Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

06/01/2021

KR'TNT ! 492 : WILD BILLY CHILDISH / CHUCK PROPHET / PLANETE-METAL / STEPPENWOLF / ROCK STORY / ROCKAMBOLESQUES XV

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 492

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

07 / 01 / 2021

 

WILD BILLY CHILDISH / CHUCK PROPHET

PLANETE-METAL / STEPPENWOLF

ROCK STORY / ROCKAMBOLESQUES 16

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Le rock à Billy - Part One

Debout devant la pile des arrivages, il farfouillait attentivement (sur l’air d’Il Patinait Merveilleusement du pauvre Lélian). Brandissant un vinyle, il rompit soudain le silence :

— Tiens... Jamais vu ce truc-là ! C’est quoi ?

— The Watts 103rd St Rhythm Band, c’est une grosse équipe de blackos qui font du funk. L’album date de 1967. Y sont californiens. Y zont dû faire cinq ou six albums en tout. Gros son. Tu veux qu’on l’écoute ?

— Ouais, vas-y, mets-le. Et ça ?

— Explorers Clubs, des adorateurs de Brian Wilson, mais ça ne va pas te plaire. Trop pop pour tes oreilles de vieux renard du désert. Et ça, tu ne dois pas connaître non plus, c’est japonais.

Pochette noire frappée de trois grosses lettres argentées : PSF.

— PSF ça veut dire Psychedelic Speed Freaks. Ils portent bien leur nom. C’est l’un des trucs les plus explosifs que je connaisse. Comme les Schizophonics, ils repartent du MC5 et poussent le bouchon dans les orties, avec ta grand-mère. Comme si c’était possible de pousser le bouchon du MC5, hein ? Quand les Japonais font un truc, ils le font mieux que tous les autres, en voilà encore la preuve ! Tu sais le mec dont je t’ai déjà parlé, le mec de Dig It!, c’est lui qui passait ça dans son radio show. L’a passé ça plusieurs fois. Alors bingo !, j’ai rapatrié l’album.

À la suite de quoi le farfouilleur éclata de rire :

— Ha ha ha ! T’as encore récupéré des Billy Childish ?

— Ben oui...

— Mais t’as déjà tout. Ça n’a pas de sens !

— Tu te fourres le doigt dans l’œil jusqu’au coude, camarade. C’est justement parce que tu as tous les albums de Billy Childish que tu continues d’écouter les albums de Billy Childish. Comme Aretha et James Brown, il est parfaitement incapable de faire un mauvais album. Je vais même te dire un truc : ces deux derniers albums que tu vois là sont fan-tas-tiques !

— Ouais, tu dis ça tout le temps. Si on t’écoutait, on n’en finirait plus.

La remarque du farfouilleur le piqua au vif et la répartie fut cinglante :

— Chacun cherche chon chat, camarade. Chacun fait comme il peut avec ses petits bras et sa petite bite. Mais bon puisque le train de mes enthousiasmes roule sur les rails de tes insuffisances et s’arrête à la gare de ta suspicion, on va stopper le funk pour donner la parole au vieux Billy. Alors je sais ce que tu vas me dire : il n’a pas inventé la poudre. Et là tu vas encore te vautrer ! La poudre, il la réinvente chaque fois qu’il fait un album. Tiens, on va attaquer avec celui-là, Last Punk Standing, tu vas voir, l’album porte bien son nom...

Il mit l’album en route. Piégé dans cette conversation qu’il n’avait pas souhaitée, le farfouilleur s’efforçait de montrer un minimum d’attention :

— Mais c’est pas Billy Childish qui chante ?

— Non, c’est la Juju à son Billy, une nonchalante avec de la prestance à tous les étages. C’est elle que tu vois sur la pochette. Le cut s’appelle «It Hurts Me Still». Ça ne te rappelle rien ?

— Les Headcoatees ?

— Bravo ! La Juju joue de la basse et Wolf bat le beurre. Billy reste à la manœuvre. Tu vas voir, il va ressortir son meilleur accent cockney. Tiens, écoute celui-là, il s’appelle «Like An Inexplicable Wheel». Billy ressort ses gros accords psyché. Tu vois, avec sa toque de Davy Crockett, le vieux Billy fait encore de bons albums. Imagine que Jim Morrison ait vécu : il ferait certainement de bons albums. Ces vieux rockers ont ça dans la peau. Il y a d’autres exemples : Bob Mould ou encore Ray Davies. Tiens écoute celui-là, il s’appelle «The Darkness Was On Me»...

— Ouais, c’est les accords de «You Really Got Me» !

— Et Billy pousse le même waouuuuhh que Ray Davies, pas mal, non ?

— C’est vrai que ça sonne bien.

— ‘Coute ! Il termine l’A avec un bel hommage à Link Wray, mais attends, il y a encore de la viande de l’autre côté, tiens, comme ce truc qui s’appelle «Gary’s Song». La Juju va te rendre gaga, mon gars ! Et c’est encore pire avec celui-là, «The Happy Place». T’as vu l’attaque ? Putain, quelle niaque !

— Pour du garage anglais, c’est vraiment bien.

— Attention, voilà le morceau-titre ! Billy rend hommage à la résistance ! Il le fait à l’Anglaise, t’as qu’à voir, là, poto, t’as du mythe à la pelle ! Il sait même faire les Stooges, tiens, ‘coute l’intro de ce truc-là qui s’appelle «Some Unknown Reason», c’est les accords de Wanna Be Your Dog. Et qui c’est qui referme la boutica ? La Juju avec «The Used To Be», ‘coute comme elle est bonne, elle a cette engeance de la prestance qu’avaient les Headcoatees, tu crois pas ?

— Y vaut cher l’album ?

— Non, si tu le commandes chez Crypt, ça reste correct, 15 ou 16. Il tient ses prix. Comme au temps du Born Bad de la rue Keller, quand les albums étaient tous à 13.

Il ne proposa pas au farfouilleur d’écouter l’autre album de Billy. Deux Billy dans la foulée ? No way. Ça fait beaucoup et ça risque de gâcher le plaisir. Bon, on va laisser nos deux amis vaquer à leurs occupations pour entrer dans des considérations plus épistémologiques. On peut en effet se poser la question de savoir à quoi rime d’écouter Wild Billy Childish en 2020. Quel sens ça peut avoir ? Aucun. Le seul sens est celui que donne l’artiste en agissant. Époque révolue ? Non, puisque Billy Childish enregistre encore un album, et pourquoi enregistre-t-il encore un album ? Pour qu’on l’écoute. Même s’il en a déjà fait 100 ? Et alors, ça fait 101 ! Vas-y Billy ! Tant qu’il tiendra debout derrière son micro, on sera là. Il y a plus de sens dans le 101e album du vieux Billy que dans toute ta philosophie, Horatio. Plus de sens que dans tout ce magma médiatique et tout ce décervelage organisé. Last Punk Standing, et comment ! Ce n’est pas un hasard si Billy peint. Il peint comme Gauguin et tous les hommes libres peignaient avant lui. Billy ne passe pas son temps à regarder des conneries à la télé. Il a compris qu’un cerveau ça pouvait servir à peindre et à faire des disques, et tant pis si les gens n’écoutent plus beaucoup les disques, l’essentiel est de continuer à servir ses dieux et ses diables. Billy fait son Last Punk Standing de la même façon que Jerry Lee fit son Last Man Standing. S’il n’en reste qu’un, il vaut mieux que ce soit Billy plutôt que Stong, pas vrai les gars ?

Thomas Patterson qui l’interviewait en 2019 le qualifiait de painfully honest, c’est-à-dire de dramatiquement honnête. Billy nous explique Patterson pousse sa logique de singular anti-commercial vision jusqu’au bout, allant jusqu’à continuer de s’illustrer dans un genre tombé en désuétude, commercialement parlant. Mais le paradoxe, c’est que Billy n’a jamais été aussi bon, aussi déterminé à nous sonner les cloches. Il rappelle à Patterson qu’il a tout fait : «We’ve done every single thing. We’ve got spoken word, blues, experimental and nursery rhymes. Everything.» D’une modestie qui pourrait servir de modèle à ceux qui en manquent tragiquement, Billy tient surtout à rappeler qu’il n’est pas musicien. Au Nouveau Casino, c’est Graham Day qui sur scène accordait la belle guitare rouge de Billy. Il s’en explique très bien d’ailleurs : «La grosse difficulté avec la guitare : c’est une chose que d’apprendre à en jouer, mais c’est complètement autre chose que d’en jouer débout derrière un micro.» Billy se fout de savoir si on l’admire et s’il a du succès, il ne s’inquiète que d’une chose : faire très exactement ce qu’il veut faire et la manière dont il veut que ça soit fait. Billy travaille son son comme Gauguin sculptait les bois de la Maison du Jouir, aux Marquises : tout à la main et fuck you. Billy ne doit rien à personne.

C’est exactement l’impression qui se dégage de Kings Of The Medway Delta. Rien qu’à voir la pochette, on comprend tout. Billy, Juju et Wolf sont là, ain’t got no friends around, claque Billy dans sa chanson, et il allume son boogie au scream, comme au temps des Sonics. Dans l’interview, Billy rappelle qu’il déteste le garage, son truc c’est l’early rock’n’roll des Beatles à Hambourg et le Bristish Beat, ce qu’illustre parfaitement son «Got Love If You Want It» : il y recrée la magie des vieilles pétaudières. Sortir un tel son relève du prodige. D’ailleurs Billy le dit et le redit : «La seule chance qu’a le rock’n’roll de survivre, c’est de faire ce qu’on fait, le jouer pour personne sous une pierre, à l’abri comme ça il n’est pas détruit par la lumière du jour. Et c’est parce que j’aime la musique qu’on enregistre toujours nos disques comme quand on avait 15 ans et qu’on enregistrait notre premier album. Voilà pourquoi on est cool and better than everyone else. C’est pas compliqué à comprendre, non ? It’s simple maths.» C’est vrai que cet album pourrait être enregistré en 1964. «All My Feelings Denied» est un cut souverainement inspiré. Si on en pince pour le British Beat de l’âge d’or, alors on est gâté avec «Wiley Coyote». Billy fait son Wolf (l’autre, pas le sien) avec une sacrée gouaille, il tranche bien dans le vif du sujet. On l’entend aussi jouer ses notes en apesanteur dans «Why Did I Destroy Our Love», un chef-d’œuvre de musicalité psyché à l’anglaise, avec un Wolf (le sien, pas l’autre) qui fouette les fesses du beat à la perfection. Il termine cette excellente déclaration d’intention en blastant «You Wonder Why I’m Hurting». Il drive son boogie comme il l’a toujours fait, en parfaite connaissance de cause.

Signé : Cazengler, Billy Chierie

Wild Billy Childish & CTMF. Last Punk Standing. Damaged Goods 2019

Wild Billy Childish & The Chatham Singers. Kings Of The Medway Delta. Damaged Goods 2020

Thomas Patterson : You’ve Got To Do Something. Shindig! # 87 - January 2019

 

Prophet en son pays - Part Three

 

Fin 2020, année lugubre s’il en fut, Chuck Prophet est revenu dans le rond de l’actu avec les bras chargés : un book, un nouvel album et une interview dans Vive Le Rock. Pour dire haut et fort sa fierté de fonctionner à l’ancienne, Dandy Chuck brandit son vinyle et fait une interview de promo dans un canard de has-beens ! Il avoue même sa hâte de repartir en tournée, comme au temps d’avant - But as soon as we’re able, we’ll get out on the hillbilly highway and bring it to the people. I miss that connection with the crowd in a big way - Ah les dandys, c’est toujours pareil, ils ne peuvent pas s’empêcher de porter leur nostalgie en boutonnière, à l’instar du baron de Charlus arrangeant nous dit Proust une rose mousseuse à sa boutonnière.

Ce nouvel album s’appelle The Land That Time Forgot et fait suite à l’abondante discographie sur laquelle on s’est déjà largement répandu dans KR'TNT. Ça devait être en 2017, suite au concert de Dandy Chuck à la Boule Noire. Un Part One passait en revue les faits et gestes de Green On Red et un Part Two ceux du Dandy solo. Nous voilà donc rendus au Part Three avec un album qui peine à convaincre, tout au moins en bal d’A. Dandy Chuck fait toujours sa pop de Dandy et sa voix cristallise son élégance. Disons qu’il est au rock moderne ce que Dylan fut au rock de 65 : l’homme de la diction suprême. Il faut l’entendre dans «High As Johnny Thunders» déclarer : «If heartbreak was virtue/ Man I’d be so virtuous.» Avec sa compagne Stephie, il monte un coup de dynamique à deux voix dans «Marathon» et dans «Willie & Willi», il raconte l’histoire d’un couple qui écoute Metallica real loud, histoire d’emmerder des voisins qui appellent des flics qui ne viennent jamais. Dans la vie, c’est bien connu, il faut des baisés. Les deux chansons politiques qu’on trouve en B sont le seul intérêt de cet album. La première concerne Nixon et Dandy Chuck n’est pas tendre avec ce sale bonhomme. Dans «Nixonland», il raconte qu’il est né in the heart of Nixonland. Il fait parler Nixon s’adressant au fantôme d’Abe, c’est-à-dire Abraham Lincoln - Surely Abe you must understand/ The Jews are out to bring me down (T’as bien compris Abe que les Juifs veulent ma peau) - Personne n’incarne mieux que Nixon le fascisme à l’Américaine. Et dans «Get Off The Stage», Dandy Chuck s’adresse à Trump sans jamais le nommer. Il lui demande de dégager le plancher, sur un ton très dylanesque, dans tout l’éclat de sa hargne - Please get off the stage - C’est suprêmement bien dit - You’re one bad hombre/ So why don’t you just turn around and go home (T’es qu’une sale bonhomme, alors pourquoi ne rentres-tu pas chez toi ?) Tout ce qu’il dit sonne étrangement juste - We’ve heard everything you’ve got to say/ Take a book off the shelf - Rentre chez toi, ferme ta gueule et lis un livre. Apparemment, les dieux ont exaucé les vœux de ce merveilleux héritier de Dylan qu’est Dandy Chuck.

Back to the book. Bien évidemment, on attendait monts et merveilles d’un book de Dandy Chuck, au moins autant que du petit essai que consacra jadis Barbey d’Aurevilly à George Brummell, considéré comme l’inventeur du dandysme en Angleterre, Du Dandysme Et De George Brummell. Hélas, il faut vite déchanter, car l’auteur de What Makes The Monkey Dance - The Life & Music Of Chuck Prophet & Green On Red n’est pas Dandy Chuck mais un certain Stevie Simkin qui lui n’est pas dandy pour deux sous. Il passe complètement à côté du sujet qui est le dandysme. Il pourrait objecter - et il aurait raison - que les États-Unis ne sont pas terre de dandysme, à de rares exceptions près (Francis Scott Fitzgerald, Andy Warhol et Christopher Walken). Bref, il fait chou blanc, ce qui explique le fait qu’on ne trouve dans ce book qu’une seule et unique référence à l’élégance qui est tout de même le trait le plus marquant de Dandy Chuck : «D’une certaine façon, la musique et les fringues sont liées. J’aime l’élégance. Je trimballe des grosses valises. Comme dirait l’autre, le style est la réponse à tout. D’une part, le style n’a rien à voir avec la mode. D’autre part, le style est instinctif. Comme le dit Joan Rivers, c’est comme l’herpès, soit vous l’avez, soit vous ne l’avez pas.» En écho à ce trait d’esprit prophetic, on va citer Barbey : «Le luxe de Brummell était plus intelligent qu’éclatant ; il était une preuve de plus de la sûreté de cet esprit qui laissait l’écarlate aux sauvages, et qui inventa plus tard ce grand axiome de la toilette : ‘Pour être bien mis, il ne faut pas être remarqué.’»

Style ou grâce ? Dans le cas de Dandy Chuck, on aurait tendance à pencher pour la grâce. Une autre trait de Brummell que souligne Barbey lui sied à merveille : «Les femmes ne lui pardonneront jamais d’avoir eu de la grâce comme elles ; les hommes, de n’en pas avoir comme lui.»

Le dramatique de la chose est que Simkin brosse un portrait extrêmement édulcoré de Dandy Chuck. Il en fait une sorte de rocker américain tellement soucieux de son indépendance qu’il se condamne à l’underground et cette façon d’aplatir les choses ne fait que normaliser un Dandy Chuck qui de toute évidence cherche depuis toujours à échapper à ses poursuivants, ce qui est comme vous le savez l’apanage des Dandys, ainsi que le scandait Barbey : «On ne se lassera point de le répéter : ce qui fait le Dandy, c’est l’indépendance.» Grâce à Barbey, Simkin retombe donc sur ses pattes. Gros veinard !

Ce book propose un panorama chronologique comme on en fait tous. Avec ce pétard mouillé, Simkin nous traîne aux antipodes du book de rêve, celui de P.F. Sloan par exemple, paru chez le même éditeur, un book en forme d’invitation au voyage, sur lequel nous allons bien sûr revenir. Si le Sloan slappe si joliment l’imagination, la raison en est toute simple : Sloan qui est un esprit fantasque s’adresse directement à son lecteur. Pas d’intermédiaire. Oh bien sûr, Dandy Chuck raconte aussi un peu sa vie, mais il n’apparaît que cité entre guillemets. Dommage, car Dandy Chuck est un vieux blogger confirmé qui n’a besoin de personne en Harley Davidson. Mais sur ce coup-là, il n’est pas le boss. Simkin organise les choses à sa manière et injecte ici et là ses petits trucs perso. On s’en passerait bien, car les petits trucs perso qui nous intéressent sont ceux de Dandy Chuck. C’est d’autant plus frustrant que Dandy Chuck crée la sensation chaque fois qu’il ouvre sa boîte à camembert. Ses tournures d’esprit sont extrêmement originales. Comme par exemple lorsqu’il conclut le chapitre consacré à un manager dont il doit se séparer : «Oui, j’éprouvais un profond ressentiment envers Mike Lembo. Mais j’ai fait la paix en moi, au sens où j’ai assumé toute la responsabilité de cette affaire. Je pense qu’il est préférable de choisir ses combats, au sens où on ne peut pas tous les gagner.»

Simkin rend un hommage rapide au fameux Paisley Underground, une scène californienne enracinée dans Big Star et qui va engendrer l’apparition de Green On Red, des Long Ryders, de Rain Parade, des Bangles, un mouvement dit Steve Wynn provoqué par le vide des années 80 - a very dead period of music in Los Angeles - Retour des guitares, alors que régnaient partout ailleurs les synthés. Puis voilà Slash, oh non pas le frimeur des Guns, non, Slash c’est d’abord un petit label basé à Los Angeles qui sort Dream Syndicate, les Blasters et X - of the wild and fertile LA punk scene - C’est d’ailleurs Steve Wynn qui suggère aux mecs de Slash d’écouter Green On Red qui sont alors des débutants et qui campent dans un rootsy song-centric approach, camp-meeting cross of Crazy Horse et Creedence et qui avec leurs collègues locaux Lone Justice, Los Lobos et Long Ryders vont participer à l’avènement de l’alternative country. Dan Stuart embauche Dandy Chuck pour muscler le son de Green On Red et les voilà partis pour une sorte de wild ride suicidaire - We were typically pretty out of tune and Dan was like John Candy on Ritalin - Dandy Chuck se plait à reformuler leur absence totale d’ambition quand il compare Green On Red à REM, deux groupes qui ont démarré en même temps - Je respecte totalement ces quatre mecs qui ont bossé pour devenir célèbres. Mais nous n’avions pas du tout ce genre d’objectif. On n’avait tout simplement pas de plan. Just really self-destructive - Voilà ce qui fait la grandeur de Green On Red. Quand le mec de China Records leur demande de faire un disk pour les gens qui ont des lecteurs de CD dans leur bagnole, Dandy Chuck rétorque : «Je n’ai jamais vu un CD. Je ne sais même pas de quoi tu parles !». Jusqu’au bout, ils allaient poursuivre leur petit bonhomme de chemin auto-destructif, tant au plan commercial, artistique que personnel. Dandy Chuck résumera bien la situation à la fin du book en déclarant : «I’ve always felt out of time.»

Nick Kent qui voit Green On Red sur scène à Londres trouve la voix de Dan Stuart intrigante sur disk mais décevante sur scène - Avec Gram Parsons à six pieds sous terre aujourd’hui et Neil Young en plein délire réactionnaire, il existe un énorme champ de possibilités qui n’attend qu’une chose : qu’on le laboure. Quelque chose me dit qu’un jour ce groupe va trouver du pétrole, mais pas avec No Free Lunch, qui n’est rien d’autre qu’une vieille faux rouillée - Il a raison, Nick Kent, les albums de Green On Red ne sont pas tous très jojo. À la fin de Green On Red, Dandy Chuck et Stuart ne s’adressent plus la parole. Stuart se coupe du monde et Dandy Chuck part vivre à Berlin avec sa copine de l’époque qui n’est pas encore Stephie Finch. Quand un peu plus tard en 1989 ils redémarrent Green On Red, nos deux amis oublient le prévenir le batteur et l’organiste. Dandy Chuck est assez fataliste sur l’extinction des relations : «That camaraderie was gone.» Et il ajoute : «Comme dans tant de relations, les choses se délitent et ça s’éteint. Sans qu’on ait dit un seul mot.» Il indique aussi que si Green On Red a duré aussi longtemps, c’est grâce aux drogues - Green On Red nous a permis de sortir le plus tard possible de l’adolescence pour entrer dans l’âge adulte. Le groupe nous a aussi épargné les dangers de la rue et pire encore, celui d’un job alimentaire.

Si vous parvenez à faire abstraction du côté chou-blanc-pétard-mouillé, vous trouverez néanmoins de quoi vous sustenter dans ces 300 pages, car Dandy Chuck jouit du privilège de ne fréquenter que des gens intéressants, à commencer par Jim Dickinson, Alejandro Escovedo et Dan Penn.

C’est Dandy Chuck qui insiste à l’époque de Green On Red pour travailler avec Dickinson. Pour ça, il va trouver David Lindley dans un club de Memphis et Lindley lui recommande plutôt de choisir Ry Cooder comme producteur. S’ensuit un échange prophetic :

— Ry Cooder ? J’aimerais bien, mais nous ne sommes pas ce genre de groupe.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Well, on ne sait pas très bien jouer.

— Qu’est-ce que tu veux dire par ‘pas très bien jouer’ ?

— Well, on sait jouer, mais comme le Velvert Underground ou ce genre de groupe.

— Qui ça ?

— Tu vois bien ? C’est pour ça qu’on veut travailler avec Dickinson.

Dickinson produit The Killer Inside Me en 1987 et c’est le début d’une relation d’amitié entre Dandy Chuck et lui qui va durer jusqu’à la disparition du vieux Dick en 2009. Une partie de l’album est enregistrée à Los Angeles. Dandy Chuck raconte qu’en arrivant à l’aéroport, Dickinson voulut faire un crochet par Alvarado Street, pour acheter de l’herbe, to get things rolling. Dickinson insistera aussi pour faire une session chez Ardent, à Memphis. Au passage, il commencera à inculquer quelques belles notions de base au jeune Dandy Chuck qui nous confie ceci, tendez bien l’oreille : «L’approche de Dickinson consistait à choper ce qu’il y avait entre les beats ou entre les notes. That ramdom element dont les gens veulent se débarrasser. Je crois qu’il voulait capter l’esprit de ce qu’on jouait.» Mais Dandy Chuck sent qu’une tension monte entre Dickinson et Dan Stuart. L’épisode est assez cocasse : «Peut-être éprouvaient-ils le besoin de sortir leurs bites pour se défier, comme on dit à Hollywood.» Stuart disait de Dickinson : «C’est le genre de mec qui quand ça va mal, ramasse le ballon et l’emmène chez lui. Il nous a planté pas mal de sessions en se barrant du studio.» Mais Dickinson finit toujours par revenir, d’ailleurs il glissera ceci dans l’oreille de Dandy Chuck : «Si quelqu’un doit piquer sa petite crise, je préfère être le premier.» Il avait trouvé le moyen de calmer cet imbécile de Stuart. Autre enseignement de base : Dickinson voit les deux Green perdre confiance en studio et pour les requinquer, il leur dit : «Never let anybody make you feel bad about what you’re doing.» Gardez confiance en vous, les gars, ce qui va sacrément toucher Dandy Chuck : «What a gift he gave us.» Il conservera toujours ce respect mêlé d’admiration pour Dickinson.

Green On Red ne sont plus que deux quand ils enregistrent Here Come The Snakes à Memphis avec Dickinson. Ils traînent un peu avec Tav Falco and the Burns guys, just having a good time. Ils passent une journée au Sam Phillips Recording Services (le neuf, celui de Madison Avenue), avec Roland Janes. L’idée de Dickinson est de jammer et d’enregistrer, Dandy Chuck on Tele, Stuart on acoustic, Dickinson on drums, no bass. Dandy Chuck se retrouve tout simplement au paradis : «Roland est le genre de mec qui te donne confiance en toi. Aujourd’hui, c’est difficile de trouver des gens aussi purs. La plupart ne sont là que pour pointer tes fausses notes. Ils n’ont rien compris. D’ailleurs pourquoi comprendraient-ils ? Ils n’ont jamais été faire une balade en Flying Saucer Of Rock And Roll et ils n’iront probablement jamais.» Ils ont ensuite ramené une cassette chez Ardent et ont bossé dessus avec Dickinson - Que penses-tu de ce passage de guitare ? Ça ressemble à quelque chose ? Alors on rajoutait de la batterie ici et une guitare là. Et j’overdubais un solo et Dickinson overdubait une ligne de basse et on a monté les cuts comme ça - Pour les autres sessions, Dickinson gère tout en interne. L’ingé-son adjoint Paul Eberslod joue un peu de batterie et René Coman qui accompagnait Alex Chilton vient jouer un peu de basse. Dickinson joue un peu de piano. D’ailleurs, Alex Chilton fait un saut chez Ardent au moment des sessions et bien sûr Dandy Chuck se pâme d’admiration pour lui. Ils passent aussi pas mal de temps avec Bill Eggleston - Il a mis un certain temps à nous donner l’image. On est allés chez lui plusieurs fois, tôt le matin. Et puis un jour, il l’a sortie d’une boîte : ‘C’est l’image. C’est votre pochette.’ On n’allait pas lui dire le contraire - Pour Simkin, Here Come The Snakes est le grand album de Green On Red, an outstanding collection of songs that captures the essence of the band’s reputation of genius teetering on the edge of substance-fuelled breakdown - Bien vu Simkin. Par contre, l’album suivant, This Time Around enregistré avec Glyn Johns est selon Stuart a disaster. C’est vrai qu’on passe à travers toute l’A et même à travers toute la B. Dommage, car Dandy Chuck fait des merveilles dans son coin, il joue des solos étincelants, mais il est à l’arrière du mix, ce qui constitue une très grave erreur. On note aussi sur cet album la présence de Spooner Oldham. Mais globalement, This Time Around ne vaut pas tripette. Ils enregistrent le suivant qui s’appelle Scapegoats à Nashville avec Al Kooper et pas mal de session-men réputés comme Spooner Oldham et Tony Joe White - We had more fun in Nashville in ten minutes than we did in two weeks in LA with Glyn - Tout l’album baigne dans une ambiance d’Americana exceptionnelle. Dandy Chuck gratte tout en picking des Appalaches et Dan Stuart promène son cul sur les remparts de Varsovie. C’est d’ailleurs à cette occasion qu’ils enregistrent quelques démos avec Dan Penn.

Avec Alejandro Escovedo, c’est une autre paire de manches. En 2007, dans un studio du Kentucky et sous la houlette de Tony Visconti, Dandy Chuck enregistre avec Alejandro l’album Real Animal - Alejandro avec ses pompes à 800 $ et sa connaissance encyclopédique des Stooges réalisait le mariage idéal entre le luxe et la rue. Visconti mit de l’ordre dans le désordre - Alejandro et Dandy Chuck composent les cuts ensemble. Si on a autant de son sur cet album, on le doit de toute évidence à la présence de Dandy Chuck. «Smoke» sonne un comme un hit, avec son côté dylanesque et ses descentes spectaculaires. Le cut se tortille dans des breaks - We’re still going bop bop baby/ All night long - Alejandro Escovedo détient la puissance d’un Soul scorcher. Il rappelle par certains côtés l’early Graham Parker. Encore une vraie dégelée avec «Real As An Animal». Quelle puissance ! Ils filent au vent mauvais, sur un superbe pounding chicano et ça part en solo de non-retour. Avec cet album, ce démon d’Escovedo sort le grand jeu, the heavy American pop-rock chanté aux guts de good rider. Chuck Prophet gratte derrière. On croit rêver tellement c’est bien foutu.

Mais comme le rappelle Dandy Chuck, la santé d’Alejandro bat de l’aile à cette époque, à cause d’une hépatite C et ils décident de composer sur le thème «a life in music through life, death, loss and the promise of Rock and Roll deliverance». Mais hélas Simkin ne rentre pas davantage dans cet épisode capital. Quand Sloan évoque sa rencontre avec Dylan dans un hôtel de Los Angeles, il nous fait entrer avec lui dans la chambre et on assiste à la scène. Là, on assiste à que dalle.

