30/06/2021
KR'TNT ! 517 : SWAMPLAND / B. J. THOMAS / SPIRIT / ROCKABILLY GENERATION NEWS 18 / LUNAR FUNERAL / MUSIQUE PROTOCOLAIRE
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 517
A ROCKLIT PRODUCTION
SINCE 2009
FB : KR'TNT KR'TNT
01 / 07 / 2021
SWAMPLAND / B. J. THOMAS / SPIRIT ROCKABILLY GENERATION NEWS 18 LUNAR FUNERAL / MUSIQUE PROTOCOLAIRE |
TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
L’avenir du rock -
Swampland of thousand dances
Mis à part quelques médecins et deux ou trois représentants des laboratoires pharmaceutiques, il n’y a pas grand monde à l’enterrement de Pandemic. Comme l’aurait fait Boris Vian, l’avenir du rock approche, crache sur la pierre tombale et lâche en guise d’oraison funèbre :
— Tu vois enfoiré, ça ne mène à rien de vouloir jouer les terreurs. Tu croyais m’enterrer et c’est toi qui bouffe les pissenlits par les racines. Pauvre con de Pandemic, avec tes masques, tes vaccins et tes présidents sauveurs du peuple, tu as battu tous les records de disgrâce. J’en ai encore des frissons de dégoût !
Aussitôt sorti du cimetière, l’avenir du rock traverse la rue et entre dans un rade pour s’envoyer un ballon de rouge. Il lève son verre et lance :
— À la santé de Swampland !
Alors tous les clients accoudés au bar lèvent leur verre et beuglent :
— À la santé de Swampland !
Eh oui, l’avenir du rock a des raisons de se réjouir. Vient de paraître The Swampland Sessions, un double album anthologique bricolé en analogique par Lo’Spider, l’un des principes biologiques de l’underground en France : chroniqueur emblématique du fanzine Dig It!, musicien méphistophélique mais aussi et surtout tête pensante psychédélique de Swampland, un studio toulousain installé au rez-de-chaussée d’un vieil immeuble famélique de vingt étages. Ambiance à l’ancienne, matériel à l’ancienne, tous les groupes qui viennent enregistrer à Swampland n’ont qu’un seul but dans leur vie : enregistrer à Swampland.
— Alors mec, où tu l’as enregistré ton album ?
— À Abbey Road !
— Pfffff...
Tous ceux qui vont enregistrer à Swampland savent qu’ils repartent avec du son. Il faut faire gaffe quand on balance des compliments comme celui-là, car ça pourrait passer pour du fayotage. L’essentiel est de rappeler que la plupart des studios sont maintenant équipés en numérique et le son n’est pas le même. Si on aime bien le son qui buzze et la fuzz qui bave, alors il faut aller à Swampland. C’est un état d’esprit, l’une des clés magiques de l’underground musical.
Lo’Spider a dû faire un choix pour remplir ses quatre faces. Il propose un ensemble extrêmement diversifié, qui va du gaga-punk au blues en passant par des choses extrêmement ambitieuses et novatrices comme le «Space Is The Key» de Slift, un groupe toulousain repéré en Angleterre par les Shindigers. Les Slift sont devenus l’un des groupes phares de la scène toulousaine et Gildas ajoutait qu’ils commençaient à tourner énormément en Europe et en Angleterre. Ces trois mecs proposent un son extrêmement énergétique, ils dégagent tout ce qu’on aime dans le rock : du shagging, de l’idée, de la virevolte, du modus operandi, de l’élégance, du power-triotisme, leur son gronde bien sous la surface de la terre, ils recyclent les vieux moteurs hypnotiques des seventies comme d’autres recyclent des vieux moteurs de motocyclettes. Rien qu’avec Slift, l’avenir du rock peut dormir sur ses deux oreilles. Les autres gros «clients» de Lo’Spider sont bien sûr les Magnetix, pionniers du gaga-punk en France, avec la plus belle collection de pédales de disto qu’on puisse voir sur scène. Pour ce double-album, Lo’Spider a choisi «Cowboy Vs Soleil», petit chef-d’œuvre de gaga-punk lo-fi joué au minimalisme invulnérable. Et juste derrière, on retrouve les Monsters, avec «Too Pretty To Be Loved», une espèce de huitième merveille du monde et en même temps résidu de gaga-trash. C’est plus fort que lui, Beat-Man ne peut pas s’empêcher d’aller chercher l’excellence dans la fournaise. Pour ceux qui auront le bon goût de rapatrier l’objet, il faut savoir que Lo’Spider raconte à l’intérieur du gatefold l’histoire de chaque cut et c’est souvent très drôle. Et si la basse qu’on entend dans le «Lolai Lolai» d’El Vicio sonne si bien, c’est normal : le bassman s’appelle Lionel Limiñana. Son bassmatic hypnotique dévore le cut de l’intérieur. On entend encore une basse dévorante dans l’excellente reprise de «Pass The Hatchet» par les Hurly Burlies et pour les ceusses qui apprécient tout particulièrement la trash-guitar, il est recommandé d’écouter le «Fly Inside» de Black Luna. Non seulement on se régale de cette voix de ghoule qui flotte dans la crypte, mais on vendrait son père et sa mère en échange de la trash-guitar qui entre dans le lard de la matière. Si raw et si impure qu’on croit entendre Monsieur Jeffrey Evans.
Lo’Spider a rassemblé les cuts de blues en C, notamment cette version somptueuse de «Sittin’ On Top Of The World» de Mama Rosin, une version jouée à coups d’acou avec des percus qui feraient danser un couvent de Carmélites. Le son est parfait et en fin de parcours, ils virent cajun, alors ça tourne à l’énormité. Comment résister à ça ? Impossible. S’ensuit une autre merveille, le «Six Pink Cadillac» de Roy & The Devil Motorcycle, encore des Suisses. En faisant référence à Spiritualized, Lo’Spider tape en plein dans le mille. Il existe effectivement une parenté dans le feeling. Tout comme Jason Pierce, les Suisses proposent un blues qui flatte l’intellect pour l’envoûter. Avec «Wayfaring Stranger», Julian & The Goodtimes Roll vont plus sur un son rockab, mais l’assise et l’allure sont parfaites. Quant à la D, c’est la face gaga-punk, sept cuts enfilés comme des perles et qui sont à l’image du mighty Dig It! Radio Show de Gildas : une pure déboulade, poussez-vous, ils arrivent ! Le «PAIN» des Spits dégueule par dessus bord, le «Crisis» d’Asphalt s’énerve tout seul, tatapoumé à la toulousaine, plein d’entrain et d’énergie d’apéro et de sens de la fête. C’est tout juste si on n’entend pas Gildas annoncer les cuts, car quand arrive l’«Over The Edge» des Cellophane Suckers, on retourne droit sur Canal Sud, c’est sa came. Gildas a laissé sa marque jaune sur le mur de briques de l’imaginaire toulousain, elle symbolise le pouvoir absolutiste du son pur et dur. Pendant quarante ans, ce mec n’a jamais baissé les bras ni changé de cap. Il a su défendre ce son jusqu’à la fin de sa vie et cet album, comme d’ailleurs l’After Chez Eddy, est un peu la suite de cet incroyable périple. Les Swampland Sessions s’achèvent sur un enchaînement pétaradant, de la même manière que le fameux Back From The Canigo, cette compile des groupes de Perpignan avec laquelle Gildas avait conclu son ultime Radio Show, en janvier dernier. Les Swampland Sessions sont dédiées à trois personnes, dont Gildas.
Signé : Cazengler, sans land
Swampland Sessions. Le Laboratoire Records 2021
Pop à la sauce Thomas
B.J. Thomas qui n’est pas très connu en France fait partie avec des gens comme Charlie Rich, Ronnie Milsap, Jerry Lee, Tony Joe White ou encore Mickey Newbury des grands chanteurs américains, ceux qui ont ce qu’on appelle une vraie voix. Il vient tout juste de casser sa vieille pipe en bois, au terme d’une carrière excessivement longue, puisqu’il enregistra son premier album en 1966 sur Scepter, le label on va dire mythique de Florence Greenberg.
— Mythique ? Mythique ? Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ?
Forcément, puisque Floflo avait, en plus de B.J. Thomas, Dionne Warwick, Chuck Jackson, les Shirelles, les excellents B.T. Express et sur Wand, une filiale de Scepter, Maxine Brown. Floflo qui était blanche et new-yorkaise faisait du black business. B.J. Thomas était quasiment le seul blanc de son écurie.
Avec une bonne soixantaine d’albums, la discographie de B.J. Thomas est aussi délirante que celle de Jerry Lee, alors plutôt que de partir à la découverte de ce continent, contentons-nous d’un focus sur une période particulière qui va de 1968 à 1970, quand il est allé chez American à Memphis enregistrer cinq albums pour Scepter.
