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03/01/2014

KR'TNT ! ¤ 170. BLUE TEARS TRIO / HAWKWIND / CAROL CLERK

 

KR'TNT ! ¤ 170

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

03 / 01 / 2014

 

 

BLUE TEARS TRIO / HAWKWIND / CAROL CLERK

 

 

BLUE TEARS TRIO

 

 

15 / 09 / 2013

 

AMERICAN CAR FESTIVAL / ECQUEVILLY ( 78)

 

 

13 / 12 / 2013

 

McDAID'S / LE HAVRE

 

 

LE TIR NOURRI DES BLUE TEARS

 

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Tous ceux qui ont eu la chance de voir les grands concerts de Doctor Feelgood et d’Eddie & the Hot Rods à la salle Franklin savent que le Havre est la ville rock par excellence. L’est-elle encore aujourd’hui ? Plus autant, car les grandes affiches se raréfient. Disons que la qualité des petits concerts parvient à compenser l’absence dramatique d’événements marquants.

 

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L’un des endroits recommandables du Havre est un pub qui s’appelle le McDaid’s. L’ambiance y est particulièrement bonne et animée. Mais ce qui fait le charme de l’endroit, c’est la salle en sous-sol qui est une vraie salle de concert : assez spacieuse, plafond bas, joli son bien ramassé et une seule petite marche d’estrade, ce qui fait qu’on reste à proximité du groupe qui joue. Comme dans tous ces endroits, la programmation se diversifie : ça peut aller du blues au festif irlandais en passant par du rock et de la chanson. Certains soirs, des groupes de rockabilly s’y produisent.

 

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Les Russes de Stressor sont venus jouer au McDaid’s en mai dernier. Six mois plus tard, Miss Victoria Crown et le Blue Tears Trio se partageaient l’affiche. Nous eûmes droit à une petite heure de fraîcheur candido-swing avec la petite Miss puis ce fut un set solide, captivant et bien senti du Blue Tears Trio.

 

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Comme le nom du groupe l’indique, ils sont trois : Didier, chant et guitare, Aymé, black stand-up bass et Frank, drums. Didier porte encore sur l’intérieur de l’avant-bras le nom de son groupe précédent, les Flamin’ Combo. Le groupe était basé au Havre. J’ai le souvenir d’un excellent concert au Bateau Ivre. Ils jouaient un fier rockab de puristes. À leur façon, ils portaient le flambeau. Avec les Blue Tears, Didier semble vouloir passer à la vitesse supérieure. Comme s’il avait changé le moteur du groupe et qu’en plus il avait mis un tigre dans le moteur.

 

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Le tigre s’appelle Frank. Frank le cogneur des basses œuvres, Frankie Teardrop le pulseur invétéré, Frank le pétaradeur impénitent, Frank l’empêcheur de tourner en rond, Frank le repousseur de retranchements. Tapis à l’affût derrière ses fûts, il guette le signal. Une fois lancé, rien ne pourrait plus l’arrêter. Il est le Jean Gabin du beat, c’est lui qui conduit la loco. Il rebondit sur son tabouret. Tout bouge, ses jambes, sa chaîne, ses bottes, ses bras, tout ! Il impulse une énergie considérable au trio. Du coup, on le sent vrombir. Ça cliquette dans la culbute. Ça ronfle sous les mesures. Ça tempête dans le tempo. Ça vroarme dans les couplets. Ça rugit sous le capot du vieux rockab qui ne demande qu’à foncer dans le prochain platane. Frank shoote une méchante dose de speed-swing dans le cul ridé du vieux rockab qui du coup retrouve son teint de vampire. Ça n’a l’air de rien comme ça, mais sans l’immanence de son parfum de folie, le rockab redevient vite classique et on bâille aux corneilles, au risque de se décrocher la mâchoire. Ce n’est pas l’agilité des musiciens qui fait la grandeur du genre, c’est l’inhérence de sa folie. Les petits péquenots qui sortaient des champs du Deep South pour entrer dans des studios d’enregistrement n’étaient pas des premiers de la classe, au contraire. Carl Perkins et ses frangins buvaient leur mauvais whisky au goulot avant de commencer à enregistrer et Sam Phillips les laissait faire, car il savait qu’une fois pétés, ces bouseux allaient jouer comme des dieux. On retrouve cette folie dans les premiers tirs de Johnny et Dorsey Burnette, et dans «Love Me» de The Phantom. On la retrouve aussi chez cet énervé de Bobby Dean quand il claque «Just Go Wild Over Rock’n’Roll», chez Bill Allen, bien sûr, quand il embarque «Please Gimme Something» au paradis de la pure insanité cavalante. Chez Vince Maloy aussi, quand il nous met au tapis avec «Hubba Hubba Ding Ding». Il faudrait aussi citer Rick Cartey, Benny Ingram et tous les autres soiffards qui ont secoué les colonnes du temple. Frank ne boit plus depuis longtemps, mais il a compris ça : pour jouer cette musique, il faut savoir apporter autre chose que de la simple technique. Il faut amener l’énergie du diable.

