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03/04/2019

KR'TNT ! 413 : JACKIE SHANE / ALL THE YOUNG DROOGS / SWALLOW MUCUS DIARRHEA / PENDRAK / NASTY FACE / INOPEXIA / NITE HOWLERS / ROCK'N'ROLL 39 - 59

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 413

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

04 / 04 / 2019

 

JACKIE SHANE / ALL THE YOUNG DROOGS

SWALLOW MUCUS DIARRHEA / PENDRAK

NASTY FACE / INOPEXIA

NITE HOWLERS / ROCK'N'ROLL 39 – 59

TEXTES + PHOTOS SUR  : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Shane on you

Jackie Shane fut en son temps une sorte de pionnier. Ce joli black originaire de Nashville fit carrière durant les sixties dans les clubs de Toronto en chantant comme Wilson Pickett et en trimbalant un look extrêmement décadent, à cheval sur Esquerita et Rrose Sélavy, mêlant le kitsch des downtown clubs à celui développé par Duchamp et Man Ray au temps béni de Dada. Ce personnage fascinant va pousser le bouchon très loin puisqu’il finira par se faire opérer pour devenir une dame. C’est elle qu’on voit sur la pochette du fantastique double album Any Other Way paru en 2017.

Un livret grand format de 32 pages accompagne ce double album et Rob Bowman nous y raconte dans le détail l’histoire de ce personnage extravagant. Bowman fait de Jackie Shane one of the greatest unsung soul singers of the 1960s. Eh oui, il suffit d’entendre la version que fait Jackie de «Papa’s Got A Brand New Bag», c’est du pur jus de James Brown, avec des aouh criants de véracité exacerbée. Bowman précise aussi que Jackie n’a jamais fait la pute ou joué les drag queens. Ce n’est pas du tout son style. Il se contentait d’affirmer ouvertement sa sexualité en portant du maquillage, des chemises en soie et des bijoux, à la ville comme à la scène. Avec dignité et self-respect. Pas d’exotisme chez Jackie Shane, juste une féminité assumée. Sur scène, Jackie savait tenir son public en haleine with her radiant eyes, extraordinary vocal abilities, and graceful, subtle stage presence - Ce qui à l’époque était quand même encore très risqué. Comme Bobbie Gentry, Jackie décida à un moment de disparaître de la scène. Son dernier concert eut lieu à Toronto en 1971. Puis plus rien. Silence total. Jusqu’à aujourd’hui, 21 février 2019 : Jackie vient de casser sa pipe en bois, à l’âge ultra-vénérable de 79 ans.

Franchement, son histoire vaut le détour. Il grandit aux environs de Nashville et se découvre très vite une passion pour les robes. Jackie dort chaque nuit avec ses grand-parents. À l’adolescence, Jackie comprend clairement qu’il est une femme dans un corps d’homme - I was born a woman in this body - et se pointe au collège maquillé - It would be the most ridiculous thing in the world for me to try to be a male - Pas la peine de faire semblant d’être un mec. On le considère alors comme un freak, mais sa mère lui apporte tout son soutien. Jackie n’a pas besoin d’aller voir un psy, car c’est clair dans sa tête : il ne se voit pas comme quelqu’un d’autre. Aucune ambiguïté. Il se fout de ce que pensent les autres, dès lors qu’il ne fait de mal à personne.

Jackie a quinze ans quand il rencontre Little Richard qui vient juste de percer avec «Tutti Frutti». Mais il est plus fasciné par les Upsetters, la backing band de Little Richard, et plus particulièrement par Chuck Connors, le batteur. Il enregistre un single, «I Miss You So» sur Excello et quand sa mère s’installe à Los Angeles, il va lui rendre visite. Elle lui refile un sacré tuyau : le talent show de Johnny Otis, le mec qui a découvert Etta James et Sugar Pie De Santo. Jackie s’inscrit et chante «Lucille» sur scène. Le public en redemande. Il gagne le trophée et retourne jouer de la batterie à Nashville avec ses amis. Il a déjà un style particulier, il joue debout et chante - I get a kick out of it - Entre 1957 et son départ de Nashville en 1958, Jackie enregistre pour Excello et accompagne des gens du calibre de Big Maybelle, Gatemouth Brown, Larry Williams, Little Willie John et Joe Tex. C’est justement Joe Tex qui conseille à Jackie de quitter le Deep South pour aller faire carrière ailleurs. D’autant qu’à l’époque, des gangs de blancs tabassent encore des nègres dans la rue, just for fun. Jackie comprend qu’il doit quitter la région rapidement, et d’autant plus rapidement qu’il se dit openly gay dans un secteur où on frappe les nègres. Sortir dans la rue maquillé, c’est un peu comme de vouloir traverser un fleuve infesté de crocodiles à la nage. Forget it. Alors il monte vers le Nord avec des amis musiciens. Quand il débarque à Montreal, il voit des clubs partout. Incroyable ! Jamais vu autant de clubs ! Il est vite engagé, mais la mafia traîne dans les parages et un parrain commence à le tripoter. Jackie lui dit bas les pattes. Insulté, le parrain lui annonce qu’il va envoyer ses tueurs. Jackie a pas mal d’ennuis avec la mafia locale et finit par comprendre un truc élémentaire : il faut se payer les services d’un protecteur, surtout à Montreal, où tous les clubs sont tenus par la mafia. Puis il rencontre Frank Motley and the Motley Crew. Motley est un black capable de jouer sur deux trompettes en même temps. Shane et Motley deviennent vite des bêtes du circuit des clubs. Ils font un malheur à Boston et reviennent casser la baraque à Montreal, en 1960. Pour la communauté noire de Toronto, Jackie est la star number one. Avec son maquillage et ses costumes en silver mohair, Jackie passe pour a perfect china doll mannequin. On est en 1961, longtemps avant Bowie. Jackie reprend des tas de hits sur scène, dont l’excellent «Any Other Way» de William Bell. Le single paraît sur Sue Records en 1962. Quand William Bell l’entend, il est frappé par la qualité des arrangements. Jackie continue de jouer avec le feu en montant sur scène maquillé et coiffé comme une duchesse. Il n’est pas le seul à risquer sa peau. Bobby Marchan le fait aussi, à une époque où la loi interdit à un homme de se déguiser en femme. Jackie fait gaffe en sortant dans la rue en finit par s’installer à Toronto, jusqu’en 1970.

Comme le premier single sur Sue marche bien, le mec de Sue invite Jackie à New York pour enregistrer son deuxième single, «In My Tenement». Mais ça ne marche pas. Jackie déteste ce morceau choisi par le mec de Sue. Il n’aime pas non plus les musiciens qui l’accompagnent. Jackie voulait un real R&B soulful record et non ce genre d’uptown R&B qui aurait pu convenir à Ben E. King ou aux Drifters. On peut entendre ce single sur l’A du double album. Jackie a raison de vociférer, car voilà un «In My Tenement» complètement passe-partout, tapé au grand banditisme avec toute une kyrielle de choristes et de cuivres - A too busy arrangement - Et le «Comin’ Down» de Bobby Darin qui figure sur le B-side du single n’a absolument aucun intérêt.