Il est bon de rappeler que dans l’histoire du Memphis beat, American a joué un rôle aussi important que ceux de Stax et de Sun. Après avoir monté Stax avec Jim Stewart et s’être fâché avec lui, Chips Moman monte son studio qu’il baptise American. Comme ça au moins il a les coudées franches. De la même manière que Stax, Motown ou Muscle Shoals, il met en place un house-band, les Memphis Boys (Tommy Cogbill, Reggie Young, Gene Chrisman, Bobby Emmons et Bobby Wood) et embauche des songwriters (Wayne Carson et Mark James). Chips est un mec brillant et pendant quelques années il fait d’American une véritable usine à tubes. Ça se bouscule au portillon : Dusty chérie, Dionne la lionne, les Box Tops, Neil Diamond, Petula, Brenda Lee, Bobby Womack, sa plus grande fierté étant d’avoir pu enregistrer Elvis («Suspicious Minds», «In The Ghetto» et bien d’autres merveilles inexorables). Chips est un amateur de grandes voix et de chansons bien foutues. Il lance Sandy Posey et Merrilee Rush. Il épouse Toni White, une petite gonzesse qui a composé quelques bricoles avec Totor, notamment «Black Beauty» pour les Checkmates Ltd. Parmi les chouchous ce Chips, on trouve aussi Ronnie Milsap et... B.J. Thomas. Aux yeux de Chips, B.J. Thomas était LE chanteur d’American - the man who embodied the integrity, craftmanship, versatility, originality and refusal to be categorized that typified the American group. (L’homme qui incarnait l’intégrité, le savoir-faire, la versatilité, l’originalité et le refus d’entrer dans une catégorie qui caractérisaient si bien l’état d’esprit des musiciens d’American).
Chips accepte de produire un premier album de B.J. Thomas pour Scepter, le fameux On My Way qui paraît en 1968. À cette époque, les producteurs comme Chips ou Jerry Wexler proposent des chansons aux interprètes, et Chips a le bec fin.
— Hey B.J., pourquoi ne taperais-tu pas dans les Doors ?
— Oh quelle bonne idée, Chips !
Alors les Memphis Boys nous groovent «Light My Fire» et ça tourne à l’envoûtement. Reggie Young gratte ça avec une délicatesse infinie et B.J. chante à la prodigieuse insistance. C’est probablement l’une des meilleurs reprises de ce vieux hit éculé par tant d’abus.
— Hey B.J., pourquoi ne taperais-tu pas dans «Smoke Gets In Your Eyes» ?
— Oh quelle merveilleuse idée, Chips !
D’autant que c’est soutenu à l’orgue d’église. B.J. nous chante ça par dessus les toits, et ça devient stupéfiant d’allant et d’allure.
— Tiens B.J., j’ai cette jolie chanson de Wayne Carson dans mon tiroir pour toi. Elle s’appelle «Sandman» !
— Oh merchi Chips !
B.J. la chante à la parfaite insistance de haut rang, comme s’il chantait du Burt, et c’est pas peu dire. Tout sur cet album est chanté à pleine voix et savamment orchestré. Chips ne fait jamais les choses à moitié. Il envoie toujours les violons au moment crucial, à la manière de Napoléon qui envoyait la brigade légère du Maréchal Ney au moment le plus décisif de la bataille.
— Tiens B.J., j’ai aussi cette belle chanson de Mark James pour toi, elle s’appelle «Hooked On A Feeling» !
— Oh mille fois merchi Chips !
Reggie en profite pour sortir son sitar et en faire un hit psyché. Les bras nous en tombent. Ces gens sont formidables.
Floflo est contente. B.J. est ravi. Chips ronronne comme un gros chat. Alors Floflo passe commande pour un deuxième album, Young And In Love. On prend les mêmes et on recommence.
— Tiens B.J., que penses-tu de cette belle compo de Jimmy Webb qui s’appelle «The Worst That Could Happen» ?
— Oh quel beau choix, Chips !
Mais Jimmy Webb, ça ne marche pas à tous les coups, il faut le savoir.
— Bon alors, j’ai ça dans mon tiroir : «Living Again» de Mark James.
— On va echayer Chips !
Mais ça ne marche pas non plus.
— Ah mince ! Bon, alors on va essayer Neil Diamond, okay ?
— Chi tu veux Chips...
Ils enregistrent «Solitary Man», puis ils vont sur Dan Penn avec «I Pray For Rain». Derrière B.J., Reggie et Tommy rôdent comme des vieux renards du désert. Bobby Emmons nappe «I’m Gonna Make You Love Me» d’orgue comme un malade et B.J. l’allume à grands coups de baby baby ! L’eau commence à frémir, c’est bon signe. Ne perdons jamais de vue que B.J. adore les balladifs. C’est sa came. On le voit bien avec «It’s Only Love». Chips ramène des chœurs de gospel dans la sauce, alors forcément ça change tout. B.J. monte encore d’un cran dans l’excellence avec «Hurting Each Other». Chips ne lésine pas sur les orchestrations. Il a même parfois la main un peu lourde. Mais ça convient très bien à un artiste de haut niveau tel que B.J. Il tape en fin de B dans la deep Soul de Southern crop avec «Never Had It So Good». Admirable white niggah ! Il ramone bien la cheminée de son never never.
Toujours en 1969, B.J. Thomas enregistre les trois derniers morceaux de la B.O. de Raindrops Keep Falling On My Head chez Chips : ««So What You Gotta Do» de Jimmy Webb, «Mr Mailman» et l’excellent «Suspicious Minds» de Mark James. Chips nous plonge dans le big American Sound, avec une ligne de basse qui fait rêver. Pour le reste, B.J. tape dur dans Burt, notamment avec le morceau titre, connu comme le loup blanc des steppes du Kilimandjaro. Encore du bon Burt avec «This Guy’s In Love With You». B.J. chante divinement le jazz de Burt, sans doute le plus doux du mondo bizarro. Chips orchestre «If You Ever Leave Me» à l’outrance de la consistance. En B, on reste dans la pop ultra sophistiquée avec Jimmy Webb et son «If You Must Leave My Life». B.J. sait se positionner dans les degrés du vertige. Il tape ensuite dans Joe South avec «The Greatest Love» qu’il chante à la grande revoyure d’éclat surnaturel. Ce mec sait travailler l’éclat d’un cut.
L’année suivante, B.J. Thomas revient chez Chips enregistrer Everybody’s Out Of Town. Il attaque ce bel album de rues désertes avec une cover de l’«Everybody’s Talking» de Fred Neil. Les Memphis Boys s’en donnent à cœur joie. Ces mecs savent swinguer le soft. Burt produit deux des titres, «Send My Picture To Scranton» et le morceau titre qui sonne un peu comedy act, comme Raindrops. Scranton aussi, mais B.J. parvient à l’embarquer à la force de sa conviction. C’est très gonflé comme choix de chanson. Mais on a une bonne conjonction Chips/Burt/B.J. L’une de ces conjonctions idéales qui font les grands disques pop. En B, on tombe sur un admirable slab de Memphis groove avec «What Does It Take». Wow ! Quel délicieux coup de good time music soutenue au sax enchanteur. Encore un cut bien foutu avec «Created For A Man». B.J. ne force jamais le trait, il chante sa pop à la bonne mesure. Il se sent bien chez Chips et ça s’entend. Le son est à la fois décontracté et bien intentionné. Cool man !
Le dernier album que B.J. Thomas enregistre chez Chips s’appelle Most Of All. Il sort comme les précédents sur Scepter. Chips propose à B.J. deux covers somptueuses, «Rainy Night In Georgia» de Tony Joe White et «Brown Eyed Woman» composé par Mann & Weil. B.J. prend le Tony Joe si haut qu’il perd l’intimisme, mais il y ramène toute la volonté pop de Memphis. B.J. peut aller très haut et swinguer ses vocalises dans la stratosphère. Il reste dans le haut niveau mélodique avec le Mann & Weil. Il monte si haut qu’il atteint la dimension du vertige. Quel shouter ! Chips ne s’y était pas trompé. B.J. tape aussi dans Burt avec «(They Long To Be) Close To You». Idéal pour un chanteur aussi doué. Chips profite encore une fois de l’occasion pour ramener l’armée mexicaine des violonistes. On est en sécurité chez Chips. B.J. reprend aussi deux cuts de James Taylor dont «Circle Round The Sun» que Chips orchestre à outrance. B.J. chante ça tellement over the rainbow qu’il en fait une merveille inexorable.
Signé : Cazengler, B.J. à la masse
B.J. Thomas. Disparu le 29 mai 2021
B.J. Thomas. On My Way. Scepter Records 1968
B.J. Thomas. Young And In Love. Scepter Records 1969
B.J. Thomas. Raindrops Keep Falling On My Head. Scepter Records 1969
B.J. Thomas. Everybody’s Out Of Town. Scepter Records 1970
B.J. Thomas. Most Of All. Scepter Records 1970
Spirit in the sky - Part Two
Les deux gros pendants du Spirit story sont bien sûr la carrière solo de Randy et Jo Jo Gunne. Randy démarre sa carrière solo en 1973 avec un album devenu mythique, Kapt. Kopter & The (Fabulous) Twirly Birds. Mythique tant par la pochette que par le son. Plus wild que jamais, tout en crinière et en lunettes noires, Randy pose devant un hélicoptère. Ses deux sidemen chevelus tournent le dos à l’objectif. C’est l’une des grandes pochettes du l’histoire du rock. Et certainement le plus hendrixien des disques que n’a pas enregistré Jimi Hendrix. Ça saute aux yeux dès «Downer», monté sur un beat de funk électrique. Tous les amateurs de grand rock US connaissent ce chef-d’œuvre par cœur. Et ça repart de plus belle avec «I Don’t Want Nobody», tapé au battage hendrixen. Randy s’en va chercher la meilleure des rockalamas de son époque, l’hendrixité pure, doublée de chœurs de filles éperdues. C’est littéralement incendié de l’intérieur. Et pouf, il explose «Day Tripper» en plein vol. Ce riff magique lui va comme un gant de cuir noir. Il l’enflamme à l’hendrixienne, avec un même sens aigu de la tortillette endiablée. Voilà ce qu’il faut bien appeler une cover flamboyante. Il fait aussi des miracles sur le balladif de fin d’A, «Mothers And Child Reunion». Pur enchantement de vox et de tox. Nouveau coup de Jarnac en B avec «Things Yet To Come», véritable chef-d’œuvre de psychout so far out visité par des chœurs de femmes écloses comme des roses. Randy descend dans l’arène d’un groove magique et Clit McTorius qui n’est autre que Noel Redding joue une bassline superbement tortillée. Tout est incroyablement soupesé dans l’azur prométhéen. On entend Noel Redding jouer à sec des notes perlées. Randy tape encore une cover des Beatles avec «Rain» et cet album fantastique s’achève avec «Rainbow». Randy s’inscrit là dans la meilleure des veines. Kris Needs nous dit qu’il existe un Kapt Kopter Part Two inédit...
