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09/11/2016

KR'TNT ! ¤ 302 : FU MANCHU / HOWLIN' JAWS / TONY TRUANT ET LES GRYS -GRYS / DU ROCK'N'ROLL

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 302

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

10 / 11 / 2016

FU MANCHU / HOWLIN' JAWS

TONY TRUANT ET LES GRYS-GRYS

DU ROCK'N'ROLL

LE 106 / ROUEN ( 76 ) / 04 - 10 - 2016
FU MANCHU

Fu Manchu n'est pas manchot

,Fu Manchu, Howlin'Jaws + Olympic Café, Tony truant et les Grys - Grys,

Fu Manchu ? Voilà un groupe coupé en deux. On a l’avant et l’après Eddie Glass.
Eddie Glass appartient à cette caste des Guitar Gods, ces gens capables donner une vraie identité à un groupe. Non seulement Eddie Glass a inventé Fu Manchu (puis Nebula), mais il se pourrait bien qu’il ait aussi inventé le stoner, qui, lorsqu’il est inspiré, s’inscrit dans une lignée qui remonte à Leigh Stephens, et donc Blue Cheer, et à John Du Caan, celle d’un heavy heavy heavy blues rock. Le Graal des seventies. Le graas des seventies, devrait-on plutôt dire.

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Les deux premiers albums de Fu Manchu sont des classiques imparables. Dès, No One Rides For Free paru en 1994, Eddie Glass brisait la glass. Il fondait même toute la banquise avec ce cut génial qu’est «Time To Fly» - I’m gone bye bye I’m gone - pas de meilleure introduction au monde magique du stoner de dieu. S’ensuit un «Ojo Rojo» gavé de son comme une oie ou un âne, on ne sait plus, en tous les cas Eddie lâche son paquet de mélasse et ça splashe. C’est l’un des plus gros dépoteurs d’Amérique. Il continue de faire son festival de la vasouille du gras double dans «Show And Shine». It’s rainin’ cats and dogs, oh oui, ça pleut à verse. Encore une belle bouse d’heavyness avec «Mega Bumpers». Quand Eddie rôde dans les parages, on ne rigole plus. En B, on renoue avec le heavy doom de stoner glassique grâce à «Superbird». Eddie nettoie tout ça à la wha-wha. Ce mec est tellement bon que tous les cuts finissent par sonner comme des classiques. Le «Snakebellies» qui referme la marche sonne comme une fondue stoner à la Belle Hélène. C’est du son tellement gras qu’il finit par couler. Eddie attaque par tous les côtés à la fois. Quel carnage ! Il faut l’entendre tortiller ses tortillettes, ramoner ses gammes, dépoter ses bronzes, il fait tout ça en même temps, en plein cœur des fumées et des odeurs du grand œuvre libératoire.

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Le festival se poursuit dans l’excellent Daredevil, avec sa pochette ornée d’un buggy en plein saut de dune, comme celui de Steve McQueen dans L’Affaire Thomas Crown. Tous les ingrédients du stoner accourent au rendez-vous de «Trapeze Freak» : le gras double, le chant angelino, la lourdeur pathologique et la fumée spirituelle. Eddie amène «Tilt» au gimmick vicelard - Feeling so fine - et le groupe cède au vertige du garage. Eddie s’amuse ensuite à concasser «Gathering Speed». C’est gagné d’avance. Ils fondent le chaos avec un étrange sang froid. Tout le heavy rock des seventies est là. Quel album ! Il faut aussi les entendre swinguer la tourbe dans «Coyote Duster» et faire vomir le pauvre «Travel Agent». Si on veut voir un cut dégueuler du son, c’est là. Et si on apprécie le beat ralenti du bulbe, on se régalera de «Sleestak». Mais la vraie heavyness se trouve de l’autre côté, avec deux cuts faramineux, «Egor» et «Wurkin’», surjoués dans le riffing, ramollis dans le caoutchouc, coulants comme un gros Brie oublié sur une terrasse, à Marrakech. Eddie le diable se faufile comme un serpent dans toutes cette matière de son liquide. Il attaque enfin «Push Button Magic» au riff de Neanderthal. C’est d’une puissance qui dépasse le rock. Eddie n’en finit plus de surjouer le surjeu.

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Fin de l’âge d’or Fu Manchu avec In Search Of. Quasiment tout est bon là-dedans. C’est Eddie qui régale. Avec «Missing Link», on nage dans la crème au beurre du bonheur, dans une mousse de gras qui colle parfaitement à l’idée qu’on se fait du heavy rock. On assiste à une belle déroute de l’armée du rock dans une Bérézina de bouillasse sonique. Voilà ce que développe l’infernal Eddie. Il fait de cet album un épouvantable classique. Avec «Asphalt Risin’», il s’attaque directement à la saturation du son. Il n’en finit plus de grimper sur la brèche, il lâche sa purée cosmique à jets continus. Quel troupier ! Le carnage se poursuit avec «Cyclone Launch», broyé d’entrée. Eddie l’écrabouille. Il atteint la cime du stoner californien. Les autres aèrent avec des passages joués à la cloche du père fouettard. Eddie rôde comme un loup affamé, long, fin et baveux, il joue dans son ombre et plombe l’histoire du rock avant de partir en solo de wha-wha. C’est tout simplement exceptionnel. Back to the heavyness of it all avec «The Falcon Has Landed». Avec Eddie, ce groupe devient imparable. Scott Hill chante sur la marche lente du beat et au cœur de l’infernabilité des choses, notre héros Eddie part en solo de rêve. On le retrouve sur «Seahag» en éclaireur franc-tireur overdosé. C’est comme s’il épaulait un vieux fusil à bison et que le son sortait liquide au bout du canon. Ils bouclent cet album à fumerolles avec un «Supershooter» bardé d’accords wha-whateux. Eddie joue comme un forcené. Il part en solo sans prévenir et s’en va consterner la postérité qui n’avait rien demandé à personne.

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On entre dans l’après-Eddie Glass avec The Action Is Go. Le petit Bob Balch le remplace. On trouve quand même deux belles énormités sur cet album : «Hogwash» et «Grendel Snowman». Là on ne rigole plus, car Hogwash se montre digne des grands hits de Monster Magnet, avec son brouet baveux et les solos gras de Bob la bête qui filent à l’échappatoire. S’ensuit un Grendel monté sur un pur heavy groove de stoner et visité par un solo baveux, le merveilleux son de blues-rock dont l’amateur stonerisé jusqu’à l’os du genou est si friand. Ce sont là deux classiques indomptables. D’autres cuts sont devenus des classiques de Fu Manchu, mais ils banalisent un peu plus le stoner qui est un genre difficile. Exemple avec «Evil Eye» qui sonne comme la grosse Bertha et qui ne laissera pas de trace dans l’histoire. Côté mise en place, c’est parfait, mais il manque l’étincelle fatale. Bob Balch prend un solo complètement à la ramasse dans le cut suivant, «Unrethane». Il a l’art et la manière, et tout le son du groupe repose sur lui, désormais. Il sait se montrer entreprenant, surtout lorsqu’il écrase sa cry-baby d’un coup de talon rageur. Dans le morceau titre, c’est Brad Davis le bassman qui emporte le challenge, même si Bob graisse bien les choses. Ils ont tout bon, le son, l’esprit. Quelle équipe de Stormers du Stoner ! Leur principal atout reste le son. Encore un classique avec «Guardrail», joli brouet de boogie down et ils tapent «Anodizer» au gras double ralenti, avec des petites dynamiques internes. Tout l’art du stoner y passe, même les effets d’hypnose à la petite semaine. Ils savent flatter les oreilles blue-cheerisées, comme on le constate à l’écoute de «Strolling Astronomer» et dans «Saturn III», Bob Balch se couronne roi du solo liquide, vous savez, celui qui s’écoule comme une rivière de miel à travers la vallée des plaisirs.

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L’amateur de stoner trouvera sa dose sur (Godzilla’s) Eating Dust, surtout avec «Godzilla», ses histoires de subway train et ses solos tortillards. Belle louche de purée. Belle descente aux enfers du son. Le pauvre Scott Hill tente de freiner - There’s no stop now ! - Trop tard. Voilà un beau spécimen de heavyness - Go Go Godzilla ! - Autre belle tranche de stoner : «Eatin’ Dust», qui fait l’ouverture du bal. Bob se venge sur Eddie, il joue plus fort que lui. Il sort un son qui cogne dans le pulsatif. Oui, il pousse le son dans ses retranchements, ce qui n’est jamais bon pour sa santé. Il joue si dru que ça devient immoral. Et ça continue avec «Shift Kicker», tout est poussé à douze sur les potards des nanards. Ils n’ont qu’une seule loi : saturer le son jusqu’à lui faire rendre gorge. Ils le saturent jusqu’à la nausée. Ça grouille de gelées vertes de son et Bob file ventre à terre dans la mélasse. Ils attaquent «Mongoose» à la cloche et au sableur, comme chez Slade et chez Ike - Look inside this glory ride - Ils jouent la carte de l’hyper-catégorique avec the mongoose guys et ça se met à exploser pour de bon. Ils savent faire monter une sauce et Bob revient inlassablement gratter son riff. Il joue carrément des clameurs de riffs incendiaires. On voit des couches se superposer. Puis ils explosent le pauvre «Pigeon Toe» contre le mur du son. Ils sont complètement tarés de jouer aussi fort. Mais bon, ils aiment bien ça. Au moins pendant qu’ils s’amusent, ils ne font pas de bêtises.

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C’est donc cette équipe qu’on voit débarquer au 106 par un beau soir d’automne. Comme tous les californiens d’un certain âge, Scott Hill affiche un look de mec bien conservé. Il chante jambes écartées, en dessous du micro, comme Lemmy.

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Il tient bien son rôle de leader et gratte une belle guitare transparente, avec la niaque d’un gamin de quinze ans. Forcément, pour un mec qui a passé la cinquantaine, ça impressionne. Scott Hill se comporte comme tous les mecs qui traversent les décennies à la tête d’un groupe : en vaillant guerrier, sûr de sa force et de son art.

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Même si Eddie Glass s’est barré, Scott Hill continue d’y croire dur comme fer. Il s’appuie sur un son et douze albums dont les quatre premiers sont devenus légendaires. Fu Manchu attire un public spécifique : les fans de stoner. Ni metal ni punk, c’est encore autre chose. Mais la fibre du fan est la même, au fond. On voit des mecs au premier rang chanter toutes les paroles en chœur avec Scott Hill, comme lors du set des UK Subs, quand un mec chantait tout avec Charlie Harper.

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Le petit Bob Balch s’est laissé pousser les cheveux et avec sa barbe, il traîne un bon look de freak californien. Il sort un beau son gras sur sa Les Paul et c’est toujours un régal que de voir cocoter les grands guitaristes américains. On sent que Scott Hill fatigue, il prend un peu de temps entre chaque cut pour se reconstituer. Il faut savoir que le job de chanteur guitariste dans un groupe n’est pas de tout repos.

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Avec une discographie comme la leur, c’est un jeu d’enfant que de monter une set-lit. Ils ont largement de quoi faire sauter une sainte-barbe. C’est un peu comme Motörhead, les Vibrators ou Chuck Berry, ils n’ont que des classiques à proposer, mais pour ce concert, ils jouent tout l’album King Of The Road, avec un pic de tension au moment de «Blue Tile Fever». What an album, dirait un lapin blanc britannique.

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On note au passage que les Fu Manchu ont un faible pour les voitures. C’est pour ça qu’on les retrouve sur les pochettes des albums. Pour King of The Road, ils ont choisi une file de Fords Transit. Et on trouve quatre énormités bien dodues dans ce disque. «Over The Edge», joué au heavy riffing, aux placards de distorse et chanté à la Sabbath. Ces mecs là ne veulent pas se casser la tête : du gros riff de barré sur le Marshall stack en stock et hop, c’est parti. C’est sans surprise et ça roule sous la peau du son. Bob passe un solo dans le cambouis - The more we see the more we know - Et ça vire au solo de surface à la Ron Asheton. Ils battent le morceau titre en brèche et se ressourcent dans la fosse à vidange. Ils chantent ça à deux niveaux et flirtent avec le garage. Résultat plutôt dévastateur. Bob attaque «Hotdoggin’» au heavy et on croit entendre la voix d’Ozzy dans l’écho. Quel bel hommage. Puis ils montent «Freedom Of Choice» au beat des enfers de Dante, mais pas le Dante à la con des poèmes, on est ici dans le stoner du cornu, et Scott Hill chante comme un Anglais, c’est saturé de son et soloté à la bonne bourre. Avec le fumeux «Boogie Van», ils créent une fois de plus l’illusion. Ils grouillent d’idées et raffolent d’aventures. On se régale aussi de «Blue Tile Fever» monté sur un heavy beat pointé à la cloche. Ils connaissent toutes les ficelles. C’est un peu comme s’ils n’avaient plus rien à apprendre. Et nous non plus.

