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05/12/2013

KR'TNT ! ¤ 166. ERIC BURDON ( + ANIMALS ) / GHOST HIGHWAY / CHRONIQUES VULVEUSES ( fin )

 

KR'TNT ! ¤ 166

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

05 / 12 / 2013

 

ERIC BURDON ( + ANIMALS ) / CHOST HIGHWAY

CHRONIQUES VULVEUSES ( The end )

 

 

OLYMPIA / PARIS XI / 26 – 11 – 13

 

 

ERIC BURDON

 

 

BURDON LE LA

 

(PART ONE)

 

 

 

«Bo Diddley est venu dans ce pays, l’année dernière/ On jouait au Club A Gogo, à Newcastle, la ville où j’ai grandi/ Un soir, la porte s’est ouverte et à notre grande surprise/ Est apparu le bonhomme en personne, Bo Diddley/ Accompagné de Jerome Green, son joueur de maracas/ Et de la Duchesse, sa super frangine/ On jouait ce morceau/ Puis sont arrivés les Rolling Stones et les Merseybeats/ Tout le monde prenait son pied/ Et j’ai entendu Bo Diddley s’adresser à Jerome Green/ Hey Jerome ! Que penses-tu de ces gars/ Qui jouent... nos morceaux ?/ Jerome a répondu : Où est le bar ? Montre-moi le chemin du bar.../ Alors Bo s’est tourné vers la Duchesse/ Il lui a dit : Hey Duch... Que penses-tu de ces petits jeunes/ Qui jouent nos morceaux ?/ Elle a répondu : Je ne sais pas. Je suis venue ici/ Pour voir la relève de la garde et tout le bazar/ Alors, Bo Diddley s’est tourné vers moi et a dit/ Avec les yeux mi-clos et un sourire au coin des lèvres/ Hey mec !/ Il a enlevé ses lunettes et a ajouté : Mec, c’est le pire tas de conneries/ Que j’ai entendu dans toute ma vie/ Hey Bo Diddley !» Eric Burdon chantait cet hommage génial en 1965 («The Story Of Bo Diddley», sur l’album «Animal Tracks»).

 

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Vienne la nuit, sonne l’heure, les jours s’en vont et il demeure. Quarante-huit ans se sont écoulés sous le Pont Mirabeau, et pour Eric, rien n’a changé. Il vénère toujours autant Bo Diddley : «Il a passé sa vie à tenir sa guitare très bas/ À s’éclater en jouant le Diddley beat partout où il allait/ Depuis les rues du Mississipi jusqu’à celles de Tokyo/ C’est le plus africain des Américains que j’ai pu connaître/ Alors, je grimpe à bord du Bo Diddley Special/ À fond la caisse sur le Diddley beat/ Adieu Bo Diddley, adieu/ Tu vas nous manquer mais ton esprit demeure parmi nous/ Adieu Bo Diddley, adieu/.../ Bo Diddley est entré en trombe dans ma vie/ Comme un gros train fonçant dans la nuit/ Je n’oublierai jamais le jour où il a débarqué dans la ville où j’ai grandi/ Il a fait son numéro et cassé la baraque/.../Maintenant, je voudrais vous dire/ Ce que Bo Diddley avait de spécial/ Il avait la main aussi large qu’une assiette de fish and chips/ Il s’habillait comme le plus romantique des hommes/ Il portait une veste rouge à carreaux et un pantalon à rayures/ À la ville comme à la scène/ Il se baladait en scooter dans les rues de Clearwater, en Floride/ Avec sa guitare accrochée dans le dos/ Sa guitare était rouge et rectangulaire, vous savez/ Et ses derniers mots furent les mêmes que ses premiers mots/ Je grimpe à bord du Bo Diddley Special/ À fond la caisse sur le Diddley beat!»

 

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Quarante-huit ans plus tard, Eric Burdon rend un nouvel hommage à Bo (eh oui, 48 ans, presque un demi-siècle, c’est maintenant une histoire de vieux pépères - n’oublions pas que pépère Eric fête ses 72 ans). On l’entend chanter cette merveille absolue qu’est «Bo Diddley Special» sur son dernier album, «‘Til Your River Runs Dry», comme s’il bouclait la boucle, au terme d’un demi-siècle de «carrière». Comme si tous les disques sortis entre «Animal Tracks» et le dernier n’étaient plus qu’un alibi.

 

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Les groupes anglais qui enregistraient des albums dans les années 1964 et 1965 tombaient tous dans le même panneau : l’overdose de reprises. Les Stones, les Kinks, les Troggs, les Stones, les Them et les Animals remplirent les faces de leurs premiers albums de reprises des gens qu’ils admiraient et qui avaient pour principale particularité d’être des Américains de race noire. Eric Burdon ne vénérait pas que Bo Diddley. Il vouait aussi des cultes à Ray Charles, John Lee Hooker, Fats Domino, Sam Cooke et Chuck Berry. On retrouve par conséquent des morceaux de tous ces gens-là sur le premier album des Animals paru en 1964. Eric Burdon sonnait déjà comme une superstar, il savait fendre son timbre et passer pour le white nigger number one, comme par exemple dans «The Right Time». Des blanches lascives balancent des chœurs derrière lui. La version de «Around And Around» que jouent les Animals est nettement moins sauvage que celle des Stones, mais c’est l’occasion d’entendre les monstrueuses basslines de Chas Chandler, qui pour beaucoup, fut le vrai héros des Animals. On l’entend aussi parfaitement dans «The Girl Can’t Help It». Le producteur Mickie Most eut le génie de mettre la basse de Chas en avant et c’est un vrai festival de pétarade. Chas n’arrête pas de voyager dans ses gammes et quand on joue de la basse, il fait partie des gens dont on va repomper les plans. Sur la reprise de «I’m In Love Again»(Fats Domino) Chas donne de l’air au morceau et les autres se fondent dans la masse. Hilton Valentine joue clair et très fouillé. Eric mouille bien ses syllabes. Mais ils se plantent aussi avec leur version trop sage et trop appliquée de «Memphis Tennessee». Si on la compare à celle de Jerry Lee, elle fait pâle figure. Lorsqu’ils tapent dans John Lee Hooker, avec cette reprise de «I’m Mad Again» («when I see my baby messin’ around - I’m mad like Sonny Liston - You know I’m mad like Cassius Clay»), on assiste à un échange guitare/orgue du meilleur effet, et digne de ce que fera plus tard Jimi Hendrix dans les jams célestes d’«Electric Ladyland». Pour l’époque, c’était bien vu.

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Bien sûr, dans ces années-là, on appréciait le côté wild-shouter d’Eric Burdon. Mais il passait largement après Phil May et Van Morrison, qui incarnaient la pure sauvagerie, celle qui nous mettait en transe.

 

En 1965 paraissait «Animal Tracks», le second album studio des Animals. C’est là-dessus que se trouve l’extraordinaire hommage pré-cité à Bo Diddley, «The Story Of Bo Diddley». On y trouve aussi deux hits faramineux des Animals, «We Gotta Get Out Of This Town» - hit signé Barry Mann/Cynthia Weil, embarqué par la basse de Chas et expédié au firmament par la voix grandiose d’Eric Burdon - et «Club A Gogo» - un hit qui leur va comme un gant, stompé à la bonne franquette et pianoté à la va-vite.

