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03/04/2014

KR'TNT ! ¤ 183 : JIM JONES REVUE / BLACK MOSES / THEE HYPNOTICS / BLUE ÖYSTER CULT

 

KR'TNT ! ¤ 183

 

KEE P ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

04 / 04 / 2014

 

 

JIM JONES REVUE + BLACK MOSES + THEE HYPNOTICS

/ BLUE ÖYSTER CULT /

 

LE TETRIS / LE HAVRE / 20 - 03 – 14

 

JIM JONES REVUE

 

LE PERIL JONES

 

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Kick out the Jim Jones Jams, motherfuckers ! Jim jerke le junk depuis un bail. Jim Jones, c’est le Jesse James du jive anglais, le Gorge Jones du jingle-jungle, le Jack of all junks. L’Angleterre lui doit une fière chandelle. Sans lui et Ray Hanson, c’est-à-dire les Hypnotics, le rock anglais serait tombé dans un sacré cul de basse fosse. À la fin des années 80, Jim Jones a jammé comme un dingue pour sauver le rock anglais d’une mort annoncée.

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Jim Jones et Ray Hanson n’écoutaient que des bons disques : Hendrix, Blue Cheer, les Cramps, les Stooges, le MC5 et les Dolls. Quand on écoute ces disques-là, on ne risque généralement pas d’infection. Ils mettaient un point d’honneur à se distinguer des groupes indie ou des groupes punk qui vieillissaient atrocement mal : ils se voulaient porteurs du flambeau et leur premier concert à Londres, ce fut en première partie de Tav Falco &The Panther Burns.

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Comme on s’en doute, le parcours des mighty Hypnotics fut météorique : quatre albums, une série de concerts légendaires et pouf, terminé. Leur premier album était un live d’allure stoogienne qui s’appelait «Liver Than God», enregistré en 1989. Le bal s’ouvrait avec «All Night Long» qui ne laissait planer aucun doute sur leurs intentions : ils comptaient stooger exactement la même fournaise que les mythiques FunHousers et rien ni personne n’aurait pu les en empêcher. Jim allait même réussir à jerker des awite à la Pop. Puis, ils allaient taper dans le Big Blue Cheer Blast pour «Let’s Get Naked» et jouer franc jeu la carte du gros bastard rock américain. Et pour leur version de «Rock Me Baby», ils allaient emprunter un riff au MC5 et fournir à la postérité une belle pièce de blitz fumant. Puis, pour corser un peu plus cette sale affaire, ils allaient passer avec armes et bagages dans le camp hendrixien du Band of Gypsys et balancer «Justice In Freedom», histoire de nous faire croire qu’ils étaient sur scène le premier janvier 1970 au Fillmore East. Quelles sales petites frappes ! Ils commençaient franchement à nous indisposer. Mais nous ne savions pas qu’ils allaient continuer.

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Leur second album éprouva en effet plus d’un système nerveux et réduisit en bouillie plus d’un cortex pariétal. Non seulement ils l’enregistrèrent au studio de Mark St John sur Wardour Street - le repaire des Pretty Things - mais ils s’ingénièrent en plus à stooger viscéralement leur pochette. Ils l’orangèrent à outrance, ils prirent des mines de merlans frits et cristallisèrent si bien leur déviance qu’on croyait vraiment tomber sur la suite de «Fun House». Ce disque infernal s’appelait «Come Down Heavy» et ça ne faisait pas référence à un saut en parachute, vous pouvez me croire. Phil May et Dick Taylor firent partie de l’aventure. Dave Garland, le mec qui avait enregistré Slade, se trouvait derrière la console. Hélas, cet album n’allait pas être du niveau de «Fun House», mais on y trouvait de bonnes choses, comme «All Messed Up» qui traitait de la problématique du fuck-shit up et les Hypnotics poussaient leur petit bouchon assez loin puisqu’ils flirtaient dangereusement avec le déflagratoire. Ray Hanson se livrait au jeu funeste du solo lance-flamme, comme s’il nettoyait des casemates après l’assaut de la tranchée. Ils allaient rester dans le brûlant avec le heavy groove de «Resurrection Joe» et ramener du fond des bois des accents lancinants connus comme le loup blanc. Puis ils allaient s’illustrer dans le genre épique et difficile du hard rock blues avec «Let It Come Down Heavy» et renouer avec le gras jadis cultivé par des groupes comme Dust et Sir Lord Baltimore. Comme Tintin, les Hypnotics allaient courir le monde et se faire des amis, comme Tad Doyle et Mark Arm à Seattle, puis les Black Crowes et The Cult dans des stades américains.

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Et puis comme les Saints, ils passèrent du rôtissage en enfer à la sophistication des arrangements de cuivres pour leur troisième album, l’ambitieux «Soul Glitter And Sin». D’eux, on attendait tout. Surtout depuis que les Stones n’étaient plus capables de sortir un bon album. On allait trouver d’excellentes pièces sur ce disque, comme ce space-rock sanctifié qu’est «Shakedown», pas loin d’Hawkwind, monté sur de gros passages d’accords crampsy - pam pam pammm - et doté d’une belle tension. Puis on entendait des clameurs extraordinaires sur «The Big Fix», étonnant mélange de heaviness, de hurlements et de cris d’éléphants, une pièce accablante, solide et cuivrée à outrance, une épique poussée sauvage, avec des solos de sax jetés dans la confusion. Jim et les djeunes replongeaient de plus belle dans le lac de lave en fusion. «Point Blank Mystery» allait aussi nous sonner les cloches en tant que pulsatif extrême. On se sentait violemment poussé dans le dos par ce morceau rapide comme l’éclair, rempli de clameurs d’apocalypse, et ça repartait inlassablement, avec de nouveaux degrés de brutalité. Il s’agissait d’une matière sonique fulgurante car portée à l’émulsion, et puis il y avait ce «Soul Accelerator» bardé de gros effets et de clameurs de guitare, un son si épais qu’on le tenait pour valeur sûre, et on sentait monter une sorte de torpeur psychédélique qui nous emmenait dériver dans le temps. Il s’agissait là d'un morceau spectaculaire, au sens panoramique. L’intention nous semblait si merveilleuse.