 

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Il a joué pendant longtemps dans des groupes de rock et écumé l’underground rouennais. Souvent en trio, puis dans les Nuts, un groupe de reprises qui ne se mouchait pas avec le dos de la cuillère puisqu’ils tapaient dans les classiques des Saints, de Frank Black, de Stiff Little Fingers, des Heartbreakers, des Flamin’ Groovies et d’autres cocos du même acabit. Il y avait dans ce groupe un excellent chanteur qui pouvait devenir un screamer fou et qui n’était autre que l’ex-chanteur du Big City Gang (l’un des deux groupes phares de la scène rouennaise des années soixante-dix). Frank arrivait torse nu sur scène quand les Nuts jouaient en concert et il poussait les hurlements de la crypte pendant les solos de guitare. Il amenait au groupe ce que les Anglais appellent la powerhouse. Il cognait tellement que les autres devaient monter leur volume s’ils voulaient s’entendre jouer. Ce sont des dynamiques internes dangereuses pour les tympans, mais le résultat était particulièrement excitant. Le plus beau cadeau qu’il fit aux Nuts fut de proposer une reprise de «Five Years Ahead Of My Time» des Third Bardo. Il la chantait en battant le beurre. Il avait pour ce classique garage jadis repris par les Cramps une affection particulière et il en hoquetait une version hantée aux accents particulièrement menaçants.

 

Frank fait partie des esprits éclairés et curieux qui vont fouiner partout. Il vous fera l’éloge du parolier Lemmy et avouera vouer un culte à Johnny Cash. Il peut passer de Rose Tattoo à Hank Williams, de Johnny Kidd aux Ramones, pas de problème, du moment qu’il se passe des choses intéressantes sur leurs disques.

 

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Et puis un jour, il en a eu marre de jouer ici et là. Il prit alors la décision de revenir aux sources, c’est-à-dire au rockab. Rien de tel qu’un son de stand-up. Rien de tel qu’un classique de Carl Perkins ou de Johnny Powers. Mais ce n’est pas toujours simple de rentrer dans un groupe de rockab. Les gens qui savent le jouer constituent une véritable élite. C’est un style qui ne supporte pas l’amateurisme, et encore moins l’approximation. Jouer du rockab, c’est une fin en soi. Pas question de faire les choses à moitié. Et puis il y a le look. On ne fait pas n’importe quoi. On affiche sa passion clairement. On se coiffe comme ci et pas comme ça. Le rockab est un genre tellement puissant qu’il a survécu à toutes les modes et à tous les coups de laminoir, à toutes les tentatives de récupération et à toutes les dérives. Voilà en gros tout ce qu’on comprend quand on voit un groupe comme le Blue Tears Trio sur scène.