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Comme on l’a vu, ce groupe est excellent sur scène. Ce que confirme l’album Go For It Live. Ça blaste dès «Laser Blast», stomp de stoner stoned, complètement allumé aux gimmicks hendrixiens. C’est Bob qui fait tout le boulot. Il double le chant avec sa guitare. Il joue même le pyromane. C’est un teigneux qui ne recule devant aucun excès. Et pouf, ils enchaînent avec le gros «Asphalt Risin’». Bob navigue à la surface du temps. Tout l’intérêt de Fu Manchu se trouve désormais dans le harcèlement sonique de Bob. Ils s’amuse à pulvériser tous les cadres, tous les formats. Il ouvre le bal de «Mongoose» et le noie de son. Et ça continue comme ça sur deux disques, car c’est un double ! La version de «Boogie Van» vire à l’apoplectique. Bob passe un heavy riffing de rêve sur «Ojo Rojo», miracle stoner d’efficacité définitive, cocoté en diable. Et la version de «King Of The Road» sonne comme un hit de Steppenwolf, avec sa belle épaisseur riffique. Puissant et visité, bien excité par le cocotage. Sur le disk 2, on trouve une superbe version de «Hang On» martelée comme un chemin de croix, puis un «Wurkin’» joué au groove de stoner - an old song - Bob le tartine de saindoux. Ils se montrent une fois de plus totémiques. Et on retrouve la belle pulsasivité oblongue de «California Crossing». Ça file très vite sous le vent. Ces gens-là ne font pas semblant. Ça pue le soleil de Californie, les gens bien nourris et les peaux hâlées. Ils vont vite. Puis Bob nous graisse la patte d’«Over The Edge» et il refait le show avec ses solos. Véritable assommoir que ce «Regal Begel» bardé de son, incendié de la plaine, wha-whaté jusqu’à la moelle des os. Et ça culmine avec «Godzilla» qu’on voit marcher sur la ville. On entend des clameurs extraordinaires, c’est le hit de Fu Manchu. On retrouve aussi le fameux «Weird Beard» d’allure fatale. Les falaises de marbre s’écroulent dans le lagon argenté.

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On trouvera encore du bon matraqué du cortex dans California Crossing paru en 2001, avec un beau pick-up rouge sur la pochette. On y retrouve ce cher «Mongoose» joué à la cloche de bois. Pour l’amateur de stoner, c’est du gâteau. Bob nous barde le morceau titre d’une belle palanquée d’accords fourrés au chocolat, puis il visite le cut avec un solo aérien et s’octroie une petite crise universaliste au passage, histoire de lâcher quelques clameurs. Joli cut que ce «Wiz Kid» claqué aux petits accords efflanqués. Scott Hill refait son Ozzy. On reste dans le haut de gamme, c’est même assez affolant de nothing yet. Tout aussi énorme, voici «Ampin’», hanté par le fantôme de la heavyness. On a l’impression qu’ils avancent mètre à mètre, comme dans un combat de rue à Stalingrad. Mais Bob passe un solo gras qui nettoie tout. De toute manière, le gras règne sans partage sur tous ces morceaux. Le mot maigre ne fait pas partie de leur vocabulaire. Ces gens-là ont une certaine forme de savoir-vivre. Ils terminent l’album avec un «The Wasteoid» trop heavy pour être honnête. Aucun espoir de maigrir un jour. Le cut s’enfonce dans le saindoux.

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Désolé, mais Start The Machine est encore un disque énorme. Pour six raisons précises. Un, «Written In Stone» qui starte la machine et qui se grave aussitôt dans le marbre. Comme à son habitude, Bob gratte comme un dératé et part en virée wha-wha. Ils ont de l’énergie à revendre, c’est sûr ! Deux, «I Can’t Hear You», ce qui semble logique, vu le bruit qu’ils font, mais Bob joue un solo au chalumeau perceur de coffre. Trois, «Understand», monté sur un stomp de stoner. On croirait du glam. Quatre, «Make Them Believe», heavyness de la meilleure augure. On peut même parler de génie, dans ce cas. Ils se couronnent pour l’occasion rois du stoner à la cathédrale de Reims. Et Bob arrose tout ça d’un beau solo liquide. Cinq, «Open Your Eyes», qui n’est pas celui des Nazz. Ces mecs-là ne voudront jamais enterrer la hache de guerre. Tout ce qui les intéresse, c’est de s’énerver. Leur cut va vite, c’est de l’ultra-blast. Six, «I Wanna Be», stompé aux drums, une belle façon de tirer sa révérence.

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On sent une petite baisse de régime dans We Must Obey paru en 2007. Oh bien sûr, on retrouve le flic floc de l’épaisseur, les solos déflagratoires, mais tout ça finit par ronronner. Le hit du disk s’appelle «Land Of The Giants», riffé comme il se doit d’entrée de jeu, malin et malsain. Presque garage en eaux sales, car tempéré au heavy shuffle. Bob joue en suspension de notes congestionnées et ça vire en terminal de non-retour. Quelle monstruosité ! On a aussi une petite heavyness de derrière les fagots du désert avec «Let Me Out». Bob y passe un fascinant solo qui court comme le furet dans le canyon éclairé par la lune. On sent parfois que le son se muscle encore, comme c’est le cas à l’écoute de «Hung Out To Dry». Comme s’ils visaient une sorte de démesure de la heavyness. Bob nous roule tout ça dans sa farine bien grasse. Quand il attaque un solo, il fait toujours penser à l’aigle royal qui fond sur sa proie. «Shake It Loose» sonne comme du Motörhead, mais en plus sur-pressé, dans le high energy blasting de blow-outisme patenté. Les Américains savent cultiver la démesure.

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Signs Of Infinite Power est un album chargé à ras-bord de stoner apocalyptique et de beat obsessionnel. Pas de hit ici, mais du Sabbath cosmique épais à souhait et ralenti dans les virages («Steel Beast Defeated»), du Fu Manchu détaché de la terre et perdu dans le nulle part de groupes qui ne servent plus à rien («Against The Crowd»), du glam stomp qui fait illusion un court instant («Webfoot Witch Hat»), du riff broyeur chauffé au bec benzène («Eyes X10»), du no brain at all, du stoner sans horizon («One Step Too Far»). Bob tire son épingle du jeu dans le morceau titre. Sans lui, on crèverait d’ennui.

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Dernier album en date, voici Gigantoid, avec sa belle pochette surréaliste. Nos amis attaquent avec un «Dimension Shifter» tendu et sauvage comme l’étalon du même nom. Encore une fois, toutes les ficelles du stoner accourent au rendez-vous. Même le break est plus lourd que le plomb. Dans «Invaders On My back», Bob prend un killer solo. Pas facile de remplacer un gars comme Eddie Glass, pas vrai Bob ? Quand on écoute «Radio Source Sagittarius», on se dit que les voies du stoner sont souvent impénétrables. Elles suivent en effet les méandres d’un fleuve qui se perd dans le continent. On dresse l’oreille en B à cause d’«Evolution Machine». Nos amis chargent comme la brigade légère sous le feu des artilleurs russes. Sans peur et dans reproche, et comme d’usage, Bob fait des miracles avec sa confiture de fraise. Puis il remonte bien les bretelles de «Triplanetary». Brad en profite pour faire un beau numéro de basse. Il passe même devant dans le mix. On voit qu’il adore gratter ses cordes. Et ça se termine avec «The Last Question», un cut monté sur une lourde progression riffique, légèrement retardée par des semelles de plomb. Mais c’est leur truc. Ils raffolent des semelles de plomb. Avez-vous déjà essayé de marcher avec des semelles de plomb ? C’est pas facile. Eux, ils adorent ça. Ils adorent traîner dans ces lumières crépusculaires, dans ce paysage de planètes tombées du ciel comme des dés d’une table de jeu. Ils contemplent ce joyeux capharnaüm et savent au plus profond d’eux-mêmes qu’un coup de dés jamais n’abolira le hasard.

Signé : Cazengler, Fou manchot


Fu Manchu. Le 106. Rouen (76). 4 octobre 2016
Fu Manchu. No One Rides For Free. Bong Load Records 1994
Fu Manchu. Daredevil. Bong Load Records 1995
Fu Manchu. In Search Of. Mammoth Records 1996
Fu Manchu. The Action Is Go. Mammoth Records 1997
Fu Manchu. (Godzilla’s) Eating Dust. Man’s Ruin records 1999
Fu Manchu. King Of The Road. Mammoth Records 1999
Fu Manchu. California Crossing. Mammoth Records 2001
Fu Manchu. Go For It Live. Steamhammer 2003
Fu Manchu. Start The Machine. DRT Entertainment 2004
Fu Manchu. We Must Obey. Century Media 2007
Fu Manchu. Signs Of Infinite Power. Century Media 2009
Fu Manchu. Gigantoid. At The Dojo Records 2014
De gauche à droite sur l’illusse : Brad Davis, Scott Hill, Bob Balch et Scott Reeder.