Jackie joue régulièrement en première partie d’Etta James. En 1965, il séjourne à Los Angeles et se produit dans des clubs avec la crème de la crème du gratin Dauphinois, de T-Bone Walker à Johnny Guitar Watson en passant par Etta James. En 1966. Jackie enregistre une superbe version de «You Are My Sunshine». Wow ! C’est monté sur un beau beat popotin et une bassline entreprenante grimpe au devant du mix. Jackie pulse son dernier couplet à la Esquerita. Oui, sent nettement la superstar. Un autre single vaut tout l’or du monde : «Stand Up Straight And Tall». Jackie chauffe sa Soul comme James Brown, mais en plus perçant, et avec une niaque de tous les diables réunis. C’est solidement nappé d’orgue et bien pulsé. Jackie joue aussi de la batterie en studio pour Lowell Fulsom. Eh oui, sur le fameux «Tramp».

Sur scène, Jackie n’en finit plus de casser la baraque - It was like going to see our version of James Brown - Les gens l’adorent - He was amazingly hot. Electric. He was always moving. He was playing the crowd. Eye contact all the time - Mais les gens remarquent aussi un sorte de réserve naturelle, Jackie ne fait jamais la folle - She was there for serious business - Bien sûr, les traves viennent voir Jackie sur scène et un mec va même jusqu’à dire : «Jackie was Bowie before Bowie.» Et comme Jackie fait un malheur au Saphire de Toronto, un gros malin lui conseille de faire un album live, en prenant l’exemple du James Brown Live At The Apollo, un disque que Jackie vénère, évidemment. Frank Motley & The Hitchhikers accompagnent Jackie sur ce live fabuleux qui fut enregistré en plusieurs sessions. On en retrouve trois sur ce double album. Il manque le «Hi-Heel Sneakers» qui figure sur l’album paru sur Caravan à l’époque. On est saisi dès «Knock On Wood» par l’extraordinaire présence de Jackie, c’est aussi raw que Wicked Pickett, il knocke son wood avec la même niaque. Puis il explose «Money» au scream. Il peut haranguer la public comme James Brown, à la glotte fêlée. Il tape aussi une belle version du «You’re The One» de Bobby Blue Bland et transforme le «Don’t Play That Song» de Ben E. King en slow super-frotteur. Mais c’est avec le «Papa’s Got A Brand New Bag» de James Brown qu’il fout le souk dans la médina. Il reprend aussi le vieux «Any Other Way» de William Bell et enchaîne avec une version inflammatoire de «You Are My Sunshine». Son plus gros coup d’éclat est dans doute sa version de «Shotgun». Jackie chauffe la Soul de Junior Walker avec une ardeur hors du temps et des modes. Il a quelque chose que les autres n’ont pas. Quel shaker de shook ! Il ne pouvait pas choisir cut plus wild que Shotgun. Il fait son Sam & Dave et son James Brown dans le hot hell de Junior Walker. On avait encore jamais vu ça. Il enchaîne avec un «New Way of Lovin’» explosif, au sens d’Esquerita, un vrai shoot de bamalama, avec une guitare fantôme qui vient hanter le son. C’est absolument dévastateur. Il termine avec un «Cruel Cruel World» tout bêtement spectaculaire. Il pousse son cruel cruel world dans ses retranchements. Jackie Shane est un shouter phénoménal et on s’étonne qu’il soit resté underground. Il balance des monologues extraordinaires dans le courant du show - You know what my slogan is ? Baby do what you want, just know what you’re doing - Et puis en 1970, George Clinton et Funkadelic proposent à Jackie de bosser ensemble, mais non, ça ne l’intéresse pas. Pourquoi ? Ces mecs sont trop wild - I liked what they were doing but it’s not me - Puis Bowman nous apprend que Jackie est allé enregistrer deux cuts à Los Angeles, «It’s Your Thing» des Isleys et «Who’s Making Love» de Johnnie Taylor, mais ces enregistrements n’ont jamais refait surface. Ah comme la vie peut être bizarre, parfois.

Signé : Cazengler, Jackie Shit

Jackie Shane. Disparue le 21 février 2019

Jackie Shane. Any Other Way. Numero Group 2017

 

All the young Droogs

 

Il suffit d’une photo de Third World War dans Uncut pour mettre tous les services en état d’alerte. So what ? Proto-punk ? On a même une mini-interview de Terry Stamp. Trois questions, pas plus. C’est déjà ça. Quand Jim Wirth lui demande quel effet ça lui fait de se voir considéré comme glam, Stamp répond qu’il ne sait pas ce qu’est le glam, et il ajoute que le traiter de glam, c’est un coup à se faire péter les dents. Pour aider le pauvre Jim Wirth, disons que l’«Hammersmith Guerilla» de Third World War fait le lien avec les Hammersmith Gorillas de Jesse Hector et de là, on rejoint logiquement le glam des Gorillas et le «Live In Style In Maida Vale», mais c’est quand même un peu tiré par les cheveux. Wirth essaie de s’en sortir en affirmant que Third World War était un knuckle-dragger Slade (un Slade cro-magnon) sans le chapeau à miroirs, c’est dire s’il n’a pas compris grand chose : Slade et Third World War n’ont absolument rien de comparable. Et Wirth s’enferre en ajoutant que Terry Stamp et Jim Avery n’étaient pas les ancêtres directs de Sweet ou des New York Dolls, but flawed prototypes, c’est-à-dire des vagues prototypes, et plus loin, il dit exactement le contraire - Third World War were the antithesis of pretty-boy glitter rock - Au risque de se faire péter les dents, Wirth insiste lourdement et demande à Terry Stamp ce qu’il pensait alors de Bolan et de Bowie. Oh Stamp les connaissait parce qu’il les croisait dans le circuit. Stamp avait déjà du métier, il accompagnait Mike Rabin en 1964, et par principe, il souhaitait bonne chance aux débutants. Stamp se souvient aussi que Bowie avait une guitare Hagstrom acoustique, real nice. Il louchait même dessus. Il conclut en disant se moquer des étiquettes et rappelle qu’il se contentait à l’époque de Third World War d’écrire des chansons. Voilà, débrouille-toi avec ça. On trouve aussi dans l’article de Wirth des photos qui font baver : Be-Bop Deluxe, les Milk’n’Cookies et des groupes moins connus comme Angel, Buster et les Brats. Jim Wirth va loin, car il compare le coffret All The Youg Droogs au Nuggets de Lenny Kaye. C’est vrai que le principe est le même : pour monter ce genre de compile, il faut aller fouiner dans les poubelles de l’industrie musicale et y déterrer des nuggets. C’est exactement ce que raconte Tony Barber dans le texte d’introduction du coffret, cette passion de la recherche des singles rares qui le poussait parfois, comme il le rappelle, à se mettre à quatre pattes sous les tables des exposants pour aller fouiner dans les «cartons du dessous» - in the 10p box on the floor under the table - là où stagne le vrac dont personne ne veut, sauf les diggers convaincus de leur digging. Phil King et Tony Barber se mirent dans les années quatre-vingt à écrémer les conventions et les équivalents britanniques des Emmaüs qu’on appelle les charity shops. Alors que les singles punk et psyché étaient recherchés, les singles de sous-glam ne valaient pas un clou et comme le rappelle Tony Barber : «They were only worth 10p because I was maybe the only person interested on the entire planet.» Mais au-delà des clichés glam, ces groupes de sous-glam se voulaient antisociaux, bien avant les Sex Pistols, comme le rappelle Barber, et c’est ça qui l’intéressait. Wirth parle d’antisocial aesthetics.

