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06/02/2014

KR'TNT ! ¤ 175. SMALL FACES / WOODIE GUTHRIE / DOCUMENTS COCHRAN : BOBBY COCHRAN + EDDIE COCHRAN

 

KR'TNT ! ¤ 175

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

06 / 02 / 2014

 

 

SMALL FACES / WOODY GUTHRIE /

DOCUMENTS COCHRAN : BOBBY COCHRAN + EDDIE COCHRAN

 

 

LE SMART FOU DES SMALL FACES

 

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Ronnie Lane habite à deux pas d’Earls Court. Accueil chaleureux. Il m’a aussitôt débarrassé de mon imperméable.

 

— Oooh here come the nice ! Lookin’ so good, he makes me feel like no one else could !

 

Puis il m’a proposé le petit fauteuil tendu de velours vert pomme.

 

— Tu boiras bien un thé, won’t ya ?

 

— Excellente idée, Plonk !

 

On se sent bien chez Ronnie Lane. Le minuscule salon est à peine meublé. Vous pouvez vous asseoir par terre, si ça vous chante. Quelques coussins n’attendent que votre petit cul. Il suffit de pousser les deux chats qui s’y prélassent. Au mur sont accrochés un portrait de Napoléon et une grosse horloge dont les chiffres ont été peints à la main.

 

Susie Hunt arrive quelques minutes plus tard avec le thé. Cette jolie pouliche blonde paraît très jeune, et pourtant elle fait déjà partie de cette nouvelle école d’actrices anglaises au charme androgyne.

 

Ronnie dégage lui aussi un charme fou, bien qu’il fasse tout pour calmer le jeu. Il affiche en permanence une sorte d’extase tempérée. Il a comme on dit les yeux qui rient naturellement et s’ajoute à cela la moue désabusée qu’on observe au coin des lèvres de certains dandies londoniens. On lit en lui à livre ouvert, aussi avez-vous intérêt à bien vous tenir. Comme il est petit, il se sait préservé du complexe de supériorité, mais en contrepartie, le timbre de sa voix révèle une très nette affirmation de soi. L’apanage des nains, comme disent les femmes qui les fréquentent dans l’intimité.

 

Ce qu’il perd en taille, il le gagne en assurance d’amirauté.

 

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— La semaine dernière, on est allés à Norwich, mais on s’était trompés de jour. On aurait dû jouer la veille. Puis on a raté un autre show à Streatham parce qu’on revenait de Paris où on avait enregistré une émission de télé. Le chauffeur de taxi qui ramenait Stevie est arrivé en retard à l’aéroport. Du coup, Stevie a raté son avion. Le chauffeur s’était trompé de sortie sur l’autoroute, et il a dû continuer pour trouver une autre sortie. Mais l’avion avait décollé. De toute façon, il s’était trompé d’aéroport. Il alors fallu rejoindre l’autre. Le pauvre Stevie est arrivé à Londres vers minuit, sans un penny en poche. Il faudra qu’on reprogramme ce concert.

 

Ronnie accompagne ses paroles de gestes las. Il me fait penser à ces aventuriers des mers du Sud qui ont tellement bourlingué qu’ils ne voient plus l’intérêt de raconter leurs exploits.

 

— Il faut bien voir les choses en face. Pour nous, ça n’a plus de sens d’aller jouer dans les salles et dans les clubs, aujourd’hui. On y a joué pendant deux ans et demi. Je pense que tous ceux qui voulaient nous voir nous ont vus. Quand j’étais môme, je n’aimais pas voir les groupes à la télé. J’allais voir des gens comme Nero & the Gladiators, les Piltdown Men et je sentais ma mâchoire se décrocher quand je voyais Jimmy Page jouer avec les Crusaders.

 

L’un des deux chats vient de sauter sur mes genoux. Il adore les caresses, mais cet enfoiré ronronne en me plantant ses griffes dans les cuisses. Alors j’arrête de le caresser mais il continue à ronronner.

 

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— Stevie et moi, on doit sortir un peu pour trouver des nouvelles idées de chansons. On s’est baladé sur la Tamise récemment, à bord du Maid Maureen et on a ramené deux idées de chansons. On est monté jusqu’à Reading et on s’est payé tous les bancs de vase entre Londres et Thames Ditton. On a une tournée de prévue en Australie et avant ça, on doit faire un détour aux Philippines. Il faut absolument qu’on circule si on veut trouver de nouvelles idées de chansons, sinon on va se cogner dans un mur de briques. On a écrit «Hitchycoo Park» pendant la dernière tournée européenne, tu vois ce que je veux dire ?

 

Suzie revient avec le repas de Ronnie. Il m’annonce qu’il est végétarien et propose de mettre un disque sur la platine. Il n’aime pas trop parler en mangeant.

 

— J’ai le nouvel album des Beach Boys, «Smiley Smile», ça te va ?

 

On commence à écouter et on va de surprise en surprise. La fans des Beach Boys ne vont rien comprendre. On croirait entendre des morceaux des Mothers Of Invention. Le titre de cet album devrait être «Music To Get Stoned By» ou «How High Is Brian Wilson ?» C’est assez brillant et ça se laisse écouter, même si on ne comprend que pouic. «Vegetables» invite les auditeurs à écrire aux Beach Boys pour dire quels sont leurs légumes préférés, après quoi ils se sentiront mieux. Entre deux bouchées de chou-fleur à la crème de roquefort, Ronnie commente :

 

— On dirait qu’il a tout fait chez lui. Maintenant, c’est comme ça qu’il faut faire, mon vieux. Les Beach Boys étaient beaucoup trop produits. Il y a de belles choses sur cet album.

 

Puis il me fit écouter l’album «Colours» de Keith Nordine, qui explique les associations verbales avec les couleurs : le vert olive est trop utilisé, le bleu lavande est une très vieille femme, le rouge bordeaux bouge lentement...

 

— C’est un disque à Stevie. Pas mal, innit ?

