Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

16/09/2010

KR'TNT ¤ 10.

 

KR'TNT ¤ 10

ROCK'N'ROLL CLANDESTZINE FLYER / N° 10 / 02 / 12 / 2009

A ROCK-LIT PRODUCTION

 

VINCENT'S BLUES

 

A BIOGRAPHY OF GENE VINCENT

THE DAY THE WORLD TURNED BLUE. BRITT HAGARTHY.

262 pp. Blandford Press. 1983.

 

Avis au lecteur : des trois biographies américaines de Gene Vincent que nous avons chroniquées jusqu'à présent c'est celle qui présente le niveau de langue le plus facile, moins littéraire que celle de Suzan Vanecke, et moins idiomatique que celle de Steve Mandish. Un régal pour l'anglais incertain des pauvres froggies.

 

Passons sur la couverture qui nous offre un chromo bleuté de Gégêne en cuir noir du plus mauvais goût. Quelque chose qui rappellera aux plus anciens l'esthétique des images que l'on trouvait dans les années cinquante dans les tablettes du chocolat Suchard. C'est dire si c'est laid ! Par contre l'iconographie intérieure est bien plus précieuse avec notamment des photos vraisemblablement tirées de l'album de famille de Darlene Hicks... C'est que Britt Hagarty s'est livré à une longue enquête auprès de tous ceux qui ont de près ou de loin côtoyé Gene. Et le résultat de son travail est époustouflant et effrayant. Crazy, dirait Vincent. Durant des années j'ai feuilleté des dizaines d'articles sur Gene, depuis exactement ce trente 30 mars 1965, où je le vis et l'entendis pour la première fois chantant en direct de la Caverne de Liverpool dans l'émission télévisée Âge Tendre et Tête de bois « Spécial Rock ». Je croyais tout connaître de lui. Je pensais qu'il était le plus grand chanteur de rock'n'roll connu jusqu'à ce jour. Je me trompais. Gene Vincent fut, à lui tout seul par la démesure de son existence, le rock'n'roll. Sachez entrevoir la différence.

 

S'il y avait quelque chose à changer dans ce livre, ce serait seulement le titre qu'il devrait échanger avec celui de Susan Vanecke, Race with the devil. Course avec le diable, course avec la vie, course avec la mort, course avec le rock'n'roll.

 

Un bon garçon ce Gene Vincent Craddock, tout le monde s'accorde à le dire depuis cinquante ans même si tout un chacun mentionne des colères homériques à vous glacer le sang. En fait Britt Hagarty nous dévoile un sacré bonhomme. Un rebelle dans l'âme, une forte tête, réfractaire à la moindre autorité. Les psychologues vous qualifieraient le zèbre de caractériel, mais ce serait plu-tôt un crotale incapable d'entrer en relation avec quiconque s'il n'a pas auparavant établi une rela-tion de force dans laquelle entrera toujours un zeste plus ou moins important de fascination. Au demeurant l'animal le plus inoffensif du monde tant que vous n'ayez par mégarde ou intentionnel-lement franchi les limites de son territoire de sécurité intérieure. La gent femelle ne s'y trom-pera pas. Toute sa vie Vincent sera un homme à femmes. Un de ces prédateurs qui ne relâchent point la proie pour l'ombre d'une promesse. Darlene qui avait la sagesse de fermer les yeux sur les agissements de son mâle en tournée finira par se lasser. Gene ne vivait que pour les tournées.

 

Gene n'était pas homme à bâtir un plan de carrière. A peine Be bop a lula commença-t-il à monter dans les charts qu'il embringua toute sa formation dans d'interminables tours marathon. Les Blue Caps n'y résistèrent pas. En moins de deux ans le meilleur groupe du monde était sur les rotules et avait déserté la mâture. Comme si de rien n'était Gene continuait malgré sa patte folle. L'alcool et les pills remédiaient à la douleur physique. Ce n'est certainement pas un hasard si bien des années plus tard le rocker britannique Iann Dury qui résuma la formule du bonheur trépidant en la lapidaire devise de Sex, drugs and rock'n'roll écrivit aussi un hommage à Sweet Gene Vincent, son idole fétiche.

