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10/07/2014

KR'TNT ! ¤ 197 : HIPBONE SLIM & the KNEE TREMBLERS / MARIANNE / WASHINGTON DEAD CATS / RHESUS HK / T.A.N.K. / GHOST HIGHWAY / HOWLIN'JAWS / 80 OUTSIDERS / ARPEGGIO OSCURO /

 

KR'TNT ! ¤ 197

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

10 / 07 / 2014

 

 

Cette 197 ième livraison de KR'TNT sera la dernière de la saison. KR'TNT prend des vacances après quarante-cinq épisodes sans interruption. Nous savons qu'il vous sera très dur de survivre sans votre dose de KR'TNT hebdomadaire mais il est inutile de songer au suicide puisque nous serons de retour le dernier jeudi du mois d'Août.

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME !

 

 

HIPBONE SLIM & THE KNEE TREMBLERS / MARIANNE WASHINGTON DEAD CATS / RHESUS HK / T.A.N.K /

GHOST HIHWAY / HOWLIN' JAWS /

80 OUTSIDERS / ARPEGGIO OSCURO

 

 

30 mai 2014 / Bourges (18) / Cosmic Trip Festival

 

The Wild’n’Crazy Rock’n’Roll Festival

 

HIPBONE SLIM & THE KNEE TREMBLERS

 

HIPBONE FRANQUETTE

 

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Sir Bald Diddley, alias Hipbone Slim, est certainement le mec le plus drôle et le plus doué de sa génération. Qu’il touche au garage ou au rockab, il tape chaque fois en plein dans le mille. Et les paroles de ses chansons sont généralement tordantes. Dans «Bald Head Hairy Guitar», il lance : «Baldhead I don’t care/ I ain’t got no use for hair» - il n’a pas besoin de cheveux, par conséquent il s’en fout d’être chauve. La tournure de langue est tellement bonne qu’elle est quasiment intraduisible. Chez Sir Bald, on se marre et on claque des doigts. Pas mal d’albums au compteur et pas un seul déchet. Comme Wild Billy Childish ou le Révérend Beat Man, il grenouille activement dans les circuits underground et remplit les bacs des disquaires spécialisés, souvent au rythme de plusieurs albums par an. Et quand on a compris que ce mec est très fort, alors on le suit à la trace. Après une série d’albums faramineux sortis sur son label Alopecia Records, il est passé sur Voodoo Rhythm, le label du puissant Révérend Beat Man, pour une série d’albums encore plus terribles. Et depuis 2010, d’autres albums du même acabit sortent sur Beast Records, LE label français par excellence.

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Alors, on est allés le voir jouer sur scène au Cosmic Trip Festival de Bourges, le gros rassemblement annuel de tous les garagistes de France et de Navarre. Même endroit, mêmes canards dans la rivière, mêmes silhouettes incertaines de Rubemprés dans les rues pavées, mêmes spécialités à la cantine berrichonne et même ambiance dans la grande salle où passaient les gros bonnets du garage. Tête d’affiche du vendredi soir : les Swingin’ Neckbreakers. Tête d’affiche du samedi soir : les Fleshtones. Les programmateurs avaient dû se tromper. Hipbone Slim jouait en ouverture de soirée le vendredi, devant un maigre public. Le samedi, Kid Congo se retrouvait pris en sandwich entre un groupe grec improbable et les Fleshtones. L’ordre de passage des groupes était un peu bizarre, pour ne pas dire farfelu. Swingin’ Neckbreakers : on a réussi à tenir deux morceaux. Même ennui avec les Fleshtones. J’avais fait avec eux un dernier essai en 2009 au Nouveau Casino. Et quand ils sont montés sur le bar pour danser comme les filles des Folies Bergères, j’ai bien senti qu’on était loin du bon vieux garage, celui des Gories, de BBQ et de Momo Man. Alors à Bourges, ça a été vite réglé et ça s’est terminé au bar, où curieusement il y avait foule. Nous n’étions donc pas les seuls à trouver les Fleshtones un peu ringards.

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Par contre, Hipbone Slim et Kid Congo ont en quelque sorte sauvé l’honneur d’un festival qui comme bien d’autres, semble être en passe de devenir l’ombre de lui-même. Les bars de Rouen ou du Havre se montrent beaucoup plus audacieux sur les choix de programmation et ça paye. Les gens qui se déplacent dans ces bars voient de vrais groupes, pas du garage de Télérama. À Bourges, on aurait bien aimé voir des groupes de garage pur comme les Masonics, The Len Price 3 ou Graham Day. Pour ne parler que des Anglais.

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Sir Bald est arrivé sur scène accompagné de Gez et de Bruce Bash, the cream of the crop. Ils avaient une allure de groupe rockab, sans doute à cause de la vieille contrebasse qui sentait le vécu. Plus de guitare carrée ni de moustache pour Sir Bald. Il jouait sur une Gisbson SG, avec un son sec. Quelle classe. Ce mec avait de quoi faire sauter dix fois le toit du ballroom. Il essayait constamment d’impliquer un public un peu mou du genou et faisait pas mal d’efforts pour parler en Français. Il annonçait ses titres et précisait chaque fois que le disque correspondant était en vente over there. Il nous a balancé «Trainwreck» tiré de son tout dernier album, «Baldhead» tiré de «Ugly Mobile», «Warpath» tiré de «Square Guitar» et l’effarant «Primitive Rock» qui fit bien rire les chanceux qui comprenaient l’Anglais. Son set était un bel exemple de mélange réussi de garage, de rockab et de boogaloo. Il était moins explosif que le Révérend Beat Man, mais sa prestation valait cent fois le déplacement. Sans lui, le festival n’aurait eu quasiment aucun sens. On lui reproche d’être à cheval sur plusieurs genres, mais c’est justement ça qui fait sa force, car il est bon partout, que ce soit en garage sixties de type Pretty Things ou rockab à la Meteor. Et on a sous les yeux un petit bonhomme qui reste concentré et qui joue comme un beau diable. Par ses fringues, son chapeau, sa petite corpulence et sa façon de se déplacer, il évoque ces vieux potes gitans qu’on a tous eus. Il a ce côté enfant de la balle tombé de la roulotte, ce côté guitariste manouche qui joue comme un dieu parce qu’un grand-père lui a mis un guitare dans les pattes et un mégot dans la bouche à l’âge de trois ans. Un veinard.

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Pour chanter son dernier cut, «Baldhead», il enleva son chapeau. C’était un peu comme s’il se mettait à nu. Et tout à coup, il devint incroyablement vulnérable. Il n’est pas certain que ça ait plu, car si on ne comprend pas les paroles qui sont hilarantes (ain’t got no use of hair - je n’ai pas besoin de cheveux), l’image du petit bonhomme chauve peut se retourner contre lui. Surtout que le public se déplace pour voir des rock stars. Pas un Zanini en chemisette qui fait un peu de rockab.

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Et pourtant, c’est l’homme du sans-faute, aussi bien sur scène que dans sa discographie cavalante. Dans les années 90, l’animal commença à sortir des disques de surf et de garage assez monstrueux sur son label Alopecia. Sir Bald Diddley And His Right Honourable Big Wigs faisaient claquer l’étendard sanglant de la révolte.

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«Surfin’ With» parut en 1992. Recommandé à tous les amateurs de surf-garage. Tout est instro sauf deux titres, «Sally Mae» qu’il passe à la moulinette surf-garage, mais qu’il rend bien bourbeux et raclé dans la dégaine, et «Snake Eyed Woman», qu’il embroche au dessus des flammes de l’enfer du rock’n’roll de carton-pâte. Il fait aussi du garage sleazy avec «Fiery Eyes», pure ramasse et Liam Watson enregistre tout ça chez lui à Toe Rag.

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«What’s In Your Fridge ?» parut dans la foulée. On y retrouve ces instros surf-garage chauffés à blanc. Dans le morceau titre, Sir Bald prend un beau solo killer qui annonce un avenir radieux. On a même du scream en fin de cut. Ils font une jolie parodie de «Surfin’ Bird» avec «Bird Dance Beat» et font du groove crampsy avec «Untamed Love». Ils semblent vraiment fascinés par le hit culte des Trashmen car ils refont une autre mouture de «Surfin’ Bird» intitulée «Don’t You Know It» où on entend Sir Bald hurler comme un démon de train fantôme. Raaaahhhh ! Alors que sur la pochette, il ressemble à Tintin, avec sa houppette.

