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16/09/2010

KR'TNT ! ¤ 07.

 

KR'TNT ! ¤ 07

ROCK'N'ROLL CLANDDESTZINE FLYER / N° 7 / 15 / 11 / 2009

A ROCK-LIT PRODUCTION

 

Avouons-le avant qu'on nous le reproche, chez KR'TNT on aime beaucoup Gene Vincent. Autant dire que son nom reviendra souvent dans nos futurs numéros. Nous avons même décidé dans un premier temps de chroniquer systématiquement tous les livres qui lui ont été consacrés. Donc acte. Après The Bitter End de Steven Mandich, voici Race with the Devil de Susan Vanhecke.

 

VOIE RAPIDE

 

RACE WITH THE DEVIL. SUSAN VANHECKE.

GENE VINCENT'S LIFE IN THE FAST LANE

280 pp. Août 2000. ST. MARTIN'S PRESS. NEW YORK

 

De toutes les biographies qui s'essaient à capturer la vie du Screamin'Kid, Race With the Devil ravira avant tout ce qui recherchent au-delà de la précision des faits et des gestes rapportés une certaine qualité d'écriture que nous qualifierons de littéraire. Et il est sûr qu'avec Susan Vanecke le lecteur sera comblé. A plusieurs reprises, Susan Vanecke se laisse emporter par son émotion. Elle n'est plus un chroniqueur qui tendrait vers une certaine objectivité mais une romancière qui s'identifie à ses héros. Ces passages en italiques nous emportent dans la tête des personnages, et tentent de nous livrer ce qu'ils ont dû ressentir en ces moments-clé de leur existence. La beauté du style de ces fragments trop rares, d'une plume en même temps plus resserrée et plus lyrique, nous convaincrait presque que les évènements évoqués se sont vraiment déroulés ainsi. Il fallait oser le faire, même si d'après nous elle a dû plus d'une fois réfréner ce désir d'écrire comme une biographie poétique de Gene Vincent.

 

Chacun trouvera dans ce livre le renseignement précis qu'il recherchait depuis longtemps ou l'anecdote inconnue qui n'était jamais parvenue jusqu'à lui. L'on pourra même en ces occasions reprocher à l'auteur une datation un peu évanescente, pour notre part nous nous contenterons de quelques réflexions sur différents points abordés par l'auteur.

 

De quelques idées fausses : je m'étais imaginé que les séances d'enregistrement sous la direction de Ken Nelson aux studios Capitol s'étaient prolongées très tard, un peu comme un voyage ou une urgence au bout de la nuit. Point du tout, à dix-huit heures, au plus vite, le producteur jetait tout le monde dehors, pressé qu'il était de retrouver sa petite famille !

 

D'autre part Ken Nelson a beaucoup plus orienté le choix des morceaux que je ne l'ai cru. Certes, sans arrêt sur la route, Gene et les Blue Caps n'avaient guère le loisir de créer leur propre matériel, mais pour prendre un seul exemple Up a Lazy River n'est pas une réminiscence vincenienne d'une ancienne écoute radiophonique mais une proposition mûrement réfléchie par Nelson.

 

L'oubli dont a été victime Gene durant très longtemps aux States est d'autant plus surprenant si l'on se réfère aux comptes-rendus des concerts au travers de toute l'Amérique : Gene et ses musiciens offrent le spectacle le plus sauvage et les shows les plus déments qui furent jamais donnés à l'époque. L'ambiance décrite n'est pas sans rappeler les hordes hurlantes et hystériques de la Beatlemania. Avec cette différence essentielle que sur scène Gene et ses acolytes assuraient un maximum. Susan Vanecke explique que Gene n'avait pas droit aux émissions TV destinées aux teen-agers. Si dans les mêmes pages elle expose comment les autorités ont tout fait pour éloigner des adolescents de la rage et de la révolte contenue dans le pure old rock'n'roll, elle ne prononce jamais les mots de censure ou de conspiration du silence entretenus vis-à-vis du jeune rock'n'roller blanc qui proposait une musique qui apparaissait à ses auditeurs comme un hymne à la rébellion la plus radicale.

 

Toujours est-il que fin 1959, Gene débarque en Angleterre. Par-delà l'accueil chaleureux que lui réservera la jeunesse anglaise, Gene est au plus mal. Le malaise qui suivra la mort d'Eddie Cochran n'est pas en cause. Avant cette coupure qui déchirera en deux parties son existence, jamais plus réunifiée et apaisée par la suite, Gene va déjà très mal. Susan Vanecke ne propose même pas la plate explication d'une dépression. Elle constate seulement les ravages de cette blessure intime, si profonde qu'il n'en a jamais parlé, qui l'oppresse et semble transformer sa vie en cauchemar vivant.

 

L'idée saute à l'esprit d'accuser la douleur occasionnée par la patte folle du rocker. Les détails apportés par l'auteur sont horribles : les tiraillements sourds de la jambe de Gene Vincent ne sont pas comparables aux élancements d'une vulgaire rage de dents. C'est une souffrance inextinguible : elle saigne souvent, les chirurgiens préconiseront comme seul remède l'amputation, elle est tuméfiée, sanglante, noire, à tout le moins pré-gangréneuse. Les raisons de l'alcool que Gene a pris peu à peu l'habitude d'ingurgiter, jusqu'à six bouteilles de Martini Rouge par jour, et des terribles crises de colère qu'ont essuyées certains de ses proches, se devinent facilement : médecine du diable et catharsis libératoire.

 

Mais si l'intolérable poids du membre estropié aide à comprendre les dernières années de Vincent, cela ne permet pas de déchiffrer la sollicitude fraternelle d'Eddie Cochran envers son ami. Susan Vanecke insiste sur la protection vigilante qu'Eddie exerce sur Gene. A tel point que Sharon Sheeley ne cache pas sa jalousie. Quels sont les enjeux de cette terrible crise qui secoue Gene ? Nous n'en savons rien. Si deux ans après la mort d'Eddie, Gene semble avoir retrouvé un certain équilibre, tous ses fans ressentent qu'il n'en est rien. Il est seulement sur les cercles extérieurs de l'enfer, mais c'est en toute connaissance de cause qu'il entreprend la descente fatidique.

 

En bonne amerloque qui se respecte Susan Vanecke n'attache qu'une importance secondaire aux allées et venues de Vincent en notre douce France, alors qu'elle fut peut-être la dernière terre d'asile que la perfide Albion commençait à se refuser d'être. Ce qui nous arrange, puisque de nombreuses pages relatent ces dernières années un peu mystérieuses qui se peuvent qualifier d' américaines. De 1966 à 1971, dans une solitude quasi absolue, Gene essaie de renouer la trame du tissu rompue en 1959. Aidé de quelques fans il essaie de remonter la pente. L'on peut toujours rêver, y serait-il parvenu ? Encore une fois Susan Vanecke n'aborde pas la question. Elle pose les éléments qui concourent à son énoncé, mais pas le problème.

 

De toutes les manières, les choses se sont passées autrement. Il se peut que dès le début Gene ait eu en main des dés pipés. Trop grand, trop pur. Et il reste de fortes probabilités pour que ce soit lui-même qui ait trafiqué les cubes de la chance. Ceux qui parlent de la vie de Gene comme d'une existence christique me font rire. L'homme était trop dur envers lui-même pour espérer que l'on puisse s'apitoyer sur lui. J'y verrais plutôt l'expérience du démon de la perversité. A cette différence près, que si Gene ne fut jamais pervers, il fut tout de même la parfaite incarnation de ses propres démons.

 

DAM CHAD.

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