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21/01/2015

KR'TNT ! ¤ 219. ROCKERS KULTURE 2015 / VASELINES / MA RAINEY

 

KR'TNT ! ¤ 219

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

22 / 01 / 2015

 

 

ROCKERS KULTURE 2015

VASELINES / GERTRUDE MA RAINEY

 

 

ROCKERS KULTURE 2015

 

NEW MORNING - 16 / 01 / 15

 

P'TIT ROCKEUR TRIO / NIGHT CATS / MISS JACK

 

NELSON CARRERA / HOT SLAP TRIO / HAYEN

 

CRASHMEN / WILD ORCHIDS / K'TAIN KIDD

 

BLUE TEARS TRIO / JAKE CALYPSO /

 

WHEEL CAPS / OL' BRY

 

 

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Petit voyage sans histoire. Nous ne répèterons pas l'erreur de l'année dernière où nous avions tourné durant trois quart d'heure pour trouver une place de stationnement. Du coup nous avions raté le Blue Tears Trio. On laisse la teuf-teuf à l'entrée de Paris et l'on emprunte le métropolitain. Tout baigne - surtout nous, avec la dantesque giboulée qui nous coiffe le museau sur le boulevard de Stasbourg, quand je pense que certains dépensent leur argent pour un abonnement piscine - l'on a une heure d'avance. Le temps de saluer les vieilles connaissances, d'inspecter le stand de Rock Paradise et déjà Tony Marlow, le maître d'oeuvre de la soirée, présente le premier groupe. J'en oublierai de revenir feuilleter ( et acheter, mais ce ce n'est que partie remise ) le bouquin Vikings & Panthers sur les bandes des années 1980 avec les photos d'époque de Gilles Elie Cohen et les textes de Jean-William Thoury et Pascal Szulc, le tout sous l'égide de Jimmy Pantera et de Serious Publishing.

 

P'TIT ROCKEUR TRIO

 

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Première surprise du chef. N'étaient pas prévus mais nous sont offerts sur le plateau. Sont tout jeunes. Pas des maternelles. La vingtaine. Parfait : le rockabilly a besoin de sang neuf, d'être un peu bousculé sur ses arrières. Rien que la cravate rouge-clown et l'espèce de choucroute moutonnière sur la tête d'Aramis le batteur– un fameux mousquetaire – vous indiquent que la banane des puristes risque de se dresser sur leur crâne. Ce ne sera pas le cas, seront accueillis par de sérieux applaudissements. Le public nombreux a su se montrer ouvert et respectueux de toute forme d'expression.

 

Débutent par le Shakin' All Over de Johnny Kidd – lequel sera à l'honneur plusieurs fois tout le long de cette soirée – très électrique avec un étrange solo et une fin des plus brutales, une relecture, comme l'on dit qui essaie d'explorer les coins ignorés. P'tit Rockeur est sous son chapeau, à la guitare et au chant. Voix puissante et timbre comme légèrement compressé, pas du tout désagréable. Ne font que trois p'tits tours et s'en vont. Nous laissent un p'tit goût de revenez-y, vous retrouverez ces trois jeunes parisiens sur la compilation The French Rockabilly Scene # 6 et encore plus sur leur EP Hey Baby ! Sorti au mois de novembre.

 

NIGHT'S CATS

 

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Deuxième surprise, Tony nous gâte. Les chats de la nuit se sont glissés en douce sur la scène. Contrastes saisissant avec les p'tits minous précédents. De sérieux matous qui écument les bars et les manifestations de Normandie depuis une quinzaine d'années. Z'ont le son. Celui de Carl Perkins dans les studios Sun. Puissant et superbement mis en place. Laurent nous domine de son imposante stature, chante juste. Je ne veux pas dire qu'il ne chante pas faux, mais qu'il sait poser sa voix avec cette impitoyable justesse qui est un des secrets du rockabilly, ce ne sont pas les musiciens qui accompagnent le vocaliste mais le chanteur qui par ses inflexions les met en vedette. Tour à tour – miam-miam le jeu de Guillaume sur sa contrebasse – mais aussi tous ensemble. C'est cette alchimie dont l'acquisition est une oeuvre de longue patience qui vous propulse le son du groupe au creux de l'estomac et vous transforme en punchy-billy consentant. Les chats de la nuits ne se déplacent pas à tâtons, impeccable piétinement du drummin' de Jérôme capable de n'importe quelle cavalcade sur les toits les plus pentus et les plus obliques, quant à la guitare de Christian il vaudrait mieux que vous ne l'entendiez pas, cela vous éviterait d'être jaloux de son savoir-faire. Lorsque les Night's Cats finissent leur trop court passage et ferment leurs pupilles resplendissantes nous avons l'impression que la lumière s'éloigne. Marée d'applaudissements.

 

MISS JACK

 

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La troisième surprise, l'était pourtant invitée, mais sur Paris peu de gens connaissaient. Trois briscards qui ne sont pas tombés de la dernière neige. Frédéric aux drums, Rémy à la basse et Eric à la lead. Assurent comme des bêtes. C'est qu'ils ont une lionne chevronnée qui surveille la harde. Chasse en tête. Longiligne. A première vue un peu grande duduche, mais en fait une véritable duchesse. Un maximum d'humour et des tonnes de talent. N'a pas la langue dans sa poche. En deux minutes nous a mis dans celle de son jean. La revolver, celle qui tire plus vite que son ombre. L'a un grand amour dans sa vie. The female Gene Vincent. La petite copine d'Elvis Presley. Miss Wanda Jackson, la grande dame du rockabilly.

 

Se réclamer de Miss Wanda, c'est facile. C'est quand on passe à la pratique qu'il faut dégommer grave. C'est que la petite Wanda l'avait un sacré coffre et une énergie aussi inépuisable qu'une éruption volcanique. Fuji' Mama incendiaire. Pas de quoi faire peur à Miss Jack, l'éventrice du rockabilly. Dès qu'elle ouvre sa bouche c'est un torrent impétueux qui en sort. Nous interprète cela comme si c'était de la petite bière. Des chansonnettes sucrées pour midinettes. Nous délivre quatre torpilles qui prend la salle sous la ligne de flottaison. Touchés, coulés, au coeur. Finit sur un Rock Me Baby dévastateur. Quitte la scène parce qu'il le faut bien, mais l'avait encore assez de souffle pour une quinzaine d'autres. Vient de Normandie. Doit avoir du sauvage sang viking dans les veines.