Randy reprend sa carrière solo neuf ans plus tard avec Euro American. En Allemagne, les gens l’adorent, alors Randy y va de bon cœur. Excellent album pour trois raisons, la première étant «Skull & Crossbones». Il y regratte ses vieux accords obliques du temps de Spirit. Il les adore. Il ne rate pas une seule occasion de les placer. Pur Spirit sound, insidieux au possible. Randy est un mec sur lequel on peut compter. La deuxième raison s’appelle «Rock Of Ages». Randy y brandit le flambeau du vieux son des sixties, le heavy Spirit sound. Il tire ses solos à quatre épingles et met son rock sur son 31. Pas de doute, Randy est le milord du rock californien. La troisième raison est une reprise solide de «Wild Thing». Randy adore taper dans les vieux coucous de son ami Jimi. Il prend son «Wild Thing» avec la même ampleur vocale. C’est même troublant de similitude. D’autres bons cuts raviront l’amateur éclairé, comme par exemple «Fearless Leader», baigné dans une belle atmosphère spirituelle. Randy se prend pour une sorte du gourou du rock. Il semble avoir des accointances avec l’au-delà du rock, en tous les cas, son rock finit par conquérir des terres. Il ramène même des infrabasses, comme dans «All Along The Watchtower». Son «Five In The Morning» se laisse savourer sans problème. Idéal pour un palais rock. Randy connaît toutes le ficelles de caleçon. Avec «Shattered Dream», il jette tout son goût pour le smooth dans la balance. Il renoue avec son cher délié de groove électrique. Des relents de Watchtower traversent le paysage, ça pianote ici et là, la chose se veut libre comme l’air. Les petites montées sont du pur Watchtower. Puis il repend son bâton de pèlerin et revient au pur Spirit Sound avec «Rude Reaction», un son à la fois dépenaillé et très enveloppé, chargé de guitares et d’ambiances superbes. Sans doute est-ce là l’un de ses meilleurs albums.
La même année paraît All Along The Watchtower. Randy y repart sur les traces de son ami Jimi. Il joue en power-trio et pousse même des pointes de guttural. On note le joli beat de Preston Heyman. L’autre haut fait de l’album se trouve au bout de la B et s’appelle «Hand Guns». Ça sonne comme le hit de Scott McKenzie, avec des accents de flowers in your hair. «Run To Your Lover» pourrait aussi sonner les cloches, avec un son rude et raide, âpre et soft. Randy y arrondit si bien les angles. Mais les cuts sont assez difficiles d’accès. Ils paraissent lisses, comme trop surfacés.
Restless est encore un bel exemple d’album ruiné par la prod des années quatre-vingt. Le pauvre Randy est tombé dans la trappe du Docteur Mabuse. Quel gâchis ! Dommage, car pour la première fois, Randy est bien coiffé. Il est même assez beau. Son «Shane» sort un peu du lot, car il revient à l’hendrixité des choses. On retrouve enfin le gommeux flamboyant, mais pour le reste, il faudra repasser un autre jour, si vous voulez bien.
À la suite d’une mésentente, Jay Ferguson et Mark Andes partent fonder Jo Jo Gunne. Ils ne savent pas encore qu’ils vont faire le bonheur de millions de kids à travers le monde. Le sobrement titré Jo Jo Gunne paru en 1972 est tout simplement une bombe. Belle pochette en plus, car quand on ouvre le gatefold, on tombe sur quatre freaks californiens beaux comme des dieux, tout en tignasses sauvages et en crucifix. Et dès «Run Run Run», Jay annonce la couleur. Quel fantastique shoot de power-pop californienne gonflée d’énergie glam ! La basse de Mark Andes ronfle admirablement dans du corpus du boogie. Ces mecs sont littéralement visités par la grâce. C’est un rock puissant, élégant, qui enchante le cœur. Un rock qui remonte le moral. Si on écoute ça un jour où ça va mal, ça va mieux. Ils nous stompent à la suite «Shake That Fat». Tom Dowd veille au grain et ça s’entend. Matt Andes qui est le guitariste du groupe part à l’insidieuse, au slide de delta électrique. Les Gunners s’offrent même le luxe d’échappées bubblegum à coups de nah nah nah nah. Fantastique «Babylon» monté aux harmonies vocales. C’est sans doute l’album dont Spirit a toujours rêvé. Les Gunners pavent le chemin pour les Doobie et les Eagles. Encore plus redoutable, cet «I Make Love» qu’ils stompent comme des brutes. Ils mettent tous leurs pieds dans le plat et on assiste à des départs fulgurants de Matt Andes. S’ils posent leurs culs sur le capot d’un hot rod, ce n’est pas pour rien. Pression énorme, le son gicle comme du pus. Matt Andes économise ses forces pour tenir jusqu’au bout. En B, Jay s’en va chanter «99 Days» à la saturation de glotte. Il chauffe bien son rock californien et Matt part en solo de slide. Quelle fournaise, les amis ! Ce groupe sonne comme un modèle. Avec «Academy Award», ils nous font le coup de l’intro historique. Jay chante ça au chat gunnique sur fond de léger gratté insidieux. Album parfait. C’est l’un des classique du rock seventies. Même les cuts lents sont bons car Jay les rocke jusqu’à l’os. À l’époque, des gens ne juraient que par Jo Jo Gunne et nous en faisions partie.
La fête continue avec Bite Down Hard paru l’année suivante. Ça grouille encore de hits. À commencer par «Roll Over Me», énorme shoot de power-pop pantelante. Jay chante comme un dieu et ça bascule dans des univers d’une surprenante beauté boréale. Tout aussi spectaculaire, ce «Take Me Down Easy» joué au carré de vieux rock US. Jay a laissé pousser ses cheveux, alors ils ondulent. Il chante son psychout comme un dieu. Quelle énergie ! Matt part en maraude, il sucre les fraises alors qu’on secoue des sableurs. Ça tourne à la démence de la partance. Tout le spirit de Spirit est là. Jay laisse glisser sa voix au chat perché et il bat tous les records de maestria. Il profite encore de «What A Lifetime» pour allumer la gueule du vieux boogie rock. On le suivrait jusqu’en enfer. Il règne chez les Gunners une énergie du rock lumineux. Ça chante et ça solote au maximum overdrive de California drive. Ce cut qui n’a pourtant l’air de rien allume toutes les lanternes. Que de son ! Effarant ! Même chose pourrait-on dire du «Ready Freddy» d’ouverture de bal. On a là du rock californien ultra-vitaminé, même si Mark Andes a cédé la place à Jimmie Randall. Que de punch dans un si petit disk ! Tout aussi invulnérable, voilà «60 Minutes To Go». Jay emmène sa troupe au combat avec une sorte de brio ensoleillé. Son rayonnement relève de l’Égypte ancienne, même s’il porte un gros crucifix en turquoise. Les Gunners sont nettement supérieurs à Spirit. Ils pourraient même bien être le trésor caché du rock US. Ces mecs jouent leur «Rock Around The Symbol» au power maximalis. On comprend que ça ne pouvait coller ni avec Cass ni avec Randy. Les Gunners ne vivent que pour la fabuleuse envolée. Ils n’en finissent plus de redorer le blason du rock US. Tiens, encore un sacré coup de Jarnac avec «Broken Down Man». Ils partent en mode boogie down et jouent à l’endiablée. Pendant trois minutes, ils deviennent les rois du boogie. Il faut voir le travail. Jay gère ça bien. Si bien.