 

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Didier joue sur une Gretsch solid-body verte. Dès le deuxième morceau du set, il tire l’overdrive avec «You Can Do No Wrong» de Carl Perkins, l’un des morceaux les plus harcelants de l’histoire du rock à cause de son riff obsessionnel qui nous faisait crier au génie à l’époque où on écoutait nos vieux coffrets Sun. Il est dessus, il l’embarque au chant et le riffe inlassablement, pulsé dans le dos par le rumble diabolique de la stand-up d’Aymé et par le hit-and-crash incessant d’un Frank ramassé sur ses fûts comme un boxeur impitoyable. Le ton est donné. Ils vont enchaîner une quarantaine de standards sans faiblir. Ils envoient rouler dans nos escarcelles deux reprises d’Eddie Cochran, «Baby Baby» et «Twenty Flight Rock» qui grâce à la rythmique sur-puissante prend une sorte de nouvel essor. Pourtant connu comme le loup blanc, le classique de Cochran sonne comme un sou neuf et nous cueille au menton. Rien de tel qu’une reprise inspirée pour nous faire retrouver la foi. Au fil des morceaux, on colle toujours mieux au set, à cause de l’épouvantable swing qui s’en dégage. Tout le monde sautille, comme dans un club de jazz à la Nouvelle Orleans, ça nous swingue tellement l’occiput qu’on donne carte blanche à nos épaules et à tout le reste. Sur scène ça swingue tellement que les mains de Didier sautent en rythme sur le beat. Ses tours de notes, ses carillons d’arpèges, ses courses de manche sautent sur le grill du beat, on voit sa main droite swinger les cordes comme s’il les frappait plutôt que de les plaquer. Tout semble possédé, même le chant, secoué et porté par la débauche cavalante. C’est swingué jusqu’à l’os du beat, surtout quand ils tapent dans les vieux classiques du doo-wop comme «She’s The Most» des Five Keys. Ils perdent complètement le contrôle du morceau et le swing les tient. Stupéfiant !

 

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On voit rarement des groupes swinguer ainsi. Leur reprise de «Let’s Flat Get it» (Danny Wolfe) reste dans cette veine sublime. Ils balancent aussi une belle reprise de «Domino», ce gros hit mythologique composé par Sam Phillips pour son poulain Roy Orbison. Solides reprises du «Little Pig» de Dale Hawkins, du «Hot Water» de Big Sandy, de «Crazy Crazy Lovin’» de Johnny Carroll et overdose de swing pour le «Sneaky Pete» de Sonny Fisher. Même les poutres noires du plafond semblaient bouger. Impossible de résister à des telles bousculades émotionnelles. Le swing du rockab est le rythme naturel des blancs, comme le boogie est le rythme naturel des noirs. Un blanc ne saura jamais danser sur un boogie, mais il sentira son corps bouger en harmonie avec le swing du rockab. Histoire d’échapper à la routine, Didier lance une version bien speedée du «Cruising» de Gene Vincent et hop tout le monde part ventre à terre à travers les plaines du vieux far-west de fête foraine. Version épaisse et diablement inspirée de «Roll Over Beethoven». C’est un morceau cousu de fil blanc qu’on ne supportait plus d’entendre dans les seventies à cause des Stones et de tous les groupes anglais qui reprenaient Chuck Berry sur scène, mais là, dans ce contexte si particulier, ça passait comme une lettre à la poste, car les gens qui ne sont pas forcément des spécialistes retrouvaient leurs repères. Les filles (qui sont toujours plus expressives dans un public que les garçons) appréciaient particulièrement ce bon vieux Beethoven puisqu’elles tapaient des mains et sautillaient comme les folles du pavillon des sauteuses de Sainte-Anne. Reprise inspirée du grand classique d’Hank Williams, «I’m So Lonesome» et d’un autre cut de Roy Orbison, «You’re My Baby». Swing mortel avec le riff de «All I Can Do Is Cry» de Wayne Walker, monté une fois de plus sur un beau beat tagaga qui ne plaisante pas. Le point fort du set est leur reprise du «Ice Cold» des Restless, combo de vétérans britanniques qu’on a vu jouer à Béthune cet été. «Ice Cold» est l’achétype du rockab moderne ensorcelant et secoué de l’intérieur par une sorte de syncope obsédante. C’est gratté jusqu’à l’os du swing et ça vous poursuit jusque dans votre sommeil. C’est l’un des morceaux qui illustre parfaitement cette désinvolture rockab de nuque rasée et de pas chaloupés qu’on ne voit pas ailleurs, cette classe innée du coup de peigne et du pli cassé sur la chaussure, ce dandysme de dos carré et de masculinité rock qui méprise le machisme, ce soin identitaire qui réfute toute forme de compromission et qui laisse la médiocrité à ceux que ça intéresse. «Ice Cold» dit la classe rockab mieux qu’aucun autre classique.

