31/10/2012
KR'TNT ! ¤ 116. RINGOLEVIO / HOWLIN JAWS / GHOST HIGHWAY .
KR'TNT ! ¤ 116
KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME
A ROCK LIT PRODUCTION
01 / 11 / 2012
RINGOLEVIO / HOWLIN JAWS / GHOST HIGHWAY
RINGOLEVIO
EMMETT GROGAN
Editions J’AI LU. 1974
Un livre culte. De la mouvance hippie, mais attention ne croyez pas que vous allez regarder pousser les petites fleurs et psalmodier love and peace en attendant que les flics vos shampouinent la calebasse à coups de matraques. Vous vous trompez de film, vous êtes dans l’autre Amérique, celle de la débrouille et de la survie coûte que coûte, celle d’après la grande crise et de l’après-guerre. Mais les raisins de la colère sont toujours aussi aigres et difficiles à avaler.
LE JEU DE LA MORT
Le livre débute en 1956 - l’année mythique du rock and roll même si dans toute la première partie l’on ne verra cité qu’un seul des grands rockers, Buddy Holly, très incidemment - du côté de Brooklyn et de l’East End - pas tout à fait les quartiers résidentiels de New York. Par là-bas les gamins ne jouent pas au train électrique, préfèrent s’adonner aux saines joies du Ringolevio. C’est un jeu rigolo. Tous les coups sont permis. Surtout les plus foireux, surtout les plus retors. C’est un peu comme les gendarmes et les voleurs, mais il n’y a pas de gendarmes. Deux équipes de voleurs - les blancs et les noirs, les couleurs ne sont pas symboliques - qui jouent en vrai, dans un espace de rues délimité, faut s’attraper et se délivrer.
Aujourd’hui c’est la finale. Les deux meilleures teams de la Big Apple. De l’argent en jeu ( jamais l’expression n’a été aussi juste ), des parieurs, des spectateurs, la fête. Sauf que le grain de sable survient au moment le plus palpitant. Des granules gros comme des balles de revolvers tirés par un cochon pas rose du tout. Un bestiau de flic qui se prend pour un gendarme et qui abat deux gamins en train de courir. En langage de flic on traduit qui s’enfuient après un mauvais coup. Erreur dramatique qui va lui coûter la vie car la loi de la rue ne pardonne pas.
Kenny Wisdom, le chef des Tout-Atouts - n’a que douze ans mais il vient de recevoir le baptême du feu de la vie. Ringolevio raconte la suite de ses aventures.
LES AVENTURES DE KENNY WISDOM
Pour les amateurs de littérature américaine, elles ne sont pas tout à fait du même naïf tonneau que celles d’Huckleberry Finn. Le piège se refermera très vite sur lui. A peine sorti de l’enterrement de son rival, néanmoins ami, noir - Kenny Wisdom a décidemment le goût des fréquentations douteuses - le voici qui se pâme d’amour pour une belle héroïne. Piqué - non pas en plein cœur - mais en pleine veine - est-ce vraiment son jour de chance ? Restera accroché à sa seringue deux longues années. Avec tout ce qui s’en suit. Accoutumance, manque, vols, trafics et tout le bataclan. Heureusement la police veille.
Une véritable mère poule(t) qui lui fournit gratuitement une cure de désintoxication par le vide qu’il n’avait jamais demandée. On l’a jeté en prison pour adulte, sa grande taille et ses fausses déclarations lui ont permis d’échapper au bagne des écoles de redressement pour enfants, on le laissera sortir sans procès malgré son arrestation pour hold up foireux à main armée, à condition de ne pas porter plainte pour avoir été enfermé lui le pauvre petit mineur innocent chez les grands méchants loups. Comme quoi quand la justice s’excuse, c’est qu’elle s’accuse.
