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23/01/2019

KR'TNT ! 403 : JOHN ENTWISTLE / REGGIE YOUNG / COUDASSE / GRANDMA' ASHES / ABSTRACT MINDED /PHIL COLLINS

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 403

A ROCKLIT PRODUCTIOn

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

24 / 01 / 2019

 

JOHN ENTWISTLE / REFGGIE YOUNG

COUDASSE / GRANDMA' ASHES

ABSTRACT MINDED / PHIL COLLINS

TEXTES + PHOTOS SUR :  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

L’Ox interior

Enfin un article sur John Entwistle, dit l’Ox. Nous avions des textes et même des bouquins sur Moony, sur Pete Townshend, sur Daltrey, mais que dalle sur l’Ox. Dans Classic Rock, Paul Rees répare enfin cette injustice. Il précise très vite qu’on surnommait John The Ox à cause de sa solide constitution. Pour jouer dans les Who, il valait mieux être solide, en effet. Pour bien le situer, Rees le décrit planté comme un piquet à droite de la scène, seul élément stable dans un groupe à tendance particulièrement volatile. Le seul truc qui bougeait dans l’Ox : ses mains, like demented spiders (comme des araignées devenues folles).

On tient l’Ox pour l’un des géants britanniques du bassmatic. Non seulement il joue fort, mais il joue vite. Très vite. Des milliards de notes. Quand on observe ses mains demented, on voit qu’il joue des huit doigts. Quatre et quatre. Pour tous les bassmen du monde, l’Ox est le modèle absolu et l’un des premiers trucs qu’on apprend à jouer sur une basse, c’est le solo en quatre phases demented qu’il place dans «My Generation». L’Ox ne cachait pas son goût pour le volume - I just wanted to be louder than anyone else - Et il ajoute qui si quelqu’un d’autre s’avisait de jouer plus fort que lui, ça le foutait en rogne. Et quand Daltrey lui ordonnait de baisser le volume, l’OX le fixait dans le blanc des yeux et augmentait le volume. Question style, l’Ox veillait à jouer steadfast but unpredictable, c’est-à-dire de manière ferme et imprévisible, ce qui est, nous dit Rees, une façon de le définir, en tant qu’homme.

L’Ox a en plus sur les autres l’avantage d’avoir reçu une formation classique. Son père Herbert jouait de la trompette et sa mère Queenie Maud du piano. À l’âge se sept ans, sa mère lui fait prendre des leçons de piano. Adulte, l’Ox joue de plusieurs instruments à vent et peut écrire des arrangements. Non seulement des arrangements, mais aussi des chansons. On en trouve une signée Entwistle sur tous les albums des Who. La plus connue est sans doute «Boris The Spider», c’est-à-dire Boris l’araignée - Encore une ! - L’idée vient d’une soirée de beuverie avec Bill Wyman. Ils parlaient d’araignées et s’interrogeaient de savoir pourquoi les gens en avaient peur. Mais la plus fameuse compo de l’Ox se trouve sur Who’s Next : «My Wife». Il fut aussi le premier à porter la veste Union Jack. Puis au fil des ans, on le vit toujours sapé à sa façon, c’est-à-dire tiré à quatre épingles. Il veillait à se distinguer des autres.

C’est à l’Acton County Grammar School que l’Ox rencontre Pete Townshend et son nez proéminent. Pete joue du banjo et ils montent tous les deux The Confederates. Ils se produisent en public à l’Acton Grammar School en 1958. C’est là qu’arrive le rock’n’roll et l’Ox passe à la guitare. Mais il a les doigts trop gros pour le manche d’une guitare. Alors il passe à la basse. Mais pas n’importe quelle basse : il doit en fabriquer une, vu qu’il n’a pas les sous pour l’acheter. Il récupère une grosse planche de contre-plaqué, trouve un menuisier pour y découper la forme d’un Fender et fixe lui même le manche sur le body. Puis il croise Daltrey dans la rue, Big bad Roger, un branleur qui a déjà une sale réputation, qui s’est fait jeter du lycée et qui bosse sur les chantiers. Daltrey a déjà un groupe, les Detours et il embauche l’Ox qui dans la foulée fait venir Townshend. Très vite, les Detours jouent tous les soirs. Soudain, un éclair frappe l’Angleterre : le premier single des Beatles, «Love Me Do», en 1962. L’Angleterre passe alors du noir et blanc à la couleur. C’est l’époque où Jim Marshall commence à travailler sur des amplis et l’Ox devient l’un de ses premiers clients. Ça ne plait pas à Townshend : «John already very loud was now too loud.» Alors Townshend s’achète une deuxième enceinte et une tête d’ampli Fender. Évidemment, l’Ox rajoute une enceinte à la sienne. Townshend rajoute une deuxième tête d’ampli et c’est comme ça que les Who sont devenus les Who. The loudest band on earth. On se souvient du set des Who à la fête de l’Huma, en 71 ou 72 : ils attaquent «Baba O Riley» et jouent si fort que tout le monde recule d’au moins cent mètres. Intenable !

Comme un autre groupe s’appelle aussi les Detours, un pote à eux nommé Richard Barnes suggère les Who. Jusqu’au moment où Peter Maeden entre en scène. Ce pill-popping music-biz operator qui a déjà bossé pour les Stones devient leur manager. Il leur conseille de devenir des Mods, il les envoie se faire couper les cheveux et s’acheter des fringues à la mode pour devenir des Mod faces. Il les rebaptise the High Numbers et leur fait enregistrer leur premier single, «Zoot Suit» sur Fontana. Avec Meaden, les choses ne traînent pas. Mais comme le single n’entre pas dans les charts, les High Numbers reprennent leur liberté et redeviennent les Who. Puis c’est la rencontre avec Moony qui monte un soir sur scène avec eux pour jouer «Road Runner». C’est la naissance d’une section rythmique légendaire, avec l’étalon fou d’un côté et l’Ox solide comme un roc de l’autre. Ils allaient rendre tous les cuts des Who élastiques, indomptables. L’Ox est émerveillé de voir Moony chercher à frapper tous ses drums en même temps. Et il ajoute que pour jouer avec un mec comme lui, il faut jouer all over the place, toutes les notes en même temps. Moony et l’Ox deviennent très proches, et leurs épouses Alison et Kim s’entendent bien. C’est là que Kit Lambert et Chris Stamp entrent en scène. Ils deviennent les managers du groupe et font appel à Shel Talmy, un producteur américain installé à Londres qui a commencé à casser la baraque en produisant les Kinks. Et pouf, c’est parti avec «Can’t Explain», le premier d’une série de hits explosifs. Jimmy Page joue de la rythmique mais il est dégagé par le freight-train rumble de l’Ox. S’ensuit «Anyway Anyhow Anywhere» puis l’un des classiques les plus magistraux de l’histoire du rock anglais, «My Generation», véritable slab d’amphetmine rush. L’Ox joue son bassmatic sur une Danelectro. Mais l’atmosphère dans le groupe est explosive - It was like going to war every day - Ils ont tous les caractères très différents, voire opposés. Ça saute à la moindre étincelle. Mais cette explosivité devient leur fonds de commerce. Ils foutent la trouille à tout le monde. On parlait de l’incontrôlabilité des Dolls. Mais en comparaison des Who, les Dolls sont des enfants de chœur.

Quand Jeff Beck et Jimmy page envisagent de passer à la vitesse supérieure en 1966, ils tentent de récupérer Moony et l’Ox. Lors d’une répète, Moony propose de baptiser le groupe Lead Zeppelin. Mais nos deux héros reviennent à la raison et décident de continuer avec les Who.

Puis les Who traversent l’Atlantique pour la première fois. Ils jouent dix jours à New York et vont partager l’affiche du Monterey Pop Festival avec Otis, Jimi, Janis et tous les autres. C’est aussi à cette occasion qu’ils font leur première télé américaine en direct : The Smothers Brothers Comedy Hour. À la fin de «My Generation», Moony fait sauter son drumkit à la dynamite. Des éclats de cymbales se plantent dans son bras. Pour ramener le calme, Tommy Smothers attrape sa guitare acoustique et commence à chanter devant la caméra. Townshend lui arrache la guitare des mains et la jette au sol et la crève d’un coup de talon. Mais celui qui tire le mieux les marrons du feu, c’est l’Ox, qui reste impassible dans un coin, affichant même un air d’ennui léger. Dans ce chaos total, le fait de paraître normal le rend unique.

Alors que Townshend travaille d’arrache pied sur la suite de Tommy, l’Ox enregistre son premier album solo. Le guitariste qui joue sur Smash Your Head Against The Wall s’appelle Dave Langston, inconnu au bataillon. Jerry Shirley bat le beurre. Avec l’Ox, ils forment tous les trois un redoutable power trio. Ils proposent un rock-pop seventies très solide. Dès «What Are You Doing There», on voit que l’Ox sait tailler la matière pop d’une mélodie. Il peut se montrer très ambitieux. Sa formation classique reprend le dessus. On l’admire pour son côté quiet. Fascinant personnage. Encore un joli slab de pop de rock dynamique avec «What Kind Of People Are They». L’Ox pose des questions et apporte de sacrées réponses. Il sait se montrer intéressant de bout en bout et d’une grande modernité. C’est Dave Langston qui embarque «Heaven And Hell» au développé de guitare. On a là une incroyable épopée d’approche prolifique, remplie de clameurs. L’Ox se lance à la découverte de nouveaux horizons, comme jadis Vasco de Gama. Il se montre placide et déterminé à la fois. Dave Langston produit une sorte de drone velouté sur sa guitare. C’est en B que culmine l’art de l’Ox avec bien sûr «N°29 (Eternal Youth)». Toute la bande de luminaries vient jouer des percus là-dessus : Moony, Viv Stanshall et Neil Innes. Ça donne une extraordinaire pièce pantelante digne de Who’s Next, noyée sous des trombes de trombone. L’Ox mène son bal. Ce pur jus de Pretties à la «Baron’s Saturday» tourne au mythe et l’Ox ravage la contrée au bassmatic. Hey ! Oh ! On nage là dans la légende du London rock de l’âge d’or. Toute la B est bonne, tiens, par exemple «Red End», très beatlemaniaque dans l’esprit, salué aux trompettes de la renommée. Le grand art de l’Ox. Sa pop mélancolique enterre les préjugés. L’Ox a des réflexes dignes de ceux des Beatles. Rest in peace ! «You’re Mine» pourrait aussi très bien figurer sur Who’s Next. C’est travaillé à l’os de l’Ox. Cette pop marque le visage de l’Angleterre au fer rouge. Les chœurs explosent et dans tout ce ramdam, l’Ox exulte puisque son bassmatic atteint des sommets. Il termine avec «I Believe In Everything», un extraordinaire shoot de présence pop. L’Ox s’ébroue dans la Beatlemania, le meilleur cru de tous les temps. Et ça se termine en chanson de pub. Admirable.

C’est à son retour dans les Who qu’il propose «My Wife» - I’ve been home since Friday night/ And now my wife is coming after me/ Gimme police protection - L’Ox manie l’humour à sa façon, à l’Anglaise. Quand Who’s Next paraît, l’argent coule à flots. L’Ox s’achète une belle baraque à Ealing et commence à collectionner les bagnoles, même s’il n’a pas le permis. Alison Entwistle s’inquiète un peu : «Nous n’avions pas d’argent et soudain, on en avait trop. C’est monté à la tête de John. Il dépensait sans compter. Il allait s’acheter une paire de chaussures et il en achetait douze.» Et elle ajoute : «On l’appelait the Quiet One, mais il pouvait être pire que Keith, ça dépendait de ce qu’il avait bu.»

Sa nouvelle maison lui donne des idées de cuts pour son nouvel album solo, Whistle Rymes qui paraît en 1972. Comme par exemple «Apron Strings». L’Ox est un homme qui chante énormément. Il bassmatique encore plus énormément. Il adore aussi jouer avec l’idée de la mort, comme on le constate à l’écoute de «Thinking It Over» Démarrer une nouvelle vie ? Prendre la bagnole et la moitié des meubles ? Non, ça n’a pas de sens - I decided to take my own life - Plutôt se foutre en l’air. Puis il revient sur sa décision - It’s too high a price to pay/ For an unfaithfull wife - Et dans «Who Care», on le voit faire un festival de bas de manche, avec tout le feu sacré des ‘Hoooo. La B laisse un peu sur sa faim. On sauve «Wonder», fantastique groove oxien. Il y donne même des coups de trompette. L’Ox remercie Mother Nature de faire les choses comme elle les fait, car il ne veut ni d’une mer rouge, ni d’une nuit blanche.

Excellent album que ce macabre Rigor Mortis Sets In. Oh, il n’a de macabre que le cercueil qui orne la pochette. On a là un album plein de vie, illuminé en B par la présence de «My Wife», le hit de Who’s Next. S’il faut une preuve de la grandeur de l’Ox, elle est là, dans ce hit de rock de pop et dans la façon qu’a l’Ox de claquer l’étendard de la pop anglaise dans l’azur immaculé. L’Ox règne sans partage sur son album et c’est pour ça qu’on l’admire. «My Wife» vaut pour un coup de génie pop. On pourrait presque dire la même chose de «Made In Japan» qui referme la marche de l’A. C’est de l’excellente pop whoish, digne de Who’s Next. Cette pop distinguée est certainement le genre qui convient le mieux à l’Ox. On trouve pas mal de rock’n’roll sur cet album, des reprises plus ou moins dispensables («Hound Dog» et «Lucille») et l’Ox se fend d’une bassline de rêve sur «Do The Dangle». Mais c’est dans «Peg Leg Peggy» qu’il donne la mesure de son talent d’Oxer, il bombarde son cut de notes de basse. On se régalera aussi de «Roller Skate Kate», pastiche superbe. L’Ox va faire un tour de skate sur le motorway et évidemment, ça se termine mal, une bagnole arrive, boom, she died in the ambulance et Kate finit in the sky. Brillant et drôle. Il termine ce brillant Rigor Mortis avec un «Big Black Cadillac» monté sur un solide bassmatic, c’est une sorte de promenade dominicale offerte par un roi du doigté.

Quoiqu’il fasse, John Entwistle réussit toujours à se rendre intéressant. Il suffit d’écouter Mad Dog paru en 1975. Il frise à nouveau le génie avec le morceau titre qui ouvre le bal de la B. Quel souffle ! Cette façon qu’il a d’écrire une histoire nous tient véritablement en haleine - He’s at the edge of town/ And he’s got a gun/ Better get out fast - Quelle fantastique aisance compositale - Cos he’s a mad dog/ Don’t get into a fight/ He’s a mad dog/ Better shoot on sight/ Before he tries to bite - C’est du niveau de «My Wife», impérieux et conquérant. Dans «Cell Number Seven», il raconte qu’il est réveillé un matin par six flicards et il se retrouve in cell number seven avec Moony. Tout ça est farci de private jokes. On peut savourer l’humour de l’Ox dans «You Can Be So Mean». Il parle d’une femme bien sûr et elle lui claque la porte sur les doigts - You slammed my fingers in the door - Et puis elle embarque les enfants, la voiture, la maison and left me a broken heart/ Baby you can be so mean. Avec «I’m So Scared», il tape dans l’un de ses prés carrés : le rock’n’roll saxé de frais - I ain’t never bin scared of dying/ Everybody has to go sometime - Mais il a peur d’elle et de son voodoo. Il termine avec «Drowning», un cut dégoulinant de kitsch et d’auto-dérision - This is my first love song/ And this is my last - et il ajoute - I’m geting too chocked up inside/ Better finish it fast.

Quand Daltrey demande un audit des comptes, il découvre que Kit Lambert et Chris Stamp se sont bien goinfrés. Virés. Bill Curbishley reprend les rênes et Townshend demande un coup de main à l’Ox pour écrire les horn parts de Quadrophenia. En 1978, l’Ox achète Quarwood, une bâtisse gothique de 55 pièces, entourée d’un parc de 16 hectares, dans ce qu’on appelle les Costwolds, à la gauche de Londres sur la carte et un peu au-dessus de Bristol. Il y installe des armures dans les couloirs, un squelette dans un fauteuil Régence, des perroquets dans la cuisine et un Quasimodo empaillé accroché à une cloche dans le grand hall. Puis un soir de 1978, Moony se met 32 pilules dans le cornet, va se coucher et ne se réveille pas. Fin du team de choc. L’Ox ne s’en remettra jamais. Dans la foulée, son mariage avec Alison coule à pic. L’Ox a rencontré une poule en Amérique.

Sur Too Late The Hero paru en 1981, il joue en trio avec Joe Walsh et Joe Vitale. Jolie mise en bouche avec «Try Me», car Joe Walsh fait des miracles sur sa bonne guitare. L’Ox se montre honnête avec les femmes : «I don’t promise to teach you to fly.» Puis avec «Talk Dirty», il passe à la cloche de bois et gratte sa basse à cornes. Pour lui, les gros mots du talk dirty sont heavy metal, too loud, top twenty et who cares. Chez l’Ox, tout est très écrit. Il ne mégote jamais sur la marchandise. Il boucle l’A avec un «I’m Coming Back» massif et conquérant. L’Ox adore le grand rock américain, I gotta warn ya, I’m coming back oui, il revient. Il chante ça à pleine voix et laboure ses terres à outrance. Quel fabuleux rocker ! Puis il se prête en B à un petit exercice de style, le funk métallique de «Dancin’ Master». L’Ox syncope comme un beau diable et Joe Walsh en profite pour noyer le poisson - Disco here/ Disco there/ Dance ! - Ce démon d’Ox swingue le diskö-funk. Et quand dans «Fallen Angel», il chante «Nobody cares but everyone stares/ As you stagger to the bar», on se doute bien qu’il pense au pauvre Moony.

Resté inédit pendant dix ans, The Rock finit par paraître en 1996. Le chanteur s’appelle Henry Small et Zak, le fils de Ringo, bat le beurre. Le hot cut de l’album s’appelle «Hurricane», belle compo du compère, joli boogie de classe supérieure. On sent l’Ox à l’aise dans ses compos, et ce dès «Stranger In A Strange Land». Il entre dans son cut comme chez lui. Bon, Henry Small dit qu’il se sent étranger dans ce monde, mais il dit avec appétit. L’Ox brode avec brio, il fout un peu le souk dans sa médina, mais n’oublions pas que son propos n’est pas de réinventer la poudre. Il réinstalle l’extraordinaire prévalence du rock anglais avec «Love Don’t Last». L’Ox joue sa carte compositale à la claquemure - But no school can teach you that game - L’Ox est un homme déterminé - You’re yourself/ To your heart - Le guitariste s’appelle Steve Block et on l’entend faire du bon boulot sur «Suzie». Il fourbit bien l’écot et Henry Small fait son Plant, mais c’est là où l’héroïsme devient inutile, puisqu’il chante comme un petit Plant de pacotille. On va retrouver le petit Plant dans d’autres cuts, mais tout cela n’apporte rien au moulin d’Alphonse Daudet. L’originalité de ton a disparu. C’est avec «Last Song» que l’Ox revient aux affaires. Voilà un rock épique, extrêmement bien foutu, this is the last song, qui laissera le souvenir d’un moment admirable et vibrant.

Boris The Spider est un album live. Aucune information sur les musiciens. Débrouille-toi, et si t’es pas content, c’est la même chose. Cet album présente un certain intérêt : on y entend l’Ox ramoner son bassmatic, et ce dès le morceau titre. Il joue au gras. L’Ox ne mégote pas sur la marchandise. On voit l’Ox s’élever de cut en cut dans les nues du rock anglais. Il est tout de même l’un des grands acteurs de cette scène musicale qui a changé le monde. Il faut voir la purée qu’il envoie dans «My Size». Son bassmatic rougeoie dans le brouet sonique. Il revient au chant avec toute la niaque du skeletton suit. Il atteint l’Oxmose avec «Who Cares», il travaille son cut au bassmatic de combat, on y retrouve le drive des Who. Il chante du nez. l’Ox bat la campagne sur sa basse. C’est stupéfiant, on se croirait dans les tranchées en 1916, l’Ox joue au saucissonnage extrémiste, il taille sa route à la manière d’une colonne de termites, il y va, c’est dingoïde, il fait du big Ox dévorant, il démolit tout sur son passage, il descend jusqu’au bas du manche pour provoquer les dieux, c’est un virtuose du baston d’Ox, ses descentes font frémir, ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Il revient tout démolir avec «Not Fade Away», joué au pire british beat d’exacerbation. L’Ox ne rigole plus. Il veut de la sauvagerie et la voilà, il embarque ça au pataquès de surchauffe, il aménage des zones de bassmatic uniques dans l’histoire du rock, on le voit jaillir du courant avec ardeur et replonger dans l’écume des jours. Évidemment, c’est avec «My Wife» qu’il révèle son génie oxien, d’autant que le groupe joue ça ventre à terre. Il tricote du bassmatic à n’en plus finir. Dans un monde en mal de légende, l’Ox tombe à pic. Il aura passé sa vie à chasser les fantasmes du rock sur les terres du Docteur Moreau.

En l’an 2000 paraît Music For Van-Pires du John Entwistle’s Band. What an album ! Cette fois, on trouve les noms des musiciens sur la pochette : Steve Luongo bat le beurre et Geoffrey Townsend joue du synthé et de la guitare. Attention, l’album démarre en mode proggy et peut dérouter le badaud. Mais l’Ox of a man redresse vite sa pop contre vents et marées. Son «Sometimes» plein comme un œuf n’est pas facile d’accès, comme le sont les Anglais en général et soudain tout s’éclaire avec un «God & Evil» chanté au hard de metal core de heavvy sludge des enfers et arrosé de voix juvéniles. Quelle extraordinaire mélange ! L’Ox donne sa version de l’enfer et du paradis, c’est admirablement bien vu, les filles fascinent et par son côté mélodique, le brouet s’impose massivement. L’Ox foutrait presque la trouille avec «When You See The Light», tellement il chante dans l’ombre, mais avec «Back On The Road», il se prend pour Ronnie Lane, rien de moins ! Il claque ce balladif à la basse harmonique, ça donne une belle pop d’Ox. Il adore les good vibes, tout l’album en est rempli, il relance tout au gimmick de bassmatic. Il s’étale encore dans le pop biz avec «When The Sun Comes Up». Ça lui sied à ravir. Il se lance dans l’indolence, il y excelle. Sa manière de traiter la pop épate. Il dispose même d’une certaine facilité à sonner comme les Beatles. Il pétarade son «Rebel Without A Car» au bassmatic. Quel album ! On comprend que Boz le vende si cher sur Discogs ! L’Ox revient au heavy sludge avec «Don’t Be A Sucker». Il peut de fâcher et devenir tout rouge. Il peut mettre en œuvre l’Heavy Ox Sound System et te le shooter en intraveineuse. Wow, il s’énerve tout seul ! C’est joué à la meilleure heavyness d’Angleterre, l’Ox peut réveiller tous les bas instincts. Encore un solide shoot d’Ox avec «Endless Vacation», c’est le funk du château aux armures. L’Ox bat toujours le fer pendant qu’il est chaud. Mais là, c’est Luongo qui se tape la part du lion, au beurre. Le festin se poursuit avec un «I’ll Try Again Today» emmené ventre à terre, à la conquête de l’Asie mineure. L’Ox trimballe avec lui des guitares espagnoles et des trompettes mariachi. C’est absolument somptueux, digne du Salammbô de Flaubert. Il termine cet album spectaculaire avec un «Face The Fear» bien énervé, joué au meilleur beat rebondi d’Ox.

Signé : Cazengler, Oxymoron

John Entwistle. Smash Your Head Against The Wall. Track Record 1971

John Entwistle. Whistle Rymes. Track Record 1972

John Entwistle. Rigor Mortis Sets In. Track Record 1973

John Entwistle’Ox. Mad Dog. Decca 1975

John Entwistle. Too Late The Hero. Atco Records 1981

John Entwistle. The Rock. Whistle Rhymes Ltd. 1996

John Entwistle. Boris The Spider. Disky 2001

John Entwistle’s Band. Music For Van-Pires. Pulsar Records 2000

Paul Rees : The not so quiet one. Classic Rock #243 - December 2017

 

Ci gît Reggie - Part One

Après un demi-siècle de bons et loyaux services, Reggie Young casse sa pipe en bois. Reggie Young ? Mais oui, tout le monde le connaît. C’est le mec qui joue de la guitare sur «The Letter» des Box Tops, sur «Suspicious Mind» d’Elvis et sur plus d’une centaine de hits inter-galactiques. Il est aussi légendaire que James Burton, Steve Cropper ou Jimmy Johnson. Mais son destin reste lié à celui de Chips Moman et d’American, le studio de Memphis qui vit défiler une énorme ribambelle de stars, de Dionne Warwick à Dusty chérie, en passant par Elvis et B.J. Thomas.

Tout ce qu’on souhaite savoir de Reggie Young se trouve dans Memphis Boys, l’ouvrage de Roben Jones qui, à Memphis, est le pendant de Robert Gordon. Plutôt devrait-on dire la pendante, car Roben Jones est une dame qui déborde d’énergie : elle nous trousse un Memphis Boys de 400 pages sur deux colonnes, et elle ne faiblit pas en cours de route. Elle nous raconte dans l’extrême détail, session par session, l’histoire de Chips Moman’s American Studios, endroit aussi mythique que le Sam Phillips Recording Service ou encore le studio Stax sur McLemore. Heureusement l’histoire ne dure que huit ans, de 1964 à 1972. Quelques années de plus et Roben Jones allait pouvoir rivaliser avec le pavé de mille pages que Peter Guralnick consacre à Sam Phillips.

Dans l’histoire de la littérature rock, c’est probablement l’un des ouvrages les plus poussés au niveau évocatif. Roben Jones donne la parole à TOUS les acteurs de cette saga, c’est-à-dire les musiciens (Tommy Cogbill, Spooner Oldham, Reggie Young, etc.), et à des personnages aussi iconiques que Chips Moman et Dan Penn. On ne s’ennuie pas un seul instant. Il faut simplement savoir donner du temps au temps pour venir à bout de cette bête de somme. Ce n’est pas tant que ce livre est gros que nous le lisons, c’est parce que nous le lisons qu’il devient gros. Autrement dit, on en a pour son argent.

Si on voulait résumer cette saga en quelques mots, on pourrait dire que le personnage clé s’appelle Chips Moman. Originaire de Georgie, il débarque à Memphis dans les early sixties et démarre Stax avec Jim Stewart. Jusqu’au moment où une shoote éclate entre eux et Chips doit dégager - I had twenty per cent I thought. They owed me my share of a million dollars they’d made that year, 61, 62 (Je devais avoir 20% dans la boîte. Ils me devaient donc 20% du million de dollars qu’ils avaient fait en 61 et 62) - Chips n’aime pas qu’on lui roule la gueule et Jim Stewart le met au défi de le prouver : «If I fucked you, prove it !» Furieux, Chips se barre en claquant la porte, grimpe dans sa TR-6 et vroom ! Adios amigos ! Chips est d’autant plus furieux qu’il s’est énormément investi dans le démarrage de Stax, mais Roben Jones indique qu’il y aurait eu incompatibilité de caractères entre Chips et Steve Cropper. Et bien sûr, Jim Stewart prend le parti de Steve Cropper. C’est là que Chips monte American. Il participe en outre à la fameuse première session d’Aretha à Muscle Shoals et devient l’un des chouchous de Jerry Wexler qui du coup va lui envoyer des gros clients et faire décoller American. Et quand plus tard Wexler installe son nouveau QG au Criteria de Miami, American doit se mettre à vivre d’expédients et Chips n’y trouve plus son compte, artistiquement parlant. C’est là qu’il prend la décision de fermer le studio de Memphis et de redémarrer à Atlanta. Mais ça ne marche pas à Atlanta et six mois plus tard, il réinstalle American à Nashville. Il redémarre avec des country stars du calibre de Waylon Jennings et Willie Nelson, mais c’est une autre histoire. Roben Jones ne s’intéresse qu’à l’American de Memphis.

Le gros intérêt de cette somme est qu’on y côtoie Chips Moman de bout en bout. Oh rien de très profond, mais de témoignage en témoignage, on finit par bien choper Chips. Sandy Posey le résume un peu en disant qu’il ne cherchait ni un hit de r’n’b, ni un hit country, ni un hit pop, mais plutôt a great song. Oui, la religion de Chips est la grande chanson. D’où la qualité des artistes qu’il reçoit dans son studio, de B.J. Thomas à Dionne Warwick, en passant par Elvis. Chips : «Songs are the most important things, and then you have people who can interpret them.» (Le plus important, c’est la chanson. Après il faut trouver la personne capable de l’interpréter). C’est pendant la période Stax que Jerry Wexler chope Chips. Il aime tellement son style de guitare qu’il l’impose à Rick Hall pour les sessions de Wilson Pickett et d’Aretha qu’il organise à Muscle Shoals. Chips débarque donc chez FAME au volant d’une Jaguar XKE. David Hood : «He comes driving up one time in a XKE. He was a gambler, he played cards and stuff. He seemed like a real slick, sharp guy.» Oui, Chips est ce qu’on appelle un wild guy. On le surnomme the fifties rebel. Il est toujours armé, c’est un joueur professionnel, il collectionne les voitures de sport et les Harleys. C’est une sorte de Luke la Main Froide. Et un vétéran de toutes les guerres : ce guitariste rockab dans l’âme a accompagné Johnny Horton, les frères Burnette et bien sûr Gene Vincent, des références qui plairont infiniment à notre ami Damie Chad.

Pour démarrer American, il a un plan : monter le meilleur house-band de Memphis et le rendre disponible 24h/24, sept jours sur sept. Il engage Tommy Cogbill (bass), Reggie Young (guitar), Gene Christman (drums), et d’autres musiciens moins connus comme Bobby Emmons et Bobby Wood. Puis Chips va rencontrer Dan Penn et là on entre dans la période magique d’American, car Chips et Dan composent pour des géants comme Aretha et James Carr. Quinton Claunch : «Chips was a great engineer for that kinda stuff. Man, he just smiled all over himself when that big voice came out of the speakers singing his song. He said : ‘We got one. We got the right man to sing this one’.» (Chips savait enregistrer un artiste. Quand il entendait la voix de James Carr dans les enceintes, il souriait. ‘Mec, on a trouvé le chanteur idéal pour cette chanson). Papa Don Schroeder qui amenait des artistes enregistrer chez Chips ne tarit pas d’éloges : «Chips was the best at what he wanted to do. Whooo ! Chips Moman, are you kidding ? Chips Moman... one of the greatest record men who ever lived. But he’s crazy, like all of us.» (Chips était le meilleur dans tout ce qu’il faisait. C’est l’un des meilleurs producteurs qui ait jamais existé, mais il est cinglé, comme nous tous). Chips aime tellement travailler en studio qu’il ne lésine pas sur le nombre de prises. Dan Penn dit que les sessions pouvaient durer jusqu’à 62 heures - That gang of boys right there, they wanted to make better records than Stax. They had an affinity with Chips. They fit him, he fit them. He was in with ‘em real thick and he never got ‘em mad. It was all a big party (Ces musiciens voulaient être meilleurs que ceux de Stax. Ils avaient des affinités avec Chips, ils se comprenaient et se complétaient parfaitement. Chips savait les pousser sans jamais les faire craquer. Les sessions étaient une fête) - C’est important ce que Dan dit là, car Chips fait la différence avec un Rick Hall qui avait un style beaucoup plus despotique. Chips veillait au côté buddy but serious, ce qui est le B-A-Ba du secret de polichinelle. Il respectait ses amis musiciens et attendait d’eux qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. Ce type de comportement professionnel s’appelle l’intelligence artistique. Mais en même temps, il faut que le travail en studio reste fun - When eveything began to morph into a professionaly-run studio and sessions, that was when it stopped being fun for Chips (Lorsque le studio est devenu trop sérieux à cause du business, ça n’amusait plus Chips) - Chips est si bon dans sa manière de diriger un house-band que Roben Jones le compare à Duke Ellington - His productions captured the mood of the contemporary South in the same way Ellington’s music described 1920s and 1930s Harlem, or that of Strauss described nineteenth-century Vienna (Chips a su matérialiser le son du Sud comme l’avait fait Duke Ellington avec le son du Harlem des années 20 et 30, et Strauss encore avant avec le son de la Vienne du XIXe siècle).

Grâce à Jerry Wexler, American devient une institution, Wexler y débarque accompagné d’Arif Mardin, de Tom Dowd et de King Curtis, et fait savoir au monde entier que c’est à Memphis que les choses se passent. C’est the new Southern base, aussitôt après Stax et avant Muscle Shoals. Chez Chips, Stax était l’ennemi ainsi que Nashville. Dan Penn : «They (in Nashville) cut in all that ol’ stupid thin country music. No funk, I always liked a little funk.» (À Nashville, ils enregistrent cette country inepte et vieillotte. Pas de funk. J’aime bien qu’il y ait un peu de funk). Il existait une rivalité entre Stax et American. La presse se focalisait sur Stax et ça ennuyait énormément Chips et ses amis. Dan Penn : «In Memphis all you heard was always Stax, Stax, Stax.» Les gens avaient plus de mal à situer American, qui était à cheval sur la Soul et la pop, alors qu’évidemment Stax ne l’était pas. Et la grande différence entre les mecs d’American et ceux de Muscle Shoals était que les premiers jouaient à l’intuition alors qu’à Shoals ils analysaient. Et selon Roben Jones, la grande différence tient dans la nature des caractères : ceux des mecs d’American étaient plus sombres, à l’image de Chips, alors qu’à Shoals, les gens étaient moins réservés. Mais il leur arrivait souvent de jouer ensemble et ils partageaient le même goût pour le relaxed sound.

Avec des clients comme Joe Simon et Joe Tex, la clientèle d’American devient plus distinguée, et Atlantic leur envoie des nouveaux clients comme Ben E. King et Brook Benton. Ils tournent rapidement au rythme de quatre sessions par jour, alors qu’avant la moyenne à Memphis était plutôt de deux sessions par mois.

Le grand tournant de l’histoire du Southern Sound, c’est bien sûr le killing de Martin Luther King en avril 1968. Partout aux États-Unis, les émeutes éclatent. Les blancs de Memphis ont peur. Chips et Tommy Cogbill se retranchent dans le studio avec des armes. Mais aucun black de touche ni à Stax, ni au studio de Chips. L’atmosphère devient si atroce à Memphis que Dan Penn quitte la ville et rentre chez lui en Alabama. Après cette tragédie, les choses ne seront plus jamais les mêmes.

C’est grâce à Marty Lacker qu’Elvis vient enregistrer chez Chips - One of the reasons I wanted Elvis to record there was so he could work his magic and the only way Chips works his magic is by being Chips (Je voulais qu’Elvis renoue avec la magie et le seul qui pouvait l’aider était Chips) - Et quand en studio Elvis se vautre, Chips n’hésite pas à l’interpeller sèchement : «Hey, this ain’t no fuckin’ movie soundtrack. You need to sing that song !» Hey, t’es pas là pour enregistrer une fucking BO ! On te demande de chanter ! Parle-t-on comme ça à un roi ? Oui, Chips est même le seul qui ose.

Pas d’American sans Dan Penn. Un Dan Penn dont la conversation mixe Southern inflections and good-ol’-boy aphorisms with sudden flashes of poetic elegance. (Un Dan Penn dont la conversation mêle le patois du Deep South et des aphorismes zébrés d’éclairs poétiques). Un Dan Penn qui admire Ray Charles - Ray Charles was the one who took all us white boys into the blues - Bobby Blue Bland est son autre héros - He was second in line behind Ray Charles and he’s awful close to it - Ce qui le conduit tout droit à son principe de base : l’affinité avec les blackos, via le r’n’b - I used to have an affinity for the black race, I really did - Dan Penn passe toute sa vie en quête de funk - My heroes all come from the funky side of the tracks, there wasn’t too much country music that seeped into my soul - Oui, Dan avoue ses affinités avec le peuple noir, sa passion pour Ray Charles et Bobby Blue Bland et redit son manque d’intérêt pour la country. À vingt ans, il est déjà membre actif de la Muscle Shoals recording scene. Il y reste six ans et il compose. Conway Twitty enregistre son «Is A Bluebird Blue». Dan ne cherche pas à se faire connaître. Il préfère rester en retrait - That’s what I’m gonna be, I’m gonna be a studio cat - Puis le studio cat rencontre Chips et c’est le coup de foudre. Reggie Young : «Dan and Chips were so much alike they could be twin brothers, they both have that little snarl, they could seat in a room for two hours, look at each other and never say a word.» (Dan et Chips sont comme deux frères jumeaux. Ils ont la même façon de ricaner et peuvent rester des heures entières face à face sans dire un seul mot). Dan et Spooner composent «Cheater Man» pour Esther Phillips qui est la première artiste envoyée chez American par Atlantic. Dan sait que Chips veut l’aider : «Really what he was doin’ was tryin’ to get me started. I think he had me around because he liked me.» Chips admire Dan et c’est réciproque. Dan apprécie énormément le style de Chips qui est tellement différent du style directif de Rick Hall - He hardly ever told the musicians what to do - Chips ne donne quasiment pas d’indications aux musiciens. Pour situer l’équipe d’American, Dan parle d’un gang of boys. Il faut l’entendre définir le Memphis way, c’est quelque chose : «I call it the Memphis way, leave the band alone and have some great expectations. Stax, they were more kin (proches) to Alabama. They wouldn’t just sit and cut till the walls caved in. Stax was also the Memphis way, but it wasn’t my memphis way.» (J’appelle ça the Memphis way, laisse faire les musiciens et tu verras le résultat. Chez Stax, ils jouent comme à Muscle Shoals. Ils jouent jusqu’à ce que ça soit parfait. Stax est aussi the Memphis way, mais ce n’est pas mon Memphis way).

Dan vient en studio en bermuda, avec son paquet de clopes roulé dans la manche du T-shirt. Il prend aussi pas mal d’amphètes et Robert Gordon raconte qu’un jour Dan et Wayne Carson se lancèrent dans une session d’écriture jusqu’au-boutiste, assis face à face sur des chaises. Épuisé, Carson finit par s’écrouler et Dan le remit sur sa chaise, l’attacha avec sa ceinture et le força à continuer - You’re not quittin’ on me now ! - Les conséquences du killing de Martin Luther King eurent sur Dan d’énormes conséquences : il se mit à fumer de la marijuana pour alléger son profond désespoir et fut incapable de composer pendant deux ans, de 68 à 70 - It took me a pretty long time to get my feet back under me (il m’a fallu un sacré bout de temps pour retomber sur mes pieds) - Puis c’est la rupture avec Chips. Dan veut une part du gâteau - a piece of the company - et Chips lui dit : «If you want a piece of the company, start your own.» (Tu n’a qu’à monter ta boîte). C’est ce qu’il va faire. Dan veut travailler à sa façon et il commence à traîner avec Dickinson, qui était the center of Memphis bohemian life - In many ways, Dickinson had replaced Chips Moman and Spooner Oldham as the closest person to him - Dan s’acoquine avec Dickinson qui est au centre de la bohème de Memphis. Au plan social, Dan n’aime pas les hippies, ni leur musique ni leur accoutrement - As far as I’m concerned they are the ruin of this country - Et quand il côtoie Elvis lors des sessions d’American, il ne lui adresse pas trop la parole, car il estime qu’on doit lui foutre la paix. Et puis au fond, il n’aime pas trop les stars. Il est un peu comme Mark E. Smith, il préfère les gens normaux, the regular people. Et en fin de parcours, Roben Jones rend hommage à Dan & Spooner en les traitant de living relics of the long-forgotten era of soul music (légendes vivantes de cette vieille scène Soul que tout le monde a oublié). Joli, n’est-ce pas ?

L’histoire d’American commence aussi avec Reggie Young et le Bill Black Combo dont il était le guitariste. Le Combo se retrouve booké sur la première tournée américaine des Beatles en 1964. Reggie Young en prend plein la vue. D’autant que George Harrison demande : «Which one is the guitar player for Bill Black ?» George voulait savoir d’où Reggie tirait son son - I had this little tube Standell amp - C’est aussi lors de cette tournée que Reggie a une petite aventure sentimentale avec Jackie DeShannon qu’il reverra des années plus tard comme cliente d’American.

C’est lors d’une session Wilson Pickett à Muscle Shoals que Chips et Tommy Cogbill rencontrent Bobby Womack. Sa façon de jouer impressionne tant Chips qu’il lui propose de venir s’installer à Memphis. Les Memphis boys se mettent à l’adorer - He had a hollow-body electric, that old guitar was handmade in New York (Bobby jouait sur une demi-caisse électrique fabriquée par un luthier new-yorkais) - Après avoir vécu à Los Angeles, Bobby se sent beaucoup mieux à Memphis. Chips le salarie en tant que compositeur et second guitariste. Bobby retourne ensuite s’installer à LA, mais revient à Memphis enregistrer son premier album, Fly Me To The Moon. Ed Kollis le trouve changé. Eh oui, Bobby s’est mis à la coke, ce qui n’est pas du tout le genre de la maison American. Chips ne veut ni drogues ni alcool lors des sessions.

Si Dewey Lincoln Oldham Jr. s’appelle Spooner, c’est dû à un incident : enfant, il s’arracha un œil avec une cuillère, spoon en Anglais. D’où Spooner. Il rencontre Dan à Muscle Shoals et leur complémentarité fait merveille : Spooner’s contemplative temperament matched Dan’s sharper-edged one. C’est Sponner qui accompagne Percy Sledge à l’orgue sur «When A Man Loves A Woman», paru en 1966. C’est d’ailleurs ce hit qui va mettre Jerry Wexler sur la piste de Muscle Shoals. Spooner allait aussi devenir l’un des musiciens les plus respectés du circuit, pas seulement pour sa façon de jouer du piano, mais surtout pour ses qualités humaines. Mike Leech : «Spooner is one of the sweetest, non-assuming guys you will ever meet. I never heard him raise his voice or get angry.» (Spooner est l’un des mecs les plus doux qu’on puisse rencontrer. Je ne l’ai jamais vu élever la voix ou se mettre en colère).

C’est Papa Don Schroeder qui amène James & Bobby Purify chez American, pour l’une des sessions les plus mémorables, «Shake A Tail Feather». Mais ce qui rend Papa Don encore plus mémorable, c’est sa botte secrète : il va finir tous ses enregistrements à New York - because I have Melba Moore, Doris Troy and Ellie Greenwich, they sing backups on all my records.

Parmi ses grands clients noirs, Chips eut le privilège d’avoir James Carr, puis le fils spirituel de Lloyd Price, Wilson Pickett, qui tapait du pied en chantant. Puis King Curtis qui impressionna fortement Reggie Young : «I had never worked with a musician who was as quick as he was.» (Je n’avais jamais travaillé avec un musicien aussi rapide que lui). On monte encore d’un cran avec les Sweet Inspirations que Tom Dowd amena à Memphis en 1967 pour enregistrer leur premier album. Ce trio de surdouées (Cissy Houston, Dee Dee Warwick et Judy Clay) remplaça les Cookies chez Atlantic comme backup singers. Les Cookies parties accompagner Ray Charles devinrent les Realettes. Chips disait de Cissy qu’elle avait l’une des plus belles voix du monde. Et pour Chips, B.J. Thomas était LE chanteur d’American - the man who embodied the integrity, craftmanship, versality, originality and refusal to be categorized that typified the American group. (L’homme qui incarnait l’intégrité, le savoir-faire, la versatilité, l’originalité et le refus d’entrer dans une catégorie qui caractérisaient si bien l’esprit des musiciens d’American).

Autre pierre blanche de la saga American, c’est bien sûr les Box Tops. Pas de Box Tops sans American et pas d’American sans Box Tops. Alex s’entend bien avec Dan et accepte que ce soient les gens d’American qui l’accompagnent, et non les membres de son groupe. C’est Dan qui fabrique Alex. On recroise dans l’ouvrage la fameuse anecdote concernant «Cry Like A Baby» : Dan et Spooner ont passé la nuit entière à chercher des idées de compos : chou blanc. En désespoir de cause, ils vont prendre leur petit déjeuner au Ranch House voisin et Spooner dit : «I’m so discouraged I could just lay my head on this table and cry like a baby.» Cry like a baby ? Wow ! C’est ça ! Dan saute en l’air. Ils retournent au studio en courant et pondent le hit que l’on sait en une demi-heure. Quand Alex veut reprendre «Wang Dang Doodle» de Big Dix, Dan s’y oppose : «Oh no, you can’t cut that, that’s about razor totin’ and carryin’ guns.» (Pas question de reprendre une chanson où on trimballe un rasoir et un calibre). Dan considère que les chansons doivent détendre les gens, pas les énerver. Le business des Box Tops ne va durer qu’un temps, car Alex n’aime ni les tournées ni les pratiques de Larry Uttal, le boss de Bell : il doit 100.000 $ aux Box Tops, mais il annonce qu’il ne les versera qu’en échange d’un prochain album. Ça ne plait pas non plus à Dan Penn qui se retire après le troisième album des Box Tops. Chips accepte de produire le dernier album pour rendre service à Alex et récupérer les royalties. Entre aussi en scène à une époque Joe South, recruté par Jerry Wexler pour accompagner Aretha. C’est lui qui joue l’intro de «Chain Of Fools», sur Lady Soul. Joe joue sur une orange cut-away Chet Atkins Gretsch model. Côté admirations, Dan en pince pour Eddie Hinton et Chips pour Joe Tex, l’un des grands clients d’American. Débarquent aussi un jour à Memphis Paul Revere, Mark Lindsay et Freddy Weller. Il y enregistrent le fameux Goin’ To Memphis avec les Memphis Boys. On ne chôme pas, chez Chips. Ils reçoivent alors la crème de la crème du gratin dauphinois.

L’âme du house-band d’American c’est bien sûr Tommy Cogbill, surnommé Cog, qu’on entend sur les cuts d’Aretha, de Dusty chérie et de Clarence Carter. Cog fut le modèle de David Hood : celui-ci aimait tellement le style de Cog qu’il abandonna le trombone pour se mettre à la basse. La bassline que joue Cog sur le «Preacher Man» de Dusty In Memphis est devenu une référence pour tous les bassmen, au même titre que les drives de James Jamerson chez Motown. David Hood : «At that time, the bass became a more busy instrument.» Hood rappelle aussi que Cog trempait ses doigts dans la vaseline pour avoir un son plus smooth.

Neil Diamond fait aussi partie des gros clients d’American, mais selon Wayne Carson, ça coinçait un peu avec lui : «Neil Diamond never fit into that Memphis groove. He wanted to but he never could.» (Neil ne collait pas avec le Memphis groove. Il a essayé, sans résultat). Et Chips ne trouvait pas ses chansons très convaincantes. Par contre, il se mit en quatre quand il apprit qu’Elvis voulait enregistrer chez lui. Wayne Carson affirme que Chips réussit à obtenir le meilleur d’Elvis, et ça n’était plus arrivé depuis le temps de Sun avec Sam.

Lorsqu’Al Bell instaure le black power chez Stax, Steve Cropper, Carla Thomas et Booker T. s’en vont. Carla et Booker T. viennent traîner chez Chips qui les accueille à bras ouverts, en vieux Staxman qui se respecte. D’après Roben Jones, l’une des sessions de Chips les plus réputées est celle de Carla Thomas, en juin 1970. Arthur Alexander vient aussi enregistrer son deuxième album chez American, soutenu moralement par son vieil ami Donnie Fritts. Cog le produit. C’est sur cet album que se trouve l’immense «Rainbow Road» co-écrit par Donnie Fritts et Dan Penn. Donnie précise qu’il écrivit Rainbow spécialement pour Arthur, tellement il admirait sa voix. L’album ne devint légendaire que grâce au bouche à oreille. Par contre, Chips eut quelques problèmes avec le premier album de Billy Burnette fraîchement débarqué de Los Angeles pour se ressourcer à Memphis. Chips ne trouvait pas les chansons du petit Billy assez bonnes. Et Billy Lee Riley fut le tout dernier client d’American à Memphis. Hélas, mille fois hélas, Chips ne s’entendait pas avec Billy. Le gros des sessions est resté coincé au fond d’un placard. Ça finira par sortir un jour, comme tout le reste.

C’est semble-t-il avec les dames que Chips s’entend le mieux. Et quelles dames ! Dusty chérie, Dionne la lionne et Jackie DeShannon. Dusty in Memphis est considéré comme l’un des sommets d’American. Warren Zane a même consacré un ouvrage à cet album mythologique. Rappelons pour la petite histoire que Dusty chérie et les Sweet Inspirations enregistrèrent les vocaux à New York, sur les cuts qu’avait enregistré le house-band d’American à Memphis. On trouve aussi sur cet album le fameux «Breakfast In Bed» co-écrit par Eddie Hinton et Donnie Fritts qui avait la fritte à l’époque. Mais à Memphis, Dusty chérie ne se sentait pas bien. Savoir qu’avant elle, Joe Tex et Wilson Pickett avaient chanté au même endroit, ça lui coupait tout simplement la chique. Atlantic était descendu au grand complet : Arif Mardin, Tom Dowd et Jerry Wexler produisaient. Chips resta en dehors. Le fin mot de l’histoire est que Dusty chérie préférait travailler à sa façon : seule en studio et chanter avec la musique dans le casque. C’est ainsi que s’acheva l’épisode Dusty In Memphis. Par contre, ça se passa beaucoup mieux avec Dionne. Elle décida de venir enregistrer à Memphis parce qu’Aretha l’accusait de n’être pas assez soulful. Pas assez soulful ? Ah tu vas voir, ma vieille ! Elle enregistra justement Soulful, l’un de ses albums les plus dévastateurs. Comme il lui fallait des cuts, Chips lui proposa d’enregistrer «You’ve Lost That Loving Feeling» et évidemment, Dionne l’explosa. Pif ! Bang ! Pow ! Cog y fit un carnage à la basse. Les cuts enregistrés à Memphis qui ne figurent pas sur Soulful se trouvent sur From Within, un double album paru aussi sur Scepter. Dionne fut tellement ravie de son séjour parmi les Memphis boys qu’elle leur fit envoyer à chacun des montres avec leurs noms gravés (comme l’avait fait Aretha avant elle) et elle demanda à Florence, la boss de Scepter, de payer une Rolls à Chips ! Sacré veinard ! Chips l’utilisa comme voiture de fonction pour American, lorsqu’il fallait aller cueillir des clients à l’aéroport. En fait il préférait piloter sa TR-6 ou sa Harley. Et puis Capitol envoya Jackie DeShannon enregistrer chez Chips. Roben Jones affirme que ces sessions comptent parmi les plus réussies de Chips. Mais les enregistrements ne plurent pas à Capitol et cet album jamais sorti finit par acquérir le statut de great lost album. Il vient tout juste de reparaître sous le titre Stone Cold Soul. Une pure merveille. On retrouve deux ou trois cuts tirés de cet album ré-enregistrés chez Capitol sur Songs, paru en 1971, mais ce n’est pas le son de Chips. Et voilà le travail.

Et comme dans toute grande aventure collective, on voit les défections se succéder : Dan Penn, Bobby Womack, Spooner Oldham, Ed Kollis et Glen Spreen quittent l’équipe d’American. D’autres comme Billy Burnette arrivent. Puis c’est au tour de Tommy Cogbill, Gene Chrisman et Bobby Wood de quitter American pour Nashville. Le problème est que Chips ne vient plus au studio et les musiciens tournent en rond. Et quand aux Memphis Music Awards, aucun musicien d’American n’est nominé, Chips prend ça comme une insulte - That’s what made me want to get the hell out of there (C’est là qu’il prend la décision de se barrer) - Dan Penn confirme que le manque de reconnaissance affecta profondément Chips et ses amis : «In America and Europe and all over the world, nobody ever gave these guys credit.» (Personne ne connaissait les noms des musiciens qui avaient joué sur autant de hits). C’est là que Chips quitte tout, même sa ferme de Raleigh et ses chevaux. Il ne met même pas le local d’American en location. Le bâtiment sera détruit en 1989. Même destin tragique que celui de Stax sur McLemore. Même genre de naufrage collectif et affectif. Memphis qui avait tout n’a plus rien.

S’il en est une à qui on peut serrer la pince, c’est bien Roben Jones. Chips, Reggie et les autres lui doivent une fière chandelle.

Signé : Cazengler, Reggie Old

Reggie Young. Disparu le 17 janvier 2019

Roben Jones. Memphis Boys. The Story Of American Studios. University Press Of Mississippi 2010

 

MONTREUIL / 18 – 01 – 2019

LA COMEDIA

COUDASSE / GRANDMA'ASHES

C'est comme l'inexorable montée des eaux due à l'extinction de la banquise, en huit jours la fresque s'est encore emparée d'un pan de mur. Le pire est désormais envisageable, le coup de la bobine, à chaque tour d'embobinage vous emmagasinez davantage de fil, une surmulltiplication exponentielle, si on laisse faire, dans deux ans la ville de Montreuil sera entièrement recouverte, des ramages lysergiques s'étendront sur toute les façades de la ville, les habitants chassés de chez eux, relogés dans des camps de réfugiés, et la ville livrée à l'invasion de centaines de milliers de touristes venus du monde entier se prendre en selfie devant les murs chatoyants de la nouvelle Pompéi moderne pendant que de doctes professeurs d'universités réunis en colloques internationaux se mettront d'accord pour décréter que cette prolifération sauvage aura été rendue possible par les émanations soniques délétères dont la bâtisse située au croisement maudit des rues Michelet et Edmond Vaillant se sera rendue coupable durant des années, et les gouvernements réunis en conclave se hâteront de statuer sur l'interdiction planétaire du rock'n'roll.

Un véritable cauchemar, un seul remède pour endiguer cette catastrophe annoncée, combattons le mal par le mal, écoutons un peu de rock'n'roll.

COUDASSE

Nous prennent par surprise, en traître, l'en manque un qui vaque à l'on ne sait quoi, l'on ne sait où, le guitariste à genoux devant ses delays a l'air de s'accorder, et le batteur de promener ses baguettes sur ses peaux en attendant que cela commence, le bassiste caresse une corde d'un air distrait. Et bien non ! Nous ont fait le coup du train qui démarre alors que le nôtre reste immobile alors qu'en vrai c'est notre tortillard qui met les bouts et le voisin qui reste immobile sur ses rails, c'est parti, sans tambour ni trompette, et il faudra trois minutes avant de s'apercevoir que l'on prend de la vitesse. Le coup de la coudasse. Z'avez l'impression qu'ils vous tendent la main pour vous emmener vous promener sur un sentier tout mignonitou dans une douce campagne ensoleillée, erreur funeste, la montée est si progressive en ses débuts que vous n'y faites pas gaffe, et brutalement tout s'accélère et vous voici projeté à toute vitesse vers l'horizon de cimes glacées qui recule sans cesse, et le public devient fou, se jette les uns sur les autres, s'entremêle en un tourbillon tapageur sans fin. Quand enfin le sommet est atteint, vous n'êtes qu'au début de vos ennuis, les guitares vous entraînent sur des pentes verglacées, vous glissez à une vitesse folle vers votre dernière heure. Mais ce n'est pas fini, car une fois que vous êtes morts, ils vous raniment illico et hop oï oï vous avez droit à un nouveau tour de montagne russe, encore plus hautes encore plus vertigineuses. Âmes sensibles s'abstenir. Coudasse décline toute responsabilité. A vos risques et périls.

La Comedia doit être remplie de casse-cous et de risque-tout qui adorent les émotions fortes et les situations exaltantes. Coudasse se plaît à rajouter du sel de braise rouge sur les plaies et du poivre noir sur les bosses. Vocalisent à tour de rôle. Pas de vedettariat. Des voix de grêle graisseuse et de colère. Et puis la musique reprend son rôle prédominant de grande meneuse de revue de vos abattis réduits en charpie. Son bruit de cordes frottées soutenues par une batterie omniprésente et haletante aspire votre attention à la manière d'une ventouse qui débouche les WC de votre esprit pour vous libérer de toutes les données excrémentielles sociétales. Le grand nettoyage, par le vide.

Coudasse si vous voulez, mais au lieu de votre nez tuméfié par un coup de coude intempestif, imaginez plutôt votre visage sanguinolent défiguré par une profonde griffure d'un ours polaire en colère. Sortent de scène sous une pluie d'applaudissements admiratifs et respectueux. De la Coudasse, encore de la Coudasse, toujours de la Coudasse et le rock'n'roll sera sauvé.

GRANDMA' ASHES

Goût de cendres dans la bouche. Pas celui des cookies dans lesquels, selon un rite barbare d'appropriation des forces obscures de votre ascendance, vous avez mêlé à la farine les cendres de votre grand-mère, celles de l'anneau de feu et de fièvre des folles chevauchées des walkyries. Ne sont que trois à monter sur scène, en short et bas résille, trois ballerines de l'extrême. Filles de la foudre de Zeus, et de la Nuit hideuse. Qui réconcilient le tonnerre et le stoner. Mais déchiffrons le grimoire de ces Moires. L'on n'échappe pas à son destin, aussi commencerons-nous par Edith-Atropos, l'Inévitable, tapie derrière sa batterie, longs cheveux noirs qui parfois voilent sa face car l'on ne regarde pas le feu de son visage péremptoire sans danger, c'est elle qui d'un geste coupe le fil, vous détache du cordon ombilical de la vie, en un dernier spasme tragique. A sa gauche, Myriam-Larkésis, l'ensorceleuse, est à la guitare, fine silhouette rehaussée d'une couronne astrale de cheveux d'ébène, elle dévide les riffs et les images de votre existence aux épisodes multiples, heureux et malheureux, miraculeux et marasmiques, se chevauchent à une vitesse folle. Enfin, Eva-Clotho, l'Originelle, qui donne naissance, vous arrache de sa basse de la base indistincte des éléments primordiaux, et sa voix est un chant de sirène qui ruisselle sous la rouille de sa crinière qui retombe sur son corps blanc et pulpeux de naïade.

Trois filles et le furet sanguinaire du rock'n'roll qui court sans fin dans le cercle fatidique de leur ronde à seule fin de planter ses dents aigües dans vos veines et d'aspirer votre sang tumultueux et votre énergie vitale. Un set de toute éblouissance. Trois furies. Lancées à toute allure. Pas une once de repos, pas une seconde de temps mort. Edith mène la sarabande. Une frappe en accélération constante. Pas vraiment de break, des séquences qui se suivent en une rapidité inventive qui mêle netteté de la frappe et efficacité magistrale. Des coups de fouets sur la croupe d'un attelage qui a pris le mors aux dents et vous emporte en une course diabolique. Des rafales folles, exemptes de toute fanfaronnade, Edith mène le jeu, ne joue pas pour épater le public mais pour satisfaire à une espèce de mathématique intérieure destinée à réaliser l'équation de ce qu'elle tient pour une approche des plus aguerries de l'idée qu'elle se fait en elle-même de la perfection. Encore une solitaire, à ses côtés. Décidément, ces filles n'obéissent qu'à leurs pulsions intimes. Elles ne courent pas après la musique, la laissent sourdre d'elles telle la source qui sort de terre. Myriam a le riff incoercible, surgit du dedans et s'empare de sa guitare, ce sont des vagues qui déferlent sur vous, elle les émet comme des ondes vibratoires dont la force destructrice vous submerge sans rémission. Rêvez d'Eva à la voix envoûtante et incantatoire, par-dessous les soubassements de sa basse, non pas de longs meuglements monotones infinis, mais un kaos créatif de swing désordonné et culminatif, cratère de fusion volcanique et coulées de lave irradiantes. Parfois elle s'agite comme soulevée par une ondée de joie créatrice sans égale et dans l'échancrure de son T-shirt ses seins blancs palpitent comme ceux de la Louve Palatine qui transmit aux jumeaux sacrés la fureur resplendissante des Dieux afin que l'un d'eux fonde la Ville maudite destinée à asservir le monde.

Ces trois filles sont en train de forger l'orichalque interdit du rock'n'roll et le public averti n'en perd pas une miette. Elles nous emportent en un déluge de feu. Nous délivrent un stoner-rock qui remplit toutes les attentes. Elles atteignent d'emblée à l'élégance inné de ce style qui ne supporte ni redite ni ennui. Telles que je les ai décrites une par une, je crains de n'avoir pas insisté sur la cohésion du groupe, ces fillettes se connaissent sur le bout des doigts, sont unies par une longue complicité. Peuvent paraître, lors d'un regard primesautier, bosser chacune dans un des angles du triangle sans se soucier des sœurettes, mais les oreilles exercées ne s'y trompent guère. Le groupe fait preuve d'une grande cohérence harmonique qui permet à chacune de développer son espace de liberté. Elles ont acquis ce niveau d'automatisme qui sécrète une sûreté et une sécurité de base, une espèce de filet de protection invisible et inamovible, sans lequel toute prestation est une perpétuelle au mise au point de l'anxieuse recherche d'un équilibre des plus précaires. Une heure leur a suffi pour conquérir l'assistance – fortement et mystérieusement féminisée dès qu'elles eurent pris pied sur la scène – les applaudissements ne cessent de pleuvoir. On y décerne cet enthousiasme, cette émotion, et cette déférence qui fait toute la différence. Les filles sont-elles l'avenir du rock'n'roll ? Ce qui est sûr c'est que Grandma'Ashes a réduit nos coeurs en cendres. Tous nos suffrages dans cette urne cinéraire. La seule digne de leur rock incendiaire.

Damie Chad.

SEVEN

ABSTRACT MINDED

EP quatre titres, hélas pas encore artefacté, faute de moyens financiers, ce qui n'empêche pas quAbstract Minded soit un des groupes qui ait produit sur moi une des plus grandes impressions lors des deux passages live auxquels j'ai eu la chance d'assister. Une musique des plus violentes mais marquée d'une pure intellection. Du métal sauvage qui a abandonné la quincaillerie pour aborder la rive de sa propre abstraction.

Seven : Clip de Marlene Reichman : l'écoute restera indissociable de la vidéo qui l'accompagne. Seven comme les sept âges de la vie résumés en leurs deux extrémités, à condition que l'on considère comme des bornes infranchissables ces moments où l'on n'est pas encore et ceux-là où l'on n'est plus. Sans doute passe-t-on sa vie à chercher le point focal de son existence. Celui où nous sommes nous, où notre plus grande jeunesse rejoint notre plus grand âge, lorsque la promesse de ce que l'on n'est pas se confronte à ce que nous avons déserté de nous. Ce voyage intérieur le Clip le métaphorise en cette rencontre improbable de nous-même avec nous-même, de la petite fille et de la vieille dame sur le chemin de la vie qui conduit à la baudruche du néant. Ce ne sont que des images entrecoupées du groupe en action. Des vibrions de matière qui s'efforcent de réaliser l'impossible fusion du passé aboli avec le futur inaccompli. Le métal de cet alliage incertain est l'or du Rhin mythique de la musique d'Abstract Minded. Une voix qui hurle, des cymbales qui étincellent comme des gouttes d'or et le reste de l'orchestration qui n'est que magma dune noirceur inaccoutumée. Realease ! : cris de victoire émancipatrice sur le refrain, n'empêche que le chemin vers la libération de soi-même en devenant soi-même n'est guère facile. La voix creuse son terrier, et le chemin s'allonge démesurément. Guitares éruptives et basses continues, déglutis vocal lorsque la musique semble au bout d'elle-même, la batterie remet le couvert aux couteaux sanglants, ceux qu'il a fallu s'arracher de soi. Et le son devient moteur d'avion qui perd de l'altitude, la fin semble plus proche que jamais, mais en un dernier effort le combat contre les monstres incapacitants reprend, chacun se doit de retrouver la fureur totémique de la bête qui gît en soi, les dernières notes s'égrènent comme ces fleurs de pissenlits emportées par le vent... Vishaal : grognements de loup. La bête est enfermée en moi-même et les autres sont les murs de ma prison. Nulle issue hormis moi-même et cette terrible solitude qui me mure en moi-même. L'échappée belle n'a été qu'un mirage, la rage m'habite et me brûle, musique cataclysmique, portes de plomb qui se referment sur moi. Requiem apocalyptique, le vocal cisaille le néant des apparences. Toute vision se referme sur le globe de l'œil crevé par les draperies funèbres du spectacle du monde. L'on ne va jamais plus loin que soi-même. Toute prison est un mantra de haine. Masochisme chamanique. Transcendez la nature, l'instinct de mort dominera. Les requins affamés se nourrissent de leurs propres entrailles. Greed : lâchez le monstre, je suis festin carnivore, j'avale la viande humaine des désirs et des rêves. Je suis une force qui détruit, rien ne saurait me résister, le ne suis qu'un gouffre vide, qu'une gousse de néant avide, je bouffe et je bâfre, rien ne saurait me résister, le chant devient proclamation excitée, grande menace, et les chœurs entonnent les dithyrambes d'adoration de la destruction. Le crime est le seul principe de regénération. Méfiez-vous, ma route croisera la vôtre comme elle a croisé la mienne. Tourbillon de gloutonnerie métaphysique. Behind the wall : ( Nous rajoutons en bonus la kronic de ce cinquième morceau datée du 28 / 09 / 2017, voir 341 ° livraison ). Un unique morceau construit sur le schéma des tétralogies grecques. Commence par un bourdonnement grondeur de voix qui buterait sur elle-même, une tétraplégique reptation de gorge issue des galeries les plus obscures d'une mine charbonnière, musique qui moutonne noir impassible, un fleuve de cendre volcanique qui progresse et arase les doux paysages des âmes choisies, coup de cymbales comme gong de bronze qui résonne dans les temples désertés par les dieux, colère vocale crispatique, et la marche processionnaire reprend, impassible, mais les mots s'écrasent plus longuement tels ces mouchoirs de papier emplis de morve, de sang et de sperme que vous jetez derrière vous afin de désobstruer vos méningiques cloisons fissurées, lézardes de rage sur le métal stridal, la voix qui bazooke les portes blindées de la sortie du labyrinthe, cris de triomphe afin de fêter l'issue catacombère, long soli lyriques de guitares explosives, émissions spharynxgicoïdales chantent victoire, arrêt brutal. Nous ne sommes qu'à l'orée du chemin de glaise noire. Le plus difficile c'est d'en sortir. Que vous soyez mort – sachez que cela vous arrive plus souvent que vous ne le pensez – étendu en votre léthargie ou simplement retenu en vous- même. Bref, faut s'extraire. Pas facile. Vous n'avez pas la bonne clef dans votre poche. Sinon vous seriez déjà dehors. Une seule solution : enfoncer la porte. Oui, ça fait du bruit. Vous ne croyiez tout de même pas que ça se passerait dans le silence absolu. Et puis il y a le gardien du seuil. La solution décisive serait de l'abattre. Ce n'est pas l'envie qui vous en manque. C'est qu'il vous ressemble tellement que vous vous apercevez qu'il n'est autre que vous-même. La partie s'avère plus compliquée que prévue. Remarquez c'est une histoire connue et rebattue. Le scénario remonte à l'antiquité. C'est expliqué dans les textes des gnostiques. L'avaient pompé sur les vers dorés de l'orphisme. Suffit de transformer le cercueil de votre chair, lui insuffler l'énergie alchimique de la vie. Parce que vous n'êtes que rarement vivant quand vous y réfléchissez. Voilà vous avez le fil de l'action. Un peu compliqué, je le concède. Abstrait, dites-vous ? Emission gutturale de la lettre A. L'aleph prodigieux du point d'inexistence qui contient l'univers.

 

Alexis Godefroy : bass / Joey Baudier : lead vocal / Louis Guffond : guitar / Zivan Rasolofo : guitar / Jimmy Lavogiez : drums.

Damie Chad.

NOT DEAD YET

PHIL COLLINS

( Michel Lafon / 2016 )

 

    • Oh, les gars vous faites quoi cet aprum ? Passez à la maison, j'ai un super disque de rock à vous faire écouter !

    • Toi, tu écoutes du rock, jeune hippie !

    • Vous serez surpris, c'est une nouveauté, venez vous ne le regretterez pas.

On n'aurait pas dû, mais à quatorze heures pile l'on tapait à la porte, et la copine exhibait triomphalement The Lamb Lies Down On Broadway, de la grosse pile posée à côté de l'électrophone.

    • Tu nous as fait venir pour Genesis, tu es totalement frappée !

    • Taisez-vous et écoutez, c'est le dernier, rien à voir avec ce qu'ils faisaient avant !

Bref on s'est presque tu, et on s'est tapé la première galette de quand elle a voulu mettre la seconde on s'est éclipsé ( pas du tout discrètement ) en lui disant que le grand méchant loup des steppes du rock'n'roll réduirait de ses grosses dents pointues et cruelles en lambeaux cette misérable bestiole bêlante d'agneau new-yorkais sans regret ni remords.

 

Deux mauvaises nouvelles : 1 : depuis la copine n'a pas changé, elle écoute toujours de la mauvaise musique. Mais ce n'est pas le plus grave. 2 : la teuf-teuf immobilisée pour une heure et demie au garage, c'est alors que se pose la question léniniste par excellence : Que faire ? J'avise le fouillada voisin, farfouille dans toutes les étagères pour finalement ressortir avec le bouquin grand-format( tout neuf, tout beau, tout brillant, pour deux euros ) car vous savez en rock, faute de loup on bouffe de l'agneau.

Au cas où vous auriez manqué à tous vos devoirs et omis la semaine dernière de lire la kro du Cat Zengler sur Ginger Baker, surtout ne réparez pas cette funeste erreur au plus vite, lisez d'abord celle-ci, car la vie de Collins risquerait de vous paraître un peu fade après celle de Ginger le rocker fou. Je résume : d'abord le purgatoire avec Phil, ensuite les enfers paradisiaques avec Baker.

Commence mal le Collins, pleure un torrent de larmes, s'est marié trois fois et a divorcé trois fois. A le croire, abondance de biens nuit gravement à la santé, a laissé ses épouses toute seules à la maison pendant qu'il vagabondait aux quatre coins de la planète et crime inexpiable il ne s'est pas occupé de ses enfants comme il aurait dû. Nous rassure toutefois, aujourd'hui ( 2016 ) tout va bien, s'entend à merveille avec ses quatre gaminettes et gaminos qui ont grandi, s'est remis avec la dernière des génitrices, et coule une vie de famille des plus sereines... Certes il n'est pas chrétien mais l'ensemble sonne ( le tocsin ) born again... Ensuite il nous raconte son histoire en suivant l'ordre chronologique, mais cette contrition préliminaire reste le leitmotive principal du bouquin.

Une mère artiste et un père un peu bourrin. Le résulta final n'est pas mauvais : une grande sœur danseuse de niveau international, un frère dessinateur renommé, la famille Collins n'a pas engendré que des tocards. Sa maman il la gardera très longtemps, elle mourra quasi-centenaire, mais c'est la figure paternelle qui le marquera le plus par le fait même de son absence. Elle reste en même temps une monstrueuse énigme et un parfait exemple comportemental, uniquement par ses mauvais côtés. Car des bons, aux yeux de l'enfant et du jeune homme qu'il sera au moment où il décèdera, il n'en avait pas. Un homme secret qui entretenait une maîtresse – irrémédiable lézarde dans la cellule familiale - et qui n'a jamais su témoigner le minimum de tendresse nécessaire à son fils dont il jugera les entreprises musicales peu digne d'intérêt. L'aurait préféré qu'il prenne comme lui un boulot convenable dans la Cité. Le beauf au boulot tous les jours avec sa fierté de bœuf sous le joug. Le fils finira par se reconnaître en cette figure peu souriante : s'il est devenu un artiste bourreau de travail qui accepte avec joie pléthore de propositions qui l'accaparent et l'éloignent de ses enfants, c'est pour faire comme son père – ce héros - qui tous les matins se levaient pour, à chaque fin de mois, ramener à la maison la paye nourricière. Toutes les excuses sont bonnes, le livre déborde ainsi d'une hypocrite naïveté confondante et auto-déculpabilisante, ne m'accusez pas, ce n'est pas de ma faute...

Depuis l'âge de cinq ans, le petit Philip tape sur tout se présente à lui, mais la musique n'est point sa ligne de mire. Voudrait être comédien, faire du théâtre, tourner des films... sa mère l'inscrit dans une école adéquate, l'ado est aux anges, l'est entouré de filles. Des projets pleins la tête mais peu de concrétisation, parvient à décrocher le premier rôle dans une comédie musicale, mais sa voix se brise lors d'une représentation, la mue tord en quelques minutes sa jolie voix de petit chanteur à la croix de bois... L'a de la chance, pas le temps de pleurer sur son sort, de grands bouleversements submergent Londres, les Beatles passent à la télévision et c'est la grande révélation. Collins est emporté par la vague. Assiste aux concerts des Yardbirds, des Rolling Stones et même à la première apparition de Led Zeppelin... Fonde un groupe avec des copains, puis un second, tient la batterie, se démène comme un diable pour percer, à dix-neuf ans la chance de sa vie. C'est ainsi qu'elle lui apparaît. L'est convoqué pour jouer des congas pour un titre de ce qui deviendra le premier album All Thing Must Past Past de George Harrisson. Séance avec Phil Spector dans la cabine. La déception de son existence, la piste ne sera pas retenue, et il n'est pas crédité sur la pochette. Lui faudra attendre trente ans la réédition pour que George fasse mention de sa présence...

Ce n'est que partie remise. Auditionne pour Genesis – déjà deux albums au compteur – s'en tire à son avantage. Nous abordons la partie la plus intéressante du livre, les rapports de hiérarchie dans un groupe. Les britishs pratiquent la guerre de classe feutrée. Les trois musiciens de Genesis qui l'accueillent font partie de l'upper-class, cottage campagnard plantureux avec piscine chauffée, politesse exquise, humour britannique, ambiance bourgeoise, suffit de lire pour comprendre que la musique de Genesis qui louche vers la transcendance classique n'est pas engendrée par des rock'n'rollers... Collins ne la ramène guère, se contente de sa place de batteur, lui faudra du temps pour apporter quelques idées à l'écriture des morceaux. Ce qui est un peu comique, c'est l'importance que prendra Peter Gabriel au fur et à mesure que la notoriété du groupe s'étend. Devient sans partage l'attraction scénique numéro 1 du groupe, une forte personnalité qui s'implique énormément ( et même autocratiquement ) dans l'écriture des lyrics. Collins affirme que tous deux seront complices mais il n'en est pas ainsi avec Tony Banks et Mike Rutherford. Certes on lui passe tout, ses costumes extravagants et ses postures scéniques sont incomparables attirent les foules, mais l'on sent une incompréhension quasi-métaphysique chez les autres. Cette débauche d'effets visuels, leur inconscient l'assimile à une espèce de déclassement de l'Artiste en Saltimbanque. Rien n'est dit, le combo sans arrêt sur la route pour capitaliser sur le succès enchaîne les disques emportés dans un tourbillon, The Lamb Lies Down On Broadway enregistré un peu trop à la va-vite, même s'il est un succès phénoménal, précipitera le départ de Peter Gabriel qui sent sa puissance créatrice bridée par ses compagnons.

L'absence de Peter Gabriel sera la preuve de l'adage nietzschéen selon lequel ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Genesis vient de perdre son image de marque, on ne remplace pas un showman de cet acabit au pied levé. Les auditions ne donnent rien. Ce sera la chance de Collins, puisqu'il n' y a rien de mieux sur les étalages marché, on se contentera des légumes de la maison. Phil Collins n'a pas une mauvaise voix, n'est-ce pas lui qui remplace Peter – en attendant de trouver la perle rare – lors des répétitions du prochain 33 tours ? C'est ainsi que l'acier fut fondu et que Collins deviendra le chanteur attitré de Genesis. Du coup il devra quitter la batterie et venir se planter devant le micro. L'anti-Peter Gabriel par excellence, n'ose pas bouger, lui faudra plusieurs mois pour esquisser quelques gestes, le micro en main. Genesis compensera l'absence de l'impact visuel de Gabriel grâce à un magnifique ligth-show. S'instaurera une course à l'échalotte entre les super-groupes poussés aussi à la surenchère par la nécessité de contenter un public si nombreux que l'on accueille désormais dans des stades. La course à la surmultiplication grandiose est lancée. Les groupes punk reviendront à des prestations nettement plus spartiates...

Phil Collins se sent pousser des ailes. Genesis n'a jamais eu autant de succès. Les fans de la première heure pensent peut-être tout bas qu'il a aussi perdu son unicité, mais les minorités silencieuses ne sont guère agissantes. Collins compose, ne refuse jamais un coup de main ou de batterie pour un copain, et en 1981, il franchit le cap, enregistre son propre album. Face Value sera un succès planétaire, In The Air Tonight lance la carrière internationale de Phil Collins. Désormais il n'a plus une minute à lui. Tant pis pour Andrea sa femme et ses deux enfants. Il en sera de même dans les années suivantes avec Jill et Orianne, l'a beau nous dire que tout est de sa faute, qu'il culpabilise à mort, qu'il regrette, qu'ils ne le fera plus, il est sans arrêt par monts et par vaux. Enchaîne des tournées de trois mois sur tous les continents. Vend des disques par millions et ses chansonnettes encombrent les ondes des rares radio FM que l'on peut capter sur Provins. Jugez de mon malheur.

L'est courtisé de partout. Devient un des chouchous des galas de bienfaisance de la famille royale. La liste des ses participations à divers enregistrements est aussi longue qu'un porte-avions. Tout le gratin du rock y passe. Eric Clapton – entre parenthèses vous en apprendrez plus sur la personnalité de Clapton que sur le bouquin de Margotin chroniqué dans la livraison 401 – et Robert Plant, pour n'en citer que deux. C'est Plant qui vient le chercher pour qu'il soit à la batterie sur son album Picture At Eleven en 1982. Collins Nous présente les deux aspects de Robert Plant, un type gentil, agréable, sympathique, tout ce que vous voulez. Oui, mais aussi un des membres de Led Zeppelin, et lorsque Collins assiste lors du Live Aid à la réunion avec Jimmy Page et John Paul Jones, la donne change, Robert est comme happé par l'influence maléfique de l'ancien Dirigeable, certes écrasé au sol depuis longtemps, mais dont les restes irradient d'une sourde énergie malfaisante. Don't panic, dear Phil, it's just rock'n'roll. Du coup la prestation de Collins sera honteuse. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est lui, même s'il rejette la faute sur les autres.

Lorsque Orianne s'en va, Phil Collins accuse le coup. Physiquement et moralement. Le corps ne suit plus, ne s'est pas ménagé durant quarante longues années, l'a un pied en compote, le dos en capilotade, une oreille intermittente et une épaule qui l'empêche de jouer de la batterie. Pas de quoi réjouir un médecin. Au début du siècle nouveau, le succès n'est plus le même, pas d'inquiétude financière à avoir, l'a vendu deux cents millions de disques, mais l'âge, la solitude, la sensation de ne plus être à la pointe de l'actualité musicale ça vous ronge un homme aussi facilement qu'une souris un morceau de gruyère. Phil n'est pas à bout de ressources. Trouve son remède miracle. Tout seul comme un grand. N'a besoin de personne. L'alcool est son meilleur ami. Quatre années d'enfer. Ne cache rien. Raconte tout. Lui n'a jamais bu devient un trou sans fin. Vous ingurgiterait la mer en entier si par bonheur elle était alcoolisée. Certes une dépression à la base. Même s'il n'en parle pas. L'inactivité lui pèse. Lui c'est à son entourage qu'il pèse. Ses essais de désintoxication font chou blanc. Faudra un jour qu'un toubib ( or not to be ) l'avertisse qu'il est plus près de la mort qu'il ne le pense pour qu'il prenne la bonne résolution.

Orianne est revenue, les enfants lui sont restés fidèles, l'âge de la retraite active peut commencer. Travaille avec Disney, pour une comédie musicale à Broadway qui n'a pas le succès escompté, mais ce n'est pas grave, l'a trouvé son point d'équilibre. Le livre s'arrête en 2016. Suis allé enquêter sur son site officiel. L'a entamé une nouvelle tournée, pas aussi marathonienne que celles de sa jeunesse, mais un bon dix mille mètres. Des dates de concert prévues jusqu'en juin 2019. Not Dead Yet, nous sommes prévenus.

N'en aime pas davantage Phil Collins, mais le bonhomme se révèle attachant. Un exemple parfait de candide bonne foi. Sa face sombre il ne la dévoile pas plus que l'astre lunaire. L'est comme nous, ne montre que ses bons aspects. Personne n'est dupe, mais l'on ne lui jettera pas la première pierre, il nous ressemble trop. Z'avons tous des scénarios tout préparés pour raconter nos pires turpitudes – nos grandes et belles actions aussi, mais elles sont infiniment plus rares – et les rendre croquignolesques. Ne donne pas cette impression d'insatisfaction comme Pete Twonshend dans ses mémoires de courir après lui-même, pour la petite histoire il regrette de ne pas avoir pu remplacer Keith Moon, ce qui me laisse rêveur, sa frappe que je qualifierais de fragmentée ne me semble guère appropriée à la bourrasque des Who. A la lecture du livre, vous apprécierez davantage l'homme que le musicien. Un gros de défaut tout de même, impardonnable, ne possède pas une âme de rocker.

Damie Chad.

P. S. : si vous zieutez ce post-scriptum c'est que vous n'êtes pas en train de lire la kro de Ginger Baker du Cat Zengler. Vous manquez à tous vos devoirs. De rocker.

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