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04/11/2015

KR'TNT ! ¤ 254 : VIGON / JC SATAN / JALLIES / BRITISH ROCK ( II) / SIXTIES / BLUES PHILOSOPHIE

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

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LIVRAISON 254

A ROCK LIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

05 / 11 / 2015

VIGON / JC SATAN / JALLIES

BRITISH ROCK ( 1965 - 1968 ) : C. DELBROUCK

UN AUTRE VISAGE DES SIXTIES

BLUES : THE DEVIL / PHILOSOPHIE DU BLUES

 

POUR ERVIN !

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Vous connaissez tous Ervin Travis et son show hommage à Gene Vincent.

Vous savez aussi certainement qu’il est très malade, a dû arrêter sa carrière,

et galère un max pour se soigner, en raison de la maladie (Lyme)

et de l’aspect financier de la chose….
Ervin avait un groupe parallèle aux Virginians, du nom de Something Else,

dans lequel il interprétait les Grands standards des années 50.

Un CD du groupe est sorti « The best of Rock and Roll ».
Si vous voulez faire une bonne action

(et passer un agréable moment d’écoute),

achetez le CD. L’argent est reversé intégralement

à l’asso’ « Lyme Solidarité Ervin Travis »

pour aider Ervin à se soigner.
https://www.facebook.com/lyme.solidarite.ervintravis
Le tarif est 15€ + port.
Contacter l’asso en message privé sur sa page

pour en savoir plus, passer commande, etc
MERCI D’AVANCE !
https://www.youtube.com/watch?v=3X0Sax8A_Ec
https://www.youtube.com/watch?v=7yd1STJ_MQw
Ecoute du CD sur:
https://soundcloud.com/king-cake-association

 

LE MERIDIEN / PARIS ( 13 ) / 31 – 10 – 2015

LA VIGUEUR DE VIGON

On retourne voir chanter Vigon au Méridien et on a parfois l’impression, au cours de ce spectacle qui dure trois fois une heure, d’atteindre les limites d’un système qui est celui du star-system. Non pas que Vigon soit une star, mais il fait définitivement partie des légendes vivantes. Par star-système, on entend la scénarisation des légendes, la façon d’utiliser un lieu à un certain rythme pour continuer à tirer profit d’un nom.

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L’avantage est qu’on peut voir Vigon dans des conditions idéales. Il chante à quelques mètres de la table où l’on nous dépose aimablement les cocktails les plus exotiques qu’on va d’ailleurs siffler goulûment sans trop se demander à quoi va ressembler le trajet retour sur l’autoroute - La vie est courte, ne l’oublions pas - Cette proximité avec Vigon paraît chaque fois irréelle, surtout quand on considère que Vigon fait partie des géants de cette terre. Il a su se monter l’égal de Wilson Pickett ou de James Brown dont il reprend les early hits avec une fougue d’étalon sauvage. Quand on voit Vigon chanter «Papa’s Got A Brand New Bag», on comprend qu’il ne fait pas semblant. Il incarne cette soul à la perfe. D’ailleurs, chanter Papa à la perfe, ce doit être à peu près tout ce qu’il sait faire dans la vie. Vaut-il mieux chanter Papa à la perfe que d’assembler des voitures sur une chaîne de montage ou faire le grouillot dans une banque ? Chacun est libre de ses choix. Ou plutôt tributaire de son destin. Destin heureux que celui de Vigon ? D’apparence, oui, mais il faut bien veiller à rester dans cette image de Soul shaker en lunettes noires et ne pas se poser de questions périphériques. Il devait exister UN seul chanteur de soul en France et c’est tombé sur lui. Il faut voir avec quel panache il assume cette destinée ! Vigon capable de chanter de la petite variète à la mormoille ? On ne se pose même pas la question. C’est comme si on avait demandé à Lux Interior d’enregistrer un duo avec Elton John. Dans certains cas, il vaut mieux éviter d’insulter l’intelligence des gens. Vigon incarne Vigon avec une constance spectaculaire et c’est tout ce que le public attend de lui. Shout, mon vieux Balama !

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Il existe dans l’histoire de la soul assez de classiques pour occuper un homme passionné comme Vigon jusqu’à la fin de ses jours. On a même parfois l’impression qu’il les connaît tous, ces hits qui pullulent, de Stax à Atlantic, en passant par Motown, Vee-Jay, Specialty, Imperial, Chess, Duke ou King. Il chante depuis cinquante ans et on imagine qu’il a passé tous les bons disques au peigne fin. Oui Vigon reste exceptionnel sur scène. Chacun de ses gestes est aussi inspiré que sa façon de chanter. Il swingue la soul avec le métier d’un vétéran de toutes les conquêtes de l’Empire, il n’a rien perdu de sa niaque de fauve, il sait chauffer un couplet au bon endroit et faire dérailler sa voix le temps d’une syllabe. Rappelons tout de même que ce qui fait la grandeur de la soul, c’est précisément un son hanté par l’animalité du peuple noir. Et on parle ici d’animalité comme on parlerait ailleurs d’aristocratie et de rang. Vigon reste un homme d’un âge certain au port altier. Il est assez haut et on s’épate de le voir déplacer sa silhouette vers le bar entre deux sets. Il file comme le vent. Et puis il a ce franc sourire de crooner de choc. Il a exactement le même genre de classe que celle qui fit la grandeur d’Elvis. Vigon a un charme fou et c’est un artiste exceptionnel. Lors des ponts musicaux, il danse les poings fermés et arbore un rictus de vainqueur. C’est à ces petits signes révélateurs qu’on distingue les vraies stars des fausses. Vigon doit sans doute son salut à un rendez-vous manqué avec la gloire. Cela veut dire qu’il n’est pas tombé dans le piège où sont malheureusement tombés la plupart de ses contemporains, Dutronc et Gainsbourg ayant comme lui réussi à conserver leur intégrité intellectuelle et artistique. Mais pour ça, il faut aussi être particulièrement puissant, et Vigon l’est, ça ne fait pas de doute. Lors de ses petites interventions hors chant, il donnerait presque une image simpliste de lui, celle du pauvre petit Marocain toléré chez des Français repus de colonialisme larvaire, mais quand il chante, il redevient ce Soul man légendaire qui est, avec Vince Taylor, celui qu’on a le plus admiré à l’aube des temps parisiens. Il est d’autant plus le Soul man légendaire de nos rêves adolescents qu’il reprend seul le fatidique «Soul Man» de Sam & Dave. Ah il faut voir avec quelle niaque de poings serrés et de renfermement ! Chaque fois qu’il attaque un hit de cette époque, Vigon semble en effet s’absenter pour entrer dans le jardin magique qu’il a lui aussi découvert quand il était ado, mais dont il n’est jamais ressorti, sauf pour vivre comme monsieur tout le monde, pour remercier le public qui l’applaudit ou pour discuter le petit bout de gras avec les amis qui viennent le saluer au bar. Ne vous souvenez-vous pas de ces vieilles photos de Vigon et les Lemons qui paraissaient ici ou là, dans les Rockers de Jean-Claude Berthon ou, on ne sait plus, dans les pages jaunes des premiers numéros de R&F ? Vigon chantait torse nu sur la scène du Golf. Pur rock’n’roll animal ! Encore mieux : pour son audition devant Henri Leproux, Ronnie Bird lui avait prêté son backing-band. Si ça ne s’appelle pas de la légende, alors qu’est-ce que c’est ?