Un bienfait n’arrivant jamais seul, le voici placé par les autorités compétentes dans un lycée d’élite fréquentée par la jeune bourgeoisie new yorkaise. On ne lui enseigne pas la pensée de Karl Marx mais il en retrouve très vite les fondements. Celle de l’existence antagonique de deux classes que tout oppose. Les pauvres et les riches. N’imaginez point qu’il est la risée de son collège. A su se faire respecter et admettre. Raccompagne même ses copines le soir chez elles.
SUITE ET FIN
Faut pas non plus jouer au cave. Pour tout ce qui suit le KR’TNTreader est à même de se demander si l’auteur respecte le pacte autobiographique selon lequel il nous a juré en une très courte note introductive de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Nous nous contenterons de dire qu’il existe des mensonges phantasmatiques nécessaires à l’expression de la vérité symbolique du réel.
Les amateurs d’Arsène Lupin seront ravis. Dans le home des copines en vacances notre héros rafle les bijoux de famille et perce les coffres-forts sans efforts. Pas de trace, pas d’effraction, de la belle ouvrage. Le gentleman de la cambriole. Amasse un petit magot en toute impunité. Les flics sur les dents en perdent leurs dentiers. Les pros de la maffia ne tardent pas à découvrir le nom de de ce rifle-tout un peu trop gourmand. C’est sur un paquebot à moteur que Kenny Wisdom met les voiles vers le vieux continent.
L’emporte ses dollars et son début d’éthique personnelle qu’il peaufinera tout le long de son voyage initiatique en Europe. Ne fera jamais partie de la pègre. Ne fait que récupérer ce qui est à lui. Ne se définit pas comme un anarchiste individualiste mais il adopte les principes de base de cette idéologie practisante.
EUROPEAN ( RE)TOUR
Comme tout jeune américain qui se respecte Kenny est venu parfaire sa culture. Finira même à Rome par écrire des articles théoriques sur le théâtre et même une pièce. Littérature underground certes, mais Kenny ne vise ni la célébrité, ni l’argent. S’intéresse aux filles, à la politique à toutes les pratiques déviantes d’une intelligentsia informelle et quasi clandestine qui s’essaient à de nouvelles formes de relations sociales et de vie. La police est partout des Pays-Bas à l’Italie en passant par l‘Irlande, Kenny se faufile à diverses reprises entre les mailles du filet qui se referment à plusieurs fois sur lui. Fin novembre 1965, Kenny rentre chez lui. Pratiquement sans un sou en poche mais la tête pleine. S’est trouvé, durant son périple il a renoué avec le souvenir de son grand-père syndicaliste qui s’était coltiné toutes les grèves dures de la première partie du siècle. A acquis les grands principes de base de sa future action : faire, refaire et se taire.
A peine à New York, l’Armée se rappelle à ses bons souvenirs. Kenny expérimente ses premiers trips, mais c’est dans l’asile psychiatrique dans lequel il tente d’échapper au service militaire qu’il subit sa nouvelle mue. Lorsqu’il parvient à se faire relâcher, il ne s’appelle plus Kenny Dismey, il a choisi son nom de guerre : Emmett Grogan.
DIGGER
Les temps ont changé, la guerre au Viet-Nam s’intensifie, en Californie toute une jeunesse s’oppose à la conscription de plus en plus massive. Pacifiquement. Emmett regarde plutôt du côté des noirs qui déclenchent des émeutes de grande violence. Sauvagement réprimées par la police mais de plus en plus efficaces quant à leur retentissement international…
Peace and Love d’un côté, war to Babylone de l’autre. Les flics au milieu prêts à taper sur tout ce qui bouge. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils usent davantage du revolver que du gourdin. Possèdent aussi une arme blanche imparable, la Justice qui se hâte de condamner tous ceux qu’ils n’ont pas pu abattre.
Emmett Grogan se lance dans l’agit-prop, théâtre de mime dans la rue afin de réveiller les consciences, mais ce genre d’opérations trop intellectuelles ne saurait satisfaire notre activiste. Cherche le truc qui catalyserait les énergies, qui permettrait de faire se rencontrer la jeunesse révoltée issue très souvent de la bourgeoisie avec les couches les plus pauvres du prolétariat.