 

 

Mais les petits gars de Newcastle vont avoir toutes les peines du monde à tenir bon, sous la pression du succès. Alan Price et John Steel se retirent, remplacés par Dave Rowberry aux claviers et Barry Jenkins (ex-Nashville Teens) à la batterie. Changement de ton, et ça s’entend sur l’album suivant, «Animalism», qui sort en 1966. Le groupe est plus punchy, comme on peut le constater avec «All Night Long» qui ouvre le bal. Dave Rowberry y balance un solo d’orgue enragé et emporté par le délire, Eric chante à gorge déployée. Ils se vautrent une nouvelle fois en tapant dans «Rock Me Baby». Eric prend la version de haut, il jette tout son poids dans la balance, mais ça reste trop appliqué - surtout quand on connaît la version que va en faire le Jeff Beck Group avec Rod the Mod au chant. Hilton Valentine balance un petit solo vicelard, Eric hurle en fin de morceau, mais c’est déjà trop tard. Le gros défaut des Animals, ce fut d’avoir trop souvent les yeux plus gros que le ventre, comme par exemple avec cette reprise de Sam Cooke («Shake») qui fait partie des morceaux intouchables. Ils commettent une nouvelle erreur avec une reprise de «Lucille». On ne touche pas à Little Richard. Puis les malheureux s’attaquent à Wolf («Smoke Stack Lightning») mais c’est la pleine lune et les poils ne poussent pas sur les mains d’Eric. Heureusement, l’un des hits les plus déterminants des Animals se trouve sur cet album : la reprise du «Hey Gyp» de Donovan. Eric la burdonnise. C’est là que s’illustre le génie d’Eric Burdon - please gimme some of your love girl - l’embobineur number one de la perfide Albion. Dave Rowberry entre doucement dans le morceau avec des notes dansantes et Eric fait monter la température de façon prodigieuse - can’t you hear my heartbeat ! - et ils embarquent tout ça dans l’apothéose de l’apocalypse. J’ai le souvenir de ce morceau passant à la radio. Un gros poste de radio trônait dans la cuisine, posé sur le frigo. Ce morceau me rendait dingue.

 

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En 1966 sortait «Animalisms», considéré comme leur troisième album, en Europe. On retrouve Barry Jenkins et Chas en grande forme dans «Maudie». Hilton Valentine est passé à la fuzz et il en tartine «Outcast». Fulgurant ! L’overdrive de fuzz et le scorch d’Eric font des ravages. On danse tous dans le temple des silver sixties, ivres d’écho et de stomp. Sur la version de «Sweet Little Sixteen», Hilton balance à nouveau sa purée de fuzz. L’Animal frise la pure démence, pendant que Chas débite un drive d’enfer. D’album en album, les Animals s’amélioraient. Ils devenaient réellement impressionnants. Dans «Squeeze Her Teeze Her», il faut entendre le travail de Chas à la basse, c’est le travail d’un géant, il défonce tout et une fois de plus Mickie Most le met en avant. Chas multiplie les variantes et donne de l’oxygène au morceau. Ils tapent ensuite dans Screamin’ Jay Hawkins avec une reprise de «I Put A Spell On You» et enchaînent avec des gros hits sixties qu’on dansera dans le temple jusqu’à la mort, «That’s All I Am To You» et «She’ll Return It» qu’Eric embarque au firmament des hurleurs.

 

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Pour couronner la première époque, les Animals enregistreront deux autres hits fondamentaux : «Inside Looking Out» - l’archétype de la montée au paradis, oh baby oh baby my rebirth, et la fin en apocalypse avec un Eric real-punk qui va bien plus loin qu’aucun punk n’ira jamais - et «See See Rider» qui reste pour moi la marque jaune des Animals dans l’histoire du rock - pur génie tourbillonnique - (qui était couplé à «Help Me Girl» sur un EP à pochette rouge - l’un des objets les plus brûlants de l’histoire de l’humanité - encore un coup de génie d’Eric qui nous rendait tous dingues - mais dingues à se rouler par terre).

 

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Eric Burdon va se délocaliser - comme on dit aujourd’hui - et s’installer aux États-Unis. Il va remonter une nouvelle mouture des Animals. Barry Jenkins sera le seul rescapé de l’ancienne formule. Ils sortent en 1968 «The Twain Shall Meet», un disque qui se situait dans l’esprit du temps, plus psychédélique. Sur «Monterey», on entend Vic Briggs jouer de la basse et emmener le morceau, partir en vrille et tirer le groove psyché vers des territoires inconnus. Mais le reste de l’album pouvait provoquer un ennui certain et occasionner certains bâillements dignes des hippopotames du fleuve Niger. Toute la pétaudière animalière avait disparu, pour faire place à un son plus expérimental. L’album suivant s’appelait «Everyone Of Us». Eric Burdon est toujours aussi bien entouré : Barry Jenkins, Vic Briggs, et John Weider (futur Family) joue de la guitare comme un dieu. Zoot Money a remplacé Dave Rowberry aux claviers. Le premier grand choc de ce disque vient d’un instrumental, «Serenade To A Sweet Lady», emmené par la virtuosité frileuse de John Weider. On sent à chaque instant ce feeling dans le grattage des notes et ça provoque une sorte de révélation. On y admire la beauté subjuguante des climats. Curieusement, c’est l’un des morceaux les plus beaux d’Eric Burdon, et il ne chante pas. On restera surpris pendant des lustres par la qualité de ce morceau. Eric revient aux affaires avec le fabuleux «Year Of The Guru» - fantastiquement rythmé par sa diction, «My-leader-told-me-to-jump-in-the-river/ The-river-was deep and-the-weather-was-winter/ After-a-sailor-very-kindly-saved-me/ My-leader-told-me you’d-better-take-it-easy/ I-took-it-so-easy my-leader-called-me-lazy» (Mon gourou m’a dit de sauter dans la rivière/ La rivière était profonde et c’était l’hiver/ Un marin m’a sauvé la vie/ Et mon gourou m’a dit de prendre les choses plus légèrement/ Ce que j’ai fait et mon gourou m’a traité de feignant) - John Weider part en solo et Zoot pianote comme un dératé. Avec ces infusions de fuzz, le génie du rock anglais est de retour - «Now listen to this baby/ This-is-the-year-of-the-guru/ Now the-thing-to-do-is-to-ask-yourself/ What-can-a-guru-do-for-me?/ Then-you-say-to-yourself/ I gotta get a guru» (Maintenant écoute-moi bien ma poule/ Voici venu le temps des gourous/ Maintenant, tu dois te poser la question/ Qu’est-ce qu’un gourou peut faire pour moi ?/ Je dois me trouver un goulou-goulou goulou ! I got to get the goulou-goulou et ça finit en apocalypse, qui est le péché mignon d’Eric Burdon. C’est lui le grand finisseur de morceaux devant l’éternel. Il y aussi sur cet excellent album une version hantée de «St James Infirmary» sur laquelle John Weider envoie des lampées de haute voltige.

 

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Le dernier album d’Eric avec les New Animals s’appelle «Love Is» et pendant trente ou quarante ans, les impressions sont restées mitigées. C’est un album extrêmement psychédélique avec des longueurs et de purs moments inventifs. «Ring Of Fire» et «Sky Pilot» sont des morceaux connus, mais ce n’est pas ce qu’Eric a fait de mieux, dans sa vie. Par contre «Colored Rain» vaut le détour. C’est une belle pièce de psyché dotée d’un solo bien gras de John Weider. Puis on découvre que ce solo s’éternise et qu’il reste très agréable à entendre, un vrai plaisir, franchement. C’est très sincère. On voit rarement passer des solos comme celui-ci, dans la rue. Il sort de l’ordinaire et dure aussi longtemps qu’un jour sans pain. Méticuleux et beau, languide et lancé vers l’avenir. Eric s’en donne à cœur joie lorsqu’il revient au micro. L’autre grosse pièce de ce double album, c’est «Gemini-The Madman». On se fait avoir et le Madman nous embarque pour Cythère. Le thème mélodique évoque la grandeur des Beatles.

 

Eric Burdon fait partie des gens qu’on aime bien, et donc, on s’arrange pour ne pas le perdre de vue. Il sera pendant quelques années un ami très proche de Jimi Hendrix. La nuit de sa mort à Londres, Eric le cherchera partout, en vain. Il aura beaucoup de mal à se remettre de cet épisode macabre.

 

En 1969, il devient le chanteur d’un groupe de funksters noirs (War) qui le recracheront comme un noyau deux ans plus tard, après deux albums et pas mal de concerts.