Wirth rappelle aussi le rôle que jouent les Dolls dans cette histoire. Les Milk‘n’Cookies s’en réclamaient et leur bassman Sal Maida avait joué dans Roxy Music et les Sparks. Mais la prod de leur album fut complètement foirée et les Cookies se retrouvèrent en 1974 le cul entre deux chaises, entre le glam et le punk à venir.

En titrant son coffret All The Youg Droogs, Phil King adresse un joli clin d’œil aux Dudes de Mott, même si les glamsters agglutinés dans le coffret n’ont rien de vraiment Droogy, au sens où l’entendaient Stanley Kubrick et Anthony Burgess. On trouvera un peu de délinquance juvénile ici et là, mais pas trop. Phil King et Tony Barber n’en sont pas à leur coup d’essai : ils ont déjà à leur actif plusieurs compiles de Junk Shop Glam, un concept de leur invention et qui fait désormais autorité. Dans sa longue note de présentation, Tony Barber commence par dire qu’il haïssait les sixties, Cliff Richard, les Tremoloes et tout ce qui passait à la télé. Les seuls cuts qui trouvaient grâce à ses yeux étaient des trucs comme «River Deep Mountain High» et «Reach Out I’ll Be There». Puis tout prend du sens en 1972 avec Marc Bolan. Arrivent dans la foulée Slade et Sweet. Puis «Can The Can». Et comme il s’ennuie comme un rat mort pendant les années quatre-vingt, il joue de la guitare sur les B-sides de Sweet - I just never stopped liking their stuff - Nous aussi. Il commence à fouiller dans les cartons de singles et pouf, il tombe sur le «Rebel Rule» d’Iron Virgin. C’est là qu’il se met en chasse des glam-souding bands from around 73/74. C’est l’époque où tout le monde refourgue ses disques - There were people everywhere who would sell you 500 singles for a tenner - Tony Barber nous parle d’un temps béni, celui d’avant le web, quand il fallait fouiner pour trouver des disques. Il rencontre Phil King et découvre qu’il partage la même passion. Barber rappelle qu’il utilisait l’expression Junk Shop Glam depuis le début et que Phil King avait lui aussi des expressions comme «Glitter From the Litter Bin» et «Boogie Bands In Blushers». À la fin des années quatre-vingt dix, Barber part s’installer à New York. C’est là qu’il décroche, mais Phil King continue et lance ses compiles chez RPM : le Junk Shop Glam prend son envol. Barber conclut en disant qu’on vit aujourd’hui in a strange kind of post-heritage culture world, un monde étrange où tout est devenu immédiatement accessible. Plus besoin de fournir le moindre effort pour trouver ce qu’on cherche. C’est là, il suffit de cliquer. Il ajoute que ces groupes des années 70 suscitent plus d’intérêt aujourd’hui que les nouveaux groupes, et que ça doit paraître étrange aux yeux des musiciens d’alors de voir leurs singles devenir des pièces de collection qui s’arrachent à prix d’or. Cinquante ans plus tard.

Le coffret comprend trois disques/chapitres : 1 - Rock Off, 2 - Tubthumpers & Hellraisers et 3 - Elegance & Decadence. Des trois chapters, les plus impressionnants sont les deux premiers, qui valent pour un vrai panier de glam-crabes. On se demande ce que fout le «Working Class Man» de Third World War là-dedans, mais en même temps, ça reste un plaisir de l’entendre. Alors laisse tomber les bricoleurs de garage du dimanche, c’est Terry Stamp le seul maître à bord. Il chante du fond de son âme de street guy et en plus, il ramène la mythologie de la classe ouvrière qui a hélas disparu avec les pseudo temps modernes. Stamp, seul maître à bord, ever. On tombe aussi sur Iggy et «I Got A Right». Pareil, on se demande vraiment ce qu’il fout là. Hormis le plaisir de l’entendre. C’est un son extrême, noyé dans l’haze of it all. Williamson tape dans le tas et la basse de Ron Asheton traverse l’autoroute sans regarder ni à droite ni à gauche. C’est aux Milk’n’Cookies que revient l’honneur d’amener le premier coup de bambou avec «Wok’n’Roll». Fabuleux stomp, on sent vibrer la racine du glam-punk. C’est monté sur un riff de relance en forme de ressort, imparable, avec toutes les ficelles du big glam boot. Rien qu’avec ces trois merveilles, le matelot est soûlé. Phil King nous ressort du bin les Brats, des Dolls lookalikes. En fait, il s’agit du groupe de Rick Rivets, qui fit partie des Dolls à leurs débuts. Leur «Be A Man» vaut pour un gros coup de glam démento à gogo. Petite révélation avec Glo Marcari et son «Looking For Love». Voilà une petite dévergondée, véritable incarnation du glam nubile délinquant. C’est assez stupéfiant. On aurait presque envie de serrer la main des diggers qui ont réussi à déterrer cette franche merveille. Il faut partir du principe que tous les singles rassemblés dans ce coffret valent le détour, notamment ce «Big Boobs Boogie» de Slowload, très Johnny Rotten dans l’esprit du chant, c’est bardé d’envolées de pyrotechnics et de relents stoogy. Et c’est avec Iron Virgin qu’on tombe de la chaise. Le mec chante à la glotte folle, musical yobs with a camp image, nous dit Phil King, c’est demented, comme dirait le Doctor du même nom ! Dynamique du diable et gros retours de manivelle, ça pulse dans la virulence abdominale du glam virginal. Dans Fancy, on retrouve Nigel Benjamin, le mec de Mott. Leur «Brother John» reste du big sound. Tous ces mecs tentaient leur chance, mais peu passaient la rampe. Nigel Benjamin envoie des ooouh yeah avec une belle abnégation. Phil King nous explique aussi que Benjamin est allé fréquenter Nikki Sixx à Los Angeles, mais il n’a pas réussi à faire partie de Motley Crüe. Autre merveille, le «She’s Not My Fever» de Cole Younger. Pur jus d’English rock star underground. Cole Younger va chercher des chats perchés sur fond de wall of sound. Admirable. Voilà encore un single perdu dans l’océan des singles et tellement inspiré. Il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie. Encore du pur glam avec Sweeney Todd et «Roxy Roller». Le glam quand il est bien foutu est un son dont on ne se lasse pas. On a là du heavy glam canadien dans la meilleure des traditions. Ils jouent dans les règles de l’art total. Avec «Get Outa My Ouse», Hustler passe au cockney-glam. Le chanteur s’appelle Mickey Liewellyn et il a la classe d’un Noddy Holder des bas-fonds de l’East End. C’est à l’immense Stevie Wright que revient l’honneur de refermer ce brillant Chapter One. Il fait lui aussi un fantastique numéro de chat perché. Pas de pire shouter que Stevie. Il nous sort un boogie niaqué et sauvage.

