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28/10/2020

KR'TNT ! 482 : JUDEE SILL / KEVIN AYERS / CHUC BAWOL / METAL 77 + HELENE CROCHET + BULLRUN / ROCKAMBOLESQUES

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 482

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

29 / 10 / 20

 

JUDEE SILL / KEVIN AYERS / CHUC BAWOL

METAL 77 + HELENE CROCHET + BULLRUN

ROCKAMBOLESQUES

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Sill n’en reste qu’une

 

Pas de meilleur titre pour Judee : Sill n’en reste qu’une, ce sera Judee Sill. Johnnie Johnstone la surnomme the original beatnik outlaw. Judee fait même la couve d’un numéro de Shinding!, c’est dire si Sill est culte. Alors autant prévenir tout de suite les bonnes sœurs et les pères la-morale : passez votre chemin, car l’histoire de Judee Sill est un fabuleux pied de nez aux convenances de la bien-pensance. Comme Steve Jones, elle cumule les fonctions : talent, sexe, délinquance et dope à gogo.

Johnnie Johnstone titre son hommage «Lopin’ through the cosmos», ce qui peut vouloir dire bondir dans le cosmos. Judee racontait jadis à un journaliste qu’elle portait un flingue sur elle, un 38 mm et qu’elle s’entraînait à braquer devant son miroir : «Mains en l’air !». Elle voulait avoir l’air dangereux - Okay mothesticker, this is a fuck-up - Elle foutait d’autant plus la trouille qu’elle travaillait le rôle du braqueur hystérique qui perd son sang-froid. Voilà comment elle se présentait au journaliste de Rolling Stone en 1972. Évidemment le journaliste croyait qu’elle blaguait. Pas du tout. Elle montait au braquo pour de vrai.

Rassurez-vous, des gens ont eu l’idée de faire un film pour raconter son histoire. Ça nous évitera de perdre du temps à lire des livres. Ils ont même déjà trouvé le titre : Judee Sill - How To Give My Heart Away, un titre qui reprend celui de son deuxième et dernier album paru en 1973.

Judee comprend très tôt qu’elle ne va pas pouvoir mener une vie normale. Elle grandit à Los Angeles à la fin des années 40 dans le bar que tiennent ses parents, mais c’est un bar de cloches où les gens se foutent sur la gueule et gerbent un peu partout. Ses parent picolent aussi, forcément. On est dans Vuillemin. Elle a 7 ans quand son père casse sa pipe en bois. On est donc aussi dans Zola. Sa mère se remarie avec un alcoolique qui a le sang chaud et la prune facile. Alors Judee entre en guerre contre les adultes qui lui pourrissent la vie. Il n’y a rien d’autre à faire. Se battre ou mourir. Dans ce bordel sans nom, mieux vaut se battre. Les altercations sont tellement violentes que la police et les journalistes débarquent régulièrement. Sa mère finit par la foutre en pension et c’est là qu’elle se met à fumer de l’herbe. Elle commence à fuguer et se marie à 17 ans. Elle raconte que son premier mari Larry s’est tué en faisant du rubber raft dans les rapides de la Kern River, alors qu’il était sous LSD - He was a Scorpio and a real adventurous. He died as he lived - Elle traîne ensuite avec l’ami de Larry, un nommé Spencer qui est trafiquant d’armes, he was extremeley psychopathic, il n’a peur de rien, he didn’t care about anything et ça fascine Judee. Ils commencent à pratiquer le petit sport du vol à main armée, ils braquent des stations services et des liquor stores. «Mains en l’air, mothersticker !». Alors évidemment quand elle raconte toute cette histoire, le journaliste se marre, jusqu’au moment où il s’arrête car il voit que Judee est sérieuse. Dead serious. Elle raconte ensuite qu’elle finit par se faire poirer. Elle atterrit dans une maison de correction pour filles. Une thérapeute l’encourage à développer sa conscience, mais Judee est loin du compte. C’est quoi la conscience ? Elle n’en a pas la moindre idée. Comme Spencer, elle se fout absolument de tout. Elle apprend néanmoins à jouer de l’orgue pour la messe du dimanche et neuf mois plus tard, on la relâche pour bonne conduite.

En 1963, elle bosse un peu, mais elle découvre surtout le LSD qui était encore légal à l’époque. Elle était d’autant plus partante que le LSD l’aidait à échapper à cette réalité qui lui faisait horreur. Elle s’installe avec son dealer qui joue aussi de la basse dans un groupe de jazz. Et comme les Texans du 13th Floor, elle prend de l’acide chaque jour, tellement elle trouve ça bien. Elle commence à perdre pied avec la réalité, ce qui est le but de l’opération. Elle rencontre ensuite Jim Pons, le bassiste des Leaves, un groupe que connaissent bien les garagistes. C’est Pons qui lui mettra le pied à l’étrier. Elle rencontre aussi un certain Bob Harris qui va devenir son second mari. Grâce à Bob, elle fait une autre rencontre déterminante : l’héroïne. Ils dépensent tous les deux 150 $ par jour d’héro, alors forcément, il faut fournir. Ils commencent par arnaquer des gens, puis Judee fait la pute, ça rapporte plus. Judee et Bob font pas mal de séjours au ballon. Un jour à Tijuana, de l’autre côté de la frontière mexicaine, Bob échange sa bagnole contre une dose d’héro tellement impure que les jambes de Judee s’infectent et gonflent comme des ballons. Quand elle finit par overdoser, les condés l’arrêtent pour escroqueries et usage de drogues. Direct au ballon. Personne ne veut payer sa caution. Elle appelle son frère Dennis à l’aide, mais il est mort d’un cancer du foie le jour où elle a overdosé. Zola n’aurait jamais pu imaginer une telle descente aux enfers. Mais le pire, c’est qu’elle doit subir le manque en taule, le fameux Cold Turkey : trois jours à vomir et à hurler de douleur, la hantise de tous les junkies - The worst fear I’d ever felt, dit-elle en frissonnant. Et c’est là pendant son séjour au ballon qu’elle décide de devenir songwriter. Dès qu’on la relâche, elle se tient à sa décision et se découvre une facilité à écrire des chansons. Comme elle n’a pas un rond et personne pour l’héberger, elle vit dans une bagnole avec 5 personnes qui se relayent pour dormir. Mais comme elle dit, c’est l’été et l’air conditionné marche encore dans la bagnole. Pour continuer de s’accrocher à son rêve, elle se met à lire et s’intéresse à l’occultisme, à la philosophie et à l’histoire des religions. Comme tous les gens qui ont morflé, elle cherche surtout à comprendre le sens de la vie. Elle pense qu’il doit en exister un. Et comme sa vie commence à changer, elle se met à y croire. Elle va même jusqu’à dire qu’une fleur de lotus peut éclore dans la boue. Sa seule carte, c’est Jim Pons. Elle le retrouve. Il fait alors partie des Turtles. Elle lui joue la chanson qu’elle a composée, «Dead Time Bummer Blues». Pons trouve ça balèze et lui dit de continuer. Judee revient avec une chanson encore meilleure, «The Circle Song». Pons la prend alors au sérieux. Un copain permet à Judee de travailler dans le studio de Pat Boone et avec un peu de peyote, elle se sent parfaitement à l’aise, les chansons coulent de source. C’est là qu’elle met au point ces merveilles que sont «Lady O» et «Crayon Angels», dont on va reparler plus loin. Puis Pons lui propose 65 $ par semaine pour composer des chansons, plus 500 $ cash d’avance et une guitare toute neuve. Les Turtles enregistrent «Lady O». C’est un hit ! Judee peut enfin louer un appart à San Fernando Valley et s’acheter une petite Austin. Puis Pons la met en cheville avec David Geffen qui vient de lancer son label Asylum. Contrat et premier album.

On comprend quand on l’écoute que ce premier album soit recherché. Il s’y passe des choses extraordinaires, comme chez Joni Mitchell ou Karen Dalton, des choses qui relèvent du folk-rock de damaged baby in the canyon. Elle y va franco de port à coups d’arpèges. Elle met ses arpèges au service du feeling. Elle gratte sa gratte dans l’herbe et pousse le bouchon de son délire, comme si elle voulait balayer tous les vieux genres. Son «Phantom Cowboy» est entraînant, mais ça reste très folky folkah. Elle chante au coin du feu, mais on la sent un peu barrée quand même. Elle gratte son «Archetypal Man» à l’envers du remugle et impose sa présence. Et soudain ça explose au grand jour avec «The Lamb Ran Away With The Crown». Elle chante son Americana avec ferveur, à la petite cavalcade, c’est à la fois très beau et très concassé. Et puis voilà un cut trop beau pour être vrai : «Lady O». Une merveille absolue, du niveau de «Pale Blue Eyes». Judee a un truc, un goût de la perfection et un son dément. Elle chante par monts et par vaux, elle épouse toutes les courbes. Elle termine cette A faramineuse avec «Jesus Was A Cross Maker», qu’elle chante avec la ferveur d’une Gospel Sister. Elle travaille son cut au corps et s’accroche à sa ferveur. Elle fait aussi du heavy blues avec «Ridge Rider». Elle semble baigner dans la grâce. Elle cultive la magie du songwrirer system à voix nue. Sa présence vaut bien celle de Carole King, même profondeur et même chaleur de ton. On peut même parler de fantastique présence. Elle nous embarque avec «Enchanted Sky Machines» dans la silly fantasy - If I told you some secret/ I’d told you I’m unreal - Le piano groove dans l’oss de l’ass et cette reine de la dope chante parmi les bouquets de cuivres. Elle termine avec un «Abracadabra» suprêmement orchestré.

Quand un album fascine autant, on guette les célébrations et les rééditions, car elles sont souvent accompagnées de bonus. On l’a vu avec Skip Spence, avec Jimi Hendrix ou Mansun : les bonus dépassent souvent l’entendement. C’est aussi le cas avec Judee Sill. Les bonus qui accompagnent la réédition de son premier album valent tout l’or du monde. On l’entend chanter en public et c’est inespéré. Un mec la présente : «A fine songwriter, Miss Judee Sill !». Elle chante son «Vigilante» à la glotte effarouchée. Elle assure comme une bête puis elle entre dans sa magie personnelle avec «O Lady». Les gens applaudissent. Hank you. Elle annonce «Enchanted Sky Machines» - About flying saucers - C’est pianoté à la force du poignet. On est frappé par la force de sa présence. Elle prend «The Archetypal Man» au petit arpège et ramène sa fraise avec la constance d’une reine de Judée. Elle chante à la pointe de sa délicatesse. Elle prend «Crayon Angels» au chant pur. Elle illumine son folk et gratte de l’arpège au kilomètre - From the train to astral plane - Elle chante libre comme l’air. On comprend qu’elle soit l’une des héroïnes de Shindig!. Elle rappelle ensuite que l’agneau s’est barré avec la couronne d’épines. Il a eu raison. Les gens de Boston ont dû l’adorer car elle a quelque chose de magique. Elle termine sur l’injonction christique de «Jesus Was A Cross Maker». Judee reine de Judée, silly Sill. Grâce à cette reine de la dope, Jésus retrouve sa crédibilité, car elle n’en finit plus de vanter son charisme christique.