 

Ronnie roule une cigarette et l’allume. Son père arrive à ce moment-là. Monsieur Plonk est un homme respectable aux cheveux gris. Il est chauffeur livreur et il travaille dur. Il a parfaitement bien accepté que son fils soit devenu pop-star. Ils entretiennent une relation chaleureuse. Ils commencent à évoquer l’émission de télé dans laquelle les Beatles s’exprimaient à propos du yoga et de la méditation. Papa Plonk réagit en chef de famille et Ronnie veille scrupuleusement à ne pas livrer le fond de sa pensée.

 

— Je ne crois pas que Lennon et Harrison auraient dû passer leur temps à suivre ces formations. Les travailleurs n’ont pas le temps de temps de penser à ces choses-là. Le chauffeur de camion rentre chez lui, il regarde un truc ou deux à la télé puis il va faire un tour au pub pour boire une pinte avec ses amis. Ça ne l’intéresse pas de méditer sur le destin du monde. Il pense d’abord à sa famille, à son salaire et à sa voiture.

 

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— Mais tu sais que ce n’est pas ça qui le rendra heureux ! lui répond gentiment Ronnie. Ni la voiture, ni le salaire, ni la télé. Ce n’est pourtant pas si compliqué à comprendre. Tout ce que suggèrent le Maharashi et les Beatles, c’est que les gens essayent de vivre de façon plus spirituelle pendant quelques minutes chaque jour, s’ils le peuvent, pour réfléchir à certaines choses. Les jeunes sont désespérés de devoir faire des boulots qu’ils n’aiment pas et se demandent pourquoi ils en sont là. Je n’étais pas heureux quand je travaillais à l’usine. Toi, tu as traversé deux guerres dans ta vie et tu n’as pas eu le temps de réfléchir à certaines choses, mais maintenant, tu le peux, si tu veux.

 

— Mais tu es une exception, fiston. Tu as travaillé dur et tu as du talent. Beaucoup de gosses ne veulent même plus s’amuser aujourd’hui.

 

— Tu dis ça parce que je suis ton fils. Tu vois, le livreur de lait aurait très bien pu faire ce que j’ai fait s’il l’avait voulu. Un jour, les enseignements comme ceux du Maharashi seront dans les livres d’école.

 

— Mais tu ne peux pas imposer des idées abstraites aux gens ! Tu ne peux pas demander à un docker d’apprendre le yoga quand il se bat pour obtenir une augmentation de salaire ! Il ne pense qu’à nourrir sa femme et ses enfants, pas au yoga !

 

— Tout cela dépend des individus. Ça les aiderait de pouvoir mettre les choses en perspective. Ça vient petit à petit. Oui, les gens y viendront. Le gland est dans la terre et donc le chêne verra le jour.

 

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Je sursaute. Pas à cause du gland, mais je viens de me souvenir que j’ai un autre rendez-vous. Ronnie me raccompagne à l’entrée. J’enfile mon imper. Je descends l’escalier. Je débouche dans la rue. Il pleut toujours. Je presse le pas. Oh ! En passant devant un marchand de journaux, j’aperçois les Small Faces sur la couverture d’un magazine. The Ultimate Music Guide, un hors série du magazine Uncut ! Wow ! Je l’embarque et descends dans le métro. Une fois assis, je commence à le feuilleter. Comme toujours, c’est d’une densité extrême, puisqu’il s’agit d’une compilation d’articles parus à l’époque dans le Melody Maker et le NME. Incroyable, les premiers articles datent de 1965 ! Ils sont un peu superficiels, mais ce n’est pas si grave, l’époque voulait ça. Nick Kent et Mick Farren sont arrivés un peu plus tard et ils ont fait évoluer le genre, heureusement. Je continue de feuilleter. Quel régal ! On a de belles doubles sur les albums. Pas le temps de tout lire, alors je feuillette. Les photos sont fantastiques. Et soudain, je tombe sur une petite photo de Ronnie et de Suzie... Ils ont exactement la même pose qu’il y a un quart d’heure, dans le salon. Je sens une bouffée de chaleur. Un truc ne va pas. C’est quoi cette connerie ? Comment ça se fait qu’une image datant de dix minutes se retrouve dans un magazine ? Pure coïncidence ? Je commence à lire l’article. Ronnie parle des Beach Boys. Qu’est-ce que c’est que cette embrouille ? Il ne manquerait plus que son père arrive... Bordel, le voilà, dans le texte ! Conversation, les Beatles, le gland. Exactement les mêmes mots ! Je déboutonne mon col de chemise. J’essaie de retrouver un peu d’air. Je jette un regard affolé aux gens assis autour de loi dans la rame de métro. Tout se met à danser. Vous ne vous êtes jamais évanoui ? Ça se passe exactement comme ça dans les secondes qui précèdent le black-out. Les gens vous regardent. Je n’arrive plus à respirer. Arfff !

 

La première impression est bizarre. On croit comprendre qu’on est mort. Tout est blanc et très lumineux. On cligne un peu des yeux. On se déplace sans marcher. C’est très difficile à expliquer. Les sens fonctionnent puisqu’on voit, on sent et on entend. On porte les mêmes vêtements. On met la main dans la poche et les clés sont toujours là. Il faut probablement du temps, beaucoup de temps pour se faire une idée claire de la situation, pour peu que ça ait un sens. Car enfin...

 

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On avance. On croise d’autres silhouettes qui semblent se diriger dans d’autres directions, sans hâte. Soudain, on me tape sur l’épaule. Je me retourne lentement. Phil ! Ça par exemple ! Il affiche un immense sourire et me tend une petite brochure. Une cadeau ? Je le prends en essayant de prononcer quelques mots de remerciement mais il fait demi-tour et s’éloigne lentement. Il m’a offert un fanzine des Small Faces, The Darlings of Wapping Wharf Launderette. Et soudain, «You Better Believe It» m’éclate dans les oreilles, je vois des bulles vertes et bleues, Stevie couine awite ! à l’entrée du solo de Mac. C’est la perfection absolue, l’hymne Mod définitif.