GAZON MAUDIT

Je vérifiais le résultat de ma dernière invention. Ma modestie dût-elle en souffrir je devais convenir que la réussite s'avérait totale. Devant moi s'étendait une étendue de terre battue. Enfin ! Après des années d'efforts opiniâtres et de recherches incessantes j'avais réussi. Pas une herbe, pas un brin, même pas un cône de taupe ! Demain, ne me resterait plus qu'à déposer le brevet du produit. Une graine nouvelle, enrichie au napalm et à l'agent Orange. Vous épandez à pleines mains sur la surface incriminée et vous êtes tranquille – garantie pour deux millénaires – grâce à mon Gazon Attila, plus rien ne repoussera. Le moindre papillon qui s'en viendrait à voleter au-dessus de la zone tombe mort au deuxième battement d'ailes. J'avoue que le simple dégoût de passer toutes les semaines la tondeuse dans le jardin était la prosaïque raison qui m'avait motivé. Mais à la réflexion, je m'apercevais que j'avais mis au point l'arme écologique absolue. Désormais les paysans détenaient la possibilité de bloquer le développement des néfastes semences Monsanto. De facto inopérantes.
Donc disais-je je contemplais avec la satisfaction du devoir accompli les deux mille mètres carrés de pelouse avégétalisée lorsque un bruit inopportun me tira de ma méditation. Sacrebleu ! un hélicoptère frappé d'une cocarde tricolore abordait les premières manoeuvres d'atterrissage. Même pas le temps de rentrer à la maison pour m'emparer de mon bazooka ( oui, je dors toujours avec un bazooka sous l'oreiller, l'on n'est jamais trop prudent ) que j'étais entouré d'un groupe de commandos.
«  Messieurs, vous faites erreur, ceci n'est pas l'aéroport militaire, mais une parcelle privée entretenue avec le célèbre Gazon Attila.
 - Vous êtes bien, le sieur Damie Chad, ancien agent du SSR, Services Secrets du Rock and roll !
 - Oui je...
 - Parfait on vous embarque. Direction l'Elysée, ne rouspétez pas, le Président vous demande, c'est urgent »
Bref trois quarts d'heure plus tard le Puma me déposait dans la cour d'honneur du Palais Présidentiel.
Je montai en courant les degrés du perron Elyséen et me précipitai vers les grandes portes. En passant je crachai sur le gendarme en faction – que voulez-vous tout le monde déteste la police – un chambellan me héla : «  Arrêtez vos facéties. Dépêchez-vous, le Président est dans son bureau, deuxième porte à droite, au fond du couloir. »
C'était la grande réunion de crise, des ministres apeurés qui compulsaient frénétiquement leurs dossiers, des généraux chamarrés comme des arbres de Noël aux visages tendus, des larbins qui déroulaient une carte du monde sur le mur, et des soubrettes toute mignonnettes qui couraient dans tous les coins, visiblement à la recherche de quelque chose. Personne ne mouftait. Le Président n'était pas content, ne s'adressait en personne en particulier mais chacun se sentait visé par son ire vindicative :
«  Bordel de dieu de putain de merde, où l'ai-je encore mise, trouvez-la tout de suite, je vais vous les dégommer ces japs de merde, me faire ça à moi, c'est une insulte à la France, c'est...
 - Monsieur le Président, je l'ai retrouvée, elle était sous le porte-parapluie ! »
L'était toute fière la jouvencelle, mais sans un regard le Président lui arracha la valise des mains et la déposa devant lui. Il s'éclaircit la gorge et prit un air grave :
«  Messieurs, vous assistez à l'écriture de l'Histoire, dans dix secondes j'appuie sur le bouton et je raye le Japon de la carte. Je ne veux aucun survivant, cette sale race de rastaquouères jaunâtres n'aura même plus le plaisir de se rappeler d'Hiroshima. Je compte jusqu'à dix et hop je les envoie au paradis. Un, deux, trois...
 - Hum, hum ( c'était le toussotement nerveux du plus décoré des généraux ) certes le geste a du panache, mais ne règle en rien l'affaire, Monsieur le Président !
 - Comment cela, expliquez-vous, maison close cacapouïque ! c'est à croire que je suis entouré d'incapables !
 - Si vous envoyez les bombinettes, ils seront eux aussi victimes de notre action. Vous imaginez les rires des ruskofs et des amerloques ? Vont se moquer de nous pendant dix ans !
 - Lupanar de fientes d'autruches, je n'y avais pas pensé, et vous avez raison. Que faire, que me proposez-vous alors ? »
Il y eut un silence de mort. Une minute qui dura un siècle. Je ne comprenais rien, et me faisais tout petit dans mon coin.
«  Tant pis. Ne pas agir serait pire. Sûr que les Popovs et les Ricains se moqueront, mais les Chinetoques ne seront pas fâchés que je raye leur ennemi héréditaire de la terre. Stratégiquement, c'est jouable. Bon je continue, quatre, cinq, six – l'était content de sa leçon de géopolitique le prés, prit le temps de poser son sourire béat sur l'assistance – mais qui êtes-vous là dans votre coin ? Ne seriez-vous-pas un espion, qu'on me le fusille tout de suite, sept, huit, neuf...
 - Hum, hum ! Monsieur le Président, c'est le spécialiste du Rock'n'roll que vous aviez demandé. Monsieur Damie Chad, expert es rock'n'roll, me semble être l'homme de la situation. Sans doute pourrions-nous lui accorder deux minutes pour qu'il nous donne son avis. C'est un ancien du SSR, peut-être serait-il à même de débrouiller l'affaire sans que nous parvenions à la toute extrémité de votre décompte, Monsieur le Président ?
 - Pour vous servir, Monsieur le Président, mais quel est le problème ? Pourrait-on me mettre au courant ?
 - Hum, hum, afin de rééquilibrer en notre faveur la balance commerciale entre nos deux pays, nous avons entrepris une action de séduction envers le Japon. Nous leur avons envoyé nos orchestres philharmoniques les plus renommés, nous leur avons prêté des collection entières du Musée du Louvre, sans résultat. A croire que les japonais sont insensibles au rayonnement culturel de la France !
 - C'était une erreur -explosa le Président - ces vermines de Japs sont des sauvages. Qu'attendions-nous de bouffeurs de poissons crus ? C'est alors que nous est venue une idée mirifique. A ces sauvages, l'on a bazardé de la musique de sauvages. Et hop, nous leur avons expédié les Howlin' Jaws. Jamais entendu parler mais la fille de la concierge nous avait assuré qu'il n'y avait pas plus « friteux » sur la région parisienne. Le résultat ne s'est pas fait attendre au bout de trois concerts, ces satanés japs nous ont commandé deux porte-avions et trois escadrilles de Rafales.
 - Monsieur le Président, je ne saisis pas le problème. Apparemment vos espérances les plus folles ne sont-elles pas comblées ?
 - Plus que vous ne croyez, hier ils ont encore passé commande de deux Frégates et de trois sous-marins. Mais ce matin, nous ont prévenu qu'ils ne nous rendraient jamais les musiciens. Sont trop bons qu'ils disent ! Doivent produire une musique de marteaux piqueurs et croyez-moi, si cela ne tenait qu'à moi, je les leur laisserai sans problème. Mais vous entrevoyez la honte internationale : trois jeunes français retenus en otage par le Japon. Déshonneur gaulois ! Je vous laisse trois heures pour débrouiller la situation. Après quoi je compte jusqu'à dix et fin du japitre ! Deux bons coups d'une même pierre, on se débarrassera des Japs et de trois jeunes sauvageons qui ne savent plus quoi faire pour casser les oreilles de leurs concitoyens ! »

Trois heures plus tard.

«  Mission Ippon Nippon accomplie, Monsieur le Président, les Howlin'Jaws rentreront en France à l'heure prévue. La négociation a été rude. Mais depuis la tournée de Gene Vincent au pays du Soleil Levant en 1959, le SSR a toujours gardé des relations amicales avec les services secrets japonais. Je vous passe les détails. Les discussions furent âpres. La France s'en tire bien, les Japs respecteront leurs commandes, ont même demandé en plus dix mille tonne de graines de Gazon Attila qu'ils veulent répandre sur la région dévastée de Fukushima, juste pour arrêter au sol les radiations nucléaires. Par contre, léger bémol, en contre-partie avant de monter dans l'avion les Howlin'Jaws devront donner un concert supplémentaire. Comme ils sont contents de revoir leur famille, ils vous invitent samedi soir à leur concert à l'Olympic Café, à Paris. Seraient très honorés de votre présence, Monsieur le Président.
 - Parce que vous croyez que j'ai envie de me faire crever les tympans ! Pas question !
 - Monsieur le Président, si je puis me permettre, leur déception sera immense...
 - On leur dira que j'ai une réunion importante, un sommet secret des chefs d'état de l'hémisphère sud. Et puis tiens, une deuxième bonne idée, c'est vous-même en personne qui irez leur présenter mes regrets personnels. Je compte sur vous pour emballer le morceau. Et avant de partir, passez au ministère de l'Agriculture, sont intéressés par le Gazon Attila.
 - Mes respects, Monsieur le Président
 - Tâchez de survivre samedi soir. Nous avons intercepté une dépêche de la CIA, selon leurs agents, les Howlin Jaws sont une calamité rock and roll ! »

Voilà pourquoi ce samedi, j'arrêtai la teuf-teuf, rue Léon, devant l'Olympic Café.

OLYMPIC CAFE / PARIS ( 18°) / 04 – 11 – 16


HOWLIN'JAWS
TONY TRUANT & LES GRYS GRYS

Vaste café l'Olympic, tout en longueur, le sol carrelé avec ces mini carreaux à la mode à la fin des années soixante. Ce n'est que la partir émergée de l'iceberg, au sous-sol se trouve la salle des concerts, front de scène assez large, bar au bas des escaliers dans le fond, loges pour les artistes et fumoir attenant sur la gauche. Personne, j'en profite pour assister à la balance des Howlin'. Le son est plus que bon, fort, très fort, mais pas du tout assourdissant, un miracle d'équilibre. Ce sera ainsi tout le long du concert. Peu de monde mais comme très souvent à Paris, lorsque les lumières s'éteignent la salle se remplit dans votre dos sans que vous en rendiez compte.


HOWLIN'JAWS

fu manchu,howlin'jaws + olympic café,tony truant et les grys - grys


Les Howlin' sont sur scène. Paraissent plus grands qu'avant. Une illusion psychologique. N'ont pas aspergé de trente centimètres en trois mois. Ont mûri, ont pris confiance en eux. Faut dire que les évènements s'enchaînent. Une tournée au Japon, une résidence au China Club, une tournée en Belgique et en Allemagne en décembre, l'on sent que c'est bien parti. Le groupe a pris conscience de sa valeur, ne jouent pas du rock'n'roll, comprennent qu'ils jouent leur rock'n'roll. Nuance infime lorsque ce sont les mots qui tentent de la décrire mais qui fait toute la différence lorsqu'un groupe la met en pratique.
Trois sur scène. Djivan derrière son micro girafe, Baptiste à la batterie, Lucas à la guitare. C'est ainsi que ça se passe. Les Howlin' ont résolu l'épineuse triangularisation du trio rock. Ne s'agit plus de plancher sur la sacro-sainte règle des trois unités. Le rock est un transfert d'énergie. Z'ont compris la manoeuvre. D'où ils viennent et où ils vont. Sans oublier le point de passage. C'est cette articulation-là que l'on retrouve systématiquement dans tous les morceaux des Jaws. Les Howlin' c'est la radicalité du rockabilly représentée par Djivan et l'effulgence british opérée par Lucas. Cela vous saute à la gueule dès le premier morceau. Cuttin Out, les tripes à l'air tout de suite. Ne pas perdre de temps dans le swing, directement dans le stomp, Djivan aligne les notes, crescendo, à la suite, c'est la continuité qui crée la ligne mélodique dont on se fout comme une guigne ; à l'autre bout Lucas fait exactement le contraire, les notes il les propulse, une à une, ou plutôt deux à deux, mais jamais à la suite, les lâche par à-coups, le temps d'une ouverture, d'un renversement, d'une brisure. Traduit cela magnifiquement dans son corps. Se fend en deux, une espèce de dérèglement subit d'un centre de gravité que l'on pourrait qualifier de cubiste. Un écartèlement qui fuse du dedans, pour éclater au-dehors. Se cambre, les nerfs tendus, la guitare projetée en avant et les bras en allant qui bougent comme la gueule d'un squale affamé. Musique violente. La mélodie inaudible s'inscrit dans le silence des ruptures. Baptiste hérite peut-être de la tâche la plus lourde. Ses deux acolytes s'expriment sans paraître se soucier de leur concordance. Sont sûrs d'eux pour la simple raison qu'ils savent que c'est Baptiste qui recolle les morceaux de la porcelaine. C'est lui qui leur permet de rester libres. Quoi qu'ils fassent, quelle que soient leurs volitions, lui il amalgame. Fomente l'alliage. Interpénètre les deux métaux que les cordiers martèlent sur leur instrument et c'est lui le batteur qui produit le son de base qui englobe le tout. Le quatrième élément, c'est le chant. Djivan ne chante plus, il joue de sa voix comme d'un quatrième violon. La pose comme une section de trompettes que l'on mixe sur une bande.
The Urge, Oh Well ! King of the surf, Stranger, les Howlin' ont traversé la Manche. Un son de plus en plus anglais. Ceux des premiers temps, quand Animals et Yardbirds avaient entrepris de faire sonner leurs instruments comme jamais auparavant. Un truc tout simple, vous voulez une guitare alors jouez comme s'il n'y avait que vous dans le combo. Ne vous souciez pas des copains, feront de même avec leurs propres bécanes. Un parti-pris qui vous densifie la musique à l'extrême, en contrepartie vous êtes bien obligé de faire méchamment gaffe à ce que démantibulent vos flamboyants si vous voulez en placer une de temps en temps. Une stratégie qui vous prouve que le mieux est l'ami du bien. Un objectif : produire un son. Car le son c'est le groupe. C'est ainsi que Beck, Page, et Mickie Most ont modulé et modelé le rock. Les Jaws effectuent une telle montée en puissance, parce que partis de l'extrémisme rockabilly ils redécouvrent l'esthétique bluesique des anglais.

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Un morceau en français, fallait bien un zeste de couleur locale pour les Japonais, alors ils leur ont offert un vieux truc du patrimoine : le Oui je m'en vais de Jaky Delmone. Petit chanteur du début des années soixante. Sympathique. Réservé aux nostalgiques un peu pointus abonnés à Jukebox Magazine. A l'époque en France, les bons guitaristes se comptaient sur les cordes d'une basse. Jackie Delmone, ce n'était pas le démon. Maintenant filez un canasson à un bon cavalier et vous verrez le différence. Les Jaws vous le transforment en surf de la mort sur les plus hautes lames de Californie.
N'y a pas que moi qui apprécie les Jaws, le public s'est rapproché et ça tangue plutôt bien. You got to Lose, That's All Right, Tough Love, Snake your Hips clôturent le concert. Les Jaws changent un peu de braquet, un peu moins brutal et davantage de séquences instrumentales, juste pour montrer ce qu'ils savent faire. Un régal. Terminent sur une ovation.