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Attention ! «Nitrous Peroxyde» est un gros disque garage bardé d’énormités. Après un instro surf d’intronisation, un truc appelé «Somethin’ Don’t Add Up» nous saute à la gorge. On roule à terre. Rude combat. Impossible de le décrocher. Trop puissant. Digne des trogglos des sixties, ceux qu’on voyait jouer dans des cavernes en plastique. Pour se débarrasser de ce groove vénéneux et poilu, il faut s’appeler Hercule. Si ce n’est pas le cas, c’est foutu. Arghhhhh ! Malédiction ! Puis Sir Bald nous fait le petit coup de Link Wray classique de ces années-là, histoire de nous montrer qu’il a reçu une solide éducation. Et paf ! On se reprend une terrible tarte avec «Shake A Keg». Avec ce garage vitupérant, Sir Bald se donne la voix et les moyens d’écraser le son comme un vieux mégot pour que gicle le jus de nicotine le plus abject qui soit. Baldie est tout simplement exemplaire. Pire encore, il balance un solo glou-glou à la Dave Davies. Wow Sir Bald, fais-moi mal ! Wow Sir Bald, t’es bald as love ! Wow Sir Bald, tu bardes sec ! Nouvelle tarte dans la ‘djueule - comme dirait notre héros national - avec «Don’t Badmouth Me», pièce de garage crasseux, poisseux et tout ce qu’on veut, avec de l’harmo rance et des gros accords fritonneux dont le gras traverse le papier du charcutier. Ah le cochon ! On patauge dans l’excellence de la mouvance. Encore une bombe sur la face B avec «Fell For You», l’un des garage cuts les plus dirty du monde - pas darty, mais dirty - doté de toute l’agressivité des Pretties, et c’est même encore plus rude, comme si les élèves dépassaient les maîtres. Ah quelle joie irréelle que de retrouver ce riffage cisaillé ! Des accents lamartiniens nous emportent la bouche. Rien qu’avec cet album pantelant, Sir Bald mérite la couronne de roi du garage anglais. Et il ne va pas en rester là, le bougre.

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En l’an 2000, Sir Bald Diddley & His Wigs Outs sont en plein boum. Ils sortent «The Baldy Go», un album terrible sur Sympathy For The Record Industry, le meilleur label de l’époque avec Crypt. Grosse pochette rouge et Sir Bald porte un toque en peau de panthère. Ça part en trombe avec «Self Destruct», un garage agressif à l’anglaise, avec le chant mauvais comme pas deux et l’harmo, une ambiance Pretties abominable. Le morceau suivant est aussi diabolique. «Handsome Beast» flirte avec le Diddley Beat et en plein morceau, il lance la dynamique des Pretties. Sir Bald réanime l’esprit garage des sixties, le vrai, celui des caves humides des banlieues de Londres, quand tous ces fils de dockers avaient le feu sacré. Puis il tape dans le registre des early Kinks pour lancer «Overplayed Your Hand», salement riffé et monté sur un gros beat turgescent. Sir Bald s’en vient trouer le cul du cut avec un solo au vitriol. C’est sa grande spécialité. Il troue tout ce qu’il veut. On se croirait chez les Kinks, mais avec un chanteur délinquant. Pour «Flattered To Deceive», il part en mad psyché avec un gros thème gras qu’il monte en doublon sur le mid-tempo. Belle ambiance, sauce harmo, pur jus freakbeat acid test de toast de thé brit d’âge d’or. Quel album ! On comprend que Long Gone John ait flashé sur Sir Bald. «Eyes Bigger Than Your Belly» est encore une belle cochonnerie animée des pires intentions. Chez Sir Bald, tout est très dense, bien joué et prodigieusement inspiré. Il va même conclure avec un punk-rock à l’harmo, «You Do My Head In», très yardbirdsien dans l’esprit.

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L’album suivant s’appelle «The Man With Two Left Hands». Grosse pochette bleue. Cette fois, il porte une casquette. Encore un album assez dévastateur. Il commence par faire du gros Memphis sound avec «Where’s McComb» et il passe à la pop anglaise avec «Bad Times». Il se montre digne des géants du freakbeat anglais, du style de ceux qu’on retrouve dans les vingt volumes de Rubbles. Sa pop est de la race de celles qui s’accrochent, de celles qui refusent d’être emportées par le vent. C’est de la pop de souche anglaise. Et voilà la bombe : «She’s So Illusive», une sorte de mad psyché à la fois arrogante et terrifiée, sertie sur un gimmickage au long, comme n’ont jamais su en jouer les Anglais. C’est à cet instant précis qu’on constate que Sir Bald dégouline de génie. Avec ses deux mains gauches, il se permet toutes les audaces. Chacun de ses disques sonne comme une bénédiction, un antre de la mesure pleine, un palais de la découverte, un refuge pour chiens sans colliers, un repaire encore frais. Il attaque son «Snake Eyed Woman» avec une classe effarante. Il s’y montre digne des pionniers du rock. Les accords de «I Fell Off The Wagon» sont ceux de «Louie Louie», et il les gratte avec une ostensibilité confondante. Nouvelle pétaudière avec «Third Eye» - Awite now ! - Toujours ce gimmickage prédateur, il entre dans le biseau du biz-biz avec un mordant inadmissible. Il chante son truc avec des accents merveilleusement corrompus. Il dit qu’il voit avec son troisième œil. Il crie et part en solo, un solo qui affole les moineaux et il claque les notes martelles de Charles Mortel.

 

La série d’albums de Hipbone Slim sortis sur Voodoo Rhythm est ahurissante de modernité et de rage rockab. Sir Bald joue en trio avec deux légendes à roulettes, Bruce Brand, drums, et John Gibbs, double bass. Pas plus légendaires que ces deux mecs, en Angleterre. Ils ont fait partie de tous les coups fumants : Milkshakes, Masonics, Kaisers, Wildebeasts, Headcoats, Mighty Caesars, Holly Golightly, vous voyez le genre ?

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Curieusement, «Snake Pit» qui sort en 2003, n’est pas le meilleur de la série. On sent que Sir Bald cherche sa voie. On a une version de «Fiery Eyes» slappée sec et un «Close My Eyes» qui sonne comme du Elvis. Oui il peut le faire. On passe au rockab crampsy avec «Ain’t Nobody Else», qu’il chante d’une voix de trembling boogaloo. En face B, il envoie une pièce épaisse et bien rampante, «You Done This», montée sur du slap bien sourd et des congas et on finit par tomber sur une véritable perle, un vrai hit rockab, «When You Do The Things You Do». C’est d’une authenticité effarante et c’est là qu’on comprend que ce mec n’est pas un amateur. «When You Do The Things You Do» aurait très bien pu être enregistré au Texas en 1956. Alors avis aux amateurs.

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Le texte qui accompagne l’album suivant, «Have Knee Will Tremble», reste un modèle d’humour rococo. Beat Man - sûrement lui - raconte l’histoire des Kneetremblers, un gang chicano qui s’installa à El Paso dans les années 50 pour y semer la terreur. «Si tienes rodillas, temblaras», tes genoux vont trembler, mon coco. Pour une fois qu’une pochette est drôle, il faut en profiter. Mais ce n’est pas tout. L’album révèle l’éclatant génie de Sir Bald. Si on aime bien le son du bon slap, alors c’est un album de rêve. Dans les deux premiers cuts, «Blind Eye» et «One Way Street», Sir Bald met le slap en avant toute. Monstrueux ! À se damner pour l’éternité ! On se croirait chez Lew Williams ! On entre dans le disque d’Hipbone Slim comme dans l’eau bleue d’un lagon rockab tropical. C’est un immense réconfort pour les oreilles et pour le bulbe rachidien. En plus, l’animal plante un solo offensif en plein cœur du cut-vampire. Rhhhaaaaaaaaaaa ! Disque après disque, Sir Bald reste passionnément étourdissant. Il est vraiment doué. «One Way Street» est un mid-tempo de classe supérieure complètement délinquant et slappé avec la pire malveillance. D’autres éclats de génie hipbonien se nichent sur la face B, et notamment «I Fell Off The Wagon», pied de nez aux mythiques hobos, avec un son rockab classique et un slap en devanture. C’est tapé profond dans l’inconscient collectif de la banane sacrée. Sir Bald n’a pas de banane, mais il incarne l’esprit de la banane. Il fait bander le rockab. Son trio vaut tout l’or du monde. Encore un magnifique mid-tempo rockab avec «Lonesome And Loathsome», cuisiné à la sauce du Deep Sud avec un chant bien perché. Sir Bald va chercher des accents de désolation et ça reste admirable de pureté institutionnelle. Démence dans la slappance avec «What Enough Happenin’», un vrai hit rockab. Sir Bald amène une contre-mélodie dans le contre-courant de la stand-up. On se croirait vraiment chez Meteor en 1956, avec Charlie Feathers dans les parages. Puis il fait son Gene Vincent avec «If Only» et rebascule dans la sauvagerie rockab avec «Man With A Plan», où l’on voit Sir Bald tirer le diable par la queue. Ah ! le diable adore ça.