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Je me réveille à ce moment-là. Difficile à croire, mais je m’étais endormi au volant de la voiture. Sur l’autoroute, ça se passe généralement bien. Ce n’est pas la première fois. Encore ébloui par le rêve, je mets une cassette des Small Faces dans le lecteur. «It’s Too Late» explose dans l’habitacle. Je mets le volume à fond. Tout vibre là-dedans. L’énorme riffage de Plonk donne le frisson. En plus il fait des chœurs ah-ouuuh ! ah-ouuuh ! qui font rêver. Toute la démesure d’Humble Pie est déjà dans ce morceau. Somptueux. C’est là que se joue le destin du genre humain. La puissance des reins est là, les power-chords de rêve, ça retombe et ça explose, et c’est le moment idéal pour mourir - «You’d better love me now/ Before it’s too late !» - Steve cherche des noises, c’est un sale shooter scorcher blaster de tripe fumante. «Watcha Gonna Do About It» est la marque jaune des Small Faces. Kenney pique ça à la charley. Stevie étrangle son solo. Mac envoie le shuffle. Plonk stompe. Tout le génie du rock était déjà dans le premier album des Small Faces. Encore plus monstrueux, «You Need Loving», monté sur le flot du shuffle, bardé de clap-hands et de montées en température. Tout y est, le scorch, la puissance de feu, la glotte en sang. Pas la peine d’aller rechercher la perle de freakbeat explosif dans d’obscures compiles : elle est déjà dans cet album avec «E To D» - «sometimes I feel like a frustrated child !» - bing et bang font les power-chords. Il y a aussi cet album édité par Decca, «From The Beginning», alors que les Small Faces étaient déjà signés par Andrew Loog Oldham sur Immediate. Stevie et ses amis n’étaient pas contents, mais nous on l’était car c’était une nouvelle galette de vinyle explosive. Rien que des bombes, «My Mind’s Eye» (hit sixties par excellence), «My Way Of Giving» (qui préfigure la heavyness de Humble Pie, le morceau qui tombe à la renverse, frappé d’une balle de mousquet en pleine poitrine), «Hey Girl» (imparablement mirifique), «Come Back And Take This Hurt Off Me» (intro de rêve, petit r’n’b archétypal), «All Or Nothing» (preuve de l’existence de Dieu) et «Baby Don’t Do It» (joli coup de garage r’n’b bardé de chœurs faramineux). C’est à cause de ces deux albums que les Small Faces étaient devenus à cette époque mon groupe favori.

 

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Leur premier album sur Immediate est un peu passé à l’as, et pourtant, il contenait sa rasade de jus de génie. On y entendait Ronnie Lane chanter «All Our Yesterdays», une fantaisie ensorcelante digne des Kinks et pleine de coups de trompettes aléatoires. Et on se prenait ensuite «Talk To You» dans les dents, un cut bourré de riffs d’une classe insupportable et Stevie cocknérisait le chant à outrance - «all I want tü dü ‘s tolk tü yü ah !» Et en même temps sortait aux États-Unis «There Are But Four Small Faces» qui reprenait sensiblement les mêmes morceaux avec en plus des tubes comme «Itchycoo Park» et ce «I Feel Much Better» doté d’une intro de basse démente - «ouh-ouh ! do waddy-waddy ouh ! - de breaks excellents et de chœurs qui préfiguraient une certaine sympathie pour le diable. Plonk chevauchait le dragon magique et nous lâchait des lignes de basse fabuleuses. Puis ils nous mitonnaient une fin de morceau apocalyptique à la Spencer Davis Group, mais tout ceci n’était que roupie de sansonnet à côté de «Tin Soldier», qui révélait l’infinie puissance du groupe, l’éclat du chapeautage des voix et ce brouet psyché battu à mort qu’on ne retrouvait chez aucun autre groupe anglais.

 

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Il y eut encore deux albums des Small Faces sur Immediate, «Ogdens’ Nut Gone Flake» et «The Autumn Stone». On tombait souvent de sa chaise en écoutant Ogden, à cause de morceaux comme «Afterglow» (pureté mélodique absolue, montées de mayonnaise jusqu’à des hauteurs inconnues), «Rene» (magie cockney pure), «Son Of A Baker» (classique imparable, gras et beau, heavy tempo, même montée mélodique que «Tin Soldier»), «Lazy Sunday» (la pierre philosophale du rock anglais), «Rolling Over» (le hit su siècle, en tous le cas celui qu’on a toujours préféré) et «The Journey» (chanté par Ronnie Lane, d’une facture classique et qui continue de fasciner, bien des années plus tard). Quant à «The Autumn Stone», c’était encore pire. «Collibosher» sonnait un peu comme «Rolling Over». Cet instro fourmillait d’idées de riffs saignants servis sur des belles nappes de shuffle. On criait au génie en entendant «Red Balloon» et la version live de «Rolling Over». Une petite fantaisie comme «Just Passing» était certainement ce qui caractérisait le mieux le grand art des Smalll Faces. Mais ils nous resservaient aussitôt après des pièces fumantes comme «Call It Something Nice» et «I Can’t Make It», r’n’b à la soul-shake bourré du feeling des montées au chant sur fond de chœurs d’artichauts. Il y avait aussi des horreurs comme «Afterglow Of Your Love», envoyé sur de beaux accords acidulés et nappés, souverainement nappés d’orgue, un morceau une fois encore puissant et poignant, et Stevie redescendait comme un ange du paradis. Dans ce gros boogie bien gratté qu’est «The Universal», on entendait des chiens aboyer et des trompettes. Ils sonnaient un peu comme les Beatles. Et puis sur la fin de la face 4 on se retrouvait face à une nouvelle apocalypse : «Wham Bam Thank You Mam», heavy class blast d’une puissance indescriptible. Dans la voiture, le morceau explose littéralement. Je jette les bras en l’air. Génie pur, giclées de shuffle et lamentations marriottiques. Comme il pleut à verse et qu’on ne voit pas à dix mètres devant, cette affaire s’achève brutalement sous un camion.