 

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Les albums d’Eric avec War sont bons, mais il faut accepter le principe de variations sur des thèmes connus, comme «Paint It Black», «Nights In White Satin» ou «A Day In The Life». Les mecs de War jamment plutôt bien, basse, congas, flûte, et embarquent Eric dans des délires latino souvent excitants. La face 1 de «The Black-Man’s Burdon» était torpillée par un solo de batterie, ce qui suffisait, à l’époque, pour condamner tout l’album. Comme beaucoup de gens, je l’ai revendu, puis racheté pour pouvoir réécouter les fantastiques morceaux de la face 2 de ce double album, et plus spécialement «Beautiful New Born Child» qu’Eric chante à l’arrache et qui vire gospel. C’est la perle de l’album. «Out Of Nowhere» est un groove jazzy absolument fabuleux - I live in a notion of time where the past is lost in the future. Sur la face 3, «Sun/Moon» ensorcelle. Encore un groove majestueux, digne de ‘Trane - lay the blues for me ! Et «Gun» sonne comme un hit de James Brown. C’est dire si Eric chante bien. Mais ça, on le savait déjà.

 

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Puis Eric fera quelques tentatives avec le bluesman Jimmy Witherspoon. L’album «Guilty» paraît en 1971. On les entend chanter de très belles choses à deux voix. Eric se sent comme un poisson dans l’eau et ça s’entend. L’ami Witherspoon embarque «Steam Roller» à la puissance des reins et ils tapent ensemble dans le heavy blues avec «Have Mercy Judge» et «Soledad», deux pièces de choix (très politisées) vraiment conseillées aux amateurs de heavy blues. Difficile de faire plus heavy. «Guilty» reste l’un des grands albums d’Eric Burdon. Ce fut pour lui une manière de revenir aux sources. Il monta ensuite The Eric Burdon Band avec une sorte d’enfant prodige de la guitare électrique, Aalon Butler. L’album «Sun Secrets» sortit en 1974. Eric allait cette fois sur le rock psychédélique et à l’époque, on est resté sceptique, malgré tout le buzz créé par la presse rock américaine autour de ce disque. Ce fut un peu le même problème qu’avec «I’m Back And I’m Proud» de Gene Vincent, dont on attendait monts et merveilles. En ces années-là, on écoutait tellement de bons albums qu’on devenait horriblement difficile. Le buzz créé autour de «Sun Secrets» retomba comme un soufflet. Schlouffff ! Eric avait cherché à rallumer le feu sacré en réinjectant de l’électricité dans «It’s My Life» et dans «Ring Of Fire». Il relevait un peu le niveau de l’album avec «The Real Me». Il y retrouvait sa carrure de géant. Même si l’album décevait un peu, on en revenait à la même conclusion : Eric Burdon était l’un des plus grands chanteurs de l’histoire du rock. Derrière lui, l’ami Butler reproduisait à la perfection les thèmes mélodiques des vieilles chansons et jouait la carte obsédante de l’omniprésence. On sentait qu’Eric passait à deux doigts du coup de génie.

 

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Rebelote avec «Stop», sorti par la maison de disques en 1975. Ce sont des morceaux tirés des sessions de «Mirage», le double album prévu initialement. «City Rock» et «Gotta Get It On» sont des classiques burdonniques bien troussés, solides comme le roc, toujours intéressants comme le sont les morceaux de «Love Is». On part à l’aventure. On découvre. Eric embarque tout à la voix. C’est sa force. «I’m Lookin’ Up» est un gros groove funksté à la Burdon, finement emballé et nappé d’orgue, supérieurement chanté. Le grand Eric survole la terre, plein de majesté et d’ampleur. «All I Do» tire son riff de «Who Knows» du Band Of Gypsies et sur la face B, «Funky Fever» tape dans le mille, heavy comme l’enfer, idéal comme peut l’être le gendre qu’on reçoit à sa table. Eric chante avec sa tripe et les riffs tâchent la nappe. «The Way It Should Be» sonne comme un Zappa cut - n’oublions pas qu’Eric et Frank étaient liés - on sent dans ce morceau la présence des bêtes de Gévaudan. Pas de pitié pour les notes boiteuses. Ça file avec un solo rouge.

 

Les Animals se reforment en 1977 et enregistrent deux albums catastrophiques, «Before We Were So Rudely Interrupted» et «Ark». Catastrophiques parce que sans surprises. Pourtant on est content de revoir la formation originale, sur la pochette. Chas Chandler y a une fière allure. Sur Before, ils massacrent le «It’s All Over Now Baby Blue» de Dylan et pas mal de morceaux sont d’une rare inutilité. Eric Burdon tape dans Jimmy Reed avec une reprise de «As The Crow Flies», mais c’est un peu mou du genou. Le seul morceau sauvable de Before, c’est «Please Send Me Someone To Love», une reprise de Curtis Mayfield, dans laquelle Alan Price fait un solo d’orgue fabuleux. L’album n’avait aucune chance, car les Damned et les Pistols sortaient leurs albums la même année.

 

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En 1977, Eric enregistra aussi l’album «Survivor». Ce disque a deux particularité. Il propose un superbe livret dont Eric signe les illustrations, et la plupart des morceaux sont signés Zoot Money, et c’est peut-être bien là que se situe le problème, car l’album est particulièrement insipide. On y entend des boogies qui n’ont aucune incidence sur l’avenir de l’humanité. Dommage, car Maggie Bell et PP Arnold font les chœurs. Le morceau sensible de l’album pourrait bien être une reprise de Brownie McGee, «I Was Born To Live The Blues», qu’Eric chante avec classe. Même chose pour le dernier morceau, «Po Box 500» : une histoire de taulard superbement chantée. Mais deux morceaux, ça ne sauve pas un album.

 

Il revient en 1980 avec «Last Drive» et une pochette fabuleuse digne du «Accelerator» de Royal Trux : l’illustration montre un mec au volant et sa passagère. L’album est massacré par une production «années quatre-vingt». Le premier morceau qui partait bien vire à l’heroic fantasy celtico-proggy à la Stivell. Effet dramatique. Eric tente de sauver quelques morceaux au chant, mais les prismes se fondent dans les miroirs, ce qui entraîne l’annulation de tous les effets. Sur «Dry», Eric revient à l’une de ses spécialités qui est le talking-blues. Il chante comme un géant, mais une horrible connasse vient hurler dans le fond du studio et ruine tous les efforts du pauvre Eric. Sur ce disque, tout vire au fucking rock FM. Un seul morceau échappe au carnage, le dernier : «The Last Poet». Il fait le taf tout seul, accompagné d’une basse et ça donne une ambiance vaudou. Il est le seul à pouvoir réussir un coup pareil.

 

1980 toujours, avec «Darkness Darkness» qui part mal, avec un son celtico-funky à la con. Mauvais contexte, mauvaise période. Ça ne peut pas fonctionner, même avec la voix qu’il a. Mais on écoute, car c’est Eric Burdon. Il retape dans Jimmy Reed avec une reprise de «Baby What’s Wrong», et là, il ne rigole plus. Le backing est bien propre sur lui, avec des pianotis de m’as-tu-vu et une rythmique bien lisse. Dommage. La version est bien trop polie pour être honnête. On appelle ça le boogie du dimanche. Encore un disque massacré par l’horrible production «années quatre-vingt». Tout est cousu de fil blanc et affreusement prévisible.