Le Chapter Deux (Tubthumpers & Hellraisers) grouille aussi de glam et ça part en trombe avec le «My Teenage Queen» d’Harpo. Heavy glam stomp. C’est du glam de Suède, indestructible, comme l’acier de Damas. Encore plus glam, voici «Bye Bye Bad Days» des légendaires Hector. Bovvers stars. Riffing wild et violent, avec un solo à l’étalée. Voilà le genre de cut qui justifie à lui seul l’achat du coffret. On croise pas mal de rock’n’roll à la sauce Bay City Rollers ou même Abba, et ça reste pop-rock glammaire. On revient au glam d’Écosse avec Frenzy et son «Poser» bien posé sur le beat de stomp. Ils truffent leur dinde de petites conneries de comedy act, mais ça passe comme une lettre à la poste. Simon Turner n’accroche pas plus que ça, dommage. On croise plus loin le «Whizz Kid» de Mott The Hoople qui marche à tous les coups, grâce à son ‘Mick Ralph crutch’. Diable, ce qu’on a pu aimer ça à l’époque. Ce genre de cut est une véritable machine à remonter le temps. On voyait se dresser le mythe de Mott dans la misère d’un lycée de province. Retour aux affaires avec Angel et «Little Boy Blue». Ces mecs étaient managés par Andy Scott et Mick Turner. On sent la nette influence de Sweet. Ils se gargarisent de l’exceptionnelle aura sweety à coups de c’mon et de heavy stomp. C’est tout simplement énorme. On tombe à la suite sur le meilleur cut du coffret, l’effarant «Zephyr» de Baby Grande. Il s’agit d’un groupe australien contemporain des early Saints. Fantastique charge sonique ! Ces mecs incarnent le raw power. C’est une explosivité de tous les instants - Well I call you a zephyr - Tout est là, dans cette énergie des guitares, c’est rempli de son à ras-bord, personne ne les aime et ils ne s’aiment pas non plus, mais quelle niaque démente, c’est même bien meilleur que les Saints (pas facile à dire pour un vieil inconditionnel des Saints). Après, ça devient difficile de continuer, car il semble qu’avec Baby Grande la messe soit dite. Il faut attendre le «Cut Loose» de Stud Leather pour renouer avec le frisson. On voit ces mecs foncer au pianotis avant de retomber dans le velours pourpre du glam, avec des jolis breaks de beat stomp. Ils se payent même le luxe d’un final en forme de délire free au sax. Excellent ! On reste dans l’excellence extatique d’un son porté aux nues avec une reprise de «Gimme Gimme Some Lovin’» de Biggles. C’est ultra-saturé d’énergie, unbelievable, il n’existe rien de plus festif que cette merveille. Autre modèle du genre : «Dog Eats Dog» de Mint, une espèce de big boogie glam avec des éclats de Beach Boys Sound. Phil King nous dit que Martin Rushent a produit le «Fast Train» de Tank. Ah comme c’est bon ! C’est même joué à la meilleure heavyness du temps d’avant. Encore une perle avec The One Hit Wonders et «Hey Hey Jump Now». Big shoot de Mike Berry. C’est énorme ! The bubblegum maestro, voilà encore un single bardé de son, de classe et d’énergie. UK Jones referme la marche du Chapter Two avec «Let Me Tell Ya», fabuleux shake de Junk Shop Glam. Le beat tape dans l’œil, paf ! Pur jus de glam stomp, c’est plein comme un œuf de poule.

Le Chapter Three (Elegance & Decadence) est nettement moins dense, au sens glam des choses. Le Brett Smiley qui ouvre le bal n’est pas très bon, mais Phil King nous révèle que des inédits de Brett Smiley vont bientôt refaire surface. John Howard ne marche pas non plus : trop pop et pas assez décadent. Trop torturé dans sa texture - Rococo balladry and florid vignettes - Mieux vaut écouter Peter Perrett. Les singles de ce Chapter Three vont plus sur le cabaret, un genre difficile. Il faut attendre Paul St John pour renouer avec le glam à la Bowie. Il joue à coups d’acou dans l’écho du temps et sort un admirable artefact de glam spatial. Woody Woodmansey est présent à deux reprises et se vautre les deux fois. Son «Star Machine» est mauvais. Et quand on écoute Paul Nelson dans Be-Bop Deluxe, on se demande bien comment il a réussi à devenir culte. Il règne une sacrée ambiance dans son «Night Creatures», mais Bowie est passé par là avant lui. Avec des gens comme Steve Elgin, John Henry et Clive Kennedy, on perd complètement le fil du glam et pire encore, le fil des Droogs. On se remonte le moral avec la version acou d’«I Live In Style In Maida Vale», d’Helter Skelter. C’est d’une classe imbattable. Jesse Hector avait tout compris. Greg Robbins chante son «Virginia Creeper» d’une voix de gonzesse et ça tourne à la délinquance juvénile. Le Sleaze de TV Smith est insupportable et le reste ne vaut pas tripette. Restons sur Helter Skelter, Baby Grande, Hector et Iron Virgin, si vous voulez bien.

Signé : Cazengler, all the old schnock

All The Young Droogs. RPM 2019

Jim Wirth : All The Young Droogs. Uncut #262 - March 2019

Sur l’illusse, on voit Hector.

MONTREUIL / 28 – 03 – 2019

LA COMEDIA

SWALLOW MUCUS DIARRHEA / PENDRAK

NASTY FACE / INOPEXIA

Viens jeudi, m'avait-on recommandé, il y aura du grind à moudre. Du gros grind gras grave, en toutes choses j'adore les extrêmes, vous pensez bien qu'en rock aussi, j'accours, je vole, je supersonique la teuf-teuf, les dieux du tonnerre et de l'ouragan me sont favorables, au moins quinze places de parking libres.

SWALLOW MUCUS DIARRHEA

Deux qui nous tournent le dos. Guitare et micro. Le set ne durera pas plus de vingt minutes, peut-être dix, mais très choc et pas chic du tout. L'on est soulagé lorsque ça s'arrête. Ce n'est pas que ce soit mauvais, c'est que lorsque l'horreur surgit, vous n'avez qu'une idée, qu'elle cesse au plus vite. Une guitare en furie qui n'arrête jamais, imaginez un bourdon colérique de cent mètres de long qui fonce sur vous à quatre cents kilomètres heures, ses ailes déracinent les arbres au passage et engendre une espèce de raz-de marée sonore destiné à vous rayer de la terre, le bourdonnement inexpiable retentit sans interruption comme les sirènes de l'apocalypse. Bruit et fureur. Un screamer fou, growle dans le micro et l'éloigne aussitôt de sa bouche, cette glissade rapide opérant à chaque fois une espèce de sifflement de locomotive en furie. Une catastrophe sonique. Le pire c'est que vous n'avez encore rien vu.

Vous avez eu le son. Voici les images projetées sur un drap blanc. Insupportables. Si vous avez encore quelques illusions sur la nature humaine, sautez ce paragraphe. Commence par une leçon de dissection dans un amphithéâtre de médecine. Hélas, l'on ne s'y attarde pas, très vite les vues insoutenables se bousculent, scènes de massacre et de boucherie, le plus terrible c'est que vos yeux s'y posent et y restent collés comme des mouches sur les cadavres, insupportables vidéos d'exécutions perpétrées par Daesh et consorts, têtes décapitées, gros plan sur les visages pendant la découpe in vivo, corps ouverts au coutelas, nourrissons criblés de balles, enfants abattus en direct live, éclaboussures de sangs, sadisme des bourreaux, soubresauts des corps, yeux énucléés, spectateurs empressés dont les portables au plus près, n'en perdent pas une, automutilations diverses, charniers des camps d'extermination nazis, immeubles soufflés par des rafales de missiles, ventres d'avions lâchant des chapelets de bombes, pendaisons, démembrements, éviscérations, j'en passe et des pires, portraits d'hommes politiques qui ont commandé ces horreurs...

