16/11/2016
KR'TNT ! ¤ 303 : KILLING JOKE / SPUNYBOYS / HOT CHICKENS / JAKE CALYPSO + ARCHIE LEE HOOKER / GENE VINCENT / KEN LOACH
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 303
A ROCKLIT PRODUCTION
17 / 11 / 2016
KILLING JOKE / SPUNYBOYS / HOT CHIKENS JAKE CALYPSO + ARCHIE LEE HOOKER GENE VINCENT / KEN LOACH |
09 / 11 / 2016
ELYSEE-MONTMARTRE / PARIS XVII °
KILLING JOKE
Killing Joke ne plaisante pas
Comme tous ces groupes qui ont démarré en 1977/78, les Killing Joke sont maintenant devenus des vieux de la vieille. Mais quand ils montent sur scène, ils redeviennent ces rockers indestructibles qu’on apparente souvent aux vampires.
Jaz Coleman s’est toujours dit féru d’occultisme, d’évocations et de candélabres. Il s’est donc taillé une réputation de mage. Voici quelques années, il apparaissait sur la scène de l’Élysée Montmartre fardé comme un sorcier maori et le cou sanglé d’un col de prêtre. En réalité, Jaz Coleman est l’équivalent contemporain de Blaise Cendrars : son cosmopolitisme tourne à la légende. Il vit partout à la fois dans le monde, comme Blaise au temps du Transsibérien et de Valparaiso, des tranchées de Champagne et du port de Naples - comme Corto Maltese qu’on voyait à Venise, dans le Pacifique et à Vladivostock - Même genre de modernité et de style. On voit Jaz à Prague à la tête de l’orchestre philharmonique, au Caire où il étude la musique arabe, à Londres et en Nouvelle Zélande, réfugié au bout d’une presqu’île sauvage qui le protège de ce monde «moderne» qu’il vomit à longueur de temps. C’est là que se niche la vocation d’un groupe aussi essentiel que Killing Joke : disque après disque, ce groupe n’en finit plus de nous prévenir. Tout finira par s’écrouler. Jaz ne joue pas les Nostradamus à la petite semaine. Il observe les ravages du profit et rapporte les faits qu’il observe en parcourant le monde. Il s’alarme de l’accroissement fulgurant des inégalités et de la destruction mécanique de la biosphère. Les mauvaises langues vont le traiter d’écolo, bien entendu, mais Jaz s’en fout, il cède à sa vocation qui est de dénoncer. Comme Zola et Jules Vallès avant lui, il ne supporte pas l’injustice. Et pour dénoncer, rien de mieux que d’entrer sur le sentier de la guerre. Par le son, Killing Joke s’apparente souvent à une grosse machine de guerre moyenâgeuse lancée contre des forces redoutables, mais le problème, c’est qu’elle est toute seule. L’engagement est un mot qui a complètement disparu du vocabulaire. Celui qui par la seule force de son intelligence sut développer l’énergie d’un combat contre l’inégalité et la cupidité fut bien sûr Bob Dylan, mais il s’éteint tout doucement. Comme Léon Bloy avant lui, Dylan s’est retrouvé seul au front et les bras lui en sont tombés. Que nous reste-t-il aujourd’hui ? Killing Joke ? Sans doute. Jaz Coleman se voue entièrement au prêche contre l’absurdité des dérives du monde «moderne». Il semble résolu à se battre, aussi longtemps qu’il pourra enregistrer des disques et monter sur scène. Il est important de comprendre que Killing Joke n’est pas la même chose que Metallica ou Indochine. L’homme érudit qu’est Jaz Coleman nous parle du vrai monde, celui du vif argent et des forces de vie.
Étant un groupe à contenu, Killing Joke n’a qu’un impact anecdotique en France, pour une raison simple : la fameuse barrière du langage qui rendit aussi Dylan inintelligible en France. Du coup, Jaz Coleman passe pour un personnage de cirque dans la presse française. Dommage, car il se situe à l’opposé. Et on perd ainsi l’occasion de faire la connaissance d’un être de savoir. À travers les siècles qui nous précèdent (nous et notre bel âge d’ultra-superficialité), ce sont les êtres de savoir qui détenaient les vraies richesses. Ce sont eux dont les princes (éclairés bien sûr) se nourrissaient principalement.
Et puis nous avons les albums. Trente ans d’albums qui traversent les époques, à commencer par celle des années quatre-vingt. Les albums de Killing Joke brillaient toujours dans la nuit comme des feux, loin à l’horizon, signalant une présence humaine. Amie ? Hostile ? Il fallait s’en approcher pour savoir. Si par hasard on écoutait leur premier album paru en 1980, on y découvrait un magnifique groove de funk post-urbain nommé «Bloodspot», bien martelé au beat et vinaigré par un guitariste nommé Geordie Walker. Et puis en B se nichait l’excellent «Primitive», monté sur un riff dudit Geordie, grand inquisiteur du post-punk purulent. On l’y entendait jouer des paliers d’accords extra-ordinaires et poser les fondations d’un son unique en Angleterre.
L’année où François Miterrand fut élu, Jaz et ses amis sortaient leur deuxième album, What’s This For. C’est important François Miterrand, car c’est la dernière trace d’intelligence dans la vie politique de ce vieux pays chargé d’histoire. De la même façon que Killing Joke pourrait bien devenir la dernière trace d’intelligence dans l’histoire d’un rock anglais lui aussi chargé d’histoire, mais il est vrai qu’on n’attend pas du rock qu’il soit intelligent, car il ne se vendrait pas. C’est bête à dire, mais il en va des choses de l’esprit comme des choses de la vie. Plus on vieillit et moins on espère. Ce deuxième album démarre avec une espèce de messe martyre surgie de la nuit des temps, «The Fall Of Because», envenimée par les attouchements de l’infâme Geordie Walker. Puis le groupe se fâche avec un «Tension» joué aux tambours tribaux et gratté à la basse délétère. Quelle prestance dans la pertinence ! On sent chez eux comme chez David Lynch une sorte de fascination macabre pour la révolution industrielle. Voilà le cut idéal pour faire jerker Elephant Man. Et puis vous avez aussi «Butcher», un cut qui porte bien son nom, car il pue l’angoisse. Il se dresse comme un moignon et dégage cette odeur qu’on sentait dans les anciennes boucheries. On pense alors à tous ces animaux qu’on amenait là en les tirant par les oreilles. Killing Joke traduit bien l’horreur de ce monde et de la condition humaine, et toute cette profonde inclination à la barbarie. Voilà un cut pesant qui tétanise autant qu’un cauchemar orchestré par David Lynch. En B, Jaz renoue avec le beat goitreux dans «Madness». Le cut semble claudiquer au bas des marches humides d’une crypte. C’est terriblement oppressant, d’autant que les ciseaux de Geordie Walker cisaillent et que Jaz hurle dans le néant.
Pochette de satin bleu pour le troisième album qui s’appelle Revelations. Ils démarrent avec une messe païenne, «The Hum». C’est du gothique praguois infesté de rats. On y entend des pas de danse grotesques. Il ne faut pas prendre cet album à la légère, car il se veut lourd de sens. «The Pandys Are Coming» restera dans les anales, car voilà un killing stomp alarmant, baigné dans une merveilleuse ambiance post-moderniste d’infra-trouble urbain, orchestrée par Geordie Walker - Women of scarlet faces of flame/ Laughter and argue ever the same - On y entend des horribles bruits de machines moyenâgeuses. On B, on tombe sur un «Have A Nice Day» complètement déconstruit et donc affreusement inconvenant. Et puis on se pourléchera les babines de «Land Of Milk And Honey» où les Killing s’amusent comme des gamins avec le lait et le miel.
