui roucoule les passions les plus enivrantes ou qui scande les dandinements orphiques de l'appel à l'orgasme du chant et des chairs tendues à en mourir. La guitare de Marie Colette se tait à l'unisson de la voix de Valéry Maynadier. Elles nous laissent, désireux, fiévreux, inassouvis. Tout est dit. Surtout et avant tout le non-dit. Silence et applaudissements nourris.

ECHANGES

D'autres lectures suivront. Agréables à écouter, sereinement servies par quatre lectrices. Un mise en scène qui suscite l'intérêt, mais ces textes de prose - empruntés à des autrices, elles dédicaceront leurs ouvrages au Salon du Livre Lesbien, à féminiser je préfèrerais auteures, qui présente davantage de hauteur - relatent des expériences diverses, toutefois ces récits romanesques ne bénéficient pas des densités poétiques de Valéry Meynadier. Plus que le sujet, en littérature c'est l'altitude d'écriture qui établit les différences. Le style fait l'homme disait Buffon, l'a oublié de rajouter, la femme aussi.

La soirée se termine devant les petits fours. L'occasion de faire de belles rencontres. Valéry Meynadier a raison, le danger est partout.

Damie Chad.

29 / 06 / 2018 - TROYES

3B

THE WILD ONES

Un peu d'équipée sauvage ne messied pas aux rockers, justement ce soir les Wild Ones, venus à Troyes spécialement de Belgique, la teuf-teuf ronronne. Ronchonne aussi. Taxes sur les Harley-Davidson, taxes sur le beurre de cacahuète, décidément l'on en veut à la gent rockine, et la prochaine fois faudra se contenter d'un pépère quatre-vingt kilomètres heure pour se rendre aux 3B. A se sentir pousser une âme de complotiste paranoïaque. En plus la fidèle monture est obligée d'emprunter un sens interdit et de brûler un feu rouge pour éviter les travaux qui encombrent la rue du 3B. Mais rien ne saurait arrêter un rocker en quête de concert.

Chaleur écrasante, les vitres du 3 B sont largement ouvertes. Pas un souffle d'air. Pas grave, ce soir c'est du lourd, Béatrice la patronne m'assure que la balance a été explosive.

THE WILD ONES

Difficile à admettre mais c'est comme ça. Les Wild Ones ont inventé la machine à remonter le rock'n'roll. Quatre sur scène, et c'est parti pour le grand voyage. Ne sont pas pressés, simplement la pulsation originelle, nous la font entendre longtemps, le temps de descendre le Mississippi et de nous promener dans les quartiers interlopes de la New Orleans. Jack O Ronnie est à la double bass, c'est lui qui pulse, qui jazze, un cœur noir qui bat infiniment, quelque chose qui est là depuis le début, une vibration primordiale, un battement incessant d'ailes de corbeau noir, celui qui s'en vint rendre visite à Edgar Poe pour lui signifier l'infinie déréliction d'exister dans le bonheur de vivre sur cette terre, et de l'autre côté Big Brett roucoule, tout doux, l'eau qui coule sous la proue du show-boat qui remonte le courant, l'harmonica sans fin, qui ne s'impose pas, mais qui se révèle indispensable, entre deux eaux, poisson pilote qui n'en guide pas moins et accompagne le navire vers les quais aventureux. Entre les deux, Tony La Monica, à la guitare, dans le sillage, l'on ne l'entend pas mais l'on n'écoute que lui, cette manière de passer les riffs lof sur lof, en douce, l'air de rien, mais toute la manœuvre sur ses doigts experts. Le quatrième, l'ont surnommé Skinny, vraisemblablement parce qu'il n'a jamais eu peur que le ciel lui tombe sur la tête, alors il vous le fracasse à chaque seconde sur ses peaux. Un halètement tonitruant, des saccades d'étambot qui permettent de frôler les incidences du rivage, de flirter au plus près de tous les naufrages, en les évitant toujours. Si loin du rockabilly étiqueté pure america, dans la feu souterrain de ce que Rimbaud appelait la folie nègre. Ce premier morceau à considérer comme une ouverture musicale d'opéra.