Justement, parlons du live. JD Souther se souvient de l’avoir découverte sur scène devant 6 personnes et il parle de fascination. Judee n’était pas à l’aise sur scène, elle aurait préféré se tirer une balle dans la tête plutôt que de monter sur scène. Mais rapidement, elle s’adapte et fait des premières parties pour Jimmy Webb, Van Morrison, Tom Paxton et Crosby Stills & Nash.

Mais l’album ne se vend pas si bien que ça. Au même moment paraissent sur Asylum les premiers albums de Linda Ronstadt et des Eagles. La pauvre Judee passe à l’as. C’est à cette époque qu’elle donne ces fameuses interviews qui ont tant choqué les journalistes. Elle était à la fois franche, philosophe et drôle, et elle tranchait nettement avec la réputation des gens pour lesquels elle faisait des premières parties. Elle voulait réussir, bien sûr, mais pas à n’importe quel prix. D’où les tensions avec Geffen. Et très vite, la relation avec Geffen se détériore, car pour compliquer les choses, elle commençait à se faire des idées romantiques en louchant sur le beau David. À la suite de cette déconvenue, elle se met en ménage avec un poète nommé David Omer Bearden et compose des chansons qui par leur raw purity et leur emotional depth rivalisent avec celles de Sister Lovers, de The Velvet Underground et de Blood On The Tracks. Elle réussit à obtenir le concours de la crème de la crème des musiciens, Chris Ethridge, Spooner Oldham, Doug Dillard et Jim Gordon.

Son deuxième album s’appelle Heart Food et paraît en 1973. Disons qu’il est moins intense que le premier. S’il faut retenir un cut, ce sera «Down Where The Valleys Are Low», une sorte de heavy groove d’orgue. Elle drive ça à la perfection, avec un sens aigu de la puissance inexorable. Elle chante à l’unisson du saucisson et bat tous les records de véracité avec ses relances. Absolument génial ! C’est sur cet album qu’on trouve «The Vigilante» qu’elle chantait à Boston devant un public médusé. Elle est miraculeuse d’excellence. Elle chauffe chacun de ses accents montants avec une voix de petite hippie girl toxicomane, une voix dont on n’a pas idée. «The Kiss» bénéficie aussi d’une belle ampleur contextuelle. Si d’aventure tu croises Judee au paradigme, tu ne seras pas déçu. Elle pratique l’intensité comme d’autres pratiquent l’art de la guerre. Elle s’élève dans les strates du culte. En B, elle passe au groove de pop avec «Soldier Of The Heart». Elle récupère du son, du piano et des cuivres. Franchement, elle est gâtée. Judee Sill restera aux yeux du monde un insondable mystère : comment cette camée a pu composer des chansons aussi parfaites ? Elle termine avec «The Donor», the crepuscular labyrinthine requiem, un cut plus expérimental, une sorte de heavy groove à la dérive - So sad and so true/ That even shadows come and hum - C’est assez cohérent avec son histoire. On y entend délirer la drug babe, mais elle le fait à l’harmonie vocale.

Incroyable mais vrai : l’album ne se vend pas et Geffen la vire. Allez hop, à dégager ! Les chansons qu’elle avait prévu d’enregistrer pour son troisième album se trouvent sur Dreams Come True/ Hi I Love You Tight Heartily. Ces chansons n’apparaîtront que beaucoup plus tard, sous la firme d’un mini-coffret deux disques. Sur le disk des New Songs, elle cavale son «I’m Over». Elle n’a pas le temps, alors elle file, mais à fière allure. Cette fantastique nénette bouscule tout au passage et chante comme une égérie. Elle passe à la pop joyeuse avec «Things Are Looking Up», elle soigne sa réputation. Bon d’accord, on voit bien qu’elle cherche sa voie, mais elle le fait avec un réel swagger, celui des coudées franches. Elle sait partir en roue libre, elle jazze même un peu des hanches. Elle est à la fois parfaite et juteuse. Avec «Til Dream Come True», elle entre dans le rêve à sa façon, comme si elle s’armait de courage. Elle pianote dans l’air du temps mais chante avec beaucoup de tenue et de suite dans les idées. Elle montre des dispositions au génie, mais pour des prunes puisque l’album ne sortira pas. On tombe vers la fin sur une démo de «Living End» assez puissante qu’elle aplatit sous le vent. C’est beau comme un ciel dégagé, elle chante à la Sill. L’autre disk propose les Lost Songs. On retrouve le «Dead Time Bummer Blues», sa première compo qu’elle avait jouée à Jim Pons, un véritable ragtime de barrelhouse. Elle s’implique plus loin dans «Emerald River Dance», une mélopée arpeggiée avec soin. Elle groove toute seule comme une grande et reste désespérante de beauté. Mais c’est «Waterfall» qui rafle la mise. Elle joue la carte de la seulâbre avec une sacrée maestria. Elle épouse le caoutchouc de sa mélodie chant. Bon c’est du folk, mais cette dope Queen chante sa vie de patachonne mieux qu’aucune autre, avec une sincérité troublante. Elle fait aussi du blues de cabane branlante avec «The Wreck Of The FFV (Fast Flying Vestibule)». Elle utilise les mêmes arguments que les vieux blacks édentés en salopettes, c’est-à-dire qu’elle chante à la relance pour dire les choses, alors ça devient une œuvre d’art qui n’intéressera que les étudiants en sociologie. C’est alarmant de faiblesse. Sa voix est si faible qu’on craint pour sa santé.

Puis elle reprend son petit bonhomme de smack et traîne avec Brendan Mullen et la faune punk du Masque Club à Los Angeles. Elle fait des séjours fréquents à l’hosto suite à des accidents de voiture. Comme Karen Dalton, elle finit son parcours dans une caravane. C’est là qu’elle finit par overdoser.

Signé : Cazengler, Judy Shit

Judee Sill. Judee Sill. Asylum Records 1971

Judee Sill. Heart Food. Asylum Records 1973

Judee Sill. Dreams Come True: Hi • I Love You Right Heartily Here • New Songs. Water 2005

Johnstone : Lopin’ Johnnie through the cosmos. Shindig # 104 - June 2020

 

Va voir Ayers si j’y suis

 

David Wells raconte qu’en 1977, Kevin Ayers était à Berlin pour un concert au terme duquel il rencontra Iggy et Bowie qui séjournaient alors dans un immeuble gothique du quartier de Schöneberg. Ils achetèrent ensemble un bag de coke et pour le snif snaf, Kevin sortit de sa poche sa seule fortune, un billet 500 Deutchmarks. Il le roula et les trois snifèrent leur rail tour à tour. Bowie fut le troisième et il empocha le billet. En vrai dandy qui se respecte, Kevin Ayers ne moufta pas. Wells ajoute que là où Bowie et Bryan Ferry étaient déterminés à vaincre, Kevin Ayers penchait plutôt pour la bohème et après avoir revendu sa basse à Noel Redding, il mit les voiles et partit s’installer à Ibiza. Le biz ? Fuck that !

En 2019, Galen Ayers a décidé de rassembler quelques témoignages, quelques photos et les paroles de chansons de son père pour publier Shooting At The Moon, une sorte d’anti-livre. Galen s’en explique fort bien : son père lui indiqua un jour que toute sa vie était dans les paroles de ses chansons - Galen I don’t know anything of value, all the best of me, I’ve given to my songs. You’re better off listening to them than to me - Elle a donc pris ça au pied de la lettre et le premier ouvrage consacré à Kevin Ayers est donc un recueil de paroles de chansons. On ne pouvait imaginer hommage plus pertinent. Dans un texte de présentation, John Payne qualifie Kev de psychedelic innovator, de pop-choo-crooning sexpot et de moody-blue acoustic singer-songwriter. En fait toutes les possibilités sont admises, libre à chacun d’apporter les siennes. Robert Wyatt se fend aussi d’un petit texte magique : «His tunes as natural as aged-in-barrel folk-songs, but spiced with his great affection for Caribbean music and Charlie Byrd’s acoustic guitar playing. And his lyrics were always unpretentiously witty and wise - especially when delivered in his deep, authoritative bass range.» (Ses chansons semblaient avoir vieilli en fût de chêne comme de vraies folk-songs qu’il épiçait d’influences aussi diverses que la musique des Caraïbes et le son du guitariste Charlie Byrd. Ses paroles étaient toujours d’une sagesse impressionnante, d’autant plus impressionnante qu’il disposait d’une voix profonde de baryton). Et dans les dernières pages, parmi les hommages de gens célèbres se trouve celui de Nick Kent : «Kevin Ayers and Syd Barrett were the two most important people in British pop music. Everything that came after came from them.» Amen. Comme on dit dans ces cas là, la messe est dite.

Kev fait ses premiers pas dans les Wilde Flowers. Dans la compile parue en 2015, on peut l’entendre faire une cover de «Parchman Farm», mais il va à l’opposé de Cactus et de Georgie Fame, il la prend en mode décadent. Robert Wyatt bat ça jazz et ça devient une cover Dada pure. Nos deux larrons créent l’événement. C’est aussi Kevin Ayers qui chante «She’s Gone».

Selon Julian Clover, Kev est à l’époque des Wilde Flowers un séducteur en herbe, «the original denim shirt and medaillion man, absolutely gorgeous». Lors de ses années passées en Malaisie, Kev a développé un goût pour l’insouciance qu’il va ensuite cultiver pour devenir dandy dans l’âme. Quand il quitte les Wilde Flowers, c’est pour aller rejoindre Daevid Allen à Majorque. Il développe alors une manie : se volatiliser quand il ne faut pas.

On le retrouve néanmoins sur le premier album de Soft Machine. En 1968, il est le bassiste du groupe. Il chante aussi un peu vers la fin de l’album, notamment «Plus Belle Qu’une Poubelle», une glorieuse chanterelle impérialiste jetée dans le ciel d’Angleterre. Kev règne en maître dans cette foutaise digne de Foujita. On le retrouve dans «Why Are We Sleeping», où il s’endort sur les lauriers de Maldoror. Comme Mike Jeffery s’occupe à la fois de Jimi Hendrix et de Soft Machine, il envoie tout ce beau monde en tournée aux États-Unis. Robert Wyatt et Kev s’y livrent à tous les excès : booze and girls. Kev baise à la chaîne - So I was drunk every night with enormous quantities of girls at my disposal - Quand Soft fait sa deuxième tournée américaine, Kev arrête les excès pour passer à ce qu’il appelle the strict macrobiotic diet. Il ne supporte plus les excès de la vie sur la route et se planque dans sa chambre d’hôtel, comme le fait d’ailleurs Mike Ratledge qui lui lit des livres. Puis quand il voit que Soft pousse pour aller sur un son plus sophistiqué, Kev préfère disparaître de la circulation. Comme Robert, il préfère les mélodies - I didn’t like the free form things as much as the others did. I was much more into melody and nice sexy rhythms - Adios amigos.

Comme il ne se sent pas fait pour la vie de groupe, il entame en 69 (année érotique) une carrière solo avec Joy Of A Toy. Ce qui ne l’empêche pas de demander aux Soft de l’accompagner sur certains cuts comme par exemple «Song For The Insane Times», un balladif d’une infinie délicatesse. Robert Wyatt bat ça jazz. On a là l’un des sommets du rock anglais, la dynamique du drumbeat bat tous les records de dynamique. On l’entend aussi battre le beat de «Town Feeling», un balladif entreprenant de heavy dandy. Oui, car c’est la notion de dandysme qui ressort de cet album, comme elle ressort des deux albums solo de Syd Barrett. Dans «The Clarietta Rag», Kev couronne l’up-tempo de lauriers - She’s the queen of the mountain - et «Girl On A Swing» sonne comme une merveilleuse lullaby. On trouvera deux cuts hypno en B, «Stop This Train», battu en brèche par Rob Tait, et un «Oleh Oleh Bjandu Bandong» digne de Can et chanté en malaisien. On le sait, Kev a vécu une partie de son enfance en Malaisie. Encore une petite leçon de dandysme avec «The Lady Rachel» : «Now nothing can/ Harm her/ At least/ Not very much.»

C’est sur Shooting At The Moon paru l’année suivante qu’on trouve «May I», un balladif doux et tendre qui reste son hit le plus connu - May I sit and stare at you/ For a while/ I like the company/ of your smile - C’est un enchantement. Sur «Lunatics Lament», Kev vire rock, épaulé par Mick Fincher au beurre et Mike Oldfield à la guitare. Oldfield sait tirer sa note et pendouiller dans le tourbillon. Ça shoote sec at the moon. L’album est hélas coulé par des zones expérimentales assez imbuvables et non avenues comme «The Oyster & The Flying Fish», mais on observe un retour à la magie ayerienne avec «Red Green And You Blue». Kev est un être unique au monde, il swingue son goût pour la douceur de vivre et sa voix réchauffe le cœur. C’est avec le morceau titre en bout de B qu’il rafle la mise. Voilà un thème de jazz très élancé, joué à la Coxhill, très ayerien, un brin oriental, captivé au vent d’Ouest avec un brin de démesure à la Soft et une pression terrible du beat. Chacun joue avec assiduité, le côté baroque renvoie au Magic Band avec quelque chose de plus fin encore, de plus jazzy et de plus dandy. «Shooting At The Moon» illustre la toute puissance de l’underground britannique.

Paru l’année suivante, Whatevershebringswesing provoqua une légère déception. Kev fait un peu de prog en A avec son copain Malherbe de Gong et il faut attendre le morceau titre en B pour retrouver un peu de la magie des albums précédents. Robert Wyatt vient y faire des harmonies vocales, histoire de recréer les conditions d’une merveilleuse douceur de ton. Mais le reste n’est pas bon, pas même le «Stranger In Blue Suede Shoes». Dommage, car la pochette très Alice au Pays des Merveilles laissait présager de bonnes augures.

Le grand album classique de Kev est bien sûr Bananamour paru en 1973. Ouvre le gatefold et tu verras ce que le mot dandy veut dire en Angleterre. Ça ne s’invente pas. On l’est ou on ne l’est pas. Deux cuts mythiques se nichent en B, à commencer par «Decadence», certainement l’un des plus beaux hits de tous les temps, avec le «Domino» de Syd Barrett. C’est amené par une langue de son - Watch her out there on display - Aussi pur qu’un Lou Reed au temps de «Pale Blue Eyes - She lies in waterfalls of dreams/ And doesn’t question what it means - Le cut se berce d’illusion. Ce coup de génie vaut bien «Walk On The Wild Side», d’autant que Kev porte un toast à Marlene - Drink it to Marlene - Puis il rend hommage à Syd Barrett avec «Oh What A Dream» - You are the most extraordinary person/ You write the most peculiar kind of tunes - Puis Robert Wyatt revient faire des voix derrière Kev dans «Hymn». On trouve aussi deux merveilles en A : «Don’t Let Get You Down» et «Shouting In A Bucket Blues». On retrouve Doris Troy dans les backing vocals. Le Don’t Let est monté en neige aux chœurs et aux cuivres. Nous voici au sommet d’un certain art londonien qui est celui de la chanson parfaite. C’est Steve Hillage qui joue lead sur Bucket Blues, une nouvelle merveille de dilettantisme. Aw comme Kev chante bien - I’m sorry for myself/ I’m sorry for you too/ So I sing for everyone/ Who feels threre’s no way/ Out / Maybe if you all shout/ Someone will hear you.

En 1974, Kev débarque sur Island et c’est avec The Confessions Of Dr. Dream And Other Stories qu’il crée un team de rêve avec Ollie Halsall. Nick Kent qualifia même cet album de «most formidable recorded work to date». Doris Troy fait aussi partie de l’aventure. Ce sont les chœurs qui font le charme du «Day By Day» d’ouverture. Puis Ollie fait des siennes dans «Didn’t Feel Lonely Till I Thought Of You». Kev shoote un petit coup de «Why Are You Sleepling» dans «It Began With A Blessing», et ça donne un groove de rêve éveillé. Nico ramène une atmosphère particulière dans «Irreversible Neural Damage», quelque chose de très ancien qui remonte aux chevaliers teutoniques. Kev tente d’adoucir l’ambiance avec sa chaleur naturelle, mais ce n’est pas facile. Puis il tente le coup de Babaluma avec «The One Chance Dance». Mike Giles et Ray Cooper fourbissent un background de belle allure.

De la façon dont on mise sur un cheval, Island mit le paquet sur Kev. Comment ? En lui attribuant une face entière sur l’album live enregistré au Rainbow le 1er juin 1974, avec John Cale, Eno et Nico. Sur la pochette, on les voit tous les quatre, dûment agglutinés. Pour la petite histoire, il faut savoir que Kev baisa la femme de John Cale la vielle du concert et John Cale le vécut si mal qu’il en fit une chanson, «Gut», sur Slow Dazzle, où il évoque the bugger in the short sleeves. Bon, l’A du live n’est pas terrible, Eno fait son cirque avec «Driving Me Backwards» et «Baby’s On Fire». Il s’en donne à cœur joie et il connaît toutes les ficelles de caleçon. Mais on n’est pas là pour entendre ses conneries, et encore moins celles de John Cale qui vient nous pomper l’air avec son maudit «Heartbreak Hotel». Ça empire encore avec Nico et son harmonium : elle massacre «The End» des Doors. On retourne vite fait la galette de Pont-Aven et le soleil revient avec «May I». Avec Kevin de table, tout redevient normal. Grosse bouffée d’air - I like your company and your smile - Ce mec a bien failli devenir une superstar. Mais il n’a pas voulu - That was Island’s attempt to make me a star - Son groove est une merveille de distanciation, un réconfort après le n’importe quoi des trois autres. Ollie Halsall joue le jeu à merveille. C’est l’un des grands guitaristes anglais. Pas surprenant qu’il soit avec Kev. Fuck, écoute Ollie jouer ! C’est une fête pour la cervelle. L’association Ollie/Kev est l’une des grandes réussites de l’histoire associative, comme Bowie/Ronson ou encore Hell/Quine - fatigué et mal au cul - Kev chante en français, il est indécent de classe liquide et naturelle. Quel power ! On retrouve ce team déterminant dans «Shouting In A Bucket Blues». Ils y vont de si bon cœur, no place to go. Ollie va se percher au sommet de son art et se paye des descentes de jazz. Idéal pour un groover génial comme Kev. Il enveloppe sa pop dans un son très personnel, très chaud et très fouillé. Ollie vole le show avec un demented de bon allant et le voilà qui part en roue libre ! L’air de rien, Kevin Ayers semble ramener la sainte parole du Christ dans le monde moderne. On ne peut pas s’empêcher de penser que le Christ avait la même voix, une voix qui inspire la paix profonde. Et le public du Rainbow se met à claquer des mains dans «Stranger In Blue Suede Shoes». C’est adroit et joué à la cloche de bois.

En 1975, John Reid, manager d’Elton John et de Queen, prend le destin de Kev en charge et met les bouchées doubles pour la promotion de Sweet Deceiver. Reid essaye de vendre Kev comme le pretty boy de service et vise le big time. Mais c’est mal connaître le dandy qui se sent mal dans ce climat de business. Il voit bien qu’on essaye de le transformer en pop star - It just wasn’t me. I didn’t fit the picture - Même réaction que Syd Barrett face à la goinfrerie du biz. Kev se sent comme un jouet dans les pattes de Reid qui est devenu un homme très riche - And he proceeded to totally destroy my career. On ne trouve effectivement pas de hit sur Sweet Deceiver, mais pas mal de bonnes chansons. Ollie visite «Observations» à coups de vent d’Ouest, mais de vieilles tendances proggy reprennent le dessus. Puis avec «Guru Banana», Kev s’installe dans le confort de la pop anglaise désinhibée. Il nous fait aussi la grâce d’un heavy balladif avec «Toujours La Voyage», typical Kev, doucement illuminé par le jeu subtil d’Ollie. On note qu’Elton John joue du piano sur ce cut et c’est donc forcément de haut niveau. Le morceau titre qui ouvre le bal de la B semble plus décidé. Ollie épouse bien le chant et joue son va-tout en permanence. Kev chante comme un dieu grec. Encore une merveille de balladif éclairé avec «Dimished But Not Finished». Ollie le gratte à coups d’acou - Hey babe nothing to say but words/ And I could just play with words all day - «Circular Letter» renvoie au Dada d’antan et avec «One Upon An Ocean», Kev va sur le Blue Beat. Mais attention, ce n’est pas fini, car Ollie vire Brazil avec «Farewell Again (Another Dawn)». Il joue comme un dieu des îles. Finalement, on a là un album assez extraordinaire. Le team Ollie/Kev gagne à tous les coups.

Kev s’installe à Majorque et resigne avec Harvest en 1976 pour enregistrer Yes We Have No Mananas. C’est là qu’on trouve sa version d’une chanson de Marlene Dietrich, «Falling In Love Again». Il chante ça au baryton légèrement Brazil, avec un peu de May I. C’est d’une nonchalance extraordinaire - Girls flutter to me like moths around a flame/And if they get their wings burnt/ I am not to blame - Et il a raison. Ollie et là, avec Rob Townsend et Charlie McCracken de Taste pour jouer «Stars», une pop qui accroche bien. Kev finit son «Mr Cool» avec du bana banana en souvenir de l’âge d’or de Soft. BJ Cole vient jouer une belle partie de slide dans «The Owl», chef-d’œuvre de soft pop à la Kev - Oh what a beautiful owl you are - Il reste dans la pop fraîche comme de l’eau de roche avec «Love’s Gonna Turn You Round». Avec un mec comme Kev, ça coule tout le temps de source. C’est une bénédiction, sa pop sent bon la liberté et les choix de vie bien assumés. La B pêche un peu par manque de répondant, même si Ollie joue du banjo demented dans «Ballad Of Mr Snake». Kev termine ce bon album avec «Blue», un cut encore une fois doté de chœurs célestes et de wild guitar à la Ollie.

Bel album que ce Rainbow Takeaway paru en 1978. Kev était déjà passé de mode, mais ses fans le suivaient. Il a du beau monde derrière lui : Ollie, of couse, l’ex-Taste Charlie McCracken on bass et l’ex-Family Rob Townsend on drums. L’album se met à groover dès «Blaming It All On Love». Ce dandy décoloré entre dans la danse de sa samba of no excuse. Fabuleuse profondeur de champ ou de chant, c’est comme on veut. On a là tout ce qu’on peut attendre d’une samba décadente. C’est même terrifiant de pureté évangélique. L’impression d’entrer dans un grand album se confirme avec «Ballad Of A Salesman Who Sold Himself». Kev est comme Robert Wyatt un artiste profond dans lequel il fait bon se plonger. Comme certains lagons, ils regorgent tous les deux de perles. Le cut se termine en heavy drive de jazz. Il embraye avec le gros beat désargenté d’«A View From The Mountain» et remet la gomme avec le morceau titre, une espèce de faux-country romp with Ollie Halsall’s guitar heroics. Avec un artiste aussi complet que Kev, il faut rester sur le qui-vive. Il peut ramener dans sa pop des cuivres introvertis. C’est encore une fois du stuff de dandy. Rien d’aussi puissant dans l’exercice de la fonction. On reste dans le dandysme patent avec «Waltz For You», une dérive organique chantée au croon de baryton kevinien. Même le heavy beat reggae de «Beware Of The Dog» passionne, le dandy sait driver son beat dans la vulve du son avec un tact qui laisse songeur. Il rattrape tous les coups au son de sa voix. Il transforme n’importe quelle «Strange Song» en merveille de top of the hill. Il chante cette eccentric little vignette fabuleusement déliée au violon d’une manière qu’il faut bien qualifier d’exemplaire. Puis il fait comme les Beatles, il nous souhaite à tous Goodnigh sleep tight. Malgré d’indéniables qualités, l’album ne marche pas. Eh oui, c’est le temps d’Anarchy In The UK et le pauvre Kev est passé de mode - The best of punk rock is great. I was rather out of context. I kept working but obviously it wasn’t working. I mean, another generation had just clocked in, you know ?

Deux ans plus tard, il revient en Angleterre enregistrer son ultime album Harvest, That’s What You Get Babe. L’album semble mal barré avec le morceau titre : trop de synthés. On est à la limite du joke. Il faudra attendre «Miss Hanaga» pour retrouver le croon et sa façon unique de gérer le groove sans avenir. C’est là qu’il sait se rendre indispensable. «When Do The Stars End» sonne aussi comme un dream come true. Extraordinaire merveille de late nite. C’est une pop inévitable, le sommet de l’art du so far from home - Far/ From/ Home/ Why am I feeling so far from home ? - Il enroule son so far à la magie chaude du shooting at the moon - Love is that stranger/ Who comes looking at your door - Il est aussi capable de petits cuts ineptes comme «Where Do I Go From Here» où il perd son aura et il atteint des sommets de la connerie avec «You Never Outrun Your Heart», indigne du dandysme de Canterbury. Il revient pourtant incidemment à son art profond avec cet enchantement qu’est «Given And Taken». Il enrobe son chant dans l’excellence d’un groove de taken. C’est mélodiquement très puissant, ça sonne comme une belle échappée belle bien nappée d’orgue. Il reste dans le groove avec «Super Salesman» et le swingue à sa mode. Il parle d’expansive trash et de big mustache. Il se fout du showbiz, don’t worry about your money, et au fond du cut, on entend Ollie jouer les virtuoses à l’ongle sec. Tiens on parlait de money, alors voilà «Money Money Money». On se croirait chez les Pogues avec le stomp de pub et le banjo, idéal pour un dandy on the loose comme Kev. «I’m So Tired» dégouline de son bizarre, mais notre dandy préféré s’en accommode à l’expectative. C’est un chef-d’œuvre de dandysme décadent - I’m losing contact with my head - Il chante au meilleur calling day.

En 1983, Kev est si pauvre qu’il accepte d’enregistrer un album en Espagne aux conditions du commanditaire : ses musiciens et son producteur. L’album s’appelle Diamond Jake And The Queen of Pain. Il ne fait qu’un seul commentaire : «I was very poor at the time, so I had to do it. And that’s really all there is to it.» Comme il dit, pas grand chose à ajouter. Ollie fait partie de l’aventure. Kev rend un étrange hommage à Dylan avec «Lay Lady Lay» et fait ensuite son vieux gator au fond d’un cut inepte qui s’intitule «Who’s Still Crazy». Malgré la prod désastreuse, Kev parvient à garder son cap mélodique avec «You Are A Big Girl», une merveille de good time music des Baléares et «Stepping Out» en B. Mais le reste ne va pas bien du tout.

Déjà… Vu fait partie des albums de la période espagnole. Disons qu’il s’agit d’un album exotique. Avec «Champagne And Valium», Kev fait du heavy blues de Mallorca avec Joan Bibiloni à la guitarra, mais il se pourrait bien que ce soit lui, le Kev, qui joue le leada guitarra de la cabana. On retrouve ce grain de voix parfait qui fait de lui l’un des crooners suprêmes d’Angleterre. Il y a du son, sur cet album, car Ollie est là, c’est même lui qui fait tout, la baterra, le bajo, les coros, la guitarra sur «My Speeding Heart». Par contre, la version de «Lay Lady Lay» est un peu pénible. On l’écoute uniquement parce que Kev la chante. Avec «Take It Easy», Kev fait son petit cours de philo - Run run you get nowhere - alors just take it easy. Joli solo de Jorge Pardo, un Pardo qui ne pardonne pas. Beau final aux chœurs de run run run you’re running nowhere et de sax. Kev est un peu comme Mitch Ryder, il travaille sa matière au corps, c’est en tous les cas ce que montre «Stop Playing Wth My Heart». Sur ce doux délire de mambo majorquais, il crée une sorte de sensation anglaise. C’est très impressionnant. Il termine cet album inclassable avec «Be Aware Of The Dog», une sorte de mambo rocky à la Kev assez bien balancé, typical Kev scum. C’est chanté, très anglais dans l’esprit. Belle ambiance de farniente méditerranéen, sa spécialité, en fait. Une façon de vivre qui ressemble souvent à une leçon de maintien. Kev cultiva sa vie durant un art de vivre et comme il le dit si bien à sa fille qui voulait l’interviewer : tout est dans les chansons.

Sur As Close As You Think paru en 1986 se trouve une merveille décadente intitulée «Too Old To Die Young». Kev fait basculer un heavy blues dans la décadence. Le solo d’Ollie Hallsall vaut pour une merveille dévorante. Il claque ses notes avec un gusto infernal, il joue un solo baroque d’une grandeur tutélaire. L’abnégation d’Ollie donne tout le sel au poivre et Kev reprend la main avec expertise. On sent l’Ollie dès «Stepping Out». Il illumine le vieux balladif twangy. Pas de problème, va voir Ollie si j’y suis, c’est pareil qu’Ayers. Ils montent leurs coups ensemble, comme de vieux complices. Cet album est enregistré à Londres chez Boz Borrer et l’ex-Family Poli Palmer bat le beurre. Avec «Fool After Midnight», le dandy reprend la main. Il dit en gros qu’il devient con après minuit. «Only Heaven Knows» correspond exactement à ce qu’on peut attendre d’un vieux dandy : il swingue son game dans son coin, mais il est important de l’écouter, car il entre dans la caste des légendes vivantes. Il termine cet album mi-figue mi-raisin avec des cuts synthétiques assez indigestes, pour ne pas dire ignobles. Mais il calme le jeu avec le «Budget Tour (Pt 2)» gratté à coups d’acou - Carry me away ! - Il demande qu’on l’embarque. Vieux truc de dandy qui ne répond plus de rien. Les pulsions s’y révèlent latérales et même unilatérales.

Une bonne surprise attend l’ayerien transi sur Falling Up paru en 1988 : une confession de foi qui s’intitule «Am I Really Marcel». Kez s’y définit - I’ve got no ambition/ Guess I’m out of place/ Cos I’d rather go fishing/ Than run the race - Et il ajoute, la bouche en cœur : «For what we call progress/ We’re selling our soul.» Ollie arrive à point nommé. C’est une ode à la liberté. Nous devrions tous en prendre de la graine - Just working fir money/ Working for pays/ All seems so pointless/ Day afer day - L’autre merveille se trouve aussi en B : «Do You Believe», monté sur un bassmatic de dub joué par rafales sporadiques. Idéal pour un groover génial comme Kev. Ollie rôde au fond du son comme une âme en peine. Le chant sert uniquement de prétexte à groover - Got to believe/ Got to Beleive/ In something - L’album est enregistré an Espagne avec Ollie in tow. Encore de la belle pop bien foutue avec «The Best We Have». Dommage que la prod soit si pourrie. Kev nous propose ensuite «Antother Rolling Stone», l’un des ces balladifs irrésistibles dont il a le secret. C’est là qu’il fait la différence, avec une chaleur de ton et une façon de faire sonner son heart full of moonshine. Fameux chanteur et Ollie claque l’un de ces petits solos d’orfèvre dont il a le secret. Ils pompent le «Night Clubbing» d’Iggy pour «Night Fighter», mais c’est surtout pour Ollie une belle occasion de s’exprimer. Il sort toute sa collection de riffs.

Si on écoute le Still Life With Guitar de 1992, c’est probablement pour la version superbe d’«Irene Good Night», hommage que rend Kev à Lead Belly. Hommage d’un géant à un autre géant. Il faut aussi le voir chanter «When Your Parents Go To Sleep» comme un vieux renard du désert. On est là au mieux des conditions climaxiques. Ça groove au maximum des possibilités, comme si on se trouvait dans le studio des Stones. On croirait entendre Jagger et sa ragged company. Kev fait son petit shout à la Dead Roses. Il chante aussi «M16» de l’intérieur du menton, comme seul sait le faire un Soft Machinist et avec «Don’t Blame Them», il part en mode jazz-band. Bien vu ! Robert Wyatt serait fier d’y participer. On se sent bien dans cet album et ce, dès «Feeling This Way». Kev sait jiver son vieux London gut. Il n’a rien perdu de sa main verte, just don’t know. C’est excellent, il garde la main sur ce London groove digne de Syd Barrett. S’ensuit un «Something In Between» très laid-back, pianoté dans l’âme et qui inspire un respect infini. Il chante «Thank You Very Much» du fond de son baryton. C’est fantastique de chaleur humaine, magic nation, il n’y a que lui pour chanter un truc aussi balèze que magic nation. Il passe au Cajun avec «There Goes Johnny». Il jette tout son gut dans la balance, l’accordéon rageur est l’indicateur d’un bon vouloir. Avec Kev, il faut toujours s’attendre à de bonnes surprises. Il gratte ensuite sa vieille gratte pour lancer son «Ghost Train» et le faire entrer dans sa gare. Kev est l’un des songwriters les plus puissants de l’empire britannique. Il gratte l’«I Don’t Depend On You» jusqu’au bout du drinking wine/ Wont you please tell me why qui rime si richement. On trouve trois bonus tracks à la sortie du magasin, dont l’excellent «Running In The Human Race». C’est la récompense du renard qui gratte sa vieille gratte dans les tempêtes du désert.

L’ultime album de Kevin Ayers paraît en 2007 et s’appelle The Unfairground. Pas d’Ollie à bord, car Ollie est mort. Ça grouille de coups de génie, à commencer par le dernier cut de l’album, «Run Run Run», fantastique clameur de fin de non-recevoir qui se termine en apothéose de clap-hands et de chœurs, alors qu’une bassline traverse tout ça comme si de rien n’était. Même chose avec le morceau titre qui sonne comme de la vieille grenaille de vieille garde. C’est le groove du dandy. Pas de meilleure expression du dandysme moderne que celle-ci, c’est une merveille de chaloupage balancé, you step outside of me, il sait de quoi il parle, let’s try another take, encore une expression de la béatitude, il revient toujours à son bottom baby et le bottomera jusqu’à la fin. Les descentes sont vertigineuses. Il démarre cet album faramineux avec «Only Heaven Knows» qu’il joue au gratté qui va et qui vient entre les reins d’un groove salué aux trompettes mariachi. Terrific ! The last dandy on earth ? Si Peter Perrett n’était plus de ce monde on dirait que ouiche, the last dandy on earth. Il chante «Cold Shoulder» au baryton des jours anciens. C’est même jugulé dans le juju du sableur et la trompette traîne la savate à la parade. Comme cette trompette lèche bien la prunicule du son ! Énorme ! Il chante son «Baby Come Home» de tout son cœur. C’est chaud et admirable, baby won’t you please come home, la trompette le suit à la trace, au fin du fin de la décadence sentimentale, baby won’t you please come home/ To/ Me. Fantastique allure que celle de «Wide Awake». Beaucoup de monde derrière et des chœurs sublimes. C’est d’un niveau si infiniment supérieur, une pop géniale et éclatante de bonne santé. Après tout ce temps, Kev aligne encore des hits, tiens, comme ce «Walk On Water» - But you know it’s only a show - Il sait de quoi il parle. Il donne une belle leçon de tenue avec cet énorme hit de funny face. Et ça continue avec «Friends And Strangers» - Funny how situations change - Il raconte ses souvenirs avec une telle abnégation ! On nous parle beaucoup de songwriters ici et là, mais ce sont des gens comme Kev qui font le sel de la terre. Une guitare jazz l’accompagne au long de ce big atmospherix. Cet album scintille comme un phare dans la nuit.

Le petit conseil qu’on pourrait donner aux ayerophiles serait d’écouter deux ou trois compiles, car il s’y trouve des préciosités qui valent leur pesant de cacahuètes en or, tiens par exemple Odd Ditties, un Harvest bourré d’outtakes paru en 1975 qui présente l’avantage de ne pas faire double emploi. Bien sûr on y croise le fatigué et mal au cul de «Puis-je», mais le «Stranger In Blue Suede Shoes» sonne vraiment comme un hit du Velvet. Ce sont effectivement les accords de «Waiting For The Man». On retrouve la fraîcheur de Kev dès «Soon Soon Soon», un cut prévu pour Joy Of A Toy et éjecté. On est en 1969. Encore un éjecté, «Singing A Song In The Morning», chanté à plusieurs voix d’hommes. Admirable. «Gemini Child» aurait dû atterrir sur Shooting At The Moon et on se demande bien pourquoi il atterrit ici. C’est excellent, on sent nettement la fierté du son et la clarté des intentions. Tous ces exclus sont des petites merveilles. En B, il duette avec Bridget St John sur «Jolie Madame» et il fait de l’exotica avec «Fake Mexican Tourist Blues». Fantastique sens de la dérision, il n’hésite pas à sortir son plus beau wanita banana. Et voilà un «Don’t Sing No More Sad Songs» viré de Bananamour, on se demande bien pourquoi. Dommage, car ça sent bon la décadence. Il boucle cette merveille lancinante au shoo be doo wah. Quel bel univers de pop anglaise.

Pour finir en beauté, on peut s’offrir un petit shoot d’élégance avec Singing The Bruise. BBC Sessions 1970-72, un compile parue en 1996. Ne serait-ce que pour y retrouver deux cuts de Soft, «We Did It Again» et «Why Are We Sleeping». Robert fait partie de l’aventure et Kev chante comme on le sait, à la perfection sensorielle. Dans «Gemini Suite», on entend Mike Oldfield on killer bass fuzz. Avec la décadence orale de Kev par dessus, ça donne un cocktail infiniment capiteux. «Oyster And The Flying Fish» est nettement plus calme. Archie Legget accompagne Kev qui gratte la guitarra a la playa. Et dans «Butterfly Dance», on le sent très retiré du monde. C’est un plaisir irradiant que de retrouver «Whatevershebringswesing», car c’est la chanson parfaite, d’autant plus parfaite que Kev la chante à la perfection. Merveille absolue, il n’existe rien de plus pur au plan mélodique - You ! You-ouh/ I’m talking to you/ Just for somthing to do - C’est d’une classe qui n’en finit plus de nous appeler à kel point Kev est un king. Il aura chanté toutes ses chansons pour de vrai. Et dans les BBC sessions, il se sent encore plus libre, alors c’est encore plus pour de vrai.

Signé : Cazengler, Kevain dieu la belle église !

Wilde Flowers. ST. Floating World Records 2015

Soft Machine. The Soft Machine. Probe 1968

Kevin Ayers. Joy Of A Toy. Harvest 1969

Kevin Ayers. Shooting At The Moon. Harvest 1970

Kevin Ayers. Whatevershebringswesing. Harvest 1971

Kevin Ayers. Bananamour. Harvest 1973

Kevin Ayers, John Cale, Eno, Nico. June 1, 1974. Island Records 1974

Kevin Ayers. The Confessions Of Dr. Dream And Other Stories. Island Records 1974

Kevin Ayers. Sweet Deceiver. Island Records 1975

Kevin Ayers. Yes We Have No Mananas. Harvest 1976

Kevin Ayers. Rainbow Takeaway. Harvest 1978

Kevin Ayers. That’s What You Get Babe. Harvest 1980

Kevin Ayers. Diamond Jake And The Queen of Pain. Charly 1983

Kevin Ayers. Déjà… Vu. Blau 1984

Kevin Ayers. As Close As You Think. Illuminated 1986

Kevin Ayers. Falling Up. Virgin 1988

Kevin Ayers. Still Life With Guitar. FNAC 1992

Kevin Ayers. The Unfairground. Lo-Max 2007

Kevin Ayers. Odd Ditties. Harvest 1975

Kevin Ayers. Singing The Bruise. BBC Sessions 1970-72. Band Of Joy 1996

Shooting At The Moon. The Collected Lyrics Of Kevin Ayers. Faber Music 2019

 

HOLLOW

BAWOL CHUC

 

Un groupe peut en cacher un autre. Les êtres humains possèdent plusieurs facettes. Certaines s'interpénètrent. Ainsi Chuc Bawol bassiste de Trash Heaven. Pour lui c'est facile de s'en rendre compte. Les pochettes des deux CD's de Trash Heaven, lui sont créditées. Musicien certes, mais aussi graphiste. Pas besoin d'une longue enquête pour dénicher son FB : Chuc Bawol Art.

Il existe deux sortes de créateurs ceux qui projettent leur monde intérieur sur le monde objectivé et ceux qui se laissent assaillir par l'extérieur du monde. Nous classerions les premiers parmi les contemplatifs et les second parmi les réacteurs. Ou s'imposer ou réagir. Nietzsche parlait d'apolliniens et de dionysiaques mais il se situait à un niveau d'appréhension métaphysique beaucoup plus élevé. Il est évident qu'il n'existe point de formes pures et donc ni de réalisations oeuvrales parfaites de ces deux postulations.

LES OBJETS FINIS DE CHUC BAWOL

Ou dépassés. Ou ajoutés, pour plagier l'expression réalité augmentée. La première photo permettra au lecteur de mieux comprendre. Une machine à laver transformée en boîte à livres. Nous sommes dans le réel le plus immédiat. En plein dans la mode du recyclage. Une idée généreuse semble-t-il, j'offre à qui le voudra ces bouquins qui ne m'intéressent plus, qui exprime la face sombre d'une réalité culturelle d'une société qui lit de moins en moins, lecture en voie de désaffection, le livre n'est plus un vecteur qui attire, l'on s'en débarrasse car l'on a encore – plus pour longtemps - honte de le jeter à la poubelle. Les objets nous trahissent en tant que moments d'espèce sociale, beaucoup plus que nous ne les améliorons...

Chuc Bawol me dément aussitôt à l'image suivante, l'a enjolivé des enjoliveurs de voiture. Retrouve en peignant d'adorables chiots l'art des bonbonnières cher aux dix-huitième siècle, quand le mignon rejoint le mignard. Descend de quelques siècles, jusqu'à taper dans l'antique en transformant des robots de cuisine en colonnes doriques, la cuisine est un temple où de vivants piliers... dixiset Baudelaire... Chuc Bawol est un intervenart, travaille pour le plaisir et à la commande, sur tous supports en utilisant de nombreuses techniques.

Chuc Bawol serait-il un adepte de l'art populaire au sens le plus noble de ce terme, il a même peint la girafe, plus l'éléphant, le lion, le tigre et le singe... non pas ceux du zoo de Vincennes, mais les éléments de ces manèges d'enfants de l'ancien temps sur lesquels vous avez peut-être usé vos couches-culottes. Nous avons oublié l'importance de l'art forain, aux moments de la déchristianisation du peuple il a établi la passation de pouvoir entre l'art didactiquement religieux des églises, proposant de premières icônes rutilantes d'un exotisme barbare ou de la modernité mécanique, à ce qui deviendra le dessin et la peinture publicitaires. Il existe une similitude entre le gospel qui sort des églises noires pour devenir blues, jazz, rhythm'n'blues et le rock'n'roll qui se répand en notre pays par l'entremise des fêtes foraines. Chuc Bawol s'adonne avec autant de plaisir aux images des premières voitures du siècle qu'aux festons, diadèmes, et médaillons qui ornent les attractions et les baraques à friandises, et comme le serpent de l'art se mord souvent la queue, ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi les baraques à gaufres sont toutes estampillées du nom de leur soit-disant propriétaire Mignon. N'avez-vous jamais dressé la généalogie qui nous mène des tableaux de Boucher aux représentations – Chuc Bawol n'y manque pas - des pin-up kallipyges. Vous vous en doutez Chuc Bawol customise aussi les instruments de musique : guitares, batteries...

L'OBJET INFINI DE CHUC BAWOL

Attention, un troisième train peut survenir après un deuxième. Chuc Bawol ne se contente pas de tenir la basse dans Trash Heaven. L'a son propre projet musical. L'a déjà confectionné la pochette du futur opus. L'enregistrement n'est pas terminé. Le confinement lui a interdit l'accès au studio... Sur son compte personnel sur Y.T. ChuckyDozArt sont entreposées deux vidéos.

D'abord la coupure. Ce n'est pas une œuvre de Chuc Bawol, c'est Chuc Bawol qui présente Hollow. Il est des titres qui sont comme des échos, entre Bawol et Hollow il existe une sonore correspondance. Je suis Hollow et je ne le suis pas. To be and not to be. Quand on se souvient que hollow signifie creux, la complexité se creuse. Le trou qui n'est pas existe-t-il, le néant est-il ?

L'imagerie nous aide-t-elle ? Une forme se dresse sur un rivage de fin du monde. Blanche et humaine. Ce que les anciens nommaient une ombre. Possède toutefois deux tentacules élancés. Telle la statue de la liberté elle lève la main. Démunie de torche. Au premier abord j'ai cru qu'elle tenait un œuf, c'était juste le contraire, la forme ovoïde est celle d'un crâne humain. Et puis cet œil rouge, ce large hublot au milieu de la poitrine, qui n'est pas sans rappeler celui de 2001 Odyssée de l'espace... Serions-nous donc après. Après notre propre présence.

Le titre en lettres blanches n'est pas d'un grand secours. The infinite cycle, qu'est-ce qu'un cycle qui serait infini, qui ne se terminerait jamais, mériterait-il le nom de cycle, ou alors ce singulier est-il une métaphore du pluriel, que le cycle s'achève et recommence sans fin. Inscrivant la présence de son imperfection dans l'absence de sa conclusion définitive.

SHADOWS ON THE WALL

Premier titre achevé de Hollow. Lyric Video. Pas du tout un dessin animé. Juste la pochette qui tremblotte, l'œil rouge qui vous suit du regard et qui ne dit rien comme s'il n'en pensait pas moins. Démarre par un clapotis de guitare précédé de lointain grondements métalliques, mais au bout d'une minute la musique devient plus forte, hard and rock, l'on devine que plus rien ne l'arrêtera, et une voix colérique et prophétique retentit comme si elle chuchotait très fort de terribles prophéties dans votre oreille. Le message est clair. Nous sommes en péril. Seule une minorité se sauvera. N'ayez pas peur, ceux qui commandent nous terrorisent en lâchant sur nous de terribles monstres. Ce ne sont que des ombres sur un mur. Nous voici en pleine allégorie de la caverne platonicienne. Rythmique de mastodonte qui avance lentement écrasant tout sous son passage, mais dessous la batterie galope et la guitare flambe.

INFINITE CYCLE

( Full Demo 1018 )

Shadows on the wall : voir plus haut. Crawling my way out : celui-ci est superbe, violent, avec un surprenant travail sur le vocal, une orchestration ultra-puissante qui sur-multiplie les effets obtenus dans le précédent. Il n'est pas facile de rompre le sortilège de ses propres peurs. Never too late : espoir et réussite, orchestration plantureuse, toujours ce vocal d'autant plus percussif que doucereux en sa profondeur. Musique de fête et de délivrance, idéale pour une scène de banquet dans un film qui se déroulerait aux lointaines époques médiévales. Infinite cycle : urgence et terreur. Il ne faut pas vendre la peau de l'ours sauvage après l'avoir tué, l'on a cru être tiré d'affaire et l'oppression se referme sur nous, batterie tapageuse, voix grognante, cymbales cinglantes, les mauvaises images s'insinuent en vous, vous trouvez toujours un mauvais prétexte pour les recevoir... et quand c'est terminé tout recommence. A l'infini. Très beau. Witness : sur le rivage, regarder le déferlement incessant des vagues, savoir que l'on peut échapper à la perpétuité, juste être un témoin, un guetteur qui sait que l'issue existe, même s'il faudra accepter de revoir les fausses images pour s'en défaire, pour ne leur accorder aucune importance. Musique qui s'amplifie tout en se calmant. Acceptation n'est pas soumission.

L'ensemble est colossal. Fonctionne un peu comme un opéra avec des thèmes qui reviennent et s'entremêlent, la voix de Chuc Bawol devient à elle seule un leitmotive au même titre que les parties musicales. Ne reste plus qu'à attendre que l'artwork se matérialise !

Damie Chad.

 

METAL 77 ( I )

 

EGOUTMETAL

Contrairement à la majorité silencieuse je pense que les goûts et les dégoûts se discutent très bien. Ne me suis pas rendu au concert de Pogo Car Crash Control à l'Empreinte de Savigny Le Temple, le 09 / 10 / 2020 car les conditions ( assis sagement et masque obligatoire, j'aime les gestes-barrières surtout quand elles sont levées ) me paraissaient peu appropriées à la tornadique musique des P3C. N'y aurait-il pas quelque part sur le net quelques mots qui traîneraient sur cette soirée, ce devait être ce que les Romains appelaient un jour faste, en quelques secondes je tombe sur ce que je cherchais. Non pas tout à fait. Beaucoup plus qu'un compte-rendu. Un filon d'or pur qui se pare du titre d'egoutmetal. Un blogue, mais avec un petit plus : une plume de celles qui volent au vent de l'abîme dans le coup de dés de Mallarmé, tenue fermement dans le poing serré d'une certaine Hellfist. Définit rapidement son projet, son projectile, sur-titré Chronique de concert de mauvais goût, une proclamation d'indépendance, qui rajoute deux poings sur le o de boxe, ne vise aucune objectivité, juste ce qu'elle a aimé ou détesté. Au résultat, des reports enjoués et jouissifs sur nombre de metal lives, que je vous engage à parcourir. Si vous voulez être convaincus commencez par exemple par la chro sur le concert de Sepultura. Les groupes du 77 ne sont pas oubliés, à tel point que certaines prestations se retrouvent répertoriées et sur égoutmetal et in kr'tnt ! Visions parallèles de groupes illustres !

LES APEROS METAL DU 77

Facile de savoir qui ne se cache pas derrière Hellfist, Hélène James Crochet (mon capitaine ), fan de metal et organisatrice de Les Apéros Metal du 77. Une idée simple, les fans de metal se retrouvent une fois par mois depuis février 2018 devant un verre ( ou plusieurs ) au Chaudron, les kr'tntreaders connaissent cette MJC du Mée-sur-Seine, près de Melun, qui dispose d'une salle de concerts où nous les avons traînés à maintes reprises. Le programme de ces soirées s'est vite diversifié, les simples papotages ont été agrémentés d'expositions photos, de jam-sessions, de projections en avant-première de clips tous chauds et autres gourmandises. C'est ce mercredi 14 octobre que s'est tenue la vingt-deuxième édition, dernière soirée avant confinement, consacrée à la release party de Hate and Fire le clip de BullRun, en présence des musiciens et de l'équipe de tournage, nous n' y étions pas, ce qui ne nous enlève pas le droit de le regarder. Et d'écouter. ( Voir plus loin ).

LE CHAMOIS SHOW

FEAT HELENE CROCHET

( 12 / 10 / 2020 )

C'est fou tout ce que l'on trouve de restaurants qui se nomment Le Chamois, mais LeChamois dont j'ignorais jusqu'à l'existence jusqu'à ce jour pourrait se définir en tant qu'artiste, vidéaste, humoriste, blogueur. Il a tout dernièrement lancé sur You Tube Le Chamois Show dans lequel il discute à bâtons rompus avec un invité. Pour sa deuxième émission, le hasard est parfois un allié surprenant et obstiné, Hélène Crochet était soumis à un feu de questions roulantes. Non pas du tout, une discussion sympathique sans indiscrétion fureteuse, au coin non pas d'un feu automnal mais de Skype and Twitch Que voulez-vous, comme disait Heidegger, quand l'homme ne maîtrise pas la technique, c'est la technique qui s'empare de l'Homme.

Premier sujet abordé - vous connaissez un peu – Les Apéros Métal du 77 initiés par Hélène, fan de Metal venue de Paris s'installer en Seine & Marne, sa surprise de comprendre que les amateurs ne se connaissent pas vraiment entre eux, se rencontrent dans le bruit et la fureur des concerts, puis bye-bye au revoir et au prochain. Petit aparté sur le concert des Pogo, cinquante personnes assises sur des chaises, baillons sur la bouche... Historique des Apéros jusqu'à trouver un lieu parfaitement adéquat, Le Chaudron, et le programme futur, BullRun de Nemours qui officient dans un mix Metallica / Stoner, la soirée Halloween de novembre, un petit topo sur les groupes de Provins peu aidés par la municipalité et loin de tout, nouvelle bière au Chaudron, passons...

Beaucoup plus intéressant, l'écriture des chroniques, Helene tient à garder sa liberté, elle a refusé d'écrire pour certains webzines qui désiraient qu'elle adoucisse son ton, ironie et impertinence sont les deux mamelles de la liberté, la conversation dévie sur les jeunes groupes, qui progressent très vite les deux premières années mais qui ne parviennent pas à s'imposer hors de leur milieu local, car gommant leur originalité, devenant conformistes... d'un autre côté la technique permet de sortir des productions de bon niveau assez rapidement, d'où un nombre impressionnant de groupes, se ressemblant un peu trop, et que l'on n'a pas le temps chronométrique d'écouter... danger des algorithmes qui te proposent ce que tu aimes et qui te cadenassent en toi-même... autre problématique chanter en français voir les groupes étrangers (indiens, mongols, japonais... ) qui utilisent leur idiomes maternels avec intégration leur culture nationale, évocation de Camion Blanc ( grandeurs et misères ) et des Editions de La Flamme Noire beaucoup plus qualiteuses, essais de définitions comparées du gore et du trash, passerelles entre rock et rap, rappeurs définis en tant que punks, prééminence des paroles rap, rap bling-bling, rap politique, rap social, fin de l'idolâtrie des groupes de rock façon Mötley Crüe, sex drugs and rock'n'roll idéal de vie un peu dépassé, retour au journalisme rock gonzo, rapports livres-cinéma, Kubrick, regards sur l'impact révolutionnaire et fondateur sur des créations ( films, disques ) qui paraissent aujourd'hui bien vieillottes, charmes du son-cassette pourri, collectionite... plutôt une conversation entre deux connaissances ravies de se rencontrer qu'une interview soigneusement préparée. Beaucoup de noms échangés mais l'ensemble est à écouter en tant que représentation d'une certaine sensibilité générationnelle d'aujourd'hui.

Damie Chad.

 

METAL 77 ( II )

BULLRUN

 

FIRE AND HATE

Clip : Julien Metternich

( Acteurs : Sylvain Pierre / Azi Liz Le Guern )

Méchamment bien fait. Tout repose sur les acteurs. Soyons précis sur les visages. Pas grand-chose, pas de grimaces, pas de rictus démoniaques, juste de la haine pure sur les méplats. Derrière vous avez toutes les flammes de l'enfer, l'agent orange des effets spéciaux. Mais vous n'y apportez aucune attention, il est des feux intérieurs qui brûlent bien plus fort que les flammes les plus hautes. Devant ça canarde pas mal. Normalement à la fin, vous devriez aligner trente cercueils, même pas besoin d'une simple caisse de sapin. Nos deux héros encaissent les coups – tous calibres – sans sourciller, ne sont pas immortels. Juste un homme et une femme. Cela ne change rien à l'affaire. Les armes sont fausses, les balles indolores. Paint ball ! Du faux-semblant. Du trucage. Aucune surprise finale. En moins de vingt secondes vous avez compris, que c'est du bluff, qu'ils ne vont pas s'entretuer, ni s'étriper devant vous. Spectateurs vampires vous n'aurez pas votre pinte de sang frais.

Factice. Mais c'est de même pour toute image de film. La réalité présentée est un mensonge. Poncif. Bavardage. Ou alors vous regardez autrement. Ce que cette vidéo montre c'est l'ambiguïté des sentiments. Qu'en une seconde tout peut changer. L'amour et la haine se disputent notre âme professait déjà Empédocle d'Agrigente, voici plus de 2500 années. L'arme la plus dangereuse réside en nous, le désir n'a pas de limite, il est tour à tour l'innocence du gentil petit chaperon rouge plein d'amour pour sa mère-grand et le loup cruel qui la bouffe toute crue...

Dispute de couple, chamaillerie d'amoureux, western érotique, tout ce que vous voudrez, avec le happy end final. Gros bisous. Palot ventouse. Romantisme rose à la fleur bleue pour la reine ou le roi de Prusse. Ils auront beaucoup d'enfants. C'est nous qui l'ajoutons. Peut-être oui. Sûrement que non. On s'en fout ce n'est pas cela qui brûle et nous cuit à feux doux.

Bien sûr il y a de la musique. Clip musical. Bande-son ( voir plus bas ) obligatoire. La preuve : vous voyez les musiciens jouer. Illustration imagée de Fire and hate, ou les ravages des feux de l'amour. Qui poussent au crime. Symbolique. Ou de sang. Toute cette violence que nous portons en nous, et que le rock'n'roll traduit à sa juste démesure, Julien Metternich et son équipe ont su le rendre visible et palpable. Regardez ce clip et vous aurez l'impression qu'autour de vous les gens s'agitent dans leur vie pour essayer de le parodier, avec moins de force incisive. Parfois l'Homme imite l'Art. En moins bien, ajouterait Baudelaire.

*

BullRun a déjà sorti deux EP, very extended puisque de six titres chacun. Il est temps de les écouter. Rémy Gohard : vocal, bass / Gaël Berton : guitars / Marc Dezafit : drums.

 

DARK AMBER

( Avril 2017 )

Le titre de ce mini album pousse au rêve comme le poignard incite au crime. Certains ne voyant pas plus profond que la capacité jerrycanesque de leur estomac songeront à une bière sombrement ambrée. Nous préférons évoquer cette ambre anthracite que rejettent les cachalots sur les rivages nordiques. Déjà se profile dans nos imaginations la silhouette cauchemardesque du capitaine Achab guettant au milieu des tempête Moby Dick la maudite. Ou alors pour changer de bestiole, ces scorpions et ces araignées prisonniers invisibles de l'opacité de ces sombres ambres résineuses, dont les scientifiques espèrent extraire l'ADN afin de prochainement redonner vie à ces bêtes préhistoriques qui nous ont précédés sur cette planète. Bestiaire fascinant qui sied comme un gant à l'imaginaire Metal. La pochette est bien loin de nos imaginations. Un côté très western, américana, n'avancez pas, derrière ces barbelés, au bout de terres stériles et de landes incultes, vous ne distinguerez au fond de l'horizon ocre brûlé de soleil que les bâtiments délabrés du ranch de la désolation perfide. Il est vrai que ce premier opus de BullRun s'approche davantage des patterns hard rock'n'roll que des architectures hérissées du Metal extrême.

The Devil in me : sèche ta gratte, la grosse vague arrive dans quinze secondes, mais pas que, surtout la voix qui ronronne tel un diésel survitaminé. Le diable a pris les commandes, l'écrase le champignon et les passants sur la route. Ralentissement, freinage en douceur, la batterie éclate et les guitares prennent le devant. Bullrun dozer ! She 's coming : n'y a pas pire qu'une fille pour vous prendre la tête, le taureau qui fait la course en tête, en perd joliment les pédales, se lance, le morceau progresse par arrêts subits, genre crise cardiaque à cahots, mais non le muscle reprend, et bientôt il pompe à toute allure, titre bâti à la manière du précédent, hormis la structure en hachis parmentier qui n'oublie pas d'envoyer la purée, ne sont que trois mais le festin est partagé en parts égales. Faster than light : le bon vieux riff balancé en binaire, rien de surprenant, mais qui met le monde entier d'accord, petit délice supplémentaire la voix fraîche qui gambade par dessus, à la manière de la flamme sur le cordon de dynamite, un peu d'emphase dans les chœurs mais pas trop car quand on va plus vite que la lumière l'on n'a pas le temps de s'arrêter, même qu'ils accélèrent comme des tarés sur la fin. Genre de truc qui tue les mouches à chaque fois. Les éléphants et les fans ailés aussi. Highway glory : ces gars n'ont pas le hard ardu, plutôt hardi, c'est sur ce morceau que l'on s'aperçoit qu'ils poussent à chaque titre la machine un peu plus loin. Rémy force sur sa voix pour mieux taper dans l'aigu tout de suite après, Gaël en profite pour carboniser sa guitare, et Marc vous passe très fort le café de sa batterie qui semble exploser. Burn : facture typique, deux pistes de guitares qui se répondent et un vocal qui s'en vient cavaler à toute blinde par-dessus. Pouvez lâcher le troupeau de chèvres sur la plantation, elles vont vous la ratiboiser en moins de deux. Ne pas saisir avec les doigts. Brûlant. En plus, ils réussissent toujours particulièrement le dernier tiers du morceau. Dark amber : jettent toute la gomme du rock'n'roll, démontrent à l'envi qu'ils connaissent tous les plans et qu'ils tirent toutes les ficelles avec lesquelles ils vous ligotent. Sont balèzes sur le passage obligé du pont, vous en transforment la traversée en petite épopée.

Au total rien d' extrêmement novateur, mais l'on sent que le taureau aiguise ses cornes. Se prépare à tous les combats et à toutes les corridas. Evitez de l'énerver, bête nerveuse et vive. Un premier EP plus que prometteur.

 

WILDERNESS

( Mai 2020 )

BullRun aime nous contrarier. Ce qui revient à nous surprendre. Le paysage désolé de Dark Amber se prêterait mieux à cette Wilderness. Mais nous sommes loin des étendues naturelles, plongés en milieu urbain, aux tons froids et peu accueillants, au bord d'une navette ferroviaire futuriste qui fonce vers le no future.

Downtown : évident le groupe a gagné en puissance, l'a gardé toutes ses qualités, l'on ne sait ni pourquoi ni comment, mais ils abordent des zones moins ensoleillées, plus ombreuses, flotte une espèce de menace insidieuse, ce grondement de fond qui s'enfourne dans une vis sans fin comme le passage d'un siphon dangereux, la voix plus sourde, la batterie davantage catapultée et une guitare qui rampe telle un serpent et mord telle un fauve. Wilderness : viennent de loin, vont plus loin encore, force brute, compacte et ramassée, du mal à suivre, faut arrêter la piste et la remettre au début, le diable se niche dans les détails, z'ont des trouvailles qu'ils entassent dans une vitrine à bibelots précieux, trop nombreux pour que vous puissiez admirer. Sont devenus inventifs. Une qualité qui fait la différence. Z'ont affiné leur style, respectent le canevas originel, mais ils le cousent avec des fils d'or électriques. Passages instrumentaux luxurieux qui atteignent la densité d'une jungle impénétrable. Superbissimo. Fire and hate : le morceau choisi pour le clip, parfaitement équilibré et découpé, entre vocal et ground instrumental, une ponctuation parfaite pour une mise en images. Davantage dans la veine du premier EP, car ils ont misé sur l'efficacité et n'ont pas recherché à singulariser leur musique, bien envoyé et séquences distribuées avec sagesse. Redemption day : généralement l'on nous dit que les jours de rédemption ne sont pas prêts d'arriver, BullRun a fait le pari d'avancer la date qui recule sans cesse. Maintenant et tout de suite. Pas le temps d'attendre. Une batterie qui bat le beurre à toutes burnes tant qu'il est chaud, et c'est parti pour la grande accélération, vous avez un vocal légèrement growlé qui vous sonne la cloche de l'imminence exigée. Musique démonique. Roll your dice : sur une pente fatale, celle du devenir, la guitare se précipite, la batterie essaie de ralentir le mouvement, rien n'y fait, quand le vin du destin est tiré il faut le boire jusqu'à la lie. Jusqu'à la vie. Un sacré chamboulement, un ange n'y retrouverait pas ses ailes, le groupe se laisse aller et atteint une plénitude grandiose. Peut-être le meilleur titre du disque. Dust and sand : la voix devant qui mène la charge. Et la cavalerie derrière qui écrase tout sur son passage. Z'ont le pessimisme actif et tonitruant. Délicieuse partie de basse. Le morceau explose littéralement la sensation d'être pris dans une tempête de sable, un dust bowl qui vous engloutira. Impressionnant.

Ce deuxième EP tient les promesses du premier, il les réalise et les dépasse même. Heavy BullRun peut garder la tête haute. L'est sorti victorieux de ses premières courses. L'on attend le prochain avec impatience.

Damie Chad.

 

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

 

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

 

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Comment le Chef avait-il pu connaître l'auteur de L'homme à deux bras ! Il alluma un Coronado avant de me répondre.

    • Elémentaire mon cher Chadson, devant l'imminence du danger qui guette le SSR, j'ai tenu à alerter quelques activistes rock dans le pays, il n'y a pas de raison qu'ils soient épargnés eux non plus, peut-être auraient-ils remarqué quelques faits suspects. Chou-fleur blanc en Bretagne, Sergio Kazh de Rockabilly Generation, un sacré fouineur, mais non il m'a affirmé que le calme plat régnait au pays des dolmens. Toutefois il a promis d'ouvrir l'œil, bon sang ne saurait menhir ! Pas la même musique sur la côte d'azur, j'ai discuté plus d'une heure avec Vince Rogers, je le félicite de sa long-box, mais il me dit qu'il lui manque une pièce essentielle pour finir son Rocking Move Project, le fameux L'homme à deux bras qu'Eddie Crescendo a écrit et dont aucune trace n'a été retrouvée dans son logement, alors que sa secrétaire est affirmative : le matin de sa disparition il en avait reçu dix exemplaires pour les services de presse...

Nous n'eûmes pas le temps d'épiloguer, le téléphone sonna, je décrochai, c'était Thérèse complètement affolée : Venez vite la maison a été cambriolée !

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Nous n'eûmes même pas besoin de pousser la grille du jardin pour être atterrés. Le sol avait été comme labouré, sur une profondeur d'au moins un mètre. Méthodiquement l'on avait creusé au pied de la dizaine d'arbres rachitiques de larges trous qui laissaient à nu leurs racines. Thérèse en larmes nous attendait au haut du perron. Le Chef en oublia d'allumer un Coronado. Un fouillis indescriptible, l'on avait vidé tous les meubles et jeté leur contenu par terre, je subis un choc en entrant dans la chambre, ils avaient emporté le cercueil d'Alfred. Mais Thérèse nous détrompa :

    • Ce sont ses parents, ils sont venus le récupérer, ils ont toujours dit que je n'étais pas une fille assez bien pour leur fils, snif ! snif ! Et les voleurs ils ont même renversé la boîte à sucre !

Ce mince détail – les psychologues nous apprennent que lors d'évènements graves l'esprit retient de minuscules incidents – la fit sangloter de plus belle, elle défaillit et je me précipitais pour l'allonger sur le matelas qui gisait fort opportunément sur le plancher. Le Chef s'éloigna discrètement, les chiens flaireraient peut-être une piste dans le jardin annonça-t-il...

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    • Ouf je me sens mieux ! Déclara Thérèse, tout ce que je peux dire c'est que les voleurs n'aimaient pas lire, ils n'ont pas touché à la bibliothèque !

    • Je n'ai pas vu un seul livre dans l'appartement !

Alors Thérèse me conduisit à la cave, l'antre d'Alfred, précisa-telle, un grand lecteur, en effet, le vaste espace avait été refait à neuf, les murs supportaient de larges et longs rayonnages, des milliers de livres soigneusement classés par collections, Alfred ne lisait que des romans policiers, un maniaque dit Thérèse, il ne supportait pas qu'ils soient dérangés, il les classait par ordre de parution, je feignis de m'extasier, lorsque je localisais les Séries Noires, l'air de rien je m'approchais de l'étagère, il y avait un vide entre les volumes 2036 et 2038 !

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Nous étions repartis, dans la voiture le chef semblait songeur. Il n'avait pas encore allumé un Coronado, je lui en fis la remarque. Sa réponse me stupéfia.

    • Agent Chad, je pense vous imiter, je crois que vais suivre votre régime, un plateau de douze éclairs au chocolat ne saurait repousser un honnête homme, si vous êtes capable de nous ramener à la pâtisserie L'homme à deux mains, j'offre ma tournée ! Entre nous agent Chad, je vous trouve tout pâle, cette petite Thérèse vous épuise, vous avez besoin de réconfort !

Sur la banquette arrière les deux chiens remuèrent la queue ravis. Mais nous n'étions pas au bout de nos surprises. Au 12 rue François Premier, la pâtisserie avait disparu, remplacée par une modeste friterie. Je commandais deux hot dogs pour les fauves qui les dédaignèrent. Le patron se vexa : depuis quinze ans qu'il était installé à cet endroit, jamais un client et encore moins un chien affamé n'avait tiré une mine si dégoûtée à l'encontre de ses saucisses chaudes.

    • Pas grave s'exclama le Chef tout réjoui, Thérèse nous préparera un petit encas ! Je l'entendis pousser un soupir de satisfaction lorsque de sa bouche s'exhala une première bouffée de Coronado.

La grille était cadenassée par une grosse chaîne rouillée. Un pancarte défraîchie indiquait que la maison était à vendre. Les marches du perron étaient recouvert de mousse. Des toiles d'araignées pendaient au contrevents. Une espèce de lichen jaunâtre recouvrait le jardin plat comme une limande... Une vieille femme promenait un westie centenaire, il frotta son museau sur celui de Molissito, nous renseigna, elle n'habitait pas loin, la villa attendait un acheteur depuis quinze ans...

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Le Chef était assis à son bureau. J'exprimais mon désarroi. Il alluma un Coronado et sourit :

    • Agent Chad, c'est très simple, vous en savez autant que moi, mais vous ne réussissez pas à disposer les éléments en votre possession en perspective. Vous avez visionné le film de Vince Rogers sur les aventures d'Eddie Crescendo, contre qui se bat-il dans son sous-sol labyrinthique ?

    • Des réplicants ! Vous insinuez que...

    • Que nous avons été victimes d'une sombre machination. Crescendo est mort en 1997, nous sommes en 2020, la technique des réplicants a dû beaucoup évoluer durant ce laps de temps. Au siècle dernier, de grosses brutasses au langage de trisomiques attardés, aujourd'hui vous avez pu vous rendre compte qu'entre une jolie fille et une jeune réplicante, un être humain est incapable de faire la différence, vous avez fait l'amour avec L'Eve future de Villiers de l'Isle Adam !

    • Est-ce possible Chef !

    • J'irais plus loin, les tueurs de hier soir, des réplicants, la patronne et son mari, des réplicants, le facteur, un réplicant ! Une farce, une mise en scène calculée à la seconde près, je ne pense pas que l'on voulait vous tuer, il y a des manières bien plus expéditives et moins onéreuses pour éliminer un gêneur de petite envergure comme vous, agent Chad !

    • Ils voulaient nous faire peur, Chef !

    • Pas du tout, ils voulaient nous montrer qu'ils sont beaucoup plus forts que nous, qu'ils possèdent des moyens bien au-dessus des nôtres, ils espéraient que nous abandonnerions la lutte !

    • Comment vous en êtes vous aperçu Chef ?

    • Nous avons laissé neuf cadavres derrière nous hier soir, et pas une ligne dans les merdia aujourd'hui, et quand j'ai tapé Chez l'homme à deux mains sur mon ordi, je suis tombé sur Error 404 !

    • Chef je suis abasourdi !

    • Agent Chad, prenez vos cabots, demain matin au rapport, avec une véritable piste !

    • Mais que dois-je chercher, Chef !

    • Mais ça tombe sous le sens, la boîte à sucre !

( A suivre... )

 

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