Pour la pochette de Jumpin’ The Gunne, ils sont au lit. Mais ça gigote sous les draps, avec un «To The Island» solidement tartiné, que de son, que de son, ces mecs jouent comme des dieux du stade, c’est bardé de transitions chantées toutes plus intéressantes les unes que les autres, et Matt Andes prend un solo impérial. Jay va toujours au choc des harmonies vocales. Ils tapent «Before You Get Your Breakfast» au heavy delta-blues. Même dans ce genre de plan, ils font des merveilles, avec un son fruité, juteux et ça reste ultra-chanté. Matt Andes règne sur les terres du Docteur Moreau, il faut le voir partir en maraude, il tape ses notes au double gras. S’il fallait résumer le rock américain classique des seventies, alors ce serait Jo Jo Gunne et Mountain. Matt joue à la déflagration déviationniste. Et les canards boiteux ? Trop tard ! S’ensuit un «Monkey Music» solide et battu au beat des Gunners avec un Matt flamboyant. Le rock des Gunners explose. Jay chante «Neon City» avec tout le feeling du monde. Nous avons là le rock américain parfait. Les Gunners honorent leurs dettes. Ce sont des grands seigneurs. Jay fait le show avec ses glissés de voix. Il se pourrait qu’il soit l’un des singers les plus raffinés de son temps. Ils terminent cet album imparable avec «Turn The Boy Loose». Matt Andes y fout le feu. Quel guitarman ! Roi du killer solo flash devant l’éternel. Les Gunners jouent tout au maximum des possibilités. Ils ont fini par prendre leurs distances avec le vieux Spirit. Ils ont tellement le viande à revendre.
Le quatrième album de Jo Jo s’appelle So... Where’s The Show ? On le conserve précieusement pour deux raisons, la première étant «I’m Your Shoe». C’est là où les Gunneriens s’atteignirent, avec un fabuleux son de heavy rock californien. Jay chante ça au gras double de Gunner averti. Ça joue au bassmatic dévastateur. Jay se fâche, il chante son rock à la colérique. Cette fois, c’est Joe Staehely qui fait le guitarman. Il jouait sur Feedback, au temps de Spirit. La seconde raison est le «S & M Blvd» qui ouvre le bal de la B, joué une fois encore au gras double aventureux, comme chez Leslie West, le gras qui musarde, celui qui chaloupe élégamment. Admirable pâté de son. Just perfect. Ça joue à l’énergie des reins. Jay surfe sur la vague de gras. C’est même tellement hot que ça prend feu. Le beat enfonce ses clous dans les paumes du rock, pour le salut de l’humanité. Le morceau titre vaut aussi le détour, car la pop de Jay y prend une belle ampleur. On sent le gut chez lui et les encorbellements de power pop incendient le ciel au dessus de l’océan. On s’amourachera aussi de ce «Big Busted Bombshell From Bermuda» incroyablement audacieux - tee whap tee dee - judicieusement pianoté et bien remonté des bretelles. Tout ceci se termine autour du monde, c’est-à-dire «Around The World», claqué à la note furtive par le diable de Feedback. Jay joue sa dernière carte. Dommage. Les Gunners méritaient de l’emporter, tout chez eux reste claqué à la meilleure note incendiaire et Jay n’en finit plus de relancer sa machine en perdition. C’est une fin tragique.
Petite consolation pour les fans des Gunners : Big Chain, un album de reformation paru en 2005. En fait, ils rejouent leurs vieux hits et c’est avec une joie non feinte qu’on retrouve «Babylon». Ils s’y replongent avec délectation et portent les harmonies vocales à incandescence. Force est d’admettre qu’il s’agit là d’un des gros hits des seventies. On y entend de vrais chœurs de cathédrale. Même chose avec «Academy Award», riffé à la tragi-comédie du non retour. La magie des Gunners est intacte, Jay sait interjecter et le festin se poursuit avec «Shake That Fat», merveille absolue, heavy as hell, sans doute leur hit le plus heavy, sans doute le summum du fat d’Amérique, avec ses nah-nah-nah trempés dans le saindoux. Les Gunners règnent sans partage. Encore plus énorme, «99 Days», sans doute le hit rock à l’état pur. On y est. Les vieux hits des Gunners fonctionnent aussi bien que les vieux hits des Beatles ou des Who. Jay introduit tout ça au piano. Tout s’enroule bien. C’est dans les vieux Gunners qu’on fait les meilleures soupes. Et quand Matt part, attention aux yeux. Ils terminent avec leur vieux «Run Run Run». Explosif.
Il existe aussi un Live 1971 & 1973 paru en 2015 qui, comme tout le reste vaut sacrément le détour. Ces deux concerts enregistrés fonctionnent bien sûr comme un Best Of, tout est extrêmement dense et chanté à la vraie voix. Sur scène, Jay joue beaucoup de piano. Ils ouvrent sur «Run Run Run», énorme machine que Matt tire à quatre épingles, en vrai surmonteur de cimes. On le voit ensuite trancher dans le vif du sujet avec «Academy Award». Jay chante à la surface du monde. Sur scène, ces gens-là jouent à la vie à la mort. «Take It Easy» sonne comme le Grand Œuvre des Gunners, car c’est du pur jus de power-pop, un son qui se reconnaît entre mille. Matt fait le show. Ils tapent bien sûr dans «99 Days» et «Shake That Fat», et chaque fois, Matt entre dans le gras du bulbique, aw fucking heavyness, ces gens-là écrasent tout sur leur passage, ils n’ont jamais entendu parler des Conventions de Genève. Tout est monté en neiges du Kilimandjaro. Fabuleuse chaleur intrinsèque ! On retrouve tous ces hits dans le concert de 1973, avec un son encore meilleur.
Signé : Cazengler, spirate (qui s’dilate)
Kapt. Kopter & The (Fabulous) Twirly Birds. Epic 1973
Randy California. Euro American. Beggars Banquet 1982
Randy California. All Along The Watchtower. Line Records 1982
Randy California. Restless. Vertigo 1985
Jo Jo Gunne. Jo Jo Gunne. Asylum Records 1972
Jo Jo Gunne. Bite Down Hard. Asylum Records 1973
Jo Jo Gunne. Jumpin’ The Gunne. Asylum Records 1973
Jo Jo Gunne. So... Where’s The Show? Asylum Records 1974
Jo Jo Gunne. Big Chain. Blue Hand Records 2005
Jo Jo Gunne. Live 1971 & 1973. RockBeat Records 2015
ROCKABILLY GENERATION NEWS n° 18
JUILLET / AOÛT / SEPTEMBRE 2021
Il est des couvertures qui font votre bonheur avant même que vous ayez lu les articles correspondants au sommaire. Ray Campi et Olivier Clément rien de tel pour me mettre en joie.
A tout seigneur tout honneur, suffit de regarder la photo de Ray page 7 pour comprendre la nature du bonhomme, à quatre-vingt-cinq berges, le Ray vous a une dégaine à couper le souffle, l'œil vif, la bouche inquisitrice, le sourire du tigre qui aperçoit sa future proie. Le précurseur du revival, certes mais l'est né une année avant Elvis Presley et Gene Vincent – pour les rockers, 1935 ( avant et après ) correspond à l'année 0 du christianisme – Greg Cattez nous rappelle qu'il enregistre son premier disque en 1956, et qu'il slappait sa contrebasse avant les Stray Cats. N'oublie pas non plus de mentionner Ron Weiser et son label Rollin' Rock, un véritable activiste, un maillon essentiel de la passation mémorielle du rock... Un bel hommage à ce pionnier qui nous a quittés voici peu. Ceux qui voudront en savoir plus se reporteront à notre livraison 502 du 18 / 03 / 21 pour lire la longue chronique que le Cat Zengler lui a consacrée.
Je saute sans tarder à l'autre bout du revue, les Black Prints m'ont toujours paru être un des meilleurs groupes de la mouvance rockabilly actuelle, l'article est consacré à Olivier Clément, guitariste rythmique et chanteur. Fascinant sur scène, l'enchaîne les morceaux sans discontinuer – compos et originaux – s'il ne tenait qu'à lui et qu'à nous on serait encore là le lendemain matin, une classe naturelle, une simplicité surnaturelle, un talent fou, le prince du rock'n'roll, le titre correspond à la réalité. Avec ses frères Thierry et Pascal, il est une grande part du french revival, les Dixie Stompers ont marqué leur époque, Olivier raconte la suite de son aventure, le départ au Canada, le retour, les passages à vide, ce qui n'empêche pas une vie bien remplie et le nouveau départ avec les Black Prints.
Heu ! Qui c'est. J'ai honte de ne pas connaître, Benjamin Leheu, un peu de sa faute, s'est installé en Norvège – que voulez vous l'amour – l'a vingt-sept ans, une petite fille et un pédigrée musical long comme un oriflamme, par contre l'esprit sectaire il en est totalement dépourvu, joue avec tout le monde, hillbilly, country, rockabilly, bluegrass, western swing, rien ne lui fait peur, cette jeune génération a les crocs mais pas d'œillères, l'on repère le passionné, une tête chercheuse, en France on l'a vu à côté d'Al Willis et des Hot Slap, l'a monté les Muddy Hill Boys, faut retenir son nom, prometteur !
Voyageons, après la Norvège nous voici en Argentine et en Espagne où Matt Olivera a fini par s'installer, Matt se raconte depuis l'enfance, son parcours, los Tremendos, los Quasars,.. participe à deux groupes, Matt and the Peabody Ducks plus roots et The Kabooms plus rock, riche idée d'avoir fait suivre son interview des pochettes de quelques uns de ses disques. A lire cet article et le précédent, une évidence s'impose, ça fourmille de partout, et le titre de la revue choisi par Sergio Kazh se révèle prophétique, certes il y a le rockabilly et aussi la génération, le tronc et les branches, les barrières s'estompent, la musique ne quitte pas son terreau natal, mais les styles, les envies, les expériences se diversifient.