Ce spectacle au Méridien ne présente pas que des avantages. Il relève aussi de l’inconvénient. Eh oui, la légende se noie parfois dans le spectacle. Vigon est pourtant accompagné par une équipe au dessus de tout soupçon, les Dominos, mais on se retrouve dans une ambiance de cabaret parisien, avec des rites propres à ce genre d’endroit. Des gens peuvent y manger pendant que chante l’artiste. On peut aussi y danser comme dans une fête de mariage. Pour choyer un public de gens aisés, il faut aussi installer une atmosphère bon enfant et faire rire de temps à autre. Pour ça, le chef d’orchestre des Dominos est l’homme de la situation. C’est un multi-instrumentiste talentueux qui adore déconner. Lorsqu’il présente les neuf membres de l’orchestre (deux claviers, guitare, basse à vent, batterie et quatre cuivres), il provoque une franche hilarité, aussi bien dans le public que sur scène car il raconte des conneries grosses comme lui et vaguement surréalistes. Sur l’intro de «Proud Mary», on le voit claquer les accords sur sa Telecaster en singeant Keith Richards, mais ça ne fonctionne pas du tout, car il est beaucoup trop court sur pattes. Alors il se rattrape en sortant ici et là des anecdotes qui sentent bon le corps de garde : «Vous savez ce que répondait sa mère quand Moustique lui demandait qui était son père ? Qu’elle ne savait pas parce qu’à ce moment-là elle dormait...». Mais il en fait parfois en peu trop. Toute la difficulté, comme disait Cocteau, est de savoir jusqu’où on peut aller trop loin. En prime, le maître de cérémonie chante très bien, ce qui tombe à pic car Vigon sait se mettre automatiquement en retrait. Il ne semble pas avoir de problèmes d’ego, ce qui ajoute encore à sa grandeur. Vigon participe aussi aux petits échanges humoristiques avec le maître de cérémonie et parfois, ça frise le très mauvais goût. Quand on lui demande de monter sa queue, Vigon défait sa pompadour et tire sur une longue mèche de cheveux noirs : Voilà ma queue ! Mais au fond, tout cela reste bon enfant et le public, curieusement très mélangé, vibre chaque fois que Vigon annonce un hit des temps anciens, comme par exemple «Mustang Sally» ou le «Twist And Shout» des Isley Brothers. On voit des femmes d’un certain âge taper des mains comme des adolescentes. Rien de tel qu’un vieux hit pour remonter en un éclair jusqu’au temps béni des boums. Vigon est encore plus irrésistible dans ses duos et notamment le fabuleux «My Girl» qu’il partage avec Muriel, l’épouse du maître de cérémonie, elle aussi spectaculairement douée pour le chant. On la verra plus loin reprendre seule le vieux «What A Beautiful World» de Louis Armstrong avec une réussite troublante. Dans le cours du deuxième set, on fait aussi monter sur scène une jeune métis aux yeux clairs pour chanter «The Dock Of The Bay» d’Otis en duo avec Vigon. Elle se montre étrangement douée. La scène qui se déroule sous nos yeux relève du miracle, car leur duo est d’une beauté à couper le souffle. Au moment où elle quitte la scène, Vigon annonce au public qu’il n’y a pas eu de répétition. C’est une intervention spontanée.

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Le danger de ce genre de spectacle est que souvent les classiques se transforment en interminables pièces participatives. Vigon et le maître de cérémonie demandent au public de reprendre des refrains en chœur. Alors ça peut durer longtemps, c’est-à-dire le temps qu’il faut pour chauffer un public, mais il faut aussi se souvenir que c’est le principe de base du gospel et que rien n’est plus enthousiasmant qu’une salle qui reprend une chanson en chœur. Ce spectacle présente un autre petit défaut : avec le temps qui passe, on éprouve de plus en plus de difficultés à supporter les vieilles resucées de «Ready Teddy» ou de «Blue Suede Shoes», et même des hits de Little Richard comme «Keep A Knockin’». surtout lorsque c’est amené par une question du genre : Est-ce que vous aimez bien le ouakenrôle ? En vérité, Vigon est extrêmement bien entouré sur scène. Il peut jouer des juke-boxes de luxe pour un public argenté. C’est une façon comme une autre de retrouver une cohérence. On ne cherche même pas à se demander ce que ça donnerait dans un bar mal famé de Saint-Ouen ou d’ailleurs. On est au Méridien. C’est là où les choses doivent se passer et la force de ce spectacle réside dans sa logique.

Signé : Cazengler, ravi(gon)

Vigon. Le Méridien. Paris XVIIe. 30 octobre 2015

JC SATAN

LE 106 - ROUEN – 31 / 11 2015

 

PAPA JC SATAN SANG LOUIE

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C’est en voyant ou en revoyant JC Satan sur scène qu’on mesure l’écart. Ce fameux écart auquel on se confronte depuis cinquante ans. Quel écart ? Mais oui l’écart, le grand écart, le bel écart, l’écart late qui n’est jamais en retard, l’éKartoum en uniforme rouge, l’ékarting de cabosserie, l’écarwash de Mercury, l’écart aux mille visages des mille et un concerts d’un Bagdad fantasmatique, l’écart qui hante et qui frappe par sa cruelle justesse, ce fameux écart qui existe entre le disque et le concert, comme si le groupe qu’on voyait sur scène n’était pas le même que celui qui enregistrait en studio.

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Dans le cas de JC Satan, c’est frappant. Leur quatrième album qui est pourtant bon paraît bien gentil en comparaison de ce qui se passe sur scène. Si on veut goûter à la sainte anarchie du rock, alors il faut voir JC Satan sur scène, car c’est là et nulle part ailleurs qu’ils la génèrent et qu’ils la dégénèrent.