 

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En 1982 et 1983, il parvient à caler deux bons albums : «Power Company» et «Comeback». On retrouve le Burdon qu’on aime, celui du rock trad et du blues rock. Vous trouverez trois gros trucs sur Power. D’abord un bluesy cut joué à la slide, «You Can’t Kill My Spirit». C’est du solide, du Eric-talkin’ - you can kill my body but - il hurle comme il faut et se racle bien la glotte. On retrouve l’immense Animal-shouter. L’autre grosse pièce de cet album s’appelle «Wicked Man», une fois de plus noyé de slide énervée. Idéal pour les amateurs de rock classique bien chanté. Il est à la fois Eric Burdon, Johnny Winter et Albert King, sur ce cut. Vraiment, ce mec est très fort. «Who Gives A Fuck» est l’un de ces gros heavy blues dont Eric raffole. Il est bien entouré, d’où la puissance du morceau, même si c’est cousu de fil blanc comme neige. Sur «Comeback», on trouve aussi trois grosses pièces qu’on ira écouter, si on aime bien ce petit mec. «No More Elmore» est une véritable merveille. Comme l’indique le titre, c’est un hommage à Elmore James : «Juste après avoir quitté l’école/ J’ai commencé à travailler/ Un jour je suis rentré chez moi/ Après une dure journée de travail/ J’ai pioché dans ma collection de blues/ Je voulais me reposer/ Et j’ai entendu qu’Elmore James était mort/ J’avais perdu un ami.» On reste dans le pur jus du blues avec «Crawling King Snake», un morceau déjà repris par Jim Morrison sur «LA Woman». Eric en fait une mouture primitive en diable - «I’m a crawling king snake baby/ And I rule my den» - il frise carrément le génie avec cette version et se fend d’un clin d’œil au Roi Lézard avec la fin du dernier couplet - «And we checked into the Chateau Marmont/ Sunset Boulevard/ Outside the windows cars». Petite reprise de «It Hurts Me Too» d’Elmore James pour la route et une fantastique balade océanique à la Burdon ferme le bal, «Bird On The Beach».

 

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Il va encore frôler la catastrophe en 1988 avec l’abominable «I Used To Be An Animal» qui suivait de près la parution de son autobiographie. Avec cet album, il cédait aux sirènes de la mode, et à l’époque, elles avaient une sale gueule, puisque tout le monde écoutait Michael Jackson et trouvait ça bon. Eric a beau gueuler comme un veau dans «Goin’ Back To Memphis», on éprouve beaucoup de mal à lui pardonner cet écart. Lux Interior ne serait jamais allé dans ce type de production, même si un affairiste véreux lui avait fait miroiter des ventes spectaculaires et les millions de dollars qui vont avec.

 

En 2000, il sort «Lost Within The Halls Of Fame» et attaque avec un horrible rap. On reste donc dans la série noire. Par contre, son «New Orleans Rap» monté sur une ligne de contrebasse est une vraie merveille. Diction parfaite, on sent le retour du géant - hey music lover, take me to your places - et il boucle son affaire dans la pure Broadway fashion. Sur «Brand New Day», il refait son numéro de puissant chanteur indomptable, mais c’est tatapoumé à outrance. Tout au long de ce disque, il joue avec les genres, le disco, le funk, l’africain, le reggae, et - last but not least - on retombe sur des morceaux de l’album précédent. Berk.

 

Il faut attendre 2004 pour retrouver l’Eric de rêve. Il se trouve sur «My Secret Life». Avec son gros groove, «Highway 62» sonne comme un bel hommage à Gram Parsons. On sent le grand Burdon de l’entre deux eaux. Il rend un fantastique hommage à Chet Baker avec «Jazzman». «Heaven» est un morceau pourri de feeling. La voix d’Eric y vibre dans l’air chaud. Retour aux coups de Trafalgar avec «Devil Slide» : «You recall Big Red ?/ He spent most of his life out on the road/ Searching for that enigmatic devil slide but he could never forget/ What Muddy said : Glass is best/ We was on that midnight train, driving to San Sebastian, Spain/ When he took a dead bottle of Beaujolais/ Slipped his ring finger into its neck and broke off the remains/ Then he looked at me with a gleam in his eyes and said/ Eric, look out here comes the devil slide» (Vous vous souvenez de Big Red ? Il a passé sa vie sur la route à chercher le secret du slide du diable et il n’a jamais oublié ce que lui avait dit Muddy : le mieux, c’est le verre/ On était dans un train qui allait à San Sebastian en Espagne/ Il a pris une bouteille de Beaujolais, a glissé son doigt dedans et a cassé la bouteille/ Il s’est tourné vers moi, l’œil brillant et il m’a dit : Eric, voilà le slide du diable.) Morceau absolument remarquable. Puis il renoue avec le génie en rendant hommage à John Lee Hooker dans «Can’t Kill The Boogieman». Il veut carrément John Lee Hooker comme Président. Il fait littéralement exploser le morceau. C’est le plus grand hommage jamais rendu à John Lee Hooker.

 

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On reste dans la même veine avec «Soul Of A Man» paru en 2006. Il tape dans le gospel chanté à deux voix et monté sur un groove de basse éléphantesque. C’est admirable. Eric s’arrache la gorge. Il fait son numéro de shouter-preacher et nous réconcilie avec la vie. Avec «Kingsize Jones», il passe au groovy-funk hyper-lourd et s’intéresse à l’entre-jambe de sa copine - «I worship the temple between your legs». Il aligne ensuite une reprise de Fred McDowell, «Red Cross Store», fabuleux jump blues puissamment stompé. Il chante ça à pleine poitrine, en pleine force de l’âge, derrière c’est battu à la forge - c’est même chanté à la forge - Eric le Viking bat l’enclume - Stone no more ! On va de surprise de taille en surprise de taille, sur cet album. Eric balance «Como Se Llama Mama», un boogie gras riffé sur un trombone à coulisse. Son «Feeling Blue» sonne comme le fantastique «Bigtime Operators» de Van Morrison. Belle dose de heavy blues avec «GTO» et reprise cuivrée du «Forty Four» d’Howlin’ Wolf. Pur génie d’interprétation. C’est rudement battu et secoué au tamis de plâtrier. Hallucinant. Son «I Don’t Mind» est un slow plein comme un œuf et il finit avec un boogie des enfers qui s’appelle «Circuit Rider».

 

Esoteric records fit paraître en 2009 un album inédit d’Eric Burdon, la fameux «Mirage» qui devait initialement sortir sous la forme d’un double album et qui fut enregistré pour faire la BO d’un film. Retour aux seventies avec ce gros rock électrico-funky du Eric Burdon Band qui reposait uniquement sur les qualités du chanteur Burdon. «Mind Arc» est un bon gros heavy blues savamment gratté à la guitare. Tous les morceaux de l’album s’ancrent dans le même genre de groove qu’Eric tire derrière lui, comme une locomotive. Pour l’anecdote, les paroles du morceau «Mirage» sont signées Jimi Hendrix.

 

Eric revient à l’inspiration séculaire avec son dernier album, «‘Til Your River Runs Dry». Hormis le coup de chapeau à Bo Diddley, on trouve sur ce disque deux ou trois pièces qui vont remettre du baume au cœur des vieux fans des Animals. On retrouve la voix incroyablement colorée d’Eric, reconnaissable entre toutes. Dans «The Devil & Jesus», il fait le clown avec sa glotte. Mine de rien, il nous renseigne sur sa façon d’être, illustrant le rôle que jouent le bien et le mal chez lui, comme Hergé le fit jadis avec l’ange gardien et le diable qui dialoguaient au-dessus de la tête du capitaine Haddock. Fallait-il ouvrir une bouteille de rhum ? Oui, évidemment, car tout vient de là. Du rhum. Sur la face B se trouve une autre prouesse signée Eric Burdon. C’est un grand talking-blues intitulé «Invitation To The White House». Ambiance jazzy-bluesy, celle qui lui va comme un gant. Et c’est fantastiquement vivant, faramineusement bon, autant que le Bo Diddley Special. Eric raconte son rêve. Le président l’a invité à la Maison Blanche et lui dit ceci : «Eric I’m sure glad you are here/ I’ve inherited a country that’s running wild/ he said I’m so frustrated I’m asking you for your advice» (Eric, je suis vraiment content que vous soyez là/ J’ai hérité d’un pays qui ne tourne pas rond/ Je suis tellement paumé que j’aurais bien besoin de vos conseils). Eric nous embarque alors dans son délire fabuleux. Il chante merveilleusement bien, il imite la voix d’un Président farfelu, et derrière, ça joue. Il en profite pour ressortir son vieux couplet anti-guerre : plutôt que d’aller guerroyer en Asie, pourquoi ne pas commencer par faire le ménage chez soi et faire la guerre à tous ces gangs qui font régner la violence dans les rues des villes d’Amérique ? «I know Mr President/ You’ve been given a loaded hand/ And war is our culture/ Ever since the world began/ I said bring them troops home/ And let’s fix that country first/ We have the right to happiness/ But you gotta get down in the dirt» (Je sais Monsieur le Président/ Que vous avez le doigt sur la gâchette/ La guerre est notre culture/ Depuis le commencement du monde/ Alors faites rentrer les troupes au pays/ Et commencez par nettoyer ce pays/ On a le droit de vivre heureux/ Mais vous allez devoir mettre les mains dans la merde). Sacré Eric, il réussira à nous épater jusqu’au bout.