 

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Ils ont bouclé leur set avec deux petites bombes : «Long Blond Hair» de Johnny Powers et «Flying Saucer Rock’n’Roll» de Billy Lee Riley. On sentait qu’ils puisaient dans leurs réserves d’énergie, car ils nous secouaient la paillasse depuis pas loin de deux heures.

 

Un vent glacial venu de la mer soufflait sur les rues du Havre. Il emporta les fumées qu’on dégageait et nous ramena illico aux dures réalités de l’hiver normand.

 

 

Signé : Cazengler, tear au flanc.

 

 

Blue Tears Trio. American Car Festival. Ecquevilly (78). 15 septembre 2013

 

Blue Tears Trio. McDaid’s (Le Havre). 13 décembre 2013

Photos Cat Zengler et Gisèle sur le facebook de Blue Tears Trio


 

 

 

HAWKWIND / LA SAGA

 

 

CAROL CLERK

 

 

( Traduction : PATRICK CAZENGLER )

 

 

( CAMION BLANC / Mars 2013 )

 

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L'on ne parle plus beaucoup d'Hawkwind dans les milieux du rock français. Des années que le nom ne m'est pas apparu au hasard d'une conversation. Et pourtant les discussions sur le rock, c'est ma tasse de sky. Hawkwind, c'était un nom au début des années soixante-dix ! Le genre de groupe qui attirait la sympathie d'à peu près tout le monde. Nombreuses sont les chapelles rock et en ces temps lointains Hawkwind faisait l'unanimité autant chez les partisans d'un rock'n'roll dur et violent que chez les adeptes des plus marécageuses planeries progressives.

 

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2000 Light Years From Home. Ce n'est pas le morceau le plus connu des Stones. C'est pourtant le plus réussi de ce qui dès le mois de décembre 1967 fut considéré comme la première et la plus magnifique plantade des Rolling, leur sixième 33 Tours , Their Satanic Majesties Request. Tellement foireux que l'on ne leur donnait quitus que de la pochette, en quadricolor tridimensionnelle, SVP.

 

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Il y avait dans ces deux mille années lumières comme une pré-référence au 2001 Odyssée de l'Espace de Kubrick en fin de production. Quatre minutes de glissade éternelle au fond du cosmos. Les Pierres Roulantes reconnurent très vite qu'elle n'étaient pas les mieux douées pour les voyages interstellaires et rangèrent leur 2000 Ligth Years From Home sur le rayonnages des curiosités incongrues et retournèrent se colleter avec la boue du delta originel qu'ils s'empressèrent d'épaissir dans les albums suivants.

 

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Hawkind ce n'est pas autre chose que 2000 Light Years From Home. A une différence près. Pour explorer l'espace incommensurable les Stones s'étaient munis de que l'on trouvait de mieux à l'époque, à peu près l'équivalent musical d'une capsule Nasale et Géminique , un engin rudimentaire propulsé par la force centrifuge développée par un pédalo, Hawkwind avait anticipé, s'était construit le vaisseau amiral de l'Empire Contre-Attaque et il traversait les solitudes intersidérales à la vitesse de l'éclair. Jumpin' Jack Flash en quelque sorte. Un boucan d'enfer. Une forge de titans. Le beat primordial du rock'n'roll diddleyen accéléré et augmenté d'un tintamarre cyclopéen. Une dévastation généralisée. Une calamité excrémentielle tout droit sortie de la caverne des Enfers, une expectoration sacrificielle à la face de l'univers. Inutile de vous boucher les oreilles, la fureur d'Hawkwind triomphait de tous les blindages. En ces mêmes temporalités, Blue Cheer, Led Zeppe et quelques autres mettaient au poing la recette du heavy hard rock à partir d'élémentaires riffs de blues montés en sauce. Hawkwind fondait sa cuisine sur les déplacements tectoniques des affluents sonores. Vous étiez déjà sourds avant d'entendre. Pour les yeux il vous martelait sur la gueule des stroboscopes spiralés qui vous cisaillaient les rétines.

 

 

Et puis peu à peu, le vaisseau d'Hawkwind a quitté le firmament des rockers. Parti sur d'autres planètes. Passé de monde et de mode. De temps en temps une brève dans un magazine et puis plus rien... Jusqu'à ce pavé de 787 pages qui retrace l'histoire chronologique du combo en donnant la parole à la quarantaine de protagonistes qui firent partie de son incroyable odyssée. Pas d'interviews géantes mais un montage de répliques qui se répondent, s'opposent, s'accusent, s'agressent et parfois même se congratulent ( si, si, ça arrive ), langue de pute mais pas de bois. Carol Clerk ne prend jamais parti. Elle laisse dire. L'on ne se passe rien mais le plus incroyable c'est que ça ne dégénère pas en pipi de chat. Pas plus que les vérités, les mensonges ne sont jamais faciles à dire. Les égos et les rancoeurs s'entrechoquent, mais le plus grand gagnant de ces escrimes oratoires restent l'entité Hawkwind qui transcende toutes les contradictions.

 

 

GENESE ANGLAISE

 

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L'histoire commence tôt. Avant même les fameuses sixties puisque en 1959 Dave Brock, le futur leader d'Hawkwind joue du banjo dans son premier groupe de... jazz ! Préhistoire du rock british. Partis du jazz-trad, une large fraction des musiciens anglais se dirigent vers le rock en faisant le détour par le blues. Dave Brock rencontre Eric Clapton et Keith Relf en train de monter les Yardbirds... mais la gloire ne viendra pas aussi vite que pour ces deux oiseaux. Quatre ans plus tard, Dave en est à son énième groupe... l'a parcouru l'Angleterre en long, en large et en travers mais il n'a pas encore trouvé la formule magique. Se tient trop près du blues.

 

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Faudra attendre l'arrivée de Nick Turner. Un cheminement sensiblement identique à celui de Dave, mais Nick est plus intello. Il lit, voyage, joue du saxo, traverse les termitières mods, rockers, bikers, et finit par s'ancrer dans ce que l'on appellera plus tard le mouvement hippies lui-même enté sur l'explosion psychédélique hendrixienne... Il s'agit d'ouvrir toutes les portes, celles du cerveau et de la musique. Drogues et ivresses diverses seront nécessaires pour dynamiter les anciennes idées, les vieux réflexes, pour établir de nouvelles relations entre les individus, pour changer la vie et la musique.

 

 

Dave Brock and Nick Turner se retrouvent au même confluent. Avec leurs potes respectifs ils forment le Group X qui deviendra Hawkwind. L'enjeu n'est pas de composer des morceaux de musique calibrés à la perfection, mais de se mouvoir parmi des suites infinies d'explosions sonores et d'incroyables circonvolutions soniques. Nick n'est pas un virtuose du sax mais il souffle fort et se démène comme un fou, Dave ne se contente pas de jouer de la guitare, il jongle avec les pédales et bidouille les sons sur les premiers appareillages électroniques...

 

 

ENERGIE PHILOSOPHIQUE

 

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Certains compareront les premiers disques d'Hawkwind avec le Atom Mother Heart des Pink Floyd – cela m'étonne - mais question vache les membres de l'Hawkwind ont surtout bouffé de l'enragée. Ont traversé dix ans de galère à jouer dans la rue, à pioncer sur le parquet des copains, à participer à des festivals gratuits, à donner des concerts pour toutes les causes perdues... n'en ont tiré aucune amertume. Ils y ont même puisé l'énergie des idéaux déçus que l'on ne remet jamais en question et que l'on poursuit jusqu'au bout.