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On voit le petit Arthur monter sur scène torse nu avec sa peau luisante couverte d’une myriade de tatouages, sa guitare blanche et une bouteille de Jack et dès l’ouverture du bal, il réinstalle le chaos, exactement le même genre de chaos qu’installèrent avant lui le MC5, les Stooges ou les Cramps. Oui, c’est frappant, on pense immédiatement au MC5 et à cette explosion sonique qui caractérisait leurs sets au Grande Ballroom. C’est un phénomène qu’on pourrait qualifier de fusion, un paquet qui arrive d’on ne sait où et qu’on prend en pleine figure. Ce groupe perpétue une tradition de l’excellence, il développe cut après cut ces dynamiques infernales qui font les concerts inoubliables. Cette matière à la fois sonique et visuelle n’existera jamais sur aucun disque, et encore moins sur You Tube. L’explosion se produit à la racine même de la scène, dans le tumulte assourdissant des vagues d’assaut, dans la clameur du pillage et dans les lueurs dansantes du brasier. Un vrai concert de rock relève de la barbarie des temps modernes, mais une barbarie qui se met au service du plaisir des sens, une barbarie qui redéfinit chaque fois ce qu’il faut bien appeler une éthique du rock. Quand on a vu des milliers de concerts, on ne peut plus se satisfaire de petits sets bien ordonnés et inoffensifs. On ne rêve plus que d’outrance et d’oreilles qui sifflent. Arthur qui se jette au sol avec sa guitare, c’est exactement la même chose qu’un Lux qui rampe par terre avec son micro dans la bouche ou qu’un Iggy qui sort sa bite et qui don’t care. Arthur et ses amis savent créer les conditions de la fournaise ultime, ils ont percé tous les vieux secrets alchimiques de la heavyness, une tradition qui remonte à Blue Cheer et à Sabbath, ils dépècent le cadavre encore tiède du stoner pour se goinfrer de ses entrailles, ils ré-injectent un effarant shoot de modernité dans ce son hérité des seventies, ils inventent des dynamiques infernales pour réanimer l’antique capharnaüm, et tout ça bien sûr avec l’énergie du diable, la seule qui vaille en ce bas monde, celle qui embarque les Stones à la fin de «Sympathy For The Devil» ou Mitch Ryder dans «Devil With A Blue Dress».

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En plus, le set se déroule dans des conditions idéales : c’est la nuit d’Halloween avec son cortège de zombies et de vierges noires, et ses projections d’extraits de films gore. Paula monte sur scène masquée et drapée d’une cape noire. Elle évoque Salieri, le messager du diable, dans l’Amadeus de Milos Forman. Il ne manque plus que les volutes d’encens pour que la cérémonie ressemble à cette fameuse messe noire du chanoine Docre que nous décrit longuement Huysmans dans «Là-bas». Derrière son clavier, figé comme un épouvantail de Tadeusz Kantor, les orbites peintes en noir, l’admirable Dorian déverse ses nappes dans la marmite en ébullition. Et dans son coin, la petite Ali bombarde le chaos à coups de lignes de basses vibrionnantes qu’elle tricote et retricote avec une niaque digne de celle d’un Bob Venum, du temps où il jouait de la basse dans les BellRays. Et tout ça est martelé par une sorte d’Hadès à visage d’ange, un monstre de frappe sorti tout droit des 120 Journées de Sodome du grand Pasolini.

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Il faut le brailler bien fort sur tous les toits : JC Satan est ce qu’on peut voir de mieux actuellement en France. Aucun groupe n’est de taille à rivaliser avec un tel brouet. JC Satan plonge trop profondément dans les racines du rock, dans cette terre humide et malsaine où réside l’essence même du rock, l’animalité dans sa forme la plus primitive. Si on a surnommé Iggy l’iguane, ce n’est pas par hasard. Si Hasil Adkins mangeait du serpent au petit déjeuner, ce n’est par hasard. Si God Hilliard baise à trois avec un serpent dans The World’s Greatest Sinner, ce n’est pas non plus par hasard.

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Mais ce qui fait l’écrasante supériorité d’un groupe comme JC Satan, c’est la qualité des chansons. En cinq ans, ils ont enregistré quatre albums, et ce ne sont pas des petits albums underground à la mormoille, du style de ceux qu’on range dans des armoires Ikea et dont on oublie jusqu’à l’existence. Non, au contraire, ce sont des albums qu’on se surprend à réécouter, histoire d’être bien certain que les mots ne dépassaient pas la pensée, lorsqu’on en parlait ici et là. «Together After Love» et «Adventure Boat» sont bel et bien deux hits dignes du Velvet, «The Crystal Snake» sonne bel et bien comme une merveilleuse descente aux enfers. L’impression générale que dégagent ces quatre albums est celle d’une grande modernité de ton et d’idées qui s’appuie sur un son d’une orthodoxie irréprochable. Avec JC Satan, la messe est dite, mais encore une fois, il est indispensable de les voir jouer sur scène pour mesurer l’ampleur du phénomène. A-t-on déjà vu des groupes de ce niveau en France ?

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Leur quatrième album vient de sortir, sous une belle pochette noire. Ceux qui auront choisi le vinyle auront droit à un magnifique livret de photos grand format : ce sont les portraits des cinq protagonistes en flammes. Stupéfiant ! Depuis les portraits de Richard Avedon - et notamment celui d’Andy Wharhol avec les cicatrices des coups de feu sur la poitrine - on n’avait jamais rien revu d’aussi expressif. Ils ouvrent ce festin des dieux avec un «Satan II» qui redéfinit les règles de la pétaudière infernale. Ils misent sur l’explosivité des choses avec une sorte de démesure que les plus frileux d’entre-nous jugeront peu catholique. Leur musique sent bon le moyen-âge des peaux luisantes et couvertes de stigmates. L’un des atouts majeurs de JC Satan est de savoir psalmodier des chants païens à deux voix, du type «I Could Have Died», un cut ambivalent bardé de prolongements évasifs et ambiancier au possible. On sera profondément déstabilisé par «Don’t Joke With The People You Don’t Know», car c’est amené comme une messe de moines gothiques qui officient probablement au fond d’une crypte lointaine et ça vire en un stoner de dieu que viennent tourmenter des tortillettes de basse dévoreuse. C’est leur manière de renouer avec une pente fatale pour les ambiances soigneusement orchestrées et faites pour marquer l’imagination au fer rouge. Chaque cut est un cut à idée forte. Ces gens-là sont beaucoup trop doués. Leur souhaiter la gloire qu’ils méritent ? On ne ferait même pas ça à son pire ennemi.