C’est à San Francisco qu’il trouve le lieu et la formule. Nourrira les pauvres. Gratuitement. Ne pas confondre avec Mère Thérésa. La nourriture sera récupérée sur les marchés mais aussi et surtout volée. L’idée directrice est simple. Prenez, puisque c’est à vous. Sur le même modèle se montera le premier magasin libre. Vous choisissez sur les rayons, vous repartez chez vous. L’on ne vous demande ni d’échanger, ni une contribution minime. Vous vous servez selon vos besoins.
Emmett s’inspire des Diggers anglais, ces crève-la-faim britanniques fatigués des promesses des autorités qui sous Cromwell s’étaient emparés de terres en déshérence qu’ils avaient travaillées et revalorisées. En deux ans les Diggers avaient conquis une insupportable autonomie économique. Le pouvoir politique se dépêcha d’envoyer les troupes saccager les villages de ces communautés libres qui s’étaient en quelques mois séparés de sa tutelle. Un tel exemple était trop dangereux pour perdurer.
A la différence près que le Diggers de San Francisco ne produisent pas. Ils prélèvent et ils redistribuent des biens qui proviennent du Système Capitaliste qu’ils combattent. Il s’agirait plutôt d’une mise en pratique de la théorisation du Tas effectué par Kropotkine qu’Elmett ne cite jamais.
La police cherche à le mettre hors d’état de nuire. Mais c’est alors que se crée la légende du mythe d’Emmett Grogan qui ne serait personne, juste un nom qui désignerait tout le monde. Mais cet anonymat volera vite en éclats. Emmett se rend à New York et à Chicago pour expliquer le projet des diggers à de jeunes militants en manque d”expérimentation. Il sera vite accusé par ses amis de tirer la couverture à lui… Désormais rien ne sera plus comme avant.
D’autant plus que les évènements se précipitent. Une nouvelle race de commerçants font leur apparition. Ils désirent répondre à la demande qui se généralise : des centaines et puis des milliers de jeunes affluent vers San Francisco, contre espèce sonnante et trébuchante ils trouveront dans leurs boutiques la panoplie du parfait hippie… plus tard lorsque la municipalité excédée décidera d’un plan de réhabilitation des vieux quartiers, il apparaîtra que tous ces entrepreneurs en phase idéologique avec leur clientèle étaient de simples gérants mensualisés d’une grosse société aux mains d’un riche avocat. Preuve que le capital est capable de vous vendre la clochette à agiter pour signaler à l’entour votre connerie.
Ne pleurez pas sur ces pauvres petits jeunots qui se font avoir, Emmett ne se fait aucune illusion sur le devenir de ces jeunes révoltés qui reçoivent en sous-main les subsides de leurs parents, qu’ils rejoindront une fois l’été de l’amour terminé. Beaucoup plus grave, la distribution des repas gratuits qui étaient censés être un encouragement au vol et à la récupération personnelle n’encouragent trop souvent que l’indolence individuelle. L’on veut créer des outlaws et l’on récolte des assistés qui viennent à considérer l'aide qu'ils reçoivent comme un droit qui leur serait dû. La liberté des uns alimente l’auto-inféodation des autres au système honni.
Universitaires et intellectuels s’en donnent à cœur joie. Emmett ne décolère pas contre cette Nouvelle Gauche qui essaie de récupérer le mouvement à des fins étroitement politicardes. Il dénonce par exemple les outrances d’un Timothy Leary qui tout à son délire pro-LSD oublie la réalité des conditions de vie du peuple. L’est beaucoup plus soucieux du mouvement des Black Panthers qui après quelques dérives militaro-paranoïaque recentre son activité sur les quartiers. C’est lorsque les Black Panthers imposent aux propriétaires de chauffer les immeubles des quartiers noirs durant l’hiver que le FBI se mettra à abattre systématiquement les militants engagés en de telles batailles. Il est des limites, celles qui remettent en cause - d’une manière ou d’une autre - le droit sacro-saint de propriété, à ne pas franchir.