Et le rideau noir du fond se déchire violemment, l'homme-léopard apparaît soudainement, personne ne l'attendait, mais le voici, sous sa casquette, Wild One Dee plante sa longue silhouette devant le micro, derrière lui les portières claquent et la chevrolet démarre. De ma vie je n'ai jamais entendu Maybelline malmenée de cette manière. Même le vieux Chuck n'a jamais osé, l'avait carrossée et maquillée le gamin de Saint-Louis de façon à la rendre appétissante pour les blancs adorateurs de country, mais les Wild Ones l'ont repeinte en noir, une fleur purpurale et vénéneuse, le fluide du beat par-dessous et cet étirement indolent des lyrics, z'avez l'impression qu'ils l'ont rallongé de quinze mètres, vous ne voyez qu'elle dans les rues, elle rafle tous les regards, l'harmonica de Brett imite les engouements du carburateur, Jack freine le riff à tous les coins d'avenue, Skinny écrase mollement quelques cops au passage, et la ballade se poursuit follement, vous vous précipitez aux croisements pour l'applaudir, et Dee l'en a plein la bouche, mééé-beu-lii-neu, fait durer le plaisir, Jolly Jumper le cheval fou de Lucky Luke en train de se débattre avec un chewing gum à la noix de coco, jamais une fille n'a mis aussi longtemps pour se déshabiller avant de vous rejoindre dans le lit, oui mais après le goût de la sueur sous votre langue, délectable, inimitable.

Dites rockabilly, les Wild Ones rigolent, vous répondent rock'n'roll, sans frontières, sans clôtures barbelés, sans idées fixes, sans étoiles jaunes, sont pour les melting-pots explosifs et partagés, les tumulus de grandes jouissances, précisez root-rock ou rockin-blues, ils s'en fichent, s'affichent rythm'n'blues, and blues. D'ailleurs la lune s'obscurcit, c'est l'heure où les loups sortent du bois et hurlent à l'astre séléniquement blafard. Dee se métamorphose, n'est plus qu'un garou, s'avance vers vous, dressé sur ses pattes-arrière, l'esprit vaudou s'empare de lui, l'a le regard vicieux, l'est le loup méchant, celui de votre enfance qui va vous croquer fissa le petit chaperon rouge ( qui n'en demandait pas tant ) et le voici maintenant dans la maison des sept petits chevreaux, les avale tous, à pleines dents, jusqu'au tout petit, le dernier, l'innocent qui s'était caché dans l'horloge, Dee vous le bouffe aussi avec le cadran et le balancier en prime. Brett hulule sur son harmo, Jack vous a de ces enjambées chaloupées sur sa big mama, Skinny vous démolit tout ce qui passe à sa portée, vous casse le bois et la baraque, et Tony explose sa Fender, vous vrille les riffs, vous perfore les intestins et vous les dévide en un tour de main, à tout seigneur tout honneur, Howlin'Wolf, le chamanique, est de retour et le combo mène la harde au grand galop. Le public embraye d'instinct, non ce n'est pas l'accompagnement musical pour un documentaire sur les chihuahuas, mais une séquence de la Horde Sauvage de Peckinpah.