 

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Hawkwind n'est pas un groupe-marketing. S'est développé sur le terrain de la culture hippie anglaise. Dès qu'il apparaît le groupe trouve son public de fans qui le soutiendra envers et contre tout. En contrepartie Hawkwind leur apporte son énergie électrique. Très vite pour ne pas se répéter le groupe ne se contentera pas de balancer un rock primal, il l'étoffera de tout un arrière-plan philosopho-poétique à base de science-fiction et d'utopie psychédélique. Les titres des albums parlent d'eux-mêmes, In Search of Space ( 1971 ), Space Ritual Alive ( 1973 ), Warrior on the Edge of Time ( 1975 ).

 

 

LA TRILATERALE

 

 

Deux têtes pensantes dans un groupe, c'est une de trop. Avant de simplifier le problème, l'on commence par le complexifier. Vont en rajouter une troisième. Un peu particulière parce que Lemmy Kilmister c'est un peu comme ces torses sans chef que Rodin se plaisait à modeler dans la glaise et l'airain. Puissance virile brute éloignée des finasseries intellectuelles. L'abstraction absconse ce n'est pas le fort de Lemmy. Plutôt du genre à faire main basse sur les viles concrétudes charnelles. Adaptez un réacteur de 747 sur votre mobylette et venez m'en dire des nouvelles. Doté de cette arme de destruction massive, Hawkwind pète le feu et monte au zénith de sa puissance. Mais Lemmy partira au bout de deux ans fonder Mötorhead.

 

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Pas de son propre gré. Mais pas contre son gré non plus. Ne nous attardons pas sur son cas. L'homme a de la ressource. S'en remettra comme d'un simple rhume. Entre Nick et Dave rien ne va plus. Rien ne va depuis le début. Dave est le chef et Nick l'inspirateur. L'on peut changer de navigateur mais pas de capitaine. Seul maître à bord, par définition. Une lutte sourde, un conflit larvé s'installe entre les deux hommes. Qui se répercutera parmi le reste du groupe, techniciens, roadies, musiciens, entourages...

 

 

Dave tient les comptes et selon certains il s'en tire à bon compte... Des divergences musicales s'affirment. La valse des musiciens ne fait que commencer. Du jour au lendemain, sans préavis l'on est remercié, en 1976 Nick Turner est débarqué...

 

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SURVIVOR

 

 

Hawkwind semble touché au coeur mais l'astronef continue sa course. L'on joue toujours aussi fort, mais pas tout à fait la même musique. Beaucoup plus de clavier, beaucoup plus d'électronique, les morceaux sont mis en scène, interprétés, mimés, parfois l'on a droit à de véritables spectacles, à des spaces opera avec danseurs, chanteuses, costumes, light-shows de plus en plus sophistiqués... Le groupe caméléon change de nom comme de cordes de guitares. Certaines années sont bonnes, d'autres moins...

 

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Des périodes creuses, mais tous les deux ans Hawkwind parvient à rebondir et à rétablir l'unanimité sur ses prestations scéniques. Le groupe est fécond, il use les musiciens, les presse comme des éponges et les rejette sans pitié, mais beaucoup reviennent, même ceux qui avaient juré de ne jamais remettre les pieds à bord....

 

 

D'anciens membres se retrouvent dans Space Ritual, un groupe encore plus Hawkwind qu-Hawkwind... certains fans le jugent plus authentique mais le centre de gravité attractif de la mouvance Hawkwind reste bien le vieux bâtiment du pirate Dave Brooks.

 

 

DARK SIDE

 

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Les récriminations ne manquent pas. Dispute sur les contrats, les royalties, les accréditations sur les morceaux. Votre idéalisme risque d'en prendre un coup. Signer un contrat est facile, le respecter, le faire respecter, beaucoup moins évident... Mais décomptes et déboires exposés ne nuisent en rien à l'intérêt du récit. Il suffit de ne pas prendre parti et de s'amuser à voir le noeud de vipères s'exaspérer. Un seul conseil, si vous y mettez la main, tous ces reptiles seront d'accord pour vous piquer. Votre pognon.