Rockabilly Generation n'est pas très vieux mais il se bonifie malgré son jeune âge, comme toujours les photos sont belles, certaines sont de véritables documents, elles soutiennent le texte mais ne l'éclipsent pas. Félicitations à Sergio Kazh et à son équipe, se sont accrochés dans la tourmente pandémique, Nietzsche avait raison, ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. En feuilletant le magazine et le soin apporté à la mise en page je rajouterai, plus fort et plus beau !
Sans doute embrasserez-vous la page 38, attention à votre rouge à lèvres, ni une jolie fille, ni un beau garçon, les flyers des prochains festivals, le retour des concerts !
Damie Chad.
Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4,95 Euros + 3,94 de frais de port soit 8,89 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 36, 08 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents !
SEX ON THE GRAVE
LUNAR FUNERAL
( Forbiden Place Records / Février 2017 )
Sûr que c'est grave. Le disque que vous ne penserez pas, pour parodier le Cat Zengler, à emporter sur l'île déserte pour la fin de vos jours. Ou alors juste pour la toute fin. A moins que n'ayez votre place réservée sur L'île des morts d'Arnold Böcklin, parce que là c'est la bande-son idéale. Remarquons toutefois que sur le tableau de Böcklin il y a beaucoup plus de ''grave'' que de ''sex'', il est vrai que l'on peut en discuter. Eros n'est jamais loin de Thanatos. En tout cas pour la pochette, ce n'est pas que le dieu du désir soit tout près c'est qu'il est pratiquement dedans. N'imaginez pas un scénario à la Gabrielle Wittkop, son Nécrophile aime les cadavres enterrés de frais, encore moins à la Jacques Chessex ( and death ) et Le Vampire de Ropraz qui préfère s'en délecter... non ici la chair de l'amatrice est encore ferme, opulente et vivante, son amant un peu plus maigre, réduit à l'état de squelette – tous les goûts sont dans la nature, à moins que vous n'interprétiez cette réduction outrancière comme l'idée même de la mort. Sur son FB, Lunar Funera se définit en quatre mots : We love the dead. Sont deux, Evgeny Titov ( guitar ) et Evgen Kalinichen ( drums ), sont russes, de la romanovienne Saint-Pétersbourg. est-ce pour cette raison que le fond de pochette est d'un rouge drapeau révolutionnaire qui vous tape dans l'œil avant même que vous ayez visualisé le dessin. Le rock russe est différent du nôtre, lorsque l'on écoute il donne l'impression d'être pour ses géniteurs d'une nécessité beaucoup plus vitale même lorsqu'il parle de mort... Nous ne savons pas si l'imaginaire russe nous le permet mais nous avons envie de traduire le nom du groupe Lunar Funeral non pas par Funérailles Lunaires mais par Lune noire. Point focal de renversement astrologique entre les figures mythiques d'Artémis et d'Hécate.
Autre détail d'importance qui explique la brièveté ( moins de quarante minutes ) de l'opus, c'est qu'en ses premières manifestations artefactiques Sex on the grave, apparaît sous forme d'une K7. Un modèle d'édition qui a été balayé par l'apparition du CD mais qui a été repris comme objet transactionnel de distribution par des groupes désargentés. A tel point qu'il existe aujourd'hui un retour à la K7, moins visible que le renaissance du vinyle, ce qui lui confère une aura de résistance underground des plus délictueuses.
Indian'death : dès les premières mesures vous êtes sur le sentier de la guerre. Après la bataille. La voix volète sans se presser comme les corbeaux, certains de n'être pas dérangés dans leur repas, qui gobent les yeux des cadavres placidement allongés sur le sol. Pour le rythme pas de panique, vous le suivrez avec facilité, se déplace à la vitesse d'un convoi funèbre qui monte contre le vent une pente ardue, z 'avez le temps de compter les touffes d'herbes, la batterie n'incite pas à la danse macabre et la guitare fuzze comme ces pelletées de chaux vive - le nuage de poussière qui s'élève d'une dizaine de centimètres avant de retomber par sa propre force d'inertie - que le terrassier fatigué épand sur les morts avant d'en aligner une deuxième couche dans la fosse commune. Red wine : un nuage de mouches sur un cadavre, la guitare en profite pour nous faire le coup du vol du bourdon de Rimski-Korsakov, remarquez ça donne un peu d'animation, vous en avez besoin parce que le mec qui chante sa voix vous parvient mal, doit être enterré et pas encore tout-à-fait mort, profite de ses derniers instants pour nous envoyer un dernier message incompréhensible. Je rassure les âmes sensibles, l'existe une vidéo où on les voit interpréter le morceau, ils sont vivants – quoique la teinte mauve rappelle ces perles violettes avec lesquelles on tresse les couronnes mortuaires – le guitariste – l'est aussi chanteur dans la même vie – est très beau, look dandy romantique, bonjour Pouchkine, les filles le préfèreront au batteur, ses lunettes rondes et ses moustaches peu sexy lui refilent un air de prolétaire qui stakanovise ses caisses à outils, du bon boulot. L'ensemble ressemble à du Hendrix sous-vitaminé au ralenti, mais vous vous laissez porter par cette rythmique tintinnabulesque et envoutante. A la fin le public, on l'aperçoit quelques trop courtes secondes dodelinant, crie sa satisfaction. Nous aussi. You 're nothing : un peu de philosophie n'a jamais fait de mal, vous ouvrirez votre livre à la leçon trois sur le nihilisme. Moins électrique – courant basse pression mais continu – ce troisième morceau semble presque joyeux, le charme étrange des cimetières, la voix toujours d'outre-tombe, la batterie imitant le bruit des fémurs claquant contre le bois des cercueils, une guitare qui pique d'étranges crises d'euphorie non hystériques, bref on n'est pas près de laisser sa place, on est trop bien assis sur une tombe à écouter ces bruits de nulle part qui résonnent dans notre tête. Sex on a grave : nous entrons dans le vif du sujet mort, rien à dire, l'amour à mort vous requinque un macchabée, pour un peu on comprendrait le chanteur, déclare que c'est magique, quand le soir vous ne savez pas quoi faire, voici au moins de quoi vous occuper. La guitare a du peps et la batterie procède par enjambées folâtres. Même si vous n'avez pas une tombe à votre disposition dans le living-room, z'avez envie de vous dégourdir les membres. C'est comme les éléments mais c'est le cinquième qui fait la différence. Permet de participer aux gustations divines. A grave, ils exagèrent leur tonus-fuzz on s'en fera toute une rangée. Mortel mais pas morbide. Like you and I ( like a knife ) : une histoire d'amour, drôlement bien balancée, chapeau au batteur, à cette guitare qui boîte de conserve, pour le vocal c'est parfait, on imagine le drame, on s'arrête pour jouir du solo de guitare, toujours dans le style Hendrix du pauvre, ce qui est déjà d'une richesse au-dessus de la normale, imaginez donc que votre médiator soit un couteau et que pour faire plaisir à votre instrument qui tient le rôle de l'être féminin, donc imparfait puisqu'il est vivant, vous lui procurez jouissance en lui enfonçant la lame, doucement, dans le corps qui tangue, sans à-coups brutaux, relisez La mort de C de l'ange Gabrielle, qui raconte perpétuellement comment le couteau s'introduit dans le foie de C afin de mieux comprendre cette espèce de slow macabre. The lights : dans le livre des morts égyptiens, l'on parle des illuminations qui émanent des champs de Ialou, lorsque l'âme atteint le terme de son voyage, vous ne verrez peut-être rien, mais vous sentirez que même si le rythme ne s'accélère pas vous prenez de l'altitude, quant à l'Eugène qui tient la guitare l'a du génie dans sa manière d'enchâsser les notes comme à la Maternelle l'on enfile les macaronis pour le cadeau de la fête des Mamans, joue sans se presser, le collier possède mille défauts qui par miracle se transforment en diamants noirs d'une beauté absolue. Redneck song : z'ont décidé de nous bluffer. Même pas trois minutes. Mais d'une richesse foisonnante. Six titres que la batterie semble battre avec un temps de retard comme si elle cherchait à imiter la démarche de l'escargot. Et la guitare qui épouse le moindre caillou du chemin. Alors là, à la première seconde c'est retour dans le passé, soyons précis, mid-sixties, jouent à ma petite sœur qui bat le beurre à cent kilomètres à l'heure, la tornade ratiboise, là où elle passe Attila ne repousse pas, l'on pense au Velvet dans ses bons jours, mais ce n'est pas tout, le pire c'est que ce TGV ne dépare en rien les six poussives locomotives précédentes à vapeur, s'inscrit dans la lignée, n'apporte aucune brisure dans le déroulé du film. Sister of mercy : on a eu la petite sœur voici la pitié qui tombe sur vous, se foutent carrément de notre gueule, t'as eu le rock, ben maintenant t'auras le blues, déjanté qui se traîne à la manière d'un couvercle de poubelle sous lequel un groupe de rats s'est faufilé et a entrepris de monter dans leur grenier, ne vous parle pas du tintamarre sur les marches. L'emportent pour s'en servir de trampoline. Des joueurs de blues depuis vingt ans il en naît une quinzaine tous les jours, qui vous refont et électrifient les plans du delta à la perfection, Lunar Funeral ne sont pas des partisans de l'embaumement, z'aiment que les cadavres rampent encore à toute vitesse sur leur lit d'asticots, première fois que j'entends un blues à la ressemblance de notre monde angoissant certes, mais surtout désopilant quand on y pense, un blues qui se lamente à la manière des crocodiles tapis au fond du bayou de la modernité, qui connaissent la fin de l'histoire et qui savent que riront bien ceux qui dans la mare se marreront les derniers. Je vous résume cela en une formule lapidaire : un blues anti-écologique. Mort aux pleureuses. Suicide : là ils exagèrent, si vous pensiez vous suicider tristement tout seul dans votre coin en versant toutes les larmes de votre corps, eux ils sont pour le suicide collectif, pourraient vous arroser de kérosène enflammé, non comme pour les ravalements de façade, ils vous éclaboussent avec un gros tuyau au mortier de suicide. Tout de suite c'est beaucoup plus gai, vous vous sentez comme les carcasses de Pompéi immortalisées dans leur gangue de cendres. Souriez dans deux mille ans les touristes se déplaceront en masse pour vous admirer. Peut-être même qu'ils viendront baiser sur votre tombe. Preuve que votre sex-appeal n'était pas un leurre.