Le livre s’achève sur ce terrible constat des contradictions engendrées par les différentes formes de lutte contre le système capitaliste au cours des années soixante. Emmett Grogan avoue que l’époque n’en a résolu aucune.
ET LE ROCK’N’ROLL DANS TOUT CA ?
Bien sûr, le Gratefull Dead, Janis Joplin, Jimi Hendrix sont venus chanter dans les fêtes gratuites organisées par les Diggers, n’ont pas reçu un seul cent en échange, mais une des dernières scènes de Ringolevio se situe à Woodstock, Emmett discute avec Dylan - pour la petite histoire il est dans les chœurs de Mr Tambourine Man - qui ne cache pas qu’une de ses motivations reste bien le fric. Au moins celui-là ne fait pas semblant. Poursuit sa route en solitaire. En-dehors de toute moraline bien pensante.
C’est la grande leçon du ringolevio. Le jeu se joue à plusieurs, ne peut être gagné que par une équipe prête à en découdre, mais il ne faut pas se leurrer : au jour d’alors comme au jour d’aujourd’hui les indomptés sont toujours des solitaires. Des pistoleros de l’idéal social.
A la fin du bouquin après avoir traversé les USA à pied - un moyen comme un autre de mettre de la distance entre lui et les fascits pigs - réfugié dans une chambre de New York Grogan commence à écrire son livre. Nouvelle mue. Le serpent se mord la queue. Mais après la plus terrible des défaites l’on ne peut être trahi que par soi-même. C’est vraisemblablement pour exorciser une telle éventualité qu’Emmett Grogan prend la plume. Le rêve est mort mais le combat continue.
Le livre est écrit à la troisième personne. Le serpent change encore une fois de peau. Emmett Grogan ne connaît pas l’humilité, sa prose impeccable véhicule l’urgence du rock and roll et la nécessité de la révolte. Difficile de trouver mieux en ce bas-monde. Comme le criait en ces mêmes époques troublées Jim Morrison :
We want the world
And we want it
NOW !
Les diggers n’auront pas pioché que leurs propres tombes !
( Toutefois Emmett Grogan mourra victime d'une overdose en 1978 dans le métro de New York. )
Damie Chad
HOWLIN JAWS
VIDE GRENIER RETRO VINTAGE BY FIFTIES SOUND
NEXT TEP 11 Cours Delille 75 011 Paris / 21 / 10 / 2012 /
Damie Chad n’était pas là. Malgré tout et après maintes tergiversations, l’évènement a été maintenu. En l’absence de l’œil de lynx du rock’n'roll français, nous avons été envoyées sur place, embarrassées de toute notre inexpérience et un peu gênées de devoir remplacer, au pied levé, l’irremplaçable. Alors nous avons sorti le grand jeu, sommes venues à deux, avons débarqué à dix heures du matin et ne sommes parties qu’après avoir vérifié qu’il ne restait pas un seul centilitre de bière au bar. Avons même dressé un stand. Et pendant que ma coéquipière faisait diversion en tentant de refourguer toutes sortes d’objets vintage, j’ai tendu l’oreille et observé les lieux. Autant vous le dire tout de suite, l’intitulé était un peu trompeur, il ne s’agissait pas réellement d’une réunion d’amateur empilant avec tristesse leurs assiettes cassées ou les jouets précieusement conservés de leur bambin de trente-cinq ans. En réalité, les exposants étaient tous des professionnels, des chineurs, des fripiers, des spécialistes du vinyle d’occasion. Pas des brocanteurs de luxe, non, juste des arrondisseurs de fin de mois qui, tous, s’accordaient pour dire qu’ils venaient aux mensuels vides greniers organisés par fifties Sound plus pour l’ambiance que pour le chiffre d’affaire. Tous plutôt sympathiques. Au milieu des robes rockab’ et des miroirs années cinquante, Daniel. Daniel confectionne avec amour des lampes, de toutes tailles et à tous prix mais uniquement en vinyles d’époque. Je vous entends déjà pousser les hauts cris, pas d’inquiétude, Daniel ne torture que des vinyles rayés, il vous assure qu’aucun monument du rock’n roll mondial n’a été profané pour vous servir de lampe de chevet. Pouvez aller chez lui en toute confiance, il fait ça par passion et a même déposé son brevet. En plus, il revend des disques à trois euros.