Avalez la merde humaine par les yeux, Swallow Mucus Diarrhea, produit l'excrémentielle cacophonie de notre époque. Directement entée sur notre monde. Inutile de vous voiler la face, si vous abaissez les paupières, l'horreur rentre par vos tympans. Terminez les douces ballades à l'eau de rose, SMD exhale la puanteur de nos âmes. Qu'elles se déroulent au bout du monde, loin de nos contrées policées, n'est pas une excuse, nous portons en nos fibres la même sauvagerie, elle fermente en nous, l'être humain a su créer un monde à l'image de sa propre saloperie. Là où il y a de l'être, il y a de la merde disait Artaud.

La prestation de Swallow Mucus Diarrhea dit crument tout ce nous nous cachons tout bas. Les images expliquent la violence de la musique que la réalité a engendrée. Sans doute sont-elles plus insoutenables que le gore noise qui les accompagne, mais peut-être pouvons-nous les regarder en face justement parce que le direct live sonore nous y conduit, à la manière d'un instituteur qui de sa baguette attire et focalise l'attention de ses élèves sur les particularités exemplaires d'une règle d'orthographe écrite sur le tableau. A moins que ce ne soit la prégnance de la réalité cannibale du monde qui se nourrit de la chair de la musique censée l'exprimer. Ce qui est sûr c'est que l'on ne sort pas indemne d'une telle prestation.

PENDRAK

Pendrak, de Paris, ont choisi de passer après leurs potes de Rennes. Tâche difficile. Vont tout de suite remettre les pendules à l'heure musicale. Mallarmé affirmait que c'était une hérésie redondante que de mettre ses poèmes en musique. Pendrak va nous démontrer que la musique se suffit à elle-même. Certes, c'est plus rassurant de se confronter à une formation classique : guitare-basse-batterie. Au moins l'on est en pays connu, et normalement rien de bien terrible devrait nous arriver. Avec en prime peut-être un bon concert. Qui nous a été offert.

Vous pondent des œufs de fer toutes les deux minutes. Faut suivre et aiguiser tous ses sens. Un ensemble parfait. Vous ne passeriez pas l'épaisseur d'un cheveu dans leur cohérence sonique. Pas la plus miminement mince des fissures, pas la moindre lézarde. Pour un peu vous passeriez à côté de leur dextérité instrumentale. Tout va trop vite, vous aimeriez qu'ils rejouent le même morceau, et vous seriez prêt à jouer l'imbécile de service en leur demandant de jouer plus lentement. Trop tard, z'en ont déjà aligné trois de plus, et vous n'avez pas intérêt à prendre le train en marche pour comprendre ce qui se passe.

Ce n'est plus du rock, c'est une démonstration. Sont incrustés à mort dans la philosophie du grind crust death. La violence du monde ils vous la jettent à la figure sans avoir besoin de vous faire un dessin. Vous pigez cinq sur cinq. Une guitare ravageuse, une basse grondante et une batterie destructrice. Les physiciens nous assurent que si vous abolissez le vide qui sépare les particules des atomes, l'univers entier contiendrait dans un dé à coudre. Doivent s'inspirer de cette idée. L'ont transposée en musique. Vous font du bonzaï rock. Vous réduisent les baobabs en brins d'herbe et les éléphants en puces. Un metalleux classique vous en ferait un monstre de trois cents tonnes de ferrailles, Pendrak vous cisèle une pacotille de trois grammes, aux bords aussi coupants qu'un rasoir, un bijou d'une densité extraordinaire, la même force d'impact dévastatrice, et ils vous le lancent sur la figue à la vitesse d'une étoile de ninja intergalactique. Deux voix, l'une qui grunte et l'autre qui growle, une dissonance ponctuante qui vous assène des uppercuts sans rappel. No Brain No Pain, Le Cimetière de l'Intelligence, si vous vous reconnaissez dans ces intitulés, désolé pour vous, Pendrak ne mâche pas de mots, rugit fortement.

Déjà fini, quittent la scène sans chichi, laisse la place aux copains. Grosse impression.

NASTY FACE

Trio grind. Hard core grind. Viennent de Suisse. Leur musique n'a pas l'accent traînant de leur congénère. N'ont pas de temps à perdre. Un morceau qui dépasse deux minutes n'existe pas. Z'ont comprimé le temps. Violent et rapide. Vont nous interpréter une espèce de symphonie échevelée. Toujours le même scénario, batteur blasteur fou qui vous entreprend sa caisse claire comme quand vous filez une fessée cul-nu à votre gamin de trois ans qui a mis le feu à votre appartement, ça lui fait mal, certes, ça saigne, mais vous ça vous soulage, sur ce la guitare et la basse embrayent à croire qu'ils étaient en retard, un ours féroce rugit dans le micro, émergent de ce chaos deux coups de cymbale, arrêt-catastrophe, tout le monde descend, et illico presto subito expresso gonzo, tout de suite votre marmot se reprend une déculottée monstrueuse à lui trouer l'anus.

Nasty Face fonctionne comme ces émissions spermatiques de cachalots qui ensemencent leurs chéries à trente mètres de distance d'un jet de foutre qui tape net en cœur de cible. Sont des partisans de l'énergie brute. Tout et tout de suite. Un rythme inimaginable, une puissance incoercible. A ce genre d'exercice personne ne peut tenir longtemps, aussi se hâtent-ils de recommencer aussitôt. Coup de charley et c'est reparti en style commando troupe de choc. Ne respirez pas, vous aurez le temps de le faire une fois que vous serez morts. La batterie vous fracasse les synapses, la guitare vous étrille les oreilles, la basse vous interdit de penser. Et toujours cet ours polaire qui vous déchire la banquise orale à coups de museau.

Dans le public, l'on a lâché les fous furieux, les bras levés, les poings serrés en avant, un rictus sauvage sur leur faces refermées sur elles-mêmes, avançant à l'aveuglette dans un cauchemar qui n'appartient qu'à eux, les garçons arpentent la pièce comme des zombies enragés que leurs maîtres ne contrôlent plus.

Le set n'a pas duré longtemps. Vous en ressortez sonné et commotionné, choqué et azimuté, heureusement il n'est pas prévu de cellule de soutien psychologique pour vous aider à rejoindre le monde ennuyeux de la normalité moutonnière. Les Nasty Faces vous ont laissé tomber du plus haut de leurs alpages, et vous avez adoré. L'on en reparlera longtemps dans les chaumières. Et peut-être êtes-vous de ces glorieux témoins survivants qui pourront dire j'y étais.

INOPEXIA

Viennent de très loin. De Russie. Il se dit que dans les pays de l'Est le rock est particulièrement violent. Une rumeur, dont nous avons eu la chance de vérifier la véracité. D'apparence pas de changement, encore un trio, un gore grind trio. Vous commencez à connaître la musique. Des morceaux ultra-courts et ultra-violents. Mais vous le savez, même dans l'enfer le diable se cache dans les détails. Z'ont une première particularité, mais totalement anodine. Jouent face au public mais sur le petit côté de la scène ce qui leur permet d'avoir un plus grande profondeur de champ. Idéal pour les amateurs de pogo-grind qui ne s'en priveront pas.

Z'en ont une seconde. Qui change tout. Z'ont un guitariste. Comme les autres. Oui mais celui-là il sait jouer. Certes il fait comme les précédents, mais en pire, décharge un maximum d'agressivité à chaque morceau, le truc de base des sports de combat, ne jamais se crisper, laisser circuler l'énergie, ne retenez rien, que votre corps ne soit pas blindé comme une armure, mais fontaine jaillissante de flux énergétique comme me l'enseignait mon maître Pham Cong Thien. Mais lui, il garde toujours un œil ouvert sur le riff à la forge, et un autre sur le suivant déjà prêt sur le feu. Inopexia nous sert sa spécialité un grind à l'arrache-gueule rock'n'roll. Ses doigts chavirent sur les cordes comme un navire dans le naufrage.