 

 

SECOND LIFE

 

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La saga d'Hawkwind en cache une autre, comme la forêt derrière le baobab, celle du mouvement des festivals gratuits, l'utohippiepie dans toute sa grandeur. Une dimension que la France n'a guère connue. Ou si peu, dans les seventies, mais entachée d'idéologie gauchiste. Rien à voir avec nos entrées en force dans les concerts. In England, toute une frange de la population qui vit en marge se retrouve et se regroupe régulièrement lors de manifestations libres et gratuites - le do It Yourself des punks n'est pas né ex-nihilo – des chevelus, des crasseux, des paumés, des rêveurs, des utopistes, qui se déplacent en bus et véhicules communautaires. Ca boit et ça se drogue. Des marginaux et des apôtres du New Age. Des adorateurs de la Mère Nature et du Soleil qui se donnent rendez-vous chaque année sur le signe mégalithique de Stonehenge pour fêter le solstice du Sol Invictus.

 

 

Toute cette sympathique mouvance traverse allègrement la septième décennie du siècle mais avec l'arrivée du libéralisme tatchérien dans les eighties les contrôles policiers deviennent de plus en plus tatillons et draconiens. Jusqu'à ce mois de juin 1985 où la police charge violemment la foule qui se dirige vers le l'arène des pierres dressées, casse systématiquement les pare-brises des véhicules, matraque femmes et enfants... La fin d'une époque. Le fric roi. L'interdiction des festivals gratuits.

 

 

RESISTANCE?

 

 

Cette interdiction peu démocratique – un peu tache d'huile et de sang – fut levée dans les années 90. Mais la police usa d'autres subterfuges – aussi violents mais plus subtils – afin de détruire de l'intérieur ces grandes fêtes anarcho-païennes. L'héroïne fut au mouvement hippie ce que l'introduction de l'alcool – l'eau de feu dévastatrice – fut aux tribus indiennes. La violence et le vol importés par des provocateurs se répandirent comme traînées de poudres dans les campements des babas pacifiques... Hawkwind contourna le problème en délivrant à ses fans passeports qui leur permettaient de se retrouver entre connaissances en des lieux beaucoup plus propices et sécurisés à de longues méditations musicales...

 

 

A chacun, sa réserve de survie. Les policiers se frottent les mains, ils possèdent la liste des participants. La liberté sous contrôle d'identité. Les utopies se rabotent aussi facilement que les planches des cercueils.

 

 

SURVIVOR II

 

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Hawkwind a survécu jusqu'à nos jours même si le livre de Carol Clerk paru en 2004 en Angleterre ne dépasse pas l'année 2005. Sa violence musicale a permis au tyrannosaure hawkwindien d'être avec les Stones le seul survivant de l'ère dinosauriale. Les punks l'ont, pour cette brutalité revendiquée, sans souci placé dans la lignée de leurs grands ancêtres, plus tard les aficionados des rave-parties, house-music et dance music, le révérèrent pour ses rythmiques hynoptico-électroniques. Jusqu'où est-on responsable de ses propres enfants ?

 

 

Hawkwind assome. Hawkwind assume.

 

 

POST-SCRIPTUM

 

 

C'est le premier livre de Carol Clerk que nous chroniquons, décédée en 2010, elle reste une des grandes plumes britanniques de l'écriture rock. Sans doute la recroiserons-nous en de futures kronics. Elle sut être dans sa vie comme dans ses livres, belle et authentiquement rock'n'roll. Raucous girl.

 

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787 pages ! Autant dire que je n'ai fait que survoler le paquebot. A peine esquissé le portrait de trois musiciens alors que le livre s'étend assez longuement sur la biographie d'une soixantaine de personnages. Peut-être vous moquez-vous d'Hawkwind comme de votre première chaussette ( qui était un chausson rose ), lisez tout de même le book. En le parcourant c'est toute une tranche du rock anglais que vous traverserez. Il constituera un indispensable et considérable additif à L'Histoire de l'Underground Londonien de Barry Miles que nous avons chroniqué dans notre livraison N° 96 du 03 / 05 / 2012.

 

 

 

Et surtout, Mister Cat Zengler, chapeau pour la traduction ! Quelle clarté ! Quelle aisance ! Ca se boit comme du petit sky !

 

 

Damie Chad.

 

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