Si je ne vous parle que de Daniel, c’est que le reste a beaucoup moins d’intérêt, sauf si vous avez une garde-robe années 50 à entretenir ou un studio-photo à redécorer. Bref, c’est un salon plus qu’un saloon, un endroit où l’on peut dépenser son argent, entre gens d’un même milieu. Chaque milieu a besoin de rassemblements identitaires mais bon, avions imaginé un peu plus de rock et un peu moins de fripes.
A dix-sept heures, arrivent les Howlin Jaws. Et là, la tension monte. Ils vont jouer et nous allons devoir reporter fidèlement, à Damie, tous leurs faits et gestes. En même temps, on est un peu soulagé, la musique reprend sa place, et on va pouvoir arrêter de compter le nombre de paires de santiags vendues par demi-heure. Ils sont trois, ils sont jeunes et complètement anachroniques. Sortent tout droit de la cuisse de Vince Taylor. Sourient à s’en faire péter les zygomatiques en se passant un dernier coup de peigne et semblent croire qu’à chaque seconde, une groupie déchaînée va jaillir du public pour leur arracher leur chemise. Bref, ils imitent à merveille la nonchalance hystérique et poseuse des rock stars de l’époque. Entre chaque morceau ils s’époumonent en « great idea », « let’s go », « super » et autres onomatopées destinées à ranimer une époque perdue, une jeunesse enthousiaste. Ils ne jouent que des classiques, vous font monter à bord de la Cadillac de Taylor, vous défrisent à grands coups de Lewis, vous titillent avec le grand Gene. Ok, ils font ça bien, ok, le chanteur, accroché à son énorme contre basse ne manque ni de présence ni d’entrain, ok le guitariste gère ses solos avec aisance et le batteur vous surprend d’adresse et de désinvolture mais ce n’était pas ce qu’il vous fallait. Vous auriez aimé que ce petit village d’irréductibles pacifiés et ne résistant pas vraiment à l’envahisseur passe enfin du côté noir de la force. Vous attendiez le back side du rock’n roll, vous espériez des bad boys plus que des play boys, des blousons noir, des mecs qui auraient fait déchirer leur tout nouveau perfecto à cette bande de consommateurs radieux. De Vincent, ils n’ont pris que l’aspect lisse, joyeux, ils ont oublié la noirceur, la fêlure, la révolte. Où est la sensualité féline, toxique ? Nos héros ne sont pas des chanteurs de charme, ils ne vous invitent pas dans leur Cadillac pour vous dire des poèmes, ils ont bien l’intention d’en salir les sièges.
Déçue ? Un peu. Les années cinquante ne sont pas, pour nous, un grand piquenique festif où l’on mange des hot dogs en imaginant sa prochaine coiffure. Même les plus belles villas cachent des fissures sous leur dernière couche de peinture. Espérons seulement qu’en dehors de ces petits meetings réguliers, certains laissent échapper un peu de cette colère qui, en contredisant une bonhommie de façade, fait toute la force du rock’n roll. Espérons encore que les Howlin Jaws, trouvent un moyen de détester leur époque en sentant toutes les contradictions de leurs idoles. Elvis est mort en se vidant sur ses toilettes, bouffi d’alcool et de beurre de cacahouète, essayez un peu de faire de ses dernières heures une pub pour la ricorée, vous verrez un peu ce qu’était vraiment le rock’n roll : un moyen comme les autres de twister envers et contre tout, de magnifier son désespoir, de feuler dans le bruit pour vaincre le silence.