On ne les voit pas, ni le bassiste ni son instrument, totalement masqués par le guitariste-chanteur, mais on entend leurs couinements tortillés de glapissement jouissifs et étranglés de chasse au renard. Dispensent des remontrances aigües de souffrance animale prise au piège. La batterie roule et écrase, elle moud la poudre noire de la démence. Ecrase tout sur son passage, un peu à la manière des premières pages de Chatouny roman de Loury Vitalievitch Mamleev, le chatouny métaphore de ces ours qui n'arrivent point à s'endormir et à hiverner, deviennent fous de fureur, comme si la bête se muait en berserker humain devant l'inconfort du monde.

Inopexia pulvérise. La Comedia est envahie d'espèces de morts-vivants qui s'entrecroisent et se tamponnent lourdement, entrée dans l'infra-monde. Notre sang se coagule. Nous ne saurons jamais pour quelle mutation, car Inopexion termine son set, nous laissant sur notre faim, devant une porte d'ombre, qui grince et grinde, et ne sera pas ouverte. Nous en cauchemarderons toute la nuit.

Damie Chad.

 

TROYES - 29 / 03 / 2019

3B

THE NITE HOWLERS

La teuf-teuf file sur la route rectiligne. Tout droit vers Troyes. Je médite. Déjà vu les Nite Howlers en octobre 2017. Grand écart entre la soirée d'hier et celle de tout à l'heure. En moins de vingt-quatre heures je vais passer du rock le plus extrême, le plus brutalement déchaîné, à du rockab quasi classique, une violence beaucoup plus maîtrisée, beaucoup plus sourde. Deux genres musicaux différents – souvent les fans des uns n'aiment pas la peluche préférée des autres, moi je pense que c'est idem, dans le rock, l'éros ou la poésie, faut boire à toutes les coupes – pourtant ces deux styles ne sont pas sans analogie, exigent une très grande maîtrise instrumentale et un engagement total. Similaires aussi par l'impact qu'ils produisent.

NITE HOWLERS

Un nom d'assassins coureurs de bois dans les nuits profondes que démentent leurs sourires épanouis. Rien qu'à les regarder alors qu'ils n'ont pas émis une note vous pigez qu'il ne s'agit pas d'une gentille colonie de perdreaux de l'année, des faucons aguerris aux instincts meurtriers, ne bouffent que du rockabilly, encore sont-ils difficiles, ne dépiautent que du premier choix, fin fifties et earlier sixties, moins de brassées de foin campagnard qui fleurent bon les fragrances agrestes, préfèrent les bâtons d'orages des sorciers indiens chargés d'électricités crépitantes. Pas encore le rock urbain, inventons la notion de genre rockabilly suburbain.

Impossible d'être tranquille et de dormir sur ses deux oreilles, Pedro Pena est aux drums, Jules Moonshiner à la Fender, Max, Mr Bass, à la up-right bass et Olivier Laporte à la rythmique et au micro. Quatuor de choc et de rêve. Terrible dilemme, vous ne savez ni qui regarder, ni qui écouter. C'est que l'ensemble frise la perfection, z'avez l'impression qu'ils sont dans un studio et qu'un ingé génial aux consoles a concocté un son d'une pureté incroyable. Non c'est du live, et il est indéniable qu'ils adorent jouer sans filet.

Jules est vraisemblablement le César de la guitare, j'ai voulu savoir comment il l'avait trafiquée, parce que vous savez la lead dans le rockab, c'est un orchestre symphonique à elle toute seule, change au moins trente fois de registres en un seul morceau, un peintre qui aurait mille couleurs sur sa palette, la sienne est carrément multi-fonctions, d'un instant à l'autre elle adopte l'onctuosité grondante d'une basse, le trot caracolant d'une rythmique et le grand galop pour les charges héroïque en tête du peloton. Non, n'a rien ajouté ni retranché, et son petit ampli rouge est une reproduction moderne de 2006. Ce mec a des doigts d'or. Ce qui ne suffit pas. Possède aussi la finesse d'esprit nécessaire et l'intelligence innée du jeu qui permet de prévoir et d'assumer toute les inflexions typiques du rockab. Musique instinctive et savante.

Moustache et barbiche, l'élégance et la classe indépassable, big mama couleur chêne clair, Max maximise son apparence. Deux pour le prix d'un. Le beat d'acier doux et élastique flegmatique, suit le rythme s'y colle dessus comme la toux sur le tuberculeux, comme le venin sur les crocs du crotale, ne le quitte plus, ne s'en détache plus, les trois autres ostrogoths peuvent essayer de s'agiter et de s'en débarrasser, lui l'est là, imperturbable comme l'œil consciencieux de Dieu dans la tombe de Caïn. Mais ce n'est pas tout. Musicien, yes, mais aussi comédien. Un interprète hors-pair. Joue avec ses doigts et avec son corps. Tous les morceaux il vous les interprète, la bouche silencieuse mais les paroles sur les lèvres, l'est le fan de base dans sa chambre qui imite ses idoles, l'a la chair qui hoquette, le torse qui se plie en sourdine, les jambes stables qui flageolent, il n'interprète pas du rockabilly, il est l'incarnation de la fièvre intérieure du rockabilly qui saisit tous les amateurs.

Derrière Pedro sourit. Tient dans sa main gauche une baguette à la manière d'un japonais qui picore dans un bol de riz. Vous refile l'impression qu'il n'aurait besoin que de cet unique ustensile, qu'il a rassemblé un kit minimaliste devant lui juste pour ne pas se faire remarquer outre mesure. Par contre la mesure, il vous l'assure à la diabolique. Se saisit d'un balai à la manière d'un gosse qui sort un jouet de son coffre, vous pose presque pour faire joli un tambourin sur sa charley, sourit une fois, sourit deux fois, sourit trois fois, le gars qui ne fait pas de bile, il jubile, oui mais avec lui, le rythme crépite et palpite. L'est au centième de seconde près, les camarades se tournent vers lui, pas de problème, leur sourit comme un coucou suisse qui vient juste de rentrer dans sa niche. L'a une pointeuse dans la tête, pas du genre à faire une seconde supplémentaire.

L'est salement suivi à la trace Olivier par ses trois body-guards. L'entourent et l'escortent, lui rendent les honneurs dû à la Reine d'Angleterre. Z'ont intérêt à être méticuleusement précis. Vous donne le change, vous balance des giclées de rythmique, que les trois autres vous encadrent aussi soigneusement que les archéologues déplient des manuscrits mésopotamiens, oui mais ça c'est pour l'esbroufe, pour rendre joyeux les oufs, car le chant rockabilly est une mécanique infernale. Une voltige angélique, du grand art lyrique, une seule erreur et vous êtes mort, couvert de ridicule, le renoncement de la renoncule, la honte de l'ergastule, la cloque molle de la pustule. Un iota directionnel d'un dixième de degré et votre satellite se perd dans l'espace. L'on ne chante pas le rockab comme l'on écrase les œufs du poulailler avec les sabots de la fermière.