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Les choses se corsent encore avec «The Sheik Said Shake», l’album suivant. Sir Bald rend un hommage fulgurant à son héros Bo avec «We All Got Somebody That We Want To Kill» - Hey Bo Diddley ! Pur Diddley beat. Admirable et sans prétention. Puis il nous sort de sa manche l’un de ses hits planétaires, «I Hear An Echo», espèce de petit rock tagada qui se profile à l’horizon. Un truc digne de «Brand New Cadillac», quant au filigrane. Dans le morceau titre de l’album, Sir Bald nous gratifie d’une grande variété de climats. Voilà encore un cut admirable d’orientalisme larvé. Derrière, ça joue berbère, avec, évidemment, du Diddley beat en fond de trame. On pense à l’époque où Bo jouait sur un gros bouzouki. Sir Bald renoue allègrement avec l’immense transe berbère de Rachid Taha, le Sheik des Batignolles. Puis John Gibbs nous slappe «Dead Man’s Shoes» à l’ancienne. Magnifique d’essence rapide. C’est à la fois Sonny Boy Williamson et Pat Cupp, riffé sévère et léché d’accolade - Dead man shoes don’t fit so good - une belle régalade d’enfilage de perles, tout est du pur vintage caressé, dans l’éthique de l’esthétique psychotique. Brillant, comme dirait Dizzy Detour. Puis Sir Bald sous offre une gros cut boogaloo sur un plateau : «Brand New Head». On y sent la décontraction du fantasme à la croisée de tous les garages et c’est une bouffée d’air considérable. Sur la face B se nichent d’autres perles rares, comme «Diddley Squat» (grosse présence de la basse qui avance comme une main baladeuse), «Buried Next To You» (dans l’esprit des Cramps et strummé rockab, excellence de la tempérance, c’est l’un des grands éclats rockab des temps modernes, véritablement accrocheur, balade bananée à col ouvert par un soir d’été grandiose), et «Pempelem» (reprise rockab, solide et exotique, avec un son plein comme un œuf, l’intention est pure, Sir Bald is the cat, il fait swinguer son Pempelem avec une incroyable gourmandise, dans le respect des dramaturgies du texte originel).

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Sir Bald multiplie les projets, comme le fait Wild Billy Childish. On l’a reconnu en 2008 sur la pochette de l’album «The Electrifying Sounds Of The Kneejerk Reactions». Bruce Brand et Gez Gerrard sont là, eux aussi. Cet album est un classique du garage moderne. Après avoir rendu des hommages fabuleux à ses héros rockab et à son dieu Bo, Sir Bald rend hommage aux early Kinks et aux Pretty Things. Attention, cet album est une bombe atomique. On est sonné dès l’intro avec «Self Destruct», un garage indiscutable d’authenticité. Garage impavide en qui tout est comme en un tigre aussi subtil que carnassier. Sir Bald ne plaisante pas avec le binarisme et les solos déboîtés. Encore une belle pièce à la Bo avec «Handsome Beast». Le Diddley beat y prévaut comme une bête. Puis il monte son «You Electrify Me» sur le «Oh Yeah» des Shadows Of Knight et fait preuve d’un stoïcisme à toute épreuve. Clin d’œil faramineux aux Stones et aux sixties boomers d’Amérique avec «Who’s The Ostrich Now». Sir Bald va chercher ses réflexes dans le pot commun de l’inconscient collectif. Attention à la face B, car ils passent aux Pretties avec «Fell For You». Non seulement il faut oser le faire, mais il faut surtout savoir le faire. Pretties for ya, du pur Sir Bald, comme une évidence. Puis il passe au pur jus Kinky avec «Don’t Underestimate My Love», reprise déguisée, - Girl ta ta ta you really got me now - et c’est là où Sir Bald est très fort, c’est qu’il réussit à aller chercher des accents à la Ray Davies. Il reste branché sur les Kinks pour «Won’t Let You Down», sixties punk so far, dirty et bas du front, et solo à la Dave Davies, ouch. Il nous envoie directement au tapis.

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Quatrième album de Hipbone Slim sur Voodoo Rhythm : «The Kneeanderthal Sounds Of», le pire de tous. Pur Diddley beat avec «Eye Of The Storm», salubre et salutaire, effarant d’énergie. Sit Bald jette du rockab dans son Diddley beat. Encore de l’énergie à revendre avec «Hung Drawn and Quartered» qui est secoué au slap. On se croirait une fois de plus au Texas en 56. Ce mec est un dingue doué de tous les dons du diable. Encore une énormité explosée au slap : «Whatever Happened To My Love». Coup de génie, un de plus, il passe à l’extrême barbarie secouée et déviante, et défonce la rondelle des annales. On trouve un brin de boogaloo en face B avec l’immense «Dig That Grave», hanté par des zombies. Puis on tombe sur l’un des plus beaux hommages jamais rendus au dieu Bo : «Primitive Rock» - «When the sun goes down I rock around/ Doing a primitive stomp to primitive sound» - c’est apocalyptique de qualité supérieure, n’allez pas perdre votre temps ailleurs, Hipbone Slim c’est comme la Samaritaine, on y trouve tout ce qu’on cherche. Et surtout la classe - «Grab my baby by the hair/ We’re gonna rock it everywhere» (j’attrape ma femme par les cheveux, on va s’éclater dans la cambuse) - comique et sérieux, real primitive. À tomber. Encore un coup de Trafalgar fulgurant avec «I’m The Leg» où il fait son Slim Harpo. C’est complètement dingue de virtualité cabalistique - «When I got a movin’ baby you don’t stand a chance» - Ce mec affole. Il n’arrête pas de déconner - «I got a leg bone, I got a knee bone, I got a hipbone, I got a trombone, yeah ! - C’est comme ça du début à la fin. D’ailleurs, c’est là où Sir Bald dépasse les bornes. Cet humour ravageur qu’il distille à longueur de morceaux s’inspire directement de celui de Bo Diddley.

 

Bo raconte qu’un jour à Chicago son batteur Billy Drowning et son bassiste Jesse James Johnson sont entrés dans un magasin de jouets pour s’acheter des revolvers de cow-boys. Ils sont ressortis du magasin harnachés comme des desperados, portant leurs flingues à la hanche. Évidemment, au coin de la rue ils sont tombés sur des flics. «Come here boy, what’s your name ?» Jesse répondit «Jesse James», puisque c’était son nom. Alors, l’œil mauvais, le flic s’est tourné vers Billy : «Toi, si tu me dis que tu t’appelles Billy the Kid, ça va barder !» Et Billy répondit d’une voix blanche : «My name is Billy». Cette histoire se trouve dans la bio de Bo, l’un des livres les plus drôles et les plus vivants qui soient. L’auteur George T. White eut l’intelligence suprême de s’effacer pour donner la parole à Bo.

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En 2010, Sir Bald et ses copains se sont retrouvés sur Beast Records, le petit label rennais qui grimpe dans les estimes. «Square Guitar» est le premier album Beast et ça démarre avec du pur Bo. Non, franchement, on ne peut pas espérer plus Boyen que «Square Guitar», avec un solo en hoquet au mal de mer et un backing inventif à couper le souffle. Jungle jingle avec «Hindin’ To Nothing» et un joli son de stand-up. Sir Bald chante vraiment comme un dieu. Il va chercher des accents américains à la frontière. Justement, il passe à l’indienne avec «Warpath», et c’est sa poule qui est sur le sentier de la guerre et qui veut le scalper - «I’m in a heap big trouble man, I better pray/ She’s gonna have my scalp today» - et c’est d’autant plus hilarant qu’il est chauve. Il reste dans le grand Bo et il a tout compris. Encore du gros balancé comique avec «Bullnoose», où il se retrouve au volant de sa Cadillac dans un champ face au museau d’un taureau - «I said bull noose daddy can’t you see/ Three’s a crowd, two is company» - fabuleux et inspiré comme pas deux. Puis il passe au Sonics Sound avec «Birdman». Boogaloo voodoo en face B avec «Snake Dancer», beat jungle, admirable à bien des égards, mystérieux et percé d’un solo oriental. Et Sir Bald recoiffe sa couronne de rockab king pour un hallucinant «Half Crazed Daddy», nerveux et sec, dans le pur esprit - «Half crazed daddy, let’s have some fun» - Renversant. Toujours cette distance humoristique avec «One Eyed Monkey» : Sir Bald nous emmène dans la jungle rencontrer un singe borgne et il traite ça au slap - «Way down in the jungle is a coconut tree/ There’s a one-eyed monkey tellin’ how it should be» - magnifique, une vraie histoire en trois couplets coconut jungle et si tu n’es pas d’accord avec le singe, tu vas devoir te battre avec lui. Nouvel hommage spectaculaire au dieu Bo avec «Why Ain’t Bo On My TV ?», aussi fulgurant que ceux d’Eric Burdon - «Let me tell you the story of Ed and Bo» et Sir Bald fait frissonner sa guitare carrée.