 

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Oh, cette lumière blanche me semble familière. Cette façon d’avancer sans marcher aussi. Tiens, j’ai encore dans la main le petit fanzine des Small Faces. Je n’ai pas eu le temps de le lire depuis que Phil me l’a offert. Je m’assois sur un rocher moussu à l’ombre d’un immense cèdre et je commence à le feuilleter. Ah ça par exemple ! Voilà une interview de Jim Leverton à propos des Majick Mijits ! Enfin ! Stevie et Ronnie Lane s’étaient réconciliés et ils avaient décidé d’enregistrer un album ensemble. Plonk et Stevie firent chacun leurs morceaux. Steve envoyait sa petite shooterie cuivrée avec «Birthday Girl» et Plonk faisait de la good time music avec des chansons comme «That’s The Way It Goes». Ils chantaient chacun un couplet et quand on les écoutait, on sentait son cœur se serrer car ils étaient tous les deux les plus beaux héros du rock anglais. Plonk faisait du Slim Chance avec «Son Of Stanley Lane» et il envoyait ses trompettes de la joie divine et confraternelle. Et puis il y avait un hit planétaire niché sur ce disque : «Ruby Jack», signé Plonk Lane, un hit mélodiquement aussi puissant que les grands hits de Dylan et ce n’est rien de le dire.

 

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Franchement, au bout d’un moment, on ne sait plus quoi penser de tout ceci. Lire un fanzine des Small Faces sous un grand cèdre baigné de lumière blanche, ce n’est pas une situation banale. Est-on vraiment mort ? Il semble que ce soit une vue de l’esprit, quelque chose d’immanent qui se rapprocherait d’un désir profond ou encore d’une fibre spirituelle enfouie sous d’épaisses couches de rationalisme invétéré. J’observe les environs et ne vois qu’harmonie lumineuse, comme lorsqu’on traverse les immenses jardins d’Allah, entre Ouarzazate et la frontière algérienne. Ce sont exactement les mêmes jeux innocents de la lumière divine sous vos pas, alors que vous avancez dans l’air tiède et parfumé. Ce fanzine est pourtant bien réel. Du bout des doigts, je touche l’écorce du cèdre qui semble mille fois centenaire. La chaleur de sa matière me conforte dans l’idée que tout ici est comme en un ange, aussi subtil qu’harmonieusement baudelairien. Alors je décide d’en prendre mon parti. Pourquoi est-ce que tous les gens que je vois sont habillés en blanc ? Parce qu’ils sont à la mode. Tiens justement, voilà Ronnie Lane. Il se promène. Ses cheveux sont coiffés à l’arrière comme ceux d’un teddy boy. Il s’arrête à ma hauteur et me reconnaît.

 

— Oooh here come the nice ! Lookin’ so good, he makes me feel like no one else could !

 

Je vois que l’œil droit de Ronnie s’exile toujours plus loin vers l’extérieur. Il fixe le fanzine que je tiens posé sur mes genoux.

 

— Oooh tu lis ça, blimmey !

 

— Il y a même un article sur toi qui s’appelle «The Texas years».

 

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— Oui, j’y ai rencontré Susan Gallegos et je l’ai épousée. Et on s’est installés à Trinitad au Colorado, à la limite du désert, juste au pied des montagnes. Un matin très tôt, Dieu est venu me chercher. Je l’ai entendu klaxonner dans le yard. J’ai dit adieu à Susan qui dormait. Dieu m’attendait dans sa Lincoln Continental blanche. On a roulé comme des fous à travers le désert puis il s’est lancé à l’assaut des cimes. La Lincoln flottait à quelques centimètres du sol. Je n’avais jamais autant rigolé. Et toi, comment es-tu arrivé ici ? C’est lui qui est venu te chercher ?

 

— Oh non, c’est moins glorieux... Je crois que je me suis encastré sous un camion et je ne sais pas ce qui s’est passé après. Tu sais, ça va très vite. On n’a pas le temps de réfléchir. Et tu as retrouvé des amis, ici ?

 

— Oui, Stevie se promène dans les environs, tu le verras certainement passer en trottinant comme un cabri de Sardaigne. Il a conservé certains automatismes d’antan.

 

— Je suis très content de te revoir, Plonk, car je voulais te poser une question : pourquoi n’étais-tu pas sur les deux albums de reformation des Small Faces, en 1977 et 1978.

 

— La réponse est dans la question.

 

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— Maintenant que tu me le dis, je comprends. J’ai toujours bien aimé «Playmates» à cause des morceaux que Mac avait composé, notamment «Drive-In Romance», tu vois de quel morceau je parle ?

 

— Oh oui, tabadatabada...Chtala badabada badabada...

 

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— Oui, c’est ce petit coquin de groove hirsute. Mac se prenait pour Stevie et il mettait la gomme. C’était très courageux de sa part. Mais il a une bonne voix. Il est moins élégant que toi mais il a un vrai talent. On retrouve chez lui cette ardeur typique des Small Faces, cette façon de tordre le bras à certaines syllabes. C’est un enfant du jerk. Il ne vit que pour ça. D’ailleurs il est toujours actif à Austin avec son Bump Band...

 

— Sacré Mac. Attention c’est un client vorace. Il a quand même réussi à mettre le grappin sur la régulière de Keith Moon. La pauvre biche était malheureuse comme les pierres qui roulent sans fin au fond des océans...

 

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— Et il a écrit l’un des plus beaux classiques de la littérature anglaise ! Évidemment les punks à jeun qui écoutaient «Drive-In Romance» en 77 devaient se dire : ‘Aaah quelle ignoble merdasse bucolique !’ Mais ils oubliaient une chose fondamentale : Mac ne sortait pas de la cuisse de Jupiter. Et d’autre part, il osait chanter sur le même disque que Steve Marriott sans craindre la colère des fourches caudines. Ce n’était pas de la rigolade. Il avait intérêt à être sacrément bon. Parce qu’en plus, pour Stevie, c’était une façon d’avaler la couleuvre une deuxième fois, après toi...