Le voyage initiatique se poursuit avec Fire Dances. C’est Geordie Walker qu’on voit brûler sur la pochette. Jaz développe sa vision anti-matérialiste dans «Frenzy» - Faster we go/ Leave it all behind/ Saw the cities come and go/ Then I saw beyond - Il le répétera plusieurs fois, pour voir au-delà, il faut se débarrasser du matériel. Enfantin. Le son de cet album prend d’abord au dépourvu, mais finit par fasciner. En B, ils font monter la sauce du beat dans «Song And Dance» - And the song became alive - Joli cut de batteur, en vérité - Stick hit the skin/ Hit the stich - Ils déploient là une énergie unique en Angleterre. Ils enchaînent avec «Dominator», un pur cut de funk gothique mené au drive de basse sec et même carrément vindicatif - Move in on them ! - Pure énergie primitive. C’est là que ce groupe atypique acquiert ses lettres de noblesse.
La pochette de Night Time présente les défauts des pochettes à la mode de cette époque. Très vénale. Mais l’album présente quelques aspects intéressants, comme le morceau titre. C’est Geordie Walker qui fait le son et donc l’identité sonique du groupe. Il intervient toujours de façon très stratégique. Et même très empirique, au sens de Néron. On s’en doute, le beat ne traîne pas en chemin. Geordie Walker propose un son hermétique dans «Darkness Before Down» et y aménage des vagues incertaines. Par contre, le groupe se décrédibilise avec «Love Like Blood» qui sonne comme un hit des garçons coiffeurs, c’est-à-dire Tears For Fear, même si l’âcre Georgie Walker s’efforce de ciseler un son florentin dans sa dimension qui est systématiquement parallèle. Le hit du disk se trouve en B : «Tabarzan». Un vrai stomp - Semen and blood is all I’ve got/ Investments of a future - Fantastique énergie des mages qui stompent dans la pénombre. «Eighties» est l’un des cuts les plus connus de Killing Joke. Geordie Walker y tisse sa toile et Jaz clame à la revoyure - Hummm eighties/ I’m living in the eighties/ I’m in love with the coming race !
Gros plan du visage de Jaz sur la pochette de Brighter Than A Thousand Suns. On retourne la pochette et on tombe sur le visage de Geordie Walker, d’une beauté fatale. Les hits sont en B, et notamment «Wintergardens», cut d’élan brisé par des ponts de Geordie - Visions of Pan transforming/ New heavens come/ Eternal on the grey skies - Quelle fabuleuses ambiances de ponts suspendus ! Et ça se termine avec «Rubicon» et un son qui n’en finit plus de se muscler - Let rage and hate of races/ Run from Adam down - Jaz chante comme un prophète - The magic of our sciences shines/ Brighter than a thousand suns - Nous voilà prévenus.
Outside The Gates paru en 1988, l’année de la réélection de François Miterrand, n’est hélas pas le meilleur album du groupe. Avec «Unto The Ends Of The Earth», ils tapent dans le prog à la Van Der Graff pour décrire les situations extrêmes - peace of mind is my priority, rappelle Jaz. En B, il évoque ses obsessions dans «Obsessions», il cite Tokyo, Londres, Paris, New York, les multinationales, Jésus et Mohammed - And I explode in my beautiful obsessions - Puis il se rend aux Andes, dans «Tiahuanaco», at the gate of the rising sun. Il termine avec le morceau titre qui est une initiation au culte des forces invisibles - I put on the mask/ I walk down the path/ I go through the arch/ Outside the Gate - très spectaculaire. Il doit être le seul à pouvoir proposer ça en Angleterre.
Extremities Dirt And Various Repressed Emotions pourrait bien être l’un des meilleurs albums du groupe. Il suffit d’écouter cette énormité tapageuse qui ouvre le bal, «Money Is Not Our God». Jaz revendique la seule richesse qui soit, celle de la Mère Nature - I own the beach and the blazing sunset/ I own the waves and the fresh air - Il rejette le matériel - Money money money/ Money’s not our god ! - Le prédicateur se dresse dans un ciel en flammes. Et ça repart de plus belle avec «Age Of Greed», du pur dénonciatif. Il s’en prend aux 10% de gens puis possèdent tout sur cette terre. Tout ça sur fond de prog dévastateur. On boit ses paroles - I just want to take a gun/ And put it to your head/ And pull the trigger - C’est hallucinant. Voilà leur premier véritable album de révolte. L’invasion du prog killerique se poursuit avec «Extremities», bien torturé au plan structural - The days go by/ We count the moments/ All the time/ All the life - Puis Jaz donne une vision extrêmement macabre du monde futur dans «Intravenous» - I saw the great work of man/ As he turned the forests/ Into deserts of sand - Il traite ça au catastrophisme épique et ça marche. Tout aussi épique, voilà «North Of The Border», où Geordie Walker répand ses nappes malveillantes. Jaz raconte la survie dans le monde sauvage et il gratte des briques avec ses ongles. Geordie continue son infernal travail de sape dans «Slipstream». Jaz n’en finit plus d’expliquer que le temps ne signifie rien. Et dans «Struggle», il prêche le dépouillement - Then you’ll find everything/ On heaven and earth - et il se met à hurler - The struggle is long/ The struggle is hard/ The struggle is beautiful - Apocalyptique.
Oh la la, voilà encore un grand album : Pandemonium. Dès le morceau titre qui ouvre le bal des vampires, on se retrouve au croisement de l’Orient, celui de Rachid Taha, et de la puissance des légions, celles de Scipion l’Africain, porteuses de mort et de destruction, ou bien au croisement des légions maudites de Lemmy Killmister et des hordes de chevaliers teutoniques. Voilà donc un cut puissant et dévastateur, aux effluves pour le moins surnaturelles. L’Orient semble remonter des terres desséchées, un Orient tellement ancien, qui remonterait aux origines de la civilisation et des premières utilisations de l’argile rouge. Et avec «Exorcism», on entend sonner les tambours de guerre. On ressent nettement l’excitation guerrière. Voilà ce que dégage cette horreur - Let it rumble/ Let it be/ Let it out - Jaz s’en étrangle. C’est tout simplement démoniaque de puissance. On sort du cadre. C’est le rock le plus direct, le plus brutal, le plus charnel qui soit. Avec «Communication», on revient à l’Orient antique, c’est comme chargé de tout le poids de l’histoire. Il se dégage encore une fois de cette musique des relents d’Orient extraordinaires. On se croirait dans le bazar de Bagdad, au tout début de notre ère. Sur cet album, tout est joué à la furia del sol. «Labyrinth» résonne aussi de puissance seigneuriale. C’est vraiment tout ce qu’on peut en dire. Ils vont loin au-delà de tous les au-delà possibles. Plus loin, Jaz chantera «Pleasures Of The Flesh» avec une voix de baron ivre de carnage, bardé de cuir clouté, dressé au milieu d’un amoncellement de cadavres décapités. Jaz n’est pas homme à épargner les canards boiteux. On sent l’humidité des contreforts du moyen-âge.
Deux autres coups de génie sur l’album suivant qui s’intitule Democracy. À commencer par «This Savage Freedom», doté du plus universaliste des refrains - This savage freedom I love - C’est un hymne libératoire, au sens révolutionnaire. Jaz marche sur l’Armée blanche à la tête de ses hordes de cavaliers anarchistes. Avec un tel cut, on a de la viande. C’est là, dans les entrailles fumantes de Killing Joke qui vit le rock. Jaz clame pour l’homme qui sait. Il chante sur le beat de la marche forcée et sa voix tinte d’un éclat universaliste. Oui, Jaz Coleman ne vit que pour la liberté absolue, il ne veut pas d’une vie d’esclave moderne - With the hours that we kill/ And the dreams that we hide - Oui, les heures qu’on tue dans les bureaux et les rêves qu’on cache. Un bon conseil, écoutez ce cut et ce que Jaz Coleman y raconte. Tout aussi beau, et même désespérément beau, voici le morceau titre de l’album, doté lui aussi d’un véritable refrain hymnique - Sorry democracy is changing - Jaz s’en prend comme à son habitude au big business, mais avec la puissance d’une armée de gueux. C’est un titan colérique qui ne supporte plus cette paupiette boursouflée qu’est devenue la démocratie. C’est puissant, démesuré et Geordie joue tout en arpèges lucifériens. Écoutez cette clameur ! Elles se font rares dans les disques de rock. Avec «Prozac People», il est encore en colère. Il ne veut pas faire partie du troupeau des moutons de Panurge. Et voilà que «Lanterns Of Hope» sonne encore comme un hit épouvantable. C’est à la fois épique et gravé dans les falaises de marbre. Ce rock échappe aux règles, et aux formats, ne serait-ce que par la grandeur d’âme d’un homme comme Jaz Coleman. Il n’en finit plus de mener son groupe à la victoire, celle qui espérons-le viendra à bout de la médiocrité. Sur ce cut, Jaz va chercher des échappées à la Paul Draper. Il chante «Absent Friends» avec une liberté de ton incomparable. Il termine cet album fascinant avec «Another Bloody Election». Jaz est en colère, il se jette à la gorge de la politique et va ensuite lui dévorer le foie.