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Et puis nous eûmes un quatrième et dernier hoquet hypnotique avec l’album «The Very Crystal Speed Machine». Un seul morceau sortait du lot, l’éléphantesque «Heavy Liquid», heavy comme ce n’est pas permis et même un peu ralenti du bulbe. C’est Ray Hanson qui se taille la part du lion dans ce cut, avec un son étranglé et outrancièrement psyché. La chose s’étend dans le temps et Ray Hanson a le temps de passer au wha-whatage puis il revient au gras du lard en gonflant ses notes comme des crapauds. Tout un art. On ne plaisante pas avec ce son-là. Sur d’autres morceaux comme «If The Greed Lord Loves Ya», ils tombent dans le petit rock à l’US mood un peu cucul la praline et on perd tout. Adieu veaux, vaches, cochons. Petit regain hypnotique sur le tard avec un beau balladit, «Down In The Hole», emmené à l’orgue, et serti d’un solo à l’étranglée de Ray Hanson. Et c’est bien screamé.

 

Jim géra le jive du split et monta un nouveau sac à mythes : Black Moses. Il récupéra son vieux copain bassman Graeme Flynn qui, par sa dégaine de loubard déhanché portant des chemises transparentes, évoquait une sorte d’Oliver Reed croisé au Malcolm McDowell d’Orange Mécanique. En 1977, Graeme Flynn aurait très bien pu jouer les Nasty Nasty avec les 999. 

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«Emperor Deb» fut le premier album de Black Moses. «Yr Gona Get It» renouait avec la rage incendiaire du MC5. Graeme Flynn allait prendre la main avec ses gros grooves de basse fuzz. Dans «Won’t Let Go», il était mixé devant, et tout le monde le sait, on joue mieux quand on est devant. On se sent investi d’une mission spéciale. Même chose sur «Cut It Out», Graeme Flynn bombardait ses cordes et on se retrouvait avec un truc malsain et définitif sur les bras. Le hit du disque s’appelait «Eye On You», au classicisme alarmant, belle pièce hachée menue et tapée à la syncope, et on arrivait sur un gros break de basse, un véritable coup de génie. Graeme Flynn entrait quand il voulait dans le morceau. Il était le killer tapi dans l’ombre. Il se baladait dans le fond, jouait des choses graves et revenait en break, mais de façon monstrueuse.

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Un second album de Black Moses tomba du ciel en 2004 : «Royal Stink». Jim mit Dracula à la batterie. Avec ce nouvel album, on entrait dans les perfumed gardens de la trashitude inexorable. On pénétrait le cœur du culte. Ils ouvraient le bal des vampires avec «Can’t Breathe (Turkey Neck)», une belle jute de blues-rock de rêve, une trouée fantastique dans les lignes ennemies. Graeme Flynn s’annonçait par un coup de sirène et il se payait de sacrées parties de dégringolade à contre-courant, pendant que Jim Jones tenait bravement le cap en démultipliant les pelletées d’accords et les sock it to me à la Mitch Ryder. Jim Jones n’en restait pas là, non. Il doublait ses c’mon et endiablait jusqu’à la nausée un morceau déjà trop tumultueux. Dans «Better Believe», Graeme Flynn passait devant avec sa basse fuzz et on se retrouvait avec l’un des plus gros hits garage de l’underground britannique. Ses breaks de basse dépassaient une fois de plus l’entendement. Il amenait un son massif et dévastateur. Il entrait et il sortait du morceau comme une bite en folie. Uh !, ils envoyaient des coups dans l’estomac des anales. On assistait à la victoire ultime, celle de l’extrême percutance des riffs alliée au chant triomphant. Et puis on tombait sur «Stevie», morceau classique, hérissé de chœurs dollsy, bousculé par des montées d’emballements dynamiques et des retours au calme du plat de l’épée, une sorte de classique chanté avec ardeur et hanté par des clameurs incantatoires. Cut après cut, ils nous coulaient des lingots de power-rock flambés à la soul blanche. Avec «Lose Control», ils nous proposaient un mélange sulfureux de Led Zed et de riff hendrixien (celui de «Fire», comme par hasard) et Jim Jones allait retrouver l’ivresse des poussées plantiennes. Il chantait aussi «Thru You» avec la hargne des vainqueurs et claquait une intro classique pour «Royal Stink», morceau qu’il laissait fuir pour l’encercler aussitôt de riffs salement morcelés. Ça restait du rock extrêmement classique pour ce qui touchait aux pourtours, mais le noyau restait invariablement imprégné de trash-garage pur jus. «She Got Da Moves» volait bas, proche du peuple, filait de manière terriblement admirable et se heurtait à la violence du spasme des seventies. Il restait dans la fibre chaude des seventies pour boucler la boucle avec «Baj (Oh Yeah)», un simili-groove tourbillonnaire emmené à la basse fuzz avec de l’oh yeah à profusion.

 

Puis plus rien pendant quatre ans. Pas de nouvelles, pas de rien. Et soudain, on assista à une sorte de retour en force, avec The Jim Jones Revue et une fascination bien affichée pour Little Richard. Nous eûmes droit à un premier album spectaculaire et à une multitude de concerts en France.

