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02/11/2016

KR'TNT ! ¤ 301 : JOE CLAY / VINCE TAYLOR / MAXIME SCHMITT / L'ARAIGNEE AU PLAFOND / WAMPAS

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 301

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

03 / 11 / 2016

 

JOE CLAY / VINCE TAYLOR / MAXIME SCHMITT /

L'ARAIGNEE AU PLAFOND / WAMPAS

Un Joe clé

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«En 1982, j’assistais au set d’un groupe de revival dans le sous-sol d’un club de Toronto. Un Mister Hairdo avec une pompadour exagérée - il me dit plus tard qu’elle tenait avec le Royal Crown qu’utilisait Elvis et qu’on trouve encore chez Honest Ed - commença à gueuler pour réclamer un morceau de Joe Clay. Le copain de Mister Hairdo demanda : ‘Mais c’est qui Joe Clay ?’ Je n’en avais pas la moindre idée moi non plus. Je me sentais même complètement largué.»
Voilà comment Graig Morrison attaque son hommage à Joe Clay dans Go Cat Go !

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Joe Clay vient de casser sa pipe, ce qui paraît logique vu qu’il date de l’époque des débuts d’Elvis. D’ailleurs, un jour où DJ Fontana était malade, Joe le remplaça pour accompagner Elvis à la batterie. Hey Joe !
Morrison ajoute que Joe Clay frappa l’imagination des connaisseurs grâce à une poignée de purs classiques de rockabilly enregistrés en 1956, dont l’excellent «Ducktail» composé par Rudy Grayzell. Comme Lew Williams ou Gene Maltais, Joe n’enregistra hélas qu’une poignée de cuts, mais il est entré dans la légende grâce à la fulgurance de son style.
Précision capitale : Joe vient de la Nouvelle Orleans, comme Frankie Ford. Et de la même manière que Mac Rebennack, Ronnie Barron ou encore Shirley & Lee, Joe a démarré de bonne heure. À douze ans, il grimpait sur scène.
Morrison dénombre deux sessions dans la courte carrière de Joe : une première à Houston où il est accompagné par Hal Harris et Link Davis, et une autre à New York un mois plus tard, accompagné cette fois par Mickey Baker et deux batteurs.

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On trouve ces deux sessions sur un album Bear paru en 1986, Ducktail. Si on aime le wild primitive rock’n’roll, on est servi. Et même plus que servi. Tout est bon là-dessus, beaucoup trop bon. Dès «Ducktail», on comprend que ça va chauffer, car Joe fait comme Carl, il te prévient, si tu touches à ma banane, ça va barder pour ton matricule - If you mess my ducktail/ I’ll get so mean to you ! - C’est du pur jus de rockab explosif, swingué à la sautillade de 56, le pire qui soit. Il est d’ailleurs resté inégalé. En B, on trouve l’effarant «Sixteen Chicks», composé par Link Davis, beau rock de rockab pulsé des reins et bousculé au challenge d’épaules, joué à la souplesse d’une sauvagerie de semelles de crêpe. Joe n’est pas aussi beau qu’Elvis ou Eddie Cochran, mais c’est un félin du son, un couguar du rock des bois, il nous sonne les cloches avec ses manières du trappeur du fleuve, oublié de Dieu et des hommes. Tiens, encore un titre issu de cette session fatidique : «Sleeping Out And Sneaking In», un mid-tempo rockab d’allure martiale chanté du gras de la glotte. C’est tout simplement admirable. On n’ose à peine imaginer le carton que Joe aurait fait si les calamiteux connards de Capitol l’avaient signé. «Doggone It» sort aussi de cette session infernale. C’est lumineux et bien sanglé. Joe chevauche son beat comme un cowboy d’opérette, avec une classe écœurante.
Les cuts enregistrés avec Mickey Baker sont du même niveau d’indomptabilité. On survit difficilement au passage de «Get On The Right Track» dans les oreilles. Car c’est d’une violence plutôt rare. Bobby Donalson et Joe Marshall, les deux batteurs, jouent ça au tatapoum de cavalcade infernale. Joe sait poser sa voix dans cet enfer, comme savait si bien le faire son collègue Frankie Ford. On l’entend même piquer une crise à la fin du cut - You know the right track baby ! - S’ensuit une fantastique reprise du «You Look That Good To Me» d’Ivory Joe Hunter. C’est du «Long Tall Sally», avec ses breaks chantés à la bonne arrache et ses redémarrages au slap. Tout est bourré d’énergie vitale, là-dedans. Il faut aussi l’entendre chanter «Dis You Mean Jelly Bean (What You Said Cabbage Head)». Oui, Joe chante d’une belle voix pointue et claire. Tous ses cuts sonnent comme des hits. On finira par trouver ça indécent qu’il soit tombé dans l’oubli. Il chante «Cracker Jack» à la Gene Vincent, mais en plus perçant. Avec sa voix, Joe peut percer des coffres. Et comme le bop coule dans ses veines, il ne se refuse rien. En B, on trouve une autre prise de «Get On The Right Track» et on comprend pourquoi Richard Weize l’a rajoutée : on y entend un faux départ - Hey Joe ! - Éclat de rire strident et ça repart au quart de tour. Joe bouffe son rockab tout cru, c’est un freluquet doté d’un appétit d’ogre, il mâche ses syllabes avec une violence hors normes - Morrison dit qu’il chante avec une hot potato dans la bouche - Ce fabuleux wild cat n’en finit plus de secouer les colonnes du temple qui finira bien par s’écrouler.

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Comme ça n’a pas marché à l’époque, Joe est devenu chauffeur de bus, comme Arthur Alexander à Cleveland et Eddie Phillips à Londres. À l’époque du revival rockab des années quatre-vingt, le promoteur anglais Willie Jeffrey se mit à sa recherche et eut un mal fou à le dénicher. Trois ans de recherche ! Jeffrey finit par le localiser. Il le fit ensuite tourner en Europe et aux États-Unis. Joe s’amusa à casser la baraque à droite et à gauche. Morrison salue ce miracle de la nature - His drive, his confidence, his undiminished voice and his ability to drive a crowd wild - Joe shoutait le même rockabilly sauvage qu’en 56, avec toute son énergie, toute son assurance et toute sa classe. Alors bien sûr, les gens devenaient fous.

Signé : Cazengler, Joe claybar


Joe Clay. Disparu le 26 septembre 2016
Joe Clay. Ducktail. Bear Family 1986
Craig Morrison. Go Cat Go! University Of Illinois Press 1998

 

L'ÊTRE ET LE NEON
JEAN-PAUL SARTRE et VINCE TAYLOR
JEAN-MICHEL ESPERET
( L'Ecarlate / Octobre 2016 )

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J'en connais qui feront la moue en voyant la plaquette. Quoi, un truc si riquiqui sur Vince Taylor ! C'est une honte ! Un scandale ! Appelez-moi le directeur ! Un conseil les rockers, pédale douce s'il vous plaît ! C'est vrai qu'avec ces cinquante-six pages l'engin ne paye pas de mine. Mais dedans, attention, c'est du solide, du concentré, du pemmican intellectuel, calmez-vous, détendez-vous, buvez un grand verre d'eau fraîche pour vous rafraîchir les idées ( non je n'ai pas dit une grosse chope de bière ), et maintenant soyez tout ouïe. Attention la montée sera dure. Malgré les allégation de Thomas Mann, la montagne ce n'est pas toujours magique.

Quelques sentiers d'approche. Qui serpentent mollement dans l'herbe sinueuse des hauts plateaux. Jean-Michel Esperet vous connaissez. L'a publié en 2013 Le dernier come-back de Vince Taylor ( voir KR'TNT ! 142 du 02 / 05 / 2013 ) un livre prophétique en le sens où très vite après ce coup d'éclat, les publications sur Vince n'ont plus cessé. Pas un zozo de la dernière espèce Jean-Michel Esperet, l'a connu l'époque d'or des early sixties du rock français de très près. Un témoin.

 

L'est temps d'installer le camp de base. S'agit d'un dialogue imaginaire entre deux personnes qui ont réellement existé. Jean-Paul Sartre, le philosophe et Vince Taylor le rocker. Une conversation de deux personnes qui s'entendent très bien. Toutefois le pronom réfléchi « s' » ne renvoient pas aux deux protagonistes mais à chacun des deux séparément. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y ait pas d'interférence. Pour les paroles, les deux interlocuteurs ne sont pas traités à égalité. Pour Sartre Jean-Michel Esperet a prélevé des citations son ouvrage le plus célèbre L'Être et le Néant, oui les pentes seront dures à gravir ! Pour Vince, il a recherché des propos dans divers documents et avoue en toute bonne fois qu'il en a inventé quelques uns. Qui ne sonnent pas toc, qui sont dans la droite ligne des expressions de notre rocker préféré. Jean-Michel Esperet sait de quoi et pour qui il parle.

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Allez hop, nous partons bivouaquer au pied de l'aiguille ( pas du tout creuse ). Ne vous affolez pas, Jean-Michel Esperet manie l'humour. Etablit en tête de chapitres la différence sémantique ente l'anchois et l'en-soi, le pourceau et le pour-soi, l'âtre et l'être, le néant et le céans... Vous souriez, vous croyez être parti au pays du jeu de mot et de la contrepèterie, hélas, en philosophie, l'on ne croit pas, l'on pense. C'est qu'avec Jean-Paul Sartre, on ne se marre pas tous les jours. D'ailleurs l'a comme un petit compte à régler avec le Jean-Paul, notre Jean-Michel. L'est vrai que Jean-Paul Tartre - ainsi le surnommait Louis-Ferdinand Céline - a toujours gardé le cap du bon côté du vent qui souffle. Un grand donneur de leçon, une bonne conscience de gauche qui termina sa course en compagnon de route de la Cause du Peuple mais qui aux temps noirs de l'Occupation ne montra guère une virulente antipathie envers les nazis, un résistant de la dernière heure, le premier à condamner ceux qui n'avaient pas choisi le bon camp qu'il rallia une fois que les carottes furent cuites pour les Allemands. Un naphtalinard de l'heure pénultième, ce qui explique les colères de Céline contre cet épandeur patenté de moraline que dans sa fureur il accablait aussi du surnom de Jean-Paul Dartre...

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Fini de rigoler. Nous voici au pied de la paroi. Verticale, encroûtée de glace. Suivez-moi. Accrochez-vous à la mousse. Facile, il n'y en a pas. Ai toujours eu l'intuition que ce que l'on reproche à Sartre, dès qu'il s'agit de L'Être et le Néant, est faux. L'est évident qu'il s'est fortement inspiré de Être et Temps d'Heidegger. Facile de reconnaître la terminologie heideggérienne à tous les coins de page. L'a repris le concept d'être-là au grand Martin, et a ficelé son truc à lui par dessus. Mais l'était trop intelligent pour s'amuser à un simple démarquage. N'a pas suivi le sentier tracé par le professeur de Fribourg. L'est remonté plus haut. L'a emprunté deux sentes beaucoup plus embroussaillées, celles taillées à la machette conceptuelle par Fichte et Schelling.

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Deux grands penseurs mais très prises de tête. En France, on ne les lit guère. Trop compliqués pour notre génie national si cartésien. Bien intuité le Sartron, personne ne s'est donné la peine de vérifier. Maintenant décortiquons. L'être-là, c'est vous, c'est moi, tout un chacun. L'ici et maintenant de votre présence dans ce bas monde. En bref tout cela c'est le là, votre existence. Reste le le gros morceau, l'être, cette partie essentielle de votre existence. Heidegger a écrit plus de cent volumes pour explorer cette notion d'être. Pas fou le Sartrou. Trop fatiguant. Ce n'est pas avec des études de ce genre que vous attirez le regard du grand public. S'est dépêché de liquider cet être si profond. Impossible de le fusiller, donc il a fait le coup du camion qui porte un trou. Un coup de frein brutal et le trou tombe sur la route. Le camion effectue une marche arrière pour se rapprocher du trou afin de le recharger dans la benne. Recule un peu trop et plouf, il tombe dans le trou. N'a pas pris un 38 Tonnes pour se débarrasser de l'être. A simplement utilisé un vieux truc qu'il a fauché à Aristote. L'avait un problème le Stagirite, regardez autour de vous tout bouge, les camions, les chevaux, les arbres. L'arbre ne change pas de place, mais il change en lui-même et vieillit. Si tout est en mouvement se demandait Aristote, c'est qu'il y a un moteur ( vous comprenez pourquoi Heidegger s'est intéressé au temps qui passe et qui bouge ), mais si le moteur lui-même bouge, faut qu'il y air un autre moteur qui le mettra en branle mais qui bougera cet autre moteur ? C'est alors qu'Aristote a sorti son idée géniale – pas celle du siècle mais celle des deux derniers millénaires et demi. Le premier moteur ne doit pas bouger, sinon il n'est pas le premier puisqu'il y en a un autre qui le bouge. Donc le premier moteur est immobile. Logique imparable. Sartre a copié, l'a utilisé du papier calque philosophique. L'être est. Si l'être est, le véritable être qui est c'est celui qui est l'être. Et vous pouvez remonter la chaîne à l'infini. Donc pour trouver l'être qui est en tout premier – l'essence de l'être - faut faire comme le moteur immobile. L'être que l'on recherche ne doit pas être. L'essence de l'être est le néant ! D'où le titre de l'ouvrage L'être et le néant.
Le problème quand vous avez tué votre chat, c'est qu'il ne chasse plus les souris. Un chat, chat se remplace facilement à la SPA. L'être hélas n'encombre pas les fourrières animales. D'où le recours à Fichte le penseur du Moi excellence. Je ne suis plus puisque mon être n'est plus mais mon moi existe. Sartre est tout fier de son nouveau joujou. L'emporte partout avec lui. Lui donne parfois le surnom moins m'a-tout-vu de soi. Suffit pas d'avoir son petit moi chez soi. Faut en dresser les limites. Il y a le moi et tout ce qui n'est pas le moi. Le non-moi, le non-soi. Attention, passage dangereux, l'on frise l'abîme du solipsisme qui consiste à poser le non-moi comme une simple partie du moi. Bref le non-moi n'existe pas, l'univers qui m'entoure n'existe pas, il n'existe que moi ! Attitude un peu grosse tête. Extrêmement embêtante quand l'on recherche le succès auprès de ces dames. De ces messieurs aussi. Jean-Paul Sartre est bien embêté, garderait le Moi pour lui tout seul, mais la solitude lui pèse. L'est donc obligé de définir le non-moi comme l'autre. Et par extension les autres. Parce qu'un philosophe sans disciples admiratifs c'est comme un gruyère sans trou. ( Certains disent que le gruyère n'a pas de trou, normal : le fromage est tombé dans son propre trou.)

On y est. L'on a passé le plus gros. Levez le nez et admirez le paysage autour de vous. Tout ce qui précède, c'était de l'alpinisme théorique. Mais une fois au sommet l'on comprend la problématique espérienne. Passons aux cas pratiques. L'on est toujours l'autre de l'autre. Ainsi Taylor est l'autre pour Sartre et de même Jean-Paul est l'autre pour Vince. Vous pouvez faire l'expérience avec la prochaine personne que vous rencontrez.

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Tout le monde n'a pas le même niveau de conscience philosophique. Certains se prennent la tête pour dégager la pertinence d'être là dans le monde mais la plupart se contentent de l'évidence de leur présence sans chercher midi à quatorze heures. Voici donc la problématique espérienne : confrontation : à sa droite Sartror poids-lourds de l'entendement métaphysique, à sa gauche Vincor poids plume à la cafetière un peu fêlée. L'un a lu Schelling, et l'autre pris un peu trop de LSD. Schelling c'est le philosophe de l'ungrund ( l'abîme ) et les addictions de Taylor sont connues. L'un laboure les champs du savoir et l'autre batifole dans les champs de jonquilles.

Dialogue impossible. Chacun étant incapable de comprendre les motivations de l'autre. Dans sa jeunesse Vince Taylor a été si peu capable d'assimiler le manuel qui expliquait l'atterrissage d'un avion qu'il s'est scratché en beauté, quant à Sartre il n'a jamais pigé que le grand livre que le public attendait de lui - et dont même l'idée n'a jamais effleuré ses neurones - aurait dû s'intituler Phénoménologie du Rock and roll. Les voici assis à une même table de café dans le livre de Jean-Michel Esperet, mais dans la vraie à dix mille lieues l'un de l'autre, même si tous deux, résidents de Paris, ont eu en les mêmes années l'honneur des manchettes des journaux.

L'on pourrait penser l'exercice un tantinet artificiel. Mais quand on y réfléchit un peu, chaque jour nous sommes confrontés à de semblables situations. Nous discutons avec des gens de toutes sortes, des proches, des intimes, des inconnus. Parfois nous avons l'impression que le courant passe. Et même davantage pour les affinités. Mais très souvent, nous restons à la surface des choses. Nous sourions, nous disons oui, parce que nous sommes polis. Mais au fond de notre moi, nous n'avons rien à faire de notre interlocuteur. Nous ne cherchons même pas à le comprendre. Chacun sa merde comme disent les beaufs.

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Les amateurs de rock sont fascinés par Vince Taylor. Pour beaucoup de concitoyens les sixties françaises sont mythiques. Sont capables de réciter la disco des Chats Sauvages, et la liste des concerts de Johnny Hallyday par coeur. Des passionnés. C'est bien, nous dit Jean-Michel Espéret – lui l'est féru de Vince Taylor – mais il tire la sonnette de rappel. Les sixties, très bien, le rock and roll parfait, mais dans ces mêmes temps, il y avait aussi des tas d'autres phénomènes, Jean-Paul Sartre par exemple. Evidemment il ne figure pas dans la liste de vos dix rockers préférés, mais l'a fait partie du paysage. Pas un minuscule caillou que personne ne remarque. Une énorme montagne qui bouchait tout un coin de l'horizon. Ne se sont jamais rencontrés. Auraient pu. Auraient pu se parler. Ne se seraient peut-être pas compris. Mais là n'est pas le problème, en imaginant ce dialogue, c'est nous que le livre interpelle. Que se disent-ils ? Et que nous disent-ils ? Prendrons-nous le temps de réfléchir ? Ou agirons-nous comme pour ces connaissances que l'on croise dans la rue «  Salut, ça va ? / Salut, ça va ! » et l'on passe notre chemin sans plus de salamalecs.

Une piste de lecture. Plantez deux poteaux balises. Côté gauche : l'absurde du non-sens. Côté droit : le hasard objectif des rencontres aléatoires. Lisez les phrases introductives de Sartre et les réponses de Vince Taylor. Vous vous apercevrez que Jean-Michel Esperet pousse souvent le ballon au fond des filets. Ce n'est pas du n'importe quoi, aborde les grandes thématiques : la solitude, les femmes, les autres, la liberté, la mort... Le genre de gravier que l'on trouve au fond de ses souliers ou au bout du chemin. Donc à la portée de tout le monde. La preuve, c'est que la confrontation entre le Maître du Savoir et l'Innocent aux Mains Vides ne tourne pas en défaveur de Vince. La sagesse du fou porte parfois beaucoup plus que la tour d'ivoire intellectuelle. Dans la fable Le Savant et le fou, bien fol celui qui se fierait à son instituteur pour apprendre à vivre. Sartre s'enferme dans ses châteaux de sable conceptuel et Vince habite la bicoque de son moi dévastée. Mais quel est le plus heureux ? Celui qui a peur du néant ou celui dont la cervelle clignote comme les néons de la gloire ? Vive Vince !


Damie Chad.


FACE B
MAXIME SCHMITT

( Le Castor Astral / 2OO2 )

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Cercle rouge avec portrait d’Elvis Presley. Tout ce qu’il faut pour déclencher le réflexe pavlovien du rocker de base. Face B ? What is it ? Une divulgation éhontée des dessous cachés - connus de la planète entière - du King ? Ou une énième exploration de la monumentale disco du petit gars de Tupelo. Le catalogue raisonné des disques que vous ne pourrez jamais vous procurer. Trop rares. Trop chers. J’allais laisser tomber lorsque j’ai aperçu le nom de l’auteur. Maxime Schmitt. Je prends d’office. Sans même regarder à l’intérieur. Acte de confiance irraisonné ? Comme quand votre arrière-grand-père s’est précipité sur les emprunts russes, ruinant ainsi toute votre famille ? Que nenni, je connais bien Maxime Schmitt, l’a partagé durant toute une année ma chambre d’étudiant. Je me hâte de préserver la réputation de notre auteur. Pour la mienne j’aurais davantage de mal, mais ceci est une autre histoire. Donc rassurez-vous, n’était pas là en chair et en os. Simplement sur l’affiche. Immense, rouge et noire. Que j’avais récupérée lors de la venue du Poing à Toulouse. J’aurais du mal à préciser la date. Pour les lecteurs de KR’TNT ! je me permets de renvoyer à notre chronique 2O1 du 18 / 09 / 2014, sur la tellurique bande dessinée “Vince Taylor N‘existe Pas” d’un certain Maxime Schmitt…
Reste tout de même un grand mystère. De quelle face B, Maxime Schmitt veut-il exactement nous entretenir ? L’a produit tant de disques qu’au lieu de se perdre en oiseuses conjecctures vaut mieux plonger directos dans le bouquin. L’on comprend vite, surtout que dans son intro Antoine de Caunes soulève quelque peu le voile d’Isis. Un format carré, plus grand qu’un 45 tours mais plus petit qu’un vingt-cinq centimètres. Quelques lignes et une photographie par page, vite lu ? Ne concluez point trop hâtivement. Le texte avec ses mini-paragraphes de deux à cinq lignes est beaucoup plus long qu’il n’y paraît à première vue. Tant mieux, car c’est du petit lait. Avec adjonction d’un cocktail de vitamines explosives.
J’explique le titre. Très simple. Saint John Perse disait qu’en poésie il fallait être comme ces voiliers qui dans les ports n’offrent que leur poupe à la curiosité des passants. Traduit en langage Dumoutier ( voir plus loin ) cela donnerait ceci : regarde mon cul et va voir ailleurs si j’y suis. Pour les cerveaux lents insensibles aux arcanes de la poésie dumoutierrienne ( je précise que Jojo Dumoutier fut le batteur du Poing et de Gene Vincent ) je me permettrai quelques éclaircissements. Le fan de rock est soumis à la portion congrue. Un disque et une pochette. Peut l’écouter mille fois et étudier à la loupe l’avers et le revers des inscriptions, sa curiosité ne sera pas assouvie. Vous êtes confronté à un produit fini et vous n’en saurez jamais davantage, à part quelques glanes dans une interview pécho au hasard à la radio ou une indiscrétion journalistique dans un fond d’article.
Maxime Schmitt a compris le dilemme. Alors il tire le rideau et vous entretient de tout ce que vous ignorez. En langage pinkfloydien, cela s’appelle la face cachée de la lune. Oui, mais Maxime il est plutôt branché rock. Le vrai, comme l’on dit. Pour la petite histoire, l’a profité de son boulot de producteur chez Capitol pour commettre quelques rééditions de Gene Vincent ( coffrets et pictures-discs ) que la terre entière nous envie. N’est pas non plus un esprit borné. L’a mis la main à la pâte pour permettre à Kraftwerk d’accoucher de sa musique électronique. Eclectique et prêt à s’embarquer dans toutes les aventures.

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Dépêchons-nous de l’imiter, en commençant par le commencement. Ne naît pas dans la rue, ni dans le dix-neuvième un arrondissement presque maudit comme le chante Schmall, se contente du quatorzième. Milieu populaire, père communiste. Ne cherchez pas l’erreur. Il n’y en a pas. Par contre il ne met jamais de date, à vous de situer. Ensuite il avance par touches impressionnistes qui confine à un scrupuleux pointillisme. Nous dépeint l’époque en citant quelques marques de produits alimentaires et économiques tout en faisant référence à quelques titres de musique scron-gneu-gneu. Ce n’est pas de sa faute le rock n’est pas encore né. En France. En attendant s’adonne à des plaisirs incompréhensibles comme le foot et le vélo. Continuera à les pratiquer. Nul n’est parfait. Nous lui pardonnerons aisément. L’a l’âge requis pour assister et très vite participer activement à l’implantation du rock and roll dans notre hexagone. Le livre devient passionnant. Je vous concède le droit moral d’abattre toute personne qui viendrait vous déranger dans votre lecture. C’est à ce moment que vous comprenez le pourquoi de cette écriture fragmentale et lapidaire. Ne point trop s’étendre. La nostalgie est un vilain défaut. Un rocker ne pleure jamais. Vaut mieux couper court. Et quelques fois planter un ou deux coups de cran d’arrêt ironiques dans le gras des légendes. Tout le monde possède ses baudruches bien-aimées, mais il ne faut pas hésiter à leur montrer qu’elles sont comme les civilisations de Paul Valéry, mortelles, et point du tout increvables, afin qu’elles ne prennent pas trop toute la place et ne vous empêchent de vivre par leur intumescence par trop dilatoire.

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Ceci jusqu’à sa démission du Poing. Entre temps vous avez droit à toute l’histoire de ces magiques années soixante durant lesquelles les vagues successives du rock s’en viennent s’écraser sur les rivages mentaux de toute une jeunesse. Plus qu’une musique, une culture, une façon d’être qui vous modélise d’une manière indélébile. Un témoignage essentiel. Le statut d’adulte est un cap dangereux. L’on y croit encore, mais l’on est revenu de tout. Sacré courage pour continuer sur sa lancée. Ne pas abandonner. Persévérer. Serrer les dents ne permet point l’éloquence cicéronienne. Maxime Schmitt devient producteur. Sur le fil du rasoir. Va s’en sortir, fait feu de tout bois, cherche, découvre, écrit, compose, se fait un nom, une réputation. N’oublie pas de noter ses regrets, ses bévues. L’auto-dérision vous empêche de vous enfermer dans le mythe de l’Incompris. Surtout qu’il n’a pas à rougir, organise les séances d’enregistrement pour Le Chat Bleu de Mink Deville par exemple. Ne s’en prend pas plus au sérieux pour autant : remarquez qu’avec le compagnonnage de Jacques Dutronc ce serait difficile. Impossible avec un zèbre de cet acabit de faire un caca poum nerveux.
L’est partout, Bijou, Taxi-Girl, la renaissance rockab, l’URSS et Memphis Tennessee, j’en passe, j’en oublie des essentiels comme les Shadows, le livre s’arrête trop tôt pour qu’il nous conte l’odyssée des Plasticines, mais nous ne pouvons lui en vouloir. Maxime Schmitt aime trop le rock pour être pris en défaut sous sa cuirasse. Ne dites pas je viens de lire un super livre de souvenirs sur le rock. Ce que vous avez entre les mains est un objet littéraire. A part entière. Qui décoiffe la gomina des jours perdus.


Damie Chad.


COURGIVAUD / 31 -10 -2016
L'ARAIGNEE AU PLAFOND

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Brrr ! Nuit d'Halloween. Prudence de mise. Pas le soir à sortir de la maison. Foule de goules dans les coins sombres des rues devenues le royaume des fantômes. En plus, la teuf-teuf mobile est chez le mécano. L'a regardée d'un air excédé “ Monsieur Damie, je ne suis pas un sorcier, suis mécanicien pas ferrailleur, laissez-la pour la semaine, mais si j'étais vous j'en rachèterais une autre, avec vos habitudes de rocker à conduire à tombeau ouvert faut démonter le moteur, je ne sais pas si j'arriverai à tout remettre en place ! Revenez samedi en huit, je ne promets rien”. Dix-neuf heures trente, noir absolu au-dehors. Me vautre sur le canapé et m'apprête à passer une petite soirée tranquille au chaud à lire les Conférences de Stuttgart de Friedrich Wilheim Joseph Schelling lorsque mes oreilles perçoivent dans le lointain un son famillier... Qui se répète et s'accroît durant plusieurs minutes... Mon dieu ! Mon diable ! Serait-ce possible ? Et voici que maintenant ça corne devant le portail ! Elle est là, elle m'attend, toute noire comme un fourgon mortuaire, stupéfait je n'ose faire un pas, mais elle s'impatiente et se met à klaxonner, que dis-je à huhuler de désespoir comme la chouette d'Athéna, au soir de la bataille des Thermopyles. Je ne saurais résister à une telle plainte funèbre, s'ouvre la portière arrière et cédant à une force irraisonnée je m'engouffre dans la Teuf-Teuf. Je préfère ne pas vous décrire la forme gélatineuse qui tient le volant. Je ne sais point où elle m'emmène mais le trajet ne durera guère. S'arrête dans une ruelle étroite et montante, sur la gauche se profile la masse imposante d'une église, mais de la lumière filtre sur ma droite, au-haut d'un escalier se profilent quelques inquiétantes silhouettes. Je Le reconnais. Sur le perron, Monsieur le Comte, entouré d'une cour de soubrettes endeuillées, qui se pavane dans sa cape noire et son haut de forme cérémonial, me souhaite la bienvenue au bal des vampires. Me précise que l'orchestre de la veuve noire descendra des lambris du plafond pour nous charmer de ses couacs sulfureux. “ Bonne soirée, Monsieur Damie, n'oubliez pas de vous gaver de nos gâteaux à l'asticot et de vous abreuver largement à la pompe funèbre de Beer Town. Sang de houblon parfaitement coagulé, prix dérisoires mais garantis cent pour cent empoisonnés bio.”
Tout le village est là, sagement assis en face de la scène. Les murs sont tendus de toiles d'aragnes monstrueuses, des squelettes démantibulés sourient de toutes leurs dents, un chien fantôme vous reluque de ses yeux féroces, je m'étonne, pas une citrouille qui vous file la trouille, je n'oublierai pas de poser une réclamation.

PREMIERE PARTIE
LA FANFARE MAUDITE


Huit qui se tassent dans le coin droit de la scène. La véritable section de cuivres de la Mère Michel, celle qui a perdu son chat noir. Sont allés la chercher à la Nouvelle-Orléans, celle qui suit les enterrements. Qui refile un dernier réconfort aux jeunes morts juste avant la bascule dans la tombe. Un boucan d'enfer. Un trombone qui coulisse, deux trompettes qui se la pètent, trois saxophones qui mugissent au téléphone, une clarinette qui fait place nette, et une flûte qui vous étrille les les tympans. C'est lourd comme du Muscle Shoals et ça swingue comme un troupeau d'éléphants en goguette qui se rend au mariage de Babar et Céleste. Danse macabre et chalerston désopilant. Le sax baryton tonne et borborygme tel un vieux tubar en train de cracher par à-coups ses poumons. Z'ont le punch au rhum et ça cartonne tous azimuts. Filent good à la James Brown et moussent verdâtre le rising sun. Ça claque comme des becs d'alligators affamés qui n'ont rien à se mettre sous la dent depuis huit jours, et ça bruit de stridences africaines d'hippopotames qui pataugent dans les marigots. Ah ! ça fonce tout droit sérieux comme les moutardiers du pape et l'instant d'après ça rigole de traviole. Là ça groove dans la mangrove et ça youglourte dans le bayou. Blague à part vous font un tabac qui vous encrasse les bronches à jamais.
Applaudissements frénétiques. Pas de rappel. Pire que cela. Tous en ligne, un bec jaune en carton sur le nez, vous interprètent le crac-crac du poussin qui sort de l'oeuf. Montre en main, nous laissent vingt minutes pour nous régaler des larves gâterelles et glouglouter le sang des sidaïques.

DEUXIEME PARTIE
LES CHANTS DE LA MORT

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Lumières noires. Sont une équipe de rugby sur la scène, empilés les uns sur les autres comme des petits pois sauteurs dans une boîte de conserve rouillée. La fanfare entonne une marche funèbre. De quoi vous donner envie de passer de vie à trépas. Roulement de tambour wagnérien, l'angoisse s'appesantit, un air de tragédie antique flotte dans les airs. Entendez-vous ces pas pesants qui proviennent de la porte d'entrée qui vient de s'ouvrir en un horrible grincement ? Sont six, un à chaque poignée. Portent un lourd cercueuil d'ébène qu'ils déposent cérémonieusement au bas de la scène. Silence de mort. L'on entendrait le battement d'une aile de corbeau perché sur un arbre à trois kilomètres. Les cuivres gémissent doucement. Horrible miracle ! Le couvercle du cercueil se soulève avec lenteur. Horreur, Mildred, la toute belle Mildred, toute blanche, toute pâle, repose entre les ais cruels. Nos coeurs pleurent. Mais voici qu'elle se redresse avec maladresse, des gestes de faon qui vient de naître et qui s'efforce, et tente poussé par l'instinct de vie de se camper sur ses grêles pattes malhabiles.
Elle monte sur scène et s'empare du micro dans lequel elle plante très forts deux grands cris de joie et redescend de l'estrade pendant que l'orchestre égrenne I put a spell on you du regretté Screamin' Jay Hawkins. L'est rejointe par cinq jeunes danseuses et toutes ensemble, pâlides sylphides évanescentes, s'adonnent à un féérique ballet baigné de sombre lumière lunaire. Sont toutes belles. Ah, c'est comme ça le soir dans les cimetières ? Vivement que je meure au plus vite ! Mildred a repris le micro et nous tonitrue des because your mind à enfoncer des clous dans un catafalque. Sont quinze sur scène. Admirez-les, la petite Eva en zombie qui gratte ses instruments percussifs, la grosse citrouille orange pour le bouillon de onze heures, ces emplumés sortis tout droit d'une cérémonie aztèque, et le plus respectable de tous, monsieur le curé engoncé dans sa soutane qui essaie de passer inaperçu empêtré dans son énorme soubassophone dont l'énorme pavillon blanc ressemble autant à une gueule de requin édentée qu'à une corolle épanouie de fleur vénéneuse. Cuivres qui reluquent, congas saccageurs, orgue d'ogre, guitare mordante, basse rampante, batterie fracassante, percus qui castagnent et au milieu de ce tohu-bohu Mildred aussi à l'aise qu'une rose sur un taillis d'épines acérées. Derrière ça vous dégomme un tohu-bohu de rhythm'n'blues touffu comme une jungle, ou alors ils vous écument des relents de carnaval de Rio, vous les passent au laminoir pour qu'ils perdent leur latino, reviennent au galop pour stomper sans stop du rock and roll, et vous balladent dans des slows infernaux qui tournent vite au délirium tremens.

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Et plunk ! intermède ballet de l'opéra, avec Mildred et ses majorettes frénétiques, qui mène la revue et chante en même temps avec une facilité déconcertante. Sur scène c'est la java multicolore, font du corps à corps avec leurs instruments, et Bob look de pirate et guitare ovale à angles droits brisés ne se retient plus. Ne se contente plus de prendre des poses de guitar héros en vous assénant des riffs de malade mental, pousse la tyrolienne dans le micro et s'en vient bonimenter la foule tel le colonel Parker avant qu'il ne coache Elvis. Chaude ambiance. Mildred survole sa couvée de coucous fous. L'a un secret, plus elle chante, plus elle sort sa voix. Vous croyez qu'elle culmine au dernier étage, mais elle n'est pas encore sortie de l'entresol. Apothéose sur le final. L'orphéon par derrière, chaud comme les braises des fournaises hadésiennes du grand Lucifuge Rofocale, ne se retient plus. Une épaisseur musicale que vous ne couperez pas au sabre d'abordage, un tumulte cahotique aussi dense que l'orchestre symphonique de Berlin à fond dans la neuvième de Beethove ( celui qui avait l'oreille torve ), et notre Mildred qui vous entonne crescendo un Stand by me que Bene King n'aurait jamais osé imaginer. Pas une plainte, un cri revendicatif à vous interdire de faire le moindre pas de côté, à vous glacer la lymphe, et ensuite gagne en hauteur telle une chanteuse d'opéra. Où s'arrêtera-t-elle ? On ne saura pas, elle mène le capharnaüm à sa baguette de sorcière, sourire délicieux, danse espiègle, et vous plonge la baïonnette de sa voix toujours plus avant, au plus profond des aîtres de votre être. Mais il se fait tard, l'on approche de minuit l'heure fatidique, l'on se quittera sur un lâcher de ballons de baudruche halloweenique, avec le regret de savoir que l'on aurait encore pu atteindre des altitudes nouvelles. Mildred remercie sous les applaudissements.

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Au bas des marches la teuf-teuf mobile et son allure de fourgon mortuaire m'attendent pour me ramener à la maison. La plus belle de mes plus affreuses soirées. Mais pourquoi mes canines sont-elles si douloureuses ? C'est à cause de l'araignée qui descend du plafond. La tarentule qui vous innocule le rock and rulle.


Damie Chad.

( Photos : FB : L'ARAIGNEE AU PLAFOND )


DICTIONNAIRE BORDELIQUE
DES WAMPAS
PHILIPPE WAMPAS
( Hors Collection Editions / 2007 )

 

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NASTY FROGGIES


Très obligeamment l’homme m’a conduit à l’étagère de son rayon musique. Pas la spécialité de sa boutique si j’en juge d’après la dizaine de bouquins qui ont l’air de s’ennuyer ferme, victimes de l’oubli poussiéreux des hommes. M’agenouille pour mieux voir, me relève très vite, horreur, enfer et damnation, que Saint Chuck Berry me protège de ces atrocités, des bios de Beethoven, du coup je m’éloigne vers le rayon poche. Ne jamais perdre un client, loi intangible du commerce. Sourire rigolard sur ses dents carnassières, regardez vous devriez pouvoir l’adapter en rock, et hilare il me tend un opuscule poétique du dix-neuvième siècle Chants Patriotiques à la mode Déroulède. La conversation s’engage, l’a un fils qui est dans un groupe punk, The Nasty Froggies. N’a pas l’air convaincu de la future réussite commerciale du fiston, mais l’est tout fier de m’annoncer qu’ils écrivent leurs propres morceaux. Trop sympathique. Je ne peux pas ressortir les mains vides, me faut au moins un achat d’approbation symbolique, un encouragement moral à ce géniteur de rocker. Je reviens du côté de Ludwig, et stoïquement je m’efforce de lire tous les dos de couverture : pari gagné, le dernier bouquin de la file se révèle être un dictionnaire de ces étranges animaux échappés d’une cage du cirque Pinder.

WAMPAS

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Ne suis pas un fanatique. Ni du rock alternatif français. Ni des Wampas. Même s’ils viennent de faire la couve de Rock & Folk. C’est surtout l’indigence des paroles qui m’a toujours rebuté. L’humour au énième degré me fatigue vite. Les Wampas c’et un peu les Ramones à la française, admettent leur insuffisance musicale mais question textes ils ont l’air de revendiquer la remarquable supériorité culturelle de l’Europe aux anciens parapets sur ces gros bêtas d’amerloques à l’esprit aussi épais qu’un double Big Mac, genre regardez comme je suis intelligent d’écrire des lyrics si bêtes. Dada qui se prend pour un cheval de course.

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Remarquons toutefois que les Wampas ce n’est pas non plus le Jockey Club. Un joyeux foutoir. Le bouquin porte bien son titre. Rend bien compte du phénomène Wampas. Dans le désordre. Quelques entrées n’apportent pas grand-chose, mais il faut bien sacrifier à la nécessité alphabétique, ces sorties de secours qui débouchent sur un mur de briques sont dignes de cet esprit philosophique du non-sense qui irrigua toute une génération. Après la défaite de la révolte punk, le rêve grandiloquent d’un futur paradisiaque enterré à jamais, le rire de la dérision fut la seule arme de défense qui resta. Les Wampas eurent leur Bromley Contingent, la fameuse armée Wampas, un peu trop pompeusement nommée, de maigres troupes en réalité. Mais d’élite. Formée d’un ramassis de soldats d’infortume - ceux que Jean Giono nommait les enfants perdus - un mélange hétéroclite et explosifs d’anciens rockers, de punks, de bikers, de cats, de skins, un peuple violent, passionné, et excessif, un conglomérat de tribus, chacune enfermée dans la solitude de son auto-représentation mythique, mais toutes prêtes à enterrer ( pas très profond tout de même ) la hache de guerre pour suivre un concert du groupe. Philippe Wampas leur rend un hommage méritoire et appuyé, les Wampas ne crachent pas sur ceux qui les ont nommés rois. Ne jamais oublier d’où l’on vient.

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C’est un peu la marque de fabrique des Wampas. Assument tout. Ne se défaussent pas. La vie d’un groupe n’est pas un long fleuve tranquille. L’on fait un bout de chemin, mais l’on n’est pas marié pour la vie. Certains s’en vont de leur plein gré dès qu’ils sentent un peu trop le roussi, d’autres sont virés. Pas manu militari, mais sans prendre de gants non plus. Pour entrer chez les Wampas un musicos a le droit d’être mauvais, mais faut pas non plus exagérer. Faut progresser, mais attention surtout ne pas devenir un virtuose. Aussi bizarre que cela puisse paraître - mais ceux qui ont observé le fonctionnement grégaire des regroupements humains ne seront pas surpris - les Wampas possèdent un chef. Un grand manitou. Didier Wampas. N’affiche pas un complaisant démocratisme de façade. Sait ce qu’il vaut. Parolier prolifique et bête de scène. Provocateur et le ciboulot sur les épaules. Revendique ses contradictions, l’idole bosse à la RATP, idéal pour dégonfler les grosses têtes, métro n'est jamais trop. Notre anarchiste bordélo numéro un croit en dieu. Mais celui-ci reconnaît-il ce fils si turbulent ? Grave débat théologique. En attendant Didier Wampas n’en fait qu’à sa tête. Se méfie des maisons de disques - l’auto-production n’est pas la panacée non plus - déclare haut et fort à la télévision que les Wampas n’aiment pas la variété de merde française, cite des noms, estime qu’il est un être libre, mène la guerre conte The Washington Dead Cats tout en ayant soin de préciser qu’ils sortent de la même matrice, fait de Manu Chao sa tête de turc - trop de succès ne rendrait-il pas jaloux ? - admet que les excès - tout relatifs - de sa jeunesse ont laissé place à la vie de famille, ne pontifie pas, se présente comme un gars ouvert, mais on pressent l’individu qui possède un plan de carrière, sait ce qu’il veut et le veut très fort. Ce qui n’est pas un défaut en soi.

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Une tragédie chez les Wampas. Le suicide de Marc Police. Ex-Jezebel Rock. Se tire deux balles dans la tête après avoir formé autour de lui un cercle des CD rock qu’il aimait. Marc était peut-être l’antithèse des Wampas. Prenait le rock and roll au sérieux. Pas à la rigolade. Au fond de lui, le côté festif devait le hérisser, la fausse naïveté des années soixante soigneusement entretenue par les Wampas devait le ravir autant que le démolir. Fun, Fun, Fun, tout ce que vous voulez, mais les blessures intérieures suppurent sans arrêt.

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Remarquons que les Wampas accueillirent en leur sein deux guitaristes des Dogs, Philippe Almosino et Tony Truant. Dogs et Bijou - Vincent Palmer en prend d’ailleurs pour son grade - sont présents dans l’abécédaire tout comme Dick Rivers et Johnny Hallyday, davantage que leurs pairs générationnels. Mais Parabellum, Mano Negra, Los Carayos, OTH, Pigalle, Garçons Bouchers, les Wampas s’inscrivent dans une historiale généalogie du rock français. Avec ses grandeurs et ses misères d’éternel courtisan de la suprématie anglo-américaine.


Damie Chad.

 

 

 

 

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