 

— Tu veux parler de mon génie composital ?

 

— Oui, bien sûr, ton génie composital faisait de l’ombre à celui de Stevie et tous ceux qui le connaissaient savaient que son égo souffrait le martyre. Mais pour revenir à Mac et à son «Drive-In Romance», on tombait comme des mouches sous le charme de son groove, d’autant plus que Kenney le jouait tout droit sur le tard et développait l’une de ces dynamiques dont il avait le secret. Quelle chance vous aviez d’avoir un batteur comme lui.

 

— Oui, j’avais écouté l’album à l’époque et l’avais trouvé plaisant. J’aime tout ce qui est plaisant. D’ailleurs tu verras, tout ici est plaisant, séraphique et étrange...

 

— Je te vois venir, Plonk. Tu tentes une diversion avec tes misérables recyclages baudelairiens, mais je vais quand même te confronter au souvenir de cette chanson énorme qui est la clé des Small Faces : «Smilin’ In Tune».

 

— Ben ouais koâ cunt et alors, ya fuckin’ brrrat ?

 

— Stevie y perçait à jour le mystère du swingin London. Je comprends que pour toi ça puisse être si douloureux...

 

— Bon d’accord, c’est triste, mais que veux-tu c’est comme ça. En vérité, il ne servait à rien d’être aristocrate en 1964 quand tu te retrouvais dans les pattes des Arden et de tous les autres prédateurs. En gros, tu te faisais enculer dans la douche et t’avais intérêt à t’écraser.

 

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— Vous étiez pourtant brillants, mais c’est vrai que Stevie en a gros sur la patate quand il chante : «I knew a change was coming/ But I didn’t know how soon/ How lucky can us poor boys be/ We’re all laughin’ in tune.» (Je savais que ça allait changer, mais je ne savais pas quand. On n’était que des pauvres petits mecs qui souriaient en même temps.) Mais l’album suivant, «78 In The Shade», était un peu moins compliqué, heureusement. Il n’y a que les fans qui l’ont écouté. Pas mal de morceaux étaient combinés à l’avance. Stevie et Mac recherchaient le soul-shaking habituel en mêlant les nappes d’orgue et les chœurs de gospel et ils finissaient par le trouver. On retrouvait les belles compos de Mac comme «Real Sour», mais c’est Stevie qui emportait la palme avec son «Soldier Boy» en hurlant sa foi inébranlable, et il débouchait une fois de plus dans les brumes des gloires éternelles. Curieusement, l’album tenait bien la route, mais il est passé à l’as. Franchement, les gens ne savent pas ce qu’ils veulent.

 

— Oh, ils le sauront bien assez tôt. Bon, ce n’est pas que je m’ennuie, mais je dois aller prendre mon goûter. Dieu me prépare chaque jour à cette heure-ci une bonne tasse d’Earl Grey et des tartines grillées avec du beurre et de la marmelade. Si tu croises Stevie, passe-lui bien le bonjour ! Et surtout, ne t’effraie pas de son apparence. Tu sais qu’il a brûlé, mais à l’intérieur, il est resté le même.

 

Plonk s’éloigne tranquillement en sifflotant «How Come». Je me lève et m’engage dans un sentier bordé de buissons fleuris. Au bout d’une éternité, j’arrive au bord du vide. Comme la notion de vide ne signifie plus grand-chose dans le néant, je fais un pas en avant.

 

L’infirmière arrive en hurlant. Tous les tuyaux sont arrachés, les appareils envoient des sifflements continus. Apparemment je suis tombé d’un lit.

 

— Monsieur ! Monsieur ! On va devoir vous attacher. Vous n’avez pas le droit de bouger ! Vous avez douze vertèbres en compote et plusieurs fractures du crâne. Oh la la quel désastre !

 

Je ne comprendrai jamais rien à rien.

 

Signé : Cazengler, Small Fade

 

Small Faces & Faces. The Ultimate Music Guide. Hors série Uncut. Septembre 2013

 

Small Faces. The Darlings of Wapping Wharf Launderette. N°16. Juillet 2000

 

Small Faces. Small Faces. Decca 1966

 

Small Faces. There Are But Four Small Faces. Immediate 1967

 

Small Faces. Small Faces. Immediate 1967

 

Small Faces. From The Beginning. Decca 1968

 

Small Faces. Ogdens’ Nut Gone Flake. Immediate 1968

 

Small Faces. The Autumn Stone. Immediate 1969

 

Small Faces. Playmates. Atlantic Records 1977

 

Small Faces. 78 In The Shade. Atlantic Records 1978

 

Small Faces. The BBC Sessions. Strange Fruit 2001

 

Magic Mijits. Magic Mijits. Alchemy Entertainment 2003

 

Sur l’illustration, de gauche à droite : Steve Marriott, Ronnie Lane, Kenney Jones et Ian McLagan

 

LA MAISON DE TERRE

 

WOODY GUTHRIE

 

 

Traduction de NICOLAS RICHARD

 

 

Postface de JOHNNY DEPP & de DOUGLAS BRINKLEY

 

 

( Flammarion / Janvier 2013 )

 

 

Cherchai le book sur les titres de Presley, lorsque mes yeux tombèrent sur le rayon des nouveautés, surprise, surprise, un livre sur Woody Guthrie, erreur mon capitaine, un livre de Woody Guthrie, un roman en plus, voilà qui mérite attention. Pour faire plus ample connaissance avec le chantre de l'american folk le lecteur s'en ira fouiner notre recension de son autobiographie ( KR'TNT ! 105 du 05 / 07 / 12 ), mais ne perdons pas de temps, plongeons-nous directement dans cette Maison de Terre.