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Dès l’intro de «Princess & The Frog», on savait que ça allait chauffer dans les chaumières. Jim Jones balançait un brulôt digne de Little Richard et le portait à incandescence. Il savait monter à la hurlante sur tout le devant du couplet, exactement de la façon dont le faisait Little Richard voici cinquante ans. Et il enchaînait avec l’une des reprises du siècle, l’intouchable «Hey Hey Hey Hey» du Little Richard de l’ère Specialty, la sauvagerie du rock’n’roll à l’état le plus pur. Jim s’inspirait aussi directement de Little Richard pour «Rock’n’Roll Psychosis» et montait sa psychose sur une petite structure à la Stray Cats. En seulement trois morceaux, on avait compris que ce disque était une étuve. Graeme Flynn ne jouait pas, mais il produisait. Le seul défaut de ce disque, ce furent les tentatives rockab, comme «Fish 2 Fry» et la reprise de «The Meat Man» de Mack Vickery : le son de basse électrique ne passait pas. Dommage, car Jim Jones ergotait bien son chant. Il nous offrait en compensation une petite merveille intitulée «Make It Hot», belle pièce de juke, montée à l’accord, arrosée de flammes et judicieusement bégayée. On renouait avec le jive du junk à la Jim Jones. Il revenait à Little Richard avec «Who’s Got Mine» et son attaque pulvérisatrice et stupéfiante d’énergie. «Cement Mixer» renouait avec les grooves rampants de Black Moses. Notre ami Jones n’allait pas en rester là.

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Deux ans après, il menaçait avec son deuxième album de venir nous brûler la baraque. Et crac, il revenait à son rock’n’roll incendiaire avec des cuts comme «Dishonest John» (mais il n’inventait pas le fil à couper le beurre) et l’explosif «High Horse» (bardé de pianotis, du cinquante ans d’âge qui n’intéressait pas grand monde à part les amateurs de cinquante ans d’âge). Jim Jones devenait de plus en plus indomptable, avec des morceaux comme «Foghorn», où il hurlait à l’ancienne mode et battait de nouveaux records de démesure. Il revenait à Little Richard avec «Premeditated» et parvenait une fois de plus à recréer la grande excitation et à jiver du Penniman, grâce à son timbre de voix identique et à sa jumping energy. Avec ce prodige, Jim Jones devenait l’égal des dieux. Mais sur «Burning Your House Down», il se prenait pour Tom Waits et redescendait d’un cran dans notre estime. Il remettait heureusement les pendules à l’heure sur la face B avec le brillant «Shoot First», une belle compo à propulsion lente, parfait exemple de l’extension du domaine de la lutte, heavy groove bien emmené et bien calibré. Puis il revenait à ses amours anciennes avec un «Righteous Wrong» digne de Black Moses, bardé de feeling, blasté de rock-blues au tempo lourd comme le pas du prêcheur dans le désert. Jim Jones nous gratifiait d’une agréable pulsion pulsative et couronnait son œuvre d’un final extatique. «Righteous Wrong» allait être le hit de ce second album, à défaut d’être celui du siècle.

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On vit arriver dans la foulée «Here to Save Your Soul», une sorte de compile proposant des morceaux sortis sur des singles et qui ne figuraient pas sur les deux premiers albums. Comme «Big Hunk O’ Love», un petit rock à l’ancienne et conforme aux règles du genre. Et puis on tombait sur une surprenante reprise de «Good Golly Miss Molly». Jim Jones rendait une fois de plus un hommage exceptionnel à Little Richard, suprême de légitimité. Il avait une fois de plus le son, la folie et la fournaise. Il atteignait le point extrême de la véracité évangélique. À elle seule, cette reprise justifiait l’achat de la compile. Il réanimait encore une fois l’esprit de Little Richard avec «Freak Of Nature», une compo judicieusement enflammée. Il poussait le bouchon de sa voix si loin qu’on s’inquiétait pour lui. Il hurlait à s’en arracher les ovaires. Quelle suprématie !

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Et comme on s’y attendait, le troisième album nous tomba sur le coin de la gueule, comme on dit sur les chantiers de bâtiment. «Savage Heart» allait révéler de nouvelles influences, comme celle de Richard Hawley et de Jon Spencer. En gros, Jim Jones se jonifiait. Il cherchait à toucher un public un peu plus large, ce qui est de bonne guerre. Comme il risquait de s’enfermer dans ce que les érudits des temps modernes appellent un trip passéiste, il lui fallait trouver un passage à travers les récifs pour rejoindre la haute mer. Avec «It’s Gotta Be About Me», Jim Jones revenait au heavy blues rock de facture classique, bien pesé et bien senti. Mais rien d’exceptionnel. «Never Let You Go» et «7 Times Around The Sun» allaient rester dans le gros rock bien charpenté et Jim Jones allait solliciter ses collègues pour obtenir des chœurs de chain-gang pareils à ceux enregistrés par Alan Lomax dans les pénitenciers du Deep South. Mais au fil des morceaux, on sentait bien que le torride n’était plus de mise. Il fallait attendre la face B pour trouver un peu de vaudou prometteur dans «In & Out Of Harm’s Way». «Catastrophe» sonnait comme un petit classique sans prétention, une sorte de garage à la harangue salée et tiré par un attelage guttural à travers les plaines sauvages, dans l’esprit de ce que font les gros screamers de honky-tonk. Et puis on finissait par tomber sur le gros morceau jim-jonien, «Eagle Eye Ball», du heavy sleazy garage blues, haletant dans l’ombre, un peu à la manière de ce que faisait Jon Spencer à ses débuts, dans «Cryptstyle», par exemple. Jim Jones allait-il renouer avec l’ancienne classe spencérienne ? Il savait parfaitement bien rallumer ce genre de chaudière, il l’avait déjà prouvé avec Little Richard. Puis il s’épanchait dans les visions océaniques typiques de Richard Hawley, avec un cut titré «Midnight Ocean & The Savage Heart». Sacré Jim, il restait toujours à l’affût de la qualité.