Le blues dans tous ses états. La maladie bleue qui ne se soigne pas. Vous le confirment aussitôt avec I Don't Need No Doctor de Nick AshFord le truc qui vous nique le trou de l'ass très fort et vous le réduit en cendres. Pour vous dire que c'est chaud brûlant. Les Wild Ones ont une spécialité quand ils jouent un morceau. Original ou reprise. D'abord c'est comme tous les bons groupes, mettent du cœur à l'ouvrage, vous sortent un truc impeccable, léché, fouillé, sans défaut, envoyé derrière le mur du son, une petite merveille. Voilà, c'est fini, pesé, emballé, livré avec les compliments de l'entreprise. Remboursé si vous trouvez mieux ailleurs. Et vous êtes comme l'idiot du village, le crétin de service, l'imbécile heureux qui croit avoir trouvé le nirvana. Avec votre bonne foi de débile congénital, vous vous préparez à applaudir des deux mains. Le plouc qui s'en va remercier la cuisinière pour les gâteaux d'apéritif au glyphosate qu'elle a achetés au supermarché. Donc au prochain concert des Wild Ones ne passez pas pour un péquenot. Retenez bien ceci, quand ils ont terminé le titre, ce n'est pas fini. Vous ont envoyé au tapis, les dents éparpillés sur le ring, vous ne savez plus qui vous êtes, vous ont montré la Sainte Vierge toute nue, et bien non, ce n'est que le début, vous croyez stupidement qu'ils vont passer au morceau suivant puisqu'ils ont donné la version définitive de celui que vous venez d'écouter, et bien non, ce n'était que la mise en bouche, une intro, car brutalement tout s'accélère et vous vous apercevez que le film possède une deuxième séquence projectile, là où tous les autres vous passent le générique de fin, eux ils embrayent sur la dernière ligne droite, une chevauchée de trois cents kilomètres, encore plus sauvage que tout ce qui a précédé. Vous terminent en beauté, à la Jayne Mansfield, encastré sous le pare-buffle du poids-lourd, vous en sortez décapité, mais heureux.

Trois sets de fous. Royaux. Et vous n'avez encore rien vu, Jack qui se saisit de son archet pour faire longuement gémir sa big mama au godemiché, elle n'en peut plus, elle rêve qu'elle joue dans un quatuor à cordes, qu'elle est la reine du super orchestre symphonique de Salzbourg, l'en devient folle, danseuse étoile et grande gigue de la sarabande des yatagans ensanglantés, Brett et son coffre au trésor d'harmonicas inépuisables, glousse comme la poule rousse que l'on poursuit pour la trucider pour le rituel vaudou, glougloute sans fin telle une voie d'eau boueuse qui s'infiltre dans la coque du bateau, un naufrageur, qui allume des feux sur le rivage pour vous tromper, vous le savez mais vous ne pouvez pas vous empêcher de vous déchirer les oreilles sur ces récifs tentateurs. Skinny qui vous tape sur le système, un forgeron de génie qui vous fout martel en tête, le genre de gars qui vous détruit la maison et vous sortez en courant pour mieux l'admirer, Tony qui vous fait flamboyer sa Fender comme un oriflamme, dans la mêlée vous vous fixez sur elle et vous savez que vous êtes sur le sentier qui mène droit au jardin des délices, ou des supplices, mais cela n'a plus d'importance, Dee est au vocal, chante autant avec son corps d'homme-panthère qu'avec sa voix. Ce sont tous les mystères du rock'n'roll qui transitent par son gosier, les marécages du blues, les grandes plaines, les rapides du rock, les pistes cahoteuses du boogie, les clandés et les jukes joints, les bouges et la sorcellerie animale des peaux-rouges, ça foisonne comme les feuillets d'herbe bleue des poèmes de Walt Whitman, O Captain, O my Captain !

Un concert ? Non un régal. Merci à Fabien pour le son impeccable, et à Béatrice la patronne, pour cet inestimable présent des Wild Ones.

Damie Chad.

 

TEARS, TOIL, SWEAT & BLOOD

WALTER'S CARABINE

 

Marius Duflot : basse, vocal / Foucaud de Kergolav : guitare, harmonica / Joe Ilhareguy : drums.

Réalisation : Vince Pozadski /

Studio Swampland de Lo Spider : Toulouse.

Octobre 2017.