TONY TRUANT & LES GRYS GRYS

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On ne présente plus Tony Truant, une légende du rock français, successivement guitariste des Dogs et des Wampas. Un visage qui accuse l'âge mais une sveltesse de gamin. Une chevelure qui lui tombe sur les épaules, bouclée et crénelée comme la tour de Nesle. Sait ce qu'il veut : des guitares à fond de train et rien d'autre. Doucement et sûrement n'est point sa devise. Professe une dernière fantaisie. Chante en français. Exclusivement en french language. Faut un peu de temps pour s'y accoutumer. L'on a davantage l'habitude de yaourter en un anglais qui se bouffe les mots que de découper la vaste amplitude palatale des sonorités latines de l'articulation des syllabes françaises. Tous Egaux devant l'Asticot, Vérole et Dose de Cheval, permettent d'ajuster les tympans. L'est malin Tony Truant lance le morceau sur un train d'enfer et puis pas fou il laisse l'orchestre se débrouiller pour assurer la route. Lui, dès qu'il se plante devant le micro il passe en rythmique et allez les petits jeunes, c'est le moment de foncer tête baissée. N'a pas tort parce qu'il n'a pas choisi les derniers des bras cassés pour l'accompagner. Les Grys Grys seront les rois du show.

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Un truc qui m'a sauté aux yeux dès les trente premières secondes. Le bassiste ne sait pas jouer de la basse. Vingt minutes plus tard Tony confirmera, deuxième soir qu'il joue de la basse. Inutile de crier au scandale. Ce n'est pas un bassiste. C'est beaucoup mieux. Un guitariste. Un soliste. Donc  ce soir nous aurons trois guitares, une avec le son légèrement plus grave, mais sans plus. Nous avons droit à un véloce aux doigts particulièrement agiles.
Ensuite il y a un harmoniciste. Sur les deux premiers morceaux il s'est comporté comme un harmoniciste. On ne lui en aurait pas demandé davantage. L'a bien ressorti son harmo trois ou quatre fois, pour tirer un riff durant une quinzaine de secondes, mais après bye-bye s'en détournera sans regret. Son truc à lui, c'est les maracas. Une, deux, trois ou cinq, qu'importe pourvu qu'il puisse les agiter frénétiquement, on le devine heureux. Enfin presque. L'a tout un tas de percus dont il use sans discrétion, plus une washboard, plus un tambourin. Quand il a épuisé sa collection il squatte une des cymbales de son batteur. Vous ne comprenez pas, trois guitares lancées à fond, un bat-man imperturbable qui cogne comme un forcené, Tony qui apostrophe le micro, comment peut-il espérer que des grésillements de pépins de calebasse puissent atteindre l'oreille des spectateurs ? Je vous affirme qu'on les entend. Très bien. C'est qu'il dépense une énergie incroyable. Incapable de rester en place. Saute partout. Bondit si haut, pour un peu il s'écraserait la tête contre le ourdi et la vision d'un gars, le crâne éclaté , les cheveux ensanglantés, restant collé au plafond nous apparaît comme une possibilité des plus logiques. Inéluctable.

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Vous n'y échapperez pas. Le troisième guitariste. Pardon : Le Guitariste. Porte un badge qui annonce la couleur : Flamin'Groovies. Tout un programme. La traversée du Jordan en aircraft. Pas une once de frime. Tout en concentration. Maintenant prêtez l'oreille. Si ça turbine à deux mille quatre cent tours à l'heure, c'est grâce à lui. L'a l'air de ne pas s'agiter. Les autres posent la première pierre et lui il finit la baraque de B à Z. Peuvent courir devant, lui il termine ce qu'ils ont débuté et laissé en plan pour aller plus loin. Et comme la stratégie de Tony est très simple. Rock and roll à fond les manettes, le morceau le plus lent est toujours le précédent, au fur et à mesure que le concert se déroule, son jeu prend de plus en plus d'ampleur. Les autres lui laissent à chaque fois davantage de boulot, et lui comble les trous avec une extraordinaire virtuosité. Après la version hyper speedée de Trop de Classe pour le Voisinage... Le Too Much Class... des Dogs, c'est carrément la chienlit riffique, c'est lui qui dresse la Tour Eiffel, à coups de trompes terminator. S'avance de guingois et darde le manche de sa guitare sur le public qui exulte. Un grand.
Faut dire que ça transbahute de tous les côtés. L'ambiance ressemble à un concert métal, ça houle de bâbord et de tribord, les corps s'entremêlent et se frottent avec violence, ça sent la bière renversée et la sueur de filles, l'on patauge dans le whisky et l'on essaie de surnager dans ce tohu-bohu festif. Règne une chaleur d'enfer. L'harmoniciste se vide un grand verre d'eau sur la tête, et un spectateur se précipite à ses pieds, pour allongé de tout son long, laper à même le parquet le liquide désaltérant. Tony remercie l'assistance, ne sait pas quoi dire, et comme il ne sait que jouer du rock and roll il relance la cadence. Vieux Canards, Dypsomanie, Zaza... les titres se suivent et se ressemblent dans leur folie furieuse. Lucas des Howlin' ne quitte pas des yeux le guitariste et hurle de joie, lorsque celui-ci lui ressort un de ses propres plans, deux notes qui font le grand écart aussi meurtrières que la botte de Nevers.
Maman n'aime pas ma Musique de Dick Rivers, et c'est la fin sur Merci... Mais ils ne parviendront pas à quitter la scène. Trop de désirs palpables émanent de la foule qui s'écrase sur le bord de l'estrade. Reprennent le taureau furieux par les cornes pour un ultime morceau.

BILAN


Chaude soirée ! Les Grys Grys sont à mettre dans le collimateur. Viennent d'Alès faudra les voir en tant que groupe à part entière. Avec un peu de chance cet été dans le Sud. M'ont plus impressionné que Tony Truant lui-même. Qui n'est pourtant pas né de la dernière pluie. Quant aux Howlin' Jaws, ce sont eux les authentiques rois de la soirée. Tony ressert une vieille recette, un potage qui ne manque pas de saveur, mais les Howlin' sont en recherche, ils essaient de faire progresser le rock, sont en train de faire péter les vieux cadres, et cela ça n'a pas de prix.


Damie Chad.

 

( PS : Les photos ne correspondent pas çà la soirée )

DU ROCK'N'ROLL

I : ETAT DES LIEUX


Three Stars est le titre d'un morceau d'Eddie Cochran qu'il enregistra au lendemain de l'accident d'avion qui coûta la vie à Buddy Holly, Big Bopper et Ritchie Valens, en 1959 voici près de soixante ans. Le rock n'en est pas mort pour autant, certains diront qu'il a même atteint un âge respectable. C'est ce qui pouvait lui arriver de pire.

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Difficile à admettre mais le rock n'est plus ce qu'il a été. S'est pourtant bien battu. L'a été durement touché, envoyé à terre, enterré même, mais il s'est relevé et est reparti à l'attaque comme si de rien n'était. 1956, 1964, 1977, dates symbole qui ne veulent rien dire mais qui signifient toutefois quelque chose. La génération des pionniers, l'anabase invasive anglaise, la révolte punk. Je vous en offre deux lectures. L'establishment amerloque qui parvient à juguler la trombe de cette jeunesse dévoyée qui n'eut rien de pire à faire qu'à adopter les us et coutumes des nègres... La vague britannique submergeant tout, souveraine, hégémonique, colonisant le monde entier finissant par distiller un ennui profond. Super groupes, musiciens cultes, trop parfaits, trop brillants, trop lisses, tournent en rond, lassent le public qui aspire à des nourritures davantage roboratives. L'éclosion punk. Un feu de paille, et de colère, mais qui remet les pendules à l'heure tout en arrêtant définitivement l'horloge.

Fifties, sixties, seventies, le compte à rebours est commencé. Pouvez aussi comparer ces différentes étapes à celles de la Révolution Française, le Tiers-état qui secoue le cocotier, le triomphe de la République, la Conjuration des Egaux, et puis patatras, l'on passe à une autre séquence historiale. C'est à ce moment que ça se gâte pour le rock'n'roll. Depuis les eigthies l'on patauge dans le Directoire dilatoire et l'on n'est jamais parvenu aux fastes victoriaux de l'Empire...

Oui je sais, le grunge, le hard, le garage, la musique industrielle, le noise, la teckno, le métal... Beaucoup de rock a coulé sous les ponts depuis... N'empêche que le rock'n'roll donne l'impression de se mordre la queue. L'engendre des sous-genres, des voies sans issue, qui vous éloignent plus qu'elles ne vous rapprochent du sujet. Comble d'ironie, le bâtard du blues se bâtardise. S'acoquine avec les musiques du monde, les uns exaltent ces mélanges séminaux les autres déplorent ce parasitisme variétoche. Le rock se termine comme le jazz. En eau de boudin. A épuisé toutes ses possibilités, est incapable de se renouveler, s'en va se servir dans les grandes surfaces démagogiques, lui qui ne fréquentait que les boutiques hyper spécialisées. Le carnivore électrique change de régime, broute à tous les râteliers.

II : SURVIVANCE


Mais tout cela n'empêche pas Nicolas que la Commune n'est pas morte. Le rock'n'roll survit. Cryptes, vieille garde et nouvelles franges. Devient une musique de ruche. Qui vrombit de mille insectes. Génération rockabilly, elle meurt mais ne se rend pas, pas encore en vue du cimetière mais se rapproche de la retraite. Vieux briscards du blues électrique. Font le pont entre la précédente et la suivante. Hordes métalliques, qui se renouvellent sans cesse à partir du terreau lycéen.

Le rock est partout, concerts dans les caves, les lieux spécialisés, les cafés, les bars, les festivals, les clubs de bikers, les petites structures municipales... Minoritaire mais actif. Porté à bout de bras par des associations, des blogues, des labels, des groupes. Une fourmilière chaotique qui reçoit bien des coups de pied mais qui reconstruit sans cesse des galeries où déposer ses larves. Ce n'est pas la grande invasion des termites qui s'apprêtent à ronger définitivement les poutres maîtresses de nos sociétés coercitives, mais un abcès de fixation purulent insensibles aux antiseptiques dont on le parfume régulièrement.

III : CONTRADICTIONS

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Subsiste toutefois un malaise. Les gouffres lovecraftiens qui renferment les Grands Anciens ne deviennent vraiment palpitants que lorsqu'ils laissent échapper quelques vapeurs méphitiques qui s'en viennent mettre le monde en grand danger. Certes la défaite est assurée mais dans les livres et les films les scénarios doivent naviguer entre deux écueils : la mort du héros, et tout aussi mortel, le triomphe définitif de ce même héros. Dans les deux cas, la poule aux œufs d'or est trucidée.

C'est identique pour les fans de rock. Fierté de faire partie de la légion des damnés, de s'adonner à un culte réservé à une élite, ultra-minoritaire mais ô combien exaltante. L'esprit des catacombes transfigure votre existence. Bien beau de former la minorité active, de fomenter la conjuration de Catalina, mais au bout du compte surgit la désagréable impression de s'être bâti une niche égotiste de survie écologique sans trop d'avenir. Nous avons creusé le trou, mais ce n'est pas nous qui avons vissé le couvercle dessus. L'on aimerait des lendemains qui chantent, l'on se contente des petits matins blêmes de la survivance.

L'on se raconte les vieilles légendes, Elvis foudroyant l'Amérique après une seule apparition télévisée, l'arrogance des Rolling Stones fédérant le mal-être de toute une génération, les Sex Pistols qui se jouent des médias, Led Zeppelin qui impose sa loi au showbizz... Grandiose ! Si Victor Hugo revenait il rajouterait quelques épisodes à la Légende des Siècles... Z'oui ! Zûrement ! Mais ne regardons pas trop derrière les belles images. Le rock a longtemps fonctionné comme les fusées à deux étages. Croyez ce que je dis, mais ne cherchez pas à savoir comment je le fais. Assis sur des gros tas de billets de banque. Derrière moi, il y a des majors, des entreprises qui font la course au profit, des actionnaires aux griffes acérées. Le rock n'aime pas le système mais le Système s'est dépêché d'adopter ces orphelins auto-proclamés. De la bonne zique par devant, et du gros fric sur les côtés. Jeunes gens en colère, chantez les frustrations mais entassons les millions. Suffit de présenter l'addition aux fans qui se feront un honneur de payer cash vos royales galettes.