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Bon, on arrête de raconter des conneries. La Revue s’installe sur la scène du Tétris, un lieu flambant neuf construit sur les hauteurs du Havre. Rupert Orton claque ses premiers accords de l’autre côté de la grande scène. Nick Jones bat le beurre, Henri Herbert affiche une mine de névropathe derrière son piano électrique et Gavin Jay, chapeau vissé sur le crâne, commence à tournicoter avec sa basse. Jim Jones arrive, effarant de classe et se campe derrière le micro pour attaquer «Where Da Money Go», tiré du troisième album. Cette rincette de blast nettoie bien la gorge et les oreilles. Jim Jones descend du punk-rock blues et des Stooges de la même façon que l’homme descend du singe. On sent qu’il nous embarque pour une heure trente de manège infernal. On ne se lasse pas de le voir bouger sur scène. Il devient meilleur à chaque concert. C’est la cinquième ou sixième fois qu’il vient jouer en Normandie avec cette formation et chaque fois il nous en bouche un coin. Ce qui frappe le plus chez lui, c’est l’élégance. On retrouve en Jim Jones tout ce qui fait le pur rocker anglais, une façon très particulière d’incarner le rock et qui n’existe pas de la même façon chez les Américains. Syd Barrett, Brian Jones, Nikki Sudden, Ray Davies, George Harrison et Jim Jones n’auraient jamais pu naître et grandir aux États-Unis. Ils tirent tous leur spécificité de la culture anglaise, infiniment plus raffinée que le triste modèle américain.

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Ils enchaînent avec «Never Let You Go» et «Shoot You First». Ils vont rallumer le brasier du boogie incendiaire. On retrouve sur scène cette hallucinante fournaise sur laquelle flottent des pianotis. Jim Jones vient se planter au bord de la scène, il lève sa guitare en l’air et mime la baise en ondulant des reins. C’est un showman fantastique, il tire des notes de bas de manche qui sonnent comme des clameurs. Il finit par retirer sa veste. Comme toujours, il porte un gilet boutonné par dessus une chemise en tissu imprimé. Pantalon noir, ceinturon et chaussures deux tons, comme sur la pochette de «The Very Crystal Speed Machine».

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Seuls les anglais osent porter ce genre de pompes. Jesse Hector en portait lui aussi. Ils enchaînent des pièces solides et ils attaquent «Rock’n’Roll Psychosis», sonic hell à l’état pur. Il manie le chaos comme les Chrome Cranks, il brûle les étapes comme les Oblivians, il joue sa carte de screamer jusqu’au-boutiste, comme Gerry Roslie et bien sûr Little Richard, mais comme il est en tournée, il doit penser à préserver sa voix. Il va quand même taper dans d’autres brûlots pennimaniens comme «Who’s Got Mine», se jeter à genoux avec sa guitare et venir de faire caresser l’entre-cuisses par les filles du premier rang. Il chauffe tellement la salle qu’on danse tous dans les premiers rangs. Jim Jones sait qu’il joue au Havre, capitale du rock en France et le public l’acclame comme un empereur. Emperor Jones ! Son classicisme finit par emporter tous les suffrages. Les ovations se succèdent. La communion sur l’autel du rock est devenue chose rare en France, alors n’en perdons pas une miette.

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Signé : Cazengler, atteint de Jonisse.

 

Jim Jones Revue. Le Tétris. Le Havre (76). 20 mars 2014

 

Shindig! Quarterly N°1 2011. Thee Hypnotics - Sonic Accelerator

 

Thee Hypnotics. Liver Than God. Situation Two 1989

 

Thee Hypnotics. Come Down Heavy. Situation Two 1990

 

Thee Hypnotics. Soul Glitter & Sin. Situation Two 1991

 

Thee Hypnotics. The Very Crystal Speed Machine. SPV Recordings 1994

 

Black Moses. Emperor Deb. Luna Sound 2002

 

Black Moses. Royal Stink. Rootbag 2004

 

Jim Jones Revue. The Jim Jones Revue. Punk Rock Blues 2008

 

Jim Jones Revue. Burning Your House Down. PIAS Recordings 2010

 

Jim Jones Revue. The Savage heart. Play It Again Sam. 2012

 

Jim Jones Revue. Here to Save Your Soul - Singles Volume One. Punk Rock Blues 2009

 

Sur l’illustration, de gauche à droite : Henri Herbert, Nick Jones, Jim Jones, Gavin Jay et Rupert Orton.

 

Concert Jim Jones Revue in KR'TNT ! 88 du 08 / 03 / 12

 

BLUE ÖYSTER CULT

 

LA CARRIERE DU MAL

 

 

MATHIEU BOLLON & AURELIEN LEMANT

 

( Camion Blanc / Mai 2013 )

 

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Le Culte de L'Huître bleue. Ceux qui ne connaissent pas risquent d'en rire. N'auraient pas tort, en langue français, une telle dénomination prête à sourire. Elle sent un peu trop le canular, qui, dans la vieille et raisonnable patrie de Descartes, oserait vouer un culte à une huître ? bleue de surcroît ! Le vieux fonds anti-religieux national flaire l'association bacchique d'étudiants de grandes écoles en goguette réunis en confrérie pochtronesque afin de fêter les résultats des examens... Amusons-nous, mais gardons notre sérieux !

 

Mais pour les connaisseurs le Blue Öyster Cult reste l'un des groupes mythiques du rock'n'roll, de la stature des plus grands, des plus légendaires, à part que, bizarrement sa renommée n'est pas si étendue que cela. J'ai été très étonné en juin 2012, la plupart de mes commensaux provinois qui se vantaient de posséder des tickets pour la prestation de Lou Reed au festival Confluences de Montereau, poussaient des trombines de quinze mètres de long lorsque je leur assurai que le groupe à voir ce n'était pas le petit Lou qui marchait sur trois pattes depuis des années, mais le Blue Öyster Cult dont ils n'avaient jamais entendu parler, certains prétendaient même que c'était vraisemblablement un disc-jockey avec sound-system relégué en fin de programmation pour faire danser les festivaliers...