O. Chad.
GHOST HIGHWAY
BAR SAINT VINCENT / 60 SAINT MAXIMIN / 27 /10 / 12
Les Ghost ! Tudieu on les a encore vus la semaine dernière ! En plus c'est au diable vauvert à presque deux heures de voiture. Mais les rockers voyez-vous c'est un peu comme les loups à l'appel de la bergerie. Sont incapables de résister, faut qu'ils aillent voir et entendre. C'est plus fort qu'eux. L'instinct du prédateur.
Bref nous voici sur la route. Again. Mister B. se démène contre le GPS qui refuse absolument de mémoriser la rue Dewaele qu'il vous affiche en grosses lettres. J'ai cru qu'il allait réduire la teuf-teuf mobile en miettes à force de se servir du capricieux mécanisme comme un objet contondant. La méthode s'est révélée efficace puisque sans préavis alors que de guerre lasse Mister B s'apprêtait à le jeter par la fenêtre une radieuse voix féminine s'est élevée dans le cocpick nous enjoignant de tourner à droite à deux kilomètres. Comme quoi avec les femmes...
L'on arrive juste en face de la crème des châteaux, celui de Chantilly, lorsque l'on nous fait signe de nous arrêter. Emmitouflé dans une épaisse moumoute recouverte de son gilet de sauvetage jaunâtre, un employé nous demande si l'on vient pour le concert. « Oui mais pas le vôtre – ça fait un moment que nous croisons de grosses berlines noires peuplées de queues de pie et de robes grands couturiers – nous c'est un concert de rock à Saint Maximin ! » Au sourire qu'il nous adresse et aux indications précises qu'il nous donne nous subodorons que chez lui il doit davantage écouter la disco des Stones que les Variations Golberg de Bach.
La porte du Saint Vincent s'ouvre pour nous accueillir. Le comptoir assiégé d'assoiffés, un chien blanc endormi sur une barrique, des vasques remplies de bouchons de liège, le mur de droite tapissé de bouteilles de vin, l'on ne ferait pas rentrer un centilitre de plus dans cette pièce. Pas un Ghost à l'horizon. Dans la deuxième salle en enfilade non plus. Tables de restauration et casiers muraux de chopines. Une symphonie en rouge de bordeaux et de bourgognes. Toujours pas un Ghost en vue ! Mais par la porte du fond nous percevons la basse de Zio, sauvés ! Beaucoup plus d'espace, une estrade dans le coin au fond, un deuxième bar sévèrement entouré sur notre droite. C'est là que nous retrouvons les Ghost au grand complet. Nous leur tournons le dos pour admirer l'oeuvre artistique et contemporaine contenue dans deux immenses vitrines : un subtil arrangement de bouteilles de whiskies méthodiquement entassées les unes sur les autres. Il est sûr que par ici Bacchus a noyé dans ses flots beaucoup plus d'hommes que Neptune...
Une grande bannière au-dessus de la scène : l'oriflamme du Chantilly Grand Condé Free Chapter de France, l'Association officielle Harley-Davidson pour la région Oise-Picardie-Paris-Région Parienne. Nous sommes chez les bikers. Ambiance sympathique et accueil chaleureux, plein de jolies filles dans tous les coins. Que peut demander de plus un rocker pour être heureux ? Un bon disque pour se réchauffer les oreilles ! Justement il y en a un qui passe, pas mal du tout ! Pardi c'est le CD des Ghost ! Des enfants se faufilent entre les groupes qui discutent. Je connais celui-ci, c'est Rockin' Raffi qui était au Salon Rock'n'Boogie du 29 septembre dernier. Pour de plus amples renseignements vous vous reporterez à notre cent-douzième livraison.
GHOST HIGHWAY
Les Ghost ont avalé leur repas chaud. Nous on n'a eu droit qu'à des sandwichs, succulents il faut l'avouer. La scène est peu pitchoune, Phil est relégué dans l'encoignure, les deux guitaristes par devant et Zio qui n'a pas dû finir sa soupe est privé de tribune, avec sa contrebasse il officiera à côté de l'estrade – pas très haute, mais suffisamment pour être dépassé d'une tête par ses compères.