 

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Vous ne connaissez pas, c'est normal, le texte ne fut jamais publié jusqu'à ce qu'il fut redécouvert dans les archives de Guthrie, et publié aux USA, ce pays qui était son pays, en 2012 pour fêter le centenaire de sa naissance. Guthrie a beaucoup écrit, courant après plusieurs projets à la fois, le livre fut terminé en 1947, et peut-être n'était-il pas à cette époque autant d'actualité que lorsqu'il fut commencé à la fin des années trente. La guerre terminée la société américaine connut des heures de gloire et de prospérité. Le souvenir de la Grande Dépression, du jeudi noir de Wall Street s'estompait...

 

 

La Maison de Terre qui s'inscrit dans la lignée des Raisins de la Colère de Steinbeck, ne met pas en scène précisément la transhumance des okies vers le mirage de l'Eldorado Californien, nous sommes avant le départ pour cette folle et pitoyable aventure, les fermiers qui s'accrochent en des conditions climatiques extrêmes, tempête de sable, neige, froids, vents violents, désespérément à leurs leurs baraques... de planches. Nous sommes au Nord du Texas et le couple des Hamelin essaie de survivre à la misère qui les étreint. Dans leur ferme, en bois. Qui ne leur appartient pas puisqu'ils ne sont que métayers.

 

 

Deux cent cinquante pages, trois personnages. Encore le troisième n'est-il là que par obligation médicale. Un couple, lui et elle. Sont jeunes et s'aiment. Sortez les violons. Tellement qu'ils vont délaisser leurs occupations pour un gros câlin dans la grange. Un bon tiers du bouquin. A l'époque ce pouvait être un peu juste par rapport au puritanisme ambiant. Si vous êtes amateur de hard trash porno, vous serez déçus. Tout se passe dans la tendresse. Même que le mari est un peu bavard. Profite de l'occasion pour discuter le coup avec madame. Une question le turlupine, la brochure envoyée par le gouvernement pour les maisons en pisé. D'où le titre du bouquin. Une idée fixe de Guthrie durant des années : la maison de paille et de terre mêlées qui ne laisse passer ni le vent ni la pluie par les interstices qu'elle n'a pas. Avec deux autres avantage de taille ( sans pierre ), ne coûte pas cher et réalisable par le dernier des bricolos. Bref pendant que nos deux zoziaux lutinent, ils échangent leurs réflexions sur cette technique et tous les bienfaits qu'elle peut apporter. Peut-être n'engagez-vous point de tels dialogues lorsque vous butinez votre âme soeur, mais c'est parce que la misère ne vous colle pas encore au corps. Attendez un peu, cela risque de venir plus vite que vous ne croyez...

 

 

Après c'est le no man's land. Le passage du gué avant d'arriver au dernier gros-tiers. Ne se passe pas grand-chose, si ce n'est qu'ils sont encore plus pauvres qu'au début. Un peu de philosophie politique, Tike tique sur l'injuste répartition des richesses en ce bas monde américain. C'est son côté Tom Joad – si magnifiquement interprété par Bruce Springsteen – en appelle aux syndicats de lutte et à l'union des pauvres contre les riches. De quoi finir en martyre du Maccartysme, mais le roman n'emprunte guère cette bretelle d'autoroute. Revient à son idée fixe, la maison de pisé...

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Démonstration par l'absurde. Tellement de courant d'air dans le baraquement en planches que l'on serait mille fois mieux dans une bicoque en... pisé ! Bravo, vous l'avez dit avant moi. C'est qu'Ella May se promène sans culotte. Nécessité oblige. Quand vous avez batifolé dans la grange grunge, neuf mois après les complications surviennent. Accouchement en direct. Comme un malheur n'arrive jamais seul, Ella May porte un deuxième fardeau, ne l'a dit à personne, mais le crabe s'est installé dans son sein et commence à ronger. Ella, elle est trop ignorante pour mettre un nom sur le tourteau. Le bébé naît et le roman s'arrête là. Pour la suite, vous imaginez le pire. Le destin aux ailes de fer ne lâchera plus nos deux héros. Blood, sweat and tears à tous les étages. La maison de terre n'aura été qu'un rêve inaccessible.

 

 

Vous pouvez ressortir, n'oubliez pas de refermer la porte. Un beau livre. Quelques longueurs. La post-face retrace la vie de Guthrie et raconte l'occultation du manuscrit dans les monceaux de papiers des archives du troubadour des temps modernes. Un fragment d'Amérique. Celle que nous aimons.

 

Damie Chad.

 

 

DOCUMENTS COCHRAN

 

BOBBY COCHRAN + EDDIE COCHRAN

 

 

Voici la traduction d'un long article de Nicholas Hutchinson publié le 14 janvier 2014. Vous le trouverez sur Jambanbs.com le blog de la revue Relix. Rappelons que cette dernière qui commença en 1974 par être un fanzine gravitant dans l'ombre du Grateful Dead, joue maintenant – après avoir été rachetée - dans la cour des grands, près de la prestigieuse ( et quasi-académique ) Rolling Stone. Cet article de neuf pages se présente comme une longue interview de Bobby Cochran, le neveu d'Eddie Cochran.

 

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Nous avons déjà chroniqué Three Steps To Heaven, ( voir KR'TNT ! N° 41 du 23 / 02 /11 ) le livre que Bobby Cochran a consacré, en collaboration avec Susan Vanecke, à cet immortel pionnier du rock que fut le créateur de C'mon Everybody. Bobby Cochran revient longuement sur sa propre carrière mais Nicholas Hutchinson l'interroge à plusieurs reprises sur son oncle Eddie. Bobby répond sans détours, et parle aussi de son propre père (frère du père d'Eddie ) Bob Cochran. Une haute figure cochranesque moins connue.

 

 

Nous donnons dans cette livraison, le début de l'article que nous avons eu le temps de traduire. Ce « nous » anonyme désigne deux valeureux traducteurs, recrutés au pied levé, Mister Thomer, un habitué du site, et un tout nouveau : Mister Ben. Qu'ils soient remerciés de leurs efforts. Nous publierons la suite de l'article dans nos deux prochaines livraisons.