 

Chez Camion Blanc ils n'ont pas hésité à mettre les grands plats dans les immenses marmites. Un pavé de 715 pages, rien que pour le Blue Öster Cult, un format normal et méritoire, à la démesure du groupe. Difficile de faire moins. Encore que, qualité de la reproduction des pochettes, ça laisse plus qu'à désirer. Z'auraient dû oser la quadri, car la photocopie des pochettes du Cult en noir baveux et blanc grisâtre c'est un peu décevant. Un peu comme si vous avez une repro en noir et blanc de Matisse le coloriste, sur le mur de votre salon. L'on fait confiance au lecteur pour qu'il se trouve des reproductions idoines sur le net. Un peu indispensable quand Mathieu Bollon et Aurélien Lemant s'occupent non pas de décrire les jaquettes des vinyls, mais de les décrypter. Car, cela vous sera répété plusieurs fois durant votre lecture, le Diable se cache dans les détails. Ne vous effrayez pas, vous n'avez même pas encore bougé d'un essieu sur les hot rails to hell. Mais ne commençons surtout pas par le commencement, car vous risqueriez de vous sentir perdus.

 

UN GROUPE DE HARD

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Dans le sud de la France, l'on a d'abord eu accès au deuxième trente-trois tours du Blue Öyster, c'était un article de Rock'n'Folk, même pas une page entière, qui nous avait mis en alerte. L'a fallu faire le siège du disquaire – comprenez le revolver sur la tempe - pour qu'il nous dégote le premier. Des pressages français, beurk ! C'était en 1973, le premier choc pétrolier, les majors en profitaient pour vous refiler des galettes plus minces que du papier à cigarette. Rien que de les transporter du magasin à votre chambrette, elles étaient déjà voilées.

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Ne nous plaignons pas, le vinyl maigrichon regorgeait d'un hard rock comme l'on n'en avait jamais ouï. Et pourtant l'on n'était pas des novices, Black Sabbath, MC 5, Stepenwolf, Grand Funk Railroad, Blue Cheer l'on cultivait toutes ces monstruosités en éprouvettes sur nos étagères, mais là c'était différent. Jusque là, l'on n'avait jamais entendu une huître crier comme cela. C'était nouveau, tous les prédécesseurs cités ne pouvaient cacher leur provenance : sortaient tous de l'oeuf cassé du rock'n'roll. Mais à cette époque les valves de l'huître étaient refermées sur leur sombre mystère. Le Blue Öyster Cult jouait si vite qu'il préfigurait le punk – mais en 72-73 qui aurait pu le comprendre, le rock était alors en éclosion perpétuelle, l'on pensait que la corne d'abondance de la créativité tous azimuts ne s'épuiserait jamais et que le besoin d'un bon coup de plumeau pour chasser les araignées du plafond ne serait jamais nécessaire. Mais ce n'était pas tout, comme dans les oeufs que le Cygne Divin déposa dans la matrice de Léda, au fond de la coquille gesticulait un second bébé.

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N'imaginez pas qu'il ressemblait au Dirigeable. Non ce n'était pas un surpassement dans les chatoyances harmoniques, aucun redécoupage ou redéploiement acrobatiques de riff zeppelinien, le nourrisson royal n'était pas beau, bringuebalait de tous ses os, claquait ses mâchoires de caïman tellement fort l'une contre l'autre que l'on n'entendait plus que le cliquetis interminable de ses dents d'acier qui s'entrechoquaient. L'on parlait de hard rock, certains se gargarisaient de la nouvelle appellation heavy metal, mais malgré sa grandiloquence le Blue Öyster Cult posait les fondements du métal tel qu'il se conjugue de nos jours à Clisson, émérite patrie du Hellfest.

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Le Blue Öyster Cult réalisa comme Wagner, une tétralogie immortelle, trois disques coup sur coup, 72, 73, 74, et un double en public en 1975. Se seraient arrêtés là, qu'aujourd'hui, ils seraient considérés comme le plus grand des groupes de hard-metal, un archétype indépassable, la statue du Commandeur prête à vous broyer si par malheur vous vous écartiez d'un millionième de millimètre des tables de la loi gravées à jamais dans leurs sillons de vinyl.

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Vous pouvez rayer tout ce que vous venez de lire. Blue Öyster Cult n'a jamais été un groupe de hard.

 

THE REAPER

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Il y avait eu des fuites. Le nouveau disque du Blue Öyster s'annonçait différent. Mais les bruits de chiotte et le tintamarre des poubelles ce n'était pas pour nous, l'on jugerait sur pièce. L'on a tiqué sur la pochette. Ca sentait l'arnaque, ce magicien dans sa cape bleue, avec ses cartes dans la main, ressemblait un peu trop à ce à quoi il disait être. Un charlatan. Le gars qui vous prévient : attention à vos arrières je vais vous le mettre, et vous n'avez pas le temps de vous retourner qu'il vous l'a bellement enfoncé jusqu'à l'os. Vous vous sentez stupidement ridicule, mais le mâle est fait ( et refait ). D'autant plus qu'il emmène votre petite amie en partant.

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Disons-le tout de suite pour qu'il n'y ait pas d'embrouille. C'est un chef d'oeuvre. Ou plus exactement le disque s'ouvre sur LE chef d'oeuvre. Un seul, mais les autres titres vous n'avez plus aucune seconde d'attention à leur accorder. Le Cult aurait laissé toutes les autres plages vierges que vous n'auriez même pas eu l'envie d'exiger une ristourne financière. Don't Fear The Reaper, qu'ils vous avertissent. Pas la peine, tellement belles ces envolées moelleuses de guitares que vous êtes déjà au paradis. Et malgré vos fortes préventions anti-religieuses vous ne manifestez aucune envie d'en sortir. A l'époque, avec mon anglais rudimentaire j'avais échafaudé une interprétation personnelle, j'imaginais que the reaper c'était le croupier qui sur la table de jeu de la vie raflait votre mise avec cet insupportable sourire professionnel qui pour un peu vous transformerait en serial killer. Quoiqu'il en soit le reaper vous a rapté l'âme, et n'a aucune envie de vous la rendre. Vous la lui laissez en dépôt. Tout heureux, tout bêtement idiot.

 

Au dernier degré, car lorsque vous reprenez vos esprits vous êtes bien obligés de vous avouer que le chef d'oeuvre qui a englouti votre sens esthétique et moral, ne ressemble en rien à du hard rock. Attention, ce n'est pas rien, c'est aussi énigmatiquement brillant que cette pépite d'or des Byrds nommée So You Wanna Be A Rock'n'Roll Star, avec ses arpèges de tungstène nappés de satin, L'huître Bleue nous aurait-elle refilé de la fausse monnaie ? L'est plus que temps de remonter la piste.