En face B, ils nous mettent à l’épreuve avec «I Will Kill You Tonight», un cauchemar amené insidieusement sous la forme d’un groove de charme. C’est l’expression d’une liberté de ton, d’un refus définitif des contingences et des limites - Hey comme here I will show you my garden just outside - C’est chanté à deux voix, par le duo hanteur Paula/Arthur - I dig you a big hole and I will burry you still alive - Arthur ne plaisante pas. Il est plus sérieux que Quentin Tarentino qui fait enterrer Liv Ullman vivante par Michael Madsen sous douze mètres de terre, en sachant bien qu’elle réussira à s’en sortir. Quand on écoute «Don’t Work Hard», on s’émerveille de ce son musclé et enveloppé de gigantesques haillons de chorus qui semblent flotter dans la tourmente d’un grand vent de peste. Tout aussi déroutant, voilà «Ingrid», au son volontairement altéré, comme perdu dans le passé, aussi douloureux qu’un souvenir auquel on voudrait échapper mais qui revient systématiquement. Cette chanson est aussi perfide que la découverte d’un grenier oublié. Ils finissent cet album en demi-teintes avec un haut fait d’armes intitulé «The Greatest Man», chanté à la mode antique, ou du moins à l’idée qu’on se fait de la mode antique. En tous les cas, ça sent l’âpre roussi des fléaux bibliques, et là, ils passent sans crier gare au mode heavy tentaculaire - Naked I’m born an naked I’m dying - On se croirait dans le cratère de Dave Wyndorf, car la progression de la heavyness est d’une crédibilité à toute épreuve. Désormais, c’est JC Satan qui distribue les cartes, principalement la treizième, celle de l’arcane sans nom, et celle du pendu et de l’Appel aux Survenants. On se gave de cette mélasse d’heavyness au fumet macabre de vent de mort villonesque et prions dieu pour que tous nous veuille absoudre.

Signé : Cazengler, JC Santon

JC Satan. Le 106. Rouen (76). 31 octobre 2015

JC Satan. JC Satan. Animal Factory 2014

CLUB HOUSE LONERS

LAGNY-SUR-MARNE / 21 – 10 - 15

JALLIES

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Grand plaisir de retrouver les Loners. Le tonneau en feu devant le club-house, les motos exposées, l'accueil chaleureux et souriant. N'ont pourtant pas le coeur à rire, Tonio est passé sur l'autre rive. Un brother Loner for ever qui s'en va. N'aurait pas aimé que l'on soit trop triste... Pas mal de monde, ce soir. Bikers, rockers, visiteurs, la grande famille des habitués. Les jolies Jaillies nous tombent dans les bras. Sont fatiguées, crevées, brisées, moulues, foutues, elles évoquent des nuits de fête sans sommeil, à deux encablures du cimetière. L'on s'apprêterait presque à préparer une pétition pour remettre le concert à plus tard. Heureusement que les deux gars là, sont solides, placides, tranquilles, que l'écume festive n'a pas ébranlés d'un demi-pouce. Ten o'clock dépassé, l'est temps d'arrêter de discuter et d'entrer dans l'arène. Le grand Phil n'en croit pas ses yeux, même pas un petit remontant alcoolisé sur le devant de la scène. Que des petites bouteilles plastique d'eau claire, rigoureusement alignées comme les manifestants d'une ligue de tempérance ! Je vous rassure, seront vite délaissées pour boissons ambrées ou rubescentes.

CONCERT

Miracle. L'on s'attendait à Mesdames de Récamier épuisées, alanguies sur la caisse claire, souffreteuses, maladives, blanchâtres, et les voici exubérantes, pimpantes, pétulantes, empressées, joyeuses, bourdonnantes autour des micros telles des abeilles mutines affairées dans la ruche. C'est parti. A toute vitesse, la strato de Tom qui vrombit et la la double bass de Kross qui pétarade. N'ont pas envie de ralentir dans les courbes, ce soir ce sera à fond les manettes et le pied sur l'accélérateur. Débrouillez-vous pour ne pas être sur les passages cloutés quand elles arrivent, car les chouchounettes ne savent pas se servir du frein. Ignorent même qu'il y en a un, ou font semblant de ne pas le savoir, car cette nuitée s'annonce plus que speedée.

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Premier morceau, la salle applaudit. Ce n'est pas par politesse. De satisfaction, car le son est là, qui dès les premières notes vous enveloppe de son manteau et ne vous lâchera plus jusqu'à la fin. Réverb sur les murs, éclat vocal sur les murs de l'étroit local. Ça sonne comme à Carcassone quand le vent résonne sur les murailles métallophones. Et les trois chipies entonnent tour à tour les titres sur lesquels elles ont jeté leur dévolu. L'ensemble file bon train ( à la Johnny Burnette ), nous font le coup, c'est si bon que vous n'avez rien compris. Nous non plus. L'on n'est tout de même pas tombé de la dernière pluie du rockabilly, et le répertoire des Jallies, les reprises comme les originaux, on connaît par coeur. Oui mais elles ont bossé comme des dromadaires depuis la dernière fois. Discrètement mais efficacement. La façon d'aborder les parties chorales n'est plus la même. Au background accompagnateur, l'est des instants cruciaux où elles rajoutent des duos de contre-chant à pleine voix et cela vous booste et vous turbote l'ensemble.

Se sont aussi rendu compte que derrière elles, il y avait deux matelots qui souquaient ferme à la manœuvre. Les trois reinettes ont posé un regard de princesses compatissantes sur ces deux malheureux, une fois dans la mâture pour rajouter de la toile, une fois à la pelle devant la chaudière pour augmenter de la vitesse, les ont davantage intégrés dans leur set de scène, ce n'est plus, débrouillez-vous les petites fourmis travailleuses pour que tout soit en ordre et convenablement bien rangé, nous les cigales notre destin est de chanter à qui mieux-mieux pour ravir le public. Les mettent désormais à contribution, ne disent rien, ne commandent rien, n'exigent rien, de vive voix, mais sans le dire on les entend : allez Tom, un lick de guitare juste à cet endroit précis pour souligner mon envolée sur le demi-vers qui suit, allez Kross un staccato pour soutenir le rebond de ma caisse claire. Evidemment c'est moralement condamnable ; c'est un peu comme les cercles de qualité mis en place dans les entreprises pour que les employés améliorent d'eux-mêmes la production en mettant davantage la main sur le millepatte du travail. Mais le résultat est indéniable. C'est encore mieux qu'avant, plus péchu, plus fourchu, plus crochu. Ça vous accroche, ça vous scotche et ça vous taloche. Les trois sucrettes, elles, elles en sont survoltées. Exemple, le gazou de Céline, c'était un gimmick en plus, un truc sympa et divertissant, maintenant c'est un instru à part entière, les garçons piochent derrière comme des forcenés à Perchman, et sur leur boucan de tous les diables elle vous plante un véritable solo de Jéricho à décrocher les posters sur le mur. Plus question de gazouiller : vous ici je vous croyais au kazoo.