 

Très vite Gene fut confronté à une terrible contradiction. Alors qu'il est de fait celui qui offre le rock'n'roll show le plus excitant de tous les USA, alors que des milliers de fans en furie se pressent à ses concerts, alors qu'il enregistre une ribambelle de chef d'oeuvres des plus impressionnants, ses disques ne se vendent pas. La plupart de ses meilleurs morceaux ne parviennent pas à entrer dans le top cent du Billboard.

 

Il semblerait que Capitol n'ait pas su faire les bons choix stratégiques. Certes la firme avait pour politique de ne pas payer aux disc-jockeys les dessous de table qu'ils demandaient afin de passer les disques à la radio, cela a dû quelque peu freiner la carrière de Gene, mais c'est que surtout que Ken Nelson n'a pas compris que sans l'aide active de sa maison de disques cette nouvelle vedette si différente des autres poulains de son écurie n'arriveraient point à se maintenir au sommet de sa jeune gloire zénithale.

 

L'on peut reprocher tant que l'on voudra à Presley sa mise sous tutelle parkerienne . Le Colonel a pris les pires décisions, il a coupé les griffes de son jaguar et l'a enfermé dans une cage dorée, mais au moins a-t-il servi de brise-lames protecteur face aux tempêtes provoquées par l'establishment religieux et politique. Gene s'est retrouvé seul dans la tourmente. C'est miracle qu'il ait survécu. Seul, sans cabinet d'avocat à ses côtés, sans conseiller musical, sans même l'aide qu'aurait pu apporter une famille tant soit peu argentée et cultivée, pourvu de sa seule inexpé-rience de jeune gamin qui n'a jamais eu un dollar en poche, le screamin'kid doit faire face à tout.

 

Fin 59, quand il débarque en Angleterre, il a déjà tout perdu. Son orchestre, et sa place virtuelle de prétendant au titre de roi du rock américain. En partant en Allemagne, Elvis qui se retire de la compétition annule jusqu'à l'existence de celle-ci. Gene est condamné à être sur son sol natal l'éternel hasbeen de sa grandeur révolue. C'est un vaincu convaincu d'avoir été floué par le sort et le monde entier, qui descend de l'avion. Mais Gene ne désarmera pas, il est décidé à se battre jusqu'au bout.

 

C'est vraisemblablement en ses heures européennes que le destin de Gene s'accomplit. Il n'est plus un porteur de bonne nouvelle mais un survivant d'un autre monde dont il entend préserver le témoignage et les derniers fragments pantelants. Britt Hagarty se fondant sur de nombreuses interviews concordantes parle de schizophrénie. Un Vincent à cheval, partagé en deux, splitté entre ce qu'il n'est plus et ce qu'il ne pourra plus être.

 

Malgré d'incontestables succès, les années soixante à soixante-quatre sont celles d'un long reflux, la mort d'Eddie Cochran, l'éloignement de Darlène, des enregistrements dont l'industrie ne lui laisse pas maîtriser la production, l'étau de fer des promoteurs, la montée d'une nouvelle génération de groupes qui vont le pousser dans l'oubli alors qu'ils lui ont tant et tout emprunté. La blessure à la jambe tire de plus en plus, l'alcool de plus en plus nécessaire, tout entraine Vincent en une incroyable spirale descendante.

 

Le repli américain, les derniers disques qui ne trouvent pas leur public, les ultimes tournées européennes, le tout se dénoue en une sordide matinée crépusculaire d'octobre 71. Mais le bilan n'est pas aussi négatif qu'il semblerait. Outre le legs d'une discographie dont un morceau sur deux est un chef-d'oeuvre absolu, Vincent aura vécu jusqu'au bout la vie qu'il aura désirée. Dix jours avant sa mort il est encore sur scène et donne une dernière interview. Une vie à cent à l'heure à laquelle il aura tout sacrifié. Jusqu'à la paix de son âme. Pour la seule rage du rock'n'roll !

 

DAM CHAD.

Les commentaires sont fermés.