 

SOFT WHITE UNDERBELLY

 

L'Huître Bleue n'a pas mieux fait que nous, n'est pas sortie tout droit de la cuisse de Jupiter, mais du mol-sous-ventre de sa maman. D'ailleurs il en a longtemps porté le nom Soft White Underbelly, oui en anglais c'est beaucoup plus classe. Pour la fête des mères vous repasserez, ses géniteurs sont des hommes. Une reproduction par parthénogenèse. Pas tout à fait l'identique qui se reproduit à l'identique, plutôt les savants fous enfermés dans leur laboratoire qui essaie d'améliorer la malheureuse et chétive race humaine. Le fantôme du Docteur Frankestein, qui accoucha de sa créature après maints essais infructueux, présida à la naissance du monstre.

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J'ai le regret de l'annoncer à tous ceux qui ne les aiment pas, mais le Blue Öyster Cult fut un groupe d'intellectuels. D'habitude deux ou trois camarades se rencontrent et n'ayant rien de mieux à faire ils décident de monter un combo de rock'n'roll. Pratique et efficace. Pour le SWU, la gestation fut plus théorique. D'abord l'on pense à la formule idéale d'un groupe de rock, au genre de musique qu'il devrait jouer, et selon la feuille de route ainsi obtenue l'on essaie de trouver des gars capables d'appliquer la recette. Rappelez-vous c'est ainsi que les New York Dolls se créèrent – s'agissait pour nos poupées chéries de fabriquer de toutes pièces les Rolling Stones américains – et c'est sur leur échec que Malcolm McLaren combina dans son esprit la (no)future réussite planétaire des Sex Pistols.

 

Mais il est temps de présenter les heureux papas. D'abord le chaudron, la revue Crawdaddy ! La première grande revue rock américaine, que dis-je le premier organe séminal de réflexion sur le rock'n'roll. Lester Bang, le critique rock par excellence et Patti Smith y publièrent maints textes et kronics, mais le maître d'oeuvre secret du mensuel fut Sandy Pearlman, des diplômes d'université à revendre, un fou littéraire, un amateur de rock'n'roll qui se verrait bien devenir le chaman tutélaire d'un groupe de rock qui marquerait son époque d'une empreinte irrémédiable, un peu comme ces empreintes de dinosaures conservées dans la boue fossilisée du jurrasique. Sandy traîne souvent avec un ancien condisciple de ses années d'étudiant Richard Meltzer, une plume renommée de Crawdaddy ! qui en 1970 donna au rock'n'roll ses titres de noblesse culturelle en publiant son ouvrage quasi philosophique titré Esthétique du Rock.

 

C'est Pearlman qui hâte la composition du groupe, ne sont pas tous encore là, mais ils vont arriver petit à petit. Le problème c'est que le plus grand des génies ne peut se servir que des matériaux à sa disposition. Qu'aurait imaginé Léonard de Vinci s'il avait eu accès à l'ordinateur ! Nous sommes en 1967, en plein été de l'amour hippie, le hard rock n'est pas une nécessité existentielle pour cette génération. L'on serait plutôt attiré par le psychedelic à la Hendrix. The first guitar hero, mais qui a mal tourné. L'est mort juste à temps, avant que l'on ne s'aperçoive qu'il était en train d'inventer cette pétaudière d'ennui que l'on nomme jazz-rock. Bien sûr tout le monde ne va pas si loin dans l'ignominie – plus par manque de dextérité instrumentale que par méfiance instinctive d'ailleurs – bref commence à s'installer ce qui s'appellera le progue. La musique progressive, les groupes qui se prennent pour les Beethoven électrifiés. Avec des mentors comme Pearlman et Meltzer le Soft White Underbelly obtint une session d'enregistrement chez Elektra qui s'avèrera un fiasco.

 

STALK FOREST GROUP

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Changement de personnel, cette fois ils sont tous là : Eric Bloom ( chant, guitare ), Donald Roeser alias Buck Dharma ( lead guitar ), Allen Lanier ( clavier, guitare ), Joe Bouchard ( basse ), Alfred Bouchard ( batterie ), et pour effacer l'échec l'on repeint le nom sur la coque du bateau touché-coulé. Stalk Forest Group : Le Groupe de la Forêt aux Pieds de Champignon, z'en avaient peut-être grignoté un peu trop des bolets de Satan mexicains – mais le SFG sera lui-aussi recalé lors de son examen de passage chez Elektra.

 

C'est alors qu'intervient le troisième cavalier de l'Apocalypse – Murray Krugman, travaille chez Columbia - nous sommes en 1970 - qui sent le vent tourner et qui est à la recherche de groupes de hard rock. L'on change une équipe qui perd sans hésitation. Après quelques tergiversations sémantiques le groupe qui commence à enregistrer chez Columbia en 1971 se nommera Blue Öyster Cult.

 

BLUE ÖYSTER CULT

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L'on change d'époque. Mais l'on garde les vieilles mythologies. Le rêve hippie a atteint son apogée à Woodstock, les Stones en signent la fin en paraphes de sang à Atlamont. Mais les Rolling n'y sont pour rien, les héros de la fête portent un autre nom : ce sont les Hell-Angels, les terribles Anges de l'Enfer qui refont un remake d'Hollister en direct, meurtre à l'appui, devant les caméras et sans truquage. L'équipée sauvage est de retour. Pearlman et Krugman décident d'en réaliser la bande-son. Pour le grondement des moteurs Kruggman s'en chargera à la perfection, se comporte même comme nos blousons noirs qui rajoutaient des mégaphones sur les pots d'échappement de leurs Gitanes Testi, mais comme il a davantage de savoir-faire et de moyens, il dote l'Huître Bleue de moteurs-auxiliaires pour fusées intercontinentales. Pearlman prend la direction des paroles. Equipée Sauvage, oui mais métaphysique. Tout se passe dans la tête. Tout se passe dans le cosmos. Lyrics à visées intergalactiques.