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On reste dans les histoires de guitares carrées et chevelues avec l’album «Sir Bald’s Hairy Guitar», sorti lui aussi sur Beast. Et c’est une bête. Quatre énormités s’entassent sur ce disque. «Hold On Here I Come», belle pièce de rockab mid-tempered battu jungle et chanté à la rockalama des grandes heures des dudes d’antan. Sacré chanteur que ce bon Sir Bald. Des spécimens comme lui, vous n’en verrez pas beaucoup dans les parages. Il faut l’entendre lancer son solo avec des cris de bête. Il a tout compris au film. «Run Me Ragged» est aussi embarqué au petit riff rockab, avec une belle profondeur. Un vrai hit de juke. Le son, toujours le son, rien que le son. Il balance un solo de malade mental. Ah, on peut dire qu’il sait fournir l’avoine aux rockers de banlieue. Sur la face B, «What I Gotta Do» guette le promeneur inconscient comme un vautour. Puis on retrouve le fameux «Birdman», pétri dans le binaire d’antan, le côté sale du grand garage de Baldie, avec le solo pourri de génie à la clé - «My mama told me you’re a big bird now/ Jump out of the tree» - Ahhhh ! Gros clin d’œil aux Cramps, évidemment. Puis c’est l’uppercut fatal avec «Tide Gonna Turn», garage métabolique serti d’un solo de notes tirées et d’un riffage de basse de rêve. Quel son !

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Sur la pochette de «Ugly Mobile», Sir Bald brandit sa square guitar comme une hache. C’est là qu’il se vante d’être chauve - «I’m the baldhead shiny man ! Baldhead baby !» - et ça swingue. On a encore du so-solid stuff avec «Sally Mae», énorme, chanté et drôle, avec des chœurs bien swingués. Le coup de génie se trouve en face B et il s’appelle «Indestructible Love». Sir Bald raconte à sa poule qu’elle peut le jeter aux lions, lui attacher une pierre au pied et le jeter à l’eau, l’asperger d’essence et le faire brûler, mais jamais elle ne pourra détruire cet indestructible amour - «Hate me, cremate me, burry me way down deep/ Don’t you know that I’ll come back and I’ll haunt you in your sleep !» - tordant et sacrément bien foutu. Il revient à l’énergie rockab avec «Number One Son». C’est d’une classe insolente, comme toujours. Il chante ça comme un Texan, d’une voix de nez perchée.

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Sur «Sir Bald’s Battle Of The Bands» sorti en 2013, on retrouve des morceaux enregistrés avec des formations diverses et variées, comme Louies & the Louies, en trio avec deux Espagnols qui ont accompagné sur scène des géants comme Ronnie Dawson. On trouve aussi deux morceaux des Kneejerk Reactions, avec Gez et Bruce, et donc du garage énorme comme en témoigne ce «Things Are Turning Ugly», de base Kinks et soloté à la Dave Davies. Sir Bald est l’incarnation du garage anglais. Il en a l’esprit et le son. Il fait un autre groupe qui s’appelle les Beat Seeking Missiles et «Drive Like An Italian» vaut sacrément le détour. C’est le romp de rêve, le vieux hit qu’on adore sans savoir d’où il sort. Dans ce groupe, on retrouve un mec de Supergrass. Apparemment, un album est en cours de réalisation chez Dirty Water Records. Encore un autre groupe avec Sir Bald & the Crowntoppers, encore du garage haut la main. Sir Bald fait très exactement ce qu’il veut. Tu veux du garage, du vrai ? Tiens en voilà. Il perpétue la meilleure tradition, celle qui vient des Pretty Things et des frères Davies. Killer solo, évidemment. Puis ça part en shuffle. Incroyable mais vrai. Ça chauffe bien aussi avec les Legs. C’est même du gros sérieux. Ce serait une grave erreur que de prendre cet album à la légère. Il donne une nouvelle indication du niveau auquel navigue notre Sir Bald chéri.

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Hipbone Slim & The Knee Tremblers sortaient l’an passé «Go Hog Wild», un 25 cm sur un petit label nommé Folc Records. On retrouve sur ce disque dense le mélange habituel de rockab, de boogaloo et de garage auquel l’indicible Sir Bald nous habitue depuis vingt ans. «Crawl Back To Me» tape au cœur du standard rockab, sourd et pulsé. Uns fois de plus, on se croirait chez Meteor en 1956. Et les violentes montées en puissance n’arrangent rien. Sir Bald tape dans le rockab crabe, celui qui avance de travers sur un inexorable mid-tempo. Il passe ensuite au John Lee Hooker jive pour «Shrunken Head». On croit toujours avoir fait le tour du boogie, et Sir Bald se pointe pour nous montrer qu’on se trompe, avec une belle démonstration de boogie-boogah d’une élégance qui dépasse toutes les bornes, absolument toutes. Sir Bald est une sorte de touche-à-tout de génie, comme le fut Kim Fowley pendant quatre ou cinq décennies. Sir Bald mène à bien toutes ses entreprises et ses disques sont là pour en témoigner. Il faut l’entendre chanter «Good For Nothin’». Ce qu’on entend là, c’est tout simplement la meilleure voix de Memphis. Il revient à son boogaloo chéri avec «Onga Bonga Rock». Il adore se balader dans la fête foraine et s’amuser à faire le goo-goo muck pour effaroucher les jeunes filles. L’exotica de pacotille est sa religion. Comme on l’a vu sur scène au Cosmic, il adore Gene Vincent et le rock’n’roll. Alors on se régalera de «Food Man Chew» où en plus il vante les mérites du cannibalisme - Miam Miam, fait-il, en mastiquant un mollet. Et le coup fatal s’appelle «The Twitch», un rockab dément à la Charlie Feathers en partance pour Byzance, avec le gros slap de Gez derrière. Sir Bald revient au second couplet en frissonnant de froid. Il reste incroyablement pur dans son attaque rockab. Il sait tout de la grandeur de l’expressionnisme rockab qu’a si bien incarné Charlie Feathers. On voit bien que ce mec a le feu sacré. Son rockab balaie tout le spectre du genre et il multiplie à l’infini le bop de langue.

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«The Out Of This World Sounds Of Hipbone Slim» vient tout juste de sortir. Pas le temps de souffler, avec cet exterminateur d’oreilles. Nous avons pour commencer une parfaite mise en bouche avec «Sabretooth» et son slap bourbeux. Sir Bald tire ça à l’énergie de la voix. Excellent. Il fait le tigre, évidemment. Roarrrrr ! «Eary On The Eye» est savamment slappé. Pur jus rockab, une fois de plus. Magnifique de déviance éprouvée. Gez slappe ça sourd. Sir Bald chante avec une belle hargne d’anthologie. Dans «Wig Wam», il raconte l’histoire de Bald Eagle et de ses braves. Aigle Chauve, ça va de soi. On entend même voler les tomahawks. Il invente un nouveau genre, le mambo garage, pour «Pretty Plaid Skirt (And Long Black Sox)». C’est possédé par le diable - yeah yeah - avec à la clé un solo de fou échappé de l’asile de Rodez. Sir Bald promène ses doigts sur son manche comme d’autres promènent leur cul sur les remparts de Varsovie. Il sait marier le Bo avec le Screamin’ Jay. Il est à la croisée de tous les bons plans. Il faut bien admettre que ce mec a une vision. Le dernier morceau de l’album est un chef-d’œuvre de heavy blues chanté à l’arrache : «The Wolf Is At Your Door». Ce fourbe génial glisse des wolferies dans le groove du slap. Avant lui, personne n’avait osé faire une chose pareille. Et pour corser l’affaire, Bash nous bat ça rockab à la ramasse. C’est une pièce qui pantèle et qui fume, un pur hit hipbonien, une véritable bénédiction fatale. Dans ce morceau, on retrouve absolument tout ce qu’on aime dans le rock. Fréquenter Sir Bald, c’est une façon d’entrer en osmose avec le cosmos.