Un jour à Nashville, Dandy Chuck voit arriver un mec en salopette. C’est Dan Penn qui veut absolument composer avec lui - The time I spent with Dan in his basement in his studio were some of the greatest musical moments of my life - Ils composent ensemble «I Gotta Feeling For Ya», qu’allait enregistrer Kelly Willis sur l’album What I Deserve. Ils composent aussi «I Need A Holiday» qu’allait enregistrer Solomon Burke sur l’un de ses derniers albums, l’excellentissime Don’t Give Up On Me paru en 2002 sur Fat Possum. Mais pour le reste, tintin. Rien sur Dan qui soit d’ordre humain, alors que ce sont précisément ces rencontres qui font la sel de la terre.

Côté influences, Dandy Chuck avoue quelques trucs ici et là, mais avec parcimonie : le Desire et les Basement Tapes de Bob Dylan, I Want To See The Bright Light Tonight de Richard & Linda Thompson, Sister Lovers de Big Star ou encore l’Oar de Skip Spence. Il n’écoute pas Nirvana ni Pearl Jam. Il préfère Fairport Convention, Neil Young, Gram Parsons & Emmylou Harris. Il dit aussi que Joe Ely est l’un de ses all-times heroes. Il déterre aussi le Vintage Violence de John Cale de ses souvenirs de jeunesse. Et les Stones, bien sûr, en particulier Beggars Banquet - It’s pretty acoustic but it rocks - Dans l’interview (mais pas dans le book), il salue la mémoire de Johnny Thunders - He’s one of our greatest lost heroes of self-destruction. But you know, he’s really my idea of the singer-songwriter. Like Chuck Berry or Jimmy Rogers. He was the whole package (Il est l’un de nos grands apôtres de l’auto-destruction. Pour moi, il est le singer-songwriter par excellence, comme Chuck Berry ou Jimmy Rogers. Il était vraiment complet) - Bel hommage, non ? - I love his guitar playing. His songs. He was a stylist. Totally fearless. Always mischievous. Instantly recognizable (J’aime la façon dont il gratte sa gratte, ses chansons, c’est un styliste, il n’a peur de rien, toujours malicieux, immédiatement reconnaissable) - Et là, il tape en plein dans le mille - He was a dandy and he had the sartorial instinct of a jungle cat. A very inventive guy (C’était un dandy, un mec de la rue tiré à 4 épingles, un mec très inventif) - Dandy Chuck dit aussi pour rigoler qu’il attend un coup de fil de Dylan. Et quand Whyte lui demande qui sont ses musiciens préférés, Dandy Chuck lui répond : «Are you kiding ?». C’est une plaisanterie ? En réalité, il a peur d’en oublier. Il commence par les Rubinoos qu’il voyait sur scène quand il était encore au collège à San Francisco. Et avec lesquels il va enregistrer 40 ans plus tard quelques cuts sur l’album From Home. Il admire aussi Jonathan Richman qui était sur Beserkley Records, comme les Rubinoos - Everything cool really. Je pense qu’on peut appeler ça du pub rock. Je ne savais ce que c’était, en réalité, mais j’aimais ce son qui avait le charme de l’imprévisible - Et il conclut le chapter Beserkley en déclarant : «That was massive stuff for me.» Il revient ensuite sur ses collaborations avec Alejandro Escovedo, Kelly Willis, Kim Richey et évoque quelques souvenirs de Warren Zevon et de Kelley Stoltz.

Il adore aussi les Groovies auxquels il rend hommage sur le morceau-titre de l’album Temple Beautiful. Cet endroit que les punks ont fini par appeler Temple Beautiful était une ancienne synagogue qui se trouvait sur Geary Boulevard et qui fut un haut lieu de la scène de San Francisco. Le Grateful Dead y répétait, Hot Tuna y jouait, puis les Clash lors de leur deuxième tournée américaine, et tous ces groupes des années 80, Wall of Voodoo, les Go-Go’s et les Mentors. Dandy Chuck indique que Temple Beautiful est un album hommage à San Francisco : «It can suck you under. That first hit. It really does a whammy on you. And if you’re like me, you can find yourself chasing the San Francisco dragon for the rest of your life. That’s what this record is about.» Et il ajoute que les groupes qu’il a vus au Temple Beautiful ont changé le cours de sa vie. «Tout le monde a joué là.» Même les Groovies. D’ailleurs Dandy Chuck parvient à localiser Roy Loney : il bosse chez Jack Records Cellar, un disquaire installé dans le voisinage. Dandy Chuck lui envoie «une note» lui demandant s’il accepterait de venir chanter sur un cut et Roy répond qu’il sera là dans 20 minutes. C’est donc lui qu’on entend sur le morceau titre de Temple Beautiful.

Simkin rappelle dans son introduction que Dandy Chuck n’est pas a rock superstar, mais plutôt un artiste culte suivi par une petite fan base très dévouée. La première règle du dandysme est le désintéressement, comme le dit si bien Barbey à propos de Brummell - Ses triomphes eurent l’insolence du désintéressement. Il n’avait jamais le vertige des têtes qu’il tournait - Dandy Chuck s’applique à lui-même cette règle fondamentale : «Une fois Bob Neuwirth m’a dit : ‘faisons les choses pour de l’argent.’ Mais si tu ne fais pas les choses en accord avec ta conscience, ça ne marche pas. Les gens cherchent toujours à brûler les étapes pour avoir du succès. En ce qui me concerne, ça produit l’effet inverse, comme la kryptonite : ça m’abat et ça m’affaiblit. Alors j’évite ça. Expliquer pourquoi je fais ci ou ça, pourquoi ça me fait vibrer ? Laisse tomber, c’est comme de vouloir expliquer le sexe à quelqu’un. Même pas la peine d’essayer. Il faut que ça groove, le groupe, les chansons, même un seul couplet. Si ça groove, c’est bon. C’est tout ce qui compte. Fais-le une seule fois et tu passeras tout le restant de ta vie à ça, à chevaucher le dragon.»

Ce qui caractérise peut-être le mieux Dandy Chuck, c’est sa passion des tournées. Et il répète à longueur de temps que la vie en tournée quand on n’a pas de moyens n’est pas de tout repos : «Je ne pourrais pas dire que la vie en tournée, c’est une partie de plaisir. Après avoir respiré le même air dans un van et y avoir vécu comme dans un sous-marin, les relations peuvent se détériorer.» Dans son cas, on peut même parler de ténacité. «Partir en tournée, rentrer fauché, secouer la poussière du voyage, trouver un moyen de payer le loyer. Il n’y avait pas de plan. Puis trouver un moyen de faire un nouvel album. Composer quelques chansons, se retrouver en studio, puis repartir en tournée. Chaque fois, on repart de rien.» Il évoque brièvement l’aspect financier des tournées : «C’est très compliqué de tourner aux États-Unis en partant de San Francisco. Tu as 15 heures de route pour aller à Portland, où est prévu ton premier concert. Et quand on retourne jouer en Angleterre, on y va pour presque rien. On a commencé à perdre de l’argent. Quand Lembo nous manageait, ça a créé une dette que j’ai dû rembourser après. J’essayais juste de maintenir le groupe en vie. Au plan financier, ça n’avait plus aucun sens.» À tel point qu’il finit par devoir prendre un job dans un parking. «Ça a duré deux mois, mec, le job le plus débile qui soit. Assis dans une cabine 8 heures pas jour. Mais ça me permettait de réfléchir. Un vrai luxe. J’avais un ordi portable et j’ai écrit pas mal de chansons. J’aimais bien être isolé.»

Quand en 2004, il est viré par East West Records après la parution d’Age Of Miracles, Dandy Chuck craque un peu : «J’étais dans la cuisine quand il m’a appelé. J’ai chialé. C’était la fin du groupe (the end of the road). On avait fait un bon bout de chemin, quelques album, yeah for sure. Alors je suis sorti et j’ai marché jusqu’à North Beach et à un moment je me suis demandé quelle heure il pouvait être et où j’étais. Just uttlerly lost.» Ce n’était pas la première fois que ça clashait avec un label. Après Brother Aldo, son premier album solo, Dandy Chuck flashe sur un album de Zachary Richard, Women In The Room et plus précisément sur Jim Scott, un producteur qui par la suite va travailler avec Lucinda Williams. Dandy Chuck aime bien le son - Just guitar, bass, drum, a lot of accordion. Sonically just a little bright. Hole in the middle, fat on the bottom. Kind of a roomy sound and clean guitar - Donc il enregistre des trucs avec Jim Scott. Mais les enregistrements ne plaisent pas au label China qui veut un album de rock. Fin de l’épisode. On retrouve néanmoins quelques cuts produit par Jim Scott sur Balinese Dancer.

Dandy Chuck revient aussi longuement sur Homemade Blood, enregistré entièrement live - I like the sound of all the music getting squished together so it’s ready to explode. Like Howlin’ Wolf records. Some Girls des Rolling Stones a un gros son but it doesn’t sound open - Donc pas d’overdubs là-dessus. Max Butler indique qu’ils écoutaient lui et Dandy Chuck pas mal les Stones à cette époque et qu’ils s’intéressaient au push-pull des guitares de Keef & Woody.

Dandy Chuck finit par comprendre qu’il en a marre de dépendre des autres. Alors il crée son label, Belle Sound - We fund our own records and license them to other labels, and so we still consider them to be a Belle Sound copyright. Somewhere down the road the copyrights will revert to us - Et le premier album à paraître sur Belle Sound sera Soap And Water.

Dandy Chuck ne s’étend pas trop sur ses années de braise - Shooting cocaine made me feel like I was thirty thousand feet above Fullerton - et dans la foulée il avoue avoir adoré conduire bourré - Driving dunk. I was abusive. I was contentious. I was a brat - L’histoire de Green On Red reste associée à la dope. Dandy Chuck n’y allait pas de main morte : «L’abus d’alcool et de dope étaient simplement dus à l’ennui.» Et il ajoute : «It was later that Danny and I sort of bonded on the fact that we started to really get into black tar heroin. That was a little bit later, a couple of years later at least.»

Au hasard des pages, quelques personnes saluent le style de Dandy Chuck, comme par exemple Roly Sally : «Chuck has a fat touch on his Telecaster. La première fois que je l’ai entendu jouer, il me rappelait Ike Turner. Ses compos sont fraîches, profondes, drôles, musicales et solides. C’est le seul mec avec qui j’ai eu plaisir à composer.» Simkin salue lui aussi le style de Dandy Chuck - bluesy, folky, funky, a little bit country in all the right ways and places - Dandy Chuck avouait aussi dans un interview qu’il ne vivait que pour le process : «Bosser avec des amis chez eux, enregistrer, voilà pourquoi je vis. Ce n’est pas le produit fini qui m’intéresse, c’est le process.» Et comme tous les gens qu’il admire, Dandy Chuck cherche son Graal : «Mon but a toujours été de faire un grand album. Ça me suffirait. Ça donnerait enfin un sens à mes tares, mes erreurs et les mauvais choix que j’ai pu faire. Je ne cherche pas à écrire le grand roman américain, je ne parle pas d’argent, c’est plutôt la façon dont on peut définir le succès qui m’intéresse. Si tu laisses quelqu’un d’autre définir le succès pour toi, tu es un sucker. Je ne suis pas un sucker.» Merveilleux esprit.

Signé : Cazengler, Chuck Profiterole

Chuck Prophet. The Land That Time Forgot. Yep Roc 2020

Steve Simkin. What Makes The Monkey Dance - The Life & Music Of Chuck Prophet & Green On Red. Jawbone Books 2020

Joe Whyte : The Hurting Business. Vive Le Rock # 76 - 2020

KR'TNT ! 360 du O8 / 02 / 2018 : Chuck Prophet en son pays ( Part I )

KR'TNT ! 363 du O1 / 03 / 2018 : Chuck Prophet en son pays ( Part II )

 

PLANETE-METAL

Qui refuserait un CD d'AC / DC pour moins de trois euros ! Pas moi, avec en plus un livret explicatif ! Je me méfie des explications, mais je reconnais que l'opuscule est relativement épais et comporte un dos carré. Pas le truc rafistolé avec deux agrafes baladeuses. Faudrait tout de même savoir quel album du groupe ils ont choisi, ce n'est pas indiqué sur la couve, je ne cherche pas sur le moment à approfondir le problème, d'abord parce que j'ai beau fouiller dans mes poches je n'ai pas un flèche sur moi. Ni une flèche que j'enfoncerais avec une délectation cruelle dans le cou du buraliste, le sang qui éclabousserait le comptoir affolerait la clientèle, je profiterais de l'affolement général pour sortir tranquillement ma prise de guerre sous le bras. Hélas, les guerres indiennes sont terminées depuis longtemps, je suis revenu le lendemain et ai fièrement aligné mes trois euros sous les yeux subjugués de la jeune vendeuse, non je ne mythifie pas, la preuve elle m'a rendu un centime, sans doute considérait-elle cela comme un échange symbolique de sang qui devait sceller notre indéfectible alliance jusqu'au jour de notre mort. Les filles ont toujours des idées bizarres, comment s'intéresser à l'une d'elles alors que l'on a un CD d'AC / DC ( un AC / CD ) à écouter !

Bref j'arrive chez moi et fébrilement je déchiquette l'emballage pour extraire de la couve du livre, le fameux CD ! C'est-là que je me rends compte de mon erreur, ce n'est qu'un livre, je vérifie, pas une seule fois il n'est question d'un CD d'accompagnement. Je ne pleure pas parce qu'avec les larmes plein les yeux je ne pourrais pas lire. Soixante quatre pages, papier glacé – attention s'il vous plaît, recyclable – photos couleurs, d'autres en noir et blanc, une maquette aérée, avec des encadrés, deux encres la noire et la rouge, fonds blancs, noirs, gris... texte honnête, les débuts du groupe sont mieux décrits que la suite de l'aventure, discographie attendue, plus quelques pages sur les groupes de hard-rock australiens. Les rockers patentés n'apprennent pas grand-chose, mais l'ensemble est honnête. Parmi les contributeurs l'on retrouve Philippe Margotin ( marrant, je feuilletais ce matin son opus sur les Who ), Géant Vert ( désopilant, j'en ai mangé à midi ), Christian Eudeline ( hilarant, j'aurais pu en lire plus de deux lignes en soirée, mais je n'y ai pas pensé ).

C'est une collection, à trois euros le numéro vous me direz que ça vaut le coup, mais je me méfie, je suis sûr que ça va augmenter, pas tant que cela, pour 9, 99 E vous emportez les numéros 2 ( Metallica ) et 3 ( Iron Maiden ) + deux mugs thermo-réactifs ( ne confondez pas avec thermo-nucléaires ) + une bande dessinée ( pas géniale, je la connais ) intitulée le Heavy Metal. Zoui, ça se discute, c'est après que les ennuis commencent, ensuite c'est 3 numéros que vous recevez par la poste : 9, 99 multiplié par 3 = 29, 97 euros.

Vous êtes en possession des six premiers numéros pour 2, 99 + 9, 99 + 29, 97 = 42, 05 E.

Normalement la collection comporte 60 numéros pour acquérir les 54 qui vous manquent il vous reste à vous acquitter de : 54 fois 9, 99 = 539, 46 euros soit en tout la modeste somme de : 539, 46 + 42, 05 : 581, 51 euros.

Bye-bye vos économies ! Ne sont pas fous chez Achète pardon chez Hachette, z'ont un peu peur que le client rocker, hard rocker ou métalleux ne morde pas à l'hameçon, aussi précisent-ils que faute de succès, ils se réservent le droit d'arrêter à leur guise la collection ! Ne vous filent d'ailleurs que les titres des 19 premiers numéros... Et si des milliers de gogos se ruent sur cette offre mirobolante, ils rajouteront quelques fascicules... C'est la loi du commerce me direz-vous, vieille comme le monde, Hermès le dieu des marchands n'était-il pas aussi le dieu des voleurs...

Le rock'n'roll pour les grands groupes capitalistiques c'est comme les chiens, un public de niche, alors mes braves toutous faites attention à ces puces qui viennent sucer votre sang, n'en soyez pas victimes, évitez de céder au fétichisme faisandé de la marchandise mise sur le marché à moindre risque, nombreux sont les charognards qui se nourrissent sur les dépouilles des anciens exploits de la bête, ne confondons pas célébration avec consommation... Privilégions le DYE, l'échange, le don, le potlatch des tribus de l'Ouest. Rien n'empêche à chacun des individus que nous sommes de mener sa propre guerre indienne.

Damie Chad.

AT YOUR BIRTHDAY PARTY

STEPPENWOOLF

( Octobre 1969 )

 

Gary Burden a fourni un bel effort pour la pochette. Si vous n'avez pas eu sous les yeux la première pochette de l'édition du premier pressage américain la phrase précédente ne remportera pas l'unanimité. Si la photo centrale des éditions suivantes ne pose pas de problème particulier – le groupe debout et assis autour d'une table, Gabriel Mekler remplaçant Michael Monarch – le reste, notamment toute la partie basse de l'artwork exige quelque attention, point de couleur, du blanc du noir qui étrangement donnent surtout une sensation de gris, est-ce un dessin ou une photographie, un montage des deux, regardez avec attention, vous discernerez un mélange, des souris et des hommes pour parler comme Steinbeck. Des soldats, une photographie issue de la Guerre de Sécession quoique la vue ressemble à une représentation des tranchées de 14-18, quelques uns affublés de têtes de Mickey. Comment l'interpréter : une condamnation de la guerre, dans laquelle les soldats menés à l'abattoir tels des rats pris dans une ratière jouent des rôles de héros de carton-pâte, une protestation contre l'envoi des GI's au Vietnam ? Toutes les rééditions de ce disque reprennent les mêmes motifs. L'on sait que la photo a été prise dans une maison où logea Canned Heat et qui avait été visitée par un incendie. Sur certaines photographies on mesure l'ampleur des dégâts sur le matos du groupe de Bob Hite et Alan Wilson. De quelle party d'anniversaire s'agit-il au juste, l'innocence du titre ne cache-t-elle pas des sentiments désespérés beaucoup plus ambigus.

John Kay ; lead vocal, rhythm guitar, harmonica / Mickael Monarch : lead guitar / Goldy McJohn : organ, piano / Nick St Nicholas : bass / Jerry Edmonton : drums.

Don't cry : ne pleurez pas, sur ce titre le Loup vous ménage bien des surprises, le train est lancé et vous pensez que rien ne l'arrêtera que vous êtes parti pour un agréable morceau bien rythmé, en plus vous avez la mélodie qui marche avec, les pattes rythmiques qui courent et Kay qui mélopèse à souhait comme s'il prenait plaisir à hululer tout doux entre les dents, assez fort pour que tout le monde l'entende mais pas trop pour que l'on ne lui reproche pas de faire trop de bruit, les autres le soutiennent en sourdine surtout sur les refrains et tout le monde est content, insensiblement tout se gâte, du rififi dans la meute et tout le monde se tait tandis que la machine se précipite, s'éloigne, et disparaît dans un lointain cliquetis, vous aimeriez que l'on vous explique, mais non le loup vous est passé entre les jambes alors que ça faisait deux heures que vous le teniez dans la mire de votre fusil, vous vouliez l'avoir entre les deux yeux, c'est lui qui vous en a mis plein la vue. Sont bizarres chez Steppenwolf, font du hard sans riff, autant dire une omelette sans casser les œufs. Et pourtant ça bave sur votre pantalon. Chicken wolf : l'homme est-il un loup pour l'homme ou simplement un poulet. A vous de choisir votre totem. En tout cas ça pépie un max dans la basse-cour, Kay vous envoie vos quatre vérités à la figure sans prendre de gants, vous déchire un peu de ses ironiques canines, Monarch est à ses côté, vous refait le coup du lait sans crème mais qui vous émulse sans rémission un flacon de flan au cyanure, le monarque guitariste il a une manière inégalée de pousser ses notes juste sous les touches du clavier de Goldy McJohn, et au cas où l'une d'entre elles la ramènerait un peu trop, Edmonton vous les aplatit de ses baguettes, dans la musique du Loup rien ne se remarque, Nick Saint Nicholas vous noircit le tableau ( celui de la pochette aussi ) de sa basse, le hard du Loup est assez sombre et rapide, il ne montre rien, il dévoile tout. Cuisson à l'étouffée, le Loup ne frappe jamais de front, s'insinue en vous, disloque votre cerveau. Vous n'êtes ainsi plus en mesure de vous nuire à vous-même. Pernicieux. Lovely meter : en deux morceaux le Loup vous a sapé le moral, c'est une bête gentille, une petite chansonnette d'amour pour vous remettre d'aplomb, un orgue tout doux qui vous caresse dans le sens des poils du pubis, guitare acoustique et Jerry qui vous susurre une gentille ballade pour endormir le bébé que vous êtes en train de faire, quelle prévenance, instant de recueillement, c'est si beau que l'on en pleurerait. C'est si bon qu'ils en ont un fait un clip, vous les voyez tout doux frôler les instruments, mais quels sont ces bruits étranges, serait-ce un cacatoès qui cacophonise, point du tout, c'est une attaque du train, et le Loup aux fenêtres du wagon en train de tirer sur les poursuivants, images de western... Round and down : tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, une facétie country and western de Monarch, y'a de la joie tout le monde s'aime et danse en rond, les images de Cimino me montent à la tête, la fabuleuse scène sur patins à roulettes, don de prescience parce que le vocal se tait et commence une longue séquence musicale dramatique où tout se précipite. En déduirons-nous que le calme n'existe que pour laisser aux tempêtes le temps de se former. It's never too late : que ne disions-nous, le titre et les refrains sont pleins d'espoir, il vaudrait mieux ne pas écouter les paroles, le rideau du blues tombe sur vous et vos vies ratées, le Loup a repris ses grandes traversées lunaires, Jerry précipite sa batterie comme Dieu verse le malheur sur les pauvres gens, pas de pitié chacun est responsable de ses errements, de ses erreurs, le Loup offre une sucette de consolation empoisonnée aux grands enfants que sont les adultes. Compact et implacable. Ce qui est terrible avec Steppenwolf, c'est qu'ils n'en font jamais trop, pourraient se déchaîner, sortir les orgues de Staline et les batteries de canons, non préfèrent juste vous enlever vos illusions sans forcer sur la musique. Sleeping dreaming : Nick a pris le vocal, c'est pour mieux vous niquer, inutile de vous précipiter sur votre éléctrophone, l'est à fond, mais ça commence tout bas, un chœur de boyscouts joyeusement bourrés, ne le dites pas à leurs parents, profèrent des mensonges, rêvent qu'ils aiment, mais non, c'est une satanée plaisanterie, si vous commencez à croire tout ce que l'on vous dit, d'ailleurs ils n'exagèrent pas, une minute, les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures. Jupiter child : dernier morceau de la face A, Le loup laisse éclater sa force, Beau travail de batterie de Jerry, l'on dirait qu'il sert une mitrailleuse dans un film de guerre, et les autres n'y vont pas de main morte, lorsque le Kay a fini de crier sa hargne ils continuent comme de rien n'était. Un morceau qui a su parler à la jeunesse américaine, s'adresse aux enfants de Jupiter, à tous ceux qui se sentent différents, étrangers à notre monde, le Loup n'est pas optimiste, pas d'issue pour eux, la saleté de la commune humanité les rongera telle une lèpre. Pas d'échappatoire possible, ni dans l'avenir, ni dans le passé. Si vous venez d'une étoile lointaine, sachez que vous ne retrouverez jamais le chemin du retour. Vous êtes perdu à jamais. She'll be better : Jerry a dû avoir des remords d'être si persuasivement pessimiste en fin de face B, du coup il prend le vocal pour vous rabibocher avec la vie. Une belle chanson d'amour. Ce disque de Steppenwolf ressemble au roman Le maître de Casterbridge de Thomas Hardy, dans lequel les chapitres où tout est pour le pire dans le pire des mondes alternent avec chapitres où tout tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, douches froides, douches chaudes successives, et quand le livre se finit bien vous pensez que ça ne pourrait pas ne pas être pire... quelle belle chanson, la plus longue de l'album, un piano prophétique à la Imagine de Lennon, mais beaucoup plus expressif, après les horreurs du titre précédents, orchestration grand style et trémolos vocaux à gogo, comme c'est long profitez-en pour aller faire pipi, comme durant les pubs de la télé qui vous racontent des menteries. Cat killer : le titre suffit pour vous rappeler la cruauté du monde, le morceau de Goldy ne dure qu'une minute-trente, prend son pied notre pianiste, après le country dégénérant de tout à l'heure, c'est le temps du ragtime, une musique d'accompagnement de dessin animé pour vous arracher de votre rêve d'amour précédent. Ragetime ? Rock me : bye-bye l'amour éthéré, revenons à des préoccupations intimes mais un peu plus ancrées dans la réalité des vies désabusées, le Loup a repris la tête de la horde, vous admirerez surtout la longue séquence instrumentale centrale, encadrée par les deux récitatifs enjoués de Kay, certes les premières secondes ça cliquette comme les claquettes de Fred Astaire mais cela dégénère, vous voici transposé en un camp indien, vous entendez sourdre les saccades de leurs chants et de leur tambours sourds, et vous ne pouvez vous empêcher de penser qu'il s'agit d'un peuple de vaincus et que vous aussi vous avez été défait dans les combats de l'existence, alors vous rapprochez votre sexe du sexe de quelqu'une qui a connu les mêmes défaites que vous. Chanson enjouée pour maquiller des vies tristes et ratées. Le Loup n'est pas tendre avec la rugosité du monde. Good fearing man : une intro presque pompeuse, la voix de Kay patine dessus tel un serpent qui glisse vers vous pour vous mordre, tempo simili bluezy, le Loup s'approche et quand il referme ses mâchoires il ne les rouvre pas, un hymne carrément anarchiste, qui ne nomme personne – on n'est jamais trop prudent – mais qui désigne clairement la bonne conscience des dirigeants. Par exemple ceux qui envoient leurs semblables à la guerre. Mango juice : instrumental, parfois il vaut mieux ne rien dire qu'en dire trop. L'occasion pour Nick Saint John de faire vibrer sa basse, un cadeau d'adieu pour Monarch qui quitte le groupe, peut-être, mais on ne l'entend guère et le morceau semble des plus inaboutis, une expérience qui a tourné court, ou une volonté de remplissage. Ou alors un signe prononcé de fatigue de la part d'un groupe qui tourne sans arrêt et soumis à produire deux albums par an... Happy birthday : Mekler a composé le premier morceau du 33 tours, et voici qu'il signe le dernier. Pas très joyeux, carrément lugubre avec cette basse funèbre, ce clavier qui imite des pales d'hélicoptère, et ces chœurs féminins nous feraient croire que nous sommes à l'église pour un enterrement. Le retour d'un soldat mort, en filigrane sous des lyrics faussement innocents, et quel regard porté sur le naufrage de la vie...

Un disque assez noir. Qui joue un peu. Qui fait trois pas en avant, et un autre en arrière. Le Loup cherche-t-il à ménager l'auditeur. A retenir son attention. A le faire réfléchir. Ou avance-t-il masqué. Nous le saurons bientôt. La suite au prochain épisode.

Damie Chad.

 

UNE HISTOIRE DU ROCK

EN 202 VINYLES CULTES

PHILIPPE MANOEUVRE

( Hugo - Desinge / Septembre 2020 )

 

Cadeau inattendu sous le sapin. Un book. Le Père Noël serait-il un rocker ? Une formule qui marche. Déjà en Octobre 2011 Manœuvre nous avait donné La discothèque rock idéale, 101 disques à écouter avant la fin du monde était-il précisé sur la couverture. La fin du monde n'étant pas survenue, le voici qu'il double la mise. Ce qui nous laisse envisager vingt ans de survie programmée. Page de gauche, la pochette de l'album choisi, page de droite la chronique idoine, dans la marge un petit topo - attrape nigaud - pour nous apprendre en quoi l'album choisi est culte.

Dans sa préface Manœuvre raconte les péripéties confinatoires de l'écriture de son bouquin. Qui prêtent à sourire. Toutefois nous en retiendrons surtout, sinon l'amer, du moins l'impuissant constat de la fin d'un cycle historial, celui de la musique rock. Nous y reviendrons. Le principe d'un choix quelconque est sujet à caution. Tellement de paramètres à mettre en jeu ! 202 c'est beaucoup et c'est peu, surtout si l'on pense à la sélection des 666 disques que propose ce mois-ci le Hors-Série N° 39 de Rock & Folk... Il vous manquera toujours le chef-d'œuvre essentiel et indépassable de cet art suprême qu'est le rock'n'roll que vous êtes le seul à avoir remarqué, en prime vous vous sentirez personnellement insulté par la présence de sillons honnis... Pour cette chronique nous nous contenterons de commenter les premières pages.

La première pierre qui doit soutenir l'édifice n'est pas facile à définir, dans le H. S. 39, ils ont visé l'indétrônable, l'incontournable, l'inattaquable Rock with Bill Haley and The Comets, Manoeuvre descend de deux crans au-dessous, le rock provient tout droit du blues et du country, donc ce sera en 1 : Robert Johnson, choix historialement judicieux qui exclut toutes les autres préséances possibles ( et impossibles ), en 2 : voici Luke the drifter d'Hank Williams, un disque un peu à part dans la production du country-man archétypal mais terriblement dans l'esprit américain, le pécheur qui se repent, entre deux chansons Luke vous exhorte à ne pas emprunter le sentier du mal, un véritable prêche, un sermon carabiné à la born again– entre parenthèses quand on voit comment la rencontre avec le Devil a été bénéfique pour Robert Johnson nous n' écouterons pas ses conseils - de toutes les manières Dieu himself qui devait s'ennuyer à écouter les cantiques à l'eau de rose des chœurs paradisiaques a envoyé fissa ses anges de la mort, avant que le temps réglementaire imparti à ces deux ancêtres du rock ne se soit régulièrement écoulé afin de les avoir près de lui au plus vite. Preuve qu'il a bon goût.