 

 

BOBBY COCHRAN : MIDNIGHT IS FOREVER

 

Bobby Cochran : Minuit dure toujours

 

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Bobby Cochran, le grand maître vénéré de l'instrument à six cordes, a joué aux côtés de certains des plus grands artistes du rock classique. Cochran est célèbre pour son travail de leader musical, qui a inspiré beaucoup d'autres artistes comme les Flying Burrito Brothers, Steppenwolf, Leon Russel et Bob Weir du Grateful Dead. Cochran est le neveu d'Eddie Cochran, très célèbre pour son Summertime Blues. Son jeu musical est enraciné profondément dans la culture musicale du pays, c'est-à-dire dans la surf music et le bon vieux et traditionnel rock and roll. Son approche largement ouverte sur le monde ne manque jamais d'enrichir le son et d'installer la musique à son plus haut niveau d'exigence. Après de paisibles tournées dans les années 70, 80, et 90, il se lassa de la criminalité croissante de la Californie du Sud et déménagea avec sa famille à Nashville. L'histoire de sa vie est un conte toujours en mouvement, constamment en recherche d'opportunité, tout en tentant de surmonter les plus difficiles obstacles qu'offre malheureusement la vie. A la fois bricoleur invétéré et praticien occasionnel des arts martiaux, Cochran a développé une spiritualité unique et une vision du monde particulière tout en visitant la planète et en faisant de la musique. En plus de jouer dans son propre environnement, il a effectué plusieurs pérégrinations avec son orchestre, à Nashville, en Californie du Sud, en Suède et au Royaume-Uni, Bobby a produit de très nombreux artistes. Il travaille comme consultant en matériel musical d'enregistrement, en tant que professeur et clinicien. Cochran a écrit un livre sur ses différentes fonctions – il devrait sortir l'année prochaine – et il espère qu'il mettra en lumière sa vision de l'amour, de la vie, de la spiritualité et le dessein de sa vie.

 

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Alors, commençons par le début. Quand avez-vous commencé à jouer de la guitare pour la première fois ?

 

 

J'ai touché la première fois une guitare quand j'avais douze ans et demi. C'était quelques années après la mort de mon oncle Eddie ( l'icône rockabilly Eddie Cochran ). Mon père ( Bob Cochran ) avait une petite guitare acoustique posée sur la banquette arrière de sa voiture et nous étions stationnés devant un film, dans un drive-in. J'ai entendu une mélodie de western qui sortait du haut des haut-parleurs ( staccato de la ligne mélodique de Bonanza ) et j'ai commencé à vouloir la jouer. Je me suis dit : bon, je crois que je peux le faire ! Cette même nuit j'ai demandé à mon père de m'apprendre à la jouer. Il m'a appris quelques accords de base et j'ai tout de suite été conquis. Peu de temps après il est parti pour une grande beuverie de quelques jours et je ne pensais qu'à une chose : son retour. Je mourais d'impatience qu'il revienne à la maison pour m'apprendre à accorder la guitare.

 

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Donc, votre père était un grand buveur ?

 

 

Oui, il avait un problème. Mon oncle Eddie aussi. Ce problème était omniprésent dans la famille. C'était douloureux de grandir dans ces conditions. Ils avaient tous deux beaucoup de souffrance et de chagrin au fond d'eux-mêmes. C'étaient des personnes très intelligentes et talentueuses qui portaient simplement en eux une profonde souffrance. En conséquence, c'est pour cela que je me suis engagé à me tenir à l'écart de l'alcool et des drogues en général. Je croyais que je devais respecter ma vie, respecter ma santé et respecter mon talent. J'étais également très croyant et pratiquant. J'ai toujours préféré profiter de la vie et de ses moments présents le plus possible. Mon échappatoire fut toujours la musique. C'est pour cela que je me suis plongé radicalement dans la pratique de la guitare.

 

 

Et tout naturellement, cela vous a collé parfaitement à la peau de jouer de la guitare une fois que vous avez appris les premiers accords...

 

 

Oui j'ai passé le maximum de temps que je pouvais à la guitare. J'ai commencé grâce au don qui m'avait été donné. Plutôt que d'échanger des petits truc avec mes amis, je me suis appris moi-même. Je m'étais juré de m'entrainer tous les jours. Un jour que je me suis réveillé de bonne heure le matin je me suis rendu compte que je n'avais pas joué de la journée, j'ai donc attrapé ma guitare et j'ai donc commencé à jouer au milieu de la nuit. Quand je me suis réveillé le lendemain j'avais encore ma guitare entre les mains. J'ai pas mal raté l'école en partie à cause de mon dévouement pour la musique. D'après mes vieux bulletins scolaires je réalise que j'ai davantage raté l'école que je n'y suis allé, et ce à partir du quatrième grade.

 

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Où viviez vous à l'époque ?

 

 

On vivait en Californie. Eddie et moi sommes nés à Albert Lea, dans le Minesota, mais quand j'avais environ deux ans on a tous déménagé à Los Angeles ( à Bell Garden ). A l'origine, les Cochran viennent d'Oklaoma City. Bell Garden est à côté de Cudany et de Hutington Park dans le Comté de Los Angeles. Beaucoup de gens originaires d'Oklahoma s'étaient installés dans cette partie-là de L. A. . Finalement on s'est installés à Buena Park et puis à Cypress. Je faisais partie de quelques bons groupes du coin à l'époque comme Benny and the Midniters qui est devenu Lil Willie and the Midniter puis Kelly and the Midniters. C'étaient des groupes vraiment populaires à l'Est de L. A. et ils étaient très professionnels. J'étais le seul blanc du groupe ( rires ). On détruisait les barrières musicales et raciales. On avait un sacré bon groupe. J'ai aussi joué avec Bobby and the Midnites, plus tard dans ma carrière, il est évident que la thématique minuit a rythmé ma vie.

 

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Qu'est-ce qu'un midnighter ?

 

 

Quelqu'un qui se couche tard. Un mec qui traîne dehors minuit passé, un fêtard. Vous savez, les musiciens sont debout jusque tard, en train de jouer un concert, et ensuite une session d'après-concert et que sais-je encore. Un midnighter ce serait quelqu'un en pleine forme à minuit. Le premier groupe qui a utilisé ce nom dont je me souvienne a été Hank Ballard and The Midnighters. Je pense qu'ils ont lancé l'utilisation de ce nom.

 

 

Quelles ont été vos principales influences ?

 

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J'aimais bien la musique de mon oncle Eddie, et j'ai eu accès à des tas d'enregistrements que pas grand monde n'a écouté, mais mes premiers albums étaient de Chet Atkins, le maître du son de Nashville, et de Duane Eddy, qui était le roi de la guitare twang. Il était connu pour ses vieux standards comme Rebel Trousers, 40 Miles of Bad Road, et Cannon Ball. Avec Atkins on était tous du genre «  mais comment fait-il ça ? ». Le style de Duane, j'arrivais à le copier. Je l'ai rencontré une fois et je lui ai dit à quel point il avait influencé mon jeu. Sa tonalité et son sens mélodique étaient incroyables. Il a eu un énorme impact sur moi en tant que jeune guitariste. J'aimais bien aussi Buck Owens et son guitariste Don Rich. Et quelques amis d'Eddie m'ont appris des trucs quand il est mort. Mon père et moi on allait parfois rendre visite à la copine ( girlfriend ) d'Eddie ( Sharon Sheeley ) à Hollywood. Jackie DeShannon était là et elle m'a appris cette descente d'accord de G en C qu'elle avait l'habitude de faire, et cet accord fait toujours partie de mon jeu. Son charisme et son enthousiasme ont déteint sur moi. Elle m'a fait découvrir B. B. King, en disant : «  Ton oncle l'aimait vraiment et ce serait bien que tu l'écoutes. ». Cela a fondé mon jeu. Quand finalement j'ai rencontré B. B. King et Mike Bloomfield un soir, j'ai pu leur parler de leurs techniques de vibrato. Ca été un choc énorme. J'ai aussi pu rencontrer James Burton, qui était un autre des amis de mon oncle. J'ai toujours aimé son style et on est finalement devenu amis.

 

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De quoi vous souvenez-vous d'autre de votre oncle ?

 

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Eh bien, j'avais dix ans quand il est mort, mais j'ai pu en profiter un peu. Un de mes plus forts souvenirs c'est lorsque lui, mon père et moi étions allongés dans le jardin de ma tante. J'étais à côté d'Eddie et on regardait tous le ciel. Je me souviens qu'une poignée de pièces de monnaie a glissé de sa poche. J'ai dit : «  Hey oncle Eddie, tu as fait tomber ça. »Il a répondu : «  Ok ! Merci. Tu peux les garder. C'est pour toi. » Il était vraiment généreux. Parfois il était à court d'argent au milieu d'une tournée parce qu'il payait des dîners à tout le monde sans faire attention à sa situation financière. C'était le bébé de la famille. Il est mort à 21 ans. J'ai écrit un livre sur sa vie ( Three Steps to Heaven. The Eddie Cochran Story ), publié en 2003. Je me souviens également d'un matin où je le regardais alors qu'il marchait dans la maison de mes grands-parents. Je me souviens que je m'étais dit : «  Waouw ! Les cheveux de ce type sont vraiment en pétards ! » ( rires ) Je crois que j'avais quatre ans à l'époque. Il avait l'habitude de gominer ses cheveux en arrière et il y avait tout le temps une tache graisseuse à l'endroit où il posait sa tête quand il s'asseyait.

 

 

Vous êtes musicien, vous marchez dans ses pas. Qu'est-ce que cela vous fait d'être de la famille d'une légende de la musique populaire ?

 

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Il fait vraiment partie de la personne que je suis autant au niveau musical que spirituel. Après sa disparition, je faisais des rêves dans lesquels il passait du temps avec moi et il m'apprenait à jouer de la guitare. Je pense qu'on a communiqué à travers ces rêves. On a eu une communication télépathique. Je me voyais à travers ses yeux, si je peux dire. Je ne me souvenais pas des détails de ce qu'il m'avait appris pendant ces rêves, mais c'était comme si la guitare prenait sens entre mes mains et je la comprenais sans effort. Ces rêves m'ont permis de le comprendre et d'apprendre les connections magiques dont nous sommes capables. Ils ont eu une influence énorme sur moi et ils semblaient bien plus réels que la vie elle-même. Je me suis fait le serment de devenir un bon guitariste grâce à lui et au fait que je l'admirais tant. C'était un type extraordinaire. Il avait tout. Je priais souvent et j'étais vraiment assidu à l'époque. J'ai eu de la chance de l'avoir comme mentor, pour ainsi dire. Il a contribué aux racines spirituelles de mon développement artistique.

 

 

( A suivre. )

 

 

REVUE DES REVUES

 

 

JUKEBOX N° 326

 

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Février 2014.

 

 

Buddy Holly en couverture ! Remarquez, il y a aussi Michèle Torr ! C'est un tort, mais la vie ne saurait être parfaite, j'en étais là de mes divagations tristo-philosophiques lorsque j'ai reçu une décharge électrique. Un article sur Buddy, yes sir ! Mais écrit par Tony Marlow ! Ce qui change tout ! Tony poursuit sa galerie des pionniers. Je croyais tout savoir sur Buddy mais il m'a appris deux petits trucs, sur les débuts. Bref, c'est à lire de toute urgence. Il y a encore plein d'autres trésors comme la chronique de Rockers Kulture, la compilation french rockabilly effectuée ( la compil, pas la critique ) par un certain Tony Marlow. Ou alors le bouquin sur la Fender Telecaster présentée par un maître du manche qui se prénomme Tony Marlow. Et puis surtout, n'oubliez pas l'article sur Buddy Holly.

 

 

Pour une fois que c'est écrit par quelqu'un qui s'y connaît !

 

 

Damie Chad.