Deux sets de dix-sept morceaux chacun séparés par un entracte sont prévus. Mise en voix sur les deux premiers morceaux. Les Ghost commencent toujours tranquilles. Mais faut pas être diplômé en électro-acoustique pour saisir la différence avec samedi dernier. Dans cet espace bas de plafond, plein comme un oeuf – ce n'est plus un bar à vin mais un bar à cent vingt – le son est beaucoup plus compact. Mister B ne sera pas d'accord avec moi lorsque je dirai qu'ils sonnent beaucoup plus soixante que cinquante même s'il reconnaîtra que ce soir les Ghost jouent plus serrés, plus incisifs sur les attaques.
Je ne sais pas si Arno a eu droit à une plus grosse portion de pâtes que les autres mais ce soir il chante comme un dieu. Une énergie de lion. Cassera quatre fois une corde, ne se retient plus, ne se sent plus, est emporté par une rage intérieure et impérieuse qui emporte tout et soulève l'enthousiasme du public. Zio rigole. Il passe son temps à cligner de l'oeil vers ses trois complices, un sourire épanoui éclaire son visage qui possède en plus le privilège d'être dans l'auréole d'un des rares spots du plafond resté allumé. Sa dégaine noire baignée de lumière jaune en est magnifiée. La double-basse est en pilotage automatique. Marche toute seule. Et pas à moitié, ronronne comme une horloge atomique around the rock. Elle chante plus qu'elle ne joue. Objets animés vous avez donc une âme !
Je change de place pour voir Phil sur Country Heroes. C'est le moment décisif du morceau, cette reprise pratiquement a capella, après les lyrics un peu lugubres de Jull, avec l'harmonica d'Arno en sourdine, et la mélodie sifflée par Phil, je ne sais comment il s'y prend mais il réussit toujours ces quinze secondes de pure merveille émotionnelle. Ca commence à chauffer dur sur Please don't leave, que la salle reprend en choeur, Arno, bon prince, se contente de tendre le micro. Heureusement que c'est un concert gratuit, sinon on aurait refusé de chanter pour ces feignasses. En plus Mister Jull abrège Goin' up the Country sans tambour ni trompette ( pour ce dernier instrument nous admettons ), il évite le lynchage en nous promettant qu'ils reviendront dans un petit moment.
ENTRACTE
Qui se prolonge. Mais comme chacun écluse consciencieusement et taille le bout de gras avec ses voisins personne ne vient s'en plaindre. Les bikers parlent motos, vous savez avec les bikers... les rockers causent de rock, vous savez avec les rockers... les propriétaires de chiens échangent sur les chiens, vous savez avec les amateurs de chiens... des gars gringuent les filles, vous savez avec les filles de maintenant... mais quel est ce doux son rock'n'rollien qui me vrille les tympans ? Ca vient du côté de la scène pourtant j'aperçois les Ghost qui tirent sur leurs tiges dans la cour. Cela mérite une enquête approfondie.
Elémentaire, chers amis des watts on electricity. C'est ce sale gamin de Rockin' Raffi qui a monté son piano portatif en douce et qui se la joue à la Jerry Lee Lewis. Commence tout seul dans son coin et finit entouré de toute l'assistance. Sa prestation au Rock'n'Boogie Salon ne m'avait pas convaincu. Mais là je réalise ce que je savais déjà. Comme le son était mauvais à Cergy-Pontoise ! Ici entre ses quatre murs, les notes sont comme arrondies et le pumpin' piano ne pompe pas notre patience. Galvanise plutôt notre énergie. Mais plus encore que l'instrument c'est la voix qui y gagne. Ne se perd pas, ne s'évapore pas, ne se féminise pas dans les aigus naturels de l'enfance, elle est comme toute gonflée de rage et de venin. Beaucoup plus crédible. Pas charmant, mais charmeur. En plus il aime cela. En rajoute à chaque fois une petite dernière. Et comme là-dessus tout le monde en redemande, finit par un tour de chant complet. Et quand il commence à vouloir débrancher sa locomotive Mister Jull le lui interdit en le retenant pour un petit Lewis Boogie pour le final du deuxième set.