Bon, Philippou on passe au rock'n'roll, surprise, après le blues et le country, voici celui que l'on n'attendait pas. Dans Bye-bye, bye Baby, bye bye de Guy Pellaert et Nick Cohn il n'avait pas été oublié, mais il arrivait en dernier, juste à temps pour rappeler aux petits jeunes que la Voice les enterrerait tous. Ben là, même s'il est sur le podium en N° 3, Frank Sinatra ne rigole pas, le rital sardonique au sourire carnassier vous a une gueule d'enterrement pré-suicidaire, il pleure, et pas comme un crocodile, tout un album, In the Wee Small Hours, tout cela parce que Ava Gardner l'a laissé tomber, telle une vulgaire chaussette, un gros chagrin, suis allé entendre la fontaine amère couler sur You Tube, terrible, il en chante presque mal el povrecito, que voulez-vous le malheur des uns fait rire les autres.

Ouf : l'on est sauvé, voici Elvis, rien à dire quand les rockers ont le cœur brisé c'est revigorant. Ne pleurnichent pas comme des femmelettes, cassent la baraque quand ils n'ont pas la baraka avec les demoiselles. A part que chez RCA personne n'a pensé à glisser Heartbreak Hotel sur l'album ! Une regrettable erreur. Nous sommes d'accord. L'on saute au plafond en tournant la page, Johnny Burnette and the rock'n'roll Trio, l'album de rock parfait si l'on en croit les dithyrambes de Manœuvre, le crédite de tout, n'évoque même pas l'interrogation fatale qui de Grady Martin ou de Paul Burlison joue de la guitare sur tel ou tel morceau... Quand on aime on ne mégote pas.

Nous sommes heureux, nous abordons le rivage des pionniers du rock, rien de mal ne saurait survenir. Ben si, il ne faut jurer de rien, un gars sympathique, que l'on aime bien Robert Mitchum, on doit se tromper de film, en plus une peau de banane trop mûre, un truc typico mes cocos, Calypso is like so... par acquis de conscience je suis allé écouter, pas vraiment mauvais, un peu cowboy aux envergures, le Mitchum s'en tire en professionnel, sympathique mais il manque un peu de sauvagerie rock'n'roll. Manœuvre fait tout ce qu'il peut pour se faire remarquer.

Se rattrape sur les trois suivants, Gene Vincent, Little Richard, Bo Diddley – ce vieux ( pas très ) Bo que l'on a l'habitude de passer sous silence – vous savez aux States dans les années cinquante les nègres qui n'en faisaient qu'à leur tête... - alors qu'il est une pierre angulaire du rock'n'roll, un paquet de fraises saignantes aux asticots de macchabées à lui tout seul, survient At Home with Screamin Jay Hawkins, là vraiment on est gâtés, pourris, surtout que deux pages suivantes encore un génie que l'on relègue dans les troisièmes zones des demi-soldes, Bobby ( Blue ) Bland, Two steps from the blues, l'on s'émerveille comme Alice en son pays miraculeux, attention à la face sombre et invisible de la lune, pas de Chuck Berry, pas de Buddy Holly, pas d'Eddie Cochran, Philippe Manœuvre mérite trois fois la mort, même si plus loin il nous entraîne au Star Club de Hambourg avec Jerry Lou, et surprise voici celui que l'on n'attendait pas, le fabuleux Vince ! de Vince Taylor. Because my Taylor is rich.

C'est que l'auteur éparpille ses papilles gustatives en papillon qui ne sait plus sur quelle fleur se poser. Pas tout à fait de sa faute. Tout le monde ne pourra pas monter in the blue bus, et puis l'histoire du rock'n'roll n'est guère rectiligne, elle ne se débite pas en tranches égales et millésimées de saucisson, quand les époques sont riches, ça part de tous les côtés, de 1956 à 1966 la musique s'avère sinuosidale, face sombre James Brown à l'Apollo Theater, face claire The Trashmen et leur Surfin Bird, on aurait attendu Dik Dale, mais autant rappeler la carrière de ceux qui n'ont surfé sur la vague montante de la gloire qu'une saison, ainsi si vous avez les Kinks, les Beatles, les Rolling Stones – pour ces deux derniers pas les titres des albums qui affleurent en premier dans les sables de votre mémoire - vous vous passerez des Animals ( crime impardonnable ! ) et des Yardbirds ( manquement irréparable ). Entre nous soit dit les Anglais sont sous-représentés dans le volume, à part les Pretty Things qui sont sauvés in-extremis... L'on commence à entrevoir la stratégie de Philippe Manœuvre, ne cherche pas à racoler ou satisfaire les fans, ménage les surprises, entre tous ces disques vous avez droit au Love Suprême de John Coltrane – Sainte Madone, c'est du jazz - et encore plus inattendu le Call me de William Burroughs, sans oublier pour autant le rock du garage, le Black Monk Time des Monks et Explosives des Sonics, pousse même le culot jusqu'à présenter ce précurseur des hippies que fut Eden Ahbez avec son Eden's Island paru en 1960...

Je m'arrêterai à l'année 1966, avec la grosse surprise nationale, encore mieux que Vince Taylor qui question nationalités est multi-cartes, an de grâce vocale 1965, un petit gars bien de chez nous, Ronnie Bird, carrière brisée par un stupide accident de camionnette non assurée, quant à dire que Le Pivert était son meilleur titre, voici le genre de contre-vérité à laquelle je ne souscrirai pas... pourtant qu'est-ce que nous l'avons aimé Ronnie qui était le chouchou du Président Rosco sur RTL, et sur France Inter le matin avant de partir au collège l'électrique Fais Attention '' demain tu te maries, yeah-yeah'' cela vous boustait le moral pour toute la journée, mais mince, stoppons les conduites criminelles, Noël Deschamps qui n'était déjà pas présent dans le volume Philippe Manoeuvre présente ( le ) Rock Français... est encore absent.

Ce n'est pas mal écrit. Manœuvre profite de ses choix pour présenter le contenu du disque mais l'en profite aussi pour dresser l'air d'un pédagogue averti le panorama de l'histoire du rock'n'roll, les néophytes combleront les vides sidéraux de leurs connaissances, et les autres qui connaissent tout par cœur, feront comme les petits enfants qui chaque soir exigent la même histoire, celle du grand méchant loup Rock'n'roll qui finit toujours par grignoter leur âme de petit chaperon rouge qui ne rêve que d'être livrée à toutes les dépravations que leur fera subir la grosse bête vicieuse.

Damie Chad.

 

XV

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

69

Molossa et Molossito roupillaient sur la banquette arrière, nous roulions sereinement à une modeste vitesse de croisière de 160 km / H sur la bande d'arrêt d'urgence de l'autoroute en direction de Paris, le chef craqua une allumette pour allumer un Coronado, derrière les chiens dressèrent l'oreille, l'heure du grand conseil était venue, une question me brûlait les lèvres :

    • N'avez-vous pas remarqué Chef que chaque fois que nous sommes sur la piste de l'homme à deux mains, nous faisons chou blanc, rappelons-nous la pâtisserie, la maison bizarre et nos déboires tout récents en Normandie ?

    • Agent Chad votre constatation relève d'une analyse primaire, vous êtes comme le taureau qui voit le chiffon rouge et en oublie le torero meurtrier qui se cache derrière. Je dirais plutôt que chaque fois que nous suivons l'homme à deux mains, les Réplicants nous attendent. Je vous laisse réfléchir. Laissez-moi fermer les yeux pour goûter la saveur de ce Coronado. Ah, faites attention, si dans deux ou trois kilomètres, deux ravissantes jeunes personnes faisaient du stop sur cette bande d'arrêt d'urgence, appliquez la consigne N° 6.

Le Chef avait raison trois minutes ne se sont pas écoulées que deux silhouettes de jeunes femmes pulpeuses me font des signes affriolants. J'applique sans faillir la consigne N° 6 : lorsque la survie du rock'n'roll est en jeu, l'on n'hésite pas occire les 3 / 4 de l'humanité si nécessaire. La panhard pistache fonce droit sur les deux donzelles, son aile gauche et le capot ressemblent désormais à une boule de glace à la fraise. Le Chef ouvre les yeux :

    • Excellent agent Chad, j'aperçois des morceaux de viande hachée sur la chaussée, ne reste plus qu'à attendre la preuve de mon raisonnement !

    • Elle arrive Chef, au loin une voiture fonce à toute allure, ils roulent au moins à 200 à l'heure, mais avec leur gyrophare bleu qui clignote on ne peut pas ne pas les voir !

Une voiture de police sirène hurlante se range à notre hauteur, quatre types à lunettes noires scrutent notre habitacle, apparemment ils sont satisfaits, car l'un d'eux fait un signe, et le véhicule nous distance et continue son chemin, sans plus nous prêter d'attention !

    • Miraculeux Chef ! Nous avons enfin une piste, il existe un lien entre les Réplicants et la police !

    • Agent Chad, disons-le avec les mots idoines : l'Elysée a passé une alliance avec les Réplicants, pourquoi, comment, nous l'ignorons, mais nous n'allons pas tarder à le savoir !

70

Nous avons regagné le service sans encombre. Le Chef est assis à son bureau, il fume son Coronado, je sens que je l'énerve à me tortiller sur ma chaise. Moi-même je suis surpris, d'habitude lorsque je rajoute un chapitre à mon livre Mémoires d'un GSH ( Génie Supérieur de l'Humanité, pour ceux qui prennent le feuilleton en marche ) – mon stylo court sur le papier, une bombe atomique éclaterait à deux mètres de moi que je n'y prêterais aucune attention, mais cette fois-ci ce n'est pas le cas.

    • Agent Chad arrêter de vous trémousser, vous me gâtez mon Coronado !

    • Chef, ce sont les affres de la création, les mêmes qu'ont connues Proust et Joyce !

    • Alors ils étaient comme vous, ils avaient un gros objet qui les gênait dans la poche arrière de leur pantalon.

Caramba, comment ai-je pu l'oublier, l'exemplaire de L'homme à deux mains d'Eddie Crescendo que j'ai récupéré dans la bibliothèque d'Alfred, avant qu'elle ne disparaisse aussi mystérieusement qu'elle était apparue, il est plus que temps de m'y plonger, malgré ma vie trépidante je n'ai aucune excuse, et le Chef qui l'a déjà lu ne m'en a pas parlé, c'est donc qu'il a besoin de comparer ses réflexions suscitées par sa lecture à celle d'un lecteur spécialiste et passionné de littérature, en l'occurrence un certain Agent Chad que je connais très bien... Ce soir-là de retour à Provins je me jurai de passer une nuit studieuse.

71

Je l'avoue je suis resté dubitatif. Le roman n'avait rien de bien prenant. Une vague embrouille policière, très mal écrite, à la va-vite, sans style ni soin, je l'ai examiné dans tous les sens, peut-être était-il codé, j'ai imaginé des tas de grilles de lecture, essayé de mettre en relation des mots qui me semblaient se rapporter à des évènements que nous avions traversés, mais ce tissu d'inepties ne présentait aucun intérêt.

Le lendemain matin le Chef m'accueillit, Coronado et sourire ironique aux lèvres :

    • Agent Chad, vous me semblez fatigué, le roman d'Eddie Crescendo vous a-t-il tenu en haleine toute la nuit, ou vous a-t-il autant déçu que je le suis moi-même...

    • Pourtant Chef la seule fois que vous y avez fait allusion devant moi, il ne m'a pas échappé que vous y aviez puisé comme un enseignement !

    • Exactement Agent Chad, un récit déplorable, mais sa première page m'a interpellé, rappelez-vous Agent Chad, Mémoires d'un GSH !

    • Bien sûr Chef, j'en ai déduit qu'Eddie Crescendo se prenait pour un Génie Supérieur de l'Humanité, hélas, ses talents littéraires à l'opposé des miens ne...

    • Agent Chad, vous faites fausse route, les circonstances dans lesquelles ce roman nous est parvenu sont bien étranges, rappelez-vous, ce livre n'a pas été écrit par Eddie Crescendo, les seuls écrits qui nous soient parvenus de Crescendo sont ceux de la boite à sucre. Ce bouquin, trouvé dans la villa des Réplicants, a été écrit par les Réplicants, s'y sont mis à plusieurs pour le torcher, ce qui explique le décousu du récit, dans le seul but de nous tromper, de nous attarder dans nos déductions, mais il y en a un qui nous a adressé un message pour que nous n'y croyions pas...

    • Alfred !

    • Oui Alfred qui a glissé en première page cette grossière imitation du titre de vos mémoires, nous laissant ce message pour nous avertir du danger qui planait autour de nous !

    • Mais pourquoi Alfred aurait-il trahi les Réplicants, Chef, nous aimait-il donc tant que cela !

    • Pas du tout, ce qu'il aimait c'était le rock'n'roll ! Et s'il a trahi le peuple des Réplicants c'est parce qu'il connaissait le grave danger que courait le rock'n'roll, il a essayé de nous avertir, mais il a été tué avant de nous avoir tout révélé !

    • Chef, votre raisonnement est d'une logique éblouissante, je m'incline devant votre intelligence, je n'ai rien vu de tout cela cette nuit quand j'étudiais ce livre en le tenant bien fort à deux mains !

Il se passa à ce moment-là un évènement mémorable. Molossa et Molossitos peuvent en témoigner. Le Chef ouvrit le tiroir de son bureau et me tendit un Coronado :

    • Agent Chad, prenez-le, je vous l'offre, vous en êtes digne, je suis convaincu que vous êtes un génie incompris !

    • Ne vous inquiétez pas Chef, un jour l'Humanité reconnaîtra ma supériorité, elle s'agenouillera devant moi et...

    • Peut-être, peut-être, agent Chad, je vous le souhaite, mais le premier qui ne pige rien à votre génie, c'est vous-même !

    • Chef, je n'y entrave que couic !

    • Vous voyez bien, Agent Chad, lorsque le génie parle, vous ne comprenez pas ! Mais vous venez de prononcer le nom de l'homme à deux mains !

    • Moi,Chef !, pas du tout !

    • Taisez-vous, l'homme à deux mains c'est vous Agent Chad !

( A suivre... )

30/12/2020

KR'TNT ! 491 : LESLIE WEST / CRASHBIRDS / ROCKABILLY GENERATION NEWS 16 / GRAND FUNK RAILROAD / STEPPENWOLF / ROCKAMBOLESQUES XIV

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 491

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

31 / 12 / 2020

 

LESLIE WEST / CRASHBIRDS

ROCKABILLY GENERATION NEWS 16

GRAND FUNK RAILROAD

STEPPENWOLF / ROCKAMBOLESQUES 14

TEXTE + PHOTOS SUR  : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/ 

*Pourtant que la montagne est belle

  • Part One

     

Felix Pappalardi observe la montagne à la jumelle.

— Wow, la cime se perd dans les brumes ! Sacré morceau ! Quelle prestance dans la monstruosité !

À quelques mètres de là, Corky et Gail préparent le café. Ils ont allumé un bon feu de branchages. Felix, Corky et Gail se préparent à conquérir le mont Weinstein, l’un des sommets les plus redoutables du monde. Dès l’aube, ils quitteront le camp de base et se lanceront à l’assaut des pentes. Felix s’accroupit auprès du feu. Gail lui tend une tasse de café brûlant.

— Tu as l’air particulièrement excité, mon lapin, murmure-t-elle d’un ton lubrique...

— Cette grosse montagne vaut le jus, Gail chérie... C’est la crème de la crème : après l’Aconcagua, l’Everest, le Mont Winson et le Kilimandjaro, on va se taper ce gros tas de caillasse !

Il tortille sa moustache d’un geste nerveux.

— Bon, départ à quatre heures ! D’accord ?

Gail et Corky acquiescent. Puis nos trois co-équipiers font un repas hautement énergétique. Gail et Felix vont se coucher pendant que Corky fait la vaisselle. La nuit tombe, froide et opaque. Corky tend l’oreille. Des soupirs proviennent de la tente de Felix et de Gail.

— Ce salaud de Felix pourrait au moins en faire profiter les copains, marmonne Corky entre ses dents. Puis Gail pousse des cris stridents qui se perdent dans la nuit.

Corky rentre sous sa tente en soupirant comme un bœuf.

— Bon, une branlette et puis dodo !

Au moment où le soleil se lève, une activité intense règne déjà sur le camp de base. Felix plie soigneusement sa tente portefeuille. Gail est prête. Elle porte son costume esquimau. Corky est en débardeur rouge. La belle lumière rasante caresse ses puissants bras nus.

— Hey Corky, tu n’as rien oublié ?

— Non, pourquoi ?

— Tu ne crains pas d’attraper froid, habillé comme ça ?

— Ha ha ha ! C’est pas une montagne qui aura la peau du grand drummer Corky Laing !

— Alors, vamos !

Felix prend la tête de la cordée. Gail suit et l’intrépide Corky ferme la marche. Deux jours durant, ils grimpent le long d’un raidillon convexe couvert de tissu écossais. Ils ont chaussé les crampons, car le sol gélatineux n’est pas très stable. Au soir du deuxième jour, ils arrivent au pied d’une falaise de cuir. Felix examine le relief à la jumelle.

— Hum, passé ce ceinturon de vingt mètres, nous devrions pouvoir accéder aux premiers bourrelets, là-bas, au-dessus...

Un vent terrible s’est levé.

— Écoutez, crie Gail, on dirait une chanson !

Ils tendent l’oreille tous les trois. Une plainte rugueuse émerge du chaos des origines. La tourmente charrie les paroles d’un blues-rock gargantuesque.

Bloooooooood of the sun, hurle la voix et le vent sculpte dans la nuit glaciale d’audacieux phrasés de guitare.

— Fabuleux ! hurle Felix dans la tempête. Depuis le «Strange Brew» des Cream, je n’ai jamais rien entendu d’aussi puissant !

Au bout de trois minutes, le vent se calme et la chanson s’éteint.

— Cette montagne est hantée par une sorte de génie, lâche un Felix intrigué.

Gail commence à rouspéter :

— Je veux redescendre. Je n’aime pas la tournure que prennent les événements. Rentrons à la maison, Felix, je t’écrirai de belles chansons, si tu veux...

— Non, c’est hors de question. Nous continuons par là. Il faut redescendre jusqu’à cette bosse proéminente et remonter par la boucle que vous voyez là-bas pour atteindre les premiers bourrelets. De là, nous devrons compter encore trois bonnes journées pour atteindre le sommet. À condition que la météo se maintienne, bien sûr. Allons Gail, je t’ai connue plus courageuse. Que va penser Corky de toi ?

Dès l’aube, ils repartent vers la boucle géante qui étincelle au soleil levant. Ils descendent dans un immense creux tapissé de tartan rouge pour rejoindre la fameuse bosse dont parlait Felix la veille au soir.

— Bon, Corky, tu grimpes jusqu’à la boucle. Une fois là-haut, tu nous lances une corde en rappel. D’accord ?

Corky plante son piolet dans la paroi. Soudain la montagne tousse. Les immenses chairs s’agitent avec la violence d’un tremblement de terre. Une terrible secousse précipite Corky dans le vide. Il hurle pendant de longues minutes. On entend un très lointain splash. Felix et Gail se sont accrochés de justesse au fermoir d’une espèce de fermeture éclair géante. Les derniers soubresauts s’espacent. La montagne se stabilise.

— Bon, Gail, il va falloir grimper à mains nues... Pas question d’utiliser les piolets. La montagne est trop sensible. Te sens-tu prête ? Je pars devant, j’envoie une corde. Tu n’auras qu’à te hisser.

Felix grimpe jusqu’à la boucle géante. Il l’atteint. Il trouve de bonnes prises entre le cuir et l’acier. Au prix d’efforts surhumains, il parvient à se hisser au sommet de la boucle. Il tire Gail jusqu’à lui. Ils restent assis tous les deux au sommet de la boucle et admirent le paysage. Puis Felix se lève et repart.

— Si on veut se mettre à l’abri des tempêtes, il faut atteindre un gros bourrelet avant la nuit...

Il affronte son premier bourrelet. À la différence des régions inférieures, cette zone de la montagne est couverte d’un épais tissu noir à pois blancs. Felix affronte les rondeurs à mains nues. Il progresse au-dessus du vide, se hissant à la force des doigts. Il négocie prudemment chaque surplomb et se redresse à la force des bras jusqu’à la partie supérieure de l’excroissance. Là, il peut marcher. Il cale bien ses pieds et tire Gail jusqu’à lui.

Le soir du troisième jour, une nouvelle tempête éclate. Gail se réfugie dans les bras de son mari. Jaillissant de nulle part, la voix gutturale se mêle au vent, portant haut les éclats toniques d’une puissance extraordinaire.

Et tu sais qu’on se reverra... si la mémoire ne te fait pas défaut... oh, cette roue en feu...

Felix exulte dans la tempête :

— Mais Gail ! Écoute ça !

Il reprend en cœur avec la voix de la montagne :

Je fonce sur la route... tu ferais mieux d’alerter mes proches... ce pneu va exploser ! Mais Gail, fais un effort, voyons ! Ne reconnais-tu pas «This Wheel’s On Fire» de Bob Dylan ? Wooow ! Quelle version apocalyptique !

Et Felix se met à sauter sur place comme un gamin. Il ne rebondit pas très haut, à cause la nature graisseuse du bourrelet.

Dès l’aube, ils repartent à l’assaut des derniers bourrelets noirs tachés de pois blancs. Felix finit par déboucher sur une échancrure peuplée de grandes racines noires. Il se tourne vers Gail et lance :

— C’est une zone de poils géants qui conduit au dernier obstacle, là-haut : ce triple menton qu’il va bien falloir escalader... Hum...

Felix et Gail progressent à travers l’épaisse végétation, assurant bien leurs prises, car la paroi est quasiment verticale. Parvenu au pied du triple menton, Felix s’immobilise, en proie à l’incertitude. Il ne le voyait pas aussi gigantesque. Il commence à tâter la matière spongieuse. Il s’assure des prises en pinçant cette affreuse consistance. Si Felix a les doigts si musclés, c’est sans doute parce qu’il joue de la basse. Il parvient péniblement à gravir les trois rondeurs successives. Il se hisse sur le dessus du menton et lance la corde à Gail. Il la tire jusqu’à lui.

Elle rouspète :

— Je commence à en avoir assez de ta putain de montagne !

— Regarde Gail ! On touche au but. Allons nous rafraîchir à ces lèvres pulpeuses que je vois là-haut, puis nous longerons l’éperon du nez que tu peux apercevoir au-dessus. De là, nous atteindrons ce chapeau noyé de brumes qui coiffe notre fabuleuse montagne ! Allons Gail, encore un effort ! Nous y sommes presque !

Ulcérée, Gail sort un Derringer de la poche de son costume esquimau.

— Écoute-moi bien, Felix le chat ! Nous redescendons immédiatement ! Je ne te le répéterai pas deux fois !

— Mais tu es complètement folle, ma pauvre Gail ! Nous sommes si près de la victoire ! Gail ma puce, veux-tu ranger ce flingue ! C’est vraiment la dernière fois que je t’offre une pétoire pour ton anniversaire !

Le coup part accidentellement. La détonation résonne sur des kilomètres à la ronde. Felix prend la balle dans le cou. Sous la violence de l’impact, il tombe et roule au sol sur plusieurs mètres. Il se relève et, sans un regard pour Gail, reprend l’ascension. Il atteint les lèvres pulpeuses et s’y abreuve de salive sucrée. Puis il continue de grimper. Il atteint l’éperon du nez. Il laisse à sa droite l’immense globe d’un œil rivé sur l’éternité et escalade la zone nue d’un grand front perlé de sueur.

Felix atteint les premières boucles d’une toison ardente. Il connaît les forêts tropicales et sait comment se faufiler dans les végétations très denses. Il reprend sa position d’araignée pour s’engager sous le plat du grand chapeau. Au prix d’efforts surhumains, il atteint l’arête et se hisse sur le plat du chapeau. Il fait quelques pas et s’écroule, épuisé.

Un vent terrible se lève. Felix ouvre les yeux. Une mélodie d’une beauté démesurée se glisse à nouveau dans la tourmente. La voix de la montagne hurle la douleur du monde, elle martèle des syllabes d’un poids titanesque :

Ba-by I’m down ! Ba-by I’m down !

Felix secoue la tête. Il se pince... Mais non, ce n’est pas un rêve. Il fond sa voix dans celle de la montagne. L’écho vient à son aide. «Baby I’m Down» dure une éternité. Felix Pappalardi tutoie enfin les dieux.

Signé : Cazengler, Mounteigne

Leslie West. Disparu le 22 décembre 2020

 

ADIEU A LESLIE WEST

 

Triste nouvelle, Leslie West a cassé sa pipe en bois, ce 22 décembre. Durant le confinement de fin avril au début de juin, nous avions abordé ( livraisons 462 / 463 / 464 / 465 / 466 / 467 / 468 / 469 / 472 ) une partie du périple rock'n'roll du colossal guitariste. Sa guitare n'était ni d'argile, ni de papier. J'avais promis de poursuivre quelques éclats de cette saga, une des plus belles du rock'n'roll. L'actualité m'a devancé. Au lieu de reprendre l'histoire à son début, nous écouterons un de ses derniers albums, pourquoi celui-ci et pas un autre, peut-être parce que la guitare y est particulièrement à l'honneur.

Il est difficile d'imaginer Paris sans la Seine et encore plus un rocker sans scène. 2011 est une année importante pour Leslie West, terrible parce qu'il doit se faire amputer de sa jambe droite le 20 juin, parce que le 13 août il est déjà sur scène. C'est ce que l'on appelle avoir le rock chevillé au corps. Lui qui avait l'habitude de s'adonner sur son estrade à la danse de l'ours sur le toit de tôle brûlante jouera désormais assis. Le premier titre de l'album mis en boîte avant son hospitalisation ne manque pas d'humour de la part d'un diabétique qui a mené une vie de bâton de chaise, bouffe, graisse, alcools, tabacs, drogues douces et dures, tournées épuisantes et interminables... RIR, qu'il repose in rock !

UNUSUAL SUSPECTS

( Provogue / 2011 )

 

Kenny Aronoff : batterie, percussions / Fabrizio Grossi : basse / Phil Parlapiano : orgue, mellotron, claviers / Leslie West : guitares, vocal / + Prestigieux invités.