Entracte. L'on tremble. Peut-être ont-elles tout donné. Leur resterait-il un soupçon de force ? Celle-ci sera-t-elle encore à leurs côtés ? Le premier set c'était parti pour quatorze titres comme en quatorze. Dix-huit pour le second. Et la victoire au bout. Se rechargent-elles au radium ou à l'uranium ? Rayonnent d'une énergie inépuisable. Au fond de la salle il y a bien des danseurs qui s'agitent, mais devant les rangs sont serrés et tout ouïe. Il y a des concerts que l'on entend et ceux que l'on écoute car ce qui est ventilé dans votre cerveau s'apparente plus à de la volupté qu'à de l'amusement. L'est des titres qui sont suivis d'ovation. Remerciements et agréments. Parce que l'interprétation a mordu sur quelque chose d'indéfinissable, mais qui est au-delà de ce à quoi l'on a droit à s'attendre. Lorsqu'elles plantent leurs canines dans un morceau, les trois félinettes, elles vous le déchirent de belle manière. Sculpture sonore et sanglante. Art nouveau. Swing cruel. Sans appel. Mais avec rappels. Vous dépècent le bestiaux et font craquer les os. La Vaness, tigresse sans pitié qui ne prend même pas le temps de respirer, Leslie, panthère rousse qui se repaît de lymphe torride, Céline, ocelot au timbre soyeux qui camoufle de terribles griffes rétractiles et meurtrières, vous hachent le beef d'éléphant tout menu. Beaux sourires, grâce naturelle. Mais l'envie d'en découdre et le désir de pousser à chaque fois le jeu et le feu un peu plus loin. Plus les deux gars qui les incitent au crime, ne faut pas leur en promettre. Exsudent de temps en temps des rugissements. Afin qu'on ne les oublie pas. Mais il y a peu de chance. Kross et Tom sont les flammes de cette fournaise dont les fillettes sont les braises ardentes. Qui ne s'éteignent jamais. Avec le public qui souffle dessus pour qu'elles rougeoient encore plus fort.

Terminé. Les meilleures roses ont une fin. Beau concert, belle soirée. Ce soir les sourires des Jallies seront dédiés à Tonio. Pouvais pas offrir de plus beau bouquet.

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Damie Chad.

BRITISH ROCK

1965 – 1968 : SWINGING LONDON

CHRISTOPHE DELBROUCK

( Le Castor Astral / Septembre 2015 )

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La suite du tome 1 ( voir KR'TNT ! 249 du 01 / 10 / 2015 ) qui couvrait les années 1956 – 1964. Le temps des pionniers est bel et bien fini. Morts et enterrés. Ont bien raté le coche. Bizarrement c'est lorsque les groupes anglais se risquent aux USA que l'on aperçoit le mieux les raisons de cette disparition. Certes ils n'ont pas su s'adapter aux nouveaux courants mais c'est surtout qu'ils essuyèrent sans aucun paravent de protection les foudres du système. La deuxième génération se heurtera en Great Britain et aux USA aux mêmes intransigeances. Faudra plusieurs années avant que les ricains acceptent de recevoir les angliches. Même pas discerne-t-on dans un premier temps, une touche de jalousie musicale ou un sursaut de vexation nationaliste : en 1965 les Etats-Unis ne revendiquent pas d'être la patrie originelle du rock and roll et encore moins du rhythm and blues, ces éructations de sauvages à la peau trop bronzée pour être honnêtes. Ce sont les ligues de vertu et de tempérance qui tirent à boulets rouges au canon de morale sur cette musique dépravée. Remarquez, elles ont trouvé toutes seules avant même que les rockers en aient pris tout à fait conscience le triangle des Bermudes du rock, sa diabolique trilogie, sex, drugs and rock'and roll. C'est surtout le sexe qui les chatouille désagréablement. Attention aux paroles suggestives et aux gestes libidineux. Radio, télévision et presse montent la garde. Pour le moment les barrières de sacs de sable qu'elles érigent tiennent bons, mais l'on est toujours trahi par soi-même. Nos pépés-la-pudeur- refoulée avaient oublié l'essentiel : l'ennemi intérieur est le plus dangereux. Les digues vont s'écrouler de par leur propre faiblesse. L'est encore un monstre plus terrible que le rock and roll, plus paradisiaque que la drogue, plus jouissif que le sexe. Je vois à votre langue pendante l'impatience qui vous transperce, vous attendez la révélation, pour aussitôt vous en procurer un carton plein. Je ne vous ferai point davantage languir, mais sachez que cette denrée si voluptueuse, qui vous fournit la plus grande sensation et réalité de puissance, réside en la chose même par laquelle vous vous la procurez. Pas rare, mais précieuse puisque vous en avez quelques traces au fond de vos poches. Les hindoux l'appellent la merde de Shiva, le dieu à cent bras qui vous rend la monnaie de vos pièces. L'argent.

En effet l'arrive un moment où la vente massive de disques importés d'Angleterre suscite chez les jeunes américains le besoin irrépressible de voir leurs musiciens préférés s'agiter en nature devant leurs yeux éberlués. Veulent les toucher en chair et en os à la télévision mais surtout, en vrai, sur scène. L'organisation des tournées s'apparente à la manne du désert. Organisateurs de spectacles, annonceurs publicitaires, maisons de disques et imprésarii sentent que le vent souffle enfin de leur côté. Si j'osais, je dirais qu'ils se font des citrouilles en or. Mais comme je suis poli je me contenterai de suggérer que devant les bénéfices générés par nos rock and roll stars, les ligues de vertueuses tempérances détourneront pudiquement les yeux de ces avalanches de gros biftons. Les mauvais esprits susurreront qu'elles n'ont pas fermé leur portefeuille. Je leur laisse endosser la paternité de leurs sous-entendus vénaux...