 

HOT SLAP TRIO

 

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Encore des normands. Z'ont dû louer un drakkar communautaire pour débarquer en force. Faut se méfier, au moyen-âge, ces barbares du nord sont arrivé jusqu'à Byzance. Les Hot Slap Viennent de Rouen, le pays de notre Cat Zengler, les a d'ailleurs rapidement chroniqués dans la précédente livraison de KR'TNT ! ( la deux-cent dix-huitième ), faut donc ouvrir les oreilles car le Zengler man, il ne se déplace pas pour les caramels mous.

 

Figure de proue de la scène locale qu'il avait écrit notre Chat Cinglé préféré. Un jeune jarl – s'appelle Martin - à la lead et deux vétérans pour le reste de l'équipage. Pas nombreux, mais font partie de commandos chargés de sauter sur le navire ennemi. D'abord vous remarquez Mathieu, avec sa banane aussi massive qu'une tête de cachalot, file de vilains coups de nageoires sur sa contrebasse. Doit y avoir une armature renforcée en tungstène à l'intérieur. Car le Mathieu il slappe à mort. Dans la série hotez-vous de là que je slappe à fond, il distribue les baffes et les claques à en faire péter les cordages. Slappe mais ne salopège pas le boulot. C'est qu'il na pas intérêt à laisser moisir les fromages dans le frigidaire avec Freddy le berseker fou derrière sa batterie. Je n'ai pas de preuve, mais je le soupçonne de pousser le baromètre sur le rouge, vers avis de tempête. A moins que ce ne soit Martin qui catapulte la farandole sur sa moulinette. J'hésite à désigner le coupable, mais à la vague d'applaudissement qu'ils récoltent, le public les plébiscite sans appel.

 

NELSON CARRERA & THE SCOUNDRELS

 

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Il y a des jours où vous recevez une leçon. Quelqu'un se charge de vous mettre les poings sur le i grec de groggy. Vous ne vous en plaignez pas, car vous l'avez mérité. Vous l'avez bien cherché, vous ne demandiez que cela. Ce soir c'est Nelson Carrera qui se charge de jouer le maître d'école. N'est pas venu tout seul. L'a emmené quelques punchers de hauts niveaux. D'abord l'a rajouté Red Denis à la batterie. De la triche presque comme si vous preniez d'office Cassius Clay dans votre équipe. Des Scoundrels il a gardé Jorge à la contrebasse, Raph étant indisponible il a pris Thierry Crédaro à la lead. C'est un peu comme si vous disiez que vous ne choisissez pas le meilleur pour ne pas mettre toutes les chances de votre côté et que vous le remplaciez par un aussi meilleur. En plus Steve Rydell vient pimenter la sauce avec sa guitare sur un morceau ! De quoi nous plaindrions-nous !

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Donc un combo de choc. A côté de soi, ça aide. Nelson est à la rythmique et au chant. Ce n'est pas du rockabilly. C'est un rêve. Une harmonie suprême. Le genre de truc que les anges là-haut doivent chanter là-haut dans l'empyrée autour du trône d'Eddie Cochran. La simplicité même. L'aisance. L'évidence. Survole. Vous emmène au nirvana du rockabilly. Economie des moyens et perfection absolue. Un ravissement. Rien à redire. Rien à regretter. Rien à rajouter. L'équilibre. La grande classe. Naturelle. Total respect. Ne me demandez pas ce que c'est que le rockabilly, ce vendredi soir 16 janvier 2015, c'était Nelson Carrera, un artiste touché par la grâce. Pas de mots pour la ferveur des applaudissements. Emotions et remerciements.

 

HAYLEN

 

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Que se passe-t-il ? Les roadies s'affairent pour installer le matériel du groupe suivant, mais Red Denis joue à la montagne inamovible, refuse de quitter son tabouret. Et voici que Tony Marlow, vient brancher sa guitare. Sont rejoints par le contrebassiste Andrew Mazingue. L'on comprend vite pourquoi, dès qu'apparaît Haylen. Vous n'avez même pas le temps de contempler la beauté de sa gente personne qu'elle entonne le premier morceau. L'est encore à cinquante centimètres du micro que déjà l'on entend sa voix sculpturale. Ce que l'on appelle un don des Dieux. Une lyre d'airain comme disait Victor Hugo. Le genre d'organe auprès duquel vous vous sentez tout rabougris avec votre filet de larynx asthmatique.

 

N'ont pas répété, mais avec Red et Tony ce n'est pas grave, Andrew est le contrebassiste attitré de la belle Haylen Namvarazad qui nous verse de fortes rasades d'alcool vocales. Facile d'emporter l'adhésion d'une salle lorsque l'on est aussi douée. Même si sa voix est davantage adaptée à un registre beaucoup plus groove and soul. Un métier indéniable, avec Andrew à sa dévotion qui se lance dans de beaux soli. La reine triomphe et se retire aussi vite qu'elle est venue. Une performeuse qui peut risquer une incursion dans le vieux rockab des familles sans avoir à rougir.

 

CRASHMEN

 

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Alerte rouge. Pour petits bonshommes verts. Un vaisseau spatial d'origine inconnue s'est écrasée sur la planète rockabilly. Pas d'inquiétude à avoir, la provenance de ce mystérieux astronef commence à être cernée. Manifestement bricolé dans une zone de Garage, à partir d'éléments importés du hard rock and roll à la AC / DC, plus quelques pointes de métal fuselé avec tout de même de fortes empreintes rockabilly, notamment une contrebasse d'origine contrôlée.

 

Trois sur scène. Ne sont pas perdus. L'on comprend tout de suite qu'ils ont l'habitude de rouler leur bosse. Je le répète, confiner le rockabilly dans des espaces trop limités n'est pas la meilleure façon de le perpétuer. L'embaumement est une opérativité post-mortem. L'est bon que de jeunes pousses s'essayent à de nouveaux mélanges. Les Crashmen en sont la preuve vivante. Sont vigoureusement applaudis. Le post-néo-rockab a encore de beaux jours devant lui. L'avenir appartient aux audacieux.

 

WILD ORCHIDS

 

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Les Suisses ne gardent pas tous leurs trésors dans leurs coffre-forts. En laissent parfois sortir un de leurs montagnes. Ce n'est pas l'Heidie de alpages, mais les Orchidées Sauvages. Dans la famille Wild Orchids vous me donnerez Didier le père à la lead guitar, sa digne épouse Iris qui tient la rythmique avec sa petite dernière Margot à ses côtés, et je prendrais aussi les deux très jeunes filles, Maurine et sa basse, Morgane et ses drums. Ce n'est pas la Carter Family, mais l'esprit y est. Le genre de formation qui laisse présager le meilleur comme le pire. L'on fait confiance à Tony, s'il les a intégrées à sa compilation, c'est qu'ils doivent jouer avec un peu plus de sérieux que des marmottes qui se dorent la pilule au soleil.

 

L'a raison le Marlow. Dès la première plongée dans l'intro, l'on sent que l'on n'est pas chez les blaireaux. La guitare de Didier est l'arbre roi autour duquel s'accrochent et rayonnent toutes les branches. Belle voix et riffs incisifs, l'est méchamment secondé par le reste de la famille. Morgane m'étonne – on ne la voit guère derrière la silhouette paternelle – mais elle déploie sur ses tambours une énergie communicative, derrière ses grosses lunettes roses qui lui mangent le visage Maurine ne quitte pas le jeu de son père d'une demi-seconde. Me surprend pas ses interventions frappées d'un bon sens musical étonnant. Comme toujours c'est la mère qui vient rappeler qui commande, These Boots Are Made For Walkin' – le seul hymne féministe international connu de toute la planète – vient-elle nous asséner d'une voix très rhythm and blues de chat écorché. Les Wild Orchids – bien nommées, rares comme les orchidées des plus hautes cimes et sauvages comme le rockabilly le plus chaud – remportent un franc succès.

 

Non je ne l'ai pas oubliée. Elle ne chante pas et ne joue d'aucun instrument. C'est Margot, la clapper girl la plus émouvante qui m'ait été donné de voir. Des gestes d'une gracilité extrême, exécuté avec le sérieux authentique de l'enfance. Peut-être la personne la plus impliquée de toute la soirée.

 

K'PTAIN KIDD

 

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Fini les moussaillons. Un inquiétant trois-mât barque se profile à l'horizon. Etamine rouge d'ultime danger et Jolly Roger noir à tête de mort flottent en haut du mât d'artimon. Encore un trio, mais celui-là est un habitué des mers du Sud. Deux forbans au cabestan, et ce marlou de Marlow sur la dunette. Vous l'avez reconnu c'est le fantôme de Johnny Kidd qui revient régler un vieux compte soudainement interrompu par un brusque naufrage voici plus de quarante ans sur les brisants acérés des côtes anglaises. Ce jour-là le rock anglais avait perdu un de ses meilleurs capitaines.

 

La hargne et la classe. Faut une hardiesse folle pour virer lof sur lof entre les récifs. Etoc et rock. Le goulet est étroit et la moindre hésitation court à la catastrophe. Reprendre Johnny Kidd, ne jouer que du Johnny Kidd, faut être fol. Ne s'agit pas d'un simple hommage. D'une belle image derrière laquelle on se faufilerait en douce. K'ptain Kidd ne donne pas dans les resucées. Fraye une route inconnue, d'annonce nouvelle comme disait Mallarmé.

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Vingt minutes plein vent. Faut les voir tous les trois. Stéphane Mouflier dans l'entrepont qui bourre sa batterie et qui fait feu sans rémission. Mitraille le pont ennemi de sequins d'or. C'est lui qui force et emporte le passage. Gilles Tournon tire sur les écoutes de sa basse comme un forcené. Engouffre le maximum de vent dans ses voiles. C'est lui qui propulse et fournit l'élan nécessaire. Tony Marlow a empoigné la roue de la lead guitare. Se joue des courants. Navigue au plus près. Maîtrise impérieuse et impériale. Ca passe et ça ne casse pas. Le kraken qui surgit de la mer et disparaît à l'horizon. Foudroyants.

 

N'ont pas faits de prisonniers. Ont razzié tous les enthousiasmes. Ont tout donné et on a tout pris. Grandiose.

 

BLUE TEARS TRIO

 

Si vous croyez que le groupe qui a suivi a versé d'amères larmes bleues de désespoir, vous faites erreur. Magie rouge de cette soirée, tous les groupes se sont donnés à fond, chacun réalisant le miracle de faire oublier celui qui l'a précédé et d'être dans une si immédiate présence qu'il oblitérait la possibilité de l'existence du suivant.

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Encore des normands. N'ont pas démenti leur réputation. Trois coups de slap de Didier et nous sommes transportés au coeur du pure rockabilly. Trio d'enfer. Entente phénoménale. Trois métronomes en folie. Difficile d'en regarder un sans avoir les yeux qui louchent sur les deux autres. Vous aimeriez savoir leur secret. Comme le furet qui court et qui passe de main en main sans se faire prendre. Blue Tears, tir tendu. Ne jouent pas du rockabilly. Ils sont le rockabilly. Hors de scène comme vous et moi ou le palmipède de Baudelaire, mais dessus investi d'une mission intérieure. En service commandé d'une force dont ils se sentent les activistes. Ce n'est pas parce que la contrebasse d'Aimé vous mire d'un oeil marrant qu'ils sont là pour rigoler. Didier est à la Gretsch mais plus que son jeu de guitare sans appel c'est sa voix qui charrie des tonnes d'émotions contenues, l'atmosphère en devient presque insupportable, menaçante. Dramatique. C'est Franck qui se charge de dissiper cette turpitude d'alligator qui chasse dans les marais. Fait tout le bruit possible pour éloigner la bête sournoise. Qui reprend sa faction dès la fin du break. Blue Tears, un jeu de cache-cache dans les eaux troubles du vieux Sud. Tension et électricité. Un très beau set. Comme une âme perdue qui s'en vient frapper à la porte des vivants. Le public ne s'y est pas trompé, la chaleur des applaudissements comme un merci.

 

JAKE CALYPSO

 

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N'est pas sur scène que les appareils photos s'en donnent déjà à coeur joie. Avec Jake Calypso l'on rapportera le cliché ad hoc. Celui que vous montrerez à vos petits enfants, fièrement en disant, moi j'y étais. Avec le gars Lypso, la folie dionysiaque est à portée de la main. Maintenant cinq morceaux pour grimper tout en haut, c'est un peu court. Pour de simples mortels oui. Pour Jake Calypso, ce n'est pas un problème. Entouré de ses comparses de toujours, l'est prêt à vous attraper la lune et à vous l'offrir. Alors ce soir avec le renfort de Gilles Tournon, encore une fois ce sera du tout cuit. L'est décidément dans tous les mauvais coups le Gilles. A peine tiré sain et sauf de la déferlante K'ptain Kidd s'embarque pour les quarantièmes rugissants de Calypso. Doit avoir l'estomac solidement accroché, et par-dessus tout aimer les grands tangages. L'a pris son joujou préféré, la contrebasse, va subir un sale quart d'heure la big mama, lui tirera sur les cordes comme un damné, c'est que Christophe et Thierry ils n'ont jamais appris à jouer doucement. C'est un truc qui manque à leur culture musicale. L'on reconnaît qu'avec la jacquerie de Jake, l'on n'a pas le temps de cueillir les coquelicots dans les champs de blé.

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L'arrière grand-père de Thierry Sellier devait battre la charge à Austerlitz, à la façon dont il artille sec sur sa caisse claire, lui a transmis le virus dans le sang, quant à Christophe il vous jette des enfilades de riffs comme d'autres épandent des bombes sur leurs frères humains. Et devant les trois sagouins qui vous fracturent les portes du rockabilly à coups de pieds de biche, Jake Calypso nous fait visiter les studios SUN à Memphis. Tennessee. A sa manière. Accélérée. Un tantinet infidèle si l'on est un orthodoxe partisan des préceptes de Sam Phillips. Mais ô combien jouissif ! N'est déjà plus sur scène. Navigue sur les mains du public, quelque part dans la salle. Une tornade en promenade. L'on en voudrait encore. Mais non faut arrêter le train sur une voie de garage. Il se fait tard et il reste encore deux groupes à passer. Je n'aime pas qu'on m'enlève ma part de gâteau alors que je n'ai eu le temps que de gober la cerise. Avant de rendre l'antenne, dernier message, l'intervention de Rémy – le saxo des Ol' Bry – plus les quatre fous furieux, sonnent encore plus fort que Springsteen...

 

WHEEL CAPS

 

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L'affaire se corse. Démarrent sur les chapeaux de roue. Le dernier trio avant la route. The old rockab road. Celle que l'on ne se lasse pas d'emprunter. Des gars solides, casquette et contrebasse, lunettes et guitare, station debout et caisse claire. Pas besoin d'autres ingrédients. L'on aurait pu croire que le soufflé allait retomber. Il n'en fut rien. La fatigue commençait à se faire sentir dans la salle. Dès la moitié du premier morceau ils avaient rallumé la flamme. Et la mèche explosive du rockabilly. Venus de si loin pour rappeler les lois du genre. Une rigueur sans défaut. Pas la quadrature aventureuse du cercle mais carrés. Aux angles droits. Impeccabilité. Cette assurance tranquille qui en impose. On les aurait encore écoutés pendant longtemps. Une simplicité qui séduit par son honnêteté. Longs applaudissements. Les Wheel Caps ont fait mieux que remporter un succès d'estime. Ils ont séduit une assistance de connaisseurs.

 

THE OL'BRY

 

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La tâche la plus ingrate. Passer après tous les autres et finir le boulot. Délicat et difficile. Entre voiture-balai et Dust my broom. Ou vous fatiguez. Ou vous triomphez. Les Ol Bry vont encore faire mieux. Vont nous surprendre. Sont comme le serpent qui change de peau tout en restant davantage reptile à chaque mue. Nous ont habitués à leurs métamorphoses. Flirtant avec le Doo Wop à leurs débuts, se rapprochant du pur rockab, par la suite, et maintenant ? Nous n'allons pas tarder à le savoir. Sont tous là, silencieux. Diego et sa guitare, Marcello et ses fûts, Thierry et sa contrebasse, Rémy et son saxophone, en demi-cercle, Eddie sa grosse acoustique blanche au niveau du cœur, au centre comme le moyeu de la roue du char solaire.

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Subtil. Tout dans la nuance. Le grain de la voix d'Eddie inimitable, et tout le reste. Le léger haussement d'épaule, la légère inclinaison à droite, la hanche qui se casse, le sourire ravageur dans le coin, rien de gratuit, tout à chaque fois souligné par un lick de guitare, un plonk de batterie, un aboiement de saxo, un soupir de contrebasse. Un combo de rockab qui s'amuserait à accompagner Sinatra, qui jouerait, sans s'enfler de vantardise, au big band. Et le public qui entre dans le jeu et en raffole. Deux morceaux, deux joyaux, et reviennent vite à un rock and roll plus traditionnel avec toutefois la rythmique d'Eddie très en avant. Là où les autres travaillent le rythme, les Ol' Bry bossent le son. Sont toujours en avance par rapport à eux-mêmes. Sont pour l'extension du domaine du rockabilly. Explorent et annexent. Et puis s'en vont butiner ailleurs. Des têtes chercheuses. Un des groupes les plus originaux du mouvement rockab, qui n'en fait qu'à sa tête, qui ose les flirts interdits tout en sachant rester lui-même. Evolue sans se dévaluer. C'est la fin. Il faut rendre la salle. A la clameur de déception qui monte de la foule regroupée au bas de la scène, Tony Marlow arrache une petite prolongation...

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CUVEE 6

 

Un Rockers Kulture exceptionnel. Qualité des intervenants et le monde au rendez-vous. Un super-merci à tous les groupes qui ont su se surpasser et pousser à chaque fois le bouchon un peu plus loin. Et surtout cette ambiance chaleureuse et mutuellement respectueuse. Un petit salut spécial aux Rookers du Havre, et à tous... Au fait Tony, pour la septième édition...

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Damie Chad.

( Photos prises sur le FB de Edonald Duck  )

 

LA MAROQUINERIE / PARIS XX / 18 – 11 – 2014

 

VASELINES

 

BE CAREFUL WITH THAT AXE EUGENE

 

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Contrairement à ce qu’indique le titre, Eugene ne sort pas d’«Ummagumma», il sort d’Écosse. Il sort même du culte d’Écosse, à défaut de sortir de la cuisse de Jupiter. C’est un vaillant vétéran de l’indie scène des années de vaches maigres.

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Eugene Kelly monta en effet les Vaselines avec sa copine Frances McKee en 1986. Ils enregistrèrent quelques singles de pop traînarde vaguement inspirée du Velvet et des Modern Lovers. Mais leur principale inspiration était bien sûr Stephen Pastel qui avec sa copine Agi pratiquait déjà ce genre d’exercice de chant dégingandé à deux voix. Stephen Pastel chantait d’une voix chaude et profonde, alors qu’Agi restait sur le registre de l’ingénue libertine highlandaise. Tous les groupes écossais se réclamaient du charmant Pastel : les Mary Chain, bien sûr, mais aussi Primal Scream, BMX Bandits et Belle & Sebastian. Eugene et Frances poussaient leur bouchon un peu plus loin puisqu’ils ambitionnaient aussi de sonner comme Lee Hazlewood & Nancy Sinatra.

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Mais les Vaselines doivent surtout leur réputation internationale à Kurt Cobain. Dans une interview, Eugene avoue qu’il ne sait pas comment ses disques ont pu arriver jusqu’à Olympia, à l’autre bout des États-Unis, dans l’état de Washington, et fasciner à ce point les gens de Nirvana. Toujours est-il que Kurt clamait sur tous les toits que les Vaselines étaient son groupe préféré, et il étaya ses dires en incluant deux reprises des Vaselines dans l’album «Insecticide» : «Molly’s Lips» et «Son of A Gun», plus une troisième lors du fameux Unplugged MTV.

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On trouve facilement les choses des Vaselines aujourd’hui. Il existe une bonne compile datant des années 90, «All The Stuff And More». Plus récemment, SubPop a publié un triple album contenant les deux EPs, l’album «Dum Dum» et deux concerts enregistrés live.

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Ce qui permet de bien faire le tour du phénomène. Et de se rendre compte qu’Eugene Kelly était diablement en avance sur son époque. Car quelle claque ! Quel coup de Jarnac ! Il suffit simplement d’écouter «Son Of A Gun» pour comprendre qu’il se passe quelque chose de très spécial chez eux. Ils chantent leur truc au duo de voix ingénues de petites canailles irresponsables et c’est drumbeaté au bombast d’Écosse. Fraîcheur garantie. Sur la face B du premier disque, on tombe sur «Dying For It» qui annonce le génie guitaristique d’Eugene Kelly. Il descend tout droit de l’art des fuites glougloutées de Lou Reed. Son son court comme le furet. Eugene joue au loin. Il domine l’Europe entière depuis son nid d’aigle des Highlands. Il ne craint pas le vertige. Il joue des solos spatio-temporels. Le son qu’il sort dans «Teenage Superstars» annonce l’Eugenius à venir. Il sort une merveilleuse fricassée de notes de guitare grillées vives. C’est toute la white light et toute la white heat du Velvet qui s’échappe de ce cut - I don’t care - C’est alarmant de supériorité - Leave me alone - Ce mec avait alors tout compris, car tout est dans le son. Il place même un final éblouissant de type «Out Demons Out» et Frances n’en peut plus de trépigner ce hit underground absolument magistral. Le disque 2 s’ouvre sur «Sex Sux (Amen)», une grosse pop jouée à la guitare grasse et au beat tatapoum. On se retrouve aussitôt au cœur du problème. Eugene fait swinguer les Highlands et toute la carlingue. Il sort un son de folie qui perce des tunnels dans les ténèbres. Quel blast ! Et ça continue avec «Slushy», joliment chanté à deux voix sur canapé de bouillie distordue. Eugene avait bien intégré l’enseignement du Velvet. Il savait manier les mélodies cacochymes au touillage de son graveleux. C’est à ça qu’on reconnaît les géants du rock. «Bitch» est tout aussi admirable d’ingénuité perverse. Eugene semble jouer du bottleneck de lépreux assis dans un nid de frelons. On a là une merveilleuse ambiance décatie. Leur gros hit des années antérieures va sans doute rester «Dum Dum» - I’m a real dum-dum I even left my mom/ Cause I get on my knees and I do what I please - merveilleuse pièce de garage vaselinien, sèche et jouée au tambourin - I’m a real dum-dum I’m a son of a gun/ I was born to run but I wanted to walk - C’est l’archétype du hit garage bien foutu, même niveau que «Waiting For The Man». Encore une fabuleuse fuite de distorse éperdue dans «Hairy» (Poilu - on découvre au fur et à mesure qu’Eugene est obsédé par les pussies). Il n’existe rien d’aussi inspiré qu’un vieux cut des Vaselines. Ils perpétuent l’art sacré du Velvet, avec un chant transfigurateur étalé sur canapé de bouillasse suprême. «Lovecraft» est un trépidant cut garage littéraire, une vraie partie de beat en l’air avec un redémarrage en côte. Eugene sait rester innovant, quoi qu’il arrive. Et puis «Let’s Get Ugly» préfigure les blanches giclées d’Eugenius.

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Oui car c’est dans Eugenius qu’Eugene déploya ses ailes. Après le split des Vaselines, il monta Captain America et enregistra un «Flame On» qui sentait bon les incendies de forêt. Mais comme le nom de Captain America appartenait déjà à Marvel Comics, Eugene dut rebaptiser son groupe Eugenius. Et que trouve-t-on dans Eugenius ? Genius, bien sûr. L’album «Oomalama» paru en 1992 est une véritable bombe, l’un des meilleurs albums de rock anglo-écossais avec le «Bandwagonesque» de Teenage Fanclub. Le morceau titre qui ouvre les festivités est une sorte de grosse épopée de distorse traversée d’alertes rouges. Le cut stupéfie. Pire, il embrase les plaines fertiles de l’imaginaire mésopotamique. Eugene optimise le grain du son à outrance. Il va là où personne ne va. Son goût de l’aventure le préserve des risques d’arthrose. Avec «One’s Too Many», le génie d’Eugene rue dans les brancards. L’animal tortille son hit à la note féroce et bien grasse. Il s’auto-harcèle avec une incroyable ténacité de guerrier mohawk. Il tire ses notes lumineuses et brode fiévreusement son gimmickage. Voilà ce qu’il faut bien appeler un cut monstrueux. Peu de gens savent sortir un tel son. Encore un hit extravagant avec «Bed In», embarqué comme du Teenage des origines. C’est une fantastique pièce de power-pop sub-sonique bourrée d’énergie et d’éclat du jour. Elle génère la flamboyance d’un son qu’on croyait perdu et qui hante toujours nos esprits. La chose s’étend dans le temps avec un solo d’une effarante liquidité. On retrouve le vieux laid-back eugenique dans «Down On Me» - Turn on the light/Down on me - Voilà un psyché d’allure royale, une fête pour les sens, au sens rimbaldien de la chose. «Oomalama» sonne véritablement comme l’album de rock idéal. Mais attention, ce n’est pas fini car la face B s’ouvre sur «Flame On», lancé à la note d’allumage comme «Born To Lose» des Heartbreakers. Puis ça pilonne. Voilà encore un hit mid-tempique d’allure martiale. Eugene et ses amis jouent avec une grâce infinie, le morceau fuit comme l’aileron du requin à la surface bleu émeraude du lagon. C’est enroulé au solo gras, voilà encore une vraie déclaration d’intention. Ils torchent ensuite «Here I Go» vite fait au gimmick ingrat avec un chant d’aplomb acre. C’est une fois de plus extrêmement bien soutenu. Eugene et ses amis savent brouter un beat et poivrer un gimmick. «I’m The Sun» sonne comme de la power-pop heureuse et ils explorent les grands espaces mélodiques avec «Buttermilk». L’imparabilité des choses, voilà leur secret. Ils terminent cet album somptueux avec un «Bye Bye» circonstancié. On a toujours ce son hanté par la beauté allégorique. Ils sont grandioses, élevés, inspirés. On ne comprend pas qu’Eugenius n’ait pas explosé comme Nirvana. D’ailleurs, Eugene les cite dans les remerciements, ainsi que deux autres grosses équipes de l’époque, Midway Still et Jacob’s Mouse.

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«Mary Queen Of Scots» fut le second et dernier album d’Eugenius. Il est malheureusement un peu moins présent que le précédent. «Pebble/Shoe» dispose d’un son plein comme un Polonais un jour de paie. Eugene sait très bien ce qu’il fait. Il traite d’égal à égal avec les dieux du groove écossais. Quand il attaque «On The Breeze», on sent bien qu’il a toujours en lui la rage de vaincre. Il n’est pas du genre à faire demi-tour. «Mary Queen Of Scots» est une pure insurrection. Eugene se livre à son sport favori qui est de pulser le gros son. Il joue donc une power-pop de rêve, indiscutable car tirée de profondes convictions royalistes. Avec «Easter Bunny», il passe au pur Teenage : même inventivité du son et même esprit conquérant. On sent une nette persévérance, chez lui. Eugene sait agencer les conditions d’un hit poundé. Il faut aussi absolument écouter le solo liquide qu’il joue dans «Tongue Rock». Le genius d’Eugenius éclate dans «Home Sick». Et ça continue comme ça jusqu’à la fin du disque, avec un «Fake Digit» explosé à coups de chorus de guitare et «Love Bread And Beers», puissant comme un taureau des hautes plaines et magnifié par des dynamiques de fond de studio.

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Son album solo «Man Alive» paru en 2003 fut un peu décevant. On tenait Eugene pour le guitariste écossais le plus saignant du Commonwealth mais il s’était calmé. Par contre, on retrouve dans le premier cut de l’album «I’m Done With Drugs» son sens aigu de la mélodie bien tempérée, même si les guitares sonnent plus comme celles des Byrds. Il a même quasiment le même son que le Brian Jonestown Massacre, cette façon de claquer l’accord et de laisser filer le I-I-I. Comme Kim Fowley, Eugene commente ses chansons d’un style lapidaire. Pour «I’m Done With Drugs», il raconte que l’amour peut tout guérir. Ça commence mal. «Older Faster» sonne dès l’intro comme un morceau des Pogues. Non seulement Eugene allume sa clope avec un poireau, mais il prend en plus des distances avec son ancienne vie. On est aux antipodes de l’inventivité des Vaselines. Avec «Stop The Press», Eugene déclenche enfin une avalanche de purée. Il retrouve ses marques. Il envoie un chorus splendide, déployé, onctueux qui coule sur les doigts. Belle rumba que ce «Ride The Dream Comet». Il est certain que si Johnny Cash avait entendu «She Wears My Ring», il aurait demandé à Rick Rubin la permission d’en faire une reprise. Johnny Cash adorait tous ces trucs-là, les cercueils, les cadavres, les destins broyés. Avec «The Healing Power Of Firecracking», il tralalate comme au bon vieux temps des Vaselines. À la vérité, on s’attendait avec ce disque à une horreur de distorse et à des violences de bas de manche, à des accords de grosse Bertha et à un terrible carnage de feedback. Long Gone John le pirate nous a tous bien possédés. Visiblement, Eugene s’est rangé des voitures. Les Écossais, dit-on, aiment à surprendre. Il faut se souvenir que Mary Stuart osa ramener des catholiques dans une région verrouillée par les protestants. Ça ne lui a pas porté chance que de vouloir jouer les empêcheuses de tourner en rond. 

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Eugene et Frances ont reconstitué les Vaselines en 2009 pour une tournée et un album intitulé «Sex With An X» qui hélas ne tient pas vraiment ses promesses. On retrouve quelques vagues influences du Velvet dans la petite pop frippée du couple. Ils chantent «Such A Fool» à l’unisson. Il faut attendre la face B pour trouver un peu de consistance. «Poison Pen» est une petite pièce bien haineuse, dans la veine du vieux «I Hate You» de Kim Fowley. Eugene part en solo et retrouve sa niaque d’antan - I can rely on you to always let me down/ And I’ll trust you to never be around - la chose s’adresse à Lucifer, bien évidemment - Yes Lucifer, I fell for you - Le hit de l’album est un pied de nez aux années 80, «I Hate The 80’s» - It was all duran duran you want the truth ?/ Well this is it/ I hate the 80’s cause the 80’s were shit - Beau règlement de comptes. Et dans «Mouth To Mouth», il demande à une fille de lui faire du bouche à bouche, prétextant une urgence. Fière allure poppy, certes, mais il n’y a pas de quoi se relever la nuit. Il boucle l’album avec «Exit The Vaselines» qui fait le pendant à «Enter The Vaselines». Franchement, sans le pendant, que deviendrions-nous ?

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L’album «V For Vaselines» qui vient de paraître sonne comme une renaissance. Eugene et Frances attaquent avec «High Tide Low Tide», une belle pop élancée. On retrouve la grande énergie et le cran des cocos d’Écosse. Ils décuplent leur puissance de passages d’accords. Eugene renoue avec l’Eugenius overdrive. Oh le genius d’Eugenius ! Eugene ne se gêne pas. Eugene fait geindre ses gênes. Eugene se veut radical et il passe haut la main. Avec «The Lonely LP», ils reviennent aux vieux mirages pop des eighties. Ils enchaînent avec un «Inky Lies» sacrément bien balancé et on tombe ensuite nez à nez avec un petit prodige pop qui s’appelle «Crazy Lady». Pop de rêve. Voilà ce qu’on pourrait appeler un violent retour de manivelle dans les dents des dieux de la pop de base. Incroyable comme c’est inspiré. Ils renouent avec la béatitude du Brill. Ils font de la pure pâte de Brill aussi brisée qu’un Sacre du Printemps. Franchement, c’est comme si on voyait Igor Stravinsky en smoking blanc twister sur le bacon d’un palais monégasque. Eugene prend le pas sur Frances - Goodbye crazy lady I’m over you - et certains retours d’accords sont dignes des Stooges. Ils poursuivent cette fantastique épopée au pays de la pop avec «Single Spies», pièce de pure pop élégiaque.

 

— Superbe album, ah je vous le dis comme je le pense, madame Dupin !

 

— Oh mais je suis bien d’accord avec vous, madame Letellier ! Croyez bien que cet album enchante les matinées que je passe à pomponner notre charmante bonbonnière du rez-de-chaussée ! Voyez-vous, j’ai conservé une âme de jeune amazone romantique et les voix conjuguées d’Eugene et de Frances me touchent, autant que me touchaient les poèmes translucides qu’écrivait Mademoiselle Lucie Delarue Mardrus. J’ai même parfois l’impression de me retrouver, si précoce et si écervelée, au Temple de l’Amitié de Nathalie Clifford-Barney. Ah comme il m’en souvient...

 

— Avez-vous remarqué ce morceau, «One Last Year»... Il paraît si musculeux qu’on devine le roulement des masses viriles sous la peau. Comme ça m’émerveille ! Pas vous ?

 

— Oh oui, et d’ailleurs, voyez comme le solo descend aux enfers ! Car les marches, oh oui, car les marches, si noires et si glissantes !

 

— Mais voyez-vous, je suis encore plus éblouie par «False Heaven». J’ai franchement l’impression d’entendre un morceau conquérant et de voir entrer un Empereur dans Rome suivi de tous ses esclaves. Entendez-vous cette clameur : «Talking bout my love ! Talkin’ bout my love !». Il semble que toute la populace de Rome chante en chœur avec l’empereur Eugene !

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— Puis-je vous avouer un secret ? Figurez-vous madame Letellier que j’ai un petit faible pour «Number One Crush». J’adooore cette éclate à l’intro mortelle de la mortadelle ! Ce cher Eugene embarque son trip de cut à la mode de Caen. J’irais bien jusqu’à qualifier sa classe d’impondérable, voyez-vous.

 

Et madame Dupin se met à danser sur place et à chanter : «Being with you kills my IQ !»

 

— Mais vous m’insultez ! Sale mégère ! Tenez ! Prenez ça !

 

Et paf, madame Letellier balance un coup de sac à main en pleine poire de la malheureuse madame Dupin qui vacille et qui s’écroule à la renverse, assommée net.

 

Depuis que deux vauriens l’ont agressée dans la rue, madame Letellier a lesté son sac à main d’une antique semelle de fer à repasser en fonte.

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Sur la scène de la Maroquinerie, Frances n’avait pas de sac à main. Elle portait un blouson de cuir noir à franges et une robe assez moulante en tissu imprimé à dominante bleue. Frances semblait plutôt bien conservée et elle amusait un public de fans en lançant des petites remarques ironiques censés égayer l’atmosphère, du style «J’accepte les garçons, mais pas en dessous de vingt ans». Ses longs cheveux blonds taillés en frange sur le front encadraient un visage avenant et souriant. Son petit nez pointu semblait humer l’air comme le museau d’une musaraigne. Eugene avait contrecarré les ravages du vieillissement en se rasant le crâne et il arborait une fière allure taras-boulbique largement matelassée de légende indie. Pour mieux vaseliner son personnage, il portait un T-shirt noir décoré d’un massif Jolly Roger mais ceux qui le connaissaient savaient qu’il recourait à sa passion pour l’auto-dérision. Eugene en pirate, c’est la même chose que d’allumer une clope avec un poireau et d’avoir six doigts à la main droite. Trois jeunes recrues les accompagnaient sur scène et à les voir, on les sentait fortement investis et prêts à mourir pour leur patrie. Quand on parle des Vaselines, on parle bien sûr d’un groupe culte. En fait, il fallut un certain temps pour réaliser qu’Eugene Kelly se trouvait là en chair et en os sous nos yeux globuleux. C’est la même chose que de se retrouver face à Roky Erickson ou à Athur Lee, il faut un peu de temps pour vraiment réaliser ce qui se passe. Ces gens-là ne sont pas n’importe qui. Tout au long de leur set plaisant, Eugene et Frances vont s’envoyer des petites vannes et faire rire les quelques Anglais présents dans la salle. Ils vont jouer des morceaux tirés des deux derniers albums et notamment le fameux «I Hate The 80’s» et enchaîner leur ribambelle de petites chansons poppy et pimpantes. C’est vrai que dans leur son traînent tous les vieux souvenirs des Pastels et de Belle & Sebastian. C’est vrai que leurs chansons se tiennent admirablement et on comprend mieux que ce groupe ait pu traverser toutes ces décennies et réussir à remplir une salle parisienne, trente ans après leur petite heure de gloriole underground. Frances chantait «Monsterpussy» en rigolant. Pas facile pour une fille de chanter un tel truc. On reconnaît là l’art pervers d’Eugene qui, s’il se prenait au sérieux, pourrait parfois passer pour un Marquis de Sade écossais. Même remarque à propos de «Molly’s Lips» - Kiss kiss Molly’s Lips - Bon nombre d’entre nous se demandent encore sur quelles lèvres louche Eugene. Ils repassent tous leurs vieux hits à la casserole et notamment «Jesus Doesn’t Want Me For A Sunbeam», «Sex Sun (Amen)», «Lovecraft», «Son Of A Gun» et l’irrépressible «Dum Dum», couronnement d’une anti-carrière. À les voir jouer, on comprend mieux que Kurt Cobain ait pu flasher outrancièrement sur ce couple. Eugene Kelly savait écrire des chansons et inventer un univers. Alors bien sûr, il ne pouvait qu’attirer les universalistes.

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Signé : Cazengler le vaseux

 

Vaselines. La Maroquinerie. Paris XXe. 18 novembre 2014

 

Vaselines. All The Stuff And More. Avalanche 1992

 

Vaselines. Enter The Vaselines. SubPop 2009

 

Eugenius. Ooomalama. Paperhouse Records 1992

 

Eugene Kelly. Man Alive. Sympathy For The Record Industry 2003

 

Eugenius. Mary Queen Of Scots. Wounded Bird Records 2008

 

Vaselines. Sex With An X. SubPop 2010

 

Vaselines. V For Vaselines. Rosary Music 2014

 

GERTRUDE « MA » RAINEY

 

BAD LUCK BLUES / BO-WEAVIL BLUES / BARREL HOUSE BLUES / THOSE ALL NIGHT LONG / MOONSHINE BLUES / LAST MINUTE BLUES / SOUTHERN BLUES / WALKING BLUES / LOST WANDERING BLUES / DREAM BLUES / HONEY, WHERE YOU BEEN SO LONG ? / YA DA DO / THOSE DOGS OF MINE / LUCKY ROAD BLUES.

 

BYG 529 078.

 

Volume 28 de la série Archive Of Jazz

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Nous lui devons C.C. Rider. Rien que pour cela elle mérite le panthéon des rockers reconnaissants. L'est née en 1886 en Georgie, a commencé à chanter dès l'âge de quatorze ans, des chansons populaires et du vaudeville, n'est venue au blues que par hasard, en ayant entendu une chanteuse anonyme chanter du blues à Saint-Louis ( Missouri, la ville de Chuck Berry, immortalisée par la première partition de blues de W. C. Handy ), elle devient l'interprète la plus connue de cette « nouvelle » musique que Paramount lui demande d'enregistrer dès 1923. Sa carrière discographique sera balayée dès 1929 par la grande dépression, le crack boursier, cette crise d'auto-régulation du capitalisme sur le dos des plus pauvres... En 1933 elle quitte le métier, et prend une semi-retraite de directrice de théâtres. Décède en 1939.

 

Possède un autre titre de gloire, c'est elle qui lancera la carrière de Bessie Smith en la faisant entrer dès 1912 dans les Rabbit Foot Minstrels. Comme quoi les élèves dépassent souvent la maîtresse. Enregistra aussi avec Louis Armstrong.

 

Cet enregistrement, de la même série que celui d'Ida Cox et de Sara Martin que nous chroniquions dans notre 218° livraison, n'est pas sans similitude avec ce dernier. Déjà, nous remarquons sur beaucoup de morceaux la même présence du cornet de Tommy Ladnier. Paradoxalement Ma Rainey présente davantage d'inflexions blues dans sa voix alors que son art s'apparente davantage à la musique de variété – ce mot ici dénué de toutes connotations péjoratives. Vous préfèrerez les titres sur lesquels vous retrouverez le banjo de Miles Pruitt, sonnent beaucoup plus roots, la parenté avec le Delta devient évidente. L'on n'a plus l'impression de deux mondes différents. Le tout peut-être amplifié par la rusticité des moyens d'enregistrement que la notice ( en anglais ) accuse d'être les plus mauvais des twenties... L'est vrai que ça craque pas mal et que parfois la voix s'éloigne comme si l'on repoussait par mégarde le micro. Sur les plages où le cornet caracole un peu trop sa cornette, il semble que les musiciens n'aient pas compris qu'ils accompagnaient une artiste de blues, ça sautille comme du jazz de virtuoses qui étaleraient leurs ronds de jambes. Faut dépasser, s'extraire de ce brillant superfétatoire, pour se laisser capter par la voix envoûtante. Sait chanter, c'est le moins que l'on puisse dire ! Même si vous ne pas pigez pas ce qu'elle raconte, vous comprenez avec quelle virtuosité elle vous campe un décor, vous brosse une situation en trois lignes et vous dépeint un drame en quatre vers. Une interprétation hyper-expressive des lyrics qui n'est pas sans analogie avec la manière dont Chaplin mettait en scène à la même époque les misères du monde. Fut une grande vedette en son temps. La première égérie du public noir. Un jalon essentiel pour l'essor du blues.

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Les amateurs d'Elvis ne manqueront pas d'écouter Dream Blues. Je ne sais si l'hillbilly cat connaissait mais l'on ne peut pas ne pas penser à It's Now Or Never, origine italienne, banjo et guitare ne se privent pas d'y poser leurs bottes...

 

Damie Chad.

 



 

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