One more drink for the road : un morceau en roue libre, du classique de chez classique, genre vous voulez du blues, en voiçà en voili, prenez-en plein les feuilles, car ne durera guère plus de trois minutes, démarrage avec un piano qui shuffle plus qu'il ne boogise, et c'est parti pour la partie de guitares, Steve Lukather ( non, ce n'est pas une blague à Toto ) est à l'acoustique, miaule menu, les yeux fermés imaginez que c'est un tigre qui geint parce qu'il s'est planté une épine empoisonnée dans la patte gauche, mais non c'est Leslie à la lead qui fait le boulot. Mud flap momma : ( composé par Jenni(fer) et Joseph, voir plus bas ) forme au plus haut, on crie chapeau, c'est Slash, l'homme à la guitare flash, le bretteur N° 1, qui vous emmène un bouquet de roses avec un fusil comme épine au milieu pour vous fusiller entre les deux yeux et partout ailleurs, rien à dire deux lead guitars, c'est mieux qu'une, certes ils n'inventent pas la foudre sur ce morceau mais ils savent s'en servir, un véritable feu d'artifice du quatorze juillet, finissent à l'unisson comme le gang des frères James qui s'en prennent au coffre-fort de la banque. Slash a toujours revendiqué Leslie West comme influence. To the moon : Leslie s'envole au vocal, contrairement à ce que l'on pourrait accroire Leslie n'attaque jamais sa guitare comme Attila se ruant sur Aquila, vous a un toucher tout doux, l'on dirait que chaque fois qu'il effleure ses cordes une plume d'ange glisse sur le dos soyeux d'un chaton, le problème c'est que parfois il ne résiste pas à ce que Jack London appelait the call of the wild, alors il vous réduit en trois coups de tonnerre le mistigri en charpie sanglante, se reprend vite et vous ensorcèle d'une longue glissade vaporeuse, on ne va pas se déguiser en militant de la cause animale, ce que l'on adore c'est quand il vous pourfend les matous en trois coups de guitare majeurs, et pour cela cet envol vers la lune avivera et ravira vos pulsions les plus sadiques. Standing on higher ground : le blues le plus crasseux du monde, c'est si bon, c'est si Gibbons, avec lui Leslie est au top. Vous avez l'impression d'être au cœur de Fort Alamo, vous connaissez le film par cœur mais qui se lasserait de le regarder ! N'y a pas une note qui n'appuie pas à l'endroit exact où cela fait du bien et du mal en même temps. Third degree : le vieux classique d'Eddie Boyd – gardez vos vieux disques les masters ont été brûlés comme ceux de milliers d'autres dans l'incendie d'un entrepôt d' Universal – qui fit les beaux jours de West, Bruce & Laing, comme feature Leslie n'a pas pris de la petite friture, Joe Bonamassa en personne, ce que l'on appelle un virtuose, au chant il ne vaut pas Leslie et cette version ne vaut pas celle de WBL, l'a tout ce qu'il faut le bonhomme Bonamassa, sauf, je sens que je vais me faire haïr, une authenticité blues. C'est tout de même mieux que ce que seraient capables de faire les 99, 999 pour cent des habitants de notre planète. Legend : comme son nom ne l'indique pas le compositeur Joseph Pizza - il a participé à la composition de cinq autres titres de l'album - ne travaillait pas dans une pizzeria mais dirigeait une société pharmaceutique, c'est aussi un vieil ami de Leslie, c'est Jenni(fer) ( que Leslie a demandée en mariage sur scène – bonjour Johnny Cash - lors du concert organisé pour fêter l'anniversaire des quarante ans du Festival de Woodstock ) qui avait travaillé dans l'entreprise de Pizza qui l'a encouragé à montrer ce morceau qu'il avait composé trente-cinq ans auparavant. Bon ce n'est pas le slow de l'été mais la ballade de l'hiver. C'est fou comme les amerloques ont l'art de vous tourner la ritournelle... un peu déplacée sur cet album tout de même... Leslie se fait plaisir à la guitare... Nothing's changed : Leslie et Zakk Wylde sont à la lead, Zakk Wilde est un poème rock à lui tout seul entre autres guitariste-compositeur pour Ozzy Osborne et fan de Neil Young – parfois les contraires s'attirent – avec Leslie ils font des miracles, comment ne pas sortir du cadre du blues tout en cassant tout à l'intérieur de la baraque. Surveillez vos enceintes, ça fuse de tous les côtés, et vos esgourdes engourdies ne s'en plaindront pas. Vous non plus. I feel fine : la reprise que l'on n'attendait pas, des Beatles de 1964, faut entendre comment Leslie vous bouscule le cocotier, le larsen inopiné de Lennon en ressort tout tarabusté, tout fuzzillé, le plus marrant c'est qu'au vocal Leslie suit de près la structure originale du morceau. Love you for ever : le titre le plus long, un régal, répétons-le, Leslie ne redécouvre pas la bombe atomique, juste un morceau de rock comme il en existe des centaines, et l'on se prend au jeu et l'on balance la tête en cadence, tout est à retenir, cette cloche de vache, et surtout cette guitare qui n'en finit pas de gronder de toutes les manières possibles et inimaginables, Leslie a le pêchon, se croit au bon vieux temps de Mountain, nous aussi. My gravity : blues balladif, beaucoup plus crédible que Legend, une guitare qui grince et une voix qui crie, quoi de plus pour être heureux, tout est dans la nuance, dans la déglingue, le doigté, l'écorchure des cordes, une espèce de mini-symphonie qui ne déparerait pas dans certaines virtuosités instrumentales de musique classique expérimentale d'aujourd'hui, mais il faut savoir l'écouter. Parfois le serpent qui tue est tapi sous les feuilles mortes de l'automne. The party's over : Slash et Zack Wylde ont failli à l'époque jouer ensemble dans Guns N' Roses, Leslie les réunit et leur laisse le champ libre, vous jouent le hit de Willie Nelson de telle façon que vous comprenez qu'entre le blues et le country il n'y a pas plus d'espace qu'un feuillet à cigarettes, tout en force et tout en douceur. L'intro et la fin touchent au sublime de la simplicité. I don't know ( the Beetle juice song ) : beaucoup n'aiment pas cet ultime morceau, dédié à un ami nain de Leslie, une démo, une pirouette, une comédie, une parodie, une chansonnette, perso j'adore.

Cet Unusual Suspects souffre d'un grave défaut. Les morceaux sont trop courts. Une moyenne de trois minutes, nettement insuffisantes de nos jours ( et même à cette époque presque lointaine ) pour le blues. L'aurait fallu élaguer et s'autoriser deux cachalots de sept minutes ( au minimum ) chacun, cela aurait permis aux invités de s'amuser. Leslie semble peu partageur sur ce coup-là, coupe le gâteau en deux, la moitié pour lui, le reste pour les invités, et encore il en profite pour grignoter la cerise rythmique sur la part des autres. L'est sûr que d'un autre côté en 2011 le concept de double-album n'avait plus trop la cote. Ce qui nous aurait privé de bien de nos frustrations. L'ensemble vous laisse un goût d'inachevé dans la bouche. Manque aussi un désir poivré d'aventure, les invités servent le maître, le maître ne se sert pas de ce jeune sang pour explorer des eaux tumultueuses. L'on eût aimé un trait d'union entre le Hard et le Metal et l'on assiste à un prudent repli vers le camp de base du blues. Toutefois ne l'oubliez pas : the West is the best.

Damie Chad.

 

*

Il est des volatiles qui ne sont guère volatiles, ne se dissipent pas dans l'air ambiant, ne s'évaporent pas aussi facilement qu'on l'espère. Ces deux-là on a cru les faire taire une bonne fois pour toutes. Privation de concerts, deux confinements coup sur coup pour être sûr qu'ils ne s'en remettraient pas, hélas le deuxième n'est pas encore terminé que les maudits cui-cui viennent nous faire coucou sur leur chaîne You Tube. Ne sont pas morts. Faudra se résoudre à l'idée qu'ils ont survécu. Se sont pris pour des pigeons voyageurs, ont volé à tire d'aile jusqu'en Bretagne, avec leurs guitares et le chat – on pensait qu'ils l'auraient abandonné en région parisienne, mais ils n'ont pas osé – on se disait, au moins on est tranquille pour un bon moment, ben non, au lieu de rester à roucouler dans leur nid douillet, ils en ont profité pour enregistrer at home un album, titré Unicorns, n'est pas encore sorti, mais comme il leur restait du temps de rabe ils ont aussi tourné avec l'aide de Rattila Pictures quelques clips, et pour nous gâcher l'espoir insensé que l'année 2021 serait merveilleuse pour le monde entier, l'on n'était pas encore descendu du sapin de Noël que le matin du 26 l'on avait droit à un premier envoi de missile crashbirdien. La grande menace de l'éradication totale de l'espèce humaine n'était donc pas une vaine promesse...

MEDALS AND BADGES

CRASHBIRDS

( Clip / Décembre 2020 )

Au début tout est parfait. Feu de cheminée, bibliothèque emplie de bouquin, parquet ciré, Delphine toute belle, toute sage sur son fauteuil. Rien de mal ne peut vous arriver. Pour un peu vous réciteriez du Baudelaire :

Là, tout n'est ordre et beauté,

Luxe, calme et volupté.

Un léger défaut tout de même. Pourquoi l'image réduite au format d'un double-timbre-poste, n'occupe-t-elle pas tout l'écran ? La réponse est donnée deux secondes plus tard. Sur la noirceur droitière s'inscrit en lettres d'or – couleur normale pour des – Medals and Badges, pendant que Pierre s'en vient s'assoir au bureau devant le moniteur de l'ordinateur, et crac, voici l'image séparée en trois rectangles un grand, et deux petits. S'amusent dès lors à alterner les plans, tantôt les deux ensemble, tantôt en train de jouer, tantôt en train de se concentrer, pour nous une manière de participer en même temps à l'enregistrement des différentes pistes ou des manipulations diverses des appareils exigés par l'enregistrement lui-même. Les cui-cui nocifs sur-multipliés, non pas à l'infini, mais presque. Pour les reluqueurs de plans cordiques, vous en avez des pleins-écrans qui occupent tout l'espace, entourés d'un ravissant cadre mauve chaque fois que Pierre ramone un solo. En plus vous avez le résultat sonore final qui défile dans vos oreilles. Attention, z'ont laissé le fin boulot du mixage et du mastering à Eric Cervera. Verra pas plutôt, car n'est pas présent sur le clip, l'a dû logiquement s'atteler à la tâche après les séances d'enregistrement. Ceux qui n'ont pas l'oreille et l'œil parfaitement désynchronisés risquent de s'y perdre un peu, tant pis pour eux ! Il ne faut jamais prendre pour argent content ce que l'on voit et ce que l'on entend. Ne pas être dupe du monde immonde dans lequel on vit, c'est d'ailleurs un peu la philosophie profonde des textes des Crashbirds. Si vous êtes fiers de votre mention Très bien au bac, ou si vous arborez à votre veston la médaille du travail que votre patron vous a offert pour votre départ à la retraite, sachez que vous n'êtes pas dignes d'écouter la musique des Crashbirds. Elle vous restera incompréhensible, elle vous dépasse et vous enterre. Profitez-en pour goûter l'ironique enseignement du montage : toutes ces cases tracées à l'angle droit, nos deux cui-cui s'en amusent, volent de l'une à l'autre, refusent de rester enfermés, détestent les prisons et les étiquettes, sont partout à la fois, ici et là, à tel point que je suis obligé – ô crime insensé – de toucher au vers de Baudelaire, le grand Charles il aurait mieux fait d'écrire : Là, tout n'est que désordre et beauté !

Passons aux choses sérieuses. A la musique. Au nouveau morceau des Crashbirds. Pierre n'est pas comme Empédocle qui a abandonné ses sandales sur le bord du cratère avant de se jeter dans l'Etna. Lui il n'oublie jamais ses pantoufles soniques. Les emmène toujours avec lui dès qu'il joue de la guitare. Adepte du Do It Yourself, il les a bricolées lui-même, prend son pied avec ces boîtes en bois résonnantes. Les martèle, l'en tire le rythme originel, le temps fort celui de la haine, et le temps doux du silence celui de l'amour, j'invite le lecteur à se rendre compte que le battement du pied lehouliérin bat pour ainsi dire à contre-sens du système philosophique d'Empédocle, chez lui la haine coup porté rapproche et l'amour pied levé éloigne. C'est vraisemblablement pour cette ambiguïté congénitale que des millions de personnes détestent le rock'n'roll.

Pas besoin de batterie chez les Crashbird, toutefois un instrument de percussion, la cloche de vache que Delphine Mississippi Queen Viane active dans les moments cruciaux. La cloche à vache joue dans la musique des cui-cui le rôle du tocsin dans les catastrophes médiévales - cités en flammes, population massacrée - un tap-tap lugubre qui vous glace le sang, justement dans le morceau qui nous occupe Delphine ne se prive pas de s'en servir. Comment une fille si ravissante peut-elle déclencher de tels mouvements de frayeur dans votre imaginaire phantasmatique...

Pierre est du genre pragmatique, à allumer le bâton de dynamite du rock'n'roll autant mettre le feu aux deux bouts en même temps. Donc si son pied droit n'arrête pas une seconde de frapper le sol de ses boîtiers – c'était ainsi que les anciens grecs suscitaient la colère élémentaire des puissances ténébreuses de la Terre – ses deux mains sont rivées à sa guitare. A l'horizontalité phonique il rajoute la verticalité cordique. Donne l'impression qu'il en extrait un jus noir qui coule sans fin pour ajouter de la noirceur funèbre au monde. L'univers des Crashbirds n'est pas rose.

Rouge vif, flamme ravageuse qui court et réduit en cendres les forteresses de la bêtise oppressive. Ce rôle est dévolu à Delphine, à sa guitare à la sonorité beaucoup plus claire, entêtante et enivrante. Une voix ardente et ravageuse, rythmée et sans pitié, coupante comme une serpe qui, inflexible, s'abat sur les prétentions indues, et dénonce les faux-semblants de la comédie humaine.

Medals and Badges est un morceau entraînant - ne souriez pas, ne sautez pas de joie - à la manière du joueur de flûte de Hamelin, cette musique vous transporte, elle agit en tant que manipulation mentale, dès qu'elle retentit, vous ne pouvez qu'être d'accord, en harmonie avec elle. Elle vous enfièvre, elle vous soulève, elle vivifie votre sang, vous file une nouvelle énergie, ces fameux cui-cui vous leur pardonnez tout, car ce qu'ils expriment, vous le reconnaissez, c'est le vieux fond primal du blues, magnifié, électrifié, carbonisé, cabonarisé, qui s'insinue en vous et ne vous lâche plus. Le serpent chthonien qui vous enlace et vous communique l'esprit reptilien de survie et de révolte. Celui qui refuse de pactiser. Surtout pas pour une médaille en chocolat.

Damie Chad.

 

Talking ‘Bout My Generation

- Part Three

 

A dream come true, comme aiment à le dire les Anglais lorsque leurs rêves se réalisent : Jake Calypso en couve de Rockabilly Generation. Portée symbolique pour un premier numéro de l’année à venir qu’on espère tous moins pourrie que celle qui se termine. Ah la vache !, comme disait Jacques Vaché en tirant une bouffée sur la pipe d’opium qui allait le tuer. D’autant plus Ah la vache que Jake est l’un des artistes les plus intéressants de notre époque, mais ça, Damie Chad l’a très bien dit voici 15 jours. C’est même un vrai coup d’encensoir qu’il a balancé sur la gueule du pauvre Jake. Bing ! Trente-six chandelles ! Jamais rockab n’avait reçu pareil hommage, même pas Charlie Feathers sous la plume du vaillant Guralnik. Bravo Damie pour l’analogie avec Bernard Palissy, car oui, c’est exactement ça, Jake est un héros car les héros ne renoncent jamais. On l’a vu à l’œuvre et on sait pourquoi il monte sur scène : pour rendre hommage à ses héros. L’histoire du rock (le bon rock bien sûr) n’est faite que de ça : de héros qu’on appelait jadis les pionniers et de kids qui ont assez de talent pour savoir leur rendre hommage. Et personne n’est mieux placé que Jake pour ça, jugez du peu : Buddy Holly, Little Richard, Elvis, Johnny Burnette et Gene Vincent, cinq tribute albums dont on a déjà dit le plus grand bien ici dans KRTNT. Damie a raison de parler de «rêve sans trêve» et de «walk on the wild side», et de tirer à l’équerre cette chute qui tinte si juste à l’oreille du lapin blanc : «Un des engagements les plus créatifs du monde rock actuel, y compris en comptant les anglais et les américains». Oui Jake mérite bien cet éloge, car il est simplement formulé et encore une fois d’une justesse confondante. Tous ceux qui ont vu Jake sur scène ou qui connaissent ses disques le savent pertinemment. Il faut aussi le voir à la page 6-7, Jake, là, devant sa cabane où il vous invite à entrer, cette cabane qu’on retrouve stylisée sur la pochette de Boogie Around The Shack. 25 Blues Boppers Selected By Jake Calypso. Alors entrez les gars ! Mettez-vous à l’aise, on va causer. Et Jake te raconte sa vie, la vie d’un mec normal passionné de musique, ses deux enfants, sa copine, ses boulots et ce here we go qui revient en permanence, le besoin de monter sur scène, même si comme il fait bien de le rappeler, «c’est pas un métier où on gagne bien sa vie». Il s’en fout, il y va. C’est pas le genre de mec à compter ses sous en se grattant les couilles. Go cat go !

Comme tout le monde aujourd’hui, et surtout les musiciens qui n’ont plus le droit de jouer, il fait une brève allusion à l’actualité, il appelle ça «ce bordel de corona» : rester chez toi à écouter des disques et regarder des DVD ? «Mais non, il manque un truc», dit-il et quel truc ! La scène ! C’est-à-dire le plus important, une espèce de raison de vivre. Sans la scène, tout ça n’a plus aucun sens. Surtout pas les pseudo-concerts à la mormoille dans les ordis et sur les smartphones. Ce qui frappe le plus dans cet interview fleuve, c’est la simplicité du ton. Jake est un mec bien, l’anti-m’as-tu-vu par excellence, il répond aux questions parce que c’est l’usage mais dès qu’il peut, il revient à la musique. Elle a changé sa vie, dit-il. Par contre, l’interview se termine en queue de poisson. «Pas de projet phare parce que nous ne savons pas où nous allons.» Tu rigoles ? Pas de meilleure auspice que cette couve. C’mon, Jake ! On continuera d’aller boire des coups pour aller faire les cons dans les concerts, pas de problème. Jake en couve, ça veut dire bientôt Béthune et bientôt les bars, bientôt le retour des contrebasses et des cool cool cats. Ça va rebopper sec dans les estaminettes !

Rockabilly Generation ajoute deux annexes à cette superbe interview : la discographie complète de Jake montée avec les visuels des pochettes, ce qui permet de mesurer l’étendue de l’œuvre et pour les ceusses qui suivent, de compléter, car on y trouve des trucs nouveaux parus en 2020, et deux pages plus loin, une double qu’on peut décrocher pour la punaiser au mur, comme quand l’ado avait bon dos. Bon alors après on feuillette, nouvelle interview, cette fois c’est le Big Beat boss Jacky Chalard qui dresse un panorama captivant de la culture rock’n’roll en France, on tourne la page et pouf ! On tombe sur la photo d’un mec coiffé d’une casquette blanche. Petit moment de stupeur accompagné d’une bulle au dessus de la tête : «L’ai déjà vu ce mec-là...». Eh oui, Bruno Grandsire, l’un des mecs les plus élégants qu’on pouvait voir sur scène à l’époque du Bateau Ivre, un endroit que vénéraient les oiseaux de la nuit rouennaise car on pouvait s’y piquer la ruche jusqu’à quatre heures du matin. Au Bateau passaient chaque soir des groupes dans des genres différents, garage, metal, reggae, rockab, chanson, avec chaque fois des publics différents en plus des habitués, une faune extraordinaire et l’ambiance était tellement bonne qu’on faisait systématiquement la fermeture. Un soir, Orville Nash était à l’affiche, accompagné par les Camping Cats. Les Cats jouèrent en première partie et wow, le mec à la gratte était franchement bon, the real deal, assez haut, d’une grande maigreur, comme sur les photos, en marcel blanc et coiffé d’une casquette bleue. Le jeu dans le public aviné consistait à réclamer des morceaux pendant les blancs et on réclama «One Hand Loose» que le grand maigre en casquette bleue attaqua aussi sec au débotté de tiptop daddy. Non seulement il connaissait bien le cut, mais il en fit une version fabuleuse. Voilà, c’est Bruno Grandsire. La classe. Puis les Camping Cats accompagnèrent ce vieil Orville qui lui aussi gagne à être connu. Ce serait peut-être l’occasion de rappeler tout le bien qu’il faut penser de son premier album, Nashin’ Around, paru sur Rollin’ Rock à une autre époque. Autant dire que retrouver l’excellent Camping Cat comme ça au détour d’une page, c’est la même chose que sortir de l’enveloppe le nouveau numéro de Rockabilly Generation et tomber sur Jake : a dream come true.

Signé : Cazengler, dégénéré

Rockabilly Generation. N°16 - Janvier Février Mars 2021

 

Que le Grand Funk me croque

 

L’histoire de Grand Funk Railroad est celle d’un groupe américain immensément populaire dans les années soixante-dix mais détesté par l’establishment de la critique rock. Mark Farner, Mel Schacher et Don Brewer ne comprenaient pas pourquoi on les haïssait tant dans la presse rock, alors qu’ils remplissaient le Shea Stadium aussi facilement que les Beatles. Avec An American Band - The Story Of Grand Funk Railroad, Billy James apporte quelques éclaircissements sur ce phénomène aussi peu sympathique qu’incompréhensible. C’est vrai qu’avec le recul, on se demande si les critiques de l’époque ont écouté les albums. Comme dirait l’autre : Pourquoi tant de haine ?

Bon alors attention, Billy James ne se prétend pas écrivain, mais c’est sans doute parce qu’il ne vole pas très haut, littéralement parlant, qu’il colle bien à son sujet. Billy James propose un récit purement chronologique et ne produit aucun effet de manche. Pas de réflexions philosophiques ni de fins de chapitres spectaculaires. Il se contente de remonter le fil de l’histoire album après album et pour étoffer un peu, il cite les réactions systématiquement négatives des journalistes anglais et américains.

L’histoire de Grand Funk est aussi celle d’un groupe plumé par un manager/producteur un peu trop gourmand, Terry Knight. D’ailleurs, Farner démarre comme bassman de Terry Knight & the Pack, le heavy band de Flint, Michigan, qui était en vogue dans la région à la fin des sixties. Il fut embauché à cause de sa ressemblance avec Brian Jones, car Terry Knight était fan des Stones. Il était aussi le DJ le plus populaire de Detroit. Quand Terry Knight part à New York faire un peu de business, Farner et Brewer montent Grand Funk Railroad. Farner se dit fortement influencé par Howard Tate et Aretha, côté voix, Jimi Hendrix et early Clapton côté guitare. Il voit le groupe comme un groupe de hard rock, comme on l’appelait alors, dans la veine de Mountain et d’Iron Buterfly. Il tire le nom du groupe d’une institution de l’époque : The Grand Trunk & Western Railroad. Bonne pioche, Mark.

Quand Knight écoute jouer le power trio, il accepte de les aider à une condition : contrôle absolu en tant que manager, producteur, porte-parole et mentor musical, c’est-à-dire qu’il veut tout superviser, l’image du groupe et la direction musicale. Aujourd’hui encore, on peut se demander comment Mark, Schach et Donnie on pu être assez cons pour accepter une telle proposition. Non mais franchement ! Alors après, ils peuvent venir se plaindre. Ouine ouine, il nous a pompé tout notre blé, ouine ouine, il nous poursuit en justice, ouine ouine, comment qu’on va faire pour sortir des griffes de cet escogriffe ? Pas de panique les gars, John Fogerty et les Stones ont subi le même sort et ils ont réussi à s’en sortir.

Et pourtant, Terry Kinght les avait prévenus, en les faisant asseoir dans la cuisine de Chuck Klipper en mai 1969 : faites gaffe les gars, si vous signez, vous renoncez à votre liberté et à toute vie privée ! Ils signent et fracassent un six-pack de bières pour célébrer ça. Tout ce qu’ils voulaient, c’était devenir célèbres. Ils en avaient assez de jouer dans les bars. Oh pour devenir célèbres, il vont le devenir !

Ils commencent par faire un carton à l’Atlanta Pop Festival et un mec de Capitol qui les voit sur scène les signe on the spot. Ils ont déjà une démo, celle de leur premier album, On Time, qui a été rejetée par tous les label de l’époque, y compris par Capitol à deux reprises, mais le coup d’Atlanta les propulse dans le stardom. Knight produit mais c’est un certain Kenneth Hamman qui enregistre. Hamman a bossé pour Human Beinz et il bossera pour Bloodrock, James Gang et Pere Ubu.

Leur premier album s’appelle On Time et paraît en 1969. On y trouvera du seventies rock du Michigan, ni meilleur ni pire qu’un autre seventies rock du Michigan. Mais on s’y attache, via des choses comme «Are You Ready». Ils proposent un funk de rock à la bonne aventure et Farner part en virée de gras double à l’ancienne. Il fait du méthodique, sans fluidité particulière. C’est très rock, très axé sex appeal. Ils jouent avec «Time Machine» la carte d’un son efficace, celui du heavy boogie bien dodu, bien en place. Ils cultivent encore leur power-triotisme patenté avec «High On A Horse». Cette fubarderie les rend infiniment louables, Farner attaque au bon son, il est là, on peut compter sur lui. C’est un brave mec.

L’album est massacré par la critique. Personne n’en veut à la radio. C’est le commencement du grand Grand Funk Bashing qui, nous dit Billy James, dure encore. Les critiques s’acharnent sur Grand Funk : «L’un des groupes les plus simplistes, les plus nuls, les plus plats de l’année.» Pourtant, que la pochette est belle - comme l’est la montagne de Jean Ferrat - nous dit le petit Billy James - Don the wildman drummer, Mel the dark brooding bassist and Mark the sex symbol of the group - Cette image est même un peu surréaliste, bien dans le ton de l’époque. Ils brandissent tous les trois des morceaux de train.

Leur deuxième album paraît la même année sous une pochette rouge devenue mythique : c’est bien sûr l’excellent Grand Funk. Schach y trône avec sa jazz bass. C’est Grand Funk at their loudest and heaviest, nous dit le petit Billy James. Tout est bien là-dessus. On est frappé dès «Got This Thing On The Moon» par la prééminence du son de la basse et l’excellente dynamique triétale. Ils vont enchaîner une série de cuts bien catapultés, drivés par une basse sourde comme un pot. Farner intervient ici et là pour farcir la dinde. Certains cuts comme «Mr Limousine Driver» paraissent un peu figés dans le temps. Les dynamiques sont comme retenues par l’élastique du pantalon et Farner se fend d’un solo féroce aux dents pointues. Excellent ! En B, on tombe sur un «Paranoid» qui n’est pas celui de Sabbath. Ce heavy tempo du Michigan se laisse déguster tranquillement et s’orne de beaux bouquets de voix et de retours de voix gonflées aux trois voix. Le hit de l’album est une reprise des Animals, «Inside Looking Out». Idéal pour le Funk - Woo baby all I need is some tender lovin’ - Farner peut-il vraiment rivaliser avec Eric et rac ? Dommage que les trois Funk délayent la sauce, c’est l’une des manies des seventies, on délayait à longueur de temps et soudain ça part en dérapage contrôlé sur le riff de basse, let me feel alrite et ça finit en beauté.

Selon le petit Billy James, Closer To Home is considered the definitive Grand Funk Railroad album, car il contient tous les éléments qui vont faire la renommée internationale du groupe. Selon lui, «I’m Your Captain/Closer To Home» est la plus belle compo de Mark. C’est vrai que l’album ne laissait pas indifférent. On y retrouvait bien sûr l’énorme son de basse de Schach : «She’s A Good Man’s Brother» et «Aimless Lady» ont largement de quoi rendre un homme heureux. Curieusement, la guitare de Farner reste planquée dans l’ombre. Grand Funk, c’est Schach ! Ils font l’instro de la concorde avec «Get It Together» et tout explose en B avec «Hooked On Love», un heavy tempo presque joyeux et des filles aux chœurs, très Southern, dans l’esprit Allman Brothers, une sorte de désinvolture ombragée, comme ça, ni vu ni connu, ils chantent à deux voix, I don’t care who you are, les chutes de couplets sont superbes et avec l’arrivée des filles, ça donne du very-very-big sound. Ils finissent l’album avec l’archétypal «I’m Your Captain». On y sent une volonté de beauté michiganesque, ils cherchent la voie du paradis - I’m getting closer to my home - Étrange parti-pris d’extension du domaine de la turlutte. Ça finit par devenir très beau car très orchestré.

Bon, les gars, si on faisait un album live ? Banco ! Et pouf, voilà le fameux Live Album. Il paraît la même année que Closer. Les Funkers ont trouvé leur vitesse de croisière : deux albums par an et des concerts sold-out à travers les États-Unis. Un Farner the farmer qui arrive toujours torse nu sur scène et qui envoie avec ses deux vaillants compagnons l’un des meilleurs blasts des Amériques. Sur ce double album tellement typique de l’époque des double albums (Steppenwolf, Doors, Allman Brothers), on trouve une belle version d’«Inside Looking Out», avec un Schach qui rôde dans le marigot comme un gator en maraude. Avec ses grandes dents pointues, ce Schach est un carnassier du son, il faut l’entendre pousser des pointes dans le heavy groove des Animals. Quel spectacle ! Il faut aussi le voir redémarrer au wild drive d’orverdrive, ce mec abuse, il profite du privilège d’un son énorme, il se déplace à notes lourdes, à pas d’éléphant pendant que Farner the farmer s’épuise en vain à soloter. On assiste médusé à un final exceptionnel de dérapage, aïe aïe aïe, fantastique power du Funk ! En fait Schach embarque tous les cuts un par un, il faut aussi le voir déménager la fin d’«Heartbreaker» et faire tout le jobby jobbah sur «Mean Mistreater». On l’entend aussi broder à l’infini dans «Are You Ready». Tel un dieu effréné, il joue au pulsatif dévorant. Live, «Paranoid» se transforme en merveille de heavy seventies sound. Avec «In Need», ils jouent leur carte favorite, celle du power-trio. Schach s’y tape un énorme passage de transe. Il pousse le bouchon jusqu’au paroxysme. En fait ils groovent à deux, Schach et Donnie, comme le montre si bien «Mark Say’s Alright». C’est une vraie machine et Farner the farmer semble paumé dans le fond du son. Ils terminent en D avec un long «Into The Sun» que Schach bouffe tout cru, il broute et il broie, il nettoie tout sur son passage, il joue à l’absolute power drive dévastateur, tout en lignes géométriques et définitivement rockantes. Il faut vraiment avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie, car outch !

Mark Farner finit par prendre les réactions de critiques à la rigolade : «Le lendemain du concert, on se demandait toujours ce qu’allaient dire les critiques, car de toute évidence, ils n’avaient vu le même show que celui où on jouait.» Un critique anglais finit quand même par prendre la défense de Grand Funk : «C’est sûr, ils ont un son agressif et ils jouent fort, c’est même assez cru, mais c’est bien foutu. Leur son correspond au goût américain. Ils sont las de la guerre du Vietnam et voient leur société se désintégrer. Ils jouent en réaction contre tout ça et expriment simplement leur colère. Il vaut mieux exprimer sa colère en jouant du rock plutôt que d’aller se battre dans les rues.» Le petit Billy James vole une fois encore à leur secours en déclarant : «Grand Funk a un truc que n’ont pas les autres. Creedence ne l’a pas, Sly et Zeppelin non plus. Il faut monter jusqu’à des gens comme Presley, les Beatles, les Stones et Sinatra pour trouver ce truc. Eux comme Grand Funk sont plus importants sociologiquement que musicalement. Grand Funk transmet à son public un truc que ne peuvent transmettre les autres groupes. Voilà pourquoi ils sont devenus un phénomène. Mark Farner dit à son public : «Nous sommes une partie de vous, nous sommes votre voix.» Phénomène typiquement américain.