Fabuleux. Du coup ce qui n'était pas prévu au programme, j'ai écouté leurs deux premiers morceaux, puis enchaîné sur leur deuxième album.
LUNAR FUNERAL
( Bancamp / Février 2016 / Avril 2016 )
If you stay away : pas de surprise z'avaient déjà leur style en main mais pas parfaitement accompli en le sens où le morceau reste inscrit dans une interprétation blues très classique, une voix un peu trop chantée, une rythmique un peu trop appuyée – l'on sent les accointances originelles avec les trois temps de la valse – par contre là les solos déjantés de la guitare sont déjà en place, cette sensation de conduire une voiture sur les deux roues à plat sur le bas-côté, blues borderline qui s'apprête à délaisser le ruban goudronné pour de futurs dérapages incontrôlés.
Cut my vein : feutre claudicant, cette voix par-dessous, encore un peu trop musical - l'on cherche le beau son, l'on sait ce que les gens au son trop polis sont, d'ailleurs la guitare furète dans les buissons pendant que la batterie bat le rappel de la meute qui ne vient pas. L'on sent que le groupe court deux lièvres à la fois, soit foncer sur l'autoroute, soit rechercher l'embardée, trop d'indécision, sur la fin l'on aurait envie qu'ils choisissent, cela nous tarde, mais ils terminent sans avoir opté pour un des pots à moutarde. L'on a envie de leur crier, la pétarade !
ROAD TO SIBERIA
LUNAR FUNERAL
( Regain Records / Avril 2021 )
Quand on parle de Sibérie tout de suite l'on pense au goulag et patati et patata, l'on a envie de réciter la déclaration universelle des droits de l'homme et tutti quanti... ne réagissons pas à la manière des chiens de Pavlov trop bien apprivoisés, la pochette ne montre aucun champ de fils barbelés... elle exhibe un guerrier, s'adjuge en seigneur toute la place, domine à lui tout seul la steppe entière, n'est armé que d'un ridicule bouclier, et d'un faisceau de bâtons qu'il brandit fièrement comme s'il faisait face à une armée. Il est l'homme immémorial, le chamane, celui qui avale l'esprit des animaux pour s'adjuger leur force, leur ruse, leur agilité, leurs facultés naturelles que nous avons perdues. Le véritable esprit de résistance est ici dans cette capacité à devenir le réceptacle des énergies animales et végétales.
Introduce : Les mêmes guys mais plus le même groupe. Commencent toujours par ce son tire-bouchonné qui débute systématiquement tous les morceaux. Dans la chronique précédente nous avions entrevu les deux voies qui s'offraient à eux. Ce deuxième morceau était prophétique, Road to Siberia s'éloigne de cet amateurisme de génie aventureux du premier album. En quatre ans le son a changé. On les qualifiait de groupe stoner-doom en leurs débuts, et aujourd'hui on les désigne comme une formation garage à tendance psyché, l'est sûr que ces appellations passe-partout sont par trop évasives, s'il fallait les utiliser encore, j'invertirais les étiquettes, leur premier album sonne bien plus garage que celui-ci. Le combo a mûri. Le son s'est étoffé, l'a acquis de l'expérience et une épaisseur doomique bien supérieure à ces plongées erratiques expérimentales qui faisaient le charme fou de Sex on the grave. Cette introduction resserre les boulons. The thrill : onze minutes achilléenne, prennent le temps d'exposer leur projet, du rock épileptique l'on passe au blues mélodramatique, batterie majestueuse et gerbe enflammée de guitares, la violence par-dessous, mais tenue en laisse pas du tout déjantée, la voix a forci, nécessaire car l'amplification sonore l'exige, le morceau porte bien son titre, l'on prend son pied, un motif arabisant, que l'on se complaît à écarteler afin qu'aucun détail de la planche à vivisection ne nous échappe, des réflexions se bousculent dans notre tête, lorsque les groupes veulent s'éloigner des sentiers balisés du rock, les divergences possibles ne sont pas incalculables, soit l'on singe le classique, l'on peut dire que l'on électrifie les lampadaires qui marchaient au gaz, soit l'on se tourne vers la musique monodique, ce qui a pour but de fragmenter notre gamme en de nombreux mini-tons ( de valeurs inégales ) qui à l'oreille produit cet effet de décomposition d'une phrase, le Zepplin nous a habitués à cette élongation des muscles du rock y sont parvenus très logiquement par les blue-notes si caractéristiques du blues qui amorçaient le chemin, Lunar Funeral construit avec ce long morceau sa cathédrale gothique flamboyant, à croire que l'on assiste aux somptueuses obsèques d'un prince aimé du peuple, et sur la fin les arabesques vocales ne sont pas sans rappeler un appel à la prière lancé du haut d'un minaret. Ne sont que deux, mais l'ensemble est magnifiquement orchestré. Manque peut-être d'un peu de puissance, mais vous contournerez le problème en playing very loud. 25 th hour : retour sur le plancher des vaches maigres du rock'n'roll, quoique très vite apparaissent des guirlandes électriques de notes, clignotent et disparaissent, le blues-rock infrangible poursuit son chemin impavide pavé des meilleurs intentions qui ne nous mènent pas en enfer dans une espèce de mid-tempo gémissant, sur lequel la voix se love tel un serpent qui s'enroule autour d'un tronc pour entreprendre l'ascension afin de se saisir de la nichée d'oisillons dans le nid. Le monde est souvent cruel. Black bones : l'on repart sur un rythme de casseroles avec la voix projetée en plein dedans, l'impression que l'on vous parle depuis le fond d'un tuyau, la guitare vrombit comme une basse, la batterie agite ses cymbales et dans le lointain un riff claironne, et l'on tombe sans préavis dans un charivari brinqueballant qui n'a pas l'air de savoir où il doit aller. Le son saute d'une de vos oreilles dans l'autre en un perpétuel et déclinant mouvement de balancier. Lorsque c'est terminé vous avez envie de vous ébrouer à la manière d'un chien qui sort de l'eau. Des rigoles de son sont absorbées par le sable de la plage. Silence : avec un tel titre l'on sent le coup fourré, en tout cas c'est joli tout plein, et le vocal est une véritable partie chantée, pour une fois c'est d'ailleurs la voix qui domine et montre le chemin, pas très silencieux, mais un vocal royal qui renoue avec les influences orientalisantes, comme par hasard le titre prend son temps, il dépasse les huit minutes, nous voici partis pour une nouvelle symphonie barocke, chœurs et orchestrations l'on rentre dans les pâturages d'une certaine grandiloquence, n'y a plus qu'à se laisser porter par les circonvolutions sonores entrelacées à charmer les serpents. Si vous n'aimez pas les reptiles suivez les volutes de la fumée des narghilés qui s'évanouissent dans l'air. Your fear is giving me fear : un bon rock bien lourd qui sème ses graines à tout vent pour rassurer les auditeurs qui n'aiment pas trop s'aventurer en terres et cultures étrangères. L'envie de dodeliner de la tête comme un headbanger du bon vieux temps du hard, attention tout de même, y a de temps en temps des fissures peu catholiques qui peuvent vous prendre en traître et vous jeter au fond de ravins insondables. Regardez où vous mettez l'oreille, l'est sûr que l'on se dirige vers un but certain, mais le chemin est trop tortueux pour être honnête. Don't send me to rehab : l'on comprend, ce n'était qu'une ouverture pour les onze minutes finales. Une partition. Les incontournables sont présents : la lourde lenteur rythmique de la batterie, la belle résonance de la guitare, la voix qui drive et commande, l'on attend la surprise qui ne vient pas, amble monotone du dromadaire qui foule le sable des dunes interminables, l'on est bercé par ce balancement régulier qui n'achoppe que très rarement, et cette voix de solitude enfermée en elle-même qui ne parle qu'à elle-même, à tel point que la guitare joue le blues en pointillés dans les rares moments où elle se tait, on ne s'ennuie pas mais on n'éprouve aucune émotion sinon cette torpeur funèbre qui envahit le monde.
Ce deuxième album n'est pas la répétition du premier que nous préférons. Le groupe a progressé mais ce qu'il propose est davantage calibré, sans défaut, mais pas inattendu. L'opus est de grande qualité, mais si vous devez n'en écouter jetez votre dévolu sur Sex on the grave, il est beaucoup plus grave, beaucoup plus gravement rock'n'roll.