Charlie Feathers, Carl Perkins, Benny Joy, Ronnie Dawson, amusez-vous à y taper dedans, la fougue et le tourment, la foudre et la démence, les Nite Howlers vous dressent de ces barrages de flammes à embraser la planète, et le vocal d'Olivier se glisse dans ces rideaux de feu avec une facilité déconcertante, certains marchent sur l'eau plate et les autres préfèrent les champs de serpents. A chacun son ordalie. Les Nite nous dynamitent trois sets incandescents. Trop beaux, trop bons, trop tout. Sont pris eux-mêmes à leur propre piège. Après le rappel ne peuvent pas se quitter, prennent trop de plaisir à jouer ensemble, le temps perdu ne se rattrape jamais, alors ils s'accrochent à notre rêve et nous offrent encore trois salves phénoménales, et l'on sent qu'ils stoppent les amplis avec regret, même s'ils ont tout donné.

Le bar plein à croquer, les amateurs qui se pressent et qui rockent à la manière de barils de poudre enflammés, Béatrice la patronne a encore craqué une allumette magique.

Damie Chad.

THE NITE HOWLERS

( SLEAZY rECORDS / SR 161 )

Tout frais. Erreur lamentable. Too hot, comme on aime. Sorti depuis dix jours. Une espèce de brasero qui foutra le feu à votre appartement. Donc vous avez intérêt à vous le procurer si vous désirez du changement dans votre vie.

L'a de la chance Olivier Laporte, l'est allé aux States, mais contrairement à beaucoup d'autres, lui n'a pas perdu son temps à visiter l'Empire State Building, il a été reçu par Charlie Feathers – vous en avez rêvé, il l'a réalisé - et plam se sont offerts tous les deux dans le salon un petit set, just for fun. Un truc qui vous marque pour la vie. Alors pour leur deuxième single les Nite Howlers, en hommage à ce prestigieux pionnier, ont repris deux de ses titres.

She's gone : fut un grand moment du show des 3 B. Jules s'y est notamment engagé sur la passerelle sans planches d'un solo apocalyptique au-dessus de l'abîme, suivi sans peur ni reproche par ses trois compères... Ça file et gronde comme un rapide dans la nuit, la voix en même temps lointaine et très présente, la big mama qui profile le rythme, Pedro qui bouture par derrière et la guitare qui balance son fiel, plongée dans le tunnel orchestral plus noir que le désespoir, Jules qui éclabousse, et le vocal qui se place dans le poste de conduite, maintenant tout le monde repart pour un voyage au bout de la nuit du rock'n'roll. Infinitude de la solitude. Today and tomorrow : Olivier enfonce les racines et déploie le feuillage du chant, l'instrumentation batifole à l'ombre de cette arborescence primordiale. La voix nasille, se prolonge et trainasse sur les syllabes, laisse à peine à la guitare le temps de jeter une pincée de sel ardent, et la ronde reprend, l'on aimerait qu'elle ne s'arrête jamais, mais en ce bas monde tout a une fin, même un disque des Nite Howlers.

Une petite merveille, les howls hululent sans modération, aux consoles Rawand Baziany des Black Shack Recordings se révèle être un véritable producteur digne de ce nom. Un bijou à ne pas offrir à sa copine, à garder pour soi.

Damie Chad.

 

ROCK'N'ROLL 39 – 59

Catalogue de l'Exposition Cartier

22 / 0628 / 10 / 2007

( Editions Xavier Barral / 2007 )

Un paquebot, l'épaisseur de la bêtise humaine, la lourdeur de sa lâcheté, des feuilles qui pourraient servir de gilets pare-balle, un monument. La moindre des choses pour le rock'n'roll. Z'auraient dû tripler le volume du monstre. Peu de textes et énormément de d'illustrations. Affiches de concerts, pochettes de disques, photos d'artistes ou d'anonymes symboliques de l'époque. A feuilleter, à scruter, à admirer. Pour les amateurs, pas de découvertes iconographiques bouleversantes, ces documents circulent depuis très longtemps sur internet.

Second avertissement, il s'agit bien du rock'n'roll in America et point du tout en France, si ce n'est la page de Line Renaud qui raconte la soirée passée à Paris avec Elvis, en permission, jouant durant quatre heures sur la Selmer qui avait servi à Django Reinhart, apprenant ce détail le King ému en embrasse la caisse...

Elvis se taille la part du lion, sur quatre cents pages, cent-vingt-cinq consacrées à Elvis. Certes on y rencontre aussi Sam Phillips, et Dewey Phillips tous deux responsables de la carrière du Pelvis. Dewey pour avoir été le premier à passer la première cire du futur roi dans son émission radio. Un véritable rocker avant la lettre, une espèce d'exalté qui a tout compris. Son émission Red, Hot and Blue, draine la jeunesse autour du poste, programme tout ce qui est un tantinet borderline et nouveau, disques de nègres et de visages pâles, ne fait pas la différence, et peut-être plus que ses musiques, c'est sa logorrhée verbale déjantée qui attire les jeunes, Dewey indique des horizons nouveaux, excitant – l'en abuse un peu trop - et excité, bénéficiera de la fulgurance Presley de 1956, en 1957 on lui propose une émission TV, qui sera vite arrêtée. Une broutille selon les critères d'aujourd'hui, un attentat à la pudeur inadmissible pour l'époque, un ami déguisé en singe qui se frotte sur une effigie en carton de Jayne Mansfield, un initiateur, l'a mis en évidence et en pratique la formule magique ou maudite : sex, drugs and rock'nroll. Ne vivra pas vieux, meurt en 1968, un destin qui n'est point sans point commun avec celui d'Alan Freed dont l'émission radio et les shows aidèrent à imposer le nom de rock'n'roll pour cette nouvelle musique...

Sam Phillips ne retirera jamais son amitié à Dewey. L'est animé par une philosophie de vie qu'il s'est forgée au contact d'un domestique noir et de sa sœur sourde et muette, n'hésite pas à abandonner, au grand dam de ses collègues qui ne comprennent pas, une situation stable dans la meilleure banque de la ville pour enregistrer des noirs, et vraisemblablement leur serrer les mains, pouah ! La suite de l'aventure est connue, nous l'avons souvent racontée... A ceux qui nombreux lui ont demandé le nom de l'artiste qu'il aura été le plus fier d'avoir enregistré, sa réponse n'a jamais varié : pas Elvis Presley, mais Howlin' Wolf.

L'on a parlé du miracle Sun, l'on a glosé à l'infini pour savoir si le jeune camionneur de Memphis serait devenu Elvis si Sam Phillips n'avait pas été là pour accoucher et révéler à lui-même ce jeune homme timide et mal dans sa peau... Ne serait-ce pas une fausse question, si Elvis avait raté son rendez-vous avec la gloire, quelque part in the great America un jeune blanc aurait fini par trouver la formule idéale... Chacun est unique, nul n'est irremplaçable, il n'y a pas de destin, ni de hasard, simplement des circonstances.

Le rock était inéluctable. L'était-là depuis un bon moment, tapait à la porte et demandait à entrer. L'exposition préparée par Dominique Perrin et Greg Gellec essaie de retracer sa gestation. Remonte jusqu'en 1939, mais le véritable début se place en 1945. Les conséquences de la guerre furent multiples. Les soldats noirs revenus de la guerre n'acceptent plus dans leur tête la ségrégation, les mentalités ont changé, ils ont donné leur sang au même titre que les blancs... Cette prise de conscience sera le germe des combats pour les droits civiques. Mais au lendemain de la guerre le problème se pose d'une manière bien plus prosaïque que les idées philosophiques sur l'égalité des races. Beaucoup de musiciens noirs sont morts, d'autres relativement plus chanceux sont retenus en divers points de la planète en tant que troupes d'occupation... lorsque les big bands essaient de se reformer afin de reprendre le boulot, trop souvent la moitié des effectifs fait défaut... Le malheur de ces grands orchestres de danse issus du jazz feront le bonheur des petits combos de rhythm'n'blues. La solution est vite trouvée, puisque l'on a du mal à recruter quinze gus, on en prendra la moitié sept ou huit, mais pas plus, à charge pour eux de faire du bruit pour quinze. Suffit de souffler plus fort, de taper plus fort, de chanter plus fort. Et de jouer plus vite. Les noirs ont trouvé le rock'n'roll, mais avant l'heure ce n'est pas l'heure. Rock around the clock !