 

Signé : Cazengler, Sir Bof

 

Cosmic Trip Festival. The Wild’n’Crazy Rock’n’Roll Festival. 30 mai 2014. Bourges (18)

 

Sir Bald Diddley And His Right Honourable Big Wigs. Surfin’ With. Alopecia Records 1992

 

Sir Bald Diddley And His Right Honourable Big Wigs. What’s In Your fridge ? Alopecia Records 1994

 

Sir Bald Diddley & His Wigs Outs. Nitrous Peroxyde. Alopecia Records 1996

 

Sir Bald Diddley & His Wigs Outs. The Baldy Go. Sympathy For The Record Industry 2000

 

Sir Bald Diddley & His Wigs Outs. The Man With Two Left Hands. Corduroy Records 2001

 

Hipbone Slim & The Knee Tremblers. Snake Pit. Voodoo Rhythm 2003

 

Hipbone Slim & The Knee Tremblers. Have Knees Will Tremble. Voodoo Rhythm 2004

 

Hipbone Slim & The Knee Tremblers. The Sheik Said Shake. Voodoo Rhythm 2008

 

The Kneejerk Reactions. The Electrifying Sounds Of. Screaming Apple 2008

 

Hipbone Slim & The Knee Tremblers. The Kneeanderthal Sounds Of. Voodoo Rhythm 2010

 

Sir Bald’ Hairy Guitar. Beast Records 2010

 

Hipbone Slim & The Knee Tremblers. Square Guitar. Dirty Water Records 2011

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Hipbone Slim & The Knee Tremblers. Ugly Mobile. Beast Records 2013

 

Hipbone Slim & The Knee Tremblers. Sir Bald’s Battle Of The Bands. Beast Records 2013

 

Hipbone Slim & The Knee Tremblers. Go Hog Wild. Folc Records 2013

 

Hipbone Slim & The Knee Tremblers. The Out Of This World Sounds Of. Beast Records 2014

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De gauche à droite sur l’illustration : Sil Bald, Gez Gerrard et Bash Brand.

 

FESTIVAL MELOMANIES / ROMILLY SUR SEINE

 

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La teuf-teuf erre un peu dans l'antique cité gallo-romaine de Romulius. Faut dire que Romilly-Sur-Seine est construite toute en longueur et que les organisateurs se sont contentés d'un panneau à l'entrée de la ville et d'un autre, quatre kilomètres plus loin, juste à la sortie. Pour le reste débrouillez-vous. C'est un peu de ma faute, vingt-quatrième édition du festival et c'est la première fois que je m'y rends. Pourtant ce n'est même pas à quarante kilomètres de la maison. Oui mais c'est dans le département voisin, et L'Aube et la Seine & Marne s'ignorent consciencieusement, une frontière morale encore plus infranchissable que le Mur de Berlin, avant la fin de la Guerre Froide. J'avoue aussi que la programmation des années précédentes n'était point trop à mon goût.

 

Ouverture des portes à vingt heures trente qu'ils annoncent sur le prospect, faudra poireauter trois bons quarts d'heures avant que l'on nous laisse investir le lieu. Une grande scène, toute noire et bourrée de matos, tout de suite ça sent l'orga respectueuse des musicos et du public. J'ai oublié de préciser que le festoche est gratuit et qu'il s'étend sur cinq soirées. Pour la boisson, la bouffe et les bonbons – c'est gentil de penser aux enfants – les prix sont plus que modiques, pas de stress, ambiances sympathique et populaire. L'est sûr qu'à ce tarif les jeunes du cru ont compris qu'ils n'ont pas à bouder leur plaisir. Sont venus en nombre et l'enceinte se remplit d'une foule sereine et souriante.

 

 

01 - 07- 2014

 

MARIANNE / WASHINGTON DEAD CATS

 

 

MARIANNE

 

 

Non, excusez-moi de vous décevoir, contrairement à ce que l'on aurait pu supposer Marianne n'est pas une jolie fille, mais un groupe de garçons. Cinq pour être précis. Les régionaux de l'étape du jour. Alex au chant, c'est Flo à la batterie et pas les deux Thom qui sont préposés à la rythmique et à la basse, David est le roi de la lead guitar. Formation classique. Rock français, comprenez que les paroles ne sont pas en anglais. Un peu de rébellion et pas mal de critique sociale. Marianne regarde un peu trop Noir Désir. Quelques injections de poésie en moins. Sympathiques, mais pas mon sirop préféré. N'auront droit qu'à une dizaine de titres. Auraient doublé la mise qu'ils ne m'auraient pas davantage convaincu. Trop l'impression que pour eux le rock est né en France dans les années 80, racines trop courtes.

 

 

WASHINGTON DEAD CATS

 

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C'est pour eux que je suis venu. Sont dans le métier depuis trente ans, mais pas encore l'occasion de les voir. Le groupe psychobilly le plus célèbre du pays, ce qui ne veut pas dire le meilleur. Sont de la mouvance Béruriers Noirs, des alternatifs inter zones mordant aussi bien sur le punk, le rockab, le ska, et autres facettes. Un peu anarchisants et antifachistes, surtout connus pour les homériques batailles de légumes qu'ils provoquaient durant leurs concerts, du temps de leur folle jeunesse. C'est sûr qu'un jet d'artichauts c'est moins dégoûtant qu'un glaviot de fond de gorge et nettement plus écolo-destroy dans l'esprit. Bref des allumés de première qui se définissent comme punkabilly.

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Trois devant, trois derrière. Première ligne au centre Mat dans une chemise country à frange que n'aurait pas renié Roy Rogers, à sa droite Lord Fester, gentilhomme de fortune, arborant couvre-chef de pirate homologué cent pour cent Caraïbe, à sa gauche Carlos et sa basse. Deuxième ligne. A l'extrême gauche Seaweedyo, pas un marin d'eau douce de la batterie, en fait avec Mat et Fester ils forment à eux trois le triangle maudit des Bermudes. Dispensateurs d'énergie infinie. Sur sa droite, The Molls est à la trompette et Kallhim au saxophone, les autres font tellement de boucan que l'on a du mal à saisir leurs interventions, semblent un relégués au bruit de fond.

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Mat mène le bal dans sa chemise rouge. Chante et saute. Saute et chante. Une voix infatigable, peut crier et hurler tout son soul sans que les cordes vocales cassent. Pour les bonds en hauteur reportez-vous au genre d'acrobaties auxquelles se livrait Pete Townshend avec les Who. La guitare en moins. Car celle-ci c'est le Lord festin d'amirauté qui s'en charge. Vous bazarde des riffs qui ressemblent à des bordées de canon. Et il ne tire pas à blanc. Un équipage de vieux pirates qui n'ont pas froid aux yeux. Z'ont l'habitude des coups de vent et des abordages.

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La section cuivre parvient maintenant à se faire entendre. Jouent rarement ensemble. A toi mon vieux pour ce coup-ci, c'est moi qui prendrai le chorus suivant, le sax semble vouloir avaler le micro et la trompette souligne les moments décisifs. Sur un des morceaux le trompettiste s'emparera d'une acoustique et se débrouillera mieux que bien, apportant un parfum rhum-raisin très particulier dans le magma sonore. Tous deux délimitent la base d'un second triangle dont Carlos est le sommet. Très remuant d'ailleurs. Tête folle et mouvante. L'élément incontrôlable qui intervient à volonté. Quelques grenades sur la tête de l'ennemi ne peuvent pas vous faire de mal.

 

Les frères de la côte ont le sourire aux lèvres. Seaweedyo martèle un rythme incessant. Le public danse sur place et leur est tout acquis. C'est huilé à la perfection avec tout ce qu'il faut de semblant de spontanéité et de fraîcheur pour plaire. Des loups de mer qui sont revenus de tous les naufrages et qui n'entendent pas s'en laisser conter. Terriblement entraînant. Très festif. Trop festif. Quelques accélérations punks pour rester fidèles à leur légende, deux titres vaguement rockabilly, quant à la folie psycho elle s'est transformée en bonne humeur généralisée. De la belle ouvrage, mais le navire navigue en eau calme et ne s'approche pas des récifs par trop aiguisés. Ce n'est pas ce soir que la coque and roll s'ouvrira en deux comme la quille du bateau ivre d'Arthur Rimbaud. Hélas ! L'on pensait chercher fortune au bout du monde en des contrées inexplorées et tout se déroule, comme une croisière programmée, à la bonne franquette.

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Un moment de joie et de défoulement. Sur le dernier morceau Mat s'affuble d'une défroque de léopard qu'il jette sur son épaule comme une toge romaine. Mais il ne suffit pas de se draper de la peau du guépard pour l'avoir tué. Les cats ont en général la vie plus dure que cela. Les Washington Dead Cats ronronnent un peu trop sur le canapé du bien-être. Reçoivent toutes les caresses du monde, mais nous les préférons plus faméliques.

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02 - 07 – 2014

 

RHESUS HK / T.A.N.K

 

 

Soirée métal. Comme par hasard la copine prétexte d'une grande fatigue. La veille pour les chatons facétieux de Washington elle s'était montrée très enthousiaste, mais les filles n'aiment pas s'amuser avec les chars d'assaut. Elles regardent les grands gamins que nous sommes avec commisération, et soupirent avec condescendance... L'enceinte est remplie à ras bord. Beaucoup de fans, mais tout le monde a fait un effort, c'est une incroyable collection de T-shirts qui s'offrent au regard. Toute l'histoire du hard sur mannequins, de Deep Purple à Trivium. Le métal décline ses divisions. Mais déjà Rhesus HK monte sur scène.

 

RHESUS HK

 

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Human Karactéristics de Rhesus : assez difficiles à définir, un combo qui n'a pas encore parfaitement modelé son image mais qui possède de sérieux atouts. Apparaissent de prime abord comme des gars sympathiques mais un groupe de métal se doit avant tout de correspondre à sa propre auto-mythologie. Il ne suffit pas de bien jouer, il faut proposer du rêve, du cauchemar et de l'angoisse à l'imaginaire des fans. L'homme ne se nourrit pas seulement du pain, lui faut aussi la violence idéographiée et scénarisée des jeux du cirque. Les politiciens sont parfaitement au courant de cette double postulation, même si à notre époque les foules anonymes se contentent d'ersatz frelatés. Le succès du métal en tant que genre réside justement en ces emblématiques engrammes musicaux que les grands groupes parviennent à créer. Dans nos sociétés marchandes l'emballage est le premier et principal vecteur publicitaire du produit. Si le métal en ses nombreuses déclinaisons séduit tant d'adolescents et de jeunes en révolte, plus ou moins conscientisée, contre l'existence unidimensionnelle et préfabriquée qui les attend, c'est qu'il s'est paré des couleurs fascinantes des écailles du serpent. Dans la scène primitive du jardin paradisiaque ses yeux ne se sont pas portés sur le sexe dénudé d'Eve – rompant ainsi la sainte trinité du rock'n'roll – mais sur la promesse de mort du reptile originel. Aux roses épineuses de l'éros le métal a préféré la sombre noirceur de thanatos. Ont été ainsi ressuscitées les danses macabres médiévales, ces charrettes rituelliques du passage de la grande faucheuse suivie son cortège de zombies assoiffés de notre sang et de monstres répugnants qui ne sont que les prophétiques dessins grossièrement coloriés des emprisonnements divers qui nous guettent afin de nous maintenir dans le carcan des vies serviles que la modernité nous réserve. Alors quand Vincent nous salue d'une manière par trop débonnaire, nous promettant une super soirée, l'on préfèrerait une entrée en matière beaucoup plus rentre-dedans. L'on aimerait mieux entendre se soulever les pierres tombales des vieux cimetières sous la lune chers à Lovecraft ou au moins ouïr dans les bas-fonds nauséeux de notre inconscient le miaulement sinistre, annonciateur du désastre, du chat noir d'Egard Poe.

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Pourtant Vincent est un poème à lui tout seul, ajoutez-en quatre comme moi et vous aurez une idée du gabarit de la bête sous ses cheveux bouclés. Arbore un immense t-shirt noir de Motorhead comme une déclaration de guerre. Sûr qu'ils ne vont pas nous jouer de la musique de premiers communiants. L'a pas saisi le micro que l'eau des bénitiers a dû croupir instantanément dans les églises à dix kilomètres à la ronde. Une voix de sulfure, un glapissement hypnotiseur, un raquèlement de reptile en rut, et la musique derrière qui vous tombe dessus comme une chape de plomb liquide. La batterie lourde comme une moiteur d'orage qui part en Flèche, la basse de Geoffrey qui déploie les bannières noires du désespoir, et les deux guitares de Marcus et de Blake qui vous hachent le tout menu, menu. Les séquences sonores se succèdent, pas trop vite, l'on perçoit très bien la pulsation binaire de base qui nécessite des plans relativement longs pour dresser les décors mentaux.

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Public un peu mou qui va s'y mettre peu à peu pour finir en un pogo d'enfer. Trois ou quatre fois Vincent interrompt la montée en puissance du show pour faire la promo de T.A.N.K., c'est très bien de penser aux copains mais pour le moment c'est le sang du Rhesus HK que l'on aimerait voir couler à flots. Lorsque Sénèque s'est ouvert les veines, n'a pas passé son temps à prédire ce qui se passerait après lui, s'est contenté de jouir de la mise en scène de son propre trépas, n'interrompez pas notre petite mort extatique de coureur de concerts pour nous signaler que celle qui vient après sera encore meilleure.

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Parfois maladroits, leur manque une vision d'ensemble, un projet architectural sonore et imaginal, mais les fondations sont solides. Une prestation qui finira par emporter l'adhésion du public, davantage métal rock que métal death à mon humble avis, définition qui a son importance car c'est sur la réalité de ce que l'on est que l'on construit les plus belles machines de guerre et non pas sur la fantômatique matière dont on s'imagine être constitué. Genre de groupe dont un producteur pygmalion aimerait s'occuper. Empli de possibles qui ne demandent qu'à se matérialiser. Encore faut-il reconnaître dans la couvée les oeufs de feu et de dragon.

 

Rhesus HK, bon sang ne saurait mentir. Laissez-lui le temps de coaguler.

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T.A.N.K

 

THINK OF A NEW KIND

 

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L'acronyme est un programme à lui tout seul. Les chenilles du blindés sont une chrysalide. Le métal conçu comme un augure d'annonce nouvelle. Le volume sonore vous submerge mais tout se passe dans la tête. Derrière les parois étanches de la boîte crânienne, les écoutilles sensorielles fermées à tout jamais, que l'on appelle aussi les portes de la perception. Deux images sont dressées sur la scène. Un scaphandrier qui semble sorti tout droit des illustrations de Vingt Milles lieues Sous La Mer, l'homme dans son aquarium de verre, réduit à ses seules forces, et sur le second panneau une espèce de mutant, silhouette humaine encore mais dont la langue est une longue queue de reptile, un horrible travailleur, un destructeur d'anciennes stèles, un forgeron wagnérien qui n'en finit pas de battre le fer tant qu'il est poussière agglomérée de foudre. La tétralogie comme l'anneau de feu et du métal le plus précieux et oeuf originel de tous les groupes de métal. La musique comme la philosophie s'expérimente à coups de marteaux.

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Trois en lignes longues chevelures tourbillonnantes et guitare à fond la caisse. Et sur les caisses derrière Clem caché par une forêt de cymbales dressées comme des totems claniques. N'ont pas commencé depuis quarante secondes que l'on est transporté dans un autre univers. Bye ! Bye ! Romilly et les copains, nous vivons une expérience de transformation génétique. Nous sommes des mutants. C'est désormais du métal liquide et mercuriel qui coule dans nos veines. La violence peut être aussi régénératrice. Le rock conçu comme un véhicule de délocalisation. Ces chaînes du cerveau que l'on abat pour le bûcher d'Hercule.

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A la guitare Symheris, cheveux blonds de sirène, ces oiseaux de malheur au chant mélodieux qui s'emparent de vous pour mieux concasser la moelle de vos os sur les blancs rochers de son repaire. L'est accroché à son instrument comme le naufragé sur son radeau. Parfois ses deux mains montent sur le manche, ses doigts s'accrochent aux cordes comme des pattes d'araignées et dans la tempête sonore qui submerge tout l'on entend comme des notes féériques, des perles de cristal qui tombent une à une dans la fournaise et l'on a l'impression d'un chant d'alcyon qui suspend pour quelques secondes la colère de l'orage, un leurre pour que le tsunami redouble d'efforts et emporte à jamais les frêles coquilles de nos âmes vers d'épouvantables naufrages.

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Raf est au chant. Frêle comme une aile de goéland que l'on aperçoit de temps en temps battre selon les reflets de la lune noire dans le maelström barbare qu'est devenu l'espace. S'avance et recule. Ne prend le micro que le temps d'injurier les dieux de l'abîme en un étrange sabir guttural, qui résonne comme des fragmences de rêves éteints. Cendres d'empires et pires que cendres. Puis il se retire au fond de la scène, mais revient fidèle au rendez-vous des flots qui recouvrent le monde de leur haine salée.

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Le jumeau démoniaque de Symhéris se nomme Oliv. Noires sont ses lignes de basse, ne ponctue pas le halètement incessant de la batterie de Clem, tout comme Edd à la rythmique, donnent l'illusion – mais en est-ce vraiment une ? vu la richesse du son, de jouer en solo. Une prestation impeccable, du début à la fin. Pogos déclinés sous toutes ses formes de la bourrade amicale aux deux camps qui s'affrontent avec des mineaux d'une dizaine d'années qui traversent ces champs de forte amplitude chaotique pour mieux sentir l'ivresse du danger, Raf qui passe en rafale porté sur le dos à bouts de bras, T.A.N.K. soulève l'enthousiasme. De grande classe. Un set haletant. Un grand groupe.

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Many t(h)ank(s).

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( Somptueueuses photos signées LOR prises sur le facebook de Rhesus hk )

 

MELOMANIES

 

Y avait trois autres journées, un lundi ludique dénommée soirée humour ( !!! ) avec Radio Vitriol et Andreas et Nicolas, le genre de truc qui ne me fait pas rire, rock celtique et festif le jeudi avec les Ramoneurs de Menhirs et Seagulls Are Drunk, je ne me prononcerai pas même sous la torture, le doute de l'ignorance devant être porté au bénéfice de l'accusé, et reggae le jour du poisson en compagnie de The Riots et Isow, un style de musique qui m'a toujours coupé l'herbe sous les pieds.

 

Pour tous les goûts. Z'auraient quand même pu rajouter un dimanche rockab !

 

Damie Chad.

 

 

03 – 07 – 2014 / HD DINER OPERA / PARIS

 

GHOST HIGHWAY

 

Que se passe-t-il ? Attroupement devant les cafés. Paris serait-il en train de glisser vers un soulèvement populaire ? Hélas ! Non ! Ce ne sont que les fous du foot qui attendent la victoire de la France comme si leur sort allait s'en trouver subitement amélioré ! Le sport est devenu le second opium du peuple, d'autant plus dangereux que le premier, l'ancienne religion et son cortège de conservatismes et d'asservissements sociaux et culturels n'en finissent pas de relever la tête. Le temps de garer la teuf-teuf et la grande parousie nationale s'est dégonflée comme une baudruche crevée. Têtes baissées les supporters déçus regagnent tristement leur logis ramenées à l'étroitesse rabougrie de leur existence... Le coeur n'est plus à la fête.

 

Assistance parsemée dans le HD Diner Opéra qui a préféré miser sur le rockabilly que sur le grand écran footballistique. Quatre juillet, fête nationale américaine, rien à faire, ce soir l'on n'échappe pas aux pavillons parcellaires, vivement que la grande étamine noire de l'Anarchie triomphante recouvre les haillons colorés des différences identitaires à sinistre dessein savamment entretenues et cornaquées par les oligarchies financières qui gouvernent le monde. En attendant une femme et son enfant assis au bas d'un arbre juste en face de l'entrée du Diner mendient leur pain dans une indifférence quasi générale. La misère nous souhaite bon appétit.

 

GHOST HIGHWAY

 

Les Ghost sont en place quand Mister B and I pénétrons dans le bar. Nous sommes accueillis par That's Alright Mama joliment balancé. Sont dans leur coin, Phil dans l'encoignure, Jull serré contre le mur, Arno à ses côtés et surprise c'est Djivan des Howlin qui officie à la contrebasse. D'ailleurs ses deux complices des Canines Hurlantes sont venus le supporter. Ambiance décontractée, les Ghost filochent droit sans embardée. Un magnifique 'Cause I Forgot une compo de Mister Jull, un Hello Mary Lou qui permet à Phil de se charger de toute une partie du vocal, et pour le final un Folsom Prison Blues des mieux envoyés bientôt suivi d'un Flyin' Saucers Rock'n'roll à vous faire croire que les martiens sont en train de descendre de leur soucoupe sur le champ de Mars.

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Fin du premier set. Les Ghost passent à table, chacun vaque à ses connaissances personnelles, cigarettes sur le trottoir, discussions diverses... Deuxième service, j'ai la chance d'avoir le nez à quatre-vingt centimètres de la guitare de Jull. Situation idéale pour lui piquer tous ses plans, le problème c'est que je suis incapable de faire vibrer correctement une seule corde. Pourquoi les Dieux ont-ils été si cruels envers ma modeste personne ? Pour Mister Jull, c'est le contraire, à vous faire crever de jalousie. Tant de facilité c'est à vous dégoûter. Jamais pressé et toujours sûr de lui. Comment vous dire ? Ne court pas après l'accord, pas le genre de gigolo à piquer un cent mètres après le bus, attend placidement sous l'abribus qu'il s'arrête juste devant lui et que les portes s'ouvrent en grand pour le laisser monter. Suffit de saisir l'instant. Concept philosophique du kairos longuement mis au point par les penseurs de la Grèce antique. L'instant K des sophistes – si l'étude des écrits de Gorgias et Protagoras vous rebute, servez-vous de la théorie du point G censé vous faire parvenir au summum de l'orgasme féminin, tout de suite je m'aperçois que votre intérêt se réveille – il ne s'agit ni de partir à temps ni d'éjaculer précocement, mais après une fine analyse de la situation initiée par les pairs du combo ou la partenaire en recherche d'absolu, d'intervenir au meilleur escient pour transcender une banale position de départ. Vous avez noté que cette façon d'entrevoir les ou la chose est en totale différenciation avec les théories restreinte ou généralisée de la relativité tant einstenienne que quantique. Bref pour Mister Jull l'accord riffique parfait est avant tout propice. D'où ce son très particulier des Ghost qui n'appartient qu'à eux.

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Phil est en grande forme, son petit espace de survie il l'agrandit en augmentant le volume sonore de sa frappe, vous ne me voyez pas, eh bien vous m'entendrez. Djivan se retient, n'est pas avec ses frères des Howlin, ici pas question de passer en force, il s'applique consciencieusement tout en prenant son air matois de cool cat qui n'attend que la première occasion pour se laisser aller à de plus sauvages chevauchées. Arno soulève l'enthousiasme de la salle et reçoit force applaudissements d'encouragement, s'y reprend à plus de dix fois pour parvenir à chanter l'intro de That's What Daddy Wants, étranglé d'un rire inextinguible dès les quatre premiers mots.

 

Lucas des Crocs Criants prend la gretsch de Jull sur Country Heroes tandis que Arno officie à l'harmonica. L'en profite le Lucas pour recréer la partie guitare à sa guise, nous gratouille une espèce de polyphonie intermittente des plus savoureuses, joue exactement ce à quoi l'on ne s'attend pas mais l'on est obligé de reconnaître la diabolique finesse de son interprétation. Il y a ceux qui suivent les recettes et ceux qui innovent pour relever les saveur.

 

Rien n'est à jeter dans ce second set qui débute par Matchbox et se termine par Johnny Law. Un Cherokee Boogie que l'on crédite souvent à Johnny Horton mais que pour ma part j'attribuerais plutôt à Moon Mullican, un des rares maîtres que ce soit reconnu Jerry Lee Lewis. Un Nervous Wolfman plus que réussi - les Ghost sont au mieux de leur forme sur leurs propres compos – et un Tired & Sleepy qui fit l'unanimité.

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C'est fini. Et c'est là que survient l'amère déception : l'on croyait que les Howlin' Jaws allaient se mettre au boulot, mais la direction ne leur accordera pas la permission d'après-minuit. Heureusement que Phil possède l'antidote à mon chagrin. «  Tu ne voudrais pas cela ? » me demande-t-il et il sort d'une boite en carton une dizaine d'exemplaires du nouveau 45 tours des Hawlin !

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Les Ghost remballent leur matériel, dimanche Phil, Jull et Eddie et Thierry des Ol' Bry accompagnent Wanda Jackson sur scène à Tours. Adoubés par la légende.

 

 

THE HOWLIN' JAWS

 

SLEEPWALKIN' / BUMBLEBEE BOP

 

 

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SPARKLY DESIGN / BLR STUDIO

 

Recorded Live At BLR STUDIO / 45 R.P.M

 

Belle pochette, style anglais, les trois Hawlin' vous regardent et dardent une moue de sourire franchement peu appuyé, blazers à glissières et cravates. Sobre, sur le fond moutarde de fines raies blanches comme une lointaine réminiscence du logo Sun. En banderolle noire, tout en bas une profession de foi : This some kind of stereophobic rock'n'roll sound. Tout un programme. Un bel objet digne des incunables du rock.

 

SLEEPWALKIN' : face A : ça devrait être interdit de laisser les somnambules courir sur les toits à cette vitesse. Accrochez-vous aux cheminées car les Hawlin' ne vous lâcheront plus, rien que les Ah ! Ah ! persifleurs de Lucas sont une invitation programmée au suicide. Aucun répit, de solo de guitare en break de batterie, font tous ce qu'ils peuvent pour précipiter un funeste trébuchement. Des garnements incorrigibles. Je ne parle pas des slaps de contrebasse, à croire que Djivan s'amuse au karaté à casser les tuiles et Baptiste qui suit immédiatement en portant le coup de grâce. Quant à Lucas il a la gratte expéditive, le premier à vous pousser sur la gouttière branlante. Des assassins en puissance. Le pire c'est qu'on le repasse dix fois de suite. On a toujours une petite préférence pour les seria kikllers rock'n'roll.

 

BUMBLEBEE BOP : face B : z'ont été punis de leur méchanceté, transformés en vilains bourdons. A eux de montrer comment ils savent s'y prendre. Ce n'est pas de tout repos. Des aviateurs fous qui ne maîtrisent leur appareil qu'avec difficulté. Une piste cahotante, parviennent à s'élever au-dessus de la cime des arbres, font les fiérots, pensent maîtriser l'univers, hélas en prenant davantage de l'altitude ils s'aperçoivent que ca tangue méchant. S'embarquent dans un piqué à vous oublier dans votre culotte. Redressent la situation on ne sait comment mais faut entendre les cris dans le cockpit pour comprendre que rien ne s'arrange et que tout s'aggrave. Se termine trop brutalement pour que l'on ose espérer un atterrissage en douceur. Quoique ces fous furieux soient encore capables de s'en tirer vivants et de nous refourguer dans trois mois un second 45 du même acabit.

 

Vous avez compris : accrochez-vous aux petites herbes car ce 45 tours risque de vous refiler le vertige jusqu'à la fin de vos jours. Médecine pas douce du tout. Mais très efficace au niveau rock'n'roll.

 

Damie Chad.

 

Nota : un petit test marrant : faites tourner le S(p)leepwalkin en trente-trois tours et vous croirez entendre un disque de british blues, entre Stones et Animals. Des petits gars vraiment pas sérieux, normal des rockers !

 

OUTSIDERS

 

80 FRANC-TIREURS DU ROCK

 

ET DE SES ENVIRONS

 

GUY DAROL

 

( CastorMusic ) / Juin 2014 / 450 pp )

 

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Chez Castor ( la dénomination complète se lit Le Castor Astral ) ils ont commencé dans les années soixante-dix par des recueils de poésie de parfaits inconnus, de vingt pages dactylographiées et ronéotées + couverture en carton coloré montée sur agrafes branlantes, quarante ans plus tard ils publient de véritables bibles de cinq cents pages en tout petits caractères. J'aurais beaucoup de choses à redire sur leurs choix poétiques qui privilégient des formes d'écriture selon mes propres présupposés esthétiques un peu trop faciles mais par contre leur collection musique me paraît nettement plus diversifiée et engageante.

 

Guy Darol un fan de Zappa, je vous conseille de visiter son blogue sur le net, des dizaines d'ouvrages chroniqués depuis des années sur différents journaux. Musique bien sûr mais aussi beaucoup de littérature et pas nécessairement ceux que l'on trouve en tête de gondole dans les grandes surfaces et malheureusement aussi de plus en plus souvent chez les petits libraires obligés de suivre le mouvement... je ne partage pas toujours ses choix mais je m'incline devant sa curiosité d'esprit et ses analyses pénétrantes.

 

Avis aux fans de rockabilly, tout surpris de retrouver l'ancêtre du psychobilly en première page. C'est uniquement parce que Hasil Adkins s'est mécaniquement imposé selon l'ordre alphabétique. Car par la suite les purs rockers se font un peu rares, un bel article sur Screamin' Lord Sutch en fin de parcours, avec au milieu une monographie sur Kim Fowley qui présida à la naissance du I'm Back, I'm Proud de Gene Vincent, et grosso modo c'est à peu près tout. C'est que Guy Darol est beaucoup plus attiré par cette mouvance qui s'est cristallisée autour de Captain Beefheart pour se perdre aujourd'hui dans l'estuaire du Noise. Evidemment si votre esthétique culmine avec les solo de Hank Marvin, vous êtes vite déçus. N'est pas non plus un monomaniaque, éprouve une tendresse toute particulière pour les réprouvés du folk et les dérangés du psychedelic.

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A mon humble avis, l'aurait dû ranger par ordre chronologique de date de naissance, l'aurait ainsi permis de mieux cartographier toute une génération née dans les années de la deuxième guerre mondiale, avec les précurseurs des années trente et les derniers arrivant des glorieuses sixties.

 

Reste à se demander pourquoi tous ces héros sont restés sur les bas-côtés de l'Avenue de la gloire. Facile de répondre qu'ils ne correspondaient pas au goût du public. Le livre permet de comprendre combien celui-ci est façonné par les intérêts pécuniaires des compagnies de disques qui préfèrent vendre des disques que prendre des risques. Ne sont pas des associations humanitaires à buts non lucratifs dont la fin ultime serait l'amélioration de l'espèce humaine. Mais ce n'est pas tout, que l'individu ne se décharge pas systématiquement sur le système.

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L'existe trois types de victimes plus ou moins consentantes. Ceux qui en toute connaissance de cause refusent la célébrité, qui préfèrent vivre dans un anonymat qui leur laisse toute liberté de circuler à leur guise sans être poursuivis par des hordes de fans en furie. Ceux qui depuis qu'ils sont tout petits sont déjà frappés de la cafetière, des paranoïaques congénitaux qui s'imaginent qu'à trois ans un monstre est sorti de la télévision pour les dévorer, des skizoïdes à double inconstance, gentil garçon côté pile et déglingué notoire côté face. Vous ne pouvez pas faire grand chose pour eux. Même la médecine se révèle impuissante. Enfin le gros du bataillon, ont eu vingt ans autour de Woodstock, l'abus de LSD, de petites fumées et diverses autres substances hallucinogènes les a implacablement détruits. Pour un Hendrix étouffé dans son propre vomi combien d'illustres inconnus obligés de se retrouver en asile psychiatrique pour comportement erratique. On a cru que l'on ouvrait les fameuses portes des perceptions chères à Jim Morrison quand souvent on ne faisait que refermer sur soi les portes de l'enfer du manque et de la pleine folie.

 

Difficile de gérer de tels types d'artistes. Guy Darol se contente de les disséquer, avec tendresse. Ne porte à leur encontre aucun jugement moral. Déroule les faits mais ne se pose pas en pépé-la-morale. Souligne avant tout leur contribution à la saga du rock'n'roll. Certains inconnus sont bien plus dignes d'estime que des vedettes mondialement reconnues. Beaucoup sont venus trop tôt pour être compris et les autres trop tard pour être jugés avec bienveillance. Le dictat des modes est un couperet aussi tranchant que la guillotine. Toutes les chroniques sont bâties sur le même modèle : commencent par une évocation poétique de la trajectoire et finissent par une courte discographie, souvent de récentes rééditions. Car la vraie vie de ces existences ratées ne se résument pas en une monographie centrale constituées de lettres et de mots, ils ont avant tout produit des musiques, curieuses, novatrices, oubliées... Le mieux est de lire en farfouillant dans sa bibliothèque à la recherche des disques perdus, et les oreilles surfantes sur le net via YouTube et consorts.

 

Guy Darol nous apprend – qu'il en soit remercié - à être modestes : nous sommes loin de tout connaître, nous dessine la cartographie de continents auditifs sur lesquels nous n'avons jamais abordé, nous remet en perspective des faits auxquels nous n'avions prêté que peu d'importance, bref il chamboule quelque peu la représentation d'une histoire du rock que nous croyions définitives et inamovibles. Le bouquin est un peu trop épais pour l'avoir sans cesse sur soi, dans la poche revolver entre votre fiole de whiskies et vos bank-notes en papier de monnaie de singe. Dommage. Car c'est de l'or en barre.

 

Damie Chad.

 

 

L'ARPEGGIO OSCURO

 

www.arpeggio-oscuro.fr

 

Suivez avec nous chaque semaine le nouveau roman-feuilleton imaginé par Hervé Picart, l’auteur de L’Arcamonde. Accompagnez le musicologue londonien Vernon Gabriel, amateur de rock patiné et d’instruments millésimés, dans l’étrange enquête qu’il doit entreprendre sans l’avoir souhaité. Découvrez le lien improbable qui unit d’idéalistes musiciens du Siècle des Lumières et les membres d’un groupe de heavy metal tarabiscoté, disparus les uns après les autres, tous victimes de leur quête d’un schéma harmonique périlleux. Pénétrez au cœur du mystère de L’Arpeggio Oscuro.

 



 

Est-il besoin de spécifier que le dénommé Hervé Picart tenait la rubrique des disques de Hard-Rock dans la légendaire revue BEST ?

 

Mis en ligne toutes les semaines depuis la fin 2013, 33 épisodes déjà parus.

 

Bonne lecture !

 

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