Bon les sous rentrent dans les caisses et Farner achète sa ferme dans le Michigan près de Hartland. Elle va jouer un rôle considérable dans la suite de cette aventure. Farner the farmer y construira le Swamp, c’est-à-dire le studio dans lequel le groupe va enregistrer ses futurs albums. Il exploitera aussi ses terres, car il a grandi dans une ferme. À tel point qu’il finira par ne plus porter de pattes d’eph à cause des herses et par se couper le cheveux pour ne pas se les coincer dans des machines agricoles.

À l’époque, Farner the farmer fréquente aussi assidûment John Sinclair et son Rainbow People’s Party. Pour leur premier concert en Angleterre, ils jouent à guichets fermés à l’Albert Hall sans aucun support médiatique, ni radio, ni presse.

Ils sont devenus le groupe du peuple. Pour bien synthétiser l’idée, il se déguisent en hommes des cavernes sur la pochette de Survival. Urgh ! Album cromagnon, donc, avec une basse à l’avenant. Dès «Country Road», Schach monte devant au gros popotin, c’est le tagada semelles de plomb du Michigan. Ils parviennent tous les trois à développer des dynamiques intéressantes, même dans un balladif mi-figue mi-raisin comme «Comfort Time». Ils font aussi deux belles covers, à commencer par le «Feelin’ Alright» de Dave Mason. Comme ils la passent pas les fourches caudines du Michigan, ce n’est pas de la dentelle. Tout est monté sur le taratata de Schach, il est vraiment au cœur du son, il le bouffe tout cru. Farner the farmer sait aussi très bien placer sa voix, comme le montre «I Want Freedom» qui ouvre le bal de la B : joli travail d’orgue et de chœurs, très Southern rock, Farner the farmer va chercher le feeling du gospel batch. L’autre bonne pioche est le «Gimme Shelter» des Stones. Alors ça te donne de la Stonesy du Michigan avec un Schach on bass fuzz lancé à l’assaut du ciel. Il ramone sa ligne de basse comme un petit savoyard. Quelle allure ! Il fallait y penser. Quelle bonne idée que d’aller éclater ce cut qui est la prunelle de nos yeux au bassmatic.

C’est l’année où ils organisent le fameux concert du Shea Stadium et Knight embauche les frères Maysles pour le filmer. L’idée est de faire un film sur Grand Funk, puisqu’ils sont devenus aussi célèbres que les Beatles et les Stones. Et Knight profite d’une conférence de presse pour indiquer que la presse n’est pas la bienvenue et qu’il n’a pas besoin d’elle. Le groupe va très bien, merci. Pour la première tournée européenne, Knight embauche Humble Pie pour jouer en première partie. C’est à cette occasion que les Anglais découvrent l’ampleur du despotisme de Knight qui interdit à Mark, Schach et Donnie de sortir le soir, car il veut qu’ils soient en forme le lendemain. Mais les trois Funkers mettent des oreillers sous les couvertures et sortent en douce par la fenêtre pour aller faire la fête avec Humble Pie. Comme les Stones, ils donnent aussi un concert gratuit à Hyde Park. Les Funkers ne se privent d’aucun luxe.

Comme ils sont en plein élan, ils enregistrent un deuxième album en 1971, l’excellent E Pluribus Funk. On devrait plutôt dire qu’ils le frappent, car la pochette est un écu d’argent. C’est encore Schach qui embarque le «Foot Stomping Music» et Donnie fouette ses peaux de fesses. Ils font de la haute voltige et on les applaudit bien fort. Farner the farmer écrase sa wah dans le brûlot anti-guerre «People Let’s Stop The War». Il est enragé. Ils montent encore en régime avec «Upsetter» et «Come Tumblin». Ils élèvent l’art du power trio au rang d’art majeur. C’est excellent car Farner the farmer sort un jeu funky. «Quelle santé !» s’exclame-t-on en redécouvrant «Come Tumblin». Sans doute est-ce là leur meilleur album. Ils ramonent tout le Michigan et la vieille rondelle flappie des seventies. On ne comprend toujours pas que les critiques aient pu les détester à ce point. Leur Tumblin est magnifique, plein de vie, bien remonté des bretelles au bassmatic, joué funky dans les virages et battu à la diable. Schach y passe même un solo de basse énorme et terriblement ventru. La B reste au même niveau, avec un «No Lies» bardé de big American sound. Ils multiplient les variations et Farner the farmer chante plutôt bien, perché sur la pointe de sa glotte rurale. On l’imagine debout, torse nu, face au stade, tout seul avec sa guitare. Il faut du courage pour aller s’exposer de la sorte. Il a la chance de pouvoir compter sur ses fidèles amis Schach et Donnie. C’est vraiment excellent, il faut le redire, ils multiplient à l’infini les lourdes dynamiques du Michigan et Farner the farmer relance à coups de ahhhh perçants. Par contre, «Loneliness» est tellement épique qu’on se croirait chez Wagner.

Et voilà, les Funkers ont vendu 20 millions de disques en deux ans. Rien qu’avec six albums. Farner the farmer, Schach et Donnie demandent à Knight où est passé le blé. Et c’est là que commence la sérénade habituelle. Knight possède 20% de Grand Funk Railroad Enterprises, un conglomérat qu’il a monté pour préserver ses trois poulains de la rapacité des impôts. Il touche 5/8èmes des royalties sur les ventes et la moitié des droits sur les compos de Farner the farmer et Donnie. Donc, il ramasse plus de blé que les musiciens. Farner the farmer, Schach et Donnie estiment qu’ils ont généré entre 3 et 5 millions de dollars en deux ans et donc ils se demandent où est passé tout ce blé. Toujours la même histoire. En désespoir de cause, ils font appel à John Eastman Jr, le beau-frère de Paul McCartney pour les aider. Leur objectif prioritaire est de casser le contrat avec Knight. Ça va coûter bonbon. D’autant que Knight engage une équipe d’avocats spécialisés et demande 25 millions de dollars de réparation pour cassure de contrat intempestive. Eastman fait interdire à Knight tout accès aux comptes du groupe et dans la foulée, Donnie appelle le Madison Square Garden pour annuler les concerts prévus, c’est-à-dire qu’ils font une croix sur quelques millions de dollars de recettes. Cette fantastique machine qu’est le Grand Funk Railroad s’arrête brutalement, comme le dit si bien le petit Billy James.

Comme le Phoenix, les groupe va renaître de ses cendres en 1973, sous la houlette de leur ami Andy Cavaliere. D’ailleurs le nouvel album s’appelle Phoenix. Changement radical de son, car Knight ne produit plus. C’est là qu’arrive Craig Frost, le keyboard man. C’est lui qu’on entend dans «Flight Of The Phoenix», un instro bien râblé. Tout l’album est bien noyé d’orgue. Les Funkers étoffent leur son comme s’ils voulaient chasser le souvenir de Knight. L’orgue est plutôt bienvenu. Pas accueilli en vainqueur mais bienvenu. Mais l’A peine un peu à convaincre les cons vaincus. Farner the farmer s’assoit à sa fenêtre pour regarder tomber la pluie dans «Rain Keeps Falling» - Oh yeah rain keeps falling on my window pane - Le Funk se réveille un peu en B avec «I Just Gotta Know», un cut assez majestueux très chanté et sérieusement nappé d’orgue, mais on note que Schach joue maintenant en retrait. «Freedom Is For Children» sonne très prog anglais avec un chant monté en neige du Kilimandjaro. Ils terminent avec un «Rock N Roll Soul» joué au charivari d’orgue. Ils campent bien sur leurs positions qui sont celles du gros popotin des seventies. L’album ne se vend pas très bien, mais Farner the farmer, Schach et Donnie se sentent mieux, débarrassés de ce rapace de Knight.

Le groupe reprend son envol avec We’re An American Band. Ils font appel au boy genius, c’est-à-dire Todd Rundgren, pour le produire. Le résultat ne se fait pas attendre : tight performance, great vocals, catchy hook et great production. À l’époque Rundgren a produit the Band, Paul Butterfield, Jessie Winchester et Badfinger, c’est donc un affûté. Il prend très au sérieux la mission qui lui est confiée : «Le but de mon travail avec eux était de les valoriser en tant qu’artistes. Ça a été clair dès le début.» Rundgren les encourage, même quand Farner the farmer n’a pas l’air sûr de lui : «Good, really good. Je pense qu’on a quelque chose d’intéressant.» Le morceau titre de l’album est de la dynamite, les critiques le reconnaissent enfin - Grand Funk n’a plus rien à prouver, enfin, et ça prouve aussi que leurs fans avaient raison depuis le début - C’est la réparation d’une injustice. Ils entraient enfin dans le cercle de ce que le petit Billy James appelle les «superstar rock’n’roll groups of the early 70’s - avec leur private Lear jet, wild parties and groupies, cannabis maximus et même a not-too-hostile press, bien que le groupe ne fut jamais totalement accepté par les critiques.» C’est vrai qu’on trouve des petites merveilles en B, du genre «Walk Like A Man» et «Loniest Rider». Rundgren met les guitares en avant et ça donne un vrai festival de la guitarra del sol bien sonnée des cloches. Du coup, Schach passe complètement à l’arrière. Le Rider est bardé de son et du meilleur, celui de Rundgren, qui est alors au sommet de sa gloire visionnaire. Ce rider est beau, comme emblasonné, joué à la lancinance des lignes errantes. Absolue merveille productiviste, voilà un cut dont on peut s’abreuver jusqu’à plus soif. C’est joué dans la grandeur d’une latence dont seul est capable Todd Rundgren. Le son est comme suspendu au dessus des jardins suspendus de Babylone. Tout aussi bien produit, voici «Ain’t Got Nobody». C’est un peu comme si les Funkers passaient de l’âge des cavernes aux temps modernes. Farner the farmer passe des solos excellents. Encore de belles guitares dans ce heavy groove de funk qu’est «Creepin’». On sent l’influence de Rundgren dans le jeu liquide de Farner the farmer. Et puis avec «Black Liquorice», les Funkers s’en vont secouer le grand cocotier. Quelle belle cavalcade !

Rundgren accepte de produire un deuxième album avec eux. C’est l’excellent Shinin’ On. Il introduit les cuivres dans l’univers musical des Funkers et ça leur donne un Detroit Wheels sound. C’est là que se niche leur reprise de «The Loco-motion», véritable coup de génie sonique, avec la basse de Schach qui remonte à la surface du son et Farner the farmer y passe un solo killer flash d’étranglement cadencé. Rundgren joue de la guitare dans «Carry Me Through», avec un son typique de «Little Red Lights», il joue sa vieille carte fatale, celle du solo suspensif. On a un beau fondu de voix dans le morceau titre qui fait l’ouverture du bal d’A. Ce rock grouille de son, de nappes d’orgues et de shinin’ on. Tout l’album grouille de vie et de puces, on se pourlèche aussi les babines de «To Get Back In», c’est là que les cuivres entrent dans la danse, c’mon Todd ! Et puis il y a ce «Mr Pretty Boy» en B qui guette l’imprudent voyageur, c’est merveilleusement délié, une vraie sinécure, ce Pretty Boy incarne le génie du rock américain.

Comme Rundgren n’est pas libre, Farner the farmer, Schach et Donnie font appel à Jimmy Ienner pour produire All The Girls In The World Beware. Il est important de rappeler que Ienner fut le producteur des Raspberries. Et là, boom, nouvel album énorme. Dès «Runnin’», ils se placent sous l’égide du real good time rock’n’roll. C’est solidement cuivré, aussi solide que du Blood Sweat & Tears. Excellent, plein de vie et superbement produit. Tout est bien foutu sur cet album, Farner the farmer mène bien ses troupes dans «Look At Granny Run Run», il chante au feeling de niaque du Michigan, n’hésitant pas à vriller certaines syllabes pour amener du relief. C’est en B qu’ils stockent la viande, tiens, comme ce morceau titre qui évoque un fantastique déploiement d’énergie. Ça grouille encore une fois de tout ce qu’on peut imaginer. Craig Frost noie tout ça d’orgue. Les Funkers jouent vite et bien et nous plongent dans un véritable bain de jouvence. Ils tapent plus loin «Good & Evil» au heavy groove des seventies et comme Farner the farmer est en verve, il nous plonge dans des abysses. Nouveau coup de génie avec «Bad Time». Back to the good time music des jours heureux. C’est une vraie bénédiction. On y sent l’influence de Rundgren, ils frisent l’«I Saw The Light» de Something/Anything. Extraordinaire bouquet de good vibes ! C’est l’un des plus beaux hommages jamais rendus à Todd Rundgren. Ils terminent avec une flamboyante reprise de «Some Kind Of Wonderful». Du coup, les voilà devenus rois de la cover fatale. The Michigan Cover kings !

Comme leur notoriété atteint son sommet, ils en profitent pour sortir un deuxième album live, Caught In The Act. On y retrouve tous les classiques du Funk et ce qui fait leur spécificité, le big beat de foot stomping («Foot Stomping Music») et les belles giclées de Michigan power qui illustrèrent si bien les seventies. Ce démon de Schach ronfle bien dans le son («Rock & Roll Soul»). Comme de vieux monarques, ils jouent en permanence la carte du pouvoir absolu : la poigne d’acier dans un Michigan de velours. Leur «Closer To Home» est si savamment orchestré qu’on finit par se faire avoir. Ils alignent de belles reprises, «Some Kind Of Wonderful» et «The Loco-Motion» et se tapent une belle échappée belle avec «Shinin’ On». Le shuffle d’orgue leur va comme un gant (de velours). Farner the Farmer est parfaitement à l’aise dans le son, il faut le voir tortiller son long cours dans «The Railroad». Ils finissent avec leur deux plus grosses énormités, «Inside Looking Out» et «Gimme Shleter». L’inside des Funkers est assez démoniaque, avec ce redémarrage à contre-courant, à coups de Yes I feel alrite.

Malgré les quatre cercueils présentés sur la pochette, Born To Die est un album plein de vie. Farner the farmer gère toujours son business au mieux, comme le montre le morceau titre d’ouverture de bal d’A. On sent l’influence de Rundgren dans le fond de ce rock étrange en qui tout est comme en un ange aussi subtil qu’harmonieux. L’indicible règne dans l’ombre des cercueils. Farner the farmer frappe un grand coup avec «Sally». Il ne baisse jamais les bras. Il reste ce rocker pur et dur du Michigan qu’on admire depuis le début. Excellente Sally, Farner the farmer la travaille au yeah yeah yeah, au solo d’harmo, sur un beat de good time music de rêve. C’est un bonheur pour l’œil que de voir ces mecs grimpés au sommet de leur art. On trouve encore du bon big beat en B avec «Take Me». Ils savent torcher un album, on peut leur faire confiance. Ils font du gros menu fretin de Funk avec «Politician» et soudain tout s’éclaire avec «Good Things». Farner the farmer l’allume à coups de guitare électrique. Ce mec a le rock dans le sang. Il sait driver un heavy rock à fière allure. Avec le temps, il a appris à balancer ses mesures et maîtrise le good timing à la perfection. C’est excellent, vraiment excellent.

C’est Frank Zappa qui produit Good Singin’ Good Playin’. Quand Andy Cavaliere prend contact avec lui, Zappa lui demande ce qu’il espère. Cavaliere lui demande de faire en sorte que le son du groupe soit très spontané. Alors Zappa dit okay, je veillerai à la spontanéité. Ils enregistrent l’album au Swamp de Farner the farmer. Zappa s’entend bien avec les trois cocos : «J’ai vraiment apprécié ce job de producteur, car je suis devenu pote avec les mecs du groupe, ce qui n’est pas toujours le cas quand je travaille avec d’autres gens. Ils ont un très bon sens de l’humour. C’est rare dans le rock de tomber sur des gens aussi sympathiques. Dans ce milieu, les gens sont généralement assez pénibles. Ils se prennent le plus souvent au sérieux et je ne cherche pas à socialiser avec eux car ils ne présentent aucun intérêt. Ils n’évoluent pas. Ils sont dans leur stardom et sont complètement fucked up. Mais les Grand Funk pètent et s’envoient des boulettes au lance-pierre, c’est le genre de personnes auxquelles je peux m’identifier. L’autre truc qui nous rapproche, ce sont les articles insultants dans la presse. J’en ai eu autant qu’eux, alors je suis de leur côté.» Zappa explique aussi comment il a travaillé : «Tout ce que je me suis contenté de faire, c’est de les enregistrer. Ce sont leurs notes, c’est leur musique. Je me suis contenté de mettre ça sur bande. C’est le premier album de Grand Funk qui sonne vraiment comme Grand Funk. Les précédents albums ont été produits dans un mouchoir de poche. Si cet album ne rétablit pas la vérité de Grand Funk auprès du public, ça veut dire qu’il ne reste plus aucune oreille potable en Amérique. C’est le rock’n’roll album of the year, my friends.» Il a raison, l’animal. Selon le petit Billy James, c’est certainement le meilleur Grand Funk album. C’est vrai qu’on s’y cogne dans les merveilles, d’autant que Zappa met la batterie au devant du mix, avec un son bien sourd. On retrouve donc le côté épais du Grand Funk avec la légèreté de la pop supérieure. Mélange très intéressant, comme le montre si bien «Just Couldn’t Wait». Et le festin se poursuit avec «Can You Do It». Farner the farmer et ses copains ont du répondant. Voilà encore un cut bien soulevé des chœurs et sourd comme un pot, avec un petit côté Remake It/Remodel. Sur chaque album du Grand Funk se trouve un cut qui accroche particulièrement et c’est ici le cas avec «Pass Around». Farner the farmer y passe un solo glouglou qui restera un modèle du genre. Derrière lui, ça joue au heavy beat et Farner the farmer amène du développement, il reste à l’affût du big beat avec une présence incroyable. Et ça continue avec «Miss My Baby», un joli balladif de fin d’A - I miss my baby/ I think I’m going crazy - Farner the farmer pousse des ouh ouh comme Lennon le fait dans «Cold Turkey». Ils attaquent leur belle B avec «Out To Get You», un instro épique bien bardé de barda. Farner the farmer le charge au solo liquide, mais il semble que ce soit Zappa qui coule un bronze au Michigan. On tombe plus loin en arrêt devant «Crossfire», un groove d’anticipation subalterne très bien foutu. Zappa a bien pigé les dynamiques du Grand Funk. Ils montent ensuite leur «1976» sur la mélodie chant de «Gimme Shelter», avec la même insistance et le même développé de coin du bois, mais qui leur en fera le reproche ? Pas nous, en tous les cas.

En 1976, Grand Funk est burned out, nous dit Donnie. Le groupe se sépare. Donnie, Schach et Craig Frost montent Flint. Leur album Flint sort en 1978. C’est la première fois que Schach joue de la guitare. Ils ne sont pas jolis sur la pochette, avec leurs grosses afros de cromagnons et tous ces poils sur la poitrine. Ils démarrent avec un remake de «Back In My Arms Again», un hit signé Holland/Dozier/Holland. C’est bien foutu, bien lesté de plomb du Michigan et de big guitars. Oh pour ça on peut leur faire confiance. C’est Donnie qui chante. L’autre belle reprise est celle de «For Your Love» avec Todd Rundgren on guitar ! C’est traité très 10 CC, on retrouve les accents pop de Gouldman. Todd joue aussi sur «Too Soon To Tell» et bien sûr il fait des merveilles. On se régale aussi du power des chœurs féminins sur «You Got It All Wrong». Les filles derrière sont fabuleuses. C’est cuivré de frais et bien monté côté beat. Todd revient en B allumer la gueule de «Keep Me Warm». Belle Soul pop, chœurs de rêve, elles s’appellent White Lightning et sonnent très Motown, très veloutées et très chaudes, très scéniques. «Better You Than Me» sonne comme une bonne aubaine. Zappa on guitar, cette fois. Il sait rentrer dans le lard d’un cut et faire l’infectueux. Il coule se source, littéralement. Il envenime le cut assez fiévreusement. Donc au final, on a pas mal de viande sur cet album. Ça continue avec «Rainbow», une belle pop de Soul cuivrée à la volée, avec du beau monde derrière. Son de rêve. C’est tout de même incroyable que ce groupe n’ait pas marché. Zappa revient jouer dans «You’ll Never Be The Same». Toutes ses parties de guitare sont spectaculaires et juteuses. Il se fond dans le mood de Flint avec une gourmandise bien affichée. C’est même une grosse compo, de type groove urbain et orbi, sevré à la folie musicologique. C’est d’un niveau extrêmement élevé. Mais comme CBS traverse une crise, le groupe est viré. Le second Flint ne verra jamais le jour.

De son côté, Farner the farmer entame une carrière solo et débarque sur Atlantic en 1977. Son premier album s’appelle tout bêtement Mark Farner. On le voit à cheval sur un poney apache. Il adore cette imagerie. Il monte sans selle, bien sûr. Il a du beau monde derrière lui : Bob Babbit on bass et, sur un cut ou deux, Dick Wagner on guitar. Ce démon de Farner the farmer chante vraiment bien, comme le montre une fois de plus «Dear Miss Lucy». Il n’a décidément besoin de personne en Harley Davidson. Il manque de se vautrer avec ce «Social Disaster» qui frise le rock symphonique à la mormoille. Il boucle son bal d’A avec «He Let Me Love», un balladif bien vivace, chanté à grands renforts de glotte alerte et territoriale. Il adore chanter torse nu depuis le haut du promontoire. Mais en même temps, il n’est plus vraiment dans le son de Grand Funk. C’est autre chose. «You And Me Baby» montre qu’il sait rester entreprenant. C’est le principal. Il propose plus loin un «Lady Luck» assez musclé. Il adore les muscles. Au fond, il est bien ce petit Farner, il continue de faire des trucs dans son coin. Il boucle son bouclard avec un «Ban The Man» dégoulinant de heavy boogie. C’est du rock d’Atlantic.

L’année suivante, il enregistre un deuxième album solo, No Frills. Belle pochette, on le voit assis dans un avion à côté d’un big businessman qui déjeune. En gros, Farner the farmer reste dans le même son, il joue toutes ses cartes, mais les cuts de l’A refusent d’obtempérer. Rien à faire. Il s’en sort en B en retapant dans les Animals avec une cover de «We Gotta Get Out Of This Place». Rien de tel qu’un vieux stomp de Newcastle pour remettre les pendules à l’heure. Il renoue enfin avec le big beat du Michigan dans «Greed Of Man». C’est là qu’il fait la différence, en joignant le power riffing au chant de chat perché. Judicieux mélange.

Farner the farmer et Donnie décident de remonter le groupe en 1981, mais Schach refuse, prétextant une phobie de l’avion. En fait il ne voulait plus avoir affaire au cirque habituel du management et des publicistes - I gave them my apologies. I helped them write both albums - Bon tant pis, ils prennent un nommé Dennis Bellinger pour remplacer Schach à la basse et enregistrent Grand Funk Lives. Ça barde dès l’ouverture de bal d’A avec «He Sent Me You» : stomp du Michigan + chat perché + belle prod de Jimmy Iovine, c’est une espèce de formule gagnante. On se régale du gratté de guitare. Andy Newmark bat le beurre, c’est beautiful et bien senti. L’autre hit de l’album est la reprise de «Just One Look» en B. Farner the farmer la dote de tout le power du Michigan et ça devient génial. Muscler les vieux hits des sixties, c’est vraiment sa spécialité. Il tape aussi une reprise de «When A Man Loves A Woman» et nous régale d’un très bon «Crystal Eyes» joué bien heavy. Réflexe d’acier.

Dernier spasme du très grand Funk en 1983 avec What’s Funk. Malgré sa pochette putassière, c’est un bon album. Farner the farmer n’a jamais pris les gens pour des cons. Il propose une belle cover de Martha & The Vandellas, «Nowhere To Run». On sent que Farner the farmer est de plus en plus à l’aise sur sa guitare et au micro. Mine de rien, il est en train de devenir un vrai pro. Il faut l’entendre taper «It’s A Man’s World» de James Brown en B. Il est gonflé. En fait, il l’adapte à son registre. Il l’apprivoise, en quelque sorte. Il en fait du Farner the farmer. Il chante aussi le freedom d’«El Salvador» à la cocote lourde, sur le riffing de «Satisfaction». C’est plein de bons échos, y compris ceux du «Freedom» de Jimi Hendrix. Il se replace sous l’égide de la good time music pour «I’m So True». Ça lui va comme un gant. On entend là-dedans des échos de Brian Wislon, c’est dire si c’est bon ! Il finit avec une belle giclée de heavy rock, «Life In Outer Space». Il sait tartiner, il n’a plus rien à prouver. C’est extrêmement bien foutu, car chanté à l’étalée constituante.

Le mot de la fin revient à Donnie le fidèle batteur : «Nous n’étions que des gamins de Flint, Michigan. En deux ans, de 1969 à 1971, on est passé du stade de petit garage band à celui d’un groupe qui remplit le Shea Stadium plus vite que les Beatles. Nous n’avions que 21 ans. C’était comme dans un rêve.» Et Schach ajoute : «Ce fut un tourbillon. Tout est arrivé très vite et on avait du mal à tenir la pression. Tout ce qu’on pouvait faire c’était s’accrocher pour tenir ce train d’enfer.»

Signé : Cazengler, petit funk

Grand Funk Railroad. On Time. Capitol 1969

Grand Funk Railroad. Grand Funk. Capitol 1969

Grand Funk Railroad. Live Album. Capitol 1970

Grand Funk Railroad. Closer To Home. Capitol 1970

Grand Funk Railroad. Survival. Capitol 1971

Grand Funk Railroad. E Pluribus Funk. Capitol 1971

Grand Funk Railroad. Phoenix. Capitol 1973

Grand Funk Railroad. We’re An American Band. Capitol 1974

Grand Funk Railroad. Shinin’ On. Capitol 1974

Grand Funk Railroad. All The Girls In The World Beware. Capitol 1974

Grand Funk Railroad. Caught In The Act. Capitol Recors 1975

Grand Funk Railroad. Good Singin’ Good Playin’. Capitol 1975

Grand Funk Railroad. Born To Die. Capitol 1976

Grand Funk Railroad. Grand Funk Lives. Full Moon 1981

Grand Funk Railroad. What’s Funk. Full Moon 1983

Flint. Flint. Columbia 1978

Mark Farner. Mark Farner. Atlantic 1977

Mark Farner Band. No Frills. Atlantic 1978

Billy James. An American Band. The Story Of Grand Funk Railroad. SAF Publishing ltd 1999

 

THE SECOND

STEPPENWOLF

( Dunhill, ABC Records / 1968 )

 

Du mal avec cette pochette, d'après moi pas la meilleure réalisation de Gary Burden qui semble s'essayer avec maladresse au symbole psychédédic, pas de quoi faire exploser les engrammes dans votre boîte crâniennes. S'il était cuisinier, je ne le lui refilerais pas une étoile.

John Kay : lead vocal, harmonica rhythm guitar / Michael Monarch : lead guitar / Goldy McJohn : piano, organ / Rushton Moreve ; bass / Jerry Edmonton : drums.