Tout poison possède son antidote. En rock, cela s'appelle le Do It Yourself. Ecrivez vos paroles, enregistrez chez vous, ou chez des amis, vendez vos disques à la fin des concerts, faites votre pub sur internet, avec les moyens modernes induits par les nouvelles technologies, les réseaux sociaux, et un peu d'imagination, tout devient possible. Pour pas cher.
Pour pas loin aussi. Certes le monde a évolué. Fut un temps où vous étiez enfermé dans une cage. Vous avez maintenant la possibilité de créer votre zoo à ciel ouvert. Voire de résider dans une vaste réserve naturelle. C'est vous qui gérez les entrées et la réception des charters de touristes. Ne vous en prenez qu'à vous-même si vous ne vous y retrouvez pas. Appliquez vos idées philosophiques. Permettez-vous les petits prix, le chapeau de la contribution participative ou volontaire et même la gratuité absolue. Vous êtes libres. Dans l'espace délimité que nous avons eu la magnanimité de vous laisser. Si vous voulez pâturer hors des clôtures, vous changez de braquet. Ne venez pas vous plaindre si bientôt vous plafonnez. Dans vos revenus. Ou vous roulez en Deux-chevaux ou en Porsche. Ce ne sont pas les mêmes carrosseries. Ni les mêmes performances. La loi du marché. Nous n'y pouvons rien. Circulez, il n'y a plus rien à voir.

III : LAMARTINIENNES MEDITATIONS

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Le fan de rock est ainsi. Tel Ulysse entre Charybde et Scylla. A première vue des monstres pas si méchants que cela. Si vous choisissez le tourbillon, il vous refile une pêche extraordinaire vous avez l'impression de diriger votre destin, de mener votre barque à votre convenance. Pas d'intermédiaire entre le groupe et le fan. Principal danger : les eaux stagnantes de la dérive centripétique, vous vous engloutissez doucement au fond de l'abîme. Vous ramez à contre- courant mais vous accéderez un moment ou l'autre à l'épuisement... Ou alors vous abordez la crique accueillante du rivage. Vous plantez vos graines. Récoltes abondantes. Vous engraissez. Votre profil s'épaissit. Les chiens de la mer vous engraissent à chaque morsure. Vous brisez les miroirs pour pouvoir vous y regarder sans trop de risques. Mutation de votre métabolisme.

Fut un temps idyllique où l'hypertrophie du succès des groupes réjouissait les fans. La machine à fric vous pompait votre argent mais vous refilait des jetons de présence. Pas en espèces sonnantes et trébuchantes. Mieux que ça. En abstraction fiduciaire. Améliorait votre propre représentation hologrammique. L'idole se nourrissait du fan, et le fan de l'idole. L'artiste empochait the money et l'admirateur l'érigeait en totem propitiatoire dans son jardin intérieur. Pensait gagner au change. La valeur n'est-elle pas supérieure au vil métal ?

Une espèce d'alchimie d'un genre nouveau. La musique-rock se transformait en Rock-Culture Un partage à parts égales puisque communautaire. Elaboration d'une nouvelle attitude philosophique devant l'existence. Un regroupement de tribus bigarrées aux mœurs et coutumes divergentes mais en dernier ressort fédérées par ce vent énergétique propulsé par le rock and roll. Entre les Hells Angels et les Hippies la distance n'était pas plus grande que les modes de vie des différents peuplements des natives auxquels les colons furent confrontés sur le sol américain. Eux aussi perdirent les guerres indiennes. Comme nous. Sont parqués dans les réserves mais en contre-partie peuplent nos imaginaires.

La rock-culture est devenue un phantasme culturel. Le fan se répète à l'infini les scènes légendaires du film, qu'il ait ou non - cela dépend de son âge - participé à son tournage. Entre l'attitude et l'authenticité, souvent vous ne trouverez que l'épaisseur d'un billet de banque. Mais ceci est un autre problème. L'Homme se distingue des autres espèces animales par le fait qu'il produit des artefacts iconiques - non pas tellement des objets de terre, de bronze ou de titane - mais des représentations mentales qui s'immiscent entre lui et son rapport à la réalité de la nature.

Par corollaire nous pouvons affirmer que nos conduites sont soumises à l'emprise de notre milieu organisationnel social. Le rock and roll n'est qu'une réaction musicale et attituduelle – ce qui signifie contre-réaction instinctive et donc philosophique ( car la conceptualisation philosophique n'est que l'appréhension intellectuelle d'un mouvement de rejet ou d'attirance non encore raisonné devant une situation donnée ) - à un milieu évolutif jugé par trop contraignant.

Nombreux sont ceux qui s'étonnent du fanatisme des rockers. Avoir fait du rock and roll l'un ( souvent ce mot prend ici le sens d'unique ) des azimuts essentiels de sa vie étonne. Much ado about nothing, comme dit Shakespeare. Beaucoup de bruit pour rien. La traduction française évoque mieux le volume sonore incriminé ! En concluent que le rocker est un être sectaire. N'ont pas tout à fait tort. Ni tout à fait raison. L'est aussi, pour suivre une terminologie qu'adorent les sociologues et nos décideurs politiques, un indicateur. Le jour où cette balise n'émettra plus de signal, vous pourrez commencer à vous inquiéter.

Ce ne sera pas simplement qu'une génération aura été enfouie dans les froids caveaux ou réduits en cendre dans les brûlants incinérateurs des cimetières. Ce sera la deuxième extinction des monstres dinosauriques. Les manifestations sociétales de ces individus traduisaient l'imminence de l'émergence d'une société libérale d'esclaves satisfaits de leur servile condition. Et même s'ils n'y trouvent aucune satisfaction – I can't get no - ce sera trop tard. Cauchemar générationnel ? Le rock n'est-il qu'une forme parmi tant d'autres de rébellion métaphysique et infrapolitique ? Danger Zone.


Damie Chad.

 

 

02/11/2016

KR'TNT ! ¤ 301 : JOE CLAY / VINCE TAYLOR / MAXIME SCHMITT / L'ARAIGNEE AU PLAFOND / WAMPAS

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 301

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

03 / 11 / 2016

 

JOE CLAY / VINCE TAYLOR / MAXIME SCHMITT /

L'ARAIGNEE AU PLAFOND / WAMPAS

Un Joe clé

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«En 1982, j’assistais au set d’un groupe de revival dans le sous-sol d’un club de Toronto. Un Mister Hairdo avec une pompadour exagérée - il me dit plus tard qu’elle tenait avec le Royal Crown qu’utilisait Elvis et qu’on trouve encore chez Honest Ed - commença à gueuler pour réclamer un morceau de Joe Clay. Le copain de Mister Hairdo demanda : ‘Mais c’est qui Joe Clay ?’ Je n’en avais pas la moindre idée moi non plus. Je me sentais même complètement largué.»
Voilà comment Graig Morrison attaque son hommage à Joe Clay dans Go Cat Go !

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Joe Clay vient de casser sa pipe, ce qui paraît logique vu qu’il date de l’époque des débuts d’Elvis. D’ailleurs, un jour où DJ Fontana était malade, Joe le remplaça pour accompagner Elvis à la batterie. Hey Joe !
Morrison ajoute que Joe Clay frappa l’imagination des connaisseurs grâce à une poignée de purs classiques de rockabilly enregistrés en 1956, dont l’excellent «Ducktail» composé par Rudy Grayzell. Comme Lew Williams ou Gene Maltais, Joe n’enregistra hélas qu’une poignée de cuts, mais il est entré dans la légende grâce à la fulgurance de son style.
Précision capitale : Joe vient de la Nouvelle Orleans, comme Frankie Ford. Et de la même manière que Mac Rebennack, Ronnie Barron ou encore Shirley & Lee, Joe a démarré de bonne heure. À douze ans, il grimpait sur scène.
Morrison dénombre deux sessions dans la courte carrière de Joe : une première à Houston où il est accompagné par Hal Harris et Link Davis, et une autre à New York un mois plus tard, accompagné cette fois par Mickey Baker et deux batteurs.

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On trouve ces deux sessions sur un album Bear paru en 1986, Ducktail. Si on aime le wild primitive rock’n’roll, on est servi. Et même plus que servi. Tout est bon là-dessus, beaucoup trop bon. Dès «Ducktail», on comprend que ça va chauffer, car Joe fait comme Carl, il te prévient, si tu touches à ma banane, ça va barder pour ton matricule - If you mess my ducktail/ I’ll get so mean to you ! - C’est du pur jus de rockab explosif, swingué à la sautillade de 56, le pire qui soit. Il est d’ailleurs resté inégalé. En B, on trouve l’effarant «Sixteen Chicks», composé par Link Davis, beau rock de rockab pulsé des reins et bousculé au challenge d’épaules, joué à la souplesse d’une sauvagerie de semelles de crêpe. Joe n’est pas aussi beau qu’Elvis ou Eddie Cochran, mais c’est un félin du son, un couguar du rock des bois, il nous sonne les cloches avec ses manières du trappeur du fleuve, oublié de Dieu et des hommes. Tiens, encore un titre issu de cette session fatidique : «Sleeping Out And Sneaking In», un mid-tempo rockab d’allure martiale chanté du gras de la glotte. C’est tout simplement admirable. On n’ose à peine imaginer le carton que Joe aurait fait si les calamiteux connards de Capitol l’avaient signé. «Doggone It» sort aussi de cette session infernale. C’est lumineux et bien sanglé. Joe chevauche son beat comme un cowboy d’opérette, avec une classe écœurante.
Les cuts enregistrés avec Mickey Baker sont du même niveau d’indomptabilité. On survit difficilement au passage de «Get On The Right Track» dans les oreilles. Car c’est d’une violence plutôt rare. Bobby Donalson et Joe Marshall, les deux batteurs, jouent ça au tatapoum de cavalcade infernale. Joe sait poser sa voix dans cet enfer, comme savait si bien le faire son collègue Frankie Ford. On l’entend même piquer une crise à la fin du cut - You know the right track baby ! - S’ensuit une fantastique reprise du «You Look That Good To Me» d’Ivory Joe Hunter. C’est du «Long Tall Sally», avec ses breaks chantés à la bonne arrache et ses redémarrages au slap. Tout est bourré d’énergie vitale, là-dedans. Il faut aussi l’entendre chanter «Dis You Mean Jelly Bean (What You Said Cabbage Head)». Oui, Joe chante d’une belle voix pointue et claire. Tous ses cuts sonnent comme des hits. On finira par trouver ça indécent qu’il soit tombé dans l’oubli. Il chante «Cracker Jack» à la Gene Vincent, mais en plus perçant. Avec sa voix, Joe peut percer des coffres. Et comme le bop coule dans ses veines, il ne se refuse rien. En B, on trouve une autre prise de «Get On The Right Track» et on comprend pourquoi Richard Weize l’a rajoutée : on y entend un faux départ - Hey Joe ! - Éclat de rire strident et ça repart au quart de tour. Joe bouffe son rockab tout cru, c’est un freluquet doté d’un appétit d’ogre, il mâche ses syllabes avec une violence hors normes - Morrison dit qu’il chante avec une hot potato dans la bouche - Ce fabuleux wild cat n’en finit plus de secouer les colonnes du temple qui finira bien par s’écrouler.

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Comme ça n’a pas marché à l’époque, Joe est devenu chauffeur de bus, comme Arthur Alexander à Cleveland et Eddie Phillips à Londres. À l’époque du revival rockab des années quatre-vingt, le promoteur anglais Willie Jeffrey se mit à sa recherche et eut un mal fou à le dénicher. Trois ans de recherche ! Jeffrey finit par le localiser. Il le fit ensuite tourner en Europe et aux États-Unis. Joe s’amusa à casser la baraque à droite et à gauche. Morrison salue ce miracle de la nature - His drive, his confidence, his undiminished voice and his ability to drive a crowd wild - Joe shoutait le même rockabilly sauvage qu’en 56, avec toute son énergie, toute son assurance et toute sa classe. Alors bien sûr, les gens devenaient fous.

Signé : Cazengler, Joe claybar


Joe Clay. Disparu le 26 septembre 2016
Joe Clay. Ducktail. Bear Family 1986
Craig Morrison. Go Cat Go! University Of Illinois Press 1998

 

L'ÊTRE ET LE NEON
JEAN-PAUL SARTRE et VINCE TAYLOR
JEAN-MICHEL ESPERET
( L'Ecarlate / Octobre 2016 )

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J'en connais qui feront la moue en voyant la plaquette. Quoi, un truc si riquiqui sur Vince Taylor ! C'est une honte ! Un scandale ! Appelez-moi le directeur ! Un conseil les rockers, pédale douce s'il vous plaît ! C'est vrai qu'avec ces cinquante-six pages l'engin ne paye pas de mine. Mais dedans, attention, c'est du solide, du concentré, du pemmican intellectuel, calmez-vous, détendez-vous, buvez un grand verre d'eau fraîche pour vous rafraîchir les idées ( non je n'ai pas dit une grosse chope de bière ), et maintenant soyez tout ouïe. Attention la montée sera dure. Malgré les allégation de Thomas Mann, la montagne ce n'est pas toujours magique.

Quelques sentiers d'approche. Qui serpentent mollement dans l'herbe sinueuse des hauts plateaux. Jean-Michel Esperet vous connaissez. L'a publié en 2013 Le dernier come-back de Vince Taylor ( voir KR'TNT ! 142 du 02 / 05 / 2013 ) un livre prophétique en le sens où très vite après ce coup d'éclat, les publications sur Vince n'ont plus cessé. Pas un zozo de la dernière espèce Jean-Michel Esperet, l'a connu l'époque d'or des early sixties du rock français de très près. Un témoin.

 

L'est temps d'installer le camp de base. S'agit d'un dialogue imaginaire entre deux personnes qui ont réellement existé. Jean-Paul Sartre, le philosophe et Vince Taylor le rocker. Une conversation de deux personnes qui s'entendent très bien. Toutefois le pronom réfléchi « s' » ne renvoient pas aux deux protagonistes mais à chacun des deux séparément. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y ait pas d'interférence. Pour les paroles, les deux interlocuteurs ne sont pas traités à égalité. Pour Sartre Jean-Michel Esperet a prélevé des citations son ouvrage le plus célèbre L'Être et le Néant, oui les pentes seront dures à gravir ! Pour Vince, il a recherché des propos dans divers documents et avoue en toute bonne fois qu'il en a inventé quelques uns. Qui ne sonnent pas toc, qui sont dans la droite ligne des expressions de notre rocker préféré. Jean-Michel Esperet sait de quoi et pour qui il parle.

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Allez hop, nous partons bivouaquer au pied de l'aiguille ( pas du tout creuse ). Ne vous affolez pas, Jean-Michel Esperet manie l'humour. Etablit en tête de chapitres la différence sémantique ente l'anchois et l'en-soi, le pourceau et le pour-soi, l'âtre et l'être, le néant et le céans... Vous souriez, vous croyez être parti au pays du jeu de mot et de la contrepèterie, hélas, en philosophie, l'on ne croit pas, l'on pense. C'est qu'avec Jean-Paul Sartre, on ne se marre pas tous les jours. D'ailleurs l'a comme un petit compte à régler avec le Jean-Paul, notre Jean-Michel. L'est vrai que Jean-Paul Tartre - ainsi le surnommait Louis-Ferdinand Céline - a toujours gardé le cap du bon côté du vent qui souffle. Un grand donneur de leçon, une bonne conscience de gauche qui termina sa course en compagnon de route de la Cause du Peuple mais qui aux temps noirs de l'Occupation ne montra guère une virulente antipathie envers les nazis, un résistant de la dernière heure, le premier à condamner ceux qui n'avaient pas choisi le bon camp qu'il rallia une fois que les carottes furent cuites pour les Allemands. Un naphtalinard de l'heure pénultième, ce qui explique les colères de Céline contre cet épandeur patenté de moraline que dans sa fureur il accablait aussi du surnom de Jean-Paul Dartre...

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Fini de rigoler. Nous voici au pied de la paroi. Verticale, encroûtée de glace. Suivez-moi. Accrochez-vous à la mousse. Facile, il n'y en a pas. Ai toujours eu l'intuition que ce que l'on reproche à Sartre, dès qu'il s'agit de L'Être et le Néant, est faux. L'est évident qu'il s'est fortement inspiré de Être et Temps d'Heidegger. Facile de reconnaître la terminologie heideggérienne à tous les coins de page. L'a repris le concept d'être-là au grand Martin, et a ficelé son truc à lui par dessus. Mais l'était trop intelligent pour s'amuser à un simple démarquage. N'a pas suivi le sentier tracé par le professeur de Fribourg. L'est remonté plus haut. L'a emprunté deux sentes beaucoup plus embroussaillées, celles taillées à la machette conceptuelle par Fichte et Schelling.

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Deux grands penseurs mais très prises de tête. En France, on ne les lit guère. Trop compliqués pour notre génie national si cartésien. Bien intuité le Sartron, personne ne s'est donné la peine de vérifier. Maintenant décortiquons. L'être-là, c'est vous, c'est moi, tout un chacun. L'ici et maintenant de votre présence dans ce bas monde. En bref tout cela c'est le là, votre existence. Reste le le gros morceau, l'être, cette partie essentielle de votre existence. Heidegger a écrit plus de cent volumes pour explorer cette notion d'être. Pas fou le Sartrou. Trop fatiguant. Ce n'est pas avec des études de ce genre que vous attirez le regard du grand public. S'est dépêché de liquider cet être si profond. Impossible de le fusiller, donc il a fait le coup du camion qui porte un trou. Un coup de frein brutal et le trou tombe sur la route. Le camion effectue une marche arrière pour se rapprocher du trou afin de le recharger dans la benne. Recule un peu trop et plouf, il tombe dans le trou. N'a pas pris un 38 Tonnes pour se débarrasser de l'être. A simplement utilisé un vieux truc qu'il a fauché à Aristote. L'avait un problème le Stagirite, regardez autour de vous tout bouge, les camions, les chevaux, les arbres. L'arbre ne change pas de place, mais il change en lui-même et vieillit. Si tout est en mouvement se demandait Aristote, c'est qu'il y a un moteur ( vous comprenez pourquoi Heidegger s'est intéressé au temps qui passe et qui bouge ), mais si le moteur lui-même bouge, faut qu'il y air un autre moteur qui le mettra en branle mais qui bougera cet autre moteur ? C'est alors qu'Aristote a sorti son idée géniale – pas celle du siècle mais celle des deux derniers millénaires et demi. Le premier moteur ne doit pas bouger, sinon il n'est pas le premier puisqu'il y en a un autre qui le bouge. Donc le premier moteur est immobile. Logique imparable. Sartre a copié, l'a utilisé du papier calque philosophique. L'être est. Si l'être est, le véritable être qui est c'est celui qui est l'être. Et vous pouvez remonter la chaîne à l'infini. Donc pour trouver l'être qui est en tout premier – l'essence de l'être - faut faire comme le moteur immobile. L'être que l'on recherche ne doit pas être. L'essence de l'être est le néant ! D'où le titre de l'ouvrage L'être et le néant.
Le problème quand vous avez tué votre chat, c'est qu'il ne chasse plus les souris. Un chat, chat se remplace facilement à la SPA. L'être hélas n'encombre pas les fourrières animales. D'où le recours à Fichte le penseur du Moi excellence. Je ne suis plus puisque mon être n'est plus mais mon moi existe. Sartre est tout fier de son nouveau joujou. L'emporte partout avec lui. Lui donne parfois le surnom moins m'a-tout-vu de soi. Suffit pas d'avoir son petit moi chez soi. Faut en dresser les limites. Il y a le moi et tout ce qui n'est pas le moi. Le non-moi, le non-soi. Attention, passage dangereux, l'on frise l'abîme du solipsisme qui consiste à poser le non-moi comme une simple partie du moi. Bref le non-moi n'existe pas, l'univers qui m'entoure n'existe pas, il n'existe que moi ! Attitude un peu grosse tête. Extrêmement embêtante quand l'on recherche le succès auprès de ces dames. De ces messieurs aussi. Jean-Paul Sartre est bien embêté, garderait le Moi pour lui tout seul, mais la solitude lui pèse. L'est donc obligé de définir le non-moi comme l'autre. Et par extension les autres. Parce qu'un philosophe sans disciples admiratifs c'est comme un gruyère sans trou. ( Certains disent que le gruyère n'a pas de trou, normal : le fromage est tombé dans son propre trou.)

On y est. L'on a passé le plus gros. Levez le nez et admirez le paysage autour de vous. Tout ce qui précède, c'était de l'alpinisme théorique. Mais une fois au sommet l'on comprend la problématique espérienne. Passons aux cas pratiques. L'on est toujours l'autre de l'autre. Ainsi Taylor est l'autre pour Sartre et de même Jean-Paul est l'autre pour Vince. Vous pouvez faire l'expérience avec la prochaine personne que vous rencontrez.

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Tout le monde n'a pas le même niveau de conscience philosophique. Certains se prennent la tête pour dégager la pertinence d'être là dans le monde mais la plupart se contentent de l'évidence de leur présence sans chercher midi à quatorze heures. Voici donc la problématique espérienne : confrontation : à sa droite Sartror poids-lourds de l'entendement métaphysique, à sa gauche Vincor poids plume à la cafetière un peu fêlée. L'un a lu Schelling, et l'autre pris un peu trop de LSD. Schelling c'est le philosophe de l'ungrund ( l'abîme ) et les addictions de Taylor sont connues. L'un laboure les champs du savoir et l'autre batifole dans les champs de jonquilles.

Dialogue impossible. Chacun étant incapable de comprendre les motivations de l'autre. Dans sa jeunesse Vince Taylor a été si peu capable d'assimiler le manuel qui expliquait l'atterrissage d'un avion qu'il s'est scratché en beauté, quant à Sartre il n'a jamais pigé que le grand livre que le public attendait de lui - et dont même l'idée n'a jamais effleuré ses neurones - aurait dû s'intituler Phénoménologie du Rock and roll. Les voici assis à une même table de café dans le livre de Jean-Michel Esperet, mais dans la vraie à dix mille lieues l'un de l'autre, même si tous deux, résidents de Paris, ont eu en les mêmes années l'honneur des manchettes des journaux.

L'on pourrait penser l'exercice un tantinet artificiel. Mais quand on y réfléchit un peu, chaque jour nous sommes confrontés à de semblables situations. Nous discutons avec des gens de toutes sortes, des proches, des intimes, des inconnus. Parfois nous avons l'impression que le courant passe. Et même davantage pour les affinités. Mais très souvent, nous restons à la surface des choses. Nous sourions, nous disons oui, parce que nous sommes polis. Mais au fond de notre moi, nous n'avons rien à faire de notre interlocuteur. Nous ne cherchons même pas à le comprendre. Chacun sa merde comme disent les beaufs.

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Les amateurs de rock sont fascinés par Vince Taylor. Pour beaucoup de concitoyens les sixties françaises sont mythiques. Sont capables de réciter la disco des Chats Sauvages, et la liste des concerts de Johnny Hallyday par coeur. Des passionnés. C'est bien, nous dit Jean-Michel Espéret – lui l'est féru de Vince Taylor – mais il tire la sonnette de rappel. Les sixties, très bien, le rock and roll parfait, mais dans ces mêmes temps, il y avait aussi des tas d'autres phénomènes, Jean-Paul Sartre par exemple. Evidemment il ne figure pas dans la liste de vos dix rockers préférés, mais l'a fait partie du paysage. Pas un minuscule caillou que personne ne remarque. Une énorme montagne qui bouchait tout un coin de l'horizon. Ne se sont jamais rencontrés. Auraient pu. Auraient pu se parler. Ne se seraient peut-être pas compris. Mais là n'est pas le problème, en imaginant ce dialogue, c'est nous que le livre interpelle. Que se disent-ils ? Et que nous disent-ils ? Prendrons-nous le temps de réfléchir ? Ou agirons-nous comme pour ces connaissances que l'on croise dans la rue «  Salut, ça va ? / Salut, ça va ! » et l'on passe notre chemin sans plus de salamalecs.

Une piste de lecture. Plantez deux poteaux balises. Côté gauche : l'absurde du non-sens. Côté droit : le hasard objectif des rencontres aléatoires. Lisez les phrases introductives de Sartre et les réponses de Vince Taylor. Vous vous apercevrez que Jean-Michel Esperet pousse souvent le ballon au fond des filets. Ce n'est pas du n'importe quoi, aborde les grandes thématiques : la solitude, les femmes, les autres, la liberté, la mort... Le genre de gravier que l'on trouve au fond de ses souliers ou au bout du chemin. Donc à la portée de tout le monde. La preuve, c'est que la confrontation entre le Maître du Savoir et l'Innocent aux Mains Vides ne tourne pas en défaveur de Vince. La sagesse du fou porte parfois beaucoup plus que la tour d'ivoire intellectuelle. Dans la fable Le Savant et le fou, bien fol celui qui se fierait à son instituteur pour apprendre à vivre. Sartre s'enferme dans ses châteaux de sable conceptuel et Vince habite la bicoque de son moi dévastée. Mais quel est le plus heureux ? Celui qui a peur du néant ou celui dont la cervelle clignote comme les néons de la gloire ? Vive Vince !


Damie Chad.


FACE B
MAXIME SCHMITT

( Le Castor Astral / 2OO2 )

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Cercle rouge avec portrait d’Elvis Presley. Tout ce qu’il faut pour déclencher le réflexe pavlovien du rocker de base. Face B ? What is it ? Une divulgation éhontée des dessous cachés - connus de la planète entière - du King ? Ou une énième exploration de la monumentale disco du petit gars de Tupelo. Le catalogue raisonné des disques que vous ne pourrez jamais vous procurer. Trop rares. Trop chers. J’allais laisser tomber lorsque j’ai aperçu le nom de l’auteur. Maxime Schmitt. Je prends d’office. Sans même regarder à l’intérieur. Acte de confiance irraisonné ? Comme quand votre arrière-grand-père s’est précipité sur les emprunts russes, ruinant ainsi toute votre famille ? Que nenni, je connais bien Maxime Schmitt, l’a partagé durant toute une année ma chambre d’étudiant. Je me hâte de préserver la réputation de notre auteur. Pour la mienne j’aurais davantage de mal, mais ceci est une autre histoire. Donc rassurez-vous, n’était pas là en chair et en os. Simplement sur l’affiche. Immense, rouge et noire. Que j’avais récupérée lors de la venue du Poing à Toulouse. J’aurais du mal à préciser la date. Pour les lecteurs de KR’TNT ! je me permets de renvoyer à notre chronique 2O1 du 18 / 09 / 2014, sur la tellurique bande dessinée “Vince Taylor N‘existe Pas” d’un certain Maxime Schmitt…
Reste tout de même un grand mystère. De quelle face B, Maxime Schmitt veut-il exactement nous entretenir ? L’a produit tant de disques qu’au lieu de se perdre en oiseuses conjecctures vaut mieux plonger directos dans le bouquin. L’on comprend vite, surtout que dans son intro Antoine de Caunes soulève quelque peu le voile d’Isis. Un format carré, plus grand qu’un 45 tours mais plus petit qu’un vingt-cinq centimètres. Quelques lignes et une photographie par page, vite lu ? Ne concluez point trop hâtivement. Le texte avec ses mini-paragraphes de deux à cinq lignes est beaucoup plus long qu’il n’y paraît à première vue. Tant mieux, car c’est du petit lait. Avec adjonction d’un cocktail de vitamines explosives.
J’explique le titre. Très simple. Saint John Perse disait qu’en poésie il fallait être comme ces voiliers qui dans les ports n’offrent que leur poupe à la curiosité des passants. Traduit en langage Dumoutier ( voir plus loin ) cela donnerait ceci : regarde mon cul et va voir ailleurs si j’y suis. Pour les cerveaux lents insensibles aux arcanes de la poésie dumoutierrienne ( je précise que Jojo Dumoutier fut le batteur du Poing et de Gene Vincent ) je me permettrai quelques éclaircissements. Le fan de rock est soumis à la portion congrue. Un disque et une pochette. Peut l’écouter mille fois et étudier à la loupe l’avers et le revers des inscriptions, sa curiosité ne sera pas assouvie. Vous êtes confronté à un produit fini et vous n’en saurez jamais davantage, à part quelques glanes dans une interview pécho au hasard à la radio ou une indiscrétion journalistique dans un fond d’article.
Maxime Schmitt a compris le dilemme. Alors il tire le rideau et vous entretient de tout ce que vous ignorez. En langage pinkfloydien, cela s’appelle la face cachée de la lune. Oui, mais Maxime il est plutôt branché rock. Le vrai, comme l’on dit. Pour la petite histoire, l’a profité de son boulot de producteur chez Capitol pour commettre quelques rééditions de Gene Vincent ( coffrets et pictures-discs ) que la terre entière nous envie. N’est pas non plus un esprit borné. L’a mis la main à la pâte pour permettre à Kraftwerk d’accoucher de sa musique électronique. Eclectique et prêt à s’embarquer dans toutes les aventures.

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Dépêchons-nous de l’imiter, en commençant par le commencement. Ne naît pas dans la rue, ni dans le dix-neuvième un arrondissement presque maudit comme le chante Schmall, se contente du quatorzième. Milieu populaire, père communiste. Ne cherchez pas l’erreur. Il n’y en a pas. Par contre il ne met jamais de date, à vous de situer. Ensuite il avance par touches impressionnistes qui confine à un scrupuleux pointillisme. Nous dépeint l’époque en citant quelques marques de produits alimentaires et économiques tout en faisant référence à quelques titres de musique scron-gneu-gneu. Ce n’est pas de sa faute le rock n’est pas encore né. En France. En attendant s’adonne à des plaisirs incompréhensibles comme le foot et le vélo. Continuera à les pratiquer. Nul n’est parfait. Nous lui pardonnerons aisément. L’a l’âge requis pour assister et très vite participer activement à l’implantation du rock and roll dans notre hexagone. Le livre devient passionnant. Je vous concède le droit moral d’abattre toute personne qui viendrait vous déranger dans votre lecture. C’est à ce moment que vous comprenez le pourquoi de cette écriture fragmentale et lapidaire. Ne point trop s’étendre. La nostalgie est un vilain défaut. Un rocker ne pleure jamais. Vaut mieux couper court. Et quelques fois planter un ou deux coups de cran d’arrêt ironiques dans le gras des légendes. Tout le monde possède ses baudruches bien-aimées, mais il ne faut pas hésiter à leur montrer qu’elles sont comme les civilisations de Paul Valéry, mortelles, et point du tout increvables, afin qu’elles ne prennent pas trop toute la place et ne vous empêchent de vivre par leur intumescence par trop dilatoire.

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Ceci jusqu’à sa démission du Poing. Entre temps vous avez droit à toute l’histoire de ces magiques années soixante durant lesquelles les vagues successives du rock s’en viennent s’écraser sur les rivages mentaux de toute une jeunesse. Plus qu’une musique, une culture, une façon d’être qui vous modélise d’une manière indélébile. Un témoignage essentiel. Le statut d’adulte est un cap dangereux. L’on y croit encore, mais l’on est revenu de tout. Sacré courage pour continuer sur sa lancée. Ne pas abandonner. Persévérer. Serrer les dents ne permet point l’éloquence cicéronienne. Maxime Schmitt devient producteur. Sur le fil du rasoir. Va s’en sortir, fait feu de tout bois, cherche, découvre, écrit, compose, se fait un nom, une réputation. N’oublie pas de noter ses regrets, ses bévues. L’auto-dérision vous empêche de vous enfermer dans le mythe de l’Incompris. Surtout qu’il n’a pas à rougir, organise les séances d’enregistrement pour Le Chat Bleu de Mink Deville par exemple. Ne s’en prend pas plus au sérieux pour autant : remarquez qu’avec le compagnonnage de Jacques Dutronc ce serait difficile. Impossible avec un zèbre de cet acabit de faire un caca poum nerveux.
L’est partout, Bijou, Taxi-Girl, la renaissance rockab, l’URSS et Memphis Tennessee, j’en passe, j’en oublie des essentiels comme les Shadows, le livre s’arrête trop tôt pour qu’il nous conte l’odyssée des Plasticines, mais nous ne pouvons lui en vouloir. Maxime Schmitt aime trop le rock pour être pris en défaut sous sa cuirasse. Ne dites pas je viens de lire un super livre de souvenirs sur le rock. Ce que vous avez entre les mains est un objet littéraire. A part entière. Qui décoiffe la gomina des jours perdus.


Damie Chad.


COURGIVAUD / 31 -10 -2016
L'ARAIGNEE AU PLAFOND

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Brrr ! Nuit d'Halloween. Prudence de mise. Pas le soir à sortir de la maison. Foule de goules dans les coins sombres des rues devenues le royaume des fantômes. En plus, la teuf-teuf mobile est chez le mécano. L'a regardée d'un air excédé “ Monsieur Damie, je ne suis pas un sorcier, suis mécanicien pas ferrailleur, laissez-la pour la semaine, mais si j'étais vous j'en rachèterais une autre, avec vos habitudes de rocker à conduire à tombeau ouvert faut démonter le moteur, je ne sais pas si j'arriverai à tout remettre en place ! Revenez samedi en huit, je ne promets rien”. Dix-neuf heures trente, noir absolu au-dehors. Me vautre sur le canapé et m'apprête à passer une petite soirée tranquille au chaud à lire les Conférences de Stuttgart de Friedrich Wilheim Joseph Schelling lorsque mes oreilles perçoivent dans le lointain un son famillier... Qui se répète et s'accroît durant plusieurs minutes... Mon dieu ! Mon diable ! Serait-ce possible ? Et voici que maintenant ça corne devant le portail ! Elle est là, elle m'attend, toute noire comme un fourgon mortuaire, stupéfait je n'ose faire un pas, mais elle s'impatiente et se met à klaxonner, que dis-je à huhuler de désespoir comme la chouette d'Athéna, au soir de la bataille des Thermopyles. Je ne saurais résister à une telle plainte funèbre, s'ouvre la portière arrière et cédant à une force irraisonnée je m'engouffre dans la Teuf-Teuf. Je préfère ne pas vous décrire la forme gélatineuse qui tient le volant. Je ne sais point où elle m'emmène mais le trajet ne durera guère. S'arrête dans une ruelle étroite et montante, sur la gauche se profile la masse imposante d'une église, mais de la lumière filtre sur ma droite, au-haut d'un escalier se profilent quelques inquiétantes silhouettes. Je Le reconnais. Sur le perron, Monsieur le Comte, entouré d'une cour de soubrettes endeuillées, qui se pavane dans sa cape noire et son haut de forme cérémonial, me souhaite la bienvenue au bal des vampires. Me précise que l'orchestre de la veuve noire descendra des lambris du plafond pour nous charmer de ses couacs sulfureux. “ Bonne soirée, Monsieur Damie, n'oubliez pas de vous gaver de nos gâteaux à l'asticot et de vous abreuver largement à la pompe funèbre de Beer Town. Sang de houblon parfaitement coagulé, prix dérisoires mais garantis cent pour cent empoisonnés bio.”
Tout le village est là, sagement assis en face de la scène. Les murs sont tendus de toiles d'aragnes monstrueuses, des squelettes démantibulés sourient de toutes leurs dents, un chien fantôme vous reluque de ses yeux féroces, je m'étonne, pas une citrouille qui vous file la trouille, je n'oublierai pas de poser une réclamation.

PREMIERE PARTIE
LA FANFARE MAUDITE


Huit qui se tassent dans le coin droit de la scène. La véritable section de cuivres de la Mère Michel, celle qui a perdu son chat noir. Sont allés la chercher à la Nouvelle-Orléans, celle qui suit les enterrements. Qui refile un dernier réconfort aux jeunes morts juste avant la bascule dans la tombe. Un boucan d'enfer. Un trombone qui coulisse, deux trompettes qui se la pètent, trois saxophones qui mugissent au téléphone, une clarinette qui fait place nette, et une flûte qui vous étrille les les tympans. C'est lourd comme du Muscle Shoals et ça swingue comme un troupeau d'éléphants en goguette qui se rend au mariage de Babar et Céleste. Danse macabre et chalerston désopilant. Le sax baryton tonne et borborygme tel un vieux tubar en train de cracher par à-coups ses poumons. Z'ont le punch au rhum et ça cartonne tous azimuts. Filent good à la James Brown et moussent verdâtre le rising sun. Ça claque comme des becs d'alligators affamés qui n'ont rien à se mettre sous la dent depuis huit jours, et ça bruit de stridences africaines d'hippopotames qui pataugent dans les marigots. Ah ! ça fonce tout droit sérieux comme les moutardiers du pape et l'instant d'après ça rigole de traviole. Là ça groove dans la mangrove et ça youglourte dans le bayou. Blague à part vous font un tabac qui vous encrasse les bronches à jamais.
Applaudissements frénétiques. Pas de rappel. Pire que cela. Tous en ligne, un bec jaune en carton sur le nez, vous interprètent le crac-crac du poussin qui sort de l'oeuf. Montre en main, nous laissent vingt minutes pour nous régaler des larves gâterelles et glouglouter le sang des sidaïques.

DEUXIEME PARTIE
LES CHANTS DE LA MORT

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Lumières noires. Sont une équipe de rugby sur la scène, empilés les uns sur les autres comme des petits pois sauteurs dans une boîte de conserve rouillée. La fanfare entonne une marche funèbre. De quoi vous donner envie de passer de vie à trépas. Roulement de tambour wagnérien, l'angoisse s'appesantit, un air de tragédie antique flotte dans les airs. Entendez-vous ces pas pesants qui proviennent de la porte d'entrée qui vient de s'ouvrir en un horrible grincement ? Sont six, un à chaque poignée. Portent un lourd cercueuil d'ébène qu'ils déposent cérémonieusement au bas de la scène. Silence de mort. L'on entendrait le battement d'une aile de corbeau perché sur un arbre à trois kilomètres. Les cuivres gémissent doucement. Horrible miracle ! Le couvercle du cercueil se soulève avec lenteur. Horreur, Mildred, la toute belle Mildred, toute blanche, toute pâle, repose entre les ais cruels. Nos coeurs pleurent. Mais voici qu'elle se redresse avec maladresse, des gestes de faon qui vient de naître et qui s'efforce, et tente poussé par l'instinct de vie de se camper sur ses grêles pattes malhabiles.
Elle monte sur scène et s'empare du micro dans lequel elle plante très forts deux grands cris de joie et redescend de l'estrade pendant que l'orchestre égrenne I put a spell on you du regretté Screamin' Jay Hawkins. L'est rejointe par cinq jeunes danseuses et toutes ensemble, pâlides sylphides évanescentes, s'adonnent à un féérique ballet baigné de sombre lumière lunaire. Sont toutes belles. Ah, c'est comme ça le soir dans les cimetières ? Vivement que je meure au plus vite ! Mildred a repris le micro et nous tonitrue des because your mind à enfoncer des clous dans un catafalque. Sont quinze sur scène. Admirez-les, la petite Eva en zombie qui gratte ses instruments percussifs, la grosse citrouille orange pour le bouillon de onze heures, ces emplumés sortis tout droit d'une cérémonie aztèque, et le plus respectable de tous, monsieur le curé engoncé dans sa soutane qui essaie de passer inaperçu empêtré dans son énorme soubassophone dont l'énorme pavillon blanc ressemble autant à une gueule de requin édentée qu'à une corolle épanouie de fleur vénéneuse. Cuivres qui reluquent, congas saccageurs, orgue d'ogre, guitare mordante, basse rampante, batterie fracassante, percus qui castagnent et au milieu de ce tohu-bohu Mildred aussi à l'aise qu'une rose sur un taillis d'épines acérées. Derrière ça vous dégomme un tohu-bohu de rhythm'n'blues touffu comme une jungle, ou alors ils vous écument des relents de carnaval de Rio, vous les passent au laminoir pour qu'ils perdent leur latino, reviennent au galop pour stomper sans stop du rock and roll, et vous balladent dans des slows infernaux qui tournent vite au délirium tremens.

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Et plunk ! intermède ballet de l'opéra, avec Mildred et ses majorettes frénétiques, qui mène la revue et chante en même temps avec une facilité déconcertante. Sur scène c'est la java multicolore, font du corps à corps avec leurs instruments, et Bob look de pirate et guitare ovale à angles droits brisés ne se retient plus. Ne se contente plus de prendre des poses de guitar héros en vous assénant des riffs de malade mental, pousse la tyrolienne dans le micro et s'en vient bonimenter la foule tel le colonel Parker avant qu'il ne coache Elvis. Chaude ambiance. Mildred survole sa couvée de coucous fous. L'a un secret, plus elle chante, plus elle sort sa voix. Vous croyez qu'elle culmine au dernier étage, mais elle n'est pas encore sortie de l'entresol. Apothéose sur le final. L'orphéon par derrière, chaud comme les braises des fournaises hadésiennes du grand Lucifuge Rofocale, ne se retient plus. Une épaisseur musicale que vous ne couperez pas au sabre d'abordage, un tumulte cahotique aussi dense que l'orchestre symphonique de Berlin à fond dans la neuvième de Beethove ( celui qui avait l'oreille torve ), et notre Mildred qui vous entonne crescendo un Stand by me que Bene King n'aurait jamais osé imaginer. Pas une plainte, un cri revendicatif à vous interdire de faire le moindre pas de côté, à vous glacer la lymphe, et ensuite gagne en hauteur telle une chanteuse d'opéra. Où s'arrêtera-t-elle ? On ne saura pas, elle mène le capharnaüm à sa baguette de sorcière, sourire délicieux, danse espiègle, et vous plonge la baïonnette de sa voix toujours plus avant, au plus profond des aîtres de votre être. Mais il se fait tard, l'on approche de minuit l'heure fatidique, l'on se quittera sur un lâcher de ballons de baudruche halloweenique, avec le regret de savoir que l'on aurait encore pu atteindre des altitudes nouvelles. Mildred remercie sous les applaudissements.

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Au bas des marches la teuf-teuf mobile et son allure de fourgon mortuaire m'attendent pour me ramener à la maison. La plus belle de mes plus affreuses soirées. Mais pourquoi mes canines sont-elles si douloureuses ? C'est à cause de l'araignée qui descend du plafond. La tarentule qui vous innocule le rock and rulle.


Damie Chad.

( Photos : FB : L'ARAIGNEE AU PLAFOND )


DICTIONNAIRE BORDELIQUE
DES WAMPAS
PHILIPPE WAMPAS
( Hors Collection Editions / 2007 )

 

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NASTY FROGGIES


Très obligeamment l’homme m’a conduit à l’étagère de son rayon musique. Pas la spécialité de sa boutique si j’en juge d’après la dizaine de bouquins qui ont l’air de s’ennuyer ferme, victimes de l’oubli poussiéreux des hommes. M’agenouille pour mieux voir, me relève très vite, horreur, enfer et damnation, que Saint Chuck Berry me protège de ces atrocités, des bios de Beethoven, du coup je m’éloigne vers le rayon poche. Ne jamais perdre un client, loi intangible du commerce. Sourire rigolard sur ses dents carnassières, regardez vous devriez pouvoir l’adapter en rock, et hilare il me tend un opuscule poétique du dix-neuvième siècle Chants Patriotiques à la mode Déroulède. La conversation s’engage, l’a un fils qui est dans un groupe punk, The Nasty Froggies. N’a pas l’air convaincu de la future réussite commerciale du fiston, mais l’est tout fier de m’annoncer qu’ils écrivent leurs propres morceaux. Trop sympathique. Je ne peux pas ressortir les mains vides, me faut au moins un achat d’approbation symbolique, un encouragement moral à ce géniteur de rocker. Je reviens du côté de Ludwig, et stoïquement je m’efforce de lire tous les dos de couverture : pari gagné, le dernier bouquin de la file se révèle être un dictionnaire de ces étranges animaux échappés d’une cage du cirque Pinder.

WAMPAS

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Ne suis pas un fanatique. Ni du rock alternatif français. Ni des Wampas. Même s’ils viennent de faire la couve de Rock & Folk. C’est surtout l’indigence des paroles qui m’a toujours rebuté. L’humour au énième degré me fatigue vite. Les Wampas c’et un peu les Ramones à la française, admettent leur insuffisance musicale mais question textes ils ont l’air de revendiquer la remarquable supériorité culturelle de l’Europe aux anciens parapets sur ces gros bêtas d’amerloques à l’esprit aussi épais qu’un double Big Mac, genre regardez comme je suis intelligent d’écrire des lyrics si bêtes. Dada qui se prend pour un cheval de course.

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Remarquons toutefois que les Wampas ce n’est pas non plus le Jockey Club. Un joyeux foutoir. Le bouquin porte bien son titre. Rend bien compte du phénomène Wampas. Dans le désordre. Quelques entrées n’apportent pas grand-chose, mais il faut bien sacrifier à la nécessité alphabétique, ces sorties de secours qui débouchent sur un mur de briques sont dignes de cet esprit philosophique du non-sense qui irrigua toute une génération. Après la défaite de la révolte punk, le rêve grandiloquent d’un futur paradisiaque enterré à jamais, le rire de la dérision fut la seule arme de défense qui resta. Les Wampas eurent leur Bromley Contingent, la fameuse armée Wampas, un peu trop pompeusement nommée, de maigres troupes en réalité. Mais d’élite. Formée d’un ramassis de soldats d’infortume - ceux que Jean Giono nommait les enfants perdus - un mélange hétéroclite et explosifs d’anciens rockers, de punks, de bikers, de cats, de skins, un peuple violent, passionné, et excessif, un conglomérat de tribus, chacune enfermée dans la solitude de son auto-représentation mythique, mais toutes prêtes à enterrer ( pas très profond tout de même ) la hache de guerre pour suivre un concert du groupe. Philippe Wampas leur rend un hommage méritoire et appuyé, les Wampas ne crachent pas sur ceux qui les ont nommés rois. Ne jamais oublier d’où l’on vient.

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C’est un peu la marque de fabrique des Wampas. Assument tout. Ne se défaussent pas. La vie d’un groupe n’est pas un long fleuve tranquille. L’on fait un bout de chemin, mais l’on n’est pas marié pour la vie. Certains s’en vont de leur plein gré dès qu’ils sentent un peu trop le roussi, d’autres sont virés. Pas manu militari, mais sans prendre de gants non plus. Pour entrer chez les Wampas un musicos a le droit d’être mauvais, mais faut pas non plus exagérer. Faut progresser, mais attention surtout ne pas devenir un virtuose. Aussi bizarre que cela puisse paraître - mais ceux qui ont observé le fonctionnement grégaire des regroupements humains ne seront pas surpris - les Wampas possèdent un chef. Un grand manitou. Didier Wampas. N’affiche pas un complaisant démocratisme de façade. Sait ce qu’il vaut. Parolier prolifique et bête de scène. Provocateur et le ciboulot sur les épaules. Revendique ses contradictions, l’idole bosse à la RATP, idéal pour dégonfler les grosses têtes, métro n'est jamais trop. Notre anarchiste bordélo numéro un croit en dieu. Mais celui-ci reconnaît-il ce fils si turbulent ? Grave débat théologique. En attendant Didier Wampas n’en fait qu’à sa tête. Se méfie des maisons de disques - l’auto-production n’est pas la panacée non plus - déclare haut et fort à la télévision que les Wampas n’aiment pas la variété de merde française, cite des noms, estime qu’il est un être libre, mène la guerre conte The Washington Dead Cats tout en ayant soin de préciser qu’ils sortent de la même matrice, fait de Manu Chao sa tête de turc - trop de succès ne rendrait-il pas jaloux ? - admet que les excès - tout relatifs - de sa jeunesse ont laissé place à la vie de famille, ne pontifie pas, se présente comme un gars ouvert, mais on pressent l’individu qui possède un plan de carrière, sait ce qu’il veut et le veut très fort. Ce qui n’est pas un défaut en soi.

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Une tragédie chez les Wampas. Le suicide de Marc Police. Ex-Jezebel Rock. Se tire deux balles dans la tête après avoir formé autour de lui un cercle des CD rock qu’il aimait. Marc était peut-être l’antithèse des Wampas. Prenait le rock and roll au sérieux. Pas à la rigolade. Au fond de lui, le côté festif devait le hérisser, la fausse naïveté des années soixante soigneusement entretenue par les Wampas devait le ravir autant que le démolir. Fun, Fun, Fun, tout ce que vous voulez, mais les blessures intérieures suppurent sans arrêt.

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Remarquons que les Wampas accueillirent en leur sein deux guitaristes des Dogs, Philippe Almosino et Tony Truant. Dogs et Bijou - Vincent Palmer en prend d’ailleurs pour son grade - sont présents dans l’abécédaire tout comme Dick Rivers et Johnny Hallyday, davantage que leurs pairs générationnels. Mais Parabellum, Mano Negra, Los Carayos, OTH, Pigalle, Garçons Bouchers, les Wampas s’inscrivent dans une historiale généalogie du rock français. Avec ses grandeurs et ses misères d’éternel courtisan de la suprématie anglo-américaine.


Damie Chad.