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C'est toujours sympathique de dire du mal des amerloques mais soyons justes. Les anglais eux aussi essaieront d'étouffer dans l'œuf le déploiement de cette jeune vermine qui sape les fondements les plus sains de leur glorieuse nation. Z'ont des comités de surveillance qui scrutent les lyrics. Ecrivez que vous pénétrez dans l'épicerie du coin de la rue et ils vous accusent d'introduire votre anatomie contondante dans celle de votre voisine accueillante, si vous notez que roulez à fond la caisse ils subodorent que cette dernière représente un joint d'herbes très toxiques. Bref vous avez intérêt à faire gaffe, idem pour vos actes quotidiens. Attention à vos lectures et à votre vie privée, si vite publique...

Pourtant ils se sont bien battus. Et au pays du dollar, et au pays de la livre sterling. Ont très vite compris que l'on n'arrêtait pas l'incendie du rock and roll en le combattant directement. Alors ils ont employé la séculaire technique du contrefeu. Vous aimez le rock, très bien, vous aurez de la variété. Vous adorez Little Richard, vous aurez Fabian. Moins âpre au goût mais si sucré que vos fifilles ne pourront plus s'en passer. Et ils ont enfermé les vilains rockers dans l'abîme très profond avec le couvercle de la bonne conscience solidement arrimé par dessus. Croyaient avoir repoussé l'armageddon pour mille ans de plus, mais ces saletés puantes avaient réussi à creuser une galerie et le mal avait irradié à des milliers de kilomètres, in the old England. Et voilà que les enfants de ces lointains ancêtres se préparaient à envahir une nouvelle fois le pays de l'Oncle Sam. Sur place, les anglais continrent un moment le phénomène, proposèrent des alternatives aux Rollings Stones, aux Animals, aux Pretty Things, des mièvreries à la Dave Dee, Dozy, Beaky, Mick and Tich, des cucuteries à la Herman's Hermits et multitudes d'autres drôleries. Parvinrent même à canaliser la moitié du public adolescent sur ces cadavres pas du tout exquis. Oui mais la bouteille à moitié pleine restante refusa de pactiser avec ces ersatz, ces récalcitrants ne voulaient pas la peau du tigre empaillé en descente de lit, désiraient chevaucher le fauve, quitte à ce qu'il leur dévore une ou deux jambes. Quant au jeu auquel ils avaient envie de s'amuser avec la bébête poilue à même le plancher de la chambre je vous laisse en décider.

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Le phénomène prenait de l'ampleur. Le bateau de la bienséance avait un trou dans la coque. Ce n'était plus une simple question de divergence musicale, aux Etats Unis, la guerre du Vietnam changeait la donne. La situation nouvelle bousculait les vieux status quo. De l'entertainment l'on passait à la politique. L'acide lysergique définissait d'étranges, insolites et scandaleux horizons, musicaux, et mentaux. Fallait regarder les choses autrement, en plus grand, en plus beau, en plus conscient. Suffisait plus d'acheter le bon disque. Fallait changer de vie.

La faute aux anglais. Christophe Delbrouck l'explique magnifiquement. A force d'imiter le blues, nos cadors d'outre-manche l'ont tellement étrillé, tarasbicoté, refaçonné qu'ils lui ont totalement refait le portrait. Méconnaissable. L'ont rallongé, l'ont sonorisé à haut volume, l'ont repeint de super couleurs hyper pimpantes, lui ont fait un bébé dans le dos qui s'est appelé le psychédélisme. Le problème c'est que les enfants ça pousse trop vite. Vous n'avez pas le temps de leur confier toute l'expérience de votre vécu que déjà ils volent de leurs propres ailes et vous laissent croupir dans votre coin, refusent l'héritage que vous leur prépariez.

C'est en Californie que la jeunesse met ses théories en pratique. Les premiers hippies apparaissent, se servent abondamment dans les valises de la beat géneration. C'est le temps de la multiplicité des champ du possible, refusent guerre et violence, font le choix d'une vie de liberté. Sexualité, hallucinogènes, sexualité, féminisme deviennent les vecteurs d'une plus grande appétence et ouverture au monde.

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L'est un chanteur qui personnifie à lui tout seul toutes ces mutations : Eric Burdon le leader des Animals, le seul blanc qui fut capable de faire évoluer le blues en ses racines les plus noires. L'étouffe tant et tant dans l'Angleterre des mid-sixties qu'il émigre aux Etats-Unis. Traverse l'été de l'amour par toutes les pores de sa peau. A compris avant tous les autres qu'une révolution est en marche. Elle ne sera pas aussi sociale que ses racines de prolétaire de Newcastle l'auraient espéré, mais plus que les américains il saura prendre le pouls du phénomène californien et le traduire en sa musique. Comme par ce hasard qui fait si bien les choses c'est son bassiste en rupture de son trip américain qui mettra en selle Jimi Hendrix. Chas Chandler libère l'énergie de Jimmy Hendrix. Lui donne confiance en ses talents qui sont immenses. Hendrix sera cet amerloque qui vient montrer aux anglais comment rénover la quadrature des douze mesures du blues. Le fait éclater, l'égorge, le découpe en morceaux, mais il pare la carcasse de la bête d'une telle énergie vaudou qu'il la transforme en puissance irradiante. Entre Burdon et Hendrix ce sont les pôles de l'électricité qui se sont inversés.

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L'extrémisme sonore des Who est dépassé par Hendrix. Les guitars héros peuvent se rhabiller. Page, Clapton, Green, Beck sont mis au défi. Des gars comme Steve Winwood ou Van Morisson ont définitivement une case de retard. Mais la course s'organise. Chacun dans son coin peaufine sa revanche. C'est Clapton, le moins fou de tous, le plus sage, le plus introverti, celui que l'on attend le moins qui tirera le premier feu d'artifice. L'est salement aidé par son bassiste Jack Bruce et son batteur Ginger Baker. Ignorer l'aide derrière les consoles et aux instruments de Félix Papajardi serait un crime que nous ne commettrons pas. Cream sera une splendeur. Le premier power trio où chacun des trois musiciens est d'abord au service de lui-même et ensuite du groupe dans le respect mutuel du travail des deux autres. Le contraire d'Hendrix qui part toujours en avant et que ses deux acolytes suivent sans faillir mais en restant toujours derrière. Pour la suite des aventures faudra attendre le Père Noël qui vous apportera le tome trois sous le sapin.