On monte encore d’un cran avec l’album orange intitulé Killing Joke. Non seulement Jaz Coleman est un chanteur extraordinaire, mais il nous fait en plus la grâce de nous avertir : le ciel s’assombrit de jour en jour. Dès «The Death And The Ressurrection Show», on comprend que Killing Joke est le groupe le plus puissant de la terre - Listen to the drums ! - C’est le Dave de Nirvana qui bat le nave - Choose the crucifixion - C’est d’un mysticisme tribal hors du temps. Jaz hurle dans les abîmes - O beloved mother of liberty/ Come to me - Il est le maître des ténèbres. Aucun groupe ne leur arrive à la cheville. Selon Jaz, les âmes se recyclent dans la mort et ressuscitent. Quel fabuleux déploiement d’énergie ! - Burn away all my impurities/ Hold me in your arms - Jaz hurle à s’en découdre la métabole. On est au-delà du rock. Dans autre chose. Avec «Asteroid», on l’entend hurler dans la tourmente. Il est tout simplement héroïque. Voilà un fameux défenestrateur, un puissant démiurge, une bête de l’Apocalypse, un Athanor en fusion, un héros mythique des temps modernes, il est bien le seul à savoir gueuler comme ça. C’est cogné par Dave des douves. Et puis, on ne se lassera jamais de «Blood On Your Hands», l’avertissement définitif. C’est le hit de la révolte universelle - And the rain it rains so hard ouch ! - Et voilà que ça explose au refrain - Five corporations/ Earn more than forty six nations - Il les accuse. Jaz est le Zola des enfers. On a là le vrai son des invocations barbares du moyen âge, avec du contenu harangaire-va-t-en guerre digne des poètes qui finissaient pendus à Montfaucon. Awsome ! Avec «Loose Cannon», il continue de hurler dans les clameurs du carnage apostolique décidé par une meute de cardinaux passés à la solde du cornu. On est là dans une autre réalité, un truc de violence pure dont on ne mesure pas vraiment la portée. «You’ll Never Get To Me» sonne comme un hit. Geordie fait claquer des accords de glorieux vainqueur. Et puis ça s’en va exploser, au-delà de toute vision cartésienne. Jaz ne vise que la démesure, celle qui ne peut décidément pas correspondre à notre époque. Non, Jaz vise le temps de la vraie démesure, celle d’un temps où on se rasait au couteau, un temps où on dormait dans le flanc de la montagne, un temps où on dépeçait le gibier à la fumée âcre d’un feu de bois vert. Jaz chie sur internet et la modernité pourrissante. Mais quand tous les visionnaires comme lui auront disparu, que va-t-il rester ? Les pois chiches. Et l’atroce gargouillis du pourrissement social. Si vous souhaitez entendre la voix du diable, alors écoutez «Dark Forces» - You’ll need holy water/ And a little bit of kwoledge - Alors il lance son invocation - To you Holy Guardian Angel ! - Le diable parle - Just eat shit die/ Like everyone else !
On trouve deux belles preuves de l’existence du diable et des enfers sur Hosannas From The Basement Of Hell. À commencer par «Invocation», un horrible heavy groove orientaliste mené par Geordie, la bête des soubassements. C’est tout de même autre chose que «Kashmir» ! Au moins, chez Killing Joke, on trouve de la viande très ancienne. C’est même incroyablement orchestré. On peut parler ici de viande puante de prédicateur dangereux, car l’ambiance se veut pesante et terriblement infectueuse. Arrgh ! Il se dégage une vraie puanteur des ostensoirs, cette fumée noire qui renvoie bien sûr à ce chanoine Docre qui intriguait tant Huysmans. L’autre trace du diable se trouve dans «Gratitude». C’est encore une fois très oriental dans l’esprit, joué sous le boisseau comme dans la fameuse scène du baptême de Rosemary’s Baby. Il se dégage du cut un vrai parfum toxique de messe noire. Quelle mélasse hors du temps ! On entend hurler Jaz dans «This Tribal Antidote». Il lève les bras au ciel et hurle comme un shaman abandonné des hommes. Il hurle de plus belle dans le morceau titre. Mais s’il hurle, cette fois, c’est à la manière d’un chef de guerre hystérique qui lance sa troupe à l’assaut d’un ennemi en surnombre. Il sait qu’il va prendre des coups de hache et des coups de pique, mais il galvanise des hommes qui se savent eux aussi perdus. C’est battu à la folie brutale. Encore une abomination définitive ! Tout chez Killing Joke nous renvoie aux temps anciens, ceux d’avant toute forme de civilisation. Avec «Majestic», on assiste à la résurrection des dieux de l’Antiquité. Quelle cabale infernale ! Tout est dans le rouge de la Mer Rouge, dans l’or de Pharaon, dans la fleur de Babylone, dans l’écho des temples de Ra. Justement, on parlait des dieux, eh bien les voilà : «Walking With Gods». C’est battu tribal à la fellinienne. Quel affreux ballet défenestré ! Hypnose garantie ! C’est tout simplement monstrueux de puissance. Jaz hurle dans le fond des cavernes de l’enfer. Il chante d’une voix de mineur cancéreux. Tout est battu comme plâtre sur ce disque infernal, surtout «The Light Ringer». Ni canard boiteux ni bonté divine ici, la machine Killing Joke écrase tout sur son passage. On a parfois l’impression qu’ils nous enfoncent des clous dans le crâne. C’est encore pire du Ministry.
Paru en 2010, Absolute Dissent fait partie des très grands albums de rock moderne. Dès le morceau titre, on retrouve cette atmosphère de marche forcée. Geordie riffe à la cisaille et Jaz s’en va chercher des clameurs d’Occident moyenâgeux - I reject this poison planet - Si Jaz milite, c’est avec une singulière brutalité. Les Écolos n’auraient pas voulu d’un sauvage comme lui dans leur bureau politique, on s’en doute. Ce qui est amusant, c’est qu’on s’attend chaque fois à des lyrics traitant d’ésotérisme occulte, et paf, on tombe sur une violente diatribe écologique. Nouvelle énormité cabalistique avec «The Great Cull» - Thin the herd ! Mosento ! All the bees are dying ! - Si un groupe aussi puissant que Killing Joke ne parvient pas à se faire entendre, alors on comprend bien que c’est foutu. Jaz et les siens font la guerre. Ils sonnent comme une armée d’Orks. Ils renouent avec le génie dans «In Excelsis». C’est même joué dans l’épaisseur d’un riff à la Bob Mould. Terrifiant ! - The glory of freedom ! - Ils balancent ça comme s’il s’agissait d’un slogan déificateur, sur fond de wall of sound et de pure démence de la semence. Ça explose et ça coule de jus. Ils sont impériaux. Dans «This World Hell», Jaz hurle comme s’il était livré aux mains d’un tourmenteur de la Sainte Inquisition - This world hell/ Die long pig ! - Et puis avec «End Game», il nous prévient que ça va mal finir dans pas longtemps - World trade center turned powder - Plus loin, Geordie fait des siennes dans «Honour The Fire», encore un cut qu’on voit exploser au refrain, dans des bouquets d’harmonies soniques extraordinaires. Jaz chante du haut de son nez d’apothicaire et ce génie malin qu’est Geordie trafique des ambiances hallucinantes - Kali ! Kali ! Kali ! Spark of life/ Eternal spring ! - Ils savent aussi bricoler une belle pop musculeuse, comme on le constate à l’écoute d’«Here Comes The Singularity». C’est comme éclairé de l’intérieur. Mirifique ! Jaz est capable de jeter dans le bûcher des vanités la meilleure pop d’Angleterre.