DEUXIEME SET
Ah ! Ces enfoirés de Ghost. On les avait applaudis et suppliés à la fin du premier set. L'on pensait qu'ils avaient donné tout ce qu'ils avaient dans le ventre. Les traîtres, n'avaient même pas dépensé dix pour cent de leur avoir. Leur en restait des tonnes, mais là ils ont tout refilé par-dessus bord sans s'économiser. Z'ont été comme Churchil qui distribuait du sang, de la sueur et des larmes à son peuple. Nous ont administré la communion et l'extrême onction.
Un Gone, Gone, Gone échevelé, un Folsom Prison Blues à exiger que l'on vous enferme immédiatement et à perpétuité, un Female Hercules ( tiens-tiens un nouveau titre, avec Jull plus que percutant au chant ) à saillir toutes les minettes qui passent à votre portée, une incitation éhontée au stupre et à la pornographie, un re Please don't leave qui tourne à l'émeute, avec el nino Rapphi qui sur ordre exprès de Jull vient rajouter son piano-bastringue par-dessus la cohue qui s'ensuit. L'on pourrait développer chaque titre comme cela.
Préfère regarder les musicos. La slap-bass de Zio continue à tourner toute seule, mais cette fois-ci elle s'est métamorphosée en un quadrimoteur chargé de la bombe hydrogénique, mais c'est nous qui jouons le rôle d'Hiroshima, mon amour. La Gretch de Jull est devenue folle. L'on n'entend plus qu'elle, elle ronfle comme un aspirateur, crisse comme une ponceuse, tape comme un marteau piqueur, donne le rythme, l'arrête, le relance, le coupe en petits morceaux, le réduit en poussière, le remet sur pied. Ce n'est plus une guitare mais une danseuse qui grimpe au plafond et vous emmène cogner à la porte du paradis.
N'y a plus de public, qu'une masse informe virevoltante qui hurle si fort que parfois l'on n'entend plus les Ghost. Malgré les potentiomètres à fond. Phil abat ses baguettes comme des bruits de mitraillette. Frappe sur tout ce qui bouge, mais ça gigote dans tous les sens. Zio n'y tient plus. Il rejoint ses camarades sur la scène, tellement peu de place que l'on ne voit que la contrebasse qui tournoie par-dessus leurs têtes une dernière fois comme les pâles d'un hélicoptère que la mer finit d'engloutir. Un rappel, deux rappels. S'en sortiront pas comme cela. Sont comme des naufragés au milieu de l'océan réfugiés sur un glaçon en train de fondre et les requins qui ouvrent grand leur gueule tout autour. Hurlement de réprobation lorsqu'ils veulent s'arrêter. N'en peuvent plus, ne savent plus quoi faire. Rockin Rapphy sauve la sauce. Il entonne les premières mesures de What 'd I say et l'univers se remet à tanguer.
Le public se charge des choeurs au micros, Jull ramone le riff que Rockin Raffy emplit se suie, Zio ne tient plus debout. C'est la contrebasse qui le soutient, dans la cohue indescriptible qui s'agite devant moi je ne vois plus Phil, je discerne seulement ses pelletées de plus en plus lourdes sur les toms. Extase généralisée. Tout le monde est à bout de souffle. Epuisé, exténué. Mais heureux. Ghost Highway est allé jusqu'au bout de lui-même...
RETOUR SUR TERRE
L'on aura du mal à s'arracher. Retourner à la triste réalité du quotidien, non merci. L'alcool coule à flots et les disques de Ghost Highway se vendent comme des petits pains. Vite une dose de survie jusqu'au prochain concert.
Dans la teuf-teuf mobile, Mister B. résume la situation : « je ne regrette pas d'être venu, c'était encore plus rock'n'roll que la dernière fois ».
Damie Chad.
( Pour les images on a piqué les plus belles sur le site – qui vaut le détour - rockin.ricco.skyrock.com )
00:36 | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.