Faster than the speed of life : pas d'erreur c'est Jerry Edmonton qui se charge du vocal, le morceau est de Mars Bonfire aka Dennis Edmonton qui recycle un peu l'idée de base de son Born to be wild, mais apparemment dans l'imaginaire populaire il est plus sauvage de chevaucher un cheval d'acier que le corps d'un être féminin, bref l'ensemble semble un peu léger, s'en détachent les deux longs hennissements pianistiques de Goldy et surtout cette frappe bondissante de Jerry qui a déjà sauvé beaucoup de titres des Sparrow, avec ce grille-pain l'on est plus près du Moineau que du premier album du Loup. Tighen up your wig : l'ambiance change de tout au tout avec ce titre de Kay qui prend les commandes, l'est manifeste que l'on quitte le psyché pour le proto-hard, le son est raffermi, ramassé, tassé un vieux fond de blues qui ne veut pas mourir et que l'on revigore à l'aide d'un moonshine survitaminé. None of your doing : morceau écrit par Kay avec Gabriel Mekler, producteur des quatre premiers albums du groupe, un des protagonistes essentiels de Steppenwolf, c'est lui qui proposera de donner ce nom au groupe à Kay qui hésitera avant d'accepter, n'ayant pas lu le bouquin, c'est encore lui qui aura eu une influence déterminante sur l'écriture de Born to be wild, notamment de l'expression heavy metal, ironie de la vie il décèdera à 34 ans en 1977 d'un accident de moto, et comme le monde est petit, c'est lui qui fonda les labels Vulture Records et King Lizard Records sur lesquels enregistra Nolan Porter de qui le groupe français de Northern Soul, Soul Time vient de reprendre If I only could be sure, ce que nous présentions dans notre numéro 488 du 10 / 12 / 2020, et comme il est des hasards étranges dans la même livraison nous nous intéressions à une évocation par Marie Desjardins de Janis Joplin, dont Gabriel Mekler produisit en 1969 l'album I got dem ol' kozmic blues again, mama sur lequel on retrouve parmi les musiciens Michael Monarch, Jerry Edmonton, Goldy McJohn, plus au clavier Gabriel Mekler himself qui cosigne avec Janis le titre Kozmic Blues... et qui driva aussi les enregistrements pour Three Dogg Night et Etta James... Dans la série j'ai beaucoup vécu, Kay prend sa voix la plus sympathique, Goldy se sert de son orgue à la manière des prestidigitateurs de fêtes foraines qui jouent du xylophone sans le toucher pour appâter le public et le pousser à entrer admirer le monstre dans la baraque fermée. C'est un loup sauvage qui passe par trois fois son museau par un trou de la toile, si vous voulez le voir et surtout l'entendre, faites la queue ( leu leu ) comme tout le monde. Spiritual fantasy : la suite de la chansonnette précédente, mais le décor a changé, Kay vous la chantonne doucement mais c'est pour mieux vous enjoindre de vous méfier, des beaux discours et des belles chansons. Le violon doucereux est là pour vous endormir. La fantaisie est beaucoup plus politique que spirituelle. Une veine parallèle au Strange Days des Doors, mais Morrison vous entrouvre davantage la porte de corne et d'ivoire de la poésie. Don't step on the grass, Sam ! : l'on entre dans le vif du sujet, tout est politique même l'herbe sur laquelle on marche et que l'on fume, rythme hypnotique, la fumée dans les yeux un serpent me regarde, magie noire du Loup, Jerry et John se soutiennent au vocal, à deux l'on est plus persuasifs, longtemps que je n'avais écouté ce morceau, et il est encore plus puissant que dans mes souvenirs, commence à poindre l'idée que ce disque est monté comme une parade de bateleurs qui vous refilent le rêve frelaté dont vous avez toujours rêvé... 28 : un orgue entraînant, une mélodie pimpante, un pas en avant dans la comédie du monde, l'on finit la face A, dans la vie l'important c'est de ne pas perdre la face, la soupe à la grimace vous réchauffe tout de même le ventre. Le loup est noir, mais le monde est d'un gris sale. Magic carpet ride : un des morceaux les plus connus du Loup, ça commence par un bruit de pales d'hélicoptère... mais l'apocalypse n'est pas pour maintenant, laissez-vous glisser sur le tapis de l'orgue, vous entraîne au loin, surtout n'ouvrez pas les yeux, vous ne savez pas ce que vous pourriez voir. Musique inquiétante. Plus près de l'early Pusher que des mille et une nuits d'amour. Disapointment number ( unknown ) : blues primal, Kay crie sur le quai de la vie que ce n'est pas OK, plus on avance dans ce disque, moins on rigole, la musique vous pousse au cul et vous ne pouvez plus reculer. Devant c'est l'abîme, derrière c'est le précipice, Monarch merveilleux à la guitare, quintessence du blues, plus rien à perdre ni à gagner. Lost and found by trial and error : on efface tout et on recommence, plus enjouée, plus optimiste, Monarch qui rigole ses accords à la guitare, suffit d'un trois fois rien pour dissiper le malheur, parfois le hasard fait bien les choses. Hodge, podge, strained, through a leslie : la suite de l'historiette, ou plutôt le tronçon qui s'adapte à la brutale coupure du précédent, une rythmique un peu jazzy-funk, le loup folâtre gambade à pleines pattes, le petit chaperon rouge s'avance vers lui pour entrer dans la danse. Monarch en profite pour piquer les hannetons avec sa guitare. Resurrection : tout va mieux, le Loup secoue gentiment le panier à salade, l'on sent que ce soir le porte monnaie du blues sera ouvert en grand et que chacun pourra y puiser à pleines mains. Liesse générale. Rythme précipité. Reflections : berceuse pour s'éveiller, soleil, aube, tout va bien.

La face 2 est pratiquement un mini-opéra – fille et solitude - à elle toute seule. Etrange disque en même temps très disparate et très unitaire. L'on s'attend à un déluge de feu, seules quelques balles de tireurs d'élite sifflent à vos oreilles, mais elles font toutes mouche. Le comble pour un Loup ! 1968 est une année de grand bouillonnement pour le rock'n'roll, il était difficile à l'époque de savoir, non pas où il allait, mais comment il y allait. Suffisait de se laisser porter sur son escalator volant. Ce second disque de Steppenwolf n'a pas laissé un grand souvenir dans la mémoire morte des générations, mais son écoute s'avère passionnante.

Damie Chad.

 

XIV

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

 

63

Je ne vous décris pas la mine du Chef et du Cat Zengler, lorsque nous nous transportâmes devant la voiture stationnée au bas de l'appartement du Zengler Man :

    • Agent Chad parfois j'ai du mal à comprendre, vous arrivez avec une superbe jeune fille – Noémie se rengorgea ( c'est vrai qu'elle avait une très belle gorge ) – et au lieu de la faire asseoir à vos côtés, vous donnez cette place à un macchabée de vieille grand-mère toute dégoulinante de sang !

    • Invraisemblable surenchérit le Cat Zengler, il l'a donc faite asseoir derrière à côté d'un chiot qui n'arrête pas de vomir son repas, d'après ce que j'en juge, le sacrispant avait au moins avalé deux mètres de saucisse de Strasbourg !

    • Cher Cat, désolé de te contredire mais les vomissures de Molissito n'ont rien à voir avec la charcuterie alsacienne, cette bidoche c'est du cent pour cent normand !

    • Cher Chad, je ne voudrais pas te contredire, mais cela n'a rien à voir avec l'andouillette à la rouennaise !

    • Totalement d'accord avec toi my Cat, ce sont des doigts humains !

Cette dernière déclaration jeta un léger froid, sans s'émouvoir outre mesure le Chef prit les opérations en main :

    • Procédons avec ordre et méthode, d'abord fourrons la mamy sanglante à l'abri dans le congélateur de Zengler, une fois cette opération terminée, j'aimerais bien m'asseoir au calme pour fumer un Coronado et écouter le rapport de l'agent Chad !

64

J'épargnerai aux lecteurs ma semaine de recherches infructueuses tout comme je ne me suis guère étendu sur les heures passées sous les branches du pommier avec Noémie...

    • Molossa avait trouvé une piste, nous la suivîmes, elle se dirigeait tout droit vers le cimetière au milieu duquel s'élève l'Eglise de Triffouilly-les-Vikings. Dès que nous eûmes passé la grille Molossa fila tout droit sur l'allée de gauche, c'est alors que nous entendîmes des bruits bizarres, nous débouchâmes en plein festin, une vingtaine de chiens s'affairaient autour de tombes toutes fraîches qu'il avaient ouvertes, certains grattaient encore la terre mais la majeure partie était fort occupée autour de trois cadavres qu'ils déchiraient à belles dents de fort bon appétit. Au milieu d'eux je récupérai Molossito qui s'attaquait comme un grand aux cinq doigts d'une main inerte. Il devait être repu, car il nous suivit dans rechigner à l'autre bout du cimetière où la truffe au sol Molossa nous guida.

    • Attendez que j'allume un deuxième Coronado intima le Chef, je sens que nous sommes sur une bonne piste, continuez agent Chad ! Nous sommes tout ouïe, votre entrée en matière nous a mis l'eau à la bouche !

65

    • Vous souvenez-vous Chef, des aventures d'Arthur Crescendo tournées par Vince Rogers ?

    • Inoubliable certes, s'exclama le Chef, ah ce combat dans les sous-sols morbides de ce bâtiment désaffecté contre les réplicants, ces petits cris indistincts et terriblement inquiétants qu'ils poussent, je passe toujours cette séquence lorsque ma belle-fille emmène sa marmaille à la maison, filent tout droit se cacher sous les couvertures et il n'y en a pas un qui moufte avant le lendemain midi ! Nettement plus efficace que la pédagogie Montessori !

    • Exactement les mêmes cris se faisaient entendre dans la nuit noire du cimetière, nous nous sommes approchés à pas de loup et tapis derrière une tombe nous les avons vus ! Ils étaient quatre en train de creuser fosse, en retrait il y en avait un qui donnait des ordres, devait être un réplicant de la dernière génération, un évolué, parlait aussi distinctement que vous ou moi !

    • Diable, si les Cramps avaient pu assister à une telle scène, quel merveilleux album de rock'n'roll en auraient-ils tiré se lamenta le Cat Zengler

    • Ah, my cat, n'oublie pas non plus, le grand Screamin' Jay Hauwkins ! L'aurait pris la même voix glaciale que le cinquième réplicant '' Vous deux allez chercher la vioque, qu'on la foute au fond du trou, personne ne pensera à venir la chercher ici ! Et les deux autres aplanissez le fond proprement'' C'est à ce moment que Molossito a poussé un rot monstrueux, un véritable meuglement de vache à l'heure de la traite. Nous ont repérés tout de suite, se sont rués sur nous pioches levées. J'ai dégainé et fait feu. Cinq coups entre les deux yeux. Ne restait plus qu'à les jeter dans le trou et à les recouvrir de terre. Nous avons récupéré la cadavre de la Mamy et avons filé pour être à l'heure au rapport. Mission accomplie Chef.

66

Le Chef semblait aux anges, il souriait, mais lorsque Noémie dégrafa son corsage pour en retirer une enveloppe rose, il exulta :

    • Vite que je prenne un nouveau Coronado, cette écriture à l'encre violette me laisse subodorer que vous avez récupéré un ultime message de la Mamy, je m'attends à des révélations extraordinaires, ouvrez vite ce courrier, chère Noémie, le temps presse, refoulez votre émotion, la survie du rock'n'roll est en jeu.

    • Je l'ai récupéré dans la l'horloge de Mamy, elle adorait ce meuble, et j'ai pensé que...

    • Arrêtez de penser, chère enfant, lisez !

67

'' Ma chère Noémie, tu as de toujours été ma petite-fille préférée, une enfant douce et sensible et tu as compris que je gardais un terrible secret au fond du cœur, le voici je te le livre : mon grand-frère Christophe et moi étions amants, nous nous voyions souvent la nuit, je le rejoignais et nous passions des heures de bonheur dans sa Panhard vert pistache... J'étais dans la voiture lorsqu'elle s'est écrasée, un peu de ma faute, je l'ai embrassé un peu fougueusement et il a perdu le contrôle du véhicule... J'en suis sortie miraculeusement indemne, personne ne l'a jamais su... Plus tard je me suis mariée avec ton grand-père que tu as connu, c'était un homme gentil, mais jamais je n'ai oublié Christophe, mon grand amour... J'aimerais être enterrée à ses côtés, c'est-là ma dernière volonté. ''

P. S. : pour la petite histoire et pour te faire sourire, le lendemain de l'accident un journaliste d la Normandie-libre, qui tenait la rubrique des chiens écrasés, est venu à la maison, histoire de glaner un peu de copie, j'y ai raconté n'importe quoi, que Christophe revenait de voir un concert d'un groupe de rock, L'homme à deux mains, le premier nom idiot qui m'est passé dans la tête. Ce n'était pas vrai, mais plus tard mes parents ont trouvé dans les affaires de Christophe des lettres passionnées et sans équivoque que nous nous adressions. Pour que rien ne transpire, aux voisins qui avaient lu la Normandie-libre et qui s'interrogeaient sur ce groupe de rock local inconnu, au fil des mois ils ont raconté qu'ils avaient entendu dire qu'ils étaient tous morts... Depuis tout le monde a oublié, mais si cette histoire parvient à tes oreilles, n'y prête aucune attention.

Ma chérie, je t'embrasse, ta Mamy qui t'aime.

68

Il y eut un moment d'émotion, le Chef en profita pour allumer un Coronado. Son œil pétillait de joie, c'est avec entrain qu'il édicta ses ordres :

    • Enfin tout s'éclaire, procédons avec méthode, Zengler et Noémie, vous restez ici, débrouillez-vous pour enterrer Mamy à côté de son frère, quelques coups de pioche cette nuit et l'affaire sera vite réglée. Agent Chad, faites prendre un vomitif à Molissito et une fois qu'il sera rétabli, on file à Paris à tout berzingue dans la panhard pistache !

    • Chef, elle ne marche pas très bien, cette panne devant l'église, nous sommes revenus sans jamais dépasser la seconde !

    • Agent Chad vous n'avez donc rien compris ! Je parie un Coronado tout neuf que si vous enlevez le chiffon que les Réplicants ont fourré dans le pot d'échappement, elle filochera comme jamais !

Evidemment il avait raison !

( A suivre... )

 

16/12/2020

KR'TNT ! 489 : HUMBLE PIE / HONEY CONE / ROCKABILLY GENERATION 16 / STEPPENWOLF / SOUL TIME / ROCKAMBOLESQUES XII

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 489

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

17 / 12 / 2020

 

HUMBLE PIE / HONEY CONE

ROCKABILLY GENERATION N° 16 /  STEPPENWOLF  

SOUL TIME / ROCKAMBOLESQUES XII

TEXTES + PHOTOS SUR  : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Humble Pie, c’est pas de la tarte

 

En quittant les Small Faces, Steve Marriott n’avait qu’une seule idée en tête : en finir avec la pop pour sonner plus rock. Il voulait ce heavier sound qu’on voit se dessiner dans «Rolling Over», l’imparable B-side de «Lazy Sunday». Il recrute les trois autres Pie un par un, Frampton parce qu’ils ont joué ensemble dans le backing band de Johnny Halliday, Shirley parce qu’il l’a vu jouer dans Apostolic Intervention et Greg Ridley parce qu’il est à ses yeux le meilleur bassman d’Angleterre. Il reprend tout à zéro et installe Humble Pie à la campagne, à Magdalen Laver, tout près de son cottage de Moreton dans l’Essex. Comme ils n’ont pas encore de compos, ils jamment sur «Walked On Gilded Splinters» de Dr John et sur «We Can Talk» du Band. Jerry Shirley est très fier de jouer dans ce groupe, car dit-il dans son book, Steve a toujours été mon idole - He’d been my idol growing up.

Quand Andrew Loog Oldham les signe en 1969, il fonde sur eux les plus grands espoirs - I thought they’d give me back the life I’d had with the Rolling Stones. That feeling of being alive - Et ça démarre en trombe avec l’excellent «Natural Born Boogie».

Bon les articles de presse, c’est bien gentil, mais ça reste du papillonnage, même quand il s’agit d’Uncut. Un article ne permet pas vraiment d’entrer dans l’histoire d’un groupe, on reste en surface, avec quelques faits sommairement relatés. Pour espérer trouver un peu de cette dimension humaine qui fait la vraie histoire des groupes, rien ne vaut un récit autobiographique. Encore faut-il qu’il soit bien écrit. Quand en 2011 Jerry Shirley a publié ses mémoires sous le titre Best Seat In The House, les fans d’Humble Pie se sont jetés dessus. Il raconte l’histoire d’Humble Pie de l’intérieur, mais il fait vite apparaître une fâcheuse tendance à se mettre un peu trop en avant. Il n’arrête pas de répéter chapitre après chapitre qu’il est mineur quand il démarre sa carrière de rock star et qu’il n’a que 23 ans quand Humble Pie splitte. Le problème est qu’on espère essentiellement trouver du Marriott. Hélas, Shirley s’intéresse principalement à lui, à sa batterie, à sa famille, à son mariage, à sa maison, à sa comptabilité, à son rôle de médiateur au sein du groupe. Il parle très peu de Greg Ridley et encore moins de Clem Clemson. Quant aux albums, il donne des infos qui n’en sont pas. Ce pensum a la gueule d’un gros chou blanc. On en sort légèrement excédé. D’autant que Shirley ose démolir Stevie Marriott en mettant tout sur le dos de la coke. Il raisonne comme une bonne sœur.

Une fois calmé, on revient sur les bons passages. Pour Shirley, les trois acteurs clés de l’histoire d’Humble Pie sont Stevie Marriott, Andrew Loog Oldham et Dee Anthony, leur manager américain. Au début, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, surtout Stevie. Shirley nous décrit un Stevie obsédé par le travail en studio, à Olympic No. 2, work work work - with abundant amounts of liquid methedrine - Shirley n’est pas le genre de mec avec lequel on peut partager sa dope, car il a une tendance à balancer. D’ailleurs, il le dit lui même : lors d’une tournée sur la côte Ouest, il va trouver les flics pour dénoncer un Américain qui élève une petite panthère en lousdé. En fait c’est ça qui le grille : Shirley est une balance.

Dans ses premiers chapitres, il redit le rôle considérable qu’ont joué les Small Faces en leur temps - Everybody loved the Small Faces - Et il ajoute que ceux qui disaient le contraire les aimaient secrètement. Selon Shirley, un album comme Ogdens’ n’a jamais été égalé. Un autre album du même niveau ? I’m still waiting to hear it. Il se souvient aussi de la première fois où il rencontra Stevie, au temps des Small Faces. Il portait un costume conçu par Dougie Millings, le tailleur qui habillait les Beatles : veston pied de poule noir et blanc, gilet à double rangée de boutons, pantalon noir en silk-mohair et pompes blanches. Quand Stevie reçoit ses amis chez lui, il propose de l’herbe ou de la méthédrine. On est alors à l’apogée du mouvement des Mods anglais. Les Small Faces et les Who en sont les figures de proue.

C’est un coup de fil de Stevie qui va bouleverser la vie du petit Shirley : «Ello mate, it’s Steve.» Marriott l’appelle pour l’embaucher dans Humble Pie, en complément de Peter Frampton et de Greg Ridley. Shirley commence à fréquenter Stevie quotidiennement et le trouve très intense, peut-être même un peu trop. Stevie est épuisant. Il n’arrête jamais. Trop d’énergie. Overwhelming. Shirley découvre autre chose : en studio, Stevie enregistre en une seule prise. Il est connu pour ça. One take ! Il faut savoir que Stevie Marriott est un enfant de la balle. Il fait de la scène depuis l’âge de 11 ans, il sort de l’Italia Conti Academy’s drama school et a joué avec des gens comme Peter Sellers, Laurence Olivier et John Gieguld. Alors, il ne faut pas lui raconter d’histoires. Stevie est une bête de scène et il lui faudra les stades américains pour donner sa vraie mesure. Ce petit bout de cockney va tenir des dizaines de milliers de personne en haleine avec sa bravado et son immense talent de shooter - His masterful ability to read a crowd and grab their attention was second to none - Shirley en fait quand même le plus grand performer de son temps. Stevie est un mec entier. Il fonce et réfléchit après. Fuck it and think about it second, ou mieux encore, don’t think about it at all. Consequences, what consequences? Fuck consequences. C’est le portait d’un vrai punk. Stevie provoque même les flics de Miami sur scène. On lui interdit de prononcer la moindre grossièreté et la première chose qu’il fait en arrivant sur scène est de gueuler : «Goddam motherfuckin’ rock’n’roll !» Pour échapper aux flics venus l’arrêter, il sort en douce avec son road-manager et éclate de rire dans la bagnole qui l’emmène à l’aéroport. Don’t fuck with Stevie Marriott. Bob Tench salue quant à lui l’admirable capacité qu’a Stevie à brûler la chandelle par les deux bouts. Et même par le milieu, ajoute-t-il. C’est ce que ne comprend pas ce pauvre Shirley qui se permet de dire à un moment : «Par ses effets sur une personnalité, la coke peut faire monter le pire comme le meilleur. Dans le cas de Steve, elle a fait monter le pire. Il est devenu quelqu’un d’autre.» Et voilà comment on condamne les gens. C’est là où Shirley entre dans son délire Doctor Jekyll & Mister Hyde : Stevie devient Melvin, the pain-in-the-arse alter ego, le catcheur fou qui saccage les chambres d’hôtel, épaulé par son bras droit Greg Ridley. Shirley n’aime pas qu’on saccage les chambres d’hôtel, car dit-il ça affecte la comptabilité du groupe. Il devient tellement béni oui-oui qu’on finit par se demander ce qu’il fout dans Humble Pie. Dans les altercations, Stevie ne se confronte pas, il explose, et d’ailleurs Shirley l’affronte à deux reprises. Il ose dire que si Dee Anthony ne l’avait pas retenu, il aurait massacré Stevie Marriott. Voilà où nous mènent les abus d’égotisme. On se croit permis de dire des choses qui dépassent la pensée. Shirley ose même dire que Stevie dépense trop et qu’il tape dans la caisse du groupe - severely diminishing the band’s money - Ce qu’il faut comprendre à travers tout ce déballage, c’est qu’un mec comme Stevie Marriott était trop hot, trop génialement out of it pour un mec atrocement normal comme Jerry Shirley. Ce qu’il nous raconte des excès de Stevie Marriott n’est pas méchant, au fond. Le problème est qu’il n’arrive pas à mesurer la hauteur de sa démesure. On imagine aisément que fréquenter une pile électrique comme Stevie Marriott doit être une expérience très spéciale, mais diable, c’est l’occasion ou jamais de lui rendre hommage. L’hommage est la seule chose qui compte. À travers le ton vaguement médisant de ses commentaires, Shirley ne fait que jeter la lumière sur sa propre médiocrité. On ne peut même pas lui en vouloir au fond, car la nature humaine est ainsi faite. La plupart des gens souffrent d’un étriquement de la cervelle, et de toute évidence Stevie Marriott n’en souffre pas. Il crée son monde, coke ou pas coke. Les chansons peuvent témoigner de sa grandeur, des albums comme Ogdens’ Nut Gone Flake et Smokin’ comptent parmi les fleurons du rock anglais et tout ce qu’il a enregistré avec les Blackberries vaut dix fois son pesant d’or.

Quand il ne parle pas de Stevie, Shirley propose des passages relativement agréables. Il rappelle qu’entre octobre 1966 et octobre 1967 sont sortis «Stawberry Fields Forever» et «Penny Lane», «Hey Joe» et «Purple Haze», «I Feel Free» et «Strange Brew», «I Can See For Miles» et «Good Vibrations». Il précise en outre que ce qu’expérimentaient Hendrix et les Beatles en studio n’avait jamais été fait auparavant. Il rappelle aussi qu’entre l’été 1970 et le printemps 1971, il a joué sur les deux albums solo de Syd Barrett, sur le Smash Your Head Against The Wall de John Entwistle et sur le Live In London de B.B. King. En plus des deux premiers albums d’Humble Pie sur A&M. Autre chose : la première fois qu’ils tournent aux États-Unis, les mecs d’Humble Pie mesurent l’écart qui les séparent encore des grands groupes américains, notamment Santana dont ils assurent une première partie au Fillmore East. Aux yeux de Shirley, Santana est ce qu’il a vu mieux. Ce soir-là, Santana fait sept rappels, du jamais vu pour des petits Anglais fraîchement débarqués à New York. Autre info de taille : Peter Frampton voulait Chas Chandler comme manager, mais Chandler était trop gourmand.

Le premier album d’Humble Pie sort donc sur Immediate en 1969. Il s’appelle As Safe As Yesterday Is et dépasse toutes les espérances du Cap de Bonne Espérance. On y patauge dans des énormités dignes des Small Faces, tiens comme ce «Desperation» chargé d’orgue comme une mule. Stevie Marriott fait le même son qu’avant, mais avec d’autres gens. Franchement, ce hit désespéré vaut bien «All Or Nothing». Allez, on va dire la même chose de «Safe As Yesterday». Chez eux, tout réside dans l’art de charger la barcasse de la rascasse. Marriott fabrique des horizons, il chante avec la puissance d’un enfonceur de lignes ou si tu préfères d’un polarisateur d’effets telluriques. On retrouve ce son de rêve à l’Anglaise dans «Stick Shift» et «Butter Milk Boy». Avec le «Bang» d’ouverture de B, Stevie rocks it off. Il fait du big heavy rock sur le riff de «Teenage Head». On retrouve tout ce big heavy rock mêlé au souffle putride du vieux boogie anglais dans «A Nifly Little Number Like You» et ils reviennent au rock anglais idéal avec un «What You Will» aussi ultra brillant qu’ultra chanté.

Town And Country paraît la même année. Back to the big Pie avec «The Sad Bag Of Shaky Jake», monté sur un template Small Faces et généreusement tartiné d’harmo. Stevie Marriott adore ce son là, ce heavy tempo avec une petite guitare en surface. C’est Greg Ridley qui vole le show sur un «Down Here Again» joué à la heavyness de gras double. C’est de la tarte et de la bonne. Curieusement, les beaux morceaux de l’album sont les plus paisibles, comme ce «Silver Tongue» planqué en B et qui renvoie bien sûr aux grandes heures de «Tin Soldier». C’est mélodiquement sur-développé, Stevie Marriott tartine sa Tongue du haut de sa petite glotte fébrile et rose et ça joue à la heavyness de bénédiction. Ces quatre mecs jouent la pop-rock d’Angleterre avec un certain panache. On se goinfre aussi de «Only You Can See» que Stevie Marriott chante du haut de son talent - Tell me what to think/ And I’ll fix myself.

Shirley a la chance de rencontrer Andrew Loog Oldham -He didn’t have star quality, he was star quality - Il porte un costume trois pièces en silk-mohair taillé sur mesure et encourage Humble Pie à pomper les hits des autres, mais en évitant de se faire prendre.

Comme Immediate dépose le bilan, Andrew Loog Oldham conseille à Humble Pie de signer avec A&M. Leur troisième album sobrement titré Humble Pie sort l’année suivante. A&M investit 400 000 $. Somme énorme qui équivaudrait aujourd’hui à 4 millions de dollars. Glyn Johns produit l’album et se fritte souvent avec Stevie Marriott - A cocky little fucker is what he was - C’est l’époque où Humble Pie s’offre des poids lourds du management : Dee Anthony et surtout Frank Barsalona qu’on disait affilié à la mafia. Dee met au point un plan to crack America. Il traite Humble Pie comme une équipe de foot américain et donne des coups de sifflet. L’idée est de dégager la tête d’affiche - You’re here to blow the headliner off stage ! - Et ça marche !

Bel album que ce troisième album de la Pie. Il s’ouvre sur «Live With Me», un heavy drama à la Marriott. Il tartine une fois de plus à l’outrance de la bectance et on entend ce diable de Ridley voyager dans le son. Si on aime la heavyness, on est servi. Ils nous refourguent une heavy bourre de boogie avec «One Eyed Trouser Snake Rumba» et tout le poids de la Pie retombe sur le rock anglais à coups d’I wanna know-ow. On trouve encore deux hits en B : «I’m Ready» et «Red Light Mama Red Hot». Encore du heavy shoot de Pie. Stevie Marriott emmène le son au combat, il sonne comme un vrai chef de meute, I’m ready for you, et se fait plus menaçant avec le Red Light Mama. Il y fait une moisson de born to lose et de red hot. Tout chez eux est prémédité, ils vont sur le heavily lourd et Greg Ridley en rajoute une louche avec son gras double. Ils sont parfaits dans leur rôle de Pie. Humble Pie est le gendre idéal du rock anglais.

Comme ça se passe bien chez A&M, ils font feu de tout bois avec Rock On et sa pochette à motos. Ça démarre avec l’incroyable «Shine On» et derrière un Stevie Marriott chauffé à blanc, on entend PP Arnold, Claudia Lennear et Doris Troy. On est maximum des possibilités du genre, c’est-à-dire le rock seventies. On a là des chœurs de cathédrale. «79th And Sunset» sonne comme un boogie pianoté des Small Faces. C’est l’absolue perfection. Stevie Marriott sonne irrémédiablement juste. Il est le boogie man définitif. On le voit aussi exploser «Sour Grain». Il est partout à la fois, dans la mélodie et dans le shout, dans les extrêmes et dans le soft. C’est un chanteur complet, l’égal de Rod The Mod et de Chris Farlowe. Il nous fait encore le coup de l’archétype fondamental avec «Stone Cold Ferver». Il chante cette merveille à la petite urgence de la prestance. En B, il nous sort de sa manche «The Light», un heavy balladif solidement ancré au rocher. Oui, ça sonne comme un coup de Trafalgar à Gibraltar. Tout ici est joué dans les règles de l’art. La Pie ne sort que des albums classiques de heavy rock anglais. Et voilà un «Strange Days» qui ne doit rien aux Doors. Aw my Gawd, comme ce mec chante bien ! Il remplit tout l’espace d’une chanson, surtout lorsqu’il s’agit d’un heavy balladif. Il travaille sa matière au corps avec un épouvantable feeling. Aux yeux de Jerry Shirley, Rock On est l’un de leurs meilleurs albums et les sessions d’enregistrement the most enjoyable we ever did.

Lors de son âge d’or, au temps des grandes tournées américaines, Humble Pie égalait en popularité les Stones, les Who et Led Zep. C’est en tous les cas ce que montre Performance. Rockin’ The Fillmore, un double album live qu’il faut hélas considérer comme indispensable. Stevie Marriott chante «I’m Ready» comme un prêcheur fou du XVIe siècle. La Pie nous fait le coup de l’apanage du heavy riffing. La Pie couronne le tout. La Pie joyaute la couronne. C’est absolument renversant de véracité. Ils plâtrent leurs couches de son les unes par dessus les autres, comme des gros cataplasmes organiques. Cet amoncellement de plâtras soniques finit par devenir luminescent. Et quand il annonce «Stone Cold Fever», Stevie Marriott prend son plus bel accent cokney : «It’s côlled Ston’ Kôl Fïvah !» Bien sûr, ce sont des versions longues, ce qu’on pouvait leur reprocher à l’époque. Ils jouent le riff de «Rolling Stone» pendant trente minutes et Stevie Marriott monologue, alors la foule participe. Pour le final éblouissant, il chante tout simplement par dessus les toits. C’est là qu’il fait ses preuves en tant que showman d’exception. L’autre quart d’heure de vérité est la version d’«I Don’t Need No Doctor». Ils sont excellents dans leur rôle d’allumeurs de brasiers. Ils nous torchent ça au big heavy fat sound de rêve et au chant d’arrache permanent.