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En attendant il y a de quoi se régaler avec ce deuxième volume. Le rock and roll éclate en ces trois années charnières comme un fruit valéryen de grenadier trop mûr. Les groupes se suivent et se chevauchent. L'en sort par centaines. Christophe Delbrouk les passe en revue, un par un. Il y en a même un dont je n'avais jamais entendu parler ( ne me demandez pas lequel, j'ai déjà oublié son nom ! ). Instructive lecture ! Perso je ne vous cause que de ceux qui m'intéressent. Mais n'ayez crainte je ne vous quitterai pas sans avoir éviter les jumeaux frétillants. Scarabées et Pierres Roulantes.

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Avec Revolver et George Martin, les Beatles découvrent les infinies possibilités du studio. Le rock perd sa simplicité originelle. S'ouvre à tout : musique classique, pré-classique, harmonies, bruitisme, atonalité, dodécaphonisme, toujours dans le cadre de morceaux sagement définis par un début, un milieu et une fin même si l'on tire un peu sur l'élastique, qu'on le découpe et que l'on rafistole les lambeaux dans le désordre. Revolver ouvre le bal. Sergent Pepper Lonely Heart Club Band introduit le rock dans une autre dimension, celle de la pop, classieuse et réflexive. Le double blanc marque le reflux. A l'opposition classique et duale Lennon-Maccartney, Delbourg substitue la triangulation John / Paul / George, ce dernier tirant la couverture vers une vision beaucoup plus mysticiste du monde. Jusqu'à ce que la farce du Maharishi se déchire et que chacun des membres renvoyé à lui-même se trouve obligé de tracer ses propres limites. Lennon s'exprimera de la manière des plus explicites dans Revolution Number 9. Opte pour la non-violence. La paix, l'amour mais pas la guerre. Alors que toute une partie de la jeunesse se radicalise politiquement il trace les frontières de son pays imaginaire et refuse l'engagement. La révolution sera intérieure ou ne sera pas. Ce faisant il enferme le rock and roll dans la cage dorée de sa réussite.

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Les Stones reviennent d'ailleurs. De deux mille années-lumières loin de la maison. Ont fait comme tout le monde. Ont pataugé dans la délicieuse choucroute du psychédélisme. Ont subi les pires attaques du système pour conduites moralement répréhensibles et possession d'illicites produits, les autorité les ont choisis pour cible privilégiée. La justice de leur pays s'intéresse à eux mais ils ne lui font pas confiance. Le gros de l'orage passé, retournent à leurs fondamentaux. Le gros rock qui tache et troue la nappe. Street Fighting Man est à l'unisson de la vague de contestation qui bouscule le vieux monde. La jeunesse s'enflamme, les universités deviennent des chaudrons en ébullition, la France s'offre un joli mois de mai...

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L'on connaît la suite, mais le livre s'arrête en ce moment crucial où toutes les contradictions s'aiguisent et s'apprêtent à se résoudre. Jimmy Page refonde les Yardbirds, la nouvelle mouture n'est qu'un brouillon. Le hard rock reste à définir, le prog lance ses premières offensives. L'évolution est musicale, mais Christophe Delbrouck montre que le mouvement vise à l'émergence d'une nouvelle culture. De plus en plus de musiciens s'alimentent à d'autres sources que le legs strictement musical des générations précédentes. C'est d'ailleurs ce qui précipitera la mise hors-circuit du rock des pionniers qui provient d'un milieu plus populaire. La poésie alimente les nouvelles sensibilités. Surréalisme, dadaïsme, romantisme et symbolisme irriguent les consciences. Ce qui fut une démarche sauvage et instinctive se teinte d'une modalité réflexive. Les causes se sont multipliées mais le refus de la rébellion s'estompe, ne s'agit plus de s'opposer mais de construire, à la fureur adolescente se joint la tentative de bâtir un monde parallèle, un univers de mots et de musique qui soit une alternative efficiente à l'étroitesse mortifère d'une société qui réfrène l'imagination et le désir de vivre en dehors de ses carcans utilitaristes.

Aussi passionnant à lire qu'un roman dont vous êtes, sinon le héros, du moins l'enjeu.

Damie Chad.

UNE JEUNESSE ALLEMANDE

( Documentaire 2015 )

précédé de THE DEVIL

JEAN-GABRIEL PERIOT

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Un complément idéal à la fin de l'article précédent. S'agit de deux films, tous deux construits à partir de documents d'époque mais assemblés avec tant d'intelligence et un tel sens inné de l'esthétisme pour le premier que vous êtes en droit de les considérer comme des films de création à part entière, nonobstant le fait que Jean-Gabriel Périot se détermine lui-même en tant que cinéaste politique et non comme un cinéaste militant. Remarquez que vu la situation politique actuelle vaut mieux afficher une positon de neutralité quand l'on aborde des sujets si explosifs.

Surtout le second qui met directement les pieds dans le plat démocratique. Aborde la question du terrorisme. Un dossier d'actualité brûlant. Certes il évoque une ancienne histoire qui s'est terminée par la défaite totale et l'élimination physique de ses principaux acteurs. Encore que le film ne remette pas en cause la thèse officielle du curieux suicide collectif de ses membres emprisonnés et n'accorde le moindre mot à celle largement partagée par les média démocratiques de l'époque d'une intervention des services secrets. Raconte donc l'histoire de la fameuse Fraction de l'Armée Rouge, la Rote Armee Fraktion beaucoup plus connue sous le nom de Bande à Baader.

Un groupe d'étudiants politisés d'obédience marxiste comme il en existait tant au milieu des années soixante dans le monde. En Allemagne la situation est un peu spéciale, si comme dans tous les pays occidentaux la jeunesse est en pleine effervescence contestataire les séquelles du nazisme imposent à la société de fortes rigidités conservatrices qui se heurtent avec d'autant plus de force aux aspirations libertaires de la génération qui suivit la défaite de 1945. Les échauffourées avec la police atteignent leur point culminant lors de la visite du Shah d'Iran. Les manifestants agressés par les hommes de main iraniens ne comprennent pas que ces derniers soient protégés par les policiers qui s'attaquent à leur cortège. Suite à ce coup de force une frange du mouvement de protestation se radicalise et décide de franchir le pas qui sépare les menées agitatrices du passage à la lutte armée.

La Rote Armee Fraktion fut démantelée à deux reprises mais elle parvint à renaître à chaque fois de ses cendres. Elle commit plusieurs attentats destructifs et meurtriers, exécutant notamment le représentant du Patronat Allemand et le Directeur de la Dresdner Bank... Le film ne couvre surtout que les dix premières années de l'existence du groupe terroriste. Il donne aussi la parole aux autorités policières et gouvernementales qui organisèrent sa liquidation physique.