Retour du grand prédicateur dans MMXII avec «Pole Shift» - A field energy reversal has begun/ Suddenly it hit ! - Il prédit que ça va mal finir et livre deux ou trois clés auxquelles on ne comprend rien, dès lors qu’on ne sait rien - Marvel at the mysteries of quantum immortality - Avec «Fema Camp», le groupe tape dans le heavy doom d’orientalisme industriel. Jaz rappelle que l’humanité est en voie d’extinction - Humanity fades - Aussi annonce-t-il qu’il va passer dans le rang des renégats - So I’m going up with the renegades - On retrouve la fantastique machine de guerre Killing-Joky dans «Rapture». Ces mecs sont très puissants, mais avec du contenu. Jaz gueule son Rapture au-dessus des abîmes. C’est très spectaculaire. Il hurle, debout dans ses étriers, et on l’entend jusqu’aux collines. Et paf, il s’en prend aux dirigeants de ce monde dans «Corporate Elect» - It’s an ADD generation/ Everyone accepts the re-introduction of slavery/ By a corporate elect - Il a raison de dénoncer le retour consenti à l’esclavage. D’autant qu’il est soutenu dans sa mission par le meilleur beat de stomp de monde libre. Dans «Glitch», il annonce la menace qui plane sur notre beau monde moderne : le black-out ! - The freezer’s broke/ The food is off/ The GPS has died - Oui, il a raison, quand le courant va sauter, plus de frigo, plus de bouffe, plus de smartphone, plus de facebook, plus de GPS, tout ça, terminé ! Jaz soutient que tout cela n’est qu’une vaste aberration - Eveyone knows it’s over - Oui c’est fini, terminus, tout le monde va descendre. «On All Hallow’s Eve» semble enregistré dans une certaine antiquité. Jaz semble revenir du monde des morts et il s’en vient rugir sur le mont Ararat. Il chante sa nostalgie de la vie simple, il évoque le bon vin, le fromage, un peu de pain, le parfum des cigares et des épices. Avant d’être le prédicateur que l’on sait, Jaz Coleman est surtout un poète.
On finit par s’épuiser à écouter les albums de Killing Joke. Trop de son et trop de surenchère dans la colère. Curieusement, le dernier album en date laisse un peu indifférent. Pylon paraît manquer de souffle, même s’ils attaquent au marteau-pilon dans «Autonomous Zone». Jaz y vante les mérites de la vie libre outside the grid, qui est à la fois la grille et le greed de la cupidité des multinationales - Living outside the grid is the goal/ Misery lies at the heart of control - Puis dans «New Cold War», Jaz se met à hurler comme le capitaine d’un voilier malmené au Cap Horn - Oil prices falling and the propaganda talks war - Jaz s’ancre dans l’actualité économique pour mieux nous prévenir. On s’en doute, «War On Freedom» est une remise en cause du nouvel ordre établi. Il les appelle Media monopolies et ajoute en rigolant - Bye bye sweet liberty - Dans «Delete», il re-dénonce l’élite - Eighty five people own half of the world/ It’s raining barium and no one’s concerned - Oui, ils ne sont que 85 à posséder la moitié de la terre. Bizarrement, Geordie Walker joue des accords métal. Oh à leur âge, ils ne feront plus de miracles. Cet album sonne un peu comme le chant du cygne. On se réveille heureusement avec «I Am The Virus», qui n’est pas le Walrus. Voilà un cut digne des grandes déboulades d’antan, et même complètement incendié par le pyromane Walker. Et Jaz tonne - Central banking mind fucking omnipotence ! - Et il se dresse en sauveur par l’esprit libertaire - I am the fury/ The spirit of outrage !
Les voilà de retour par un beau soir d’automne dans un Élysée Montmartre refait à neuf après l’incendie qui le détruisit voici quelques années. On renoue avec le confort de ce beau volume. Que de beaux concerts a-t-on vu dans cette salle ! Geordie Walker et Jaz Coleman ne vieillissent pas.
Youth fait des dreadlocks avec ce qui reste de ses cheveux et joue sur une Rickenbacker. Et le groupe met en route sa monstrueuse machine sonique, les roues en bois grincent dans la nuit. On note une belle densité de fans dans les premiers rangs.
Il faut vite se rendre à l’évidence : on n’assiste pas à un concert, on subit plutôt un bombardement. Les grooves de Killing Joke se répandent comme la peste sur l’Occident. Ils tapent très vite dans des vieux trucs comme «Love Like Blood» et mettent l’assommoir en service avec «Autonomous Zone», tiré du dernier album.
Il règne dans la salle une belle atmosphère de fête païenne. Ça sent bon le tribal. Ce genre de beat sourd fait ressortir ce qu’il y a de meilleur en nous, une sorte de conscience diffuse des origines. Une façon de se mesurer à l’idée qu’on se fait de l’univers, une façon de comprendre qu’on est bien peu de chose - autant dire rien - mais on fait partie d’un tout. Le moi-je se fond dans le collectif, l’ego retrouve son rang animal. Killing Joke ne donne pas vraiment un concert, Jaz Coleman officie et libère les âmes. L’organique fait la danse du scalp avec le tellurique, les qualificatifs perdent eux aussi leur épaisseur, le signifiant suce la moelle du prédicat et le métabolisme enfourne des feutrines délétères, il se dégage du conglomérat humain une forte odeur de semence, la raison s’incline devant l’oraison et la maison Usher glisse mollement dans la chère déraison, un souffle fétide balaye les ultimes poches de résistance et livre les âmes aux vertiges d’hallucinations mystico-mormoilliennes.
Pas d’échappatoire, Killing Joke martèle le beat des temps modernes. Ils jouent «War Dance» et «Pandomenium» en rappel, histoire de finir de marquer les esprits au fer rouge. On sortira en hâte de cet endroit torride et maléfique pour aller se jeter dans une voiture et regagner nos pauvres pénates. Un peu honteux, pour tout dire, comme si on voulait faire semblant de n’avoir rien compris.
Signé : Cazengler, bad joke
Killing Joke. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 9 novembre 2016
Killing Joke. Killing Joke. EG Malicious Damage 1980
Killing Joke. What’s This For. EG Malicious Damage 1981
Killing Joke. Revelations. EG Malicious Damage 1982
Killing Joke. Fire Dances. EG Malicious Damage 1983
Killing Joke. Night Time. EG 1985
Killing Joke. Brighter Than A Thousand Suns. EG 1986
Killing Joke. Outside The Gate. EG 1988
Killing Joke. Extremities Dirt And Various Repressed Emotions. Agressive Rockproduktionen 1990
Killing Joke. Pandemonium. Butterfly Records 1994
Killing Joke. Democracy. Butterfly Records 1996
Killing Joke. Killing Joke. Zuma Recordings 2003
Killing Joke. Hosannas From The Basement Of Hell.
Killing Joke. Absolute Dissent. Svart Records 2010
Killing Joke. MMXII. Spinefarm Records 2012
Killing Joke. Pylon. Spinefarm Records 2015
11 / 09 / 2016
COULLY-PONT-AUX-DAMES
METALLIC MACHINES
SPUNYBOYS
Retour à Souilly-Pont-aux-Rames, non : Fouilly-Pont-aux-Lames, non : Jouilly-Pont-aux-Cames, ah, non ! j'y suis : Couilly-Pont-aux-Âmes ( en perdition ). Que voulez-vous, un reste de pudeur m'oblige à maquiller le nom de cette cité, toutefois l'honnêteté géographique me force à l'écrire en toutes lettres, Couilly-Pont-aux-Dames. L'a dû couler bien du sperme sous le fameux pont depuis qu'en ce beau jour du 26 Juin 1929, les joyeux lurons néanmoins élus du Conseil Municipal décidèrent de baptiser de cette gaillarde appellation leur bourgade bien-aimée.
Quoi qu'il en soit sous ce fameux pont serpente le Grand Morin qui ne trouva rien de mieux à faire, lors de ce dernier printemps par trop pluvieux, que de quitter son lit pour envahir le local des Metallic Machines. Annulation des festivités prévues, grand nettoyage – imaginez les murs recouverts de boue – mais les bikers sont des coriaces, z'ont tout récaté, et voici une nouvelle série de concerts qui se profile à l'horizon.
Du monde pour les Spunyboys même si la salle du bar ne désemplira pas de toute la soirée. Mister B and Me sommes contents de retrouver les Spuny, presque un an jour pour jour, c'était au 3 B à Troyes, le soir du Bataclan... Sont en pleine forme, le groupe tourne sans arrêt et ils viennent d'enregistrer une télé pour Canal + pour l'émission Antoine De Caunes. Relation de cause à effet ? toujours est-il qu'il y a beaucoup plus de filles que d'habitude.
SPUNYBOYS !
Un set. Trois garçons. Guillaume à la batterie. Eddie à la guitare. Rémi à la contrebasse et au chant. Une formule simpliste. Une musique de plouc. Livrée telle quelle. Sans emballage. Un travail d'artiste. Des orfèvres. Ecoutez les Spuny, tout est merveilleusement à sa place. Des principes de base d'une pugnacité rustique. Tous ensemble et pas question que ça cède ou que ça s'affaisse dans la graisse du bavardage. Témoignage de mon marchand de légumes, le matin même sur le marché "hier soir à Fontainebleau, j'ai vu un groupe de rockab, pas mon style de musique mais ils étaient plus que bons". Plus que bons ! Parmi les meilleurs d'aujourd'hui !
Difficile de trouver mieux. Dans leur style, modulerez-vous. Le problème c'est que le style des Spunyboys, ils sont les seuls à l'exercer. Beaucoup de reprises, mais ce n'est pas ce qui compte. N'importe qui peut reprendre un morceau, mais en respecter l'esprit tout en le façonnant à cent pour cent à sa propre manière, faut être doué. Et sacrément bosseur. Les Spuny approchent les mille concerts, sont devenus une terrible machine de guerre. Et de précision. Sont comme ces calligraphes japonais qui vous recomposent le monde en trois coups de pinceaux. Pinaillez si vous le désirez, mais vous êtes obligé de reconnaître qu'il y a tout, l'essentiel et le superflu. Les Spuny vous ont décortiqué le rockabilly jusqu'à l'os. En connaissent toutes les articulations. Sont au-delà du squelette, en sont à l'épure. Juste ce qu'il faut, tout ce qu'il faut, et rien de ce qu'il ne faut pas. Vous fournissent les trois modalités de l'existence en un seul dessin. Ne cherchez pas l'erreur, il n'y en a pas.
D'où la brièveté des morceaux. Vous en balancent trois ou quatre à la file, un petit speech de Rémi, et hop vous en débitent aussitôt trois ou quatre nouvelles tranches. Si vous pensez que cela risque d'être un peu austère, vous vous trompez. Le sourire de Rémi ferait fondre un iceberg. Sa célèbre banane accroche les coeurs. Quant à sa contrebasse il ne la ménage guère. La soulève, la promène un peu partout, la penche du côté par lequel elle va tomber, la jette en l'air, la rattrape aussi facilement qu'une pièce de cent sous.
En plus il se permet même d'en jouer. Et pas incidemment. L'apporte au groupe le son d'unisson, le grondement des fondations coulées dans le béton précontraint. Pas du monolithe mortuaire. Ça swingue par en-dessous. Pas d'esbroufe, le solo matuvu à rallonge qui capte toute l'attention n'est pas le genre de la maison. Prenez quinze secondes, pas une chaise-longue. L'on n'est pas sur le Titanic. Eddie ne dérogera pas à la règle. Trop occupé à jouer. Colle à la ligne rythmique de si près qu'il en est le pourvoyeur essentiel, à égalité avec ses deux frères d'armes. L'est comme ces boxeurs qui boxent rapproché, pas d'allonge, des coups brefs, incisifs et percussifs qui vous trouent la peau. D'une efficacité meurtrière. Guillaume en paraîtrait presque lyrique sur sa batterie. Une grosse caisse de fanfare sur laquelle s'étale en gros le logo des Spunybous – le dos de la contrebasse de Rémi arbore le même – la baguette friponne qui s'en vient titiller l'entaille fessière que tend de façon fort avenante la jeune femme dénudée sur l'immense poster rieur de fond de scène – ce n'est pas L'Origine du Monde de Courbet, juste la face B, toutefois nous ne sommes point ici pour nous livrer à une chronique picturale mais musicale, retournons nous vers ces cymbales qui s'emballent sous la férule de maître Guillaume. Le maestro du tocatoc du tocatrock qui bouscule son monde.
Nous déboulent plus de trente morceaux, de John Horton à Crazy Cavan en passant par Gene Vincent, avec une préférence nette pour les seconds couteaux du rockabilly, ceux qui vous tranchent la gorge si vite que vous êtes déjà morts quand vous vous en apercevez. Du cousu main, de la finition. Les Spuny sont en forme. Chassent les temps morts. A peine dix secondes s'est-il écoulé à la fin d'un titre qu'il y en a toujours un des trois qui se dépêche de plonger dans le suivant et les deux autres obligés de recoller à la locomotive sans attendre. Et c'est de nouveau l'extase jouissive, les Spuny dégomment les morceaux comme des pipes en terre de la fête foraine, des grandes ducasses du nord. Un bon rock est un rock mort semblent-ils nous dire. Aussitôt commencé que déjà fini, mais entre temps ils vous ont offert les grands canyons du Colorado, la bagarre dans le saloon, la traversée du Rio Grande et une course poursuite dans la Vallée de la Mort. Vous synthétisent le tout en deux minutes et vous refilent illico, illicrock un scénario tout aussi tumultueux. Des briques de carburant solide pour fusée interplanétaire.
Le public ne décroche pas de la scène. Beaucoup de personnes qui les voyaient pour la première fois sont sidérées par la netteté du show. Une jeune fille me demande pourquoi ils ne sont pas davantage connus. Est toute estomaquée de voir des jeunes de son âge, de sa génération, produire une musique si méticuleusement parfaite avec une telle force et avec un tel impact. Ce n'est pas qu'elle aime spécialement le rockabilly – à Couilly les distractions du vendredi soir doivent être rares - c'est qu'elle a été touchée par la netteté sidérante du set. Les Spunyboys s'étaient déjà attirés l'estime des connaisseurs et voilà qu'ils sont en train d'acquérir le respect d'un public plus large. L'avenir s'annonce sous de clairs auspices.
Damie Chad.
13 / 11 / 2016 – LAGNY-SUR-MARNE
LOCAL DES LONERS
HOT CHICKENS
Retour chez les Loners. Suis un peu perdu dans la zone industrielle, mais pas la teuf-teuf toute neuve qui sort du garage. Un flair de pisteur. Retrouverait une trace d'ours polaire sur la banquise en pleine tempête de neige. D'ailleurs miracle, elle tourne au hasard – du moins crus-je – et voici le fanal orange qui signale le local des Loners. Deux tonneaux qui laissent échapper des panaches de flammes qui illuminent la nuit. Pas très écolo pour le réchauffement écologique mais voyez-vous les rockers ne sont pas des folkleux. En plus fait pas chaud, une espèce de crachin insidieux qui vous transperce le corps, et dès que la porte s'ouvre tout le monde s'engouffre à l'intérieur sans demander son reste. Une véritable migration, ça n'en finit pas d'arriver. Plein de têtes connues, notamment les aficionados du 3 B de Troyes aussi nombreux qu'une délégation soviétique en visite en pays ami durant la guerre froide. Le concert est prévu pour dix heures mais à neuf heures trente la foule s'entasse devant la scène et la tension monte... Hervé Loison est de retour des Amériques, l'est déjà passé par l'Espagne et le voici avec ses deux fidèles et valeureux chevaliers Thierry Sellier porte-tambour et Christophe Gillet porte-guitare à ses côtés.
SAVAGE SET
Personne sur l'estrade mais le concert commence. Une rumeur qui monte, enfle et éclate. Ne s'arrêtera pas une demi-seconde de toute la soirée. Arrivent un par un, Thierry en tunique léopard assorti à son étui de lunettes ( damoiselles prenez-en de la graine ), Christophe Gillet dans une chemise western à damner tous les chanteurs country de la rive ouest du Mississippi. Ne manque plus qu'Hervé Loison, le voici enfin magnifié dans une splendide veste rosckabilly à rendre jalouses les petites filles de la terre entière. Se saisit de sa basse et commence à chanter. Absolument faux. Bien sûr il chante juste, mais il n'est pas le seul, n'est qu'une voix parmi tant d'autres, celles de la chorale des rockers-bikers qui l'accompagneront sans faillir jusqu'à la dernière seconde des deux sets. C'est que Rave On de Buddy Holly et Race with the Devil, et le répertoire des classiques tout le monde connaît. Idem quand il reprend des morceau de Down in Memphis, son avant-dernier disque.
Durant le concert j'ai maudit Dieu et ma mère, je sais ce n'est pas bien, mais pourquoi m'ont-ils laissé venir sur cette terre sans me donner trois paires d'yeux mobiles indépendantes les unes des autres ? Ne savais plus où donner de la tête. Parce que d'habitude les Hot Chickens ça vous tombe tout rôti dans le gosier mais ce soir, chacun dans sa partie, ils ont réalisé une de ces flambées meurtrières dignes des fournaises de Lucifer.
Thierry tout d'abord, sis au milieu, tel un roi sur son trône. Nous sort le grand jeu. Celui qui épouse les ventouses rythmiques du old style. Cette respiration suffocante, cette reptation loufoque de l'apnée, toute en brisures mortifères et en reprises alléchantes. Sort le beau style des fioritures, lève la main droite tout en haut et fait circuler sa baguette entre ses doigts comme le furet du bois joli qui court à s'en dilater la rate, et bim il retombe à l'instant précis du battement exigé, ou alors l'a un coup plus vicieux, s'apprête à taper de la gauche sur la caisse claire, mais non il laisse retomber le bras vers le plancher, et tout de suite après il vous adresse un sourire narquois, style je vous ai bien eu, je ne joue pas les inutilités. En art martial, cela s'appelle le koukitupa qui vous désarçonne juste la fraction de seconde nécessaire à l'atemi mortel qui suit. Thierry se contente de darder son regard malicieux sur l'assistance.
Christophe, tout le contraire. Ferme les yeux. Tel un sphinx extatique. Un gars décourageant. C'est à peine s'il bouge les doigts et il balance des pluies de notes diluviennes. Parfois il s'avance, pas plus de quinze secondes – n'est pas là pour raconter sa vie, mais pour prendre la vôtre. Vous décoche une volée de flèches qui viennent se planter juste dans votre moelle épinière. Vous êtes proche de la jouissance du pendu, mais il déjà en train de chevaucher ailleurs. Economie de moyen et rendement maximum. En plus l'a l'oeil du chat sur tout, l'air de rien, peut batifoler tant qu'il veut Hervé, l'est toujours sûr que son guitariste le suivra dans toutes ses cascades.
Durant les quatre premiers morceaux, le Loison se tient comme il faut. Vous lui donneriez votre fille à marier. Le mec sérieux, blotti contre sa double bass, ressemble à un flamant rose solitaire au milieu de l'étang. C'est après que ça commence à se gâter. Avec la chorale qui le suit de conserve, il navigue sur du velours.
La big mama commence à ressembler à un mât de bateau secoué par une tempête de force sept. Pas encore l'ouragan mais l'on pressent que ça ne saurait tarder. Branle bas de combat, le capitaine jette coup sur coup sa veste et plus tard sa cravate dans la foule et l'odyssée du radeau de la Méduse déferle sur l'assistance. Pour la contrebasse pas de problème, le moussaillon Eric qui passait son temps à rugir dans la salle se propose pour manoeuvrer l'engin dont Hervé se débarrasse de bon coeur. Parfois l'instrument est l'ennemi du musicien. Tout compte fait, un micro c'est nettement suffisant pour un chanteur. D'autant plus qu'il y ajoute un harmonica. Après la période rose, nous passons à la période bleue.
Qui a dit que le blues était une chose nécessairement triste ? Qu'on le fusille tout de suite. Avec Hervé c'est une matière survitaminée qui vous transmet une énergie folle. Descend à plusieurs reprises dans le public. Hurlements autour de lui. La fièvre monte à El paso. Excitation à son comble. C'est un tout petit gamin qui a récupéré la veste, s'en sert de robe de chambre, saisie d'une impulsion frénétique, il lui frappe les fesses de ses manches trop longues. La jeunesse ne respecte plus rien ! Tout sourire Loison se tourne vers lui et lui offre une démonstration de gloussements featheriens du meilleur effet, le micro à moitié avalé. Tout le monde reprend en choeur, l'on se croirait dans un poulailler quand entre le renard ( par l'odeur alléché ).
Sur scène Thierry et Christophe assurent le train à coups de battements et de rafales de notes. Hervé les rejoint en courant et termine un roulé boulé par un poirier droit comme un I, le dos contre la grosse caisse. N'en peut plus. De devoir terminer le set. Propose un petit dernier avant la fatidique coupure.
DEUXIEME SET
Pas question de laisser tomber une si belle ambiance. A peine un quart d'heure plus tard, les Hot Chickens remettent le poulet au milieu du terrain. La contrebasse gît lamentablement à terre, Hervé armé de sa basse électrique sort le grand jeu surréaliste. Nos égosillements échevelés sont aussi beaux que les choeurs des marins dans le Vaisseau Fantôme de Wagner, du coup il nous gâte, une séquence Gene Vincent en l'honneur de la réédition de son album ( déjà quinze ans ) Play Gene, un Baby Blue apocalyptique, un superbe Say Mama ( quoique, faut être honnête, sur les wow ! Wow ! Wow la chorale est un peu faiblarde ), un Right Now échevelé... sur ce retombée dans le blues à foison, le blues à Loison, le blues à toison d'or et à crinière de lion. Loison s'envole dans les airs porté à bout de bras par un escadron de volontaires en grande forme. C'est la fin. Non, une reprise proposée par Hervé, puis un rappel, puis Hervé qui pense qu'un petit... bref à la fin du troisième rappel Thierry masse les articulations de ses doigts et Christophe se saisit de la housse de sa guitare. Personne n'ose insister. Personne, si, l'est magnifique dans son t-shirt noir orné de têtes de morts flamboyante, porte l'insigne des Hells Angels ( Nomads ) sur son blouson, prend le micro des mains d'Hervé exprime son admiration et propose que la fête ne s'arrête pas si brutalement, bref il espère un dernier supplément d'âme. Devant l'assentiment général les Hot Chickens refont tourner une dernière fois la broche du rock'n'roll. Pas n'importe quoi, un morceau de roi, un Bonie Moronie de Larry Williams, thin as kinny as a stick of macaroni mais à la sauce Johnny Winter que Christophe vous vitriole de main de maître... Vous ai épargné la chemise jetée dans le public en délire, Loison pantelant dans la batterie sur laquelle il vient de s'affaler, la tête sous la cymbale sur laquelle Thierry n'en continue pas moins de faire sonner les cloches de Notre-Dame, les filles montées sur scène ( expression malheureuse ) s'improvisant musiciennes et la salle en pleine exultation...
Une soirée mémorable. Les Hot Chickens déchaînés. Un public réactif. Le rock and roll c'est comme la tarte aux cerises de Tante Agathe. Hyper simple à faire. Mais il n'y a qu'elle qui la réussit. Par une chance extraordinaire Hervé, Thierry et Christople sont des vrais cordons blues.
Damie Chad.
( Photos : FB : Rockin' Lolo + Béatrice Berlot pour the first pinky )
VANCE, MISSISSIPPI
JACKIE CALLYPSO / ARCHIE LEE HOOKER
AND THE BOOGIE COMBO
RUINE B / TERRY REILLES
Vance, Mississippi / Juke House Men / Louise Blues / Blues inside Me / Rose Hill Blues / Blues & Trouble / Hey Barber, Barber / Blues in my Bones / Rain, Rain, Rain / Ruine B Boogie / No Good Woman / John Wood Choppin' / My Shoes / + Did You Stop Loving Me Baby ? / I've Played Boogie in Your Garden Man / Get a Job Man / Whithout One Million / Take your Time Lord /
Guests : Sonny Mat D / Manu Slide / Little Legs
Chickens Records / 2016
Certes il y a le rock'n'roll, mais il y a aussi le blues. Pèsent autant l'un que l'autre dans les plateaux de la balance. En plus, il y a le reste de la famille, le country et le rhythm'n'blues, pour ne citer que deux membres de la cohorte. Peut-être en son fort intérieur Hervé Loison incline-t-il vers le blues. Nous le redit, souhaite se faire enterrer dans le Sud auprès de la tombe d'un bluesman vénéré. Mais il lui est difficile de choisir. Le projet Jake Calypso lui permet de couvrir toute la gamme et se prête à toutes les aventures. Avec Downtown Memphis l'était allé courtiser le rock'n'roll des débuts des studios Sun, avec ce Vance, Mississippi il se tourne vers les noires racines de notre musique. Mais toute épopée musicale est avant tout prétexte à rencontre humaine. Ce disque est le résultat d'une collaboration amicale, Archie Lee Hooker est un lointain cousin du grand John Lee Hooker, un des géants du blues.
Une démarche de partage encore accentuée par le fait de mettre à la disposition du public en libre accès sur Internet ses propres enregistrements. Geste de grande générosité et de confiance. Les plus démunis auront accès à ces oeuvres et les fans ne se priveront pas pour autant de se procurer les disques à la fin des concerts. Le rock et le blues sont un combat. Chacun y participe selon ses moyens et son enthousiasme.
Vance, Mississippi : la grande tradition, deux qui toastent et le troisième grand absent dans le trou, c'est son rythme que l'on entend, cette cadence infernale, le pied qui frappe le sol et la solitude de l'homme seul. Arche Lee qui grogne et Jake Calypso plus que jamais avec l'accent américain. En plein coeur du Mississippi. Cela se fête. Juke House Men : Les hommes sont au bar, boivent de l'alcool de contrebande. Le seul havre de paix après une dure journée de labeur. Avant aussi. Louise Blues : la voix creuse de Calypso, les guitares qui couinent et la vie qui coule comme un robinet d'eau tiède. Gardez-vous de mélanger le chaud avec le froid, le noir avec le blanc, n'en sortira que du sang. Blues inside Me : Le blues à l'intérieur d'Archie ne demande qu'à sortir à gros flocons en emportant le granulé de la voix. Comme la langue râpeuse d'une chatte qui lèche ses petits, et ses blessures. Rose Hill Blues : La guitare devant qui résonne comme un jour d'enterrement. Toutes les collines ne sont pas roses mais le sang des rivières est noir comme un oiseau de malheur. Que de peine pour sortir la tête hors du trou. Dieu éclaire peut-être la route mais la lumière est éteinte. La voix de Jake bourdonne, même le bonheur a un goût amer. Blues & Trouble : trouble et bagarre, tétez le sein que vous voulez c'est du mauvais sang qui coule. Le blues n'est pas un long fleuve tranquille. Archie connaît cela par coeur. Musique qui va de l'avant et la voix qui théâtralise. Vous reprendrez bien un cigar-box. Hey Barber, Barber : Calypso yodelle et la musique ressemble à une vieille lessiveuse que l'on frappe sans retenue. L'harmonica étire la donne. Les rockers, un simple rasoir leur donne de ces idées. Fallait pas se faire prendre. Et encore moins pendre. Blues in my Bones : le blues du matin de la vie, quand on se réveille, vous colle à la peau et aux os. Rythme lent pour appuyer là où ça fait mal. Pas la peine de tenter de fuir, vous aurez beau cavaler, sera sempiternellement là. N'êtes même pas sûr qu'il vous quittera le jour de votre mort. C'est de votre faute, c'est vous qui avez demandé à naître. Rain, Rain, Rain : On ne reconnaît pas sa voix au début mais c'est Calypso qui fait le grand saut dans le blues. La batterie sert de locomotive et le phrasé s'étire tout le long du convoi. Une histoire d'amour et de désir, d'habitude ça se termine mal. Pleurs d'harmonica, comme des larmes retenues qui s'échappent. Ruine B Boogie : Le boogie de la mort. Pas besoin de chanteur, ça swingue comme une grande bringue à l'étage du Rising Sun à la New Orleans. No Good Woman : La femme n'est qu'un espoir. Souvent déçu. Que dire de plus ? La musique claudique. John Wood Choppin' : L'on arrive toujours trop tard. On croit que l'on fera une belle flambée, mais les planches serviront pour le cercueil. Le bruit du bois frappé et la voix de Calypso, écho des corvées au pénitencier de Perchman. My Shoes : toute la confiance en le monde que vous pouvez avoir repose en les chaussures d'Archie. Un chant d'espérance. Jusqu'au prochain tournant où nous pataugerons dans la boue du blues.
+ Quatre pistes du 45 tours.
Did You Stop Loving Me Baby ? : La voix comminatoire d'Archie, ne menace personne en particulier mais plutôt tout le monde. Le désir c'est comme la vie, ça vous tombe dessus comme un vol de corbeaux sur une charogne. S'envolent une fois satisfaits. Derrière le band fait un boucan d'enfer, peut-être pour que l'on n'entende pas. I've Played Boogie in Your Garden Man : très News Orleans, le plouc qui est descendu de ses campagnes à la ville et qui n'en finit plus de faire le fiérot. La vie est parfois cruelle pour les uns et pas pour les autres. Get a Job Man : L' a trouvé un boulot. L'est tout content. S'il savait, il mettrait la pédale douce. L'optimisme du pauvre. Whithout One Million : l'est temps de mettre les bouts du blues, le solo de guitare vous arrache les tripes.
+ un titre enregistré à la maison
Take your Time Lord : pour fêter la naissance du petit dernier, et la voix du bébé qui prend la place de l'harmonica. Surtout prends le temps de vivre. Toute la famille Loison s'y met. Tout est mal qui finit bien. Le blues n'est que l'autre couleur de l'azur.
Jake Calypso et Archie Lee Hooker ont décidé de booster le blues. Batterie omniprésente, et les guitares qui se font une rave-party par-dessus. Racontent de tristes histoires. Avec une dose d'humour noir. Le blues tel qu'il n'existe plus, le blues tel qu'il existera toujours. Des femmes, de l'alcool, du travail et du chagrin. Toute la vie, avec la mort qui rit jaune dans les coins les plus obscurs. Entre roots'n'blues et roll'n'blues. Une réussite.
Damie Chad.
DOCUMENTS GENE VINCENT
SLC / GALERIE DES PIONNIERS
GENE VINCENT "be bop a lula"
fr.calameo.com/read/000090804552d79f58f85
Ce n'est pas le document du siècle. Apparemment un extrait des archives de Salut Les Copains. Une page de texte remplie d'inexactitudes mais les légendes se construisent aussi sur des approximations... Pour ceux qui ne connaîtraient, pas allez voir sur Gene Vincent, dieu du rock'n'roll de Jean-William Thoury ou le There's One in Every Town de Mik Farren, traduit par notre Cazengler préféré, tous deux publiés au Camion Blanc. Par contre, la seconde page est nantie d'une superbe illustration, pas une photo, mais un portrait à la manière de ceux que l'on trouve accrochés sur les murs des westerns. A voir sans faute.
SWEET GENE VINCENT
DOUGLAS McPHERSON CELEBRATES
THE AMERICAN BLACK LEATHER REBEL
THAT BRITAIN TOKK IN HIS HEART
fr.calameo.com/read/00009080499c1ef4838
Quatre pages, des documents photographiques ultra-connus, rédigé en anglais. Pas l'ouvrage de fond que vous attendiez. Non, mais McPherson a du style. Ecrit bien et empoie les formules qui font mouche. Dresse un beau portrait de Gene, sans concession et sans enjoliveurs. Une vision très british, avec Stray Cats et Ian Dury à la clef. La dévotion des fans français pour le dieu du rock'n'roll, il s'en fiche comme de sa première audition des valses de Vienne. Mais on lui pardonne, pour le plaisir de lecture qu'il nous procure : « I'm looking for a woman with a one track mind' » as Gene pants, in the manner of a deshydrated man crawling accross the desert in searh of an oasis... vous avez tout ce qu'il vous faut là-dedans, la moiteur du sexe, le no-control drugs, et le rock'n'roll le plus inquiétant jamais enregistré. A punaiser dans votre chambre, au-dessus de votre lit.
GENE VINCENT
BIG BEAT N° 23
Novembre 2016
fr.calameo.com/read/00009080455690474332b1
Les rockers sont des gens insupportables. Ils tiennent leurs promesses. Vous signalai en tête de la livraison de KR'TNT ! 297 la parution après trente années d'interruption de la revue Big Beat désormais visible sur le site calameo. C'est d'ailleurs en recherchant le contenu du numéro de novembre que j'ai trouvé les deux publications présentées ci-dessus.
Certes beaucoup de documents déjà vus ou lus un peu partout, notamment sur Roll Call, mais un topo irremplaçable sur la tournée de Gene Vincent, en France, en 1967. L'on y retrouve, tous ceux qui ont tenu la pérennité de Gene en notre pays à bout de bras. Des idéalistes, des bras cassés, des fous furieux, nommez-les comme vous le voulez. Nous préférons leur rendre hommage et les remercier pour ce qu'ils ont osé entreprendre. Des amateurs, au sens noble du terme. Avec la touche foireuse qui va avec, ce Do It Yourself que nous préférons à l'efficacité des adeptes du professionnalisme, qui n'étaient plus là. En furent pour leurs frais et leurs illusions. Mais la gloire n'a pas de prix.
Gene n'était pas facile. Un fauve blessé, qui ne baissait jamais la garde, toujours en alerte, sur le qui vive dès qu'il sentait à tort ou à raison la situation lui échapper. Un merveilleux compagnon aussi, mais rarement, lorsqu'il estimait être en sécurité. Un solitaire, qui exerçait une profession de contacts humains. Un outlaw de l'intérieur.
Bref c'est à lire. Emouvant et désopilant. Cette notion de grotesque chère à Edgar Poe. Qui s'insinue dans la tragi-comédie de nos existence. Un bel hommage à Gene, tel qu'en lui-même les fans gardent le souvenir et la présence.
Damie Chad.
I, DANIEL BLAKE
KEN LOACH
( film / 2016 )
Un film monstrueux. Pour amateurs de sensations fortes. Pas d'araignées géantes, pas de zombies sortis de leurs tombes, pas de scènes de bataille homérique, pas de situations exceptionnelles, pas d'action. No happy end, ni sentimentalisme bêlant déplacé. Toutefois vous ne trouverez rien de plus violent, de plus glacé, de plus impitoyable dans vos salles de cinéma. Ni de plus humain.
Le film que Ken Loach aurait aimé ne pas avoir à faire. L'avait raccroché. Plus de trente films au compteur, à près de quatre-vingt balais comptait prendre une retraite méritée. Mais l'on est venu le rechercher. Qui ? Personne. Surtout pas les instances cinématographiques de son pays, l'Angleterre. Qui ne l'aime guère. Qui ? Tout le monde. Les gens que vous rencontrez dans la rue. Qui nous ressemblent. N'a jamais caché ses sympathies trotskistes Ken Loach. Révolutionnaire et militant. N'a jamais cherché à distraire le peuple, mais à l'instruire, en lui mettant sous les yeux la réalité dans laquelle il tente de survivre.
Pour les décors, pas de frais, quelques rues et deux appartements miteux. C'est peu mais amplement suffisant. Pour le sujet, les tribulations d'un prolo anglais dans les méandres de l'administration anglaise. Normal, le film se passe en Angleterre. A part qu'en le visionnant vous vous dites qu'il pourrait très bien se dérouler dans beaucoup de pays de notre planète, et cerise empoisonnée sur le gâteau sans sucre auquel il manque la farine et les oeufs, en France.
Une histoire de rien du tout. Une vie minuscule. Mais d'une folle modernité. Tout se passe par ordinateur. Un prolo anglais, veuf et solitaire qui sort d'une crise cardiaque mais que l'équivalent de notre A.N.P.E bien-aimée déclare apte au travail. Pour le lui faire comprendre l'on commence par lui supprimer ses maigres subsides... Je vous laisse deviner la suite entre Ubu et Kafka. Ni rires, ni pleurs, la vie toute simple. La mouche qui s'englue contre le carreau de la fenêtre qui ne la laissera pas passer. Ça n'arrive pas qu'aux vieux. Les services sociaux ont expédié à Newcastle, une mère seule avec deux gamins. La misère s'attaque aussi à la psyché des enfants. Les adultes se débrouillent comme ils peuvent, paient de leur personne ou s'adonnent à des petites combines qui essaient de court-circuiter l'ordre marchand et libéral.
Qui sait se défendre. Possède ses services sociaux d'une cruauté inhumaine. Tout est fait pour vous posséder de votre fierté. Humiliation bureaucratique. Si vous tentez de lever le doigt le système possède ses vigiles et ses chiens de garde. En dernier recours la police s'occupe de vous. Toutes les issues sont bloquées et vous n'en forcerez aucune.
Vous ne pouvez compter que sur vos propres forces. Maigres et déclinantes. L'entraide avec les voisins, la sympathie que de rares individus vous manifestent réchauffent votre coeur mais ne sont pas très efficaces. Un réconfort moral ne vous donne pas à manger. La dignité ne nourrit pas son homme. Ne resterait qu'une solution, la colère. Mais celle d'un homme seul est vite jugulée. Ken Loach ne nous laisse aucun espoir. N'esquisse aucune solution. La solution révolutionnaire n'est même pas évoquée. Il est trop tard. Parquez les indiens dans une réserve et laissez-les se déliter de l'intérieur. Dormez sur vos deux oreilles, ils n'en ressortiront plus. Les pauvres sont confinés dans le no man's land des inutilités sociales. L'on aimerait les laisser tranquilles, mais ils coûtent cher. Sont comme des animaux nuisibles, ces souris qui dans la cave s'en viennent grignoter un paquet de biscottes. Une atteinte insupportable à votre droit de propriété. En l'absence de camps de concentration ou de troisième guerre mondiale, ont intérêt à ne pas faire trop de bruit. N'est-ce pas déjà beaucoup que de les laisser vivre ? Ne serait-ce pas plus humain de les éliminer avant qu'ils ne souffrent trop ?
Allez voir ce film, un complément indispensable à Skinheads de John King ( voir KR'TNT ! 297 du 06 / 10 / 16 ) et à Anarchie au Royaume-Uni de Nick Cohn ( cf : KR'TNT ! 299 du 20 / 10 16 ). Une ultime remarque, chronologiquement parlant, selon une frise historique des cinquante dernières années, I, Daniel Blake se classe tout à la fin. Se déroule de nos jours. Actualité pure. Ces trois ouvrages relatent une descente prodigieuse, une chute vertigineuse des conditions de vie des classes prolétaires. Ce constat sans appel de la situation présente est un véritable ouvrage d'anticipation qui vous ouvre les yeux sur le déroulement de vos conditions de vie dans les dix prochaines années. Il sera alors inutile de venir vous plaindre en disant que vous ne saviez pas. Lâcheté et passivité sont de mauvaises conseillères.
Damie Chad.
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