Frampton quitte le groupe au moment où paraît Performance. Rockin’ The Fillmore, en 1971. Il veut aller faire a soupe. Steve Marriott se sent trahi, comme se sont sentis trahis avant lui Plonk Lane, Mac et Kenney Jones quand il les a abandonnés. En remplacement de Frampton, Humble Pie commence par envisager Peter Walsh qui vient de quitter le James Gang. Walsh décline l’offre car il lance un autre projet, Barnstorm. Puis ils sollicitent Mick Abrahams, mais Abrahams dit qu’il ne peut rien leur apporter. C’est Clem Clempson qui remplace le traître sur le bien nommé Smokin’ paru en 1972. Avec Clem, Humble Pie va sur un son encore plus heavy, comme si c’était possible. La Pie, ce n’est décidément pas de la tarte. Il s’agit sans doute là de leur meilleur album, le plus exacerbé. On entend la basse de Greg Ridley rouler sous la peau de «Hot N Nasty» et Clem Clemson rentre dans le lard du boogie dévastateur chanté au sommet de l’art. Et ça explose encore plus avec «The Fixer» joué à la cloche de bois. Clem dégouline de wah. Il devient le guitariste idéal de la Pie, beaucoup plus rock que Frampton. Ils font une version bien grasse de «C’mon Everybody». Cet album est une leçon de riffing. Stevie Marriott y fait de la Soul de rock. En B, «30 Days In The Hole» saute au pif, pas au paf. Ils frisent la Stonesy, Clem ramène du beefy Keef et Stevie Marriott chante à la volée. Il est le roi de la haute voltige de yeah-eh-eh. Shirley explique dans son livre que «Thirty Days» est basé sur une histoire réelle : une shoote entre automobilistes, Dee Anthony et un mec s’insultent et Dee frappe, fout l’autre KO et passe au tribunal où on lui annonce le tarif : ‘30 jours au trou’. On passe au Zyva Mouloud du blues de rêve avec «I Wonder». Avec la Pie, le blues peut vite devenir idéal. Stevie Marriott peut en effet chanter comme un damné. La basse de Greg Ridley gronde dans le son et Clem s’écroule dans une mare de wah ! Wow ! Ils bouclent cet épatant bouclard avec «Sweet Peace And Time», une sorte de hit définitif joué au riff vainqueur, hanté par des descentes vertigineuses et gorgé de bassmatic. Oh la mirifique élégance du riff ! Voilà où se niche le génie de la Pie : dans les fumées de Smokin’. Tout est mené au gras double sur cet album tombé du ciel.

Steve Marriott n’écoute plus les conseils de personne et produit lui-même Eat It. Trop de basse dans le mix, les cuts ne passent pas en radio. Le pauvre Steve sniff-snaff des montagnes de coke et se croit le roi du monde. Clem remarque qu’à l’époque, le management s’enrichit considérablement, mais pas le groupe. Humble Pie remplit le Madison Square Garden et les plus gros stades américains. Où sont passés les millions de dollars ? Toujours la même histoire.

Ce qui ne nous empêche pas d’écouter Eat It, un autre double live mémorable pour sa version du «Black Coffee» d’Ike & Tina. La basse de Greg Ridley est bien montée dans le mix, alors on se régale, car Ridley bombarde. Dans les chœurs, on retrouve la légendaire Venetta Fields, l’ex-Ikette. Du coup, on écoute les chœurs de «Get Down To It» attentivement. Stevie Marriott joue torse nu et nous propose une fois encore du pur jus de Soul de rock. Get down ! Il profite des chœurs de rêve pour taper un coup de gospel batch avec «Is It For Love». Idéal pour un shouter comme lui. Les filles s’en donnent à cœur joie. Et Ridley fait le show sur sa basse. Il s’en va jouer des notes suspendues en bas du manche. Stevie Marriott repend aussi l’excellent «I Believe To My Soul» de Ray Charles et Clem y fait un festival. Ils tapent aussi dans le «Shut Up & Don’t Interrupt Me» d’Edwin Starr, idéal pour un petit white niggah comme Stevie Marriott. Derrière, les filles envoient de la niaque à la pelle et un sax vient allumer la sainte-barbe à la manière de Junior Walker. Que peut-on rêver de mieux ? En D, Stevie Marriott vient chanter «Up Your Sleeve» à la pointe de la glotte, à la petite hurlette de Hurlevent. Wow, quel fuckin’ screamer ! Il est beaucoup plus perçant que Robert Plant. C’est un conquérant.

Les Blackberries jouent un rôle considérable dans le son d’Humble Pie. Autour de Venetta Fiels, on trouve Clydie King, ex-Raelette et Billie Barnum, la sœur de H.B. Barnum, chef d’orchestre d’Aretha - These girls were the very best of the very best - Stevie avait compris l’importance vitale du backing de blackettes. Cette fascination remonte au temps où avec Plonk Lane il accompagnait P.P. Arnorld.

Après une shoote entre Stevie et Shirley, l’ambiance se dégrade au sein d’Humble Pie. Stevie auditionne pour les Stones et les trois autres envisagent d’embaucher un chanteur pour le remplacer. C’est l’un des passages assez comiques du livre de Shirley. Par qui peut-on remplacer Stevie Marriott ? Bonne question ! Ils se creusent les méninges. Ils commencent par envisager Bobby Tench qui a chanté avec le Jeff Beck Group. Mais Bobby venait tout juste de rejoindre Hummingbird. De son côté, Dee Anthony suggère Billy Joel, ce qui fait bien marrer les trois autres tartes. Finalement, ils décident de continuer avec Stevie.

Paru en 1974, Thunderbox est avec Smokin’ l’autre grand classique de la Pie. Stevie Marriott plante le décor dès le morceau titre, un solide romp de Pie bien bardé de son. Ils passent au funk de Pie avec «Rally With Ali». Clem y wah-wahte et les chœurs sont si tendus qu’ils marquent les mémoires au fer rouge. En B, ils tapent «Don’t Worry Be Happy» à la tension maximale. C’est du grand art, ils tiennent bon le beat de syncope. Voilà encore un hit innervé tendu à craquer et beau comme un cœur. Stevie Marriott monte en neige la heavyness d’«Every Single Day». Entre la Pie et Slade, on a ce qui peut exister de mieux en matière de rock anglais bien chanté et bien sonné des cloches. Cette fois, c’est Clem qui se balade dans le son. Ils rendent un vaillant hommage à Chucky Chuckah avec «No Money Down» et dans «Oh La Deda», ce démon cornu de Marriott sonne comme Noddy Holder. Il nous fait le coup du boogie de la joie de vivre, l’humble boogie de la Pie avec un Marriott au sommet de son art. Les chœurs jubilent, C’mon ! C’mon ! On entend aussi Venetta Fields derrière lui dans «Groovin’ With Jesus» et il fait une très belle version du hit d’Ann Peebles, «Can’t Stand The Rain». Il y rivalise une fois encore de grandeur avec Noddy Holder. Il chante au velouté de feeling perçant. Stevie Marriott n’en démord jamais. Il peut ahaner ses syllabes et revenir allumer son brasier sans ciller.

En fait, Stevie Marriott et Greg Ridley commencent à travailler tous les deux sur leur projet, le fameux Joint Effort qui vient tout juste de paraître et qui n’était jamais sorti. Ils travaillent chez Stevie qui ne veut plus entendre parler d’Humble Pie. Pourquoi ? Parce qu’il vient de passer quatre ans on the road, soit 21 tournées américaines et qu’il n’a pas un sou en banque. Il s’est encore une fois fait plumer comme une oie blanche. Mais Dee Anthony ne veut pas lâcher la vache à lait Humble Pie et exige que le groupe reparte en tournée. Pire encore, il parvient à ‘confisquer’ les enregistrements sur lesquels Stevie et Greg travaillent et demande à Andrew Loog Oldham de mixer les cuts pour un album. C’est la raison pour laquelle on retrouve des cuts que chante Greg Ridley sur Street Rats. Stevie Marriott est écœuré par les méthodes du ‘management’. Il dit qu’on a volé ses enregistrements. Clem ajoute que tout a été bricolé dans leur dos et quand l’album est sorti, ils étaient horrifiés.

Street Rats paraît en 1975. On y trouve une fantastique reprise du «Rain» des Beatles. La perle rare, la reprise transfigurative absolue. Stevie Marriott en fait une version heavylyment belle avec des chœurs de gospel et des guitares psychédéliques. On se croirait à l’âge d’or des Small Faces. Stevie Marriott a du génie pour dix. Il fait une autre cover des Beatles qui ne marche pas avec «We Can Work It Out». Le morceau titre sonne comme de la bonne Pie, d’autant que Marriott descend dans son petit guttural de cockney. Belle ambiance délétère en osmose avec la photo du dos de pochette, où pérore une Pie des bas fonds avec au premier plan un Marriott en forme de petite frappe sicilienne. Ils tapent en B «There ‘Tis» au heavy boogie insidieux et nous servent une merveilleuse tranche de Pie, avec du Marriott bien tartiné en surface et bien cuivré aux entournures. S’ensuit le «Let Me Be Your Lovemaker» de Betty Wright que chante au guttural Greg Ridley, avec une magnifique montée de power surge mélodique. D’ailleurs, Greg Ridley chante pas mal de cuts sur cet album, c’est aussi lui qui prend le lead sur «Drive My Car» des Beatles et «Countryman Stomp». Stevie Marriott referme la marche avec un «Queens & Nuns» digne de «Natural Born Boogie».

Les chiffonniers de Cleopatra n’ont même pas été foutus de mettre la bonne photo d’Humble Pie sur la pochette de Joint Effort. On y voit Frampton ! Cet album miraculé est un document intéressant car Stevie Marriott et Greg Ridley s’amusent tous les deux à reprendre le «Think» de James Brown. Greg Ridley chante «Midnight Of My Life» et «Let Me Be Your Lovemaker» au meilleur feeling qui soit. Comme le son est très dépouillé, la basse monte au devant du mix. On retrouve aussi la version de «Rain» qui figure sur Street Rats, avec une voix un peu plus noyée dans le son. Toute la heavyness miraculeuse de la Pie est là. Ils chantent à deux «Snakes & Ladders». Stevie gratte sa gratte et Greg shoote son drive. Ils sont effarants de persistance. Dans son lancé de syllabes, Greg Ridley rivalise de feeling avec son poto Stevie. Encore un fantastique shoot de Marriott dans «Charlene». Ça reste de la Pie de haut vol, bourrée de feeling. Il craque la peau du feel au chat perçant et joue tout à la revoyure.

Tout fan d’Humble Pie se doit de rapatrier la mini-box Life & Times Of Steve Marriott + 1973 Complete Winterland Show parue en 2019. Please welcome the world’s finest, Humbe Pie et on tombe directement dans le melting pot avec «Up Your Sleves» et un Marriott demented qui chante son ass off. Ces mecs sont des fous extrémistes, il ne faut jamais l’oublier. Hallucinant de power ! Jamais aucun chanteur n’a shouté la Soul de rock comme Steve Marriott, JAMAIS. Il est le plus extrême et le plus pur. Leur «4-Day Creep» dégouline de jus, c’est du heavy rock de rêve. Marriott prêche et la foule lui répond, il s’élève au dessus de toutes les cocotes, the one and only Steve Marriott. Ils font un «Honky Tonk Woman» de 25 minutes et le terminent en beauté, en mode full tilt boogie et chœurs de gospel batch. Ça prend même une tournure extravagante qui va bien au-delà du gospel. Steve Marriott embrase le firmament et les filles tentent de le rejoindre au sommet de sa folie. C’est la plus grosse cover de Stonesy jamais enregistrée. Puis il présente les Blackberries, «one of my heroes, Miss Venetta Fields, one killer Clydie King and Sherlie Matthews !». Sans doute avons-nous là l’un des enregistrements live les plus excitants de l’histoire du rock. Dans «Believe To My Soul», ce démon de Marriott ne peut pas être mieux suivi. Les filles pulsent l’All you need, elles ont fait ça toute leur vie, Venetta et Clydie font la grandeur de la clameur. On a le meilleur heavy rock d’Angleterre et des folles en contrepoint. Que demander de plus ? Nous voilà de retour dans Smokin’ avec «Thirty Days In The Hole», ça tisonne dans la fournaise, avec un Marriott au sommet de son art, il allume à n’en plus finir. Il est brillant et punchy à la fois. Power & guts. C’mon let’s get funky et pouf, ils attaquent un «(I’m A) Roadrunner» de douze minutes. Rien de plus heavy sur cette terre que cette version. Venetta monte ensuite au paradis avec Steve Marriott pour «Hallelujah (I Love Her So)». Les filles font le show, pas de problème. La Pie monte encore au sommet de la heavyness avec «Don’t Need No Doctor» et l’impression d’entendre le live de dream come true persiste et signe.

Le docu Life & Times Of Steve Marriott vaut son pesant d’or, car tout ce qui touche à Stevie vaut son pesant d’or. Le réalisateur s’appelle Gary Katz et il nous régale de vieux plans des Small Faces en noir et blanc : wow la classe de Stevie et de Plonk Lane dans «Itchycoo Park» et dans «Lazy Sunday», et cette façon qu’ils ont tous les deux de se balancer d’un pied sur l’autre, guitare et basse assez basses sur les cuisses et Plonk qui envoie des chœurs de rêve ! Simon Kirke, Chris Farlowe et d’autres ténors du barreau viennent témoigner de la grandeur des Small Faces. On voit aussi Greg Ridley chanter le premier couplet de «Natural Born Boogie», Frampton prend le deuxième et Stevie le troisième. Pur jus d’Humble Pie. Jerry Shirley rappelle comme il le fait dans son book qu’en 69, c’était compliqué pour un groupe anglais de débarquer aux États-Unis - When everything was you rock or you drop (ça passe ou ça casse) - Quand Immediate coule, Andrew Loog Oldham donne à Stevie le numéro de Jerry Moss, le boss d’A&M qu’on voit aussi témoigner et qui va lancer la carrière US d’Humble Pie. Moss rappelle qu’it was a big investment. C’est Moss qui leur flanque un manager de choc, Dee Anthony, qu’on voit aussi dans le film, spécialisé dans les groupes anglais qui voulaient ‘percer’ aux États-Unis (break the USA). Et puis Frampton explique qu’il a quitté la Pie parce qu’il était frustrated. Pauvre choupinette. C’est comme l’histoire de Noel Redding qui décide de quitter l’Experience : quand on a la chance de partager la scène avec un génie, on reste. Il faut être complètement con pour partir. De toute façon, l’histoire d’Humble Pie est une histoire tragique. Le bon côté du départ de la choupinette, c’est le sang neuf qu’amenait Clem Clemson. Un bien pour un mal, comme on dit.

Humble Pie donne son dernier concert à Houston, en mars 1975. Dans le groupe, tout le monde est soulagé que ça s’arrête. Ils ne supportaient plus de voir Steve Marriott tout démolir, à commencer par lui.

Retournez la pochette d’On To Victory et vous verrez Stevie prêt à en découdre, la clope au bec, le cheveu taillé court, le jean remonté aux bretelles comme chez les skins de l’East End. Ne reste de la Pie que Jerry Shirley. Bobby Tench et Anthony Jones remplacent Clem et Greg Ridley. Ça démarre avec un «Fool For A Pretty Face» qui continue de faire toute la différence. Stevie vire de plus en plus cockney, comme si Dickens avait inventé de boogie rock. Stevie rayonne dans son personnage d’Artful Dodger. On reste dans le big heavy sound avec «Infatuation». Stevie scande bien son besoin de love et un beau solo de sax vient envenimer les choses. La fête continue avec «Take It From Here» encore plus heavy et même assez mystérieux. L’album se révèle admirable de heavyness. On croit même entendre les accords que gratte Rundgren dans «Number One Common Lowest Denominator». En B, Stevie propose l’un des hot takes de Soul blanche dont il a le secret avec «Baby Don’t You Do It». On se régale du bassmatic d’Anthony Jones, c’est joué dans les règles de l’art suprême. En fait, Humble Pie ne faiblit pas. La voix, le son, les cuts sont là. C’est un album qu’il faut ranger précieusement sur l’étagère. Encore une merveille de Marriott swagger avec «Further Down The Road». Il faut le voir scander son gimme love gimme love. Les dynamiques internes de la Pie montrent clairement l’exemple à suivre.

Il ne faut pas prendre un album comme Go For The Throat à la légère, même si la pochette est complètement foireuse. Stevie Marriott s’entoure encore de Bobby Tench, d’Anthony Jones et de Jerry Shirley pour reprendre des gros trucs comme «All Shook Up» ou «Tin Soldier». Avec l’All Shook Up, ils tentent de refaire le coup du Jeff Beck Group qui avait aussi tapé dans cette merveille. Gros coup de nostalgie avec «Tin Soldier». C’est imparable, bien noyé d’orgue comme au bon vieux temps. Impressionnant aussi ce «Driver» blasté à l’harmo. Ce diable de Stevie sait ménager ses effets au lookout ! On trouve en B un «Restless Blood» surchauffé. Stevie chante au sommet des barricades, il harangue le rock, il shoote tout ce qu’il peut. C’est un héros des temps modernes. Il nous sert aussi une version stupéfiante de «Lottie & The Charcoal Queen». Il y devient héroïque, il chante ça avec toute l’aménité d’un géant du rock anglais. Il chante tout simplement à pleine puissance. Voilà encore un hit énorme, un paradigme de la heavyness. Il est le roi de toutes les insistances. Et voilà pour terminer «Chip Away». Il fonce jusqu’au bout du bout, il ne relâche jamais son emprise sur le rumble, il n’en démord pas, c’est un jusqu’au-boutiste faramineux, il chante comme un seigneur des annales ruisselant de sueur au sommet des barricades. Stevie Marriott est un screamer victorieux, même si le business l’a réduit en bouillie. Il est l’un des derniers héros d’un rock anglais si richement peuplé.

Bobby Tench remplace Stevie Marriott sur Back On Track, enregistré en 2002, soit onze ans après la mort de Stevie. Du Pie d’origine ne restent que Jerry Shirley et Greg Ridley. C’est déjà pas mal. Big sound, c’est sûr, mais la gouaille a disparu. «Dignified» et «The Red Thing» sonnent pourtant comme des gros trucs. C’est Greg Ridley qui décroche la timbale en chantant «Still Got A Story To Tell». Il chante ça à la vieille arrache. On sent le vétéran d’Immediate, il a tout vu, tout vécu et fait encore ses lignes de coke avec un Bowie knife planqué dans sa botte. Il reste au lead pour «All I Ever Need», un heavy groove d’excellence. Ils savent encore jouer leur va-tout. Zoot Money vient chanter «This Time». Zoot fout son nez dans les affaires du shuffle, il a bien raison. Magnifique association de légendes. Zoot can beat it ! Il en devient extravagant. Bobby revient chanter les vertus de la planche à pain avec «Flatbusted» et l’expédie en enfer. Ce mec chante comme un dieu, on le sait depuis longtemps, mais un album d’Humble Pie sans Stevie, c’est extrêmement bizarre. Greg Ridley reprend le lead sur «Ain’t No Big Thing». On laisse le mot de la fin à l’excellent Bobby Tench qui fait un carton avec «Stay On More Night». Il est parfaitement apte à faire sa Pie.

Signé : Cazengler, Pie bavarde

Humble Pie. As Safe As Yesterday Is. Immediate 1969

Humble Pie. Town And Country. Immediate 1969

Humble Pie. Humble Pie. A&M 1970

Humble Pie. Rock On. A&M 1971

Humble Pie. Performance. Rockin’ The Fillmore. A&M 1971

Humble Pie. Smokin’. A&M 1972

Humble Pie. Eat It. A&M 1973

Humble Pie. Thunderbox. A&M 1974

Humble Pie. Street Rats. A&M 1975

Humble Pie. On To Victory. A&M 1980

Humble Pie. Go For The Throat. A&M 1981

Humble Pie. Back On Track. A&M 2002

Humble Pie. Joint Effort. Cleopatra Records 2019

Humbe Pie. Life & Times Of Steve Marriott + 1973 Complete Winterland Show. Cleopatra Records 2019

Rob Hughes : Natural born boogie. Uncut # 263 - April 2019

Jerry Shirley. Best Seat In The House. Drummin’ In The 70s With Marriott Frampton And Humble Pie. Rebeats 2011

Just like Honey Cone

 

Honey Cone ? Franchement, avec un nom pareil, ces trois Soul Sisters n’avaient aucune chance en France. Les anglo-saxons y verront un cône au miel mais dans nos contrées, on y verra quelque chose de nettement moins glorieux. Ça, c’est la première chose. Deuxième chose : comment cet obscur trio de Soul datant des early seventies pourrait encore intéresser les gens ? C’est d’ailleurs le problème que posent tous ces groupes de Soul tombés dans l’oubli : ils pullulent et ils sont tous passionnants, mais par les temps qui courent, il semble que la qualité artistique soit déchue de son rôle d’arbitre des élégances. Troisième chose : la récente disparition d’Edna Wright nous servira de prétexte à saluer ce trio de Soul Sisters qui dès les early seventies tenta en vain de s’aménager une place au soleil. Ces trois fabuleuses petites blackettes eurent le temps d’enregistrer quatre albums qui font ici l’objet d’un chouchoutage intensif. Gageons qu’Edna Wright verra d’un bon œil qu’on prenne le prétexte de sa disparition pour rendre un ultime hommage à l’existence éphémère d’Honey Cone.

Leur histoire date de l’époque du rebondissement des frères Holland. Après avoir quitté Motown pour cause de «désaccord financier», Brian & Eddie Holland montent leur propre label, Hot Wax/Invictus, avec leur compère Lamont Dozier. Ils n’ont qu’un objectif : faire leur propre Motown. Comme ils n’ont pas les Supremes, ils proposent un succédané avec Honey Cone, un trio de Soul Sisters prêtes à en découdre. Carolyn Willis est la plus sexy des trois, avec sa belle afro (à droite sur l’illusse). Edna Wright (au centre) est la sœur de Darlene Love et comme Etta James, elle se teint les cheveux en blond, ce qui lui donne l’air d’une reine des lupanars de Kansas City. Comme sa frangine, elle est passée par les Blossoms et les Raelettes. Et comme Carolyn Willis, par des grands groupes de gospel dans les early sixties. Ces filles sont des Californiennes nées dans les années 40 et en arrivant sur Hot Wax, elles avaient déjà quelques albums au compteur (Brothers & Sisters, Cogics, Sweethearts, Girlfriends). La troisième s’appelle Shelly Clark, une native de Brooklyn qui a pour mari Verdine White d’Earth Wind & Fire. C’est aussi une ex-Ikette, comme P.P. Arnold et Venetta Fields. Donc on voit d’ici le pedrigree des trois cocottes.

Elles ne vont enregistrer que quatre albums sur Hot Wax entre 1970 et 1972, mais ce sont d’excellent albums de Detroit Soul. Le premier s’appelle Take Me With You. Elles s’y montrent plus féroces que les Supremes sur au moins un cut : «My Mind’s On Leaving But My Heart Won’t Let Go». Elles explosent le power des Supremes, ça chante dans tous les coins, elles sont invincibles, bien plus vitupérantes que les Supremes. Au fond ça n’a rien d’extraordinaire, puisque les frères Holland et Lamont Dozier composaient les hits des Supremes. Elles refont les Supremes avec «Girls It Ain’t Easy». Ah quel régal, même son, même sens du gros popotin, c’est un beat destiné à conquérir le monde. On note dès «Sunday Morning People» la présence d’une fantastique énergie. Voilà un hit digne de ceux d’Aretha et une guitare fuzz rôde par endroits comme un loup dans la bergerie. Avec «Son Of A Preacher Man», les voilà de nouveau sur les traces d’Aretha, mais aussi de Dusty chérie. Honey Cone, c’est la réponse directe à Motown. Et puis voilà un «You Made Me So Very Happy», une pure merveille, c’est aussi beau que du Burt. En B, elles visent plus la tête des charts avec des trucs comme «Aquarius» ou «Take My Love». Elles restent dans l’esthétique Tamla/Supremes avec «While You’re Out Looking For Sugar». Les voilà lancées dans leur élan suprême. Sacrées Cone, elles y croient dur comme fer.

Sweet Replies fait un peu doublon avec l’album précédent, car on y retrouve «Sunday Morning People», «My Mind’s On Leaving But My Heart Won’t Let Go» et cet «Are You Man Enough Are You Strong Enough» qui sonne exactement comme l’«I Know I’m Losing You» des Tempts. Leur gros hit s’appelle «Want Ads» : même attaque que les Supremes, même sens du sweet dans la Soul et mêmes guitares flashy. On se régale aussi de «You Made Me Come To You», cette belle Soul tenace montée au long d’un gimmick de guitare. Wow, l’incroyable qualité de la giclée - You made me come - Ça sent bon le sexe. Encore un énorme rumble de r’n’b avec «When Will It End», c’mon Honey ! Elles redéveloppent tout le power des Tempts. Et comme si tout cela ne suffisait pas, elles injectent le power d’Aretha dans «Deaf Blind Paralyzed», c’mon Honey, elles surfent sur la crête d’une vague de Soul géante. Fabuleuses poulettes ! Ces Cone sont plus fortes que le roquefort.

Comme l’indique le titre, la pochette de Soulful Tapestry est brodée. Enfin presque. C’est un effet photographique qui devait exister avant les filtres Photoshop. Elles commencent par faire du Twist & Shout motownisé avec «One Monkey Don’t Stop The Show Part 1 & 2» et passent à la Soul des jours heureux avec «Don’t Count Your Children (Before They Hatch)». Elles resplendissent de classe. On pense à Stevie Wonder, bien sûr - You’d better treat me with respect - Et elle ajoute cette phrase : «You’d better treat me like a lady !». Elle a raison. Tous les cuts de l’album sont très beaux, très Motown. La B est la face lente et dans «VIP», les violons épousent les chœurs. S’ensuit «The Day I Found Myself», un balladif enchanté qui est un peu la huitième merveille du monde. Les voilà de nouveau sur les traces d’Aretha avec une mouture somptueuse d’«All The King’s Horses (All The King’s Men)». Mais c’est un cut difficile, trop chargé de pathos.

On leur a découpé une fenêtre en forme de cœur dans la pochette de Love Peace & Soul et elles y arborent de beaux sourires. Cet album d’aspect romantique est leur chant du cygne et pour faire honneur à leur pot de miel, elles démarrent avec l’un des trucs les plus torrides de l’histoire de la Soul, l’«O O-O Baby Baby» de Smokey Robinson, dont Todd Wizard/A True Star Rundgren avait fait une version sidérale. Ooh-ooh la la la et elles y vont, I’m cryin’, ooh-ooh baby baby, c’est la Soul du firmament, le sommet d’un Anapurna de satin jaune. Elles continuent de se prélasser dans le satin jaune pour «Stay In My Corner». Ce sont les grooves érotiques du dimanche matin, ceux des prélassements interminables et des érections douloureuses. Nouveau hit de Smokey avec «Who’s Loving You». Les filles tarpouillent bien leur tambouille de heavy beat orchestré. C’est un régal pour les oreilles. Production soignée et arrangements vocaux sublimes. Le «Sittin’ On A Time Bomb» qui ouvre le bal de la B est une énormité de Soul rampante à la Aretha. Real power, les Cone chantent au gros popotin, la Detroit Soul reste la meilleure Soul du monde, Honey. «Innocent Til Proven Guilty» se veut plus pop, mais elles chantent ça pied à pied. Elles ne lâchent pas l’affaire. Encore un fabuleux shoot de primal r’n’b avec «Ace In The Hole», un r’n’b bon enfant avec du swagger plein les bottes. Ces Cone sont des bonnes, elles excellent dans la volée de bois vert. Encore une hit avec «Woman Can’t Live By Bread Alone», pur jus de Motown, mêmes ingrédients, grosses compos taillées sur-mesure pour Soul Sisters impavides.

Signé : Cazengler, Honey comme un con

Edna Wright. Disparue le 12 septembre 2020

Honey Cone. Take Me With You. Hot Wax 1970

Honey Cone. Sweet Replies. Hot Wax 1971

Honey Cone. Soulful Tapestry. Hot Wax 1971

Honey Cone. Love Peace & Soul. Hot Wax 1972

 

ROCKABILLY GENERATION n° 16

janvier / Février / Mars 2021

 

Wooah, la sale bête, elle a failli me mordre, certes de ma faute, on ne met pas stupidement ses doigts n'importe où, n'empêche que Sergio et son équipe auraient pu prévenir par un sticker sur l'enveloppe, genre ouvrir avec précaution, car c'est une espèce de tigre blanc rugissant qui surgit à l'improviste, les crocs prêts à vous déchirer, ouf, on reconnaît au dernier moment, Hervé Loison sur la couve, n'est pas spécialement méchant, quoique l'inscription en lettres rouges '' Ange ou Démon'' oblige à reconsidérer le problème avec prudence.