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BLUE ROCKER CULT

 

Faut pas prendre les rockers pour des incultes qui auraient du mal à déchiffrer le o de Perfecto. Pearlman ramène sa vaste science. Pour les lecteurs de Kr'tnt qui voudraient soulever le coin du voile cher à Novalis, qu'ils se reportent à notre courte présentation indicative de la traduction de Magick d'Aleister Crowley par Philippe Pissier ( livraison 162 du 07 / 11 / 13 ), z'ou z'alors z'à notre livraison 172 ( du 18 / 01 / 14 ) le paragraphe sur Anton LaVey, le fondateur de l'Eglise de Satan, dans notre recension du livre sur Marylin Manson.

 

Satan, ses cornes et son trident, vous pouvez le jeter au feu, brûlera très bien comme une figurine en carton. La Carrière du Mal, le sous-titre du bouquin, rejetez votre bric-à-brac mystico-catholico-débilo-menthe-à-l'eau, est plus sérieux que vous ne le croyez. Vaudrait mieux regarder du côté ( non pas de chez Swan, même noir ) de Cthulhu – eh oui qui l'eût cru, lustucru, poil au cul – l'innommable, une simple image – des grands anciens qui manipulent le monde grâce à leurs agents secrets, regroupés dans la mystérieuse association du Culte de l'Huître Bleue. Vous êtes-vous demandés qui se cache derrière votre addiction au rock'n'roll. Ne nous refaites pas, comme Damie Chad, le coup des méchantes majors capitalistes, parce que là vous resterez accrochés comme le moustique dans la toile de l'araignée à l'écume de la futilité du monde. Cherchez plutôt dans les grimoires d'Edgar Poe, de Lovecraft, de Philip K Dick, et de quelques autres frères des mystères de l'ombre comme Arthur Machen...

 

SOUS LE SIGNE DE SATURNE

 

Ne vous fiez pas aux écorces mortes que le Cult vous lance à la face comme l'os de l'inculture populaire, sans viande ni cartilage. Faut bien que les chiens de garde du système aient de temps en temps une raison d'aboyer. Sans quoi ils finiraient par se poser des questions sur le pourquoi et le rôle de leur vigilance. Le troisième LP du Blue öyster Cult attira, pardon attisa, la vindicte des imbéciles. Déjà le bruit dégagé par les deux précédentes rondelles méritaient les qualificatifs d'agression de type faciste, le titre de leur deuxième album Tyranny and Mutation ne laissait aucune expectative au mot revolution ( en ces temps lointains l'on ne lui préférait pas encore le vocable beaucoup plus noble de Démocratie ), mais sur la troisième pochette l'aveu était d'une impitoyable netteté : elle était ornée d'un très beau dessin du premier chasseur à réaction de la Luftwaffe, le Messerschmitt 262, clair comme de l'eau de roche, les membres du Blue Öyster Cult étaient tous des néo-nazis. Cette mauvaise réputation leur collera à la peau pendant longtemps...

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En plus, ils ne pouvaient pas sortir un record sans l'agrémenter de leur logo, la sinistre hook and cross, que l'on eût vite fait d'assimiler à la sawitska hitlériene. Manque de chance c'était le signe de Saturne. Pas celui qui présida en son heureuse jeunesse, l'Âge d'Or, mais le vieillard taciturne et taiseux, solitaire en son coin, qui ne pense qu'à dévorer une bonne fois pour toutes l'ensemble de sa progéniture qui l'a relégué aux calendes grecques, et sur la défaite de laquelle il compte exercer une terrible vengeance et bâtir son retour triomphal... Le rock comme une saturnale et Hécate qui s'en vient aboyer aux carrefours pour vous vous avertir que dans l'ombre de colossales forces travaillent à votre anéantissement, ne rêvent que de vous réduire en esclavage... Ne venez pas dire que vous ne saviez pas.

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En tout cas, Mathieu Bollon et Aurélien Lemant se livrent à un scrupuleux jeu de piste. Tous les disques du Blue sont analysés titre par titre, les paroles remises dans leur contexte culturel, et leur sens ultime traqué et livré à votre entendement... Citent à plusieurs fois le nom de Raymond Abellio, romancier et mathématicien, un peu retombé aujourd'hui dans l'oubli, le théoricien de La Structure Absolue, qui se fit connaître dans les années soixante par son analyse du vingtième siècle en tant qu'époque du dévoilement des doctrines ésotériques tenues jusques là secrètes et à l'abri des regards profanes...

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Sont tellement obnubilés par le message véhiculé par les lyrics du groupe qu'ils n'en effleurent que très partiellement l'analyse musicale, ou celle-ci ne venant qu'en contre-point explicatif de leurs révélations. Le moins que l'on puisse dire c'est que malgré la diversité des écrivains de métier et des écrivants d'occasion – chaque membre du groupe y participant peu ou prou, parfois de manière collective – le livret des paroles du l'Huître Bleue est traversé par une profonde unité thématique. Certes parfois un morceau établit une référence explicite à un titre enregistré une vingtaine d'années avant, mais l'on a surtout l'impression que - quel que soit le collaborateur externe au combo qui ait fourni un texte, que ce soit un admirateur de longue date dont les centres d'intérêt personnels sont voisins ou parallèles à ceux du Cult, ou un don de rencontre destinale venu de tout autre planète culturelle étrangère à la constellation cultienne - que tout ce qui entre dans l'axe gravitationnel du band fait ventre. Et pas mollement du tout. La bête phagocyte tout ce qu'on lui propose, se nourrit de tout ce qui passe à sa portée, l'ingère, le recycle, et le recrache à la gueule du monde telles les flammes d'un dragon dévastateur.

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ERREMENTS

 

Avec le Reaper l'Öyster surprit son monde. Disons agréablement. Tout guerrier a droit à son moment de repos. Devant les exploits accomplis, on lui abandonne volontiers une couche voluptueuse. D'autant plus méritée, qu'elle est sise en plein drame shakespearien, puisque la dame appelée se doit de rejoindre son prince charmant sur son lit funéraire. Le Reaper n'est rien d'autre que la terrible Faucheuse qui vous passe de vie à trépas, afin que vous puissiez continuer vos amours dans l'autre monde, en toute quiétude. N'ayez pas peur du Reaper, il vous offre en cadeau bonux l'absolu du néant...

 

Mais avec Spectres (sorti en 1977 ) le grand Bleu nous déçoit. Nous sommes en pleine tourmente punk, et l'on aimerait que le Cult dresse sa tente au milieu des troupes rebelles, et que son étendard mène l'assaut, mais non le reptile déroule paresseusement ses anneaux au soleil. L'on s'attendait à plus, il y eut le moins. Le problème, c'est que des tartiflettes mal cuites, il y en eut d'autres dans la carrière du Cult. Et certaines mêmes indigestes. Mirrors, Club Ninja, par exemple qui mortifient les fans de toujours sans mordre d'une seule incisive sur le grand public.

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L'est sûr qu'avec the Reaper et autres essais infructueux qui parsemèrent la route du mastodonte, le Blue Öyster Cult a essayé de s'extraire du public cent pour cent hard rock, formé de nombreuses hordes combattantes, toutefois une minime fraction des acheteurs de disques. Mauvais calcul qui lui fit perdre l'estime au début indéfectible que lui portaient ses cohortes d'admirateurs passionnés. L'Huître aurait vendu donc son âme contre le plat de lentilles de la célébrité. Et les royalties qui marchent de pair.

 

Bollon et Lemant n'évacuent pas cet aspect trivial des réalités pécuniaires. Mais ils proposent une deuxième lecture du phénomène, beaucoup plus romantique. Le Cult rentre dans le rang, profil bas et complaisance moutonnière. Le Cult qui avait pris de l'avance sur tous ses concurrents se laisse rattraper et même dépasser. Sonne parfois un peu trop comme les autres, s'inspire de Judas Priest ou de ZZ Top... Ce n'est pas qu'il serait incapable de faire mieux, mais pour vivre heureux, restons cachés. Règle d'or des terroristes qui transportent des matières fissiles, ne pas se faire remarquer, ressembler à tout le monde, point d'attitude provocatrice, le premier de la classe est espionné toutes les secondes par des yeux jaloux. Un bon groupe de hard, ni pire, ni meilleur que les confrères. Les mecs tranquilles qui ne cherchent pas d'histoire. Le vieux codex des alchimistes. Celui qui détient les secrets ne les transmet qu'avec la plus étudiée des discrétions...

 

EXPLOSIONS

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Les bonnes résolutions ne tiennent pas ad vitam aeternam. Cachez la bête dans votre poche, sous votre mouchoir, cela ne l'empêchera pas de temps en temps de sortir la tête rien que pour voir si le monde extérieur existe encore. Je ne vous mens pas. L'a été prise en photo sur la pochette de Cultösaurus Erectus. Eloignez les femmes enceintes et les enfants. Vous éviterez fausses couches et crises d'épilepsie post-traumatiques. Hideuse la bestiole et les brames ferrailleux qu'elle pousse à l'intérieur, vaudrait mieux que votre psychiatre ne les entende pas, vous ferait enfermer pour dix ans, à titre préventif. Le Blue Öyster Cult tel que nous l'aimons. Avec le clin-d'oeil, nous sommes des dinosaures du rock, notre passé parle pour nous. Nous ne sommes pourtant qu'en 1980, mais le Cult a compris qu'il est le dernier spécimen d'une espèce en voie d'extinction. Ou de prolifération dégénérative.

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Se battra jusqu'au bout pour sa survie. Des centaines de concerts. Des murs d'amplis aussi hauts que l'Himalaya, des light-shows de rayons lasers dignes de la guerre des étoiles, des claviers pyramidaux, des duels de guitares homériques... Tiendront quarante ans. Le combo est encore en vie aujourd'hui. Beaucoup des anciens membres ont décroché, sont revenus, sont repartis, Allen Lanier a rejoint l'autre côté du miroir au mois d'octobre 2013... En 2012, le groupe a fêté ses quarante ans par une tournée aux Amériques et en Europe, l'a sorti chez Columbia un coffret de dix-sept Cd, remastérisations, rarities et tout le bataclan. En cherchant bien, vous trouverez même les bandes du Soft White Underbelly et du Stalk Forest Group qui traînaient dans les tiroirs d'Elektra. DVD, vidéos sur le net...

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TRAIT D'UNION

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Le Culte de l'Huître Bleue n'a pas été le groupe que nous aurions aimé qu'il fût. S'en est approché, mais la fusée a dévié sa course. L'on ne sait pas trop pourquoi. Avoir tant de bonnes cartes en mains et jouer une si décevante partie ! Ce qui est sûr c'est qu'ils ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes. Qui trop étreint, mal embrasse. Le Cult est un groupe trait d'union, l'a fait la jonction entre psyché et hard. Entre le prog et le heavy. En un certain moment même, il n'a pas su où il mettait les pieds, entre punk et métal extrême. D'autres l'ont tenté avant eux. Ou dans les mêmes temps. Comme Blue Cheer, mais en partant d'un projet initial moins ambitieux et beaucoup plus local. Et sans aller aussi loin.

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Personnellement, je verrais le Blue Öyster Cult dans le prolongement des Doors. Blues Öyster Cult pour souligner la source de ces deux grands groupes américains, le blues originel, magnifié par la puissance orchestrale et réinvesti de sa grandeur natale par et dans le souffle de la poésie. Signe des temps et de la perversion typiquement rock and rollienne, la solitude du poëte maudit laissant place à un travail d'équipe, à un collectif de production culturelle américanisée... Passage de témoin. Carrière du Mal en sous-titre. A méditer.

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Damie Chad.

 

 

 

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