 

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L’Olympia était plein comme un œuf, par ce beau soir de novembre. Pas mal d’ex-fans des sixties, comme dirait Gainsbarre. Il y avait aussi pas mal de monde sur scène : deux guitares, deux claviers, drums, percus et basse. Morceau de welcomage et soudain on a vu arriver un petit bonhomme. Il courait presque, court sur pattes, en veste, T-shirt, foulard et lunettes noires. Eric Burdon, soixante-douze ans, voix intacte, légende vivante, survivor, mémoire du swinging London. Dès le deuxième morceau, il nous met au tapis avec une version monstrueuse d’«Inside Looking Out» - oh baby oh baby my rebirth ! - on sent couler la sève des sixties dans nos veines, on tape du pied comme un forcené et on beugle avec Eric, parce que c’est tout ce qu’il reste à faire - my re-birth ! my re-birth ! Même chose que lorsqu’on entend I Can’t get no ou People try to put us down, on ne peut pas résister. Secouage de tête, les cheveux dans les yeux. La magie des sixties est la plus puissante de toutes les magies connues. Évidemment, il va chanter «Don’t Let Me Be Misunderstood» et «House Of The Rising Sun» - que le public reprend en chœur, on ne pouvait pas échapper à ça. Il va même y avoir des longueurs, des morceaux un peu plus mous du genou, puis soudain on se réveille avec le «Bo Diddley Special» tiré de son dernier album et là, ça redevient sérieux. On retrouve l’Animal de 1964, petit, boutonneux, mal coiffé et disgracieux qui indisposait les dandies londoniens. Il enlève sa veste. Comme il ventripote un peu, son T-shirt passé par dessus le pantalon tombe à mi-cuisses. Il est comme une petite boule montée sur deux courtes jambes noires. On déteste voir les gens qu’on admire vieillir. On refuse de voir les dernières photos de Jerry Lee ou de Keith Richards. Ils sont trop amochés, alors on reste sur les bonnes images. Pareil pour Eric Burdon, même s’il déambule sous nos yeux, il reste ce petit mec au regard vif et mal coiffé photographié dans un champ avec ses copains de Newcastle. En rappel, il va balancer une version de «Boom Boom» ruinée par un long passage instrumental à la mormoille et «I’m Cryin’» - torpillé lui aussi par un solo de batterie - que tout le monde attendait. Puis on traverse le grand hall en sens inverse pour rejoindre le boulevard et on va casser la graine. Alors, on lève son verre de pinard à la santé d’Eric et on lui dit : «Tiens le coup, petit bonhomme, nous sommes encore tous là.»

 

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Signé : Cazengler, animal de compagnie

 

Eric Burdon & The Animals. Olympia. Paris IXe. 26 novembre 2013

 

The Animals. The Animals. MGM Records 1964

 

The Animals. Animal Tracks. MGM Records 1965

 

The Animals. Animalism. MGM Records 1966

 

The Animals. Animalisms. Repertoire 1999

 

Eric Burdon & The Animals. The Twain Shall Meet. MGM Records 1968

 

Eric Burdon & The Animals. Every One Of Us. MGM Records 1968

 

Eric Burdon & The Animals. Love Is. Barclay 1968

 

Eric Burdon & War. The Black-Man’s Burdon. Liberty Records 1970

 

Eric Burdon & War. Love Is All Around. ABC Records 1976

 

Eric Burdon & Jimmy Witherspoon. Guilty ! MGM Records 1971

 

The Eric Burdon Band. Sun Secrets. Capitol 1974

 

The Eric Burdon Band. Stop. LA Records 1974

 

The Original Animals. Before We Were So Rudely Interrupted. Barn Records 1977

 

Eric Burdon. Survivor. Polydor 1977

 

Eric Burdon’s Fire Department. Last Drive. Melting Sound Music 1980

 

Eric Burdon. Darkness Darkness. Polydor 1980

 

The Eric Burdon Band. Comeback. Line Records 1982

 

The Eric Burdon Band. Power Company. Teldec Records 1983

 

Eric Burdon. I Used To be An Animal. Prime Cuts 1988

 

Eric Burdon. Lost Within The Halls Of Fame. Jet Records 1995

 

Eric Burdon. My Secret Life. SPV Recordings 2004

 

Eric Burdon. Soul Of A Man. SPV Recordings 2006

 

Eric Burdon. Mirage. Esoteric Recordings 2009

 

Eric Burdon. ‘Til Your River Runs

 

 

LAGNY SUR MARNE / 29 - 11 - 13 /

 

 

LOCAL DES LONERS

 

GHOST HIGHWAY

 

 

Jusqu'à maintenant Mumu a assuré comme Elvis sur son premier 78 tours Sun, nous a emmenés tout droit à Lagny par des routes qui ne sont même pas répertoriées sur les cartes de l'Institut Géographique National, mais dans la zone industrielle elle hésite un peu. Le GPS de secours patauge dans le vermicelle depuis dix minutes, mais non, Dieu tout impuissant n'abandonne jamais les rockers, hosanna sur les sistres et les encensoirs comme dit le grand Stéphane, patronymiquement Mallarmé, le local des Loners, tel un bunker de béton perdu dans la brume océane, se profile à l'horizon.

 

 

Quelques perfectos fantomatiques se pressent vers l'entrée illuminée. Fait frisquet et les nouveaux arrivants se ruent à l'intérieur. Me retrouve tout seul dans la nuit noire. L'occasion idéale de vider ma vessie incognito sur une palissade branlante. Mesdemoiselles, un peu de tenue, je vous en prie ! Je m'apprête à dégainer lorsque mon sang se fige et une rage citoyenne s'empare de moi. Mais que fait la police !

 

 

ROM – POINT

 

 

Je ne rêve pas. Cette lueur tremblotante au bout de ces ornières boueuses, et cette caravane en mauvais état, ce silence pesant à neuf heures du soir, c'est bien un ramassis de roms qui squattent un improbable terrain non viabilisé ! Par quelle inadvertance préfectorale sont-ils encore là ? Pourquoi les pelleteuses et nos CRS bien-aimés n'ont-ils pas accompli leur travail ? C'est pourtant facile de pratiquer un ratissage au bulldozer, en plus c'est vachement marrant, les femmes crient, les enfants pleurent, l'on a le droit de matraquer les hommes qui râlent, et l'on est sûr de gagner à tous les coups que l'on distribue gratuitement. Ca rappelle le bon vieux temps, des années 40, à la différence près qu'en cette magnifique époque les autorités léchaient les bottes des envahisseurs. Faut reconnaître qu'une panzer-division, ça ne rompt pas aussi facilement qu'une cabane en tôle ondulée. C'est bien connu, vaut mieux s'en prendre aux plus faibles qu'aux plus forts. L'Europe commence à puer salement des pieds. L'on ne combat pas la misère, l'on pourchasse les pauvres. Par contre la porte est grande ouverte pour la fuite des capitaux et des usines que l'on remonte ailleurs. Pas d'étrangers chez nous, c'est nous qui irons les faire travailler chez eux. Mais laissons-là ces tristes pensées. Nous sommes ici pour écouter du rock and roll. Vous savez cette musique inventée de toutes pièces par des émigrants qui fuyaient d'abominables conditions de vie de par chez eux. Tellement fauchés qu'ils ont dû emprunter un max d'éléments à des noirs encore plus pauvres qu'eux...

 

 

LONERS

 

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Deux fois que l'on vient et deux fois que l'accueil est plus que sympathique. Rien à dire les Loners sont sympas. En plus ils écoutent de la bonne musique. Sans sectarisme beaucoup de rockabilly et de rock'n'roll mais Roland, le Prez, nous prévient que ce printemps nous aurons droit à un cycle hard. Ce qui ne me déplaît pas fondamentalement. Les Loners sont ouverts, reçoivent tout le monde dans leur local. Roland a cette magnifique parole «  Je suis rocker avant tout, biker aussi, mais ce qui m'intéresse avant tout c'est l'être humain ». Saine philosophie avec laquelle je me sens pour ma part tout à fait en accord.

 

 

PREMIER SET

 

 

Beaucoup de monde. La salle est pleine comme un CD de trente-quatre titres, les Ghost sont sur la scène, un peu juste. Faudra tortiller du cou pour apercevoir Phil. Difficile de se frayer une place au premier rang. Tant pis, d'autant plus que la guitare de Jull résonne comme jamais. Plus électrique, plus cisaillante. A croire qu'il a changé ses réglages ou alors l'étroitesse de la salle qui comprime et durcit le son.

 

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Mais ce soir celui qui donne le ton, c'est Arnô, une pêche extraordinaire, juteuse. Il ne chante pas, il se balade sur les morceaux. Emporte tout avec une facilité extrême. Survolté, il lâche entre deux hymnes rockabilly un de ses commentaires idiots dont il a le secret, tellement stupide que vous êtes obligés de rire, et le voici reparti au galop. N'y a qu'à entendre la manière dont il prononce le nom de Johnny Cash pour comprendre combien ce soir son âme virevolte en liberté telle un papillon ivre de whisky de contrebande au dessus de Folsom Prison. Blues joyeux...

 

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Les Ghosts puisent pas mal dans leur dernier disque. Julien donne la réplique à Arnaud sur le Tired and Sleepy des Cochran brothers, et l'on frôle la félicité. Serais prêt à parier que Hank Cochran n'y a jamais mis autant de fougue. Moment de panique dans ma tête, chacun a chanté son couplet de Hello Mary Lou de Ricky Nelson, mais ensuite gratouillent consciencieusement leur swinguin'guitar, la bouche fermée, alors qu'une voix off nous offre en cadeau surprise la troisième strophe , cherchez l'erreur. J'ai trouvé l'intrus, c'est Phil qui nous gratifie d'une intervention impeccable.

 

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Honhy Tonk, hurle Arnô speed sans préavis, s'est armé d'un harmo et le voici qui batifole sur d'exubérantes trilles, pendant que les autres se préparent pour l'autoroute fantôme, Arno se la joue toréador avec un peu de flamenco et puis glisse inexorablement vers des arpèges plus bluesy, nous sommes prêts pour l'autostrade du souvenir. Ca ressemble à une plaisanterie mais dans le fond c'est plus sérieux qu'il n'y paraît. Blues et country sont congénitalement mêlés à la naissance. La chienne Amérique s'est faite couvrir par un mâtin aussi noir que la nuit et un autre plus blanc que deux western barrels, mais les deux bâtards qui sont nés de deux pères différents ont bien été recueillis dans la même matrice. Frères utérins.

 

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La plus belle image du concert sera de Zio, accoudé sur sa basse, tête baissée, repliée sur lui-même, tout comme le penseur de Rodin, avant qu'il ne sorte de son rêve et que ses doigts n' égrènent les notes lourdes et lentes qui densifient le final de Lost Highway.

 

 

DEUXIEME SET

 

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Tiens, les Ghost sont devenus le club des cinq. L'on a beau compter et recompter sur nos doigts, il y a un mec avec une guitare en plus, à côté de Zio. Ne se débrouille pas mal d'ailleurs, un jeu qui a tendance à fluidifier la guitare de Jull, mais ce n'est plus tout à fait les Ghost. C'est Arnô qui nous délivrera la clef de l'énigme, c'est Mister Jack, le guitariste de son ancien groupe Austin.

 

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Ont joué longtemps durant le premier set, referont quelques morceaux, notamment le splendide Because I Forgot de Jull. Qui n'a qu'un seul défaut, trop court. Passe trop vite, l'on aimerait retenir cette mélancolie brute qui s'abat sur vous comme un chagrin d'amour, mais l'on n'a pas le temps de lécher nos délicieuses blessures suppurantes, celles dont on espère qu'elles ne se refermeront jamais.

 

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Finissent le set en promettant de revenir pour un petit rappel. Bluffant, excitant et impeccable en même temps.

 

 

PETIT RAPPEL

 

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Pour un rappel, ce fut un rappel. Presque une heure. Dans une ambiance de folie. Au bout de quatre morceaux, ils demandent à Titus, non pas l'empereur romain, mais un ancien du Golf, de les rejoindre sur scène. Ne vient pas seul, emmène avec lui son harmonica et c'est parti pour une demi-heure de boogie blues. Mérite le surnom du fils de Vespasien, le délice du genre humain, car il nous sert une confiture d'airelles bleues dont on se serait nourris jusqu'au petit matin. Dingue comme il s'intègre dans le rockab des Ghost, trouve toujours la porte d'entrée pour prendre sa place. Ne prend pas les escaliers de secours de l'old cow-country, impose sa marque bleue acétylène, Chicago indélébile. Un moment de grand frisson. Rage noire.

 

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Mister Jack revient, les Ghost sont au bout du répertoire. Comme cadeau d'adieu ils nous offrent un Jump Jiggles and Shouts de Gene Vincent revisité à l'harmonica. C'est l'orgue à bouche qui se charge des brisures de rythme et des fulgurantes reprises, le dialogue guitare / batterie étant relégué comme au second plan. Curieux, intéressant et déroutant, comme toute nouveauté. Ca passe comme une lettre à la poste. Plus un petit Flyin' Saucers pour la route.

 

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Descendent de leur piédestal sur les rotules. Ils ont tout donné. On a tout pris.

 

 

 

Damie Chad.

 

 

( Les photos ont été empruntées, elles sont de Martine Fifties, sur son Facebook )

 

 

CHRONIQUES VULVEUSES

 

 

TREIZIEME EPISODE

 

Résumé de l'épisode précédent : L'agent Damie Chad 009891 du SSRR ( Service Secret du Rock'n'Roll ) est envoyé de toute urgence en Ariège afin d'enquêter sur l'inquiétante entreprise terroriste de déstabilisation psycho-culturelle surnommée La Conjuration Vulvaire. Tous les faits rapportés dans cette oeuvre à enrobage littéraire affirmé sont tirés de la réalité la plus triste, les documents officiels de la justice et des gendarmes sont là pour en apporter la preuve définitive.

 

 

40

 

« Hi ! Hi! Hi »

 

 

Un ricanement que j'avais du mal à supporter. Une limousine noire freinait au bas des marches. Une vitre teintée s'abaissa, à peine, une fente, assez large pour laisser passer le bout du museau d'une kalachnikov, cette fois nous étions cuits. Le Proc n'avait pas dit son dernier mot. Devait être sacrément haut placé pour s'offrir trois petits refroidissements dans la cour du palais présidentiel. Le Chef se saisit d'un de ses Coronados. Je ne sais pas quelle surprise il nous réservait, car il n'eut pas à s'en servir. Une deuxième grosse cylindrée vint se ranger derrière celle du proc. Et comme une nuée de sauterelles s'abattant sur le dernier champ de maïs du Biafra lors de la grande famine, une horde de journalistes surgie de nulle part montèrent à l'assaut de la voiture. Télés, radios, quotidiens, hebdomadaires, une foire d'empoigne pire que l'ouverture des soldes aux Nouvelles Galeries. Nous ne voyions rien, mais c'était une véritable échauffourée devant les portières arrachées. A coup sûr le scoop de la semaine. Nous essayions de nous défiler en douce lorsque dans le brouhaha s'éleva un cri d'angoisse. Manifestement une jeune femme criait à l'aide.

 

 

En parfait gentlemen que nous étions, nous nous précipitâmes dans la mêlée, le chef armé d'un coronado 45 fendait les crânes sans rémission, j'envoyais de terribles manchettes sur les journaleux et Claudius ne se débrouillait pas trop mal ayant sorti de sa poche, une de ses dernières inventions, un distributeur automatique de coups de pieds au cul, ma foi assez efficace. En trois minutes nous étions maîtres de la situation. Nous pûmes alors d'un même mouvement nous pencher vers l'intérieur de la voiture. Trois petites oiselles recroquevillées sur leurs sièges levèrent des yeux éperdus de reconnaissance. Caramba ! Que bellisimas estan ! Le Chef offrit son bras à la brune piquante, Claudius se précipita vers la rousse incendiaire, et moi j'héritai de la blonde pulpeuse.

 

 

«  Mesdames vous ne craignez plus rien, nous allons vous conduire en sécurité ! » Parfaitement rassurée par l'onctueuse voix cérémonieuse du Chef qui agit comme un calmant, les trois poupées nous prirent par le bras sans aucune crainte et nous entreprîmes de monter les marches en un galant cortège. Les journalistes claudiquants s'étaient regroupés en haut de l'escalier. Le commentateur de la chaîne nationale entama son laïus : « Ici Télé Tépabo, les six nouveaux ministres du gouvernement, entrent en ce moment même à l'intérieur de l'Elysée. Devant l'urgence de la situation, il n'y aura pas de réception en leur honneur, le Conseil des Ministres débutera à dix heures précises. »

 

 

Des huissiers nous menèrent par d'interminables couloirs. Nous en profitâmes pour lier davantage connaissance. «  Oui, disait le Chef, chère Roselyne, je me sens seul, depuis que ma femme a été mordue par un coronado, un terrible serpent mexicain, el serpiente secunda, comme on l'appelle dans ce pays maudit où nous nous étions inscrits dans un voyage touristique, qui vous tue en une seconde... mais depuis que je vous ai vue, j'ai su que j'étais prêt à affronter tous les coronados du monde, rien que pour le plaisir d'entrevoir le jade de vos yeux s'illuminer !

 

  • Ô valeureux chevalier, je sais que vous ne mentez pas, que sans votre intervention, je serais morte étouffée ! Je donnerai mon âme et mon corps pour vous remercier, doux sauveur !

  • Je ne saurais vous priver de votre bien le plus précieux, je me contenterai de votre corps, inestimable trésor rougeoyant telle une fournaise de désirs. »

 

 

Claudius n'était pas en reste «  Comment vous remercier ? susurrait la brunette

 

  • Êtes-vous folle ! Vous ne me devez rien. Vous avoir sauvée n'est pas un bonheur, mais un honneur. Toutefois, puisque vous insistez, je me contenterais d'une modeste obole, une mince mèche de votre toison pubienne – je la devine aussi mystérieuse que la nuit – ne pensez-pas que je sois un pervers, mais dans mon antre solitaire là-bas, au fin fond de l'Ariège, je me suis donné une mission, préserver un spécimen de la touffeur de chaque vulve qui passe à ma portée, le tout afin de léguer à l'Humanité future, en un herbier vulvestre unique au monde, un assortiment des teintes les plus merveilleuses de l'intimité féminine, je...

  • Je sacrifierai volontiers à la récolte de cette manne, à la seule condition que ce soit vous qui tinssiez, la serpe d'or du recueillement intime, cher affabuloscopeur.

 

 

Pour ma part j'avais récupéré Molossa dans le creux de mes bras. Elle connaissait sur le bout de ses pattes le processus à suivre. Elle inclina sa tête sur la poitrine de ma belle blondinette.

 

  • Voyons Molossa, on ne se comporte pas ainsi avec les dames, ôte ta truffe poisseuse de là, et je glissai ma main dans l'échancrure du corsage afin d'éloigner l'intruse.

  • Non, non laissez, j'adore les bêtes, ce n'est pas la peine de retirer vos doigts non plus. Depuis que je suis prêt de vous, je me sens tellement mieux.

 

 

Nous arrivions devant la salle du conseil. Un huissier s'interposa « Les chiens ne sont pas admis qu'elle attende devant la porte ! C'est le règlement » D'elle-même Molossa s'assit, mais à la lueur de ses yeux je compris qu'elle réservait un homme de sa femme à ce fonctionnaire trop zélé.

 

 

Au bout de la table il restait six fauteuils vides. Nous nous assîmes et regardâmes nos pairs. Costume, cravate, gueule de tarés congénitaux, le genre de bobeaufs qui n'ont pas l'habitude de traîner dans les concerts rock. J'en étais là de mes analyses lorsque tout le monde se leva. C'était le Président. Le front bas et l'air vaguement idiot. Il tenait sous son bras une tablette informatique dont il ne savait quoi faire. Il résolut de la déposer contre un des pieds de son fauteuil.

 

 

«  Asseyez-vous. L'heure est trop grave pour que nous perdions du temps à présenter les nouveaux nominés. Monsieur Le Premier Ministre, voudriez-vous s'il vous plaît poser les problèmes un à un que je puisse indiquer les solutions idoines.

 

 

    • Des broutilles pour commencer, Monsieur le Président, dix millions de pauvres dans le pays.

    • Parfait, l'important est qu'ils gardent l'espoir de devenir riches. Le rêve est toujours préférable à la réalité.

    • Dix mille ouvriers réduits au chômage chaque jour.

    • Parfait, dans trois ans nous aurons résorbé la classe ouvrière en son entier. Qui pourrait s'opposer à ce que nous éradiquions les populations les plus fragiles de notre pays !

    • Certains jusqu'aux boutistes menacent de manifester dans l'ordre et la dignité !

    • Au moins on payera les CRS pour quelque chose. Rentabilité maximale. Mais vous vouliez, je crois, Monsieur le Premier Ministre, nous entretenir d'un problème nettement plus important que ces misérables affaires courantes que nous venons de traiter avec toute la pondération politique nécessaire.

      FIN DU TREIZIEME EPISODE

 

 

 

CHRONIQUES VULVEUSES

 

 

QUATORZIEME EPISODE

 

Résumé de l'épisode précédent : L'agent Damie Chad 009891 du SSRR ( Service Secret du Rock'n'Roll ) est envoyé de toute urgence en Ariège afin d'enquêter sur l'inquiétante entreprise terroriste de déstabilisation psycho-culturelle surnommée La Conjuration Vulvaire. Tous les faits rapportés dans cette oeuvre à enrobage littéraire affirmé sont tirés de la réalité la plus triste, les documents officiels de la justice et des gendarmes sont là pour en apporter la preuve définitive.

 

 

41

 

Le premier ministre se leva. Debout sous sa calvitie il avait l'air de ce qu'il était réellement, un avorton méphitique, un sale trouduc venimeux qui aurait été bien mieux à sa place dans un cul de basse-fosse.

 

 

    • Monsieur le Président, messieurs les Ministres, le pays court à la catastrophe. Certes nous avons triomphé de par le passé de graves menaces, je me permettrais de citer afin de raviver votre mémoire, communistes révolutionnaires, syndicats d'action directe, terroristes, qui tous ont été réduits grâce à une lutte sans merci et une vigilance sans défaut à ne plus représenter que de minuscules franges de l'électorat citoyen. Hélas, l'hydre de l'anarchie renaît sans cesse de ses cendres, coupez une tête, il en repousse cent. Les foyers de rébellions se multiplient. Nous avons récemment engagé un combat sans merci contre les deux plus importants foyers d'infection galopante.

       

 

Un murmure d'inquiétude s'éleva de l'assistance apeurée suspendue à ses lèvres.

 

 

    • Je suis à même de vous révéler les premiers reculs de nos adversaires. Nos Services Secrets ont parfaitement réussi leur grande manipulation sous-titrée La Conjuration Vulveuse. L'Affabuloscope du Mas d'Azil est aux abois. Son créateur se voit dans l'obligation de le revendre. Je vous rappelle que nous avons voulu faire un exemple. Claudius de Blanc Cap fait partie de ces artistes qui par leur travail de sape méthodique mettent en doute le bien-fondé de la nature accaparatrice de notre Système Libéral. Tout artiste qui refuse de se soumettre aux diktats de la Société est un ennemi intérieur. Platon ne refusait-il pas aux poëtes, le droit d'entrer dans la Rébublique idéale ? Soyez sûrs que les mésaventures de ce Claudius, dès qu'elles seront portées par nos soins à la connaissance du public aideront à freiner l'ardeur de l'esprit critique des autres artistes. Ils nous mangeront bientôt dans la main et ne cesseront de vanter nos mérites.

 

 

Des applaudissements polis vinrent clore la première partie de l'exposé du prunch ministre.

 

 

    • Ces maudits artistes ne sont pas les seuls à s'opposer à la liberté républicaine. Nous avons dû éliminer le SSRR, les services secrets du rock'n'roll, mis en place par un précédent gouvernement imprévoyant. Ce n'est que le début, d'ici quelques mois nous diminuerons de moitié, sous le faux-prétexte de pollution sonore, la possibilité de promouvoir des concerts de groupes de rock sur le territoire national. Notre saine jeunesse privée de tels lieux de perditions retrouvera ainsi le chemin de l'obéissance passive. Les radios sont à nos bottes. Le...

 

 

La porte s'ouvrit brutalement. «  Hi ! Hi ! Hi ! j'étais sûr de les trouver ici. » C'était le proc, vous l'avez deviné. Derrière lui s'affichait le sourire penaud de trois jeunes gens à l'air niais.

 

 

    • Agent 008, Monsieur le Président, en tant que chargé par votre auguste personne de veiller sur votre sécurité, je me permets de vous ramener les trois vrais nouveaux ministres, retardés par des encombrements incompréhensibles sur le Périphérique. Les trois zigotos mal fringués qui occupent leur place sont des imposteurs que je vais me faire un plaisir d'éliminer sur l'instant.

 

 

Et sur un dernier «  Hi ! Hi ! Hi ! », il exhiba de sa poche un bon vieux gros magnum des familles, qui n'était pas de champagne. Il le pointa vers nous. Une joie sadique se lisait sur son visage. « Voyons, lequel des trois vais-je supprimer en premier ? Hi ! Hi ! Hi ! » Ce fut le Chef qui trancha le dilemme.

 

 

«  Si vous le permettez, cher 008, je revendiquerai cet honneur. Périr de la main d'un bon tireur est une aubaine, en notre époque troublée. Toutefois, avant de tirer ma révérence à cette terre, j'espère que vous aurez le bon goût de me laisser me régaler d'un dernier Coronado, un simple N°1, un modeste cigarillo sans farce ni attrape !

 

    • Je vous accorde cette ultime faveur, car l'on se délecte davantage de l'échec de son ennemi lorsque la rage au coeur il fait face au peloton d'exécution que sur son cadavre qui ne ressent plus rien ! Mais trois minutes, pas une seconde de plus. Hi ! Hi ! Hi !»

 

 

Ce furent les trois minutes les plus longues de ma vie. Je l'avoue, j'avais les chocotes. Pour garder une contenance, l'air de rien, j'affectais de regarder au loin par la porte ouverte devant laquelle le Proc était planté, le pistolet au poing. J'osais espérer un ultime secours. Qui ne vint pas. La seule personne qui se présenta fut Molossa qui passa entre les jambes écartées de notre tireur d'élite en remuant la queue. Brave chienne, fidèle jusqu'à la mort, elle venait mourir dans les bras de son maître.

 

 

Le Chef alluma son cigare. Je remarquai que sa main ne tremblait pas. J'admirai son courage. Il exhala quelques bouffées de fumée avec cette tranquillité exaspérante et patronale du supérieur hiérarchique qui étudie son journal devant les sténos-dactylos accablées de travail.

 

 

«  Une minute, Hi ! Hi ! Hi ! »

 

 

Silence de mort dans la pièce. Le Chef ne releva pas le chronométrage du Proc. Il ferma les yeux en guise de délectation. A ma grande surprise, je devinai à son regard par en-dessous qu'en fait il suivait la marche nonchalante de Molossa qui slalomait entre les fauteuils des ministres en se dirigeant vers nous...

 

 

«  Deux minutes, Hi ! Hi ! Hi ! »

 

 

Un peu de cendre se détacha du Coronado et tomba sur le pantalon du Chef. D'un geste instinctif, il la rejeta à terre, cela ne dura qu'un dixième de seconde mais lorsqu'il reposa sa main sur le bureau, il tenait entre ses doigts un étrange objet. La tablette informatique que le Président avait déposée au pied de sa chaise et que Molossa nous avait ramenée dans sa gueule !

 

 

Ce fut comme une fusée, Molossa surgit de sous la table et bondit sur le Proc, le coup partit de travers mais ce fut le Premier Ministre qui l'accueillit, bien involontairement, entre les deux yeux. Si peu de cervelle se répandit sur la moquette que plus tard l'on se moqua de sa tête vide. Affolement généralisé, le Proc tirait dans tous les sens abattant au hasard quelques malheureux membres du gouvernement, plus l'huissier - qui lui avait interdit l'entrée - que Molossa ramena en le tirant par la jambe de son pantalon. Nous en profitâmes pour nous défiler du guêpier en courant, nos belles subjuguées par notre détermination accrochées à nos basques.

 

 

J'étais au volant de la limousines noire qui avait emmené nos trois demoiselles. La voiture du Proc juste derrière nous. A mes côtés par la fenêtre ouverte Claudius s'amusait avec mon Uzi, mais le capot blindé du Proc était à toute épreuve. J'étais à cent soixante sur les grands boulevards et l'enfoiré ne lâchait pas le morceau. Les pneus crissaient, mais le plus crispant c'était le Hi ! Hi ! Hi ! du Proc qui dominait le tumulte. Remarquez que le Chef commençait aussi à m'énerver. L'était assis derrière avec les trois donzelles, et tous quatre semblaient très intéressés par la tablette du Président qu'il avait posée sur ses genoux et dans le rétro, je le voyais pianoter, pénardos.

 

 

  • Chef, sauf le respect que je vous dois, ce n'est peut-être pas le moment opportun de lancer une recherche sur la vie sexuelle du poireau en Nouvelle-Calédonie sur Wikipédia !

  • Agent Chad ! Cessez de faire de l'esprit. Vous n'avez jamais entendu parler de la mallette présidentielle ?

  • Quoi ! - je fis une terrible embardée – vous voulez dire que Molossa a volé le dispositif de la force de frappe nationale !

  • Vous retardez d'une guerre Agent Chad. La bombe atomique est obsolète depuis plusieurs années. Nous sommes à l'ère des drones, aujourd'hui. Tenez, je tape la plaque d'immatriculation de la voiture de notre ennemi C0N 000 ARD, je frappe sur Entrée et c'est parti !

 

 

Il y eut comme un sifflement, un long tube d'acier venu d'on ne sait où survola notre voiture et s'encastra sur le véhicule du Proc. S'ensuivit une terrible déflagration.

 

 

    • Par contre ils ne fournissent pas la petite cuillère pour ramasser les morceaux, se désola le Chef. Voilà, c'est terminé. Tout est bien qui finit bien. N'est-ce pas mes chéries !

 

 

*

 

 

On n'entendit plus jamais parler de nos trois héros. Certains disent qu'ils sont entrés dans la clandestinité. D'autres qu'ils sont partis en Russie pour libérer les Pussy Riots de leur prison. Certains assurent qu'ils ont convolé en justes noces avec Roselyne, Brunette et Blondinette. Mais qu'ils ne furent pas heureux. Mais si, au coeur de la nuit, du plus profond de l'insomnie vous prêtez bien l'oreille, peut-être aurez-vous la chance d'entendre l'aboiement de Molossa, lancée sur une nouvelle piste...

 

THE END