Z'ont dû se rendre compte qu'il ne fallait pas jouer avec le cœur de abonnés, z'ont préparé un petit réconfortant dès le premier article signé par Greg Cattez, les trois grâces – normal elles ont du sang grec dans les veines - LaVerne, Maxene, Patty, les trois sœurs Andrews, les trois reines du swing – avant les pionniers du rock le monde de la musique existait aussi – 119 titres classés au hit-parade en vingt-quatre années – toute une tranche de vie de l'Amérique notamment celles de la deuxième guerre mondiale – un art du chant entremêlé au micron près – sur les photos elles ont air un peu trop proprettes mais elles étaient douées. C'était avant que le rock'n'roll ne vienne avec ses gros godillots de daim bleu piétiner les plate-bandes d'une certaine idée de la grande Amérique...

Justement sur la page suivante un troublion du genre nous invite à entrer chez lui, plus qu'un interview, un entretien géant. Sa carrière certes, mais surtout l'homme, celui qui se cache sous des identités multiples et souvent collectives, Teddy Best, Hot Chickens, Jake Calypso, Nut Jumpers and others... mais surtout celui qui se dévoile sans fard, se raconte tel qu'en lui-même le rock'n'roll l'a changé, ni pire ni meilleur que ses fans, mais qui a dû gérer cet aérolithe monstrueux qui est entré dans sa vie et qui a tout changé...

Pauvre Hervé, lui est arrivé une terrible aventure, le rock'n'roll lui est tombé sur le coin du museau sans prévenir, l'a pu identifier le coupable, un certain Elvis Presley, sa vie en a été changée, celle d'Hervé parce que celle d'Elvis en 1977 elle faisait l'expérience de l'after-monde, l'a pris une direction non prévue au programme, passion Elvis, passion rock, passion musicien, une ligne droite toute tracée. Pas un conte de fées, car sur les routes, il y a aussi des bas-côtés, une femme, des enfants et le rock'n'roll ne font toujours pas bon ménage, chérie tu t'occupes des gosses et moi de ma musique, vous imaginez les dégâts, Hervé ne cache rien, ne nous fait pas le coup du remord, de l'auto-flagellation, de la résilience – le dernier terme inventé par les psychologues à la noix médiatique pour vous sentir mieux - non il parle simplement, met les mots, endosse ses responsabilités et la passion qui le pousse. Quand on était petit à l'école l'on nous citait l'exemple de Bernard Palissy qui désargenté brûla jusqu'aux meubles de sa maison pour alimenter son four de cuisson et retrouver le procédé de l'émail blanc mythique, le problème c'est que dans le monde il y a peu de Palissy par contre beaucoup de pâles ici, qui ont bien une passion dans leur vie qu'ils abdiquent une fois la jeunesse passée ou pire à la première difficulté rencontrée, Hervé Loison n'est pas un volatile de ce genre, l'a le rock chevillé au corps et n'a jamais abandonné son but, un rêve sans trêve, son bilan parle pour lui, reportez-vous à la page 17, explique tout, son amour du rock, du blues, ses échecs, les coups durs, mais au final une courbe ascendante, une vie non pas réussie mais surmontée, a walk on the wild side, ses coups d'éclats, ses réussites et surtout cette fidélité infaillible au rock'n'roll qui a motivé son existence et lui a permis de dormir dans le drapeau troué du bonheur et du contentement humain de ce que l'on appelle l'estime de soi. Pour quitter l'introspection loisienne et jeter un regard froidement objectif sur son œuvre, nous résumerons en quelques mots : un des engagements les plus créatifs du monde du rock actuel, y compris en comptant les anglais et les américains.

N'étant pas du tout très adroit de mes deux mains et n'ayant aucune envie d'engendrer un monstre horrifique ou une laideur sans nom de plus dans le monde qui en compte tant, je m'abstiendrai de suivre les conseils des deux pages Tuto Bricolage...

Parfois l'on a l'impression que la vie se répète, que l'on relit deux fois le même livre, c'est que toutes les vies de rockers se ressemblent, au début vous avez la déflagration d'une bombe atomique dans votre existence de la manière la plus innocente qui soit, ici il faut dresser procès à l'imprévoyance de la grand-mère de Jacky Chalard, comme quoi tout peut arriver, bref voici Jacky Chalard piqué par un infâme virus à têtes multiples, vous en connaissez quelques unes, Elvis Presley, Gene Vincent, Eddie Cochran, Jerry Lee Lewis – à croire qu'il m'a copié - oui mais lui il s'est mis à la guitare et s'est retrouvé derrière Chuck Berry et Vince Taylor – j'aurais dû l'imiter mais ma maladresse digitale me l'interdisait – et puis s'est retrouvé de fil en aiguille à monter le légendaire label Big Beat Records... faut l'écouter raconter les belles heures du rock'n'roll français, l'épopée du Gol-Drouot et son admiration pour Johnny Hallyday. Un gars heureux, l'a vécu de sa guitare, l'a rencontré ses idoles, l'a servi le rock'n'roll, et cela lui suffit... Une vie de passion... un optimiste qui attend et le retour de flamme du rock'n'roll en notre pays.

Une belle gueule de pirates page 28, encore un qui a tiré quelques bordées rock'n'roll, s'appelle Bruno Grandsire, lui c'est pas sa grand-mère c'est son cousin – un mec bien qui lui fait écouter Gene Vincent – qui lui refile la grande vérole du rock'n'roll à quinze ans – aux âmes bien nées la valeur n'attend pas le nombre des années – bref l'est près pour affronter la grande vague du rockabilly des années 80, tant pis si Rouen est plus punk que rockab, fonde le trio des Morning After, une odyssée qui durera dix-sept ans, et plounck les voici que le hasard les met sur la route de Gilles Vignal... il n'y a pas de hasard, seulement des rencontres - dès que vous batifolez dans les fondations du rock en France vous trouvez le nom de Gilles Vignal - des jusqu'auboutistes, refusent de signer avec les gros labels, fignolent leurs propres cassettes... sont allés jusqu'au bout de leurs forces, Bruno a continué, notamment avec les Camping Cats, et travaille sur un nouveau projet....

Les interviews sont décorées de documents d'époque et de superbes photographies de Sergio Kazh, my favorite la double page centrale des Hot Chickens, Thierry Sellier impérial aux drums style homme tranquille qui déclenche une avalanche et Christophe Gillet les yeux rivés sur Hervé car il faut toujours se méfier des cordons de dynamite qui se consument à deux mètres de vous...

Bien sûr pas de comte-rendus de concerts, mais ce numéro 16, est comme ces galions espagnols qui quittaient les rivages sud-américains les cales remplies à ras-bord d'or. Servez-vous à volonté !

Damie Chad.

Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4,70 Euros + 3,88 de frais de port soit 9,20 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 36, 08 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents.

 

STEPPENWOLF

Je crois que c'est le premier disque du Loup Steppique que j'ai acheté, ce dont je suis sûr c'est que ce fut la grande claque. A mon humble avis, un des albums les plus fondamentaux pour la naissance du Heavy-metal, qui porte déjà en germe avec des années d'avance la gestation du Noise. Il est sorti en 1969, numérologiquement parlant c'est le troisième album du groupe, de fait c'est le premier, un enregistrement public réalisé en 1967. Ce n'est pas un hasard si je vous le présente avant le second.

J'ai d'abord flashé sur la pochette avant de lire le nom du groupe. Surprenante, attirante, elle est de Gary Burden, qui a aussi signé celle de Steppenwolf, le premier album. Mais il a réalisé près de cent cinquante couvertures de 33 tour à l'époque bénie de la rock-music. L'était designer lorsqu'il est contacté par Cass Elliot – la voix de rêve des Mama's and Papa's – pour relooker sa maison. Enchantée de son travail Cass lui affirme qu'il serait doué pour des pochettes de disque, l'engrenage se met en route. La liste est longue, The Mamas & The Papas, Dream a little dream de Mama Cass, bien sûr, quelques couvrantes de Steppenwolf ( même maison de disques que Cass ), peu de dames, mais les plus belles avec leur voix qui se rapportent à leur ramage, Ricky Lee Jones, le Blue de Joni Mitchell, côté messieurs il doit avoir signé un amical contrat d'exclusivité avec Neil Young ( une cinquantaine d'artworks à lui tout seul ) et à sa suite toute une flopée de groupes ou de musiciens de la constellation american- folk-country-rock, David Crosby, Graham Nash, Stephen Stills, les Byrds, Poco, Buffalo Sprinfield, une faute de goût avec les Monkees, vite rattrapée avec Tony Joe White, plus tard Pearl Jam, et les dernières parutions de Jerry Lou, Live, Mean Old Man, The Last Man Standing, Rock'n'roll Time ( sur lequel la lecture de la chronique du Cat Zengler de notre livraison 220 du 29 / 07 / 2015 devrait être rendue obligatoire pour tout apprenti rocker ), et comme par hasard la pochette dont je vous entretenais la semaine dernière, celle du Morrison Hotel... Beaucoup d'autres aussi et pas des moindres... Les amateurs ne manqueront de faire un long tour sur son site. Né en 1933, mort en 2017. S'imposera un de ces jours, une chro sur son style.

Normalement sur la première de couve de tout disque qui se respecte vous trouvez la gueule plus ou moins sympathiquement reproduite du groupe et au dos un maximum ou un minimum de blabla. Les Loups n'ont pas mégoté sur le laïus de derrière, un véritable roman... Mais devant, ce n'est pas comme d'habitude. Sur cinq, trois absents, les deux présents n'ont pas droit à la belle photo de communion, les images sont trafiquées réduites à des dessins silhouettés, juste les contours qui ne se détachent pas tant que cela du fond blanc. Pour un disque de Steppenwolf on aurait parié sur du noir – mangeurs de grenouilles, taisons-nous avec notre cartésienne logique, n'avons-nous pas eu un de nos groupes qui se prénommait Etron Fou Leloublan, et puisque l'on est ici entre nous remémorons-nous la pochette de l'album Tears, Toil, Sweat & Blood de Walter's Carabine ( 2018 ) avec ses bandes blanches et noires verticales sur laquelle surgit une tête de loup au crocs menaçants – car ce qui est troublant ce sont les lignes rectilignes qui parcourent la pochette, pas des bandes zébriques, non des espèces de fines stries, qui semblent souligner le fait que ce disque n'est pas comme tous les autres. Au cas où vous n'auriez pas compris, des notes de John Kay vous avertissent des conditions dans lesquelles le disque a été enregistré.

EARLY STEPPENWOLF

Recorded live at The Matrix in san francisco, may 14, 1967

( ABC Dunhill / 1969 )

 

John Kay : chant, guitare, harmonica / Jerry Edmonton : batterie / Mars Bonfire : guitare / Goldy McJohn : claviers / Rushton Moreve : basse.

 

Avant d'écouter ce disque il faut se rappeler que le Kick Out The Jam de MC 5 est sorti en 1969, Fun House des Stooges en 1970, White Heat, White Light du Velvet Underground en 1968... Dès la pochette Kay annonce la couleur : '' … improvising, jamming, squeezing and shaping a musical thing which lasted for 20 minutes and broke finally into The Puscher... '

Power play : plongée dans le chaudron à la première seconde, le Loup ramassé comme un paquet de croquettes pour chien enragé, la guitare de Bonfire sous perfusion psyké, tout le reste du groupe enserre la voix de Kay de près, martèle les paroles de ce blues libératif, dont on pourrait résumer les lyrics en quelques mots, occupe-toi de tes oignons et laisse-moi vivre comme je veux, avec en arrière-plan, cette idée que les donneurs de leçon n'ont réussi à mettre sur pied qu'une organisation sociale, bien défaillante, attaque frontale, le Loup fait face, quand il mord il ne desserre pas les crocs, même pas trois minutes mais smashées de toute force. Howlin' for my baby : l'on a ressorti le vieil appel de l'ancêtre de la meute, un des morceaux phare d'Howlin' Wolf le mâle alpha, une intro de basse qui fait semblant de jouer du jazz, la batterie qui prend le relais, la voix de Kay qui feule mais ne hurle pas – la voix du maître est inimitable - et l'on sent le piétinement de la harde qui galope en bloc sous la lumière blafarde de la lune, une menace qui court, un blues bifide qui n'est déjà plus un blues, qui cherche à sortir de lui-même. Mars Bonfire aplatit les notes, les allonge, leur enlève cette ronde jovialité de l'enregistrement original, les temps ont changé... Goin' upstairs : décidément blues, après Howlin' Wolf, voici John Lee Hooker, pas de panique les trois premières minutes restent dans la plus stricte orthodoxie du piétinement si particulier de la zique à Hooker, sur les quatre dernières le rythme s'emballe, la guitare devient folle et se prend pour une vrille géante montée sur trépan, des éclats d'harmonica, ce coup-ci l'on est parti pour le voyage au bout de la nuit. Corina, Corina : un vieux traditionnel repris par tout le monde, Le Loup nous la transforme en jolie chanson de Noël pour tous les petits chaperons rouges sages qui se méfient des grosses bêtes vicieuses, le clavier de Gordy M'c John vous prend des teintes d'harmonium surréelles, Bonfire sonne creux comme s'il essayait d'imiter un orgue de barbarie, hélas il n'y réussit pas, résonne plutôt comme ogre barbare qui fait sa douce et hypocrite voix, ce morceau détonne dans le disque, le Loup court après les limites du blues, rebondit de tous côtés, une bille de billard qui ne trouve pas son trou pour s'échapper. Tighten up your wig : reprise hommagiale à Junior Wells – c'est lui que choisit Muddy Waters pour remplacer Little Walter parti voler de ses propres ailes – l'on a donc droit à un festival d'harmonica qui nous entraîne dans un tourbillon frénétique rehaussé par le clavier de Gordy, cette face A semble retourner à l'orthodoxie du blues. The pusher : le groupe se met en place, tapotements de batterie, l'on ne sait trop où l'on va, un vrombissement de moto dans la nuit, un clavier qui pépie comme une nichée d'oiseaux, Kay marmonne dans le micro, coup de tambour précipité, c'est là que l'on se rend compte que l'on entre dans une autre dimension, sur l'autre face, nous étions encore sur les rivages bleutés du blues, ici l'on ne sait plus, un éléphant barrit, serait-ce le retour en Afrique, larsens nous sommes à l'heure électrique, bruit divers, nous sommes en train d'entrer dans une ère moderne, l'impression que le vieux monde sonore craque de partout, plus près de l'orgue à ondes Martenot que l'on ne s'y attendrait, et cette voix qui semble mixer à l'envers, ces sifflements de soucoupes volantes qui décollent, le grand saut du blues au noise, un truc inécoutable, ces brouillaminis que l'on obtenait dans les radios d'avant le transistor lorsque l'on faisait coulisser la curseur entre les stations, dieu merci l'orgue vient nous sauver, serait-on accueilli par Dieu en personne tout de blanc vêtu devant la porte de l'Eglise, non la musique de messe se termine en ritournelle et les cordes de guitares chantent un de profundis, qui enterre-ton au juste, serait-ce une aubade au vieux blues, l'on n'y comprend goutte, que faire si ce n'est suivre cette marche que l'on pressent tumultueuse parsemée d'éclats clownesques, maintenant ça miaule de tous les côtés, et l'on revient à quelque chose de plus reposant, une chanson, une vraie avec un chanteur et un véritable accompagnement, en prime des dégradés et des pressurages, les flots sonores nous emportent, Kay est à la tribune, il cause, il accuse, la musique appuie plus fort, nous voici dans un blues sur-multiplié, sur-dimensionné, Kay cartonne et détonne, et tout s'arrête brutalement. This is the end.

Un disque de rupture prophétiques, les deux pieds dans l'eau boueuse du blues, la tête dans le bruit volatile qui tombe des étoiles, car même l'Univers possède une bande-son.

Damie Chad.

 

FUNKY MULE

SOUL TIME

 

Y a des mecs pas sympas, je vous refile leurs prénoms pour les barrer de votre liste d'amis, François, Julien, Laurent, Mathieu, Richard, Torz, Thierry et Claire, eh oui une fille parmi eux, comme quoi l'on est souvent trahies par les siennes. Vous les avez reconnus, font partie de l'équipage de Soul Time, l'on a parlé d'eux dans les deux livraisons précédentes, comme l'on avait dit du bien des chanteuses Carla et Lucie, ce coup-ci, ils les ont bâillonnées, ah vous chantiez très bien, maintenant vous vous tairez, ou alors allez danser, leur ont fait le coup de l'instrumental, les filles allez pointer au chômage, aujourd'hui c'est du sérieux, faut des gars solides !

C'est qu'ils ne s'attaquent pas à un château de sable, ont décidé de taquiner un gros donjon, Ike Turner, l'était dans les Studios Sun avant Elvis Presley, et a enregistré Rocket 88 – Jackie Brenston est au vocal - que certains considèrent comme le premier morceau de rock mis en boîte sur notre planète... puis est devenu un des monuments incontournables du rhythm 'n' blues... C'est avec Tina Turner sous la houlette de Phil Spector qu'il créée cette symphonie du nouveau monde de la pop qu'est Deep River, Mountain High, un prodige si puissant qu'il désarçonna critiques, radios et public...

Funky mule ouvre la face B de l'album a Black Man's Soul, publié en 1969 en ces années de fierté noire, une composition de Marvin Holmes qui l'enregistra aussi à la tête de ses Uptights, selon mes immodeste a-priori, c'est la meilleure version avec un groove tout bruiteux et cuivreux qui rappelle la marche des éléphants d'Hannibal escaladant les Alpes pour marcher sur Rome, pas bête le Marvin, l'a partagé le morceau en deux, la partie 1 pour ceux qui aiment les grosses cavalcades, la numéro 2 pour ceux qui préfèrent les moutonnements moins escarpées, mais comme il n'arrête de scater et d'interjectionner dessus cela s'entend moins. Lorsque Ike la reprend, il refuse de jacter dessus, un instrumental c'est seulement la musique affirme-t-il, puis en grand seigneur il offre le fromage et le dessert en un plat unique, ce qui explique pourquoi les mal-appris comme moi s'ennuient un tantinet sur la deuxième partie du morceau qui se perd un peu dans les sables brûlants des rives du Nid sur lesquels les crocodiles aiment à piquer leur roupillon post-méridien...

Conclusion Soul Time n'a pas peur de s'aventurer dans les pâturages des vaches sacrées du groove. Partent de la structuration du morceau opérée par Ike Turner. Rien de plus têtu qu'une mule. S'engage à toute allure dans une direction, pour on ne sait pourquoi au bout de quelques centaines de mètres en prendre une autre. Les gars de Soul Time ils aiment bien les bêtes, mais pas question que la bestiole n'en fasse qu'à sa tête, vous la tiennent serrée et resserrée, tu veux aller à droite, t'iras à droite, tu veux aller à gauche t'iras à gauche, mais pas question de lambiner en chemin, z'ont sorti le chrono, celle de Ike a besoin de plus de trois minutes pour réaliser le parcours, toi t'as intérêt à allonger le pas, pas même deux quarante on t'accorde. On ne peut que louer leur fermeté. Ne laissent pas au boa le temps de dérouler cruellement ses anneaux paresseux autour de votre gorge, faut qu'il vous strangule l'auditeur, vite fait, bien fait, soul time is money, vous prennent ce ricain de Ike Turner à la propre philosophie de son pays.

Prêtez bien l'oreille, vous expédient la marchandise à toute allure, méfiez-vous de la batterie de Torz Rovers au tout début, le morceau n'a pas commencé que déjà il opère une diversion, le Torz joue au poisson rouge, deux tours du bocal bien emballés comme s'il avait toute l'éternité devant lui pour démarrer un solo épique, ben non, ce sont les cuivres venteux qui déboulent, une longue rafale qui se transforme en cavalcade, regardez comme l'on est beau, et comme l'on sonne bien, et évidemment vous les suivez des yeux pour ne pas en perdre une miette, des poneys de cirque à la crinière tressée et Claire Fanjeau qui joue à la ballerine avec son saxo-salto, Laurent Ponce appuie méthodiquement sur sa trompette ( doit avoir un mort à réveiller ) Mathieu Thierry et Richard Mazza saxoïsent comme s'ils étaient les rois de la piste, et évidemment vous n'avez rien vu, vous vendent des vents à en veux-tu, en voilà, alors que tout se passe par en-dessous, plutôt au-dessus dans les cintres sur les trapèzes volants, Thierry Lesage détient entre ses doigt la clef – the key of the enigm - du morceau, marne comme un fou, l'est soutenu dans son effort par la basse de Julien Macias qui souligne son action au stabilo bien gras, et la guitare de François qui ramène sa Fraysse de ses hachures coupantes, bref vous avez un regroupement autour du clavier, la basse s'emballe, la batterie s'ébat, la fanfare éclate, à chacun ses dix secondes de gloire, et puis l'on revient à l'andante al dente de la pulsation, et c'est-là qu'ils se démarquent d'Ike, chez celui-ci, le peloton reste groupé jusqu'à la ligne d'arrivée et c'est aussi long et pénible que la retraite de Russie, ici chez Soul Time, ça fuse de tous les côtés, chacun caracole sur sa bicyclette, debout sur le guidon ou assis sur la roue arrière, et croyez-moi ça ne pédale pas dans la choucroute, vous terminent le travail en beauté, aussi limpide qu'une lampée de Sylvaner, tout de suite vous vous resservez, cela vous fait un bien fou.

S'en sont bien sortis, on leur serre la pogne mais en partant on n'omet pas de faire la bise à Carla et à Lucie, car on ne les oublie pas. Sur scène elles auront le temps de reprendre leur souffle sans inquiétude, pendant que dans la soute la chiourme sera à la manœuvre.

Damie Chad.

 

XII

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

 

50

Je me réveillais. J'avais le nez dans le pipi que Molossito venait de faire sur l'oreiller. Mais non, ce n'était pas ce qui m'avait tiré du sommeil. Je ne voulais pas le croire, mais je dus me rendre à l'évidence, la grosse grenouille de mon rêve aquatique, c'était le téléphone qui coassait sur la table de nuit :

    • Agent Chad, enfin vous décrochez, il est plus que tard, déjà trois heures trente-cinq du matin, sautez dans la première voiture volée et vite, je vous veux dans cinq minutes, au service, n'oubliez jamais que la chance appartient à ceux qui se lèvent tôt !

51

Le Chef paraissait en grande forme, manches de chemise retroussées, le Coronado planté entre les dents, il discutait au téléphone, il appuya sur la touche adéquate pour que je puisse entendre la fin de la conversation en son entier :

    • Vince, tu le connaissais bien, le père adoptif de Jean-Pierre ?

    • Pas vraiment, dans le temps il passait régulièrement sur mon stand de brocante pour voir si je n'avais pas de disques de rock'n'roll, ou alors il me filait un coup de fil au cas où j'aurais rentré une nouveauté, c'est comme cela que Jean-Pierre m'a contacté, j'ignorais son existence, dès qu'il a débité son histoire, je l'ai aiguillé vers la villa dont tu m'avais parlé

    • En tout cas Vince, l'idée d'une action publicitaire pour redorer le blason du SSR était excellente, très bonne initiative de ta part de demander à la Maffia de remplacer les huit tonnes Coronados pour fumeurs avertis par des cigarillos pour amateurs de vingt-cinquième zone, bon je te quitte, nous avons du boulot urgent par ici ! Je te rappelle au plus vite.

52

Même Molossito avait compris. Nous dévalâmes les escaliers quatre à quatre. Le Chef esquissa un sourire de contentement quand il vit l'objet de collection que j'avais dégoté, une vieille Panhard, une PL 17, couleur pistache fanée, '' Magnifique, s'exclama le Chef, j'adore ces voitures, elles ont la coupe d'une boîte de sardines écrasée ! ''

La veille au soir, en rentrant au service, nous avions laissé Alfred devant la grille de la villa, nous voulions en avoir le cœur net. La villa avait encore changé d'aspect, ouverte aux quatre vents, elle ressemblait à un squat désertée par ses occupants. Quelques paillasses traînaient sur le sol couvert de poussière. Les murs intérieurs et extérieurs avaient été tagués. Les inscriptions à haute teneur pornographique étaient majoritaires. Molossa fit le tour des lieux lentement, les sens aux aguets elle s'arrêta obstinément devant l'évier de la cuisine. Son manège m'intrigua, je me baissai , et ne vis rien, je me relevai et m'éloignai mais Molossa la chienne fidèle et féroce grogna, je revins sur mes pas, et m'accroupis, c'était écrit au crayon gris, pratiquement invisible '' faites gaffe'' au dessous le A symbolique de l'anarchie, auquel était accroché un minuscule zigouigoui illisible. Nous repartîmes aussitôt après cette découverte, le dernier cadeau d'Alfred.

53

Revenus au service, le Chef alluma un Coronado, et décréta que le temps de la réflexion était revenu :

    • Agent Chad, cette satanée affaire part dans tous les sens, que savons-nous au juste, procédons avec ordre et méthode :

1 ° ) Le Président ne nous aime pas, il nous a envoyé ses tueurs, nous lui avons joué un tour de notre façon, pour un certain temps nous sommes après notre succès d'hier politiquement intouchables, mais l'Elysée n'abandonne jamais sa proie.

2 ° ) L'affaire Eddie Crescendo est en partie résolue, nous avons les notes secrètes de Crescendo retrouvée dans la fameuse boîte à sucres

    • Oui Chef, nous avons même un exemplaire du livre qu'il n'a pas écrit, ce qui est tout de même assez bizarre

3 ° ) Deux mystères vraisemblablement liés, celui de la villa qui change de configuration aussi facilement que moi de Coronado, et bien sûr ces mystérieux réplicants qui ont tenté de nous envoyé ad patres, alors que l'un d'eux le dénommé Alfred nous a donné en plusieurs occasions de sérieux coups de mains

4 ° ) Pour couronner le tout nous mettons la main sur cet homme à deux mains qui se révèle être un pauvre gamin de rien du tout et qui n'a aucun rapport avec cette affaire qu'il a déclenchée !

5 ° ) Tout cela, ce n'est rien, ce qui est terrible c'est la difficulté que nous avons à créer un lien possible entre ces quatre éléments !

    • J'avoue Chef que je n'y comprends rien, je donne ma langue au chat, euh, aux chiens, excuse-moi Molossa, pour me faire pardonner je descends chercher des croissants pour tout le monde.

Mais je n'en eus pas le temps. Mon portable tremblota dans ma poche. Je décrochai.

54

    • Allo Damie !

    • Tiens le Cat Zengler !

    • Damie, j'ai reçu un paquet des Etats-Unis, des disques rares que j'avais commandés, figure-toi que la boite dans laquelle ils étaient empaquetés était légèrement trop grande, alors le gars a bourré le vide avec du papier journal.

    • Vachement intéressant, my cat, ton truc, je suis enchanté d'apprendre que quand les colis sont un peu trop larges, les ricains rembourrent les vides avec du papier journal, tu me déranges à six heures quarante-sept du matin alors que nous sommes confrontés à une énigme aussi importante que le mystère des pyramides, mais tu es totalement cinglé my cat !

    • Calme-toi Damie, j'allais jeter les feuilles de journaux froissés lorsque je me suis aperçu qu'ils étaient écrit en français, un exemplaire de La Normandie Libre de mars 1964, le journal du coin d'ici, je parcours des yeux et je tombe sur tout un petit article, presque un entrefilet, écoute ça, je lis : '' Accident sur la Route Nationale 45, à l'entrée de Grandville. Une panhard vert-pistache s'est écrasée pour une raison inconnue sur un des platanes du village. Sans doute le chauffeur s'est-il endormi au volant. Christophe Dupoix a en effet trouvé la mort alors qu'il revenait de la fête locale du hameau voisin où il était parti pour assister à la première prestation d'un groupe de rock'n'roll nommé L'homme à deux mains monté par ses amis. ''

    • Ah, le Cat, je savais bien que si quelqu'un était capable de trouver un groupe de rock nommé L'Homme à Deux Mains'' c'était toi !

    • Attends Damie, ce n'est pas tout, le colis est arrivé hier matin, je me suis mis en chasse, coups de téléphones divers, papotages dans les villages autour de Granville, résultat des courses : ils étaient cinq dans le groupe : chanteur, guitare rythmique, guitare solo, basse, batterie

    • Formation classique, my cat !

    • Si tu veux Damie, formation maudite à mon avis, dans les mois qui suivirent, ils sont tous morts, une noyade, un empoisonnement aux champignons, un suicide par chagrin d'amour, un accident de moto, et un cancer foudroyant, le plus étonnant c'est qu'à l'époque personne n'a trouvé cela anormal, une mauvaise série de morts naturelles...

    • Oh le Cat, ça pue grave ton truc, fais attention à toi, ne sors pas de chez toi, on arrive en renfort.

55

Derrière moi, c'était la grande excitation, les chiens couraient un peu partout en aboyant sauvagement, et le Chef allumait un Coronado tout en chantant à pleine voix, '' Je veux revoir ma Normandie''...

( A suivre...)