Un groupe à suivre.
Damie Chad.
FAN ? FAN ? FAN ?
Jusqu'à ce jour pour ma part je n'ai inventé que pas-grand-chose, hélas aucun investisseur n'a jamais voulu m'aider à commercialiser cette notion qui pourtant pourrait leur rapporter gros, généralement les entreprises ne nous vendent que du rien, de l'insignifiant ou de l'insipide, du vent... Il est sûr qu'à proposer à nos concitoyens, qui en règle générale ne font pas grand-chose de leur existence, cet ennuyant pas-grand-chose prêt à l'emploi leur épargnerait bien des tracas, le seul fait d'acheter leur ration journalière de survie de pas-grand-chose leur apporterait un degré de satisfaction encore jamais atteint, l'argent qu'ils investiraient pour combler ce vide existentiel, leur procurerait un sentiment exaltant de plénitude, ils auraient ainsi l'impression que leur vie aurait un prix. Quant à cette notion de pas-grand-chose l'on saurait exactement la définir puisqu'elle serait cotée en bourse.
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Damie, tu nous les brises avec tes délires à la noix de coco pourrie !
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Ah ! je suis comme tous les génies supérieurs de l'humanité, vilipendé par la foule des médiocres helminthes qui m'entourent, tu n'as donc pas compris la critique radicale du mode opératoire du capitalisme sous-tendue par ma proposition, je...
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Change de disque Damie, tu nous fatigues !
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Bon, puisque vous ne voulez pas de mon invention, je vais évoquer, celle d'un autre, musicale par-dessus le marché, dont vous pouvez entendre douze des treize premières applications sur Bandcamp !
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Enfin du sérieux, nous sommes tout ouïe Damie, peut-être pas comme les abeilles de l'Hymette qui venaient butiner le miel des paroles sacrées de Platon qui coulaient de ses lèvres, mais nous t'écoutons !
PRESENTATION DE L'INVENTEUR
Pas tous les jours que l'on puisse, à la terrasse d'un café – ne voir en cette précision aucune pandémique allusion circonstancielle – discuter avec un inventeur. Les plus vieux, pardon les moins jeunes, kr'tntreaders le connaissent depuis longtemps, l'était déjà au sommaire de notre vingt-huitième livraison du 25 / 09 / 2010, nous chroniquions alors deux de ses concerts agrémentés à chaque fois d'une exposition de ses tableaux. Une partie de notre livraison était titrée Le rock sans guitare. Pour ne rien vous cacher Frédéric Atlan est peintre et musicien. Pour faire plus court nous le présenterons comme une espèce d'arctiviste en roue libre doué d'un esprit inventif et ingénieux. Passe parfois sur Provins d'où de temps à autre une rencontre au café... Vous ne le connaissez pas. Prenez un billet d'avion pour le Japon, l'on vous parlera de lui. L'a des idées intéressantes. Notamment sur les réseaux sociaux, s'en méfie en tant que peintre, à force de présenter au fur et à mesure de leur réalisation ses tableaux au compte-goutte, la force du projet en cours s'amenuise, se dilue, ne provoque plus le choc émotionnel espéré lors d'une exposition qui devrait être inaugurale et qui apparaît comme la liquidation d'une fin de série... Les musiciens feront le parallèle avec les morceaux qu'ils postent en avant-première sur les réseaux-sociaux... L'a profité du confinement pour se mettre au vert ( expression idéale pour décrire le repos du peintre ), ne dévoile pas ses ( prochaines ) batteries et nous met au courant de sa dernière et prépandémique invention : la
MUSIQUE PROTOCOLAIRE
Rien à voir avec ces hymnes officiels qu'un orchestre professionnel souvent militaire flonflonne pour la visite d'un chef d'état. Pour qu'il n'y ait pas d'ambivalence Frédéric Atlan a rédigé un manifeste sobrement intitulé Manifeste de la Musique Protocolaire. Il n'est pas très long, mais je vous le résume.
La musique protocolaire est dite protocolaire parce qu'elle débute par l'élaboration d'un protocole écrit. Toute personne qui a envie de participer à un concert précis doit être présente à la réunion de préparation, qu'elle soit musicienne ou non. Chacun décrit le son ou les sons dont il veut être l'instigateur. Vous pourrez emmener par exemple votre trombone, ou des sons pré-enregistrés, ou des ustensiles divers – caresser des vêtements de poupées, brûler votre carte d'électeur, soyez imaginatifs - dont vous tirerez des bruits qui vous agréeront, lire un texte si vous le désirez... Ensuite les participants doivent se mettre d'accord sur leurs interventions, en solo, en groupe, en-sous-section... L'architecture du morceau est ainsi définie à l'avance. Quelques jours plus tard vous recevez votre copie du texte élaboré en commun, vous avez le droit de proposer des changements, quand tout le monde est d'accord, une date, un lieu, une heure est fixée. Pas de répétition. Pas d'entraînement. Le jour J, à l'heure H, le concert débute...
CRITIQUE ET CONTRE-CRITIQUE MANIFESTES
Rien de révolutionnaire. N'est-ce pas ainsi que travaillent bien des groupes qui mettent en train un nouveau morceau, l'on ne note peut-être rien sur un bout de papier mais l'on cause un max. Objection acceptable certes, mais la musique protocolaire ne se permet jamais d'essayer, de faire entendre ce que l'on a envie d'apporter. La musique protocolaire refuse les tâtonnements expérimentaux, les essais et les brouillons, elle est beaucoup plus intellectuelle. Alors qu'elle est composée de matérialités sonores elle n'en demeure pas moins un objet de grande abstraction. En cela elle se démarque totalement des pratiques habituelles. Elle se distingue aussi de l'improvisation jazz, ou de l'arrache-punkotuosidale. Je la rattacherais plutôt à la pratique surréaliste du cadavre exquis encore que celle-ci soit biaisée par le niveau d'habileté langagière dont des participants sont capables.
Telle que nous l'envisageons la musique protocolaire est davantage un assemblage de sons que de notes. Nous sommes aux limites du noise, autant pour s'en évader que pour y entrer. Le mieux est encore d'aller y voir par nous-mêmes.
PROTOCOLE # 1
Je vous recopie le protocole 1 in extenso : conçu par huit participants musiciens et non musiciens :
Daniel Azélie ; trompinette, bugle et autres cuivres, objet, micro ''contact'' / Véronica Lombardi : lecture et manipulation de sculptures en tissus. Sébastien Gabard : synthétiseur analogique, pédalier basse et ordinateur. MP#H1-4 : noise box. Simon Girard : synthétiseur, oscilloscopes, caméra. / Tiziana Puleio : voix. Frédéric Atlan : tuyau, micro, jack, oscillateur. / De Motu Cordis : voix, boîte à rythmes, effet.
Le protocole comporte dix séquences. L'enchaînement des séquences peut se faire en surimpression et decrescendo ou par juxtaposition '' cut''.
1 : Veronica Lombardi manipule des sculptures sur lesquelles sont installés des micros '' contact''. Simon Girard reprend les signaux visuels et sonores, et les rediffuse en les réinterprétant.
2 : MP#164 crée des textures avec une noise box ; il est rejoint par les voix de Tiziana Puleio et de De Motu Cordis.
3 : Sébastien Gabard et Frédéric Atlan improvisent un duo de basse pour tuyau PVC et pédalier de basse.
4 : Le son du tuyau se transforme et annonce l'entrée de Daniel Azélie aux cuivres. Puis le tuyau s'interrompt et Daniel fait désormais évoluer les cuivres sur un rythme lancé par Sébastien.
5 : La séquence précédente s'interrompt brutalement avec l'intervention de Simon Girard qui lance un sample minimal ( solo ) et De Motu Cordis qui intervient avec des chants aigus.
6 : L'ensemble des participants jouent chacun un son minimal qui se répète.
7 : Nouvelle séquence de Daniel aux cuivres accompagnés de Tiziana et de De Motu Cordis.
8 : Veronica entreprend la lecture d'un texte a capella.
9 : MP#1-4 rejoint Veronica avec sa noise box, puis Sébastien produit des nappes de sons tandis que De Motu Cordis diffuse un rythme texturé.
10 : L' ensemble des participants émettent simultanément un son continu qui la clôture du protocole #1
Musique protocolaire - Protocole #1 : 8 février 2018 à 20 heures au 100 ECS, cent rue de Charenton. Paris 12ème.
Vous avez lu, filons sur Bandcamp écouter le résultat !
Protocole #1
Bruitiste mais pas surprenant. Le résultat s'écoute aussi facilement qu'un morceau de musique classique. L'on s'aperçoit que les expérimentations sonores du siècle dernier ont porté leurs fruits. Le côté dadaïste et provocateur a totalement disparu. Nous disposons d'une niche auditive pour accueillir ce genre de bruitage qui ne veut ressembler qu'à lui-même sans être choqués ou vivement interpelés. La question n'est pas d'aimer ou de ne pas aimer mais de savoir à quoi, en quoi, cette production pourrait un jour ou l'autre incessamment proche nous être utile quoique nous n'accordions aucune fonction utilitariste ou utilitaire à l'art. Cette musique – employons ce terme à défaut d'un autre – ressemble trop à notre monde pour nous être insupportable. Le sentiment esthétique n'est-il pas proportionnel à la congruence de la notion de plaisir avec le ressenti affectif de notre inscription dans la trame de notre vécu. Rupture ou adhésion. Ces deux postulations sont à considérer en dehors de toute appétence moralisatrice, l'art de faire ne serait-ce que du bruit pour se situer dans l'univers se situe au-delà du bien et du mal, du bon et du beau, du juste et de l'injuste. Le son n'est pas une idée, il ne participe que de lui-même. Nous le considérons en la phrase précédente hors de toute intention.
Deux choses qui me gênent, les applaudissements à la fin qui nous ramènent à quelque chose d'habituel, qui ne sort en rien de tout rituel d'humanoïdes policés, et le passage du texte lu - le fait qu'il soit en langue étrangère n'est en rien ennuyant, au contraire nous l'entendons en tant que son sans prêter le moindre sens - une voix humaine et donc normalisante, qui ressemble à celle de votre voisine de palier, ce qui est d'autant plus dommageable que les sons sont songes phoniques, nous emportent dans un univers de science-fiction, l'esprit lâché en liberté vagabonde tout à son aise, l'imagination nous laisse le champ libre de monter notre propre scénario.
Protocole # 4 ( 28 / 03 / 2018 )
Dinah Douïeb / Nicolas Boone / Thomas Lyn / Daniel Azélie / Le Rhinocéros / Frédéric Atlan
Rien à voir avec le Protocole #1. Ici nous sommes en terres connues. Le début ressemble à un scène de film en anglais, très vite l'on passe à une espèce de documentaire en voix off mais qui attire toute l'attention, ce n'est pas la manière de prononcer les mots mais ce qui est raconté, l'histoire de la naissance du Raï en Algérie, rien d'exemplairement musical, l'on comprend alors que la chose n'est jamais évoquée explicitement en sa dimension révolutionnaire, comment le Raï est une musique fondamentalement anti-religieuse, comment sa genèse s'oppose en touts points à ce désir obsédant de pureté que l'on retrouve dans les trois religions monothéiques méditerranéennes, grondements et poinçonnements, bête caverneuse qui grogne, cette troisième phase débute comme un intermède lyrique, le morceau a déraïllé, voix radiophonique qui cause de système anti-missile, et la boucle se boucle, retour au début.
Applaudissements qui n'apparaissent pas aussi incongrus et inopinés qu'à la fin du Protocole # 1, ce numéro est constitué de fragments du monde réel, fonctionne sur le principe de l'auberge espagnole où chacun apporte de chez soi ce qui lui semble approprié à la situation. Ce protocole, aussi intéressant et agréable à écouter qu'il puisse être, n'est guère créatif. L'on pourrait le qualifier de classique, d'attendu.
Protocole # 7 ( 13 / 06 / 2018 )
Thomas Levée / Frédéric Ravore / Jean Robin Merlin / Daniel Azélie / Simon Girard / Le Rhinocéros / Frédéric Atlan
Pianotements introductifs, agressions de rainurages industriels, l'impression d'être dans un vaste atelier d'usine empli de machines diverses en plein travail, cris de voix aigües, arrêt de la machine, démarrage rythmique rock qui s'impose au premier plan, suivi d'un appareil à propulsions répétitives, lieu de production, l'ambiance sonore se diversifie, des échos porteurs de mystères, le processus de fabrication entre dans une nouvelle phase, des voix venues d'ailleurs se mêlent au bruit, à croire qu'elles proviennent de l'espace, les bruits deviennent plus réguliers, moins assourdissants, l'on était sur une monstrueuse chaîne de montagne, l'on régresse au niveau du bricoleur du dimanche matin dans son garage, arrosages, gazouillis monstrueux, piles de pièces métalliques qui s'écroulent, échos, tempêtes d'échos, machine locomo qui avance, le train démarre et s'enfuit, freinage, pressurage, messages venus de l'espace, crissements non égoïstes de scies égoïnes, trompettes dans le lointain, partition de musique concrète, une scie mécanique n'arrête pas de tourner, sons de guitares, basse, rebondissements chromatiques, le bruit se ferait-il musique, concert symphonique, mais le bruit revient tel un moteur d'avion, coups de gong final qui ne marquent pas la fin, des lames s'entrechoquent, coups de clairon, harmonica, tuba disharmonieux, bruit de soudure, et l'on repart en rythme, claudication allègre, arpentages divers, érayures, l'on est presque dans un morceau de rock'n'roll et peut-être même tout-à-fait, rythmique metal et charivari d'enfer, l'on est parti au paradis, mais des sifflement vous cisaillent le cerveau. Applaudissements nourris et mérités.
Un protocole bien protocrockenroll, musique métallurgique, sans surprise, bien foutue, cette idée que pour produire du metal, il suffit d'avoir le pattern initial et de mettre la machine en route pour au bout du processus mécanique avoir l'objet sonore en main.
Protocole # 12 ( 21 / 05 / 2019 )
Simon Girard : voix, synthés, audio et vidéo / Thomas Lyn : ocarina, piano, boîte à rythmes voix / Frédéric Atlan : guitare lyre, piano préparé, voix, boîte à rythmes, piezzo
( chips écrasés, papier à bulles écrasées, mâchouillages, drone )
Emiettements, douces sonorités musicales ce qui n'empêche pas l'installation d'une ambiance mystérieuse, bruits de bouches et toujours ces sons venus de loin, détraquage, pétillements de flammes, cris de souffrances, bruits de boîte de conserve – le chien qui dort à mes pieds n'apprécie pas – cris entre exaspérations et miaulements – bizarrement le chien n'y fait pas gaffe - avec une montée sonore progressive, et l'on repart sur des clapotis innocents qui se perdent tandis qu'un engin venu de l'espace ne fait que passer, il est loin et l'on sent l'accélération qui s'éteint dans le lointain, ne reste plus que des friselis de sons dans les oreilles, ça s'en va et ça revient pour se terminer en pets buccaux néanmoins rythmiques, une onde de mystère vous traverse le ciel à la manière de soucoupes volantes, les computeurs reçoivent un message, rien de méchant, ambiance quiète.
L'antithèse du morceau précédent. Pas de bruit. Mais du bruitage à dimension humaine. Une composition méditée. Une question insidieuse, qu'est-ce que la démarche protocolaire apporte de plus à cette musique ?
Protocole # 13 ( 04 / 06 / 2019 )
Thomas Lyn / Simon Girard / Frédéric Atlan
Conformément aux habitudes de présentation en vigueur sur Bandcamp, les œuvres à écouter sont accompagnées de la pochette du disque dont elles sont issues ou d'une illustration. J'avouons que le rapport entre les images proposées par Frédéric Atlan et les morceaux enregistrés ne m'est presque jamais apparu évident. Toutefois pour ce dernier opus, le protocole précise que nous sommes au lever du jour dans une forêt équatoriale et qu'au début l'on entend des chants d'oiseaux – déjà Beethoven dans sa pastorale... - toutefois nonobstant que je n'ai jamais mis les pieds en Afrique, cette région montagneuse n'a m'a pas trop l'air équatoriale...
Z'en effet l'on entend les zoziaux au plumage multicolore ( rêvons ) pépier sans contrainte, sont bientôt rejoints par ce qui ressemblerait à l'amplification du vol d'une mouche tsé-tsé, plus un bruit de fond que le protocole qualifie de granuleux, grondement d'orage, bruit d'appareil électronique en détresse, picotements de bâtonnets à percussions et une belle voix féminine surgit, le temps et l'espace semblent s'étirer indéfiniment, éloignements divers, bruits des quatre saisons, oscilloscopes qui se télescopent, dialogue de film, un train à grande vitesse se précipite sur nous, passe et disparaît.
Des morceaux que nous avons écoutés, celui-ci est le plus décevant. Nos protocoleurs seraient-ils fatigués, ne sont plus que trois, ont-ils déjà tout donné, la formule a-t-elle épuisé ses possibilités... cette treizième séquence n'emporte pas l'adhésion, l'imagination n'est pas au rendez-vous, ressemble un peu à ces sandwichs que l'on remplit sans réfléchir avec les restes du frigo, sans se soucier d'harmoniser les saveurs, qui vous laissent sur votre faim. Dépasse à peine les six minutes. Précisons que tous les morceaux proposés ne sont pas des reprises à l'identique. Les prestations sont d'après nos estimations réduites de moitié. Ce qui sous-entend que certains moments doivent être par trop répétitifs. Souvenons-nous que sur un disque l'on n'a pas droit non plus à l'intégralité des séances d'enregistrements.
Indépendamment des résultats obtenus, cette notion de musique protocolaire sortie de l'esprit fertile de Frédéric Atlan, ne me satisfait pas pleinement. Je ne saisis pas ce qu'elle apporte de plus à l'auditeur ni non plus en quoi elle influe d'une façon intrinsèque et particulière sur l'originalité de la forme de la production obtenue. Par contre je conçois très bien que les participants puissent y prendre leur pied. S'amuser comme des fous et ressentir un maximum de plaisir. Sans doute cette notion demande-t-elle à être approfondie en son essence d'Acte agissant.
Damie Chad.
08:07 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : swampland, b. j. thomas, spirit, rockabilly generation news 18, lunar funeral, musique protocolaire