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09/09/2020

KR'TNT ! 475 : EMITT RHODES / MARK LANEGAN / ROCKABILLY GENERATION SP CRAZY CAVAN / E-RUINS / BUNKER PROJECT / HEAVYTION / THE TRUE DUKES / FICTION ABOUT FICTION /

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 475

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

10 / 09 / 20

EMITT RHODES / MARK LANEGAN

ROCKABILLY GENERATION SP CRAZY CAVAN

E-RUINS / BUNKER PROJECT / HEAVYCTION

THE TRUE DUKES / FICTION ABOUT FICTION

TEXTES + PHOTOS SUR  : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

On the Rhodes again - Part Two

 

L’un des secrets les mieux gardés du rock américain vient de tirer sa révérence. Adieu Emitt Rhodes. Bon, c’est vrai, KRTNT en a déjà beurré un grosse tartine en octobre 2018, alors on ne va rebeurrer la même tartine, quoi que ce n’est pas l’envie qui manque. Beurrer est un plaisir. Dans son hit-parade, Jimmy Doyle classe le beurrage aussitôt après la scène et la baise. Il suffit de fermer les yeux pour sentir le parfum d’une large tranche taillée au laguiole dans une miche aveyronnaise et qu’on beurre abondamment avant de la diriger vers une paire de lèvres humides et frémissantes.

Soumis à une pression commerciale terrible dans les années 70, Emitt s’était retiré du music business. Il dit avoir failli en crever. Ce reclusive pop polymath, comme le qualifie Paul Myers, refit surface 43 ans plus tard avec un album remarquable, Rainbow Ends. Pour saluer sa mémoire, ressortons de l’étagère ce chef-d’œuvre éminemment emittien.

On peut affirmer sans risquer de tomber dans l’emphase qu’Emitt Rhodes est un spécialiste des coups de génie, au même titre que Brian Wilson et Todd Rundgren, Burt Bacharach ou Jimmy Webb. Il propose une pop orchestrée et sensible qui n’en finit plus de surprendre, même lorsqu’on croit que la messe est dite depuis longtemps. Comme la littérature ou les beaux arts, la pop a encore de beaux jours devant elle, rassurez-vous. La pop de ces gens-là paraît souvent sophistiquée et évidente à la fois, on y sent une grande aisance qui est sûrement le fruit d’un travail acharné. Pas de meilleure illustration de cette théorie branlante qu’«If I Knew Then», un cut de pop étrange et solide à la fois. En fluidifiant son swing, Emitt embarque sa pop au paradis. Comme Brian Wilson, il crée son monde, il développe une énergie capiteuse dont on s’abreuve comme au sortir d’un désert, à s’en écarteler les mandibules. On s’étonne d’une beauté aussi mirifique après 43 ans de silence. C’est là qu’on tombe dans le panneau du lieu commun : les génies n’ont pas besoin de pratiquer, ils entendent et il leur suffit de chanter ce qu’ils entendent. C’est en tous les cas ce qu’on racontait au lycée quand on parlait de Brian Wilson. Du temps où on était comme Jacky, beaux et cons à la fois.

C’est avec «Dog On A Chain» qu’Emitt ouvre son beautiful bal. On ne se méfie pas, on se dit oh bah d’accord, encore un vieux has-been qui a besoin de blé pour s’acheter une tondeuse à gazon et pouf, ça explose au deuxième couplet. Emitt gratte tout simplement ce qu’on appelle les accords du paradis. En plus c’est une chanson autobiographique : le chien en laisse, c’est lui- I was led like a dog on my knees - On comprend pourquoi on le voit pleurer sur la pochette. L’autre coup de Jarnac s’appelle «This Wall Between Us». Le mur lui sert de prétexte à dérive. Il crée un courant mélodique énorme qui l’emporte vers le large. Il se demande s’il peut lire dans les pensées de sa copine. Non. Pourquoi ? Parce qu’il y a un mur entre eux. Rien n’est de pire que de partager la vie d’une personne dont on ne peut lire les pensées. Il est important de préciser à ce stade de l’évolution des choses que ce sont les musiciens de Brian Wilson qui accompagnent Emitt Rhodes. Avec «Someone Else», il passe à la heavy pop, comme au temps béni oui-oui du Merry-Go-Round. Rocky Rhodes ne chante que des hits faramineux. Il ne se mouche pas dans la dentelle de Calais. Il pianote «I Can’t Tell My Heart» au clair de la lune et endort notre méfiance. Grave erreur, car il fait sauter le pont de la rivière Kwaï et dans ce badaboum extraordinaire flotte l’esprit de Burt Bacharach. Il faut bien comprendre que cette pop prétend au trône en permanence. Aux noms de Phil Spector, Brian Wilson, Todd Rundgren, Jimmy Webb, Burt Bacharach, John Lennon, il faut ajouter celui d’Emitt Rhodes. Avec «It’s All Behind Us Now», il fait son Doctor John, privilège de l’âge. Groove de rêve. «What’s A Man To Do» éclate dans la beauté du jour. Il chante à la saturation de timbre, il épuise la beauté angélique. Il descend au plus profond de l’âme humaine et ses arpèges crucifient la mélodie au Golgotha du sentimentalisme. Back to the heavy pop avec un «Friday’s Love» explosif de pop culture. Emitt se laisse emporter par les dérives qu’il secrète. Il est l’artiste dont on rêve. Cet album inestimable s’achève avec le morceau titre, un cut septentrional qui se réclame du jargon des horizons. Comme il va loin, il entraîne la prod dans son sillage mais en même temps, il semble devancer les notions de temps et d’espace. C’est très particulier. Ça s’adresse à l’intellect. On sent que brûle en lui une sorte de feu à la Brel, il cherche en permanence à fabriquer la chanson parfaite. Son always chasing rainbows explose. Il faut entendre ça, cette façon de jeter quatre vers parfaits dans un infini de beauté. Avant lui, peu de gens avaient osé. On ne se lasse pas de cette montée ultime et sublime.

Signé : Cazengler, Emitteux

Emitt Rhodes. Disparu le 19 juillet 2020

Emitt Rhodes. Rainbow Ends. Omnivore Recordings 2016

 

Lanegan à tous les coups - Part Four

 

Si Mark Lanegan continue comme ça, il va battre tous les records de Parts sur KRTNT. Cet homme qui ne fait aucun effort pour se montrer agréable n’en finit plus de nous gaver de son génie. On peinait à ingurgiter sa longue litanie d’albums empoisonnés, voilà maintenant qu’il propose trois cent pages de prose tête-dans-le-cul et aussi gonflée d’abcès que la peau de ses avant-bras. Oh bien sûr, ni lui ni personne ne nous oblige à lire ce texte aussi déplaisant qu’une violente crise d’hémorroïdes, mais quand on est accro à une dope qui s’appelle Lanegan, il n’est pas possible de faire comme si ce livre n’existait pas. Le book s’intitule Sing Backwards and Weep: A Memoir. Le pire est que Lanegan écrit aussi bien qu’il chante, alors forcément, c’est gagné d’avance. Et le pire du pire, c’est qu’il sort un nouvel album en même temps que cette autobiographie qui raconte page après page la véritable histoire d’un fabuleux chemin de croix. Il faut l’avoir lu pour savoir qu’une telle descente aux enfers existe. Mais c’est une descente aux enfers rock, c’est-à-dire de l’art. Lanegan a compris comme d’autres avant lui qu’il pouvait faire de sa vie une œuvre d’art, pardon, une dark œuvre d’art, mais pour que ça vaille la peine, il faut y mettre le paquet. Comme Johnny Thunders, Jeffrey Lee Pierce et Kurt Cobain, ça passe par l’hero et tout le trash qui va avec, les veines, les vices, les aiguilles et les embrouilles. Encore une fois, rien n’est ici condamnable, puisqu’on est dans l’art. C’est ce qu’il faut essayer de comprendre. L’artiste se met en danger pour la seule beauté de son art : ici, un vécu de rockstar. On imagine qu’Artaud, Rimbaud et William Burroughs se sont mis pareillement en danger pour la seule beauté du geste. On pourrait ressortir tous les clichés littéraires et tous ceux de l’histoire de l’art pour illustrer cette théorie que défend Nina Antonia dans son Thunders Book, In Cold Blood : le junkie ne met que sa vie en danger, rien d’autre. Alors, demande-t-elle, où est le problème ? L’art et la morale n’ont jamais su faire bon ménage. Ils dorment à l’hôtel des culs tournés. On écoute les disques des Dolls mais on critique Johnny Thunders. C’est là où le bât blesse. Il est vain de croire qu’on puisse détacher l’homme de son art.

Parmi tous les récits de junkies, celui de Lanegan figure parmi les plus crus, les plus extrêmes, les plus toxiques. Il ne cache rien de ses travers, de ses actes et de son insondable désespoir. Peut-on seulement imaginer jusqu’où peut nous mener le désespoir ? Non, si on ne le vit pas soi-même. En comparaison de Lanegan, Dostoïevski et Cioran apparaissent comme des petits écrivains pelotonnés qui frissonnent au fond d’une alcôve douillette. Lanegan vit dans la rue et frappe avant qu’on ne le frappe. Comme Johnny Thunders, Lanegan voit la dope comme son seul refuge. Il va même encore plus loin, quand il dit à plusieurs reprises qu’elle est son seul amour, the only one love. Pourquoi son seul amour ? Parce qu’elle ne le fera jamais souffrir. Au contraire. Elle l’empêche de souffrir. Il nous plonge dans le divin chaos des paradoxes. Du coup, ce récit éclaire tous ses albums. On le sentait sombre, le Lanegan. En le lisant, tout devient clair comme de l’eau de roche. En se livrant aussi crûment, il donne une fantastique leçon d’humanité. L’homme est par nature définitivement tordu et c’est bien qu’un mec comme lui ait l’honnêteté de le rappeler en envoyant gicler comme une sorte de pus littéraire les pires détails de desolation row. Wow wow wow.

Les pages de ce Précis de Décomposition sont pour la plupart longues et sombres comme des jours sans pain. Il arrive que certaines soient si denses qu’il faille s’y reprendre à deux fois pour venir à bout de cette prose amère et merveilleusement choquante. Là où Dostoïevski nous fatiguait, Lanegan nous exalte. Curieuse sensation d’exaltation : on est littéralement ravi de voir qu’un chanteur qu’on vénère tient fantastiquement la route à l’écrit. Il a ce qu’on appelle un souffle, et il porte un regard si noir sur lui-même qu’on croirait parfois lire les mémoires d’un officier SS ou d’un bagnard, mais il ne s’agit que des mémoires d’une rock star américaine, pas de drame, pas de guerre, pas de fosses communes, juste de l’underground vécu à la va-comme-je-te-pousse, dans un chaos constant de seringues, de coups dans la gueule, de concerts, de sexe, de vols, une ritournelle qui sous une autre plume tournerait à la facétie mais qui sous la plume de Lanegan tourne à l’énormité cabalistique. Il fait partie des écrivains dont on entend la voix au fil des pages, c’est aussi simple que ça. C’est parce qu’il existe un tout petit enregistrement de la voix d’Apollinaire qu’on l’entend quand on lit par exemple le recueil des Lettres À Lou (dont Jean-Louis Trintignant - plus mort que vif à l’époque - fit une lecture dans un petit théâtre de la Madeleine), ou encore Paul Léautaud dont on connaît la voix grâce aux très longs entretiens qu’il accorda jadis à Robert Mallet. Même chose avec Cendrars ou Roger Vailland, ou encore Philippe Sollers (qui errait tel un miraculé dans les miraculeuses Nuits Magnétiques d’Alain Venstein, lisant Rimbaud et Sade), et plus près de nous, un Michel Houellebecq complètement désabusé qui nous parle de sa liberté chèrement acquise dans une interview parue sur DVD. Ce phénomène de voix qu’on entend en cours de lecture ne se produit qu’avec les très grands écrivains, à condition bien sûr qu’ils soient relativement contemporains. Les voix de Montaigne et de la Boetie ? Tintin.

Le Lanegan qui se dépeint enfant rappelle un peu l’auto-portrait que brosse Steve Jones dans son autobio, celui d’un gosse foncièrement déterminé à mal tourner. Lanegan n’y va pas de main morte quand il situe les origines de sa famille «dans une lignée de mineurs, bûcherons, trafiquants, fermiers misérables du South Dakota, criminels, forçats, et hillbillies de la pire espèce, celle des plus primitifs et des plus ignorants.» Dès le début de sa carrière, Lanegan sait qu’il n’est pas destiné à devenir un premier de la classe. En plus, il frémit d’horreur à l’idée que sa mère fut à deux doigts de l’appeler Lance. «Lance Lanegan. Je ne peux rien imaginer que plus humiliant et de plus ridicule. Je remercie encore mon père de ne pas avoir autorisé ça.» Et pouf, c’est parti. «À 12 ans, j’étais déjà un joueur compulsif, un alcoolique, un voleur et un amateur de porno. J’avais une énorme collection de magazines porno.» Ado, il passe au tribunal. On l’accuse de «vandalisme, d’effraction de voitures, d’intrusion, de recel, d’alcoolisme précoce, de vol d’alcool, de possession de marijuana, de vol de bicyclettes, de vol de pièces de motos, d’avoir uriné en public, de vol de fûts de bière, de vol d’auto-radios, d’ivresse sur la voie publique, etc.» Lanegan est le roi des énumérations. Il est condamné à 18 mois de prison. Il a 18 ans. Mais le juge lui donne une chance en lui accordant un sursis. Il lui ordonne de s’inscrire dans un centre de remise dans le droit chemin. Lanegan sort libre. Fuck le droit chemin !

Il développe très tôt une belle fascination pour la violence. Il apprend à frapper dès qu’on commence à l’importuner. «Le premier coup n’était pas forcément suffisant et la violence devint un autre moyen de communiquer, une langue que j’appris à pratiquer couramment.» Il va en effet la pratiquer toute sa vie, et au moment de la shoote avec Liam Gallagher sur laquelle on reviendra plus loin, Lanegan rappelle son pedigree : «Je suis un vétéran de la violence, extérieure comme domestique, onstage, backstage, à la campagne, en ville, dans les bars, sur les parkings, dans les salles de billard, dans les ruelles, aux arrêts de bus, dans les campings, dans les HLM, sur les trottoirs, dans les fêtes privées, dans les crack houses, les dope houses et les jailhouses.» L’autre aspect déterminant de sa personnalité est le côté sombre, cette dépression latente qui le pousse à boire et à se droguer. Il a toujours l’impression de marcher sur une corde raide dont il va tomber. Ado, Lanegan s’isole, il n’a pas de copains, il n’en veut pas. Il ne dort pas la nuit et dort le jour. Il sort des phrases extraordinaires du style : «I always thought I knew it all, but I was only ever motivated into action by one of two things: pleasure or pain.» (Je croyais tout savoir, mais en vérité les seuls moteurs qui me poussaient à agir étaient le plaisir ou la douleur). Il grandit à Ellensburg, un patelin (cow town) de l’état de Washington, situé à un peu moins de 200 km au sud-est de Seattle. Lanegan y hait profondément les habitants, «les conservateurs ignorants, les fermiers white trash et les éleveurs qui ne font que de parler de la pluie et du beau temps.» Quand il est ado, Lanegan tombe sur la photo d’un mec couvert de tatouages et ça le fascine. Alors il commence à se tatouer avec une aiguille et de l’encre de Chine. Il découvre aussi le rock : un disquaire d’Ellensburg nommé Tim Nelson lui fait écouter «Anarchy In The UK» - It was the revelation that changed my life, instantly and forever - Il flashe aussi sur le Venus Erotica d’Anaïs Nin et commence à cultiver des fantasmes sexuels. «Je ne voulais que de l’excitation, de l’aventure, de la décadence, de la dépravation, je voulais tout, absolument tout.» Mais pour cela, il faut quitter ce trou à rats d’Ellensburg. Et pour y parvenir, il n’a qu’une solution : intégrer un groupe de rock et partir en tournée.

C’est Gary Conner qui lui propose de chanter dans les Screaming Trees. Grâce à ce book, on connaît enfin la vraie histoire des Screaming Trees. Le nom nous dit Lanegan vient d’une old Electro-Harmonix guitar pedal called the Screaming Tree. La base du groupe, c’est les deux frères Conner, Gary et Lee. Manque de pot, Lanegan ne s’entend pas bien avec Lee qui est en fait le cerveau du groupe, guitariste et compositeur - It was like talking to a stone - Lee n’a que deux modes de fonctionnement, nous dit Lanegan, muet ou enragé. Lee Conner insulte son père et tape dans la caisse de la boutique familiale. Aux yeux de Lanegan, Lee est un inadapté social - completely inept socially - qui se comporte comme a fucking prima donna, a hillbilly diva who considered himself a genius. Il traitait tout le monde like shit on his shoes. «Comme il n’a aucune vie sociale, il compose quatre chansons par jour.» Lee Conner est un fan de Nuggets - I couldn’t relate to the fakeness of it all - Dans ses textes, Lee décrit des trips de LSD alors que dans la réalité, il n’a jamais pris d’acide ou fumé d’herbe - C’était mon expérience, pas la sienne - Lanegan devra attendre Sweet Oblivion pour découvrir la face cachée de Lee Conner, un homme qui reconnaît le talent de Lanegan et qui lui confie enfin l’écriture des textes. Dans ce passage terriblement émouvant, Lanegan se dit honoré de la confiance de Lee Conner. Et c’est là que les Screaming Trees vont devenir énormes.

Les deux frères Conner se foutent sur la gueule. Et quand dans un concert, on traite l’un des frères Conner de gros lard, c’est Lanegan qui descend dans la fosse pour régler le problème - Ce groupe était malade, violent, déprimant, destructeur et dangereux - En plus, Lanegan est furieux car pendant tout le début du groupe, il doit chanter les textes débiles de Lee Conner. Mais les Screaming Trees commencent à tourner et pour Lanegan, c’est l’essentiel : il quitte ce fucking trou à rats d’Ellensburg. Il voyage aux États-Unis et en Europe et se goinfre de tout ce qui passe à portée de sa main : whaterver sex, drugs or money that came my way.

Lanegan adore la bonne musique. Il cite comme influences le Velvet, les Saints, Captain Beefheart, les Groundhogs, Kraftwerk, les Dolls, Joy Division, le Gun Club, les Wipers, The Fall, Lou Reed, les Stranglers, Birthday Party, John Cale, Bowie, les Damned et les Stooges. Pas mal, non ? Plus loin il cite deux chanteurs en référence : Falling James des Leavin’ Trains et Chris Newman de Napalm Beach. Il adore aussi le cool, catchy, idiosyncratic primitivism de Beat Happening, et notamment le premier album. Il se dit aussi obsédé par l’Astral Weeks de Van Morrison et par un book de Cormac McCarthy, Blood Meridian. Il rend aussi hommage à Pond, «their music, catchy and energetic with lots of good songs and a couple really spectacular ones». Il parle aussi des Saints comme l’un de ses favorite bands of all time. Quant à Mike Ness, it’s impossible not to dig him - À la différence d’autres musiciens qu’il m’est arrivé de croiser dans ma vie, il n’avait pas la prétention d’être une rock star (there was zero entitled-rock-star bullshit to his personality) What you saw was what you got - Il qualifie Alice In Chains de massive apocalyptic machine onstage et voit son meilleur ami Layne Staley comme l’un des grands chanteurs américains.

Mais ses plus grands amis sont les gens qu’il admire : Jeffrey Lee Pierce et Kurt Cobain. Lanegan connaît Kurt depuis longtemps et il sait la différence qui existe entre Nirvana et les Screaming Trees - Nirvana était déjà ce qu’ils étaient la première fois que je les ai vus : great songs, great singer, great look, everything - Lanegan finit par comprendre que Kurt le considère comme un big brother. Et dans un élan épique, Lanegan situe Kurt au même niveau que Dylan, Lennon, Bowie et Jimi Hendrix. Et quand les Screaming Trees sont interdits de festival en Angleterre, Kurt menace d’annuler Nirvana à Reading si les Screaming Trees ne figurent pas à l’affiche. Kurt demande aussi à Lanegan s’il veut bien venir chanter avec lui un truc de Lead Belly au MTV Unplugged. Ils avaient déjà bossé «Where Did You Sleep Last Night» ensemble pour un projet avorté. Kurt cherche toujours à faire connaître Lanegan, mais celui-ci ne veut pas entrer dans le rond du projecteur. Il ne veut pas être cet inconnu qui débarque sur un plateau télé avec le groupe le plus célèbre du monde. Alors, il décline l’offre. Dans un moment de détresse intense, Kurt avoue à Lanegan que la célébrité le détruit et ajoute qu’il n’a plus que deux amis dignes de sa confiance, Dylan Carson et lui, Lanegan. Mais Lanegan se sent mal dans ses godasses, car il ne se sent pas à la hauteur - What kind of friend am I really ? - Oui, il a raison de se poser la question, car quand Kurt l’appelle au secours, Lanegan ne décroche pas son téléphone. Il laisse le répondeur. L’horreur - Il a appelé deux fois en deux heures. Même si je me sentais devenir l’ami le plus merdeux du monde, je n’ai pas décroché. Me prenant pour un Oscar Wilde des temps modernes, je suis resté allongé, en calbut sale et dans une robe de chambre tachée que m’avait laissée une copine stripteaseuse - C’est la première fois qu’il avoue cette lâcheté, là, dans ce livre. Il avoue avoir menti à un journaliste de Rolling Stone, lui disant qu’il n’avait pas eu de nouvelles de Kurt pendant les semaines précédant son suicide, alors que Kurt l’appelait au secours.

L’autre grand fantôme du livre est Jeffrey Lee Pierce. Lanegan commence par flasher sur la musique du Gun Club - Cette musique faite spécialement pour un mec comme moi. Serial-killer music, music for a lost deviant fucked-up soul like mine ! - Aux yeux de Lanegan, Jeffrey Lee is a dude as fucked as I am - I began my lifelong love affair with the music of an idolization of one Jeffrey Lee Pierce - Les trois albums du Gun Club deviennent sa bible. Il va finir par le rencontrer et par devenir son ami. À un moment, Jeffrey Lee remonte un groupe et propose à Lanegan de chanter dans son groupe. Mais Lanegan refuse - Il n’était pas possible que je chante dans le groupe du meilleur chanteur du monde. Ça n’avait tout simplement pas de sens - Puis comme avec Kurt, Lanegan trouve des messages sur son répondeur : il comprend que Jeffrey Lee perd la raison. En apprenant sa mort, Lanegan suffoque de douleur - No, not Jeffrey - Non, pas le big brother qui m’a ouvert sa vie comme un livre qu’il m’a laissé dévorer, la seule relation de ce type qu’il m’ait été donné de vivre. Not Jeffrey, please. Je croyais que mon cœur allait se briser - Il raconte sa lutte pour ne pas sombrer - I would not fall in clinical despair. J’ai tout fait pour résister. Mais quand le barrage a cédé, j’ai chialé pendant des heures - Et il ajoute : «Je l’avais idolâtré. Sa disparition était irréelle. Je ne pouvais pas croire qu’il était mort. Je sentais que je n’allais pas pouvoir survivre à sa disparition. Comme si j’étais définitivement brisé.»

C’est vrai que les plongées introspectives de Lanegan sont parfois vertigineuses. Sans doute est-ce là qu’apparaît l’écrivain, et pas un petit écrivain à la mormoille. Lanegan a du souffle, c’est un prodigieux excavateur. Il se livre à nu et c’est très courageux de sa part. Exemple : il met en avant une personnalité dure et intouchable, mais en réalité, il sent la présence en lui de ce qu’il appelle a thousand forms of fear, c’est-à-dire mille formes de peur, et il sait pertinemment que c’est vrai. Il dit aussi sous forme de boutade laneganienne que la réflexion et l’introspection ne font pas partie de son vocabulaire limité.

Il passe un week-end de rêve avec Selene de Seven Year Bitch. Ils ont une petite love affair. Ils sont tous les deux dans la baignoire et elle lui dit à un moment : «Que t’est-il arrivé pour que tu sois si triste ?» - Ça lui fait l’effet d’un coup de marteau - It hit me like a hammer. Même dans les moments de sérénité, Lanegan se sent rattrapé par son passé. Il sent que cette femme lit en lui. Alors il se met à penser à tous les gens auxquels il a fait du mal, ceux qu’il connaît et ceux qu’il ne connaît pas, tous ceux qui ont eu le malheur de croiser son chemin. Il se sait toxique - In a rare moment of raw, open vulnerability, I started to cry - C’est exactement ce qu’on entend dans certaines de ses chansons : la damnation éternelle - My wasted childhood, my arrogant youth, my anger and obsessions, crime, delusions, self-loathing, paranoia, hopelesness, fury and sad junkie downward spiral - Vertigineux résumé de sa vie foireuse, mais c’est la vie de Lanegan, le plus grand chanteur américain - Si j’étais honnête, je dirais que toute ma vie est une honte, je ne suis rien d’autre d’un raté abject, a fucking shitbag menteur, le pire des junkie losers - Vertigineux aussi les éclairs dans la nuit du manque : «Non seulement l’herbe ne me soulageait pas, mais elle ne faisait qu’accentuer ma douleur. Au cœur de la nuit, je n’avais rien, ni valium, ni benzos, ni méthadone, ni argent, pas d’opiates, rien pour stopper le carnage of this rocket ship of misery. La brutalité du manque était toujours accompagnée par the worst punishing black hole of indescribable hopeless depression. J’entrais dans une spirale, a million-mile-an hour fall. Je me mis à sangloter, mon corps secoué de spasmes toujours plus douloureux avec chaque sanglot. It was torment beyond description.» Avec Lanegan, on se croirait parfois dans les caves de l’Inquisition. Il sait restituer l’horreur de la douleur. Il sait recourir à la prose organique.

Et de la même manière que Steve Jones, Lanegan adore se mettre à nu pour se branler : «En raccrochant le téléphone, je souriais stupidement. Je me disais que ma chance grimpait en flèche. Je me levai, sortis ma queue négligée ces derniers temps par le monde entier et me mis à me branler sur la table basse.» Question sexe, Lanegan n’est généralement pas tendre avec lui-même : «Presque toute ma vie sexuelle a été marquée par les conséquences désastreuses ou prophétiques occasionnées par une ou deux heures de plaisir. Ou par cinq minutes de plaisir, dans certains cas.» Et il ajoute quelques pages plus loin : «Je suis un expert pour transformer l’or en ordure.» Il ne passe même pas par le plomb. Gold for garbage directement. Et quand Kim White lui dit que Jeffrey Lee va mourir, Lanegan lui répond : «Nous aussi, un de ces jours.» Et il ajoute, laconique : «That ended the conversation.»

Tiens encore un exemple du génie dialoguiste de Lanegan :

— Goddamn it, Scratch! What the fuck did you take me into?

Old Scratch était le surnom que me donnaient mes vieux amis, an arcane nom de plume of Lucifer himself.

Lanegan excelle aussi dans l’art des portraits rock : «J’ai rencontré Paul Bearer quand il chantait dans un groupe de Philadelphie, the Serial Killers. He was a one-of-a-kind dude with a crazy, funny-as-fuck intelligence who shared my fiending, black-hole, all-encompassing love of opiates and all things bizarre.» Lanegan swingue ses phrases comme des paroles de chansons. Il fait aussi un portrait de son brother Layne, en plein crazy-boom de crack. Layne perd les pédales, il voit des araignées partout et ça affecte Lanegan : «La tristesse de le voir dans cet état était au-delà des mots, lui, the sweetest, funniest, more magical and intelligent dude I knew, out of his tree.» Lanegan attache une importance considérable à l’intelligence. Tous ses amis et ses héros le sont : Layne, Kurt, Jeffrey Lee.

Dans ce livre, on n’en finit plus de croiser ce qu’il faut bien appeler des éclairs de style, là où rock et littérature font des étincelles - C’était une belle aubaine pour trois camés qui n’avaient d’autre ressource que mes chèques sporadiques de royalties, que la vente de crack dans la rue, and wathever we foraged from the occasional breaking-and-entering incident or boosting-and-returning scam - small time junkie shit - Lanegan rocke autant sa langue que Nick Kent, mais avec toute la grandeur du swagger américain. Quand il dit ça - I had to fix sooner than that or else it was going to be a disaster - on se croirait dans un hit des Stones. Il a ces petites phrases de fins de chapitres qui rockent toutes seules.

Lanegan apporte aussi des éclairages intéressants sur ses albums, ceux enregistrés avec Screaming Trees, puis ceux de sa carrière solo. Sweet Oblivion est l’album qui dit-il faillit faire entrer les Trees dans le mainstream. Lanegan parle d’organically classic rock feel et salue au passage Don Flemming et John Agnello, le producteur et l’ingé-son de l’album. Pour Dust, Lanegan visait la perfection : il voulait que l’album se situe au niveau d’Astral Weeks, de Trout Mask Replica ou de Starsailor, a wholly original piece of music that could not be compared to anything other than itself. On peut dire qu’il a réussi son coup. On ne dira jamais assez à quel point Dust est indispensable. C’est George Drakoulias qui produit ce chef-d’œuvre. Lanegan sait qu’il chante pour la dernière fois dans les Trees. En fait, il ne peut plus les supporter. Il rappelle aussi que les gens de SubPop lui ont baisé la gueule à la parution de son premier album solo, The Winding Sheet, en ornant la pochette d’un portrait que Lanegan détestait. Fou de rage, Lanegan est allé trouver Bruce Pavitt dans son bureau pour lui démonter la gueule, mais il s’est retenu au dernier moment : «Eat shit Bruce. You don’t know how lucky you just got.»

Tout cela est bien joli, mais il manque le personnage principal de ce puissant récit : la dope. Sans sa chère dope, Lanegan n’est rien. La dope en fait un roi et le met à genoux en même temps. Il ne cache rien de sa consommation massive. Sex and drugs and rock’n’roll ? Come on in... «Cherchant désespérément à éviter les ravages causés par mon alcoolisme incontrôlable, j’ai commencé à bricoler avec l’hero. Je voulais absolument arrêter de boire et cesser de commettre toutes ces horreurs. J’y parvins grâce à l’hero and I picked up a small habit pretty quiclky.» Plus loin il ajoute : «Par rapport à l’alcool, l’hero avait tous les avantages : je n’avais pas de black-out, je ne me battais plus, je n’avais plus de gueule de bois ni de réveil dans des situations embarrassantes. L’hero me relaxait et calmait my always screaming mind.» Grâce à cette aventure de dope-craze, Lanegan va faire de subtiles rencontres : «Début 1993, nous allâmes de nouveau en Europe jouer en première partie d’Alice In Chains. Layne et moi avions fait notre last shot dans les toilettes de l’avion et en arrivant à Londres, on était déjà en manque. Notre connexion londonienne était un Américain vivant à Londres, Craig Pike. Il avait joué de la basse pour Iggy Pop et en jouait alors pour Thee Hypnotics. Il vivait dans un grand squat décrépit, il n’y avait ni eau courante ni électricité. Il vendait de la dope pour se payer la sienne. Même si j’aimais bien Craig, je trouvais son destin pathétique. En aucun cas j’aurais voulu sombrer à ce niveau de déchéance, you could fucking count on that.» Puis Lanegan raconte que Layne, lui et un autre mec utilisent la même seringue et qu’ils l’affûtent de temps en temps sur un grattoir de boîte d’allumettes, comme un vieux couteau sur une pierre à aiguiser. Lanegan n’est pas avare de détails sordides, mais il a raison, car il touche avec ça au summum du trash, c’est-à-dire tout ce que le corps peut encaisser dès lors qu’il s’agit d’atteindre les paradis artificiels. Il évoque aussi les gens bizarres qu’on croise dans ce milieu, «the company of unsavory, damaged or borderline dangerous people, some of them legitimately out of their minds. Des gens qu’on ne fréquenterait d’aucune manière.» Lanegan sort aussi les chiffres, c’est important les chiffres, dans ce type d’épopée : «Mon addiction était prioritaire en tout. Je consommais un ou deux grammes d’hero par jour, et ça me coûtait 150 ou 200 $, ça dépendait du vendeur. Je faisais un fix chaque soir et je gardais de quoi me shooter à mon réveil.» Et de fix en aiguille, Lanegan finit par trouver son true love, l’hero : «Personne n’aurait pu m’arrêter maintenant que j’avais trouvé my one true love, the only peace of mind I’d ever had.» Une paix de l’esprit qu’il doit payer au prix fort, mais quand on aime, on ne compte pas. Et voilà qu’il développe, pour qu’on comprenne bien : «L’hero m’a sauvé la vie. J’ai pu stopper les horreurs engendrées par l’alcoolisme, un alcoolisme puissant comme un train et contre lequel je ne pouvais rien. L’hero avait calmé la tempête sous mon crâne et tu cette voix qui me répétait sans cesse que j’étais un vrai tas de merde. L’hero avait balayé toutes les angoisses qui m’empêchaient de dormir. L’hero m’a aussi débarrassé des sentiments de perte, de regret, de chagrin, de ressentiment, mais aussi de la haine brûlante et du dégoût profond que j’éprouvais non seulement envers moi-même mais aussi envers les autres.» Lanegan aime aussi à se comparer à une poubelle, disant qu’il se tapait n’importe quelle dope disponible - When it came to heroin, tough, I was a purist - Avec Layne, ils tapent aussi dans la coke et parfois mélangent coke et hero : speedball. Ils s’imposent alors un silence absolu - The explosion as the coke hit our brains était le but et n’importe quel bruit aurait ruiné l’effet - Il évoque bien sûr le crack boom hue, mais c’est pour en dire du mal : «Dès le premier hit, j’ai compris que le crack allait avoir ma peau. Au début, Layne essayait de m’y initier, mais je déclinais en lui disant no thanks bro, j’ai déjà assez de problèmes comme ça. J’étais pourtant un junkie aguerri mais le crack a fini par me mettre à genoux. Je fumais tout le temps, toute la journée, toute la nuit.» Au fil du temps, Lanegan observe une curieuse transformation : s’il se shoote jour après jour, ce n’est plus pour s’envoyer en l’air, forget about that, c’est juste pour aller bien, in order to just stay well. Il veille à utiliser le moindre grain et il se met aussi à chercher du crack dans la rue - I also needed crack, since I was obviously a fucking degenerate crackhead also - Il n’est pas non plus avare de détails croustillants sur les joies du manque : «Je ne pus me retenir. Je vomis si brutalement que j’en tombai à genoux, puis sur le ventre. Comme je n’avais rien mangé depuis deux jours, je vomissais de grosses quantités de bile noire.» L’un des passages les plus spectaculaires du livre est celui où Lanegan raconte une nuit de cauchemar à Amsterdam. Il va acheter de la dope en pleine nuit, là où se trouvent les dealers et il se fait rouler : rentré à l’hôtel, le fix qu’il se fait ne marche pas. Quand il y retourne, il se fait braquer. Il tombe dans les pommes et c’est un vieil original qui le ramasse et qui l’emmène sur son vélo chez lui pour lui proposer un fix de secours. Lanegan sait narrer ses aventures, on en savoure le moindre gramme.

L’autre épisode tragi-comique est la fameuse rencontre avec Liam Gallagher, lors d’une tournée américaine qui propose les Trees et Oasis à la même affiche. Liam vient trouver Lanegan, escorté par deux gardes du corps. Lanegan est en train de manger et Liam lui lance : «Howling branches!». Il se croit drôle. Lanegan ne lui répond pas. Liam insiste : «Howling branches?» - Le mauvais jeu de mots sur mon groupe et sa brutale intrusion dans la pièce commençaient doucement à m’irriter - Alors Lanegan fait son Lanegan et rétorque : «Fuck off you stupid fucking idiot !». Lanegan apporte tout de même une précision importante : «Dans le coin d’où je viens, un mec comme ça ne vivrait pas longtemps en se comportant ainsi. Il finirait pas disparaître sans laisser de traces.» Fin psychologue, Lanegan voit Gallagher «comme un kid en culotte courte, un beau jour d’été, secouant sa minuscule petit bite alors qu’il fait griller des fourmis sous une loupe.» Il a raison de le remettre à sa place et d’épingler son arrogance. La tournée se poursuit, émaillée par certains incidents. Lanegan recroise Liam qui lui annonce qu’il va lui régler son compte à Miami, où est prévu le dernier concert de la tournée. Lanegan n’attend que ça. Mais Liam quitte à la fois la tournée et Oasis juste avant la dernière date à Miami et Lanegan voit sa vengeance lui échapper. Il est furieux - That phony motherfucker avait pissé dans son froc et il était rentré chez sa maman avant que je puisse lui démonter la gueule.

Le récit s’achève sur un court paragraphe en forme de rédemption. Lanegan se réveille dans une chambre d’hôpital et par chance, il ne fait pas son Cash, il nous épargne le couplet sur Dieu. C’est Courntey Love qui l’aide à s’en sortir.

L’empire de Lanegan s’étend jusqu’à son nouvel album, Straight Songs Of Sorrow. Il met sa main tatouée bien en évidence, pour le cas où on aurait pas remarqué ses deux séries d’étoiles. À l’intérieur du gatefold, on le voit assis portant ses lunettes de vieux junkie et fumant sa clope. Welcome back in the dark world avec l’habituel cocktail de drug-songs et de coups de génie. On en compte pas moins de deux, à commencer par «Internal Hourglass Discussion», un cut d’esprit free, pas loin du mambo beefheartien, c’est une drug-song de dérive urbaine drivée au story-telling de spirit déjanté. Tout aussi fascinant, voilà «Ballad Of The Dying Rover» avec un son plus electro, le vieux loup garou pousse en avant sa tendance moderniste - I’m just a man/ Just a sick sick man - Il chante à l’inhérence du désespoir le plus profond, avec une voix de desperado - Death is my due - Dark genius. Il ouvre son bal d’A avec l’infernal «I Wouldn’t Want To Say» qu’il chante à contre-courant d’un hard drive de machines. Il chante at the top of his lungs, c’est très tendu, il shake les muddy waters des temps modernes, peu de gens sont capables de créer un tel doom en quelques minutes. Effarant. On tombe un peu plus loin sur un balladif morbide qu’il chante en duo avec Shelley Brien : «This Game Of Love». Ils échangent leurs vers comme des amants de la pleine lune, et ça nous rappelle l’ambiance d’Higelin au temps où il demandait à Brigitte Fontaine où était «cet enfant que je t’avais fait». Ils sont dans le même trip de perdition - Am I gonna lose this game of love - S’ensuit une superbe drug-song dans l’esprit du génial «Methamphetamine Blues» qu’on trouvait sur Bubblegum. Cette fois, il nous sert un shoot de «Ketamine» - Ketamine/ So I can feel alright - Lanegan est un expert en matière de Connaissance par les Gouffres - To plant my flag on distant shores/ And take me through the night - Il fait partie de ceux qui savant poétiser la dope sans tomber dans le misérabilisme médical. En B, on va tomber sur la plus funèbre des complaintes, «Churchbells, Ghosts» - Here I am/ I’m disappearing - Il implore Lord de l’aider - Lord help me now I’m going down - On a là the desperate song par excellence - Lord don’t you hear me cryin’/ Lord don’t you hear me saying goodbye - Mais on le sait tous, Lord n’écoute pas les hommes car ils les a tous condamnés à mort. Le «Skeleton Key» qui ouvre le bal de la C vaut aussi le détour, car Lanegan démarre sur l’ugly - Ugly/ I’m so very ungly - Voilà encore un mélopif envenimé et profondément humide. Lanegan swingue son chant sur le skeleton key - I will sing/ to you/ a sweet straight song/ of sorrow - il met du jus de bave dans chaque syllabe et il boucle cette sombre affaire avec «Eden Lost And Found», où il duette avec Simon Bonney, le mec de Crime & The City Solution. Du coup, Bonney paraît bien léger. Lanegan par contre ramène son daylight is coming et se perd à nouveau dans le concrete city, et tout le monde, prophétise-t-il, sera libre (après la mort).

Signé : Cazengler, Lanegan vraiment pas à être connu

Mark Lanegan. Sing Backwards and Weep: A Memoir. Hachette Books 2020

Mark Lanegan. Straight Songs Of Sorrow. Heavenly 2020

 

ROCKABILLY GENERATION

( H. S. N° 2 / Juillet 2020 )

SPECIAL CRAZY CAVAN

LE ROI DES TEDDY BOYS

 

Le numéro que l'on n'aurait pas aimé avoir à lire. Ce n'est pas que nous détestons Crazy Cavan. Loin de là. Au printemps dernier nous étions tous heureux du premier numéro Spécial Gene Vincent. Nous souhaitions bien qu'il y en eût un deuxième, et un troisième, et d'autres encore. Que l'un d'entre eux fût consacré un jour ou l'autre à Crazy Cavan, c'était dans l'ordre logique des choses vu l'importance du personnage. Mais pas en ces circonstances dramatiques.

Remercions Sergio Kazh d'avoir pressé la nécessité de ce numéro hommagial au roi des Teddy Boys dès l'annonce de sa disparition. Le milieu rockabilly français a répondu à l'appel, le résultat en est un bel objet de cinquante-deux pages, magnifiquement illustrées, dans lesquelles se succèdent des témoignages de première main et diablement émouvants. Qui nous permettent de connaître autant le musicien que l'homme.

Tony Marlow nous raconte disque par disque, date par date, la carrière de Crazy Cavan, très vite accompagné de ses Rhythm Rockers. Cavan réussit ce miracle de perpétuer la tradition rock tout en la renouvelant de fond en comble. D'allier la fidélité aux origines sans aucun passéisme. Cavan fut un créateur. Une belle voix, certes mais cela ne suffit pas, sans l'étincelle qui redonne vie à la glaise morte vous n'obtenez que des copies. Qui ne valent en rien l'original. Cavan et son orchestre, c'est avant tout un rythme particulier infligé au vieux rock. Qui le transforme de fond en comble tout en l'inscrivant dans une continuité étonnante. Ce balancement si caractéristique de sa musique, certains pour faire vite et user d'une formule à l'emporte-pièce le définiront comme la rythmique ted ce qui veut dire beaucoup, par exemple que Cavan a influencé énormément de monde, et ne rien signifier car la patte Cavan si elle en a inspiré bon nombre de groupes reste unique et irremplaçable. Cavan et ses boys ont une manière primordiale de s'approprier le morceau qu'ils sont en train de jouer, des fauves qui mordent à pleins gosiers une proie pantelante, qui ne desserrent jamais leur mâchoires, qui avancent par saccades gloutonnes et méthodiques. Un festin de roi, un acte barbare, rituel et sacré.

Cette façon de faire, ce n'est ni plus ni moins que l'autre réponse britannique apporté aux rock'n'roll américain initial. Dans les années soixante, il paraissait évident à la plupart des jeunes anglais que pour produire un rock'n'roll authentique national la solution s'imposait d'elle-même : l'infusion d'une bonne dose de blues dans le legs des pionniers. Seule une petite frange s'opposa à cette manière de voir. Un peu en pure perte. Se perdaient dans l'adoration stérile d'idoles vieillissantes et dépassées... Cavan survint qui dynamisa et même dynamita à sa matière le bon vieux rock'n'roll des oldies et donna naissance à un phénoménal renouveau qui reçut le nom de rockabilly.

Dans son article Tony Marlow ne manque pas d'évoquer les relations de Crazy Cavan avec notre pays. Les premiers disques du roi des Teds furent accueillis avec ferveur par une poignée de fans français – Tony et les Rockin' Rebels en premières lignes – ces primitives étincelles mirent le feu à toute la plaine, toute une nouvelle génération se passionna au début des eighties pour le rockabilly. Cette passion fut aussi confortée par l'apparition des Stray Cats. Aujourd'hui encore le milieu rockabilly reste avec les amateurs de punk et les fans de metal une des composantes essentielles du public et des formations du rock français.

Crazy Cavan continua son chemin sans aucun reniement, fidèle à sa musique jusqu'au bout. Le 18 janvier 2020 il était encore sur scène à la 37 th Rockers Reunion à Reading donnant une prestation de vitalité étonnante, l'équipe de Rockabilly Generation était bien sûr présente, Sergo Kazh nous offre quelques dernières photos inédites.

Le long article de Tony, abondamment illustré emplit la moitié de la revue, Marlow scrute avant tout le musicien, ne s'en dévoile pas moins au travers de quelques confidences et réflexions personnelles du Marlou le portrait d'un homme entier qui ne correspond en rien à ce à quoi l'on pourrait s'attendre.

L'individu Cavan ne court ni après la gloriole, ni après l'esbroufe du fric. Les témoignages de Jean-Jacques Astruc qui l'a beaucoup suivi sur la route durant ses pérégrinations européennes, et de Jackie Chalard, personnage incontournable du rock'n'roll français et créateur du label Big Beat, ne manquent ni de sel ni de péripéties jouissives, mais au-delà des anecdotes ils révèlent avant tout un personnage étonnamment proche de ce qu'il est, se refusant à jouer un rôle qui ne lui correspondrait pas. Cavan semble se suffire à lui-même. Crazy le fou cache Cavan le sage. Beaucoup de bière et le respect des fans. Point barre. Une famille qui l'attend pendant que lui parcourt les routes monotones du rock'n'roll. La folie sur scène est son seul tribut au rock'n'roll. Un homme sûr de lui et attentif aux autres. Brayan qui interviewa Cavan pour la quatrième livraison de Rockabilly Generation alors qu'il n'avait que quinze ans, nous livre son ultime entretien avec Cavan quelques semaines avant sa disparition, il nous fait part de la gentillesse et l'attention que toujours l'idole lui réserva lors de leurs rencontres. Si certains l'ont nommé le roi des Teddy Boys, le représentant des ultimes rebelles fait preuve en ses dernières paroles d'une merveilleuse fidélité envers son propre milieu et d'une radicalité empreinte de sérénité face à la vie et à la mort.

Un grand rocker, une belle personne.

Ce numéro spécial de Rockabilly Generation est un des fascicules les mieux réussis et des plus émotionnant que l'édition rock française ait consacré à l'un de ses artistes les plus authentiques.

Cavan vivant.

Damie Chad.

Tirage : 150 exemplaires en français + 150 exemplaires en anglais

Commande : numéro + port = 12 E + 1, 50 E = 13, 50 E

Chèque : à l'ordre de Rockabilly Generation , 1 A avenue du canal, 91700 Sainte Geneviève des Bois

Paypal : adressé à maryse.lecoultre@gmail.com

 

CHÂTEAU-THIERRY

( PUB LE BACCHUS / 04 - 09 – 2020 )

METAL NIGHT IN A WORLD OF CHAOS

E-RUINS / BUNKER PROJECT

HEAVYCTION

 

Mercredi sur le fil du FB deux concerts annoncés en région parisienne que j'ai repérés la veille annulés, jeudi au premier regard un nouveau concert à l'eau. Vendredi je n'ose plus regarder, juste un coup d'œil avant de partir, non le concert au Bacchus de Château-Thierry est maintenu, à peine croyable, la teuf-teuf fonce au travers de la Marne désertique. Trois groupes un même soir après deux mois d'abstinence, serait-ce un mirage ou un miracle ? Une aubaine sûrement ! A ne manquer sous aucun prétexte. Je ne suis pas le seul à bondir sur l'occasion. Le pub est rempli, ça déborde même dans la rue. Les plus heureux sont encore les trois groupes, enfin remonter sur scène ! L'on ne comptera pas les remerciements émus et reconnaissants à Sabine toute modeste qui prend tous les risques comme si de rien n'était. Au dernier concert de juin nous étions au Bacchus, en septembre nous revenons – quel hasard - au Bacchus, les îlots de résistance à l'étouffoir généralisé sont rares... Presque un mini-festival, et du metal bien bruiteux encore, que pourrait demander de plus le peuple rock !

E-RUINS

Z'ont bien choisi leur nom, après leur passage le monde vous semblera transformé en un champ de ruines. Fumantes. Ne vous demandez pas pourquoi la grande carcasse de Begood et sa batterie squattent les neuf dixièmes de la scène, jusqu'à lors le gars avait une allure joviale et sympathique. En règle générale les groupes trash ne débutent pas par une resucée de la petite musique de nuit de Mozart jouée en mineur à la flûte de Pan, le spectateur le moins chevronné s'attend au minimum à un cataclysme. Mais là, en un dixième de seconde, la terre bascule sur son axe, vous reculez de trente mille ans dans les temps préhistoriques, bye bye Begood, n'existe plus, peut-être n'avez-vous jamais accordé la moindre créance aux élucubrations modernes sur le shamanisme, mais la bête est là, une espèce de raptaxtorix a surgi de sa caverne en un éboulement terrifiant de rochers, le sol tremble, votre cœur s'arrête, la gélatine de votre cerveau s'écoule de vos oreilles, mais cela ne serait rien s'il n'y avait pas en la même fraction de seconde ce hurlement dévastateur de haine pure qui déracine les arbres et assèche votre sang. Dans la salle c'est l'exultation, ça se bouscule à qui mieux-mieux, le souffle fétide de la colère et de la liberté vous emporte en un vaste tourbillon. N'ayez crainte, ce n'est que Begood qui cogne ses fûts et qui rugit dans son micro d'aviateur scotché sur sa bouche. Tout devant T-Die esquisse un léger sourire, comme si de rien n'était. Vous passe des riffs assassins à travers le corps destinés çà vous découper en tranches de l'air innocent du gars qui beurre sa biscotte au petit déjeuner. A ses côtés Kevin, un fameux hypocrite, un air rêveur d'adolescent inoffensif perdu dans ses dreads, il nous fait le coup du sage peu concerné par ce qui se passe prêt à renter en méditation yogique mais ses doigts malaxent sa basse dans le seul but d'assombrir la noirceur de son époque. Livio n'a pas de guitare mais un trident triangulaire destiné à torturer les chairs, à triturer les tripes, et à prolonger l'agonique sauvagerie de la masse sonore qui vous écrase. Pas besoin d'explorer les lyrics qu'éructe Begood, leurs titres suffisent, Rebellion, Made in Hell, The blood will flow, You suffer, See you dead... E-Ruins clame sa colère et son dégoût, si fort, avec une telle violence que l'on ne s'étonne pas du nombre des fans et des connaisseurs qui sont venus pour les voir une fois de plus sur scène. Une claque monstrueuse, un set de folie à haut niveau d'incandescence, E-Ruins triomphe sans peine. Le set terminé, nos quatre chevaliers de l'apocalypse, redeviennent des gens comme nous. Des guerriers du quotidien.

BUNKER PROJECT

En théorie le bunker est une arme défensive, mais le Bunker Project en ont fait une technique offensive d'assaut, avec leur masque à gaz accroché au micro et le haut-parleur que brandit à intervalle le meneur, le Project ressemble à ces cortèges de tête qui ont égayé les manifs parisiennes ces dernières années, vous repérez vite dès les premières mesures qu'ils ont décidé de mettre le sbull un peu partout, jusque dans leur musique, révolte bien ordonnée commence par soi-même. L'avouent benoîtement, ne parlent ni de trash, ni de death mais de metal protéiforme, se servent un peu partout, comme vous prélevez votre dîme dans tous les grands magasins, font de l'auto-réduc musical, ne gardent pas tout pour eux, partagent abondamment, avec vous, vous refilent les meilleurs morceaux, Colère, Terro, Jungle,.. Chez Kr'tnt ! nous n'hésitons lamais à emmener notre propre grain de salpêtre pour apporter quelques lueurs d'éclaircissement à nos lecteurs, nous proposerons le terme de protéino-funk-metal pour définir cet alliage singulier mis au point dans les laboratoires secrets du Bunker Project. Une formule instable de grande dangerosité. A la base un martelage binaire, mais ce serait trop simple, la basse ne tient pas le rôle à laquelle cette binarité initiale devrait en théorie maintenir son assise, elle est d'un velouté appuyé mais déliquescent, elle est partout à la fois, un peu comme ces nuages de gaz lacrymogènes obéissant en leur déploiement à la théorie mathématique des catastrophes et qui par leurs errements de grandes nocivités induisent dans l'esprit du manifestant innocent qui le reçoit dans ses naseaux au moment où il s'y attend le moins un profond instrument d'injustice que les guitares traduisent aussitôt par des giclées enflammées molotoviennes, sur ce la batterie matraque à mort tout azimut et la mêlée s'ensauvage méchamment. Au début du set, l'ambiance est presque gentillette ( tout est relatif ) mais la pompe est amorcée et elle ne tarde pas à fonctionner à plein régime. Brusquement elle s'emballe, le meneur à la sono ne laisse pas ses troupes inactives, et bientôt la machine s'emballe. Gradation exponentielle contenue. Rien ne peut l'arrêter, pas le public transformé en robots déjantés et pas même le Bunker Project qui promet à chaque fois, que cette fois c'est la dernière, mais ils rajoutent une, et une autre, et encore une autre, dans la salle c'est l'extase pléthorique, le Bunker Project libère et explose les frustrations accumulées par des mois de pressions covidiques, c'est la fête finale, sur Siren, distribution générale d'un rhum atomique qui vous tord et les tripes du bas-ventre et les boyaux de vos méninges éclatées dans la tête que vous perdue. Metal libératoire. Bunker Project redynamise la rage de vivre.

HEAVYCTION

Il est des soirs où vous n'êtes pas au bout de vos heureuses surprises. Vous pensez qu'après avoir escaladé l'Annapurna et l'Everest vous ne pourriez jamais grimper plus haut. Erreur corrigible. Heavyction vous propose d'entreprendre l'ascension du Mont Analogue cher à André Daumal. Voyage au pays du rock'n'roll, si vous préférez.

Des diables d'hommes. Des magiciens. Se mettent en place en quelques minutes. Deux ou trois pincées de guitare, Jean recule les éléments de sa batterie de quinze centimètres comme s'il assemblait quatre pièces de Lego et le son est en place. Silence. Une dernière fois des doigts fourmillent au-dessus des cordes de guitares muettes et d'un seul coup la porte du rock'n'roll s'ouvre devant vous et vous êtes happé en une autre dimension. Savent jouer. Pas trop longtemps, il se fait tard, peut-être est-ce juste une illusion car vous êtes décollé de la réalité en une fraction de nano-seconde. Défibrillation instantanée de vos neurones. Votre vie défile devant vos yeux. Catalepsie intergalactique. Faut se reprendre et tenter d'analyser. Célérité, cohésion et précision. Une espèce de tourmente qui s'abat sur vous et ne vous lâche plus. C'est ainsi que l'armée de Cambyse a dû être ensevelie dans les sables du désert d'Egypte. Stoned, Death On Arrival, Eternity. Humus de Kumus. Certains titres sonnent comme des épitaphes. Eviction maximum. Samplers tueurs.

Des guitaristes j'en ai vus et entendus, mais Cédric m'a blufflé, ne joue pas comme les autres, lorsque le morceau est bien parti, il décolle, il ne gratte plus, il souffle de ses cordes une espèce de tourbillon lyrique qui prend et atteint une ampleur démesurée, c'est une onde qui déferle sur vous et vous enveloppe, l'assistance ne s'y trompe pas, une véritable et ininterrompue giclée spermatique de cachalot, une tornade aussi puissante que les quarante violons de Bayreuth lancée à fond de train dans les chevauchées wagnériennes les plus échevelées de la tétralogie.

A ses côtés son alter-égo. Des faux jumeaux. Amine, le tireur d'élite, au sang froid de reptile. Ne rate jamais sa cible. Qu'il glisse ses doigts dans son cordier ou qu'il morde le vocal au micro, le mec touche à la perfection. Rien de trop et pas un manque. Ce qu'il faut comme vous imaginez qu'il le faudrait dans vos rêves. Le gars manipule la tonitruance des orages les plus tempétueux avec une facilité déconcertante, un doigté minutieux, tous les mots crachés en érection sonore mais aucun ne bouscule le précédent ou n'empiète sur le suivant, des montagnes de grondements qui s'écroulent et puis plus rien, un mince sourire, et retour dans la fournaise avec placidité. Déconcertant.

Le dionysiaque et l'apollinien. Entre les deux, Jean, si un tel dénivelé de sensibilité ne produit aucune rupture, c'est qu'il est là, il mène un train effréné, pousse le combo au cul, et en même temps il est tout ouïe à leur jeu. Il sert l'un et il sert l'autre. N'a pas une batterie, mais deux claviers d'orgue, l'un pour les cymbales et l'autre pour les fûts, tape sur les deux en même temps – l'a résolu le cahin-caha de ces groupes expérimentaux à deux batteurs qui à mon humble avis n'ont jamais démontré leur efficacité, mais ceci est une autre histoire - écoutez-le forger et vous comprendrez pourquoi le mot enfer se doit de préférence être employé au pluriel. Côté pile la justesse rythmique, côté face l'intumescence de la frappe. L'acrobatie et la foudre. Le marteau et l'enclume. La grâce et la vitesse. Le métal de la crash et le trash de la résonance. Sidérant.

Respectons son anonymat, sa tête baissée, son visage invisible recouvert par le rideau impénétrable des deux ailes noires du corbeau de sa chevelure. Un bassiste fidèle au mythe romantique du bass man refermé sur son mutisme. A compris qu'il ne pouvait rentrer dans le jeu du batteur, alors joue dans le moelleux, une herbe opulente où je vous défie de poser le pied, vous le perdriez aspiré par d'insatiables goules souterraines qui se hâteront d'aspirer votre sang, jusqu'à la dernière goutte, jusqu'à ce que vos os s'entrechoquent dans le suaire de votre peau vidée de sa substance charnelle. Le baiser infini du vampire.

Un set magnifique, de toute beauté qui laissa l'assistance exaltée et médusée. De l'orichalque pur. En un mot comme en trois, du rock 'n' roll.

RETOUR

Trois très bons groupes en une seule soirée ! Et en plus dans un monde prêt à tomber dans la nuit du chaos. Certains jours sont à marquer d'une pierre noire ! Tant pis pour les jaloux !

Damie Chad.

THE TRUE DUKES

( Auto prod / Août 2020 )

J'ai mes a priori : un homme qui tout jeune a commencé par lire Edgar Poe ne saurait être totalement mauvais. C'est le cas de Pek Garcia. Non il ne fait pas partie des True Dukes mais c'est lui qui s'est chargé de l'art work de la pochette. L'a fait fort. Très simple, très rock'n'roll. L'a surfé sur la vague. Noire. Non je ne veux pas dire qu'il a suivi la mode. L'a benoîtement mis en relation l'aléa de l'actualité avec le parfum d'insoumission qui flotte autour du concept rock'n'roll.

C'est F. J. Ossang du groupe MKB Fraction Provisoire qui au début des années 80 proclamait qu'il fallait '' Avancer, se replier, et surtout avancer masqué''. Le système récupère et pervertit toutes les idées. Aujourd'hui nous sommes obligés d'avancer masqués tels des moutons consentants en route vers l'abattoir de la soumission, et nous avons oublié qu'à l'origine le masque est une arme qui permet d'agir en toute illégalité contre les forces répressives...

Très obéissant Pek a donc mis le masque sur la pochette des True Dukes. N'a laissé que les yeux à découvert. Mais qui brûlent. Comme les pupilles lumineuses des chats de Lovecraft. Des brandons de désobéissance civile. Un appel d'une clarté aveuglante à la révolte. Gamin Pek fabriquait des boucliers ethniques pour se protéger, maintenant qu'il est grand il continue, il a appris que la meilleure défense c'est encore l'attaque, alors il use d'une stratégie subtile, celle de la réversibilité du symbole, retour à l'expéditeur. Une technique vieille comme les Dieux de l'Olympe. Songez au regard de Méduse.

C'est ici qu'interviennent The True Dukes. Par l'entremise du titre qu'ils ont donné à leur EP. Ne s'agit pas d'être contents de soi sous prétexte que l'on a tiré la langue au Système. Si vous êtes opprimés, ne vous en prenez qu'à vous, vous êtes faibles. Alors au bas de la pochette les lèvres d'ombre vous intiment l'ordre de prendre votre destin en main : Find your soul, lose your mind. Soyez vous-mêmes, n'écoutez personne. Laissez tomber vos ratiocinations émasculatrices. A bons entendeurs, salut.

Une image qui claque comme un bon coup de pied au cul.

*

Message pas du tout subliminal que les Troud'ucs vous envoient gratuitement en pleine tronche. Que voulez-vous face à la bêtise du monde The True Dukes se comportent en grands saigneurs. Il est temps de les écouter.

 

Jean-Yves Bassinot : voix / Christian Kikaï : guitare rythmik / Lead guitar : Eric Chartier / Jean-Luc Vinot : Bass / Michel Dutot : drums /

Non, ce n'est pas que tout à coup que vous comprenez les subtilités de la langue de Shakespeare et de Milton, c'est que The True Dukes ont choisi la difficulté, s'expriment comme tout un chacun en français,

Marie : vous avez le choix, pour les guitares grondeuses – Izo Diop de Trust drive la lead – et la batterie aboyante pas de problème vous prenez le ticket sans vous posez de questions superfétatoires, pour la petite Marie c'est moins évident. Selon les garçons les filles sont parfois un peu compliquées à vivre. Surtout que la demoiselle reste une femme rebelle et libérée, alors la musique danse dans les flammes, et vous vous laissez emporter dans ces virevoltes de feu. Elle a allumé le feu chez les boys, ils vous expédient le morceau à cent à l'heure, oui mais lorsque vous le remettez vous remarquez que c'est empli de ruptures suintantes. Ce que confirme Dans ma rue : qui nous mène sur la ligne de partage des eaux : quel entrain, ces guitares qui se font des queues de poissons, cette tambourinade qui mène le sprint, et prime à l'arrivée, cette voix joyeuse presque narquoise qui... vous met au contact de la réalité sociale des plus rugueuses, carmagnole rock de la déchéance qui débouche sur La rage : menée à fond de train, concentrée au dedans de soi l'enragement est un sentiment qui explose pour hélas se heurter aux murs qui bouchent l'horizon du monde et te revenir en pleine figure, le son se transforme en une balle de squash qui rebondit sans fin, un morceau qui se prend en pleine poire et te réduit en compote sous le pilon des existences déchirées car il est dur de vivre et Dur de dormir : impossible de trouver le sommeil, Marie n'est pas rentrée, une tranche d'angoisse existentielle poisseuse comme les cafards d'un blues survitaminé que l'on cherche à écraser sur la tapisserie du plat de la main, en vain, un train haletant qui s'enfuit dans la nuit blanche des rêves brisés.

The True Duke nous livrent un EP roboratif mais peu optimiste. Un constat sans fard sur l'état de notre société déglinguée mais aussi une vision sans compromission des individus à la dérive qui la composent. L'auto-apitoiement ne nous sauvera pas. Il ne suffit pas de dresser des constats. La musique électrique des True Dukes de plus en plus prégnante à chacun des morceaux nous intime l'ordre de marcher jusqu'au bout des cauchemars éveillés. Une bonne décharge électrique pour nous tirer de nos léthargies paralysantes et aligner les planètes de nos contradictions.

Damie Chad.

 

KINGDOM OF KIDDING

FICTION ABOUT FICTION

( Sortie 10 / 08/ 2020You tube / Spotify )

 

What is it ? Surtout pas des inconnus pour les kt'tntreaders. Nous avons déjà chroniqué quatre des morceaux qui figurent sur cet album : I don't care, And no one say, et Trophy dans notre livraison 389 du 18 / 10 / 2018, faisant alors parti d'un EP digital nommé Störm, Do not look back ( en 412 du 28 / 09 / 2019 ) sous forme d'un étrange dessin animé que nous qualifierons d'anguleux en le sens que nous considérons chacune de ses séquences comme des aiguilles qui s'instilleraient en votre cerveau pour piquer votre attention et ameuter vos méninges. Tout cela s'inscrivait dans un projet de Diane Aberdam intitulé Enaid Fictionaboutfiction. Ce n'est pas tout, nous retrouvons Diane en un duo formé avec Emilien Prost sous le nom de Tendresse déchirante, pronto nous avons chroniqué trois de leurs clips Sérénade Américaine, Acte II, Whip, ce dernier le 09 / 04 / 2020 ( 459 ) et pour les deux premiers voir 412, et 421 du 30 / 05 / 20. Emilien Prost officiait déjà dans Enaid Fictionaboutfiction.

En résumé une création en gestation, les anglais possèdent une belle expression, ''a work in progress'' , que Joyce a beaucoup utilisée, pour désigner ces sortes de longues parturiences in utero qui s'apparentent aussi à des dénis pathologiques de grossesses. L'Artiste ne saurait jamais être satisfait. A peine a-t-il réalisé une œuvre qu'il regrette, il sait qu'il aurait pu faire mieux. Tout au plus la considère-t-il comme une approche, en vue de plus ultra. Toute œuvre ne serait-elle pas une fiction qui raconte une autre fiction qui n'est pas elle, tout en étant pleinement participante de son déroulement. Selon ce terme de fiction l'on pourrait s'attendre à ce que Diane et Emilien écrivent au minimum une nouvelle. Mais ils sont musiciens, ils ne composent pas de roman, ils bossent sur les sons mais ne travaillent pas vraiment sur des songs, plutôt des ambiances, des atmosphères. Ce n'est pas ce qu'ils jouent et chantent qui est important, mais l'écho que cela suscite en nous. L'histoire, les péripéties se répètent, sont connues, ils parlent d'eux et de nous, car nous nous ressemblons tous pauvres animalcules humains infatués de nos particularités à un tel point que nous ne nous apercevons pas que les différences qui nous séparent des autres et nous élisent en une royauté immarcessible ne sont que des leurres microscopiques.

Kingdom of Kidding. Royaume de la blague, ou Empire de l'Illusion. Tout récit n'est-il pas un château de cartes qui s'écroule au fur et à mesure que les mots progressent, chaque vocable cédant la place à celui qui le remplace, à peine une marche du stairway to heaven est-elle posée que la suivante la remplace et ne monte pas plus haut. Nous vivons dans un monde d'incertitudes et de pierres branlantes qui s'effondrent sous chacun de nos pas alors que nous croyons arpenter la chaussée des géants. Peut-être est-ce pour cela qu'après avoir prévu une illustration colorée pour la pochette ils ont finalement opté pour l'image grise des vieux grimoires délaissés sous la poussière des siècles, signifiant ainsi que le temps affadit sans pitié les teintes vives des plus belles légendes.

After the end : il pourrait sembler étrange de commencer une histoire alors qu'elle est déjà terminée. Mais il en est ainsi de toute existence. Notre présence au monde ne fait que survivre à ce que nous avons déjà vécu. The thrill is gone, le meilleur est derrière nous. Même les rois font reposer leur puissance et leur majesté sur des actes – les leurs ou ceux de leurs ancêtres – évanouis depuis longtemps. Une triste évidence dont notre esprit se détourne avec horreur. Mais nous n'y pouvons rien, la machine est lancée et le conte commence. La musique se déploie telle une ritournelle dramatique dont rien n'arrêtera le déroulement. Il y a de l'inéluctable en cette orchestration rock qui se confond aisément avec le chant funèbre d'un orgue mécanique de barbarie. Vous avez des voix qui profèrent des promesses de chuchotement et des chœurs qui imitent ces splendides tentures tachées de sang qui ornaient les murs des vieux châteaux d'Elseneur. Drames revivifiés et inquiétudes attisées, gradation grinçantes. Nous voici au bout du vestibule, lorsque nous pousserons la porte serons nous dans la pièce aux merveilles ou déboucherons-nous dans le corridor des horreurs ? Interlude 1 : retour à la réalité, comme dans un tournage de film lorsque retentit le clap de fin indiquant que la scène est finie, que chacun sur le plateau peut reprendre sa vie. Assez insipide, si l'on en croit ces trente secondes insignifiantes d'une simple guitare qui égrène quelques arpèges. Hit me : l'histoire reprend, la musique s'emplit d'un lyrisme mystérieux, c'est juste la grande scène d'amour, le dialogue du désir entre l'Être féminin et le l'Être masculin, la prière qui monte, les guitares qui s'extasient, jusqu'à l'éclatement cacophonique de la pâmoison, gros plans de fureurs érotiques. Les sexes se tendent et s'électrifient. Paix à leurs corps. Leur âme est égarée. Interlude 2 : profitons de cet interlude aussi doucereux que le premier, genre baladin qui gratte une mandorle aux pieds d'une jeune et chaste princesse vierge qui roucoule ses émotions. Pour endosser notre rôle de chroniqueur sérieux nous... mais vous êtes pressés vous voulez la suite, la voici. The girl with many eyes : tambours tuméfiants, l'heure est grave, c'est celle des monstres. L'épreuve initiatique et obligatoire que doit subir le héros. Sera-t-il aussi terrible que la renommée le rapporte, pas du tout, ce n'est qu'une fille, mais avec des yeux partout, qui vous regardent et vous ensorcèlent. Le preux chevalier énamouré se montre digne de notre attente. Belle performance vocale d'Emilien Prost qui n'est pas sans évoquer David Bowie, mur de guitares perçantes tissés par Diane... Interlude 3 : pourquoi ces brefs interludes passe-partout, trop courts pour nous ménager une pause sandwich ou pipi. Soyons un peu sérieux, évoquons un peu les démarches théoriques et expérimentales de Robert Fripp et Bryan Eno, experts en musiques progressives qui n'en ont pas moins porté leur attention sur des musiques d'ambiance et répétitives faites non pas pour être écoutées mais pour être entendues quasiment à l'insu de l'auditeur. Une sorte de manipulation mentale d'autant plus dangereuse que pratiquement inaudible. Méfions-nous, ne nous laissons pas mener par le bout du nasibus. L'appel à Fripp dérive d'une simple logique, ce disque s'inscrit quelque part dans la continuité logique de certains récitatifs instrumentaux propre aux deux premiers trente-trois tours du Roi Pourpre. I don't care : c'est la scène des alcaloïdes, non pas celle du poison shakespearien versé dans l'oreille du roi endormi, il en est de plus subtils, de plus inquiétants qui ne vous tuent pas mais qui vous font perdre le goût de la vie car ils vous ouvrent tout grand les portes d'ivoire et de corne de la mort et du rêve et vous laissent voir... désormais vous savez qu'il existe des réalités grandioses bien plus exaltantes que votre quotidien, mais combien plus dangereuses. Votre vie est comme la pochette du disque, elle a perdu ses couleurs, mais vous n'avez pas eu le courage de franchir le seuil, maintenant vous connaissez vos limites, d'un côté le dégoût de vivre et de l'autre le contour de votre peur. Vous atteignez la lassitude de vous-même. Interlude 4 : le plus poignant de tous les interludes, quelques notes égrenées et cette demande d'amour psalmodiée par la baladin d'un monde occidental condamné. No one say nothing : le grand monologue d'Hamlet, Emilien crie son désespoir et sa solitude, plissements de basse, le drame dans toute sa splendeur, les sanglots et le désespoir, ne devrait pas s'arrêter de chanter, de nous agoniser de ces saccades hallucinées mais le monde s'écroule, la musique s'emballe, la mer recouvre la cité d'Ys, les chants les plus beaux sont les plus désespérés. Interlude 5 : un peu de douceur dans ce monde de brutes. Respirons. Trophy : rythmes africains. Rien ne dure en ce bas monde. Même pas le désespoir. Morceau baroque. Bas-rock and high voltage. Toute force gît en l'intérieur de nous. Il suffit de vouloir vivre et de triompher. Au bout de la mort spirituelle, ce qui vous a tué vous rend plus fort. Renaissance. Initiation. Interlude 6 : presque une intro de chanson, le plus joyeux et le plus roboratif de tous les interludes. Do not look back : mélopée de charmeur de serpents et rythmique enlevée, la voix embrumée de mystère et de décision, exultation à tous les étages, maintenant le vocal moutonne comme annonce d'orages désirés, ne manquent que les éclairs dont l'absence est marquée par des coups de cymbales ensoleillées. Optimisme ravageur. Interlude 7 : une corde vive frappe votre tympan, une voix féminine qui monte et descend. Quatre notes nostalgiques pour finir. Reign of rain : longue introduction instrumentale empreinte de mélancolie, les voix se mêlent pour proclamer et puis exiger que cesse la fin, c'est la montée des eaux à la fin du Crépuscule des Dieux, pouvez crier, hurler, gémir, tout s'apaise et se tait. Interlude 8 : quelques accords prestement enlevés et puis les doigts qui s'alourdissent comme des larmes qui coulent sur les joues d'un enfant qui ne peut croire à la ritournelle ironique qui les a motivées. Out of my head : il est temps de sortir de ce conte de vieille femme, à dormir debout, à dormir éveillé, pression mélodramatique, mais s'enfuir ne serait-ce pas revenir au début qui refusait de débuter, sommes nous dans une impasse qui ne s'achève jamais, qui s'allongerait tel un jour ou une nuit sans fin. Une légende abracadabrée qui vous laisse sur votre faim, puisque le morceau s'arrête brusquement, puisqu'elle ne s'achèvera jamais. Le jour et la nuit s'égalisent-ils en une équinoxe narrative. Ce qui a été rêvé a-t-il été vécu au même titre que ce qui a été vécu n'a pas été rêvé. Fiction et réalité ne seraient-elles que le même coté d'une trame commune ?

Fiction About Fiction nous livre un opus de poids. Une melting pot de résonances intimes. Un regard intérieur de Méduse. Faut se laisser pénétrer, n'être plus qu'un corps flottant de noyé entre deux eaux, celle des profondeurs les plus glauques et celle des phantasmes les plus convenus. Un conte pour adultes qui essaient de remonter à la source de leur enfance perdue. Il est trop tard. Définitivement.

Une musique envoûtante, des structures labyrinthiques et des ruptures colimaçonesques qui sont en même temps, et le dédale infini, et le fil d'Ariane qui vous permet de ne pas vous échapper, car ces mélodies désastreuses qui fonctionnent comme des vis sans fin ou des spirales infinies qui vous ramènent toujours au point focal de vos errements vous enserrent en leurs anneaux de serpents gluant. Mais que vous soyez dehors ou dedans, le piège mental s'est refermé sur vous. Un conseil, avant d'écouter ce disque : ne vous racontez pas d'histoire. Parce qu'une fois que vous l'aurez entendu vous ne croirez plus à vos sornettes. Progressif décapage mental.

Damie Chad.

17/10/2018

KR'TNT ! 389 : TY SEGALL / BONNEVILLES / FICTION ABOUT FICTION / HUGUES PANASSIé / ROCKAMBOLESQUES ( 4 )

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 389

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

18 / 10 / 2018

TY SEGALL / BONNEVILLES

FICTION ABOUT FICTION / HUGUES PANASSIE

ROCKAMBOLESQUES ( 4 )

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

La chèvre de Monsieur 
Segall - Part One

 

Ty Segall est si complet, si prolixe, si polyvalent, si protéiforme, si aventureux, si imprévisible, si incontournable, si fantasque, si kaléidoscopique, si chatoyant, si désinhibé, si souple, si coureur, si variable, si papillonnant, si léger qu’il vaut bien un néologisme : la Segallité. Il relève à la fois de l’égalité, de l’étale au sens de la mer, du létal au sens de l’état et de la qualité au sens d’un complet en Prince de Galles bien coupé. Ty Segall est l’artiste varié et luxuriant par excellence. Il s’arrange toujours pour surprendre son auditoire. Il surgit là où personne ne l’attend. La grande force de ce Californien est de n’être pas prévisible. On attend du garage-punk et il plaque des accords de Sabbath. On attend du glam californien et il se lance dans des passes d’armes virtuoses avec son compère Emmett Kelly. Autant dire que sa prestation au Rush trompa toutes les attentes. Et les trompa même énormément.

On le vit arriver sur une grande scène, dans les conditions d’un festival en plein air. Des conditions qu’il faudrait presque qualifier d’estivales, avec le fleuve de part et d’autre de la presqu’île et le soleil de juin qui va avec. Égall à lui-même, Ty Segall paraissait sans âge, du type éternel adolescent, même pas bronzé, faisant ainsi mentir les lieux communs. Wouat ? Un Californien à la peau blanche ? Il n’avait de californien que le blond d’un tignasse fournie que fouillait doucement un vent léger. Ty Segall joue toutes les cartes en même temps : l’anti-frime, l’inclassabilité des choses, le sans-âge, le lutin des contes qui surgit là où personne ne l’attend, l’enfant de la balle, le chien perdu sans collier, l’ami d’on ne sait quelles bêtes, le romantique à la petite semaine, un personnage dans lequel on finit par se perdre et qui semble prendre un malin plaisir à échapper à nos sales manies d’entomologistes. Il ne s’en doute peut-être pas, mais c’est bien cet ensemble de choses qui le rend instantanément sympathique, ou à défaut, intriguant. Et bien sûr, sa musique va de pair. Pour une fois, l’habit fait le moine et notre homme ouvre encore l’éventail de tous les possibles en tapant dans le genre musical le plus riche de tous, que ce soit au plan historique ou musicologique : le rock des seventies. C’est en effet l’époque de la profusion, l’âge d’or de Fantasia chez les ploucs. Ce qu’on appelle aujourd’hui communément les seventies est la décennie qui vit grouiller le plus grand nombre de grands groupes, le plus grand nombre de grands albums et le plus grand nombre de superstars. Stones, Beatles, Sabbath, Who, Led Zep, Doors, CS&N, on ne savait plus où les mettre, ils s’entassaient comme des patates dans des sacs, les bacs des disquaires croulaient sous le poids de tonnes, les salons et les garages se remplissaient de gros tas de disques. Qui n’achetait pas de disques en 1972 ? Personne, ou presque. Il n’est pas de genre musical plus indiqué que le rock seventies si l’on souhaite brouiller les pistes. C’est dans cet insondable vivier que puisent les spéculateurs, car les disques rares de groupes inconnus grouillent autant que les asticots dans la charogne de Baudelaire. C’est aussi dans ce marigot que puise Segall le Ty chic, le vénérable ré-inventeur du rock qui pourrait bien finir par se faire accuser de toutes les tares sauf une : la prétention. Il joue son rock seventies en toute impunité, avec l’éclat d’une mine candide, comme s’il ne jouait que pour son plaisir, nous laissant le choix de suivre ou pas, revenant ainsi aux règles de base du spectacle : voici ce que j’ai à t’offrir, c’est à prendre ou à laisser et bien sûr, tout va dépendre du talent dont il dispose. Et comme il en regorge, le résultat ne se fait pas attendre. Attention, c’est un set difficile, aussi difficile qu’un parcours long et aventureux, chargé d’imbroglios et débouchant souvent sur des surprises qui donnent envie de continuer. Ce n’est pas gagné d’avance, et c’est là où il se montre très fort. Et bien sûr, tout repose sur le son. Ty Segall ramène essentiellement du son. C’est même une pluie de son qui tombe de son ciel. Pour parvenir à ce beau résultat, il s’entoure d’une grosse équipe : Emmett Kelly, comme on l’a vu, avec ses faux airs de chicano et sa niaque de jeu, ses tatouages ludiques et ses prouesses de Téléboy averti. Puis le vieux complice Mikal Cronin sur une basse Rickenbacker, qui fit partie du power-trio des précédentes tournées, virtuose lui aussi, mais il est vrai que pour taper dans ce registre, il vaut mieux savoir très bien jouer de son instrument, car on se trouve aux antipodes du jeu en trois accords qui a fini par épuiser et discréditer le garage. L’autre cheville ouvrière de cette affaire s’appelle Charles Mootharde, le batteur américain par excellence, un chevelu vêtu de blanc qui frappe ses fûts à bras raccourcis, un type qui ne s’en laisse pas compter, une brute du beat, le prototype du drummer que la délicatesse n’atteindra jamais et qui s’en fout, car il doit battre le beat pendant qu’il est chaud et pour ça, on peut lui faire confiance, il frappe et sur-frappe, il a la main lourde et c’est exactement le genre de mec qu’il faut pour endosser le rôle du bourrin de service dans ces longs morceaux atmosphériques aux climats changeants et bardés de ponts improbables qu’il est toujours difficile d’orchestrer, car chaque fois se pose le problème de la crédibilité, comme d’ailleurs en architecture. Ça tient, mais est-ce beau ? Et si c’est beau, est-ce que ça tiendra ? Plus ça sophistique et plus les équilibres se rétractent. Il faut savoir les solliciter pour bâtir les tours de Babel. Oui, car le rock seventies, c’est Babel. Ty Segall se lance là-dedans avec un culot ahurissant. Il le fait avec une telle liberté de ton qu’il finit par échapper à toutes les règles. Il semble même qu’il ait réussi à bâtir un univers sonore totalement conceptuel, qu’il ré-humanise à coups de screams et de bonds, car il adore sauter à pieds joints sur sa pédale d’effets. De toute évidence, cet homme prend un plaisir fou à jouer ses cuts de quinze minutes. Il semble vouloir aller là où personne n’ose plus aller, il semble posséder la technique qui lui permet d’explorer des mondes nouveaux tout en donnant un spectacle de rock. Il est assez professionnel pour se rappeler que des gens payent pour le voir jouer sur scène, mais il s’échappe à la première occasion, sachant que de toute façon les gens qui le connaissent l’admirent assez pour lui faire confiance et le suivre là où l’emmène sa fantaisie. Une chose est sûre, Ty Segall est le fruit d’une collection de disques. Son parcours et son attitude n’ont pas d’autre explication. Il est comme tant d’autres nourri d’influences et dispose d’une énergie qui lui permet de passer du statut passif de fan au statut d’acteur, et dans son cas, on peut même parler d’énergie surnaturelle, car d’année en année, il atteint progressivement le statut d’acteur majeur. Il arrive là où tous les chanteurs-guitaristes de rock rêvent d’aller : le stade où tout est possible, où rien ne peut freiner l’avancée, le stade où les disques succèdent aux disques mécaniquement et où le follow-up grossit et se stabilise, pas au stade des unes de magazine, car Ty Segall est encore un peu underground, mais pas loin, et d’ailleurs, on ne le lui souhaite pas, car il pourrait s’y brûler les ailes. Oh bien, sûr, ses compos ne marquent pas les mémoires au fer rouge, mais il redore à sa façon le blason d’un rock américain toujours menacé de conformisme. Il veille bien à asseoir la réputation d’un rock qui repose essentiellement sur la puissance du son. Quand il saute à pieds joints sur sa pédale d’effets, c’est sa façon de dire : j’écrase mon principal ennemi, la médiocrité.

Il jouait bien sûr des cuts de son nouvel album, Freedom’s Goblin considéré dans Uncut comme un classique, au même titre que le White Album. Ty Segall y joue wild card after wild card. Le critic d’Uncut dit même qu’au long des 19 cuts, Ty barely puts a foot wrong. Pas un seul faux pas. Eh oui, il a raison, Freedom’s Goblin somme comme un classique véridique. D’ailleurs, dans l’interview qu’il donne à Uncut, Ty dit que le White Album est son album favori. Il s’empresse d’ajouter qu’Electric Ladyland fait aussi partie de ses all-time faves. C’est vrai qu’on ne s’ennuie pas un seul instant, à l’écoute de Freedom. Ce double album semble visité par la grâce et même par la graisse, car un cut comme «She» rissole dans une belle friture de heavy rock - She said I was a bad boy - Une seule phrase pour ce petit chef-d’œuvre de gras-double, un peu dans l’esprit du «Why Don’t We Do It In The Road». Ty tire le meilleur du mythique heavy rock des seventies. Il nous gave de heavy riffing, ce son extraordinaire qui fit le charme du set au Rush. On trouve sur la C d’autres surprises comme «Talkin’ 3», admirable jam de fin de non recevoir jouée à l’énergie du free par un Mikal Cronin débridé qui revient saxer la couenne du Pretender dans «The Main Pretender». Ty n’explore plus les frontières, il les explose. Rien ne l’effraie, surtout pas l’aventure. On trouve un dernier spasme en D avec «5ft Tall», une pop gorgée de jus, littéralement imparable. Chez Ty tout rayonne de force - I remember you just fine/ You are five foot tall - Et bien sûr l’A et la B grouillent de puces, tiens, comme ce «Fanny Dog», nouvelle giclée d’heavyness à la sauce liverpoolienne, c’est-à-dire les Boo Radleys. Il nous fait ici le coup du superbe élan de rock moderne. Évidemment, ça sonne comme un hit. Voilà, c’est ce son-ci qui frappait tant au Rush. Mikal Cronin nous joue même les descentes de basse de Noel Redding dans «Hey Joe». Ty prend «Every 1’s A Winner» à la glotte liquide. Il revient à sa passion dévorante pour les Beatles du White Album, mais avec une énergie californienne. C’est comme on dit une bataille gagnée d’avance. Rien que du son et de l’idée, comme chez les Boo et Robert Pollard. Nouveau clin d’œil au White Album avec «When Mommy Kills You», tapé au fondu de chant et au very big sound. Avec l’«Alta» qui ouvre le bal de la B, Ty touille une pop de heavyness onctueuse - I would fight to save you/ I would give my life - Son romantisme ne tient que par la puissance des intentions. Il n’existe rien sur cette terre de plus beatlemaniaque que «Cry Cry Cry» et on plonge aussitôt après dans un heavy boogaloo intitulé «Shoot You Up». Ty y bat tous les records de Screamin’ Jay Hawkins car on claque des dents - Yeah these children aren’t children no more/ They’re the carnivores - Pur jus de George A. Romero. Quand on dit que Ty crée son monde, ce n’est une pas une parole en l’air.

Signé : Cazengler, Ty crayon

Ty Segall. Rush Festival. Rouen (76). 3 juin 2018

Ty Segall. Freedom’s Goblin. Drag City 2018

 

Le Triumph des Bonnevilles

 

Deux choses à savoir sur ce duo d’Irlandais : ils ne tirent pas leur nom de groupe des motos, mais plutôt d’une vieille tradition de courses de dragsters organisées sur un lac salé en Utah. La deuxième chose, comme le précisait le batteur Chris McMullan, est qu’on ne prononce pas leur nom à la française, mais à l’irlandaise : thi boné/villahs. Le mot doit swinguer. Comme bamalama bamaloo, baby. Et si vous papotez un peu avec lui, il vous révélera des tas d’autres petits secrets intéressants. Si on lui demande pourquoi la roue n’est pas carrée, il ne saura pas quoi répondre, mais il fera la lumière sur leur contrat avec Alive, le label californien de Patrick Boissel. Comment diable en sont-ils arrivés là ? Pas compliqué : les Bonnevilles tournaient avec James Leg qui leur conseilla d’entrer en contact avec Alive et ça tilta. Deux albums sont déjà parus et les Bonnevilles tournaient en France pour la promo du deuxième, Dirty Photographs.

Sacrément bel album. Acheté aussitôt après le concert. Album très hendrixien. Le morceau titre et «Panakromatik» renvoient directement à l’ami Jimi, et de la meilleure façon qui soit. Andrew McGibbon va chercher l’Hendrix des débuts, à la bonne franquette de l’épaisseur. Ça donne un «Dirty Photographs» assez réjouissant et même très impactant. Même chose avec «Panakromatik». Bizarrement, quand on les voit sur scène, l’aspect hendrixien ne transparaît pas aussi nettement. Mais sur disk, ça frappe et ça réjouit. Cette façon qu’a Andrew McGibbon de riffer son blues est typique d’Hendrix. Le cut qui suit s’appelle «Fever Of The New Zealot» et sonne lui aussi comme un hit hendrixien digne d’Electric Ladyland. Assez inspiré, admirable heavy groove secoué de grimpées adéquates dignes de celles orchestrées par l’équipe de surdoués qui jouait à New York en 1968 autour de l’ami Jimi (Jack Casady, Dave Mason, Steve Winwood et Mitch Mitchell). Andrew McGibbon ressort tous les bons réflexes. L’autre point fort de l’album s’appelle «Don’t Curse The Darkness», un blues poignant de beauté intrinsèque, digne des grandes heures de Spooky Tooth : même impact et même science de la beauté formelle. On sent chez eux un goût prononcé pour le son des seventies, c’est en tous les cas ce que vient confirmer «The Good Bastards», en ouverture du bal de B. Ils ont une façon réjouissante de gueuler we are/ The good bastards. On note chez eux une grande aisance à dérouler. Oh bien sûr, ils retombent dans les clichés du son guitar/drums, comme dans «By My Side» ou «Long Runs The Fox», mais ils filent bon train, comme leurs collègues les Left Lane Cruisers. Ils finissent cet excellent album avec un «Robo Godo» une fois encore très hendrixien. C’est une excellente sortie de route, bardée de son et du meilleur.

On avait repéré les Bonnevilles grâce à des chroniques pour le moins laconiques dans Vive Le Rock. Mais la curiosité s’arrêtait là, car il semblait qu’en matière de duos guitare/batterie, la messe était dite depuis un bon bail. Pas souvent d’une façon intéressante, d’ailleurs. Par on ne sait quelle ironie du sort, la plupart des duos montés sur ce modèle avaient réussi à se faire une place au soleil et à jouir des bienfaits du mainstream, ouvrant par là la porte à toutes sortes d’abus et décrédibilisant la formule qui du coup devint suspecte. Ce rock supposé rester pauvre et underground devint le fleuron du rock commercial et on en tartina abondamment les couvertures des magazines. Berk.

Alors faut-il sauter sur les albums des Bonnevilles ? Le conseil qu’on pourrait donner serait de commencer plutôt par juger la bête sur pieds, c’est-à-dire sur scène. Ça passe ou ça casse. Et comme le hasard fait souvent bien les choses, voilà qu’ils sont programmés dans une cave, en bas de la rue, et pour seulement six euros, ce qui est un cadeau, vu le pedigree d’un groupe dont la notoriété grossit à vue d’œil. Attention, ces deux mecs de Belfast n’ont rien de charismatique. On pourrait les qualifier de bruns passe-partout. Aucun sex-appeal. Leur look extrêmement austère évoque celui des pasteurs. Ils portent des chemises blanches et pantalons noirs, et se cravatent de noir. Aucune trace de luxure chez eux, pas le moindre signe de corruption des mœurs. Dieu veille sur leur rock. Ils sentent bon l’éthique originelle du blues et la pauvreté des moyens. Cette absence totale de frime nous soulage franchement la conscience. Ouf, enfin un groupe de mecs normaux. Le set n’en sera que plus difficile, car on sait qu’un spectacle de rock repose généralement sur le flattage des bas instincts, et un manque total de sex-appeal peut avoir quelque chose de suicidaire. On comprend donc que tout va reposer sur le son et la qualité des compos. Et pour encore corser l’affaire, ça ne vole jamais très haut dans ce genre de duos. Leur set se présente donc comme le parcours du combattant. Une heure de très grande austérité peut avoir des conséquences terribles sur un public clairsemé d’avance. Mais heureusement, une petite moitié des gens va réussir à tenir le coup jusqu’au bout. Oui, car ces deux Irlandais vont réussir à arracher leur victoire au prix d’efforts spectaculaires. Ils peinent à tenir la distance, ça se sent souvent, les cuts ploient parfois sous le joug de l’insignifiance, mais ce diable d’Andrew McGibbon finit par redresser la situation et par créer vers la fin du set un sacré mayem d’apex, comme on dit en Irlande. Et c’est là qu’il emporte la partie, avec notamment un cut ultra-atmosphérique rescapé des débuts, «10,000». C’est précisément à ce genre d’exploit qu’on reconnaît les grands artistes. Andrew McGibbon ne triche pas. On sent le feu sacré en lui. Les Bonnevilles sont condamnés à l’underground, mais les gens qui iront les voir jouer passeront vraiment un bon moment. Que peut-on attendre de plus d’un groupe de rock ?

Si on veut écouter «10,000», le plus simple est de rapatrier la compile Alive qui rassemble les meilleurs cuts des deux premiers albums. Elle s’appelle Listen For Tone. Andrew McGibbon embarque son cut à train d’enfer - Goin’ to the river/ Goin’ to the river/ To die - Admirable ! Explosif ! Cette façon qu’il a de descendre son die, il le coupe en deux, di/aille, c’est d’un effet ravissant. On assiste là à une fabuleuse explosion de fin de non-recevoir, oui, il s’agit bien d’un hit, et quelle façon de scier le chant de Maldoror ! L’autre merveille de cette compile se trouve aussi en B et s’appelle «Hell». Andrew McGibbon s’y prend pour Alvin Lee à l’âge d’or de Ten Years After. Bien vu Andrew ! Belle tension, le beat rampe sous le boisseau - Hey go down in hell - Pas d’explosion finale comme dans «Help Me», mais prestation superbe. On note que dès qu’il sort de l’ornière du trash-blues, Andrew McGibbon redevient captivant. Par exemple avec cet «Asylum Seekers Of Love» qui rue un peu dans les brancards. C’est assez libre de ton et encore une fois bien senti. Ils chantent à deux et Chris McMullan renvoie bien l’ascenseur. Du coup, le cut prend une certaine allure. Par contre, on s’ennuie un peu en A, car les Bonnevilles s’engluent dans ce son trash-blues blanc qu’on connaît tous par cœur. Ils n’inventent ni le beurre, ni le fil à couper le beurre. Autant écouter Hound Dog Taylor.

L’autre album paru sur Alive n’est pas indispensable. Dommage car le titre sonne bien : Arrow Pierce My Heart. Belle pochette aussi, avec un Andrew McGibbon dans le feu de l’action. Mais comme on l’a dit, en matière de trash-blues blanc, la messe est dite depuis longtemps. Sur cet album tout est très bien senti, chanté à la vie à la mort, mais à part «No Law In Lurgan», rien ne vient vraiment frapper l’imagination. On sent chez eux une authentique volonté d’en découdre, mais la normalité reprend souvent le dessus. Rien n’est plus difficile que de créer la sensation à deux. C’est donc «No Law In Lurgan» qui sauve l’A, avec son riff seventies digne des Groundhogs, rock heavy as hell of God fire. Le gras double d’Andrew McGibbon vaut bien tous les gras doubles de l’âge d’or du gras double. Ils tentent de sauver la B avec le dernier cut, «Learning To Cope», qui sonne comme un réveil en fanfare, emmené fièrement au turbin et chanté à la niaque de Belfast, celle des vieux punks d’avant les punks.

Signé : Cazengler, bonnevide

Bonnevilles. Le Trois Pièces. Rouen (76). 5 septembre 2018

Bonnevilles. Arrow Pierce My Heart. Alive Naturalsound Records 2016

Bonnevilles. Dirty Photographs. Alive Naturalsound Records 2018

Bonnevilles. Listen For Tone. Alive Naturalsound Records 2017

FICTION ABOUT FICTION

Sont cinq : Sofiane travaille les soubassementS, Charbel cuisine la batterie, Martin accompagne sa guitare, Emilien chante et officie aux claviers. Diane est la cheville originaire. Elle leade la guitare, mais c'est elle qui profile les morceaux. Elle les pose hors de ses rêves et les compose. Les autres l'aident à parturienter. L'est spécialement douée en graphisme alors elle se charge de tous les aspects visuels. Elle se réclame d'une esthétique post-punk-gothique-psyché.

I DON'T CARE

Vidéo-clip. Pas la peine de crier Clip ! Clip ! Clip ! Hourra ! Raconte une sale histoire. La vôtre. C'est bien fait pour vous. La nôtre. C'est déjà plus embêtant. D'abord il y a la musique. Ça ressemble à ces marches funèbres funèbres jouées à l'harmonium dans les églises pour les enterrements à petit budget. Avec un truc en plus, narquoisement insupportable. Nietzsche dirait que c'est de la musique qui cligne de l'oeil. Non seulement l'on vous enterre mais en plus on se moque de vous. Pire une mélodie obsédante. Une vrille insatiable dans votre cervelle. Vous rentre dans une oreille, ne sort pas de l'autre côté, tout doux et fascinant. Un serpent qui déplie ses anneaux sans hâte et qui ne se presse pas pour vous piquer. Suprême consolation, en attendant vous pouvez regardeR les images. Elles sont de Diane Abermas. Une drôle de chasseresse. L'a le trait qui vous touche au coeur. Des dessins. Animés. En fait, l'ensemble sonne plutôt croque-mort croquignol. Sourire cruel,  sans la chair et sans l'âme.

De quoi ça parle ? Au début de rien. Des arbres, un peu baobabs, au tronc noueux. Force et puissance. Se pressent les uns sur les autres. Z'avez même l'impression que certains possèdent des seins et d'autres des bras baladeurs qui enlacent les copains. On dirait qu'ils s'aiment. Tiens de la couleur. Normal, les super-héros entrent en scène. Sortent de la gueule d'un volcan. Pas tout à fait. De la bouche d'ombre du sombre Hadès. Des antres de la mort. Des vomissures du Styx. Pas vraiment bien en plénitude charnelle. Réduits au minimum. Des squelettes plus ou moins démantibulés. Si vous êtes étonnés de cette représentation – censée vous figurer - c'est que vous n'avez pas lu Heidegger. Nous a pourtant prévenus. L'homme est un être-pour-la-mort. C'est triste, mais c'est comme ça. L'on n'y peut rien. Pourtant dans l'ensemble nous sommes de braves gens, prêts à offrir au premier venu ce que nous avons. Or nous sommes des êtres qui n'avons que la mort en rayon. Pas méchants, la preuve les squelettes arborent une face rieuse. D'un autre côté se prennent un peu trop au sérieux dès qu'ils ouvrent les mandibules pour échanger de doctes pensées. Maintenant faut bien manger. Alors quand un joyeux phacochère erre dans la nature, l'est tout mignonitou, il trotte de toutes ses patotes, crac ! on le bouffe. Ne reste plus que les os. Ceci n'est pas un conte pour les véganophiles. L'on a la peau du ventre bien tendue – je voulais dire le creux du bassin prolifique – alors l'on fait des petits. Nous sommes une race qui proliférons du bidon. Voilà, c'est tout, on disparaît de l'image. Enfin presque. Parce que les temps préhistoriques sont loin, et que nous sommes entrés dans l'époque de notre puissance absolue. Nous sommes des titans malins. Le boulot ce sont les machines qui le font pour nous. Un bulldozer vous détruit une forêt en cinq minutes. Les usines poussent comme des champignons, c'est merveilleux. Des grues et des briques s'emparent du paysage. Du ciment et du bitume partout. Pépé Heidegger nous avait avertis, à la fin de l'âge métaphysique la technique arraisonnera la nature, l'arasera aussi. Nous ne sommes plus – depuis l'éternité - que des cadavres ambulants qui pérorons sans fin. Un seul espoir peut-être, ce phacochère qui passe en gambadant entre deux images sinistres. Est-ce un rêve, une survivance, un regret, cochez la case qui correspond à votre état d'esprit. Un beau faire-part de décès. Adressé à l'humanité entière. Mais peut-être arrive-t-il trop tard.

Soyons optimiste, la musique fait passer le tout, un peu comme le poison fait passer la mort dans votre corps. Salut les squelettes !

 

Z'ont encore deux morceaux sur leur soundcloud.com/dianeaberdam , car ils amassent de l'électricité pour STORM leur prochain album :

AND NO ONE SAY

Un superposement. De pistes. Surtout pas un entremêlement. Deux destins parallèles qui n'ont pas besoin de se croiser. Dans la même direction, mais chacun dans sa solitude. Musicale et vocales. Avec cette particularité que la voix prend le dessus sur la musique. Un récitatif qui devient clameur. Et la musique recouvre le tout comme une marche funèbre. Un peu comme les cloches dans le poème d'Edgar Poe mais qui nous parviendraient en sourdine, étouffées par les instruments qui leur donnent naissance. Une cortège de nonnes sanglantes qui psalmodie, mais qui a bien conscience d'œuvrer dans le crépuscule de sa propre croyance. Le prêtre crie à se rompre les cordes vocales mais la divinité demeure impassible. Demeure impossible. Personne ne le dit. Car tuer l'illusoire de l'espoir est un délit. Une seule consolation, la guitare foutrement rock qui chante comme l'on verse du sel sur les plaies de l'âme. Nappes finales d'orgues pour recouvrir et emballer le tout. Si le paquet vous est envoyé par poste restante il est inutile d'aller le chercher. Il vous ferait trop mal. Délicieusement pervers.

TROPHY

Très différent. Tout trophée est signe de victoire même si le sang a dû couler pour son obtention. Emballements joyeux sur fond d'arabesques ethniques. Une voix libérée, qui donne des à-coups de soleil. La musique se contorsionne par derrière, retourne un soupçon dans l'amertume des jours perdus, mais non, le matin se lève, le triomphe est au bout du chemin, il suffit d'avancer et de prendre de l'assurance, l'en devient presque allègre, des bulles d'air qui éclosent à la surface des marais. Impression de renaissance. Fermez les yeux. Et regardez à l'intérieur de vous. Le dedans est à l'image du dehors. Les heures de grande équivalence débutent.

 

Trois morceaux et déjà un style. Fiction about Fiction est un projet à suivre. Le nom du groupe donne à rêver. Un miroir qui reflète un autre miroir. Une distanciation entre le dire et sa profération. Ce décalage qui institue la réalité du monde en une simple image. Une parmi tant d'autres. Entre le réel et son reflet la distance n'est pas si grande qu'on le croit. Nous marchons dans le palais des glaces des illusions perdues. Ce qui est transparent est parfois une barrière. La musique est un brouillard qui s'interpose entre le rêve et ce qui est censé exister. Vertige. Peut-être sommes-nous seuls. Et rien ni personne n'existe. Fiction about fiction, nous conduit derrière le miroir. Instant solennel. L'envers du décor est-il à la mesure de notre rôle.

Damie Chad.

P.S : pour l'oeuvre graphique de Diane Aberdam, reportez-vous à : dianeaberdam.tumblr.com

 

DISCOGRAPHIE CRITIQUE

DES MEILLEURS DISQUES DE JAZZ

1920 – 1951

HUGUES PANASSIE

( Editions Correa – 1951 )

 

L'ai trouvé je ne sais plus où, enfin si, chez un mec sympa qui m'a à la bonne parce que lui demande depuis des années s'il n'a pas rentré de vieux Gene Vincent. Inutile de me torturer je ne vous refilerai pas l'adresse. De toutes les manières j'ai droit de préemption absolue. Que voulez-vous le monde est rempli d'injustices et de passe-droits inqualifiables. L'ai pris par acquis de conscience. Je n'aime pas particulièrement le jazz... En plus la liste des disques enregistrés avant la deuxième moitié du siècle dernier, allez un peu les retrouver. Ce sont-là passion de collectionneurs ruineuses. Ou alors du bouffe-temps à farfouiller dans des cartons moisis ravagés d'humidité en d'incertaines brocantes. En fait j'aime bien Hugues Panassié, surtout sa mauvaise foi, le mec s'est accroché à son rêve mythique du jazz jusqu'au bout, l'a défendu bec et ongles. J'en connais d'autres qui agissent de même avec le rock'n'roll... Entre jusquauboutistes on se comprend toujours.

Dans son intro, Panassié se montre tel qu'il est : mauvais joueur. Se défend de toute exhaustivité. Ne cite que ceux qu'il aime. Et que ce qu'il aime. Entendez la différence. Ne s'intéresse qu'au premier choix. La seconde catégorie il n'y touche pas. Les meilleurs musiciens ont commis de mauvais disques, tant pis pour eux, grand mal leur fasse, lui Panassié n'est pas là pour inciter les amateurs à se procurer de la mauvaise bidoche. Vous n'aurez droit qu'au haut du panier. Fût-il de crabes ! En plus, il exagère, ne vous donne que les meilleurs enregistrements, mais certains sont soulignés, ceux-là sont la béatitude de la bestitude incarnée. Si vous ne les avez pas, faites quelque chose, supprimez-vous au plus vite, vous n'avez aucun droit à rester sur cette terre. L'en rajoute un peu, certains artistes sont merveilleux en public, mais leurs résultats discographiques ne sont pas à la hauteur, n'auront pas leur carton d'invitation.

L'est sympa, n'oublie pas de citer l'ensemble des musiciens ayant participé aux sessions, ce qui à l'époque n'apparaissait pas toujours sur les pochettes. Rassurez-vous, aujourd'hui non plus. L'a fait des recherches, des recoupements, l'a interrogé les musiciens – l'est déçu par leur manque de mémoire – au final, se fie à son oreille, vous reconnaît son gazier à sa manière de dérouler un solo, ou à sa soupape de charleston inimitable. Ne vous ennuie pas, vous file un petit topo sur les compagnies de disques : Blue Star, Brunswick, Columbia, Commodore, Decca, Gennett, Harmony, H.M.V., Master-Variety, Musicraft, Okeh, Parlophone, Polydor, Swing, Vocalion, chères aussi aux amateurs de Blues, de rock et de country... L'on aurait aimé qu'il ajoutât quelques précisions sur les petits labels, mais en ce bas monde nul n'est parfait.

Y a encore des index qui vous permettent de vous y retrouver facilement, ainsi question blues – parce que moi si je ne suis pas un fadurle de jazz j'adore le blues - pour Big Bill Broonzy – dont il avoue ne pas connaître tous les enregistrements - il n'oublie pas de citer Please Believe me et Why did you do that to me parus chez Hub sous le nom de Don Byas Quartet avec le sus-nommé Don Byas au saxo ténor, Kenny Watts au piano, John Levy à la basse, Slick Jones à la batterie.

De Rosetta Crawford Panassié privillégie quatre faces, mais quand vous allez écouter vous la claseriez plutôt parmi les chanteuses de jazz, c'est que Tommy Ladnier et Milton Mezzrow lui volent un peu la vedette, l'on a l'impression qu'elle les accompagne plus qu'ils ne l'accompagnent... Wynonie Harris dont il souligne les remarquables parties de saxo ténor par Ilinois Jacquet sur Wynonie's blues ( Apollo ), n'oublions pas que certains amateurs tiennent Wynonie pour l'inventeur du rock'n'roll, avant Bill Haley...

Les deux suivants sont sans contexte des figures du blues : Bessie Jackson – plus connue sous son nom de Lucille Bogan dont vient de sortir chez Camion Blanc, une biographie dont nous parlerons d'ici peu, Blind Lemmon Jefferson, notre cicerone le qualifie l'un des plus grands chanteurs de blues – n'a pas tort - mais n'avoue ne connaître que quatre galettes, de 1925 et 1à26, chez Paramount, nos ancêtres n'avaient pas la chance de surfer sur le net...

Cousin Joe, aussi appelé Pleasant Joe, on le connaît moins, Panassié le cite en tant que chanteur tout en notifiant qu'il a la manie ( exaltante ) de ne pas chevroter ses fins de lyrics mais au contraire de donner du gosier façon de pousser la mémé dans les orties, l'a été aussi pianiste, l'a joué avec Dave Bartholomew le producteur de Fats Domino, nous sommes tout près de Little Richard, l'avait commencé avec Sidney Bechett et Milton Mezzrow pour ne citer que des cadors à qui Kr'tnt a consacré un chronique...

Lonnie Johnson, attention vous le trouvez là où ne l'attendez pas, tient les solos sur I'm not rough, Hotter thant that et Savoy blues de Louis Armstrong, et sur Hot and Buttered et Misty Morning de Duke Ellington, vous l'entendez seul sur Playing with the Strings, Stoompin' 'em Along, Blues in G et Away down in the Alley Blues, sur Okeh 1928... Maintenant on peut le dire l'a un peu le blues élastique Panassié, c'est sa passion du swing qui déborde et lui fait ranger Louis Jordan parmi les bluesmen... Lips Page fut surtout un trompettiste de jazz, Panassié apprécie fort son vocal j'avoue que je ne connaissais pas, suis allé vérifier sur You tube, Panassié a raison l'a un beau phrasé, trompette cool mais la voix qui en jette un max, une découverte.

Ma Rainey, la plus grande chanteuse de blues après Bessie, qu'elle soit accompagnée par Tomy Ladnier, Louis Armstrong, Fletcher Henderson ou par des inconnus c'est toujours la reine, suivie de près par l'impératrice Bessie Smith, Hughes sort le grand jeu, nous cite plus de cent cinquante titres – pour la petite histoire sa disco n'arrive pas à deux cents - l'a mis tout ce qu'il avait, l'a raclé les fonds de tiroirs, l'a raison des filles comme Bessie l'on n'en fait plus, écoutez n'importe quoi d'elle et vous serez conquis, ad vitam aeternam... Voici une autre princesse du blues, Georgia White, a enregistré avec Jimmy Noone et Lonnie Johson, ne dédaignait pas les paroles à double sens, a accompagné Big Bill Broonzy au piano, a fini dans les clubs de Chicago, Panassié ne retient que quatre titres Jazzin' Babies Blues, Papa Pleaser, Late Hour Blues, Panama Limited Blues qui ne sont pas cités de nos jours dans les notules qui lui sont consacrées,

Après les ironiques délicatesses des modulations enchanteresses de la féminité, Panassié nous présente beaucoup plus couillu Big Joe Turner fort en muscle et en voix, blues shouter de poids qui se joue des dentelles d'Art Tatum comme du souffle de Bill Coleman, Eddie Vinson chef d'orchestre et saxophoniste de prédilection, mais qui sut donner de la voix sur des morceaux comme Too Many Women Blues et Old Maid Boogie Nous terminons avec Rubberleg Williams l'avait des jambes en caoutchouc qui firent de lui un prince de la danse et du vaudeville, mais l'était loin d'être un simple amuseur public, a magnifiquement servi au chant des calibres du genre Dizzie Gillepsie, Charlie Parker et Miles Davis.

Si l'on tente de dresser un bilan, l'on se dit que le blues de Panassié est bien près du jazz, lui manque l'authenticité du delta... Mais à l'époque, devait pas y avoir grand monde en notre pays qui en connaissait autant que lui...

Dernière notation : le livre n'est pas mince, dépasse les 370 pages... Les amateurs de rock parviendront à survivre facilement si le bouquin ne leur tombe pas sous la main... Par contre les amateurs de jazz ne manqueront pas de se mettre à sa recherche. Un document historique irremplaçable pour l'accueil de leur musique en douce France...

Damie Chad.

 

ROCKAMBOLESQUES

FEUILLETON HEBDOMADAIRE

( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

en butte à de sombres menaces... )

EPISODE 4 : URGENCES SOINS

( Vivace Vivace )

LA LETTRE VOLEE

Le chef n'a pas l'air surpris du résultat de ma mission. Il me regarde et sourit. Il prend le temps d'examiner la cendre de son Coronado, adopte un air contrit, appelle Cruchette, et condescend enfin à prendre la parole :

    • Sans doute ai-je été par trop imprécis pour répondre à votre question, mais vous êtes parti si vite... Je ne vous ai pas demandé de ramener la corbeille à papier de la charmante Crocodile, mais votre poubelle à vous, j'avoue avoir été un peu elliptique, ce n'est pas votre poubelle que j'aimerais à examiner, mais plus exactement son contenu. Opération délicate qui demande un spécialiste chevronné d'un niveau bien supérieur à vous ! Je suis sûr que Cruchette a compris sans besoin d'explications !

    • Bien sûr Chef, je n'ai jamais osé en toucher deux mots à Monsieur Damie, mais sa teuf-teuf, c'est une véritable poubelle comme vous dites Chef, parce que moi je trouve que c'est plutôt une déchetterie ! Je m'en charge Chef, je prends mon balai, ma pelle en acier suédois super-fin capable de ramasser des grains de poussière de trois microns et un sac poubelle de cent litres, et j'y vais tout de suite.

    • Chef, je ne vous comprends pas, nous recherchons l'assassin et surtout son mobile, pas les quelques papiers qui traînent sur le plancher de ma teuf-teuf !

    • Tenez Agent Chad, pendant que j'allume un nouveau Coronado, remémorez-vous ces pages d'Edgar Poe, La Lettre Volée, les services secrets de sa très Gracieuse Majesté qui recherchent dans un appartement, une lettre très compromettante pour l'honneur de la Couronne, les plus fins limiers fouillent de fond en comble le logis sans résultat, et Dupin, le fameux détective déductif, la retrouve en quinze secondes sur le bureau du maître-chanteur, conclusion : inutile de chercher au bout du monde ce qui est sous vos yeux. Mais je vous en prie agent Chad, reprenez la rédaction de vos Mémoires en attendant le retour de Cruchette !

LA PISTE !

Cruchette est revenue toute fière, sur le bureau du Chef elle a scrupuleusement aligné douze bocaux de nutella vide, six boites de nougatine moisie, dix-sept os à moelle ( une puanteur ) de Molossa, deux cent quatorze emballages de fraises tagadas, une collection de blagues de carambars, un nombre incalculables de trognons de pommes en voie de décomposition avancée et une montagne de biscuits à chien à moitié grignotés...

    • Voilà Chef, par précaution j'ai laissé le balai et le seau dans la teuf-teuf, je pense que ce sera utile à Monsieur Damie !

    • Vous êtes une véritable mère pour cet escogriffe, Cruchette, il ne le mérite pas, mais vous n'auriez rien oublié, par hasard !

    • Ah si, une K7, toute pourrave dans le vide-poche de la portière ! Tenez la-voilà !

LES DESAXEES

C'était le nom du groupe. L'écoute s'avéra fabuleuse. Trois jeunes filles qui ne savaient ni jouer, ni chanter. Le premier groupe punk français, décréta le chef. Je vous épargne le potin de tous les diables, les paroles suffiront à vous faire une idée : Que feras-tu quand tu seras grande : quand je serais grande je serais terroriste ! Et toi que feras-tu quand tu seras grande : moi quand je serai grande je serai pédophile ! Et toi que feras-tu quand tu seras grande : moi quand je serai grande je serai eine nazie kamareden !, plus loin on atteignait la haute poésie : Quand je remue / Mon Petit cul / C'est que ta bite / Molle l'habite...

    • Chef, il y a une adresse à l'intérieur du boîtier : Claudine Laporte, 12 allées des Jardins. 77 160 Provins. Je connais, c'est rupin comme rue, je peux vous y conduire!

    • On y va illico, répondit le Chef, j'allumerai un Coronado dans la Teuf-teuf.

*

On a sonné à la porte de la belle villa. Une dame a traversé la vaste pelouse et nous a ouvert la grille.

    • Nous voudrions parler, à Mlle Claudine Laporte, s'il vous plaît.

    • Elle fait son stage de pédiatrie à l'Hôpital Mondor...

    • Elle est si jeune que cela, l'interrompit Cruchette

    • Non, elle a vingt trois ans, elle est étudiante en médecine, vous êtes la deuxième groupe de trois personnes à la demander aujourd'hui !

HÔPITAL MONDOR

Le Chef avait pris les opérations en mains.

    • Agent Chad, roulez sur la bande blanche, jamais à moins de cent quatre-vingt kilomètres, n'ayez crainte, avec mon colt je crève les pneus à toutes les voitures qui font mine de ne pas céder le passage.

Vingt cinq minutes plus tard la teuf-teuf nous laissait sur le parking de la pédiatrie. Nous suivîmes les consignes du Chef, Cruchette devant, en brise-lame, le balai et le seau à la main, derrière le Chef, en protection, le Coronado laissant échapper de gros panaches de fumées noires, Molossa suivait, la queue frétillante, et moi qui assurai les arrières, le Glock à la ceinture caché par le perfecto. La traversée du hall se fit sans encombre, lorsque le vigile s'interposa pour arrêter Molossa, deux bambins couverts de pansements se précipitèrent pour la caresser, ce devait être un bon père de famille, il n'eut pas le courage de leur causer du chagrin, car il sourit et tourna le dos... Ce fut dans l'ascenseur que cela se gâta. L'était bondé et une jeune femme enceinte se mit à tousser.

    • Vous pourriez éteindre votre cigare Monsieur, d'ailleurs c'est interdit, en tant que représentant de la ligue anti-cancer, je tiens à vous avertir que fumer nuit gravement à la santé, et je vous conseille de descendre immédiatement car...

Le quidam n'eut pas le temps d'achever. Le colt lui explosa la tête, Molossa se précipita sur la cervelle qui était tombé sur la moquette.

    • Je connais des façons plus rapide de mourir que par la tabac. Je tiens à avertir l'assistance que je tiens pour ennemi personnel toute personne – le Chef jeta un regard froid sur les visiteurs terrorisés - qui ferait partie de la ligue anti-tabac. Sachez que je ne plaisante jamais. Qu'il soit bien entendu que si l'un de vous touche son portable ou ose parler à quiconque de ce regrettable incident, il est déjà mort. A bon entendeur salut ! Nous descendons ici ! Nous vous souhaitons une bonne journée.

 

Sans doute nous virent-ils partir sans regret. Service pédiatrie, c'était écrit en gros sur la porte. Nous suivîmes le couloir. Des infirmières voulurent nous arrêter, mais l'un d'elle surgit fort opinément et s'interposa :

    • Laissez, c'est pour les enfants, c'est le cirque ! Il y en a déjà un dans la salle de jeu avec la stagiaire, au bout du couloir, vous tournez à gauche, vous passez les portes battantes, et vous continuez jusqu'à la salle de jeu, attention, quand vous passez devant les bureaux, le nouveau chef de service arrivé ce matin est particulièrement de mauvaise humeur.

 

On s'est un peu perdu dans les couloirs, on a tourné et retourné, les renseignements que l'on quémanda étaient contradictoires, mais enfin nous avisâmes la pancarte : Direction du Service. Nous suivîmes les conseils de prudence qui nous avaient été prodigués, nous marchions sur la pointe des pieds, quand Molossa, poussa un Wouaf retentissant ! Une porte s'ouvrit, Cruchette se trouva nez à nez avec une espèce de géant qui lui barra le chemin de ses deux bras !

    • Un chien dans cet établissement, je ne le permettrai jamais ! Je vais l'abattre tout de suite ! D'ailleurs vous aussi !

A notre grande surprise il ouvrit sa grande blouse blanche et en sortit un fusil à canon scié, n'eut même pas le temps d'appuyer sur la gâchette, Cruchette fut plus rapide, de sa pelle en acier suédois elle lui trancha la tête qui roula à terre, le Chef l'a réexpédia d'un coup de pied dans le bureau ouvert tandis que j'y jetai le corps que je tirai par les pieds.

    • Vous vous rendez compte il voulait tuer un petit chien innocent qui ne lui avait rien fait, c'est bien fait pour lui, Papa m'a toujours dit que l'on devait arrêter les méchants par tous les moyens possibles.

Cinquante mètres plus loin, nous arrivâmes devant la salle de jeu. Le Chef entrouvrit la porte. Une quinzaine d'enfants étaient assis face à nous. Au milieu d'eux une jeune fille. Vraisemblablement Claudine Laporte. Tous avaient les yeux rivés sur l'illusionniste, un grand chapeau pointu de magicien couronnait sa tête. Il nous tournait le dos, nous ne voyions pas ce qu'il faisait, mais des yeux attentifs suivaient tous ces mouvements. Il y eut des applaudissements.

    • Mes enfants, voici le dernier tour !

    • Non, non, encore !

    • C'est le dernier et le plus difficile, et j'ai besoin de vous, quand je vous le dirai vous fermerez les yeux et vous compterez doucement jusqu'à trente et vous verrez la surprise de votre vie. Mademoiselle Claudine, j'ai besoin de vous, mettez ce bandeau devant vos yeux, étendez-vous par terre, là oui, sur le sol, devant moi, regardez-moi bien les enfants, lorsque vous rouvrirez les yeux, elle sera toujours devant vous, par terre, mais transformez en papillon, ne trichez pas, fermez les yeux , allez on compte, un, deux, trois, quatre,

Aucun des petits n'osaient tricher. Cinq, six, le gars sortit un fin couteau de sa botte, sept, huit, il leva son poignard, neuf, dix, il n'eut pas le temps de le planter entre les omoplates, le Chef avait bondit, se saisit de sa main, souleva son corps de l'autre, le fit tournoyer pendant que je m'empressai d'ouvrir une fenêtre, les enfants qui avaient entendu un peu de bruit, écarquillèrent les mirettes, juste à temps pour apercevoir le magicien s'envoler par la fenêtre ( du quinzième étage ).

    • On applaudit bien fort, m'écriais-je, quel tour réussi, quelle surprise, ce n'est pas Claudine qui a été transformée en papillon, mais le magicien qui s'est envolé !

    • Bravo! Bravo !

Claudine enleva son bandeau, elle n'avait rien vu et surtout rien compris, si ce n'est qu'il s'était déroulé quelque chose de très insolite, elle se demandait ce que nous faisions dans la pièce, mais les rires et l'excitation des enfants la rassurèrent. Nous l'accompagnâmes quand elle ramena les gaminos à leur chambre. Elle se tourna vers nous, mais elle n'eut pas le temps de poser la question qui lui brûlait les lèvres. Elle se contenta de pâlir affreusement lorsque je lui fourrais la cassette sous les yeux.

    • Je crois qu'il faut qu'on parle ! dit le Chef

    • Crocodile est donc morte pour ça ! Et elle éclata en sanglots.

    • Non Claudine, pour le rock'n'roll !

( A suivre. )