Devil's Door : tapotements initiaux, ceux qui viennent de loin lorsque vous collez l'oreille sur le rail pour savoir si le train arrive. Ne tarde pas à débouler et à vous trancher la tête. Ne le regrettez pas, tout de suite après c'est la cavalerie Comanche qui vous passe sur le corps, enfin un western musical dont vous êtes le héros. Hélas les meilleurs aventures ont une fin et le film s'arrête brusquement. Mais quel ravissement, jamais entendu un groupe valser avec un tel son, tout est bon, les guitares, la voix, le rythme, un monde en trois minutes, la vie, la mort et la transfiguration. Dummies : ont compris votre déception, ce coup-ci vous en donnent pour votre argent, une séquence de treize minutes, des rebondissements toutes les trente secondes, des brisures rythmiques à vous étirer les os, un batteur qui vous découpe les côtes à coups de cymbales, de la grandiloquence, des arrêts sur image, des travelling furieux, vous voici seul désespéré et une tintinnabulisation de grincements s'en vient vous entraîner dans une danse de saint-guy souterraine qui jaillit brusquement comme un geyser d'eau brûlante dans le désert. Dommage que vous soyez obligé de marcher pieds nus sur le sol infesté de serpents venimeux, prennent un malin plaisir à s'enrouler autour de vos jambes alors que le reptile de l'angoisse s'installe dans votre cerveau. N'aviez jamais cru que le temps pourrait durer aussi longtemps, et c'est encore pire lorsque tout s'accélère, une chose est sûre, cette terre ne vous offrira jamais le bonheur de vivre, vous aimeriez que votre âme s'envole vers les étoiles mais le ciel est aussi noir que le couvercle d'un cercueil. Le seul avantage, c'est que vous n'avez pas le temps de vous ennuyer, n'auriez jamais deviné que vous prendriez autant de plaisir à agoniser. Soyez positif, le tempo s'accélère, vous courez et escaladez la dernière dune de sable. Ne vous dirai pas ce que vous trouvez derrière. Erarserhead : de la douceur dans ce monde de brutes, le rythme est bon mais sont-ils vraiment obligés de psalmodier une prière pour votre enterrement. Cette voix qui vous arrache la langue et cette musique de coups de marteaux sur les articulations de vos genoux, vous essayez de leur échapper mais la poursuite s'annonce impitoyable. En plus vous êtes du mauvais côté, le dos collé au mur des fusillés. Eclats de rire pour ne pas pleurer. Glory : ça tire dans tous les sens, une véritable fête, vous vous remuez comme sur le dance-floor. N'oubliez pas que l'on achève même les chevaux fous. Vous ne vous serez jamais autant amusé. Rugissements d'enthousiasmes souverains. Hell Hill : la même chose qu'au précédent mais à la puissance mille, jerk tous azimuts, une espèce de brouhaha de voix métaphysiques vous enveloppe et les guitares vous surfilent votre linceul à toute vitesse. Une véritable feria mexicaine. Ce peuple n'a jamais su se tenir. Lover Lover : l'amour ne sera jamais une consolation tout au plus un delirium tremens qui vous fait perdre le son des réalités. Ça saute et ça tressaute comme si vous découpiez les pointillés du charivari à la dynamite. Time to ignition : souffle le vent du désert, le tambour des sables vous poursuit et la voix vous prend en chasse. Mais qu'avez-vous fait au bon dieu pour être victime d'une telle lapidation, le cauchemar ne s'est jamais arrêté mais ça repart encore plus fort et plus speedé, sont à vos trousses, un conseil, ne comptez que sur un miracle, sont déjà en train de commander le champagne pour fêter dignement votre trépas. Vous feront brûler à petit feu. Par pure bonté, pour que vous n'ayez pas froid, et maintenant ils hurlent autour de vous comme des chacals affamés. Train : déchirure d'harmonica, la station n'est plus très loin, essayez de la rejoindre avant que le train ne s'y arrête, z'avez intérêt à vous manier car le convoi arrive à toute blinde, les bielles s'emballent, et personne n'a envie de vous attendre. Poussent même le vice jusqu'à accélérer le shuffle. Les sept dernières minutes de votre existence, trop tard vous marchez sur les traverses tout essoufflé, l'on vous crie de vous dépêcher, le train repart doucement. Mais sûrement. Vous restez sur le quai, vos rêves s'évanouissent, mais où donc avez-vous laissé votre tête ?

 

Vous ressortez de cet album en piteux état, mais vous n'avez plus qu'une idée, vous précipiter au guichet pour refaire le voyage. Une unité sonique sans égale. N'ont pas additionné au hasard et à la la queue-le-leu leurs huit nouvelles compos. Z'ont d'abord créé, un son, une atmosphère, une idée, un désir, un labyrinthe, une chimère, vous rentrez dans le disque pour n'en ressortir qu'une fois que vous l'avez parcouru en entier. Rien à sauter, rien à jeter. L'est des livres fascinants dont vous lisez toutes les pages, les Walter's Carabine, une fois qu'ils vous ont mis en joue, c'est comme le gang de Jesse James, c'est jusqu'au bout et jusqu'à la mort. Un véritable album avec sa couleur unique, qui n'appartient qu'à lui, comme très peu de groupes français savent en produire. Un truc qui peut rivaliser sans crainte avec moult ovnis venus d'outre-Manche ou d'outre-Atlantique. Carton plein.

Damie Chad.

 

BIG BEAT

N° 30 / Juillet 2018

LITTLE RICHARD

Pour son trentième numéro Big Beat frappe un grand coup. Rappelons que le N° 1 de cette revue parut au mois de juin 1969, Jerry Lee Lewis en couverture. En 1982 la revue s'arrêtait, mais les combattants de la première heure ne cessèrent pas le combat. En 2008 naissait le blog Roll Call visité par les Cats de tous les pays notamment des USA qui venaient y chercher des documents qu'ils ne trouvaient pas chez eux. Cette mine d'or à ciel ouvert disparut en 2016 malgré les lettres de protestation envoyées à Google - Kr'tnt s'était fait à l'époque le relais de la campagne de protestation restée sans effet et sans réponse - mais dès septembre 2016 Alain Mallaret, impénitent activiste rock, redonnait vie à Big Beat sous forme digitale numérisée, disponible gratuitement sur Calaméo. Nous vous avons déjà entretenu de quelques numéros précédents mais celui-ci dû aux plumes d'AlainMallaret et Pierre Penonne se révèle d'une lecture indispensable.

Little Richard en couverture... et dans tout le reste du numéro. Au demeurant fort épais pour employer un adjectif qui conviendrait mieux à une revue papier. Rien ne vous empêche d'ailleurs de le tirer sur votre imprimante... De nombreuses belles photos certes mais elles n'occupent qu'une toute petite partie de l'ensemble dévolu au texte. Avec ce bémol grimaçant, le français n'apparaît qu'épisodiquement, l'anglais prime, mais rassurons-nous il s'agit d'une langue simple qui délaisse ces tournures idiomatiques qui rendent si malaisée la lecture de nombreux livres et articles rédigés par des autochtones.

Alain Mallaret et Pierre Penonne ont agi en archivistes méthodistes. Ont adopté l'ordre chronologique pour présenter la biographie de Little Richard. Ce qui n'exclut pas les petits recoins spécialisés. Compilent les faits et les dates. Situent brièvement les divers personnages – musiciens, chanteurs, producteurs - rencontrés par Little Richard, s'attardent sur les sessions d'enregistrement et les sorties de disques. Les colonnes regorgent de renseignements précis et indispensables pour qui veut se faire une idée de la carrière de Little Richard. Quelques anecdotes mais pas d'analyses musicales ni de perspectives générales qui mettraient en relation l'œuvre du Petit Richard avec l'ensemble de la musique de son temps.

Cette somme amène des précisions indispensables pour les tout premiers enregistrements de l'artiste, de même tout ce qui concerne la période gospel, sur laquelle on ne s'attarde guère d'habitude, est passée au crible, les addictions de l'idole à différents produits ne sont pas passées pudiquement sous silence, et puis peut-être le plus intéressant l'on côtoie le King du rock'n'roll de beaucoup plus près lors d'une de ses tournées européennes - tous les concerts soir après soir - et sa venue en Suisse avec rencontres personnelles et discussions conviviales.

Plusieurs heures de lecture sont nécessaires pour écluser cette somme richardienne. Plus ce bonus inestimable, d'en ressortir en ayant la sensation d'être plus riche et plus savant qu'avant. Un bel hommage rendu à un des deux plus grands pionniers encore vivants. Et ce plaisir d'entrevoir Cosimo Matassa, Odetta, Roy Brown...

Damie Chad.

 

LE DIT DE RODIN

ALEISTER CROWLEY

( L'ARACHNOÏDE / 2018 )

Le rock a toujours éprouvé quelques sympathies envers le côté obscur de la force, selon une ontologie occultiste cette musique peut être classée en tant que démarche initiatique de la main gauche. Vous savez celle des agissements dont il vaut mieux que la dextre reste ignorante... Cette attirance vient de loin, de l'origine, le blues ne pourrait-il pas être entrevu comme une sécularisation des cérémonies et rites vaudou ? Lorsque le sang bleu du red rooster a été récupéré par une jeunesse blanche d'un niveau culturel plus élevé – ce qui n'exclut en rien une certaine et clinquante superficialité - elle s'est trouvée des intercesseurs un peu moins primitifs, rehaussés d'un plumage, et d'un ramage, théoriques plus étendus. Anton Szandor Lavey et Aleister Crowley en furent les deux personnalités élues les plus saillantes, encore que Lavey et Crowley ne participent pas d'une démarche identique. Crowley se prévalant d'une plus grande expérimentation.

Mais ici il s'agit d'un des textes de la toute fin de ce que l'on pourrait appeler le premier Crowley, celui qui n'a pas encore atteint la véritable plénitude de sa dimension magicke. Son recueil le Rodin In Rime reste encore tributaire des influences mythographiques de l'Ariel Shelleyen et des Phares Baudelairiens, le poëte entrevu en tant que démiurge capable d'avoir par ses proférations une influence, une action efficiente, sur le monde.

Rien de plus dissemblable que les personnalités de Crowley et Rodin, mais la rencontre eut lieu. Et Rodin ne fut pas le moins intéressé. Crowley lui offrit - ce que les musiciens se permettaient en mettant en musique les vers des poëtes – mais selon une synesthésie plus rare, transmuter en vers les sculptures. Réduire le volume, en lignes. Vénus callipyge transformée en traits de lettres. Rodin désignait le lieu, Crowley écrivit la formule. Du coup Auguste donna plusieurs de ses dessins pour illustrer quelque peu la forme des vers. Orgueil Crowleyen. Rodin et le dieu de la Bible avaient eu besoin de glaise pour pétrir le corps de l'homme et de la femme. Crowley n'eut la nécessité que de quelques gouttes d'encre. Crowley renversait les tables de la loi, Qui peut le moins, peut le plus. Inversion des valeurs avait annoncé Nietzsche. Rien à voir à voir avec la qualité qui primerait sur la quantité. Plutôt la force magicke, la volonté d'abstraire l'esprit de l'argile terrestre. Rodin arrachait le mouvement, au marbre et au métal, Crowley tatoue d'étranges rituels d'exhaussement de la chair humaine. Dans les deux cas il ne s'agissait pas de donner vie à la matière inerte mais de la reprendre. Ce qu'un Dieu a fait, l'artiste peut le défaire. Il s'agit de savoir regarder et de savoir lire. Ce qui n'est pas donné à tout le monde.

Vous avez de la chance. Philippe Pissier s'est chargé de traduire le Rodin in Rime de Crowley, une translation scrpituraire, en Le Dit de Rodin, qui d'autre que lui aurait pu se charger de ciseler ce travail d'orfèvre ! L'a déjà donné, en douce et docte langue françoise, la traduction la plus exacte de la plupart des traités les plus importants de la Bête. N'oubliez jamais que la robe d'écarlate de la prostituée de l'Apocalypse et la pourpre impérieuse de la plus haute poésie, sont toutes d'eux, une seule et même couleur, initiatique et alchimique.

Un livre qui ne manquera pas d'interroger les amateurs de rock. Car cette musique est avant tout affaire de sens et de volume. Et de puissance.

Damie Chad.

Elégant volume de 158 pages disponible aux Editions de l'Arachnoïde, www.arackno.org, et dans toutes les bonnes librairies. 21 Euros. Le Dit de Rodin avec sept lithographies de Clot d'après les aquarelles d'Auguste Rodin. Traduction française de Philippe Pissier agrémentée de quatre appendices de documents rares et inédits, et précédée de 49 Toasts pour un siècle qui s'éloigne, d'André Murcie ( aka Damie Chad ).

Lecture indispensable pour tous les fans de Led Zeppelin et de metal.