Jean-Gabriel Périot ne porte aucun jugement. Le film se situe en-deçà de toute considération morale. Laisse à chacun des spectateurs le soin d'en tirer l'enseignement qu'il souhaite, chacun connaît la situation mondiale économique et politique d'aujourd'hui. Un film froid sur une thématique brûlante ! Silence abasourdi dans la salle lorsque la séance s'achève.

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Les années soixante furent tumultueuses : si toute une partie de la jeunesse choisit ce que l'on pourrait nommer un combat de libération culturelle dont la musique rock fut un des vecteurs principaux, il ne faut pas oublier que d'autres jeunes gens en colère optèrent pour des contestations s'inscrivant dans un cadre beaucoup plus frontalement politique, voire d'une extrême radicalité. Une Jeunesse Allemande est là pour le rappeler.

Damie Chad

THE DEVIL

( Court-Métrage 2014 )

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The Devil est un court-métrage présenté juste avant les aventureuses menées de la Rote Armee Fraktion. Jean-Gabriel Périot utilise la même méthode : un montage de documents d'époque. Mais ici la brièveté de l'oeuvre possède la force d'un uppercut de Cassius Clay. Plus qu'un film, j'aurais pour ma part tendance à parler de poème. Jugez-en par vous-même, vous le dénicherez facilement sur le Net.

Un sujet plus proche de ceux abordés dans KR'TNT ! Met en scène, la colère noire qui présida à la montée en puissance du mouvement des Black Panthers aux Etats-Unis. Des images choc, un oratorio de la révolte et de la rébellion. Des mots, des discours, des slogans scandés comme des victoires. Contre le racisme, pour la révolution. Les fameux dix points du programme des Panthères réduits en un condensé sans appel.

Une couleur du blues plus noire que d'habitude.

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Damie Chad.

 

PHILOSOPHIE DU BLUES

UNE ETHIQUE DE L'ERRANCE SOLITAIRE

PHILIPPE PARAIRE

( Editions de L'Epervier / 2012 )

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Philosophie du Blues, je l'ai pris davantage pour le blues que pour la philosophie. Je ne connaissais pas Philippe Paraire, spécialiste de la culture Nord-Américaine, nous avertit une très brève bibliographie, mais aussi auteur d'un livre sur Brassens, impardonnable faute de goût. J'ai tout de même lu, et ne l'ai pas regretté.

Une thèse intéressante. Certes le blues est une vieille histoire qui n'intéresse plus grand-monde. A part les rockers qui aiment à farfouiller dans les racines noires de leur addiction préférée. Pas du tout d'accord, Mister Philippe Paraire. L'est un partisan de la vieille logique matérialiste : les mêmes causes produisent les mêmes effets. Vous traduis cela sommairement : blues, rock, rap : même combat.

Départ l'histoire du blues. Je n'insiste pas. Vous savez. Question musique oui, mais là n'est pas vraiment son propos même s'il vous explique comment accorder une guitare en open tuning, même s'il vous traduit des tas de lyrics, même s'il aborde, par un biais ou un autre, une centaine de bluesmen. Non, nous présente le personnage du bluesman comme le chevalier bleu et errant dont l'action et l'exemple vont conquérir le monde. Ce qui n'est pas un signe d'une réelle amélioration des sociétés depuis un siècle et demi.

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A la fin de la guerre de Sécession, les esclaves confinés jusqu'à lors dans le périmètre clos des grandes plantations se voient soumis à un nouvel état de fait : sont atomisés en de maigres lopins de terre dispersés dans les campagnes. Ne sont plus esclaves, sont des serfs attachés à la glèbe. Des lois contraignantes leur interdisent de s'éloigner de leur métayage. N'ont pas gagné grand chose au change. Les gratteurs de guitare seront ceux qui refuseront de rester prisonniers de leurs fermages. Sont des crève-la-faim en perpétuel déplacement. Passent de ferme en honky tonk, de bordel en barbecue de samedi soir... Ne sont pas des intellectuels mais les paroles de leurs chansons véhiculent une vision de la vie tirée de leur précaire existence... Toujours sur les routes, toujours dans l'incertitude, dans l'impossibilité de se fixer, de lier de véritables liens d'amitié ou amoureux.

Avec le temps les choses s'amélioreront. Un peu. Pas beaucoup. Les noirs d'aujourd'hui se retrouvent davantage au chômage ou en prison que les blancs d'Amérique. Dans leur immense majorité, ils font partie de la catégorie des pauvres. Les boulots les plus durs et les salaires les plus légers leur sont réservés.

Jusque là, Philippe Paraire n'apporte rien de neuf. On le savait déjà. Mais il devient diablement intéressant lorsqu'il dresse un parallèle entre les noirs et l'état actuel de la jeunesse européenne. Avec la disparition de l'Etat Providence les jeunes générations sont soumises à une errance semblable à celle exprimée par les bluesmen. La crise les prive d'un emploi stable, recherche épuisante de petits boulots, de stages bidons, de caution pour avoir accès à un logement, tout se délite, le couple s'effiloche au profit d'une sexualité erratique, et misère des misères, tous comme dans les vieilles rengaines bluesy, l'espoir s'enfuit et avec lui la possibilité d'une révolte salutaire...

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C'est cette vision de notre monde que développe Philippe Paraire. L'en profite au passage pour analyser le contenu des paroles des vieux blues et en fixer les beautés et les limites. Si bien que son ouvrage peut servir d'introduction à tout néophyte qui rechercherait quelques précises notions sur le blues. Mais le plus important c'est cette généalogie de l'attitude blues qu'il retrace. N'établit pas de frontière précise entre le blues et le rock. L'essence du rock and roll s'inscrit selon lui dans une même détermination. Sont deux musiques de la marge, une marge sociale qui s'élargit de plus en plus par les mauvais temps qui courent.

Un livre comme nous les aimons. L'historiographie est nécessaire mais elle devient très vite une science morte si elle n'aide pas à expliciter le présent. L'important ce n'est pas de savoir le numéro de matrice de tel ou tel enregistrement. Ce genre de recherche hormis un plaisir égotiste de collectionneur patenté relève de l'inanité si elle n'est pas arque-boutée à une mise en pratique efficiente quant à la réalité de notre vécu.

Le lecteur distrait entreprendrait une pertinente réflexion s'il mettait en relation l'éthique de l'errance solitaire dévoilée par Philippe Paraire avec la pratique collective de la colère bleue exposée dans le court-métrage de Jean-Gabriel Périot que nous évoquons rapidement dans l'article précédent.

Damie Chad.