Et puis les choses ne sont pas si simples. Le rhythm'n'blues lui-même n'est pas né ex-nihilo, sort du gospel, vient du jazz qui provient du blues, qui provient des musiques africaines, puis des chants des champs de coton, et aussi des influences des musiques européennes apportées par les blancs, un véritable mic-mac, une foire d'empoigne, ce chaudron de sorcières ne donne pas un mélange homogène, les possibilités sont multiples, un peu moins de ceci, une pincée supplémentaire de cet ingrédient-là, et le goût du potage change du tout au tout.

Les pages 44-45 vous replongeront en enfance, ces labyrinthes dont il faut suivre les multiples entrées pour trouver la sortie. Vous connaissez la ruse de sioux, suffit de remonter la piste en entrant par la sortie et au bout du chemin, vous tombez pile sur la bonne entrée. Ben là, vous avez sept entrées : Early jazz, Early Vocal groups, Early boogie-woogie, Early gospel, Early blues ( traditional Blues + country blues ), Early country. Jusque-là tout va bien. Inutile de chercher à tricher, n'y a pas d'exit, tout au plus des lignes courbes qui se croisent, ainsi de la station Carnegie Hall vous accédez vingt ans plus tard à Jerry Lee Lewis, vous souhaite du courage, le plus terrible c'est que c'est assez bien intuité, l'arbre généalogique du rock'n'roll ressemble aux gracieuses courbes des jets d'eau dans les parcs municipaux, ça monte et ça retombe, une gare de triage, interconnexion universelle, partez d'un point quelconque, vous arrivez partout, le rock'n'roll est une portée de sacrés bâtards issus de pères différents. Je préfère ne porter aucun jugement moral sur les entremises maternelles. Prostitution à tous les étages. Copulations intenses. Partouze généralisée.

Question subsidiaire : pourquoi 1959 ? Et pas 1960, avec la mort d'Eddie Cochran qui eût été un point d'orgue parfait. Ben à cause de nous. Oui kr'tntreaders de la péninsule, c'est de votre faute. Certes avec la mort de Buddy Holy, la crise mystique de Little Richard, le scandale Jerry Lou, le service militaire d'Elvis, la troupe avait fondu comme neige au soleil. Non vous n'y êtes pour rien, mais le rock'n'roll traverse la mer et prend pied par chez nous, en Europe. Certes il n'est pas mort, Beatles, Rolling Stones vont le regonfler à bloc, mais ce n'est plus le rock des origines, l'a muté, s'est métamorphosé, même s'il n'a pas écrit ''L'Europe m'a tuer'' sur les murs, ce ne sera plus jamais pareil...

Cette réponse de Greg Gellec possède le mérite de faire du rock'n'roll un produit typiquement américain, mais aussi le désavantage de le réduire à ses racines et même de le définir selon l'histoire de styles musicaux qui ont bien concouru à sa formation mais qui n'étaient pas du rock ! Je veux bien admettre que les groupes teenagers noirs soient une étape du rock'n'roll, mais il me semble que le bouquin laisse un peu trop de côté les sentiers country qui mènent aussi au rockabilly. En cela le livre relève bien de cette auto-contrition politiquement correcte des petits blancs qui se sentent tributaires des traitements que leurs ancêtres quasi immédiats ont infligé aux noirs. Des restes d'auto-culpabilisation christologiques inconscients. Le livre me semble faire la part un peu trop belle aux têtes d'affiches du hit-parade, des gros vendeurs, du succès grand-public... Récapitulatif des comptes mais oubli de l'esprit. Le rock'n'roll brandi en tant que hache de paix, mais enterré en tant que hache de guerre. Entre la réalité et le mythe, je choisis le mythe car il me rapproche de mes Dieux.

De beaux passages dans ce livre, la différence établie par Robert Palmer entre les chants plaintifs et consolateurs des negro-spirituals soutenus par un harmonium et le style rocking and reeling des années trente d'un gospel beaucoup plus âpre qui remonte aux hollers et aux ring shoots des temps primordiaux de l'esclavage, l'évocation à plusieurs reprises de Rufus Thomas, de Dave Bartholemew, les portraits de Sam et Dewey par Peter Guralnick, l'a aussi consacré une belle page à Rufus Thomas, et je m'aperçois que c'est encore lui qui nous retrace l'émouvante amitié de Doc Pomus, géant blanc débonnaire et d'Otis Blackwell gringalet noir rachitique, Greil Marcus se charge de nous révéler à sa façon sept chef-d'œuvres rock, célèbres ou inconnus.

A regarder comme un rêve évanoui.

Damie Chad.

 

11/10/2017

KR'TNT ! ¤ 343 : LEON RUSSELL / NITE HOWLERS / BLUE'SKAÏ GRASS / ABK6 / STEVE JONES ( + SEX PISTOLS ) / DJANGO REINHARDT / CUIRTUREL / DICO-ROCK

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 343

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

12 / 10 / 2017

 

LEON RUSSELL / NITE HOWLER / BLUE'SKAÏ GRASS

STEVE JONES ( + SEX PISTOLS ) / ABK6

DJANGO REINHARDT / CUIRTUREL / DICO ROCK

TEXTE + PHOTOS SUR :

http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Russell et poivre

 

Avant de ressembler au Père Noël, Leon Russell a longtemps affiché un beau look sel et poivre. Il appartient définitivement au passé puisqu’il vient de partir rejoindre l’être auquel il ressemblait le plus : Dieu, c’est-à-dire le supérieur hiérarchique du Père Noël.

Quand il commence à fréquenter dans les années 70 des gens comme George, Ringo ou Dylan, Tonton Leon est déjà une légende à deux pattes. Il vient en effet du mythique Wrecking Crew, le house-band du Gold Star studio de Los Angeles que s’arrachaient tous les producteurs de renom des early sixties, à commencer bien sûr par Phil Spector, mais aussi Brian Wilson. C’est aussi le Wrecking Crew qui joue sur le premier album des Byrds (le seul Byrd autorisé à jouer sur «Mr Tambourine Man» fut Roger McGuinn). Dans une fantastique interview qu’il accorda à Andy Gill dans les années 90, Tonton Leon rappelle que ce fut Hal Blaine qui baptisa cette fine équipe the Wrecking Crew. Pianiste de formation, Tonton Leon révèle qu’il apprit à jouer de la guitare avec James Burton. En tant que membre honoraire du Wrecking Crew, il joua du piano sur «River Deep Mountain High», «Be My Baby» des Ronettes, «Da Doo Ron Ron» des Crystals, mais aussi sur certains cuts des Beach Boys comme «California Girls» et «Help Me Rhonda», et plus tard sur l’extraordinaire «Try Some Buy Some» de George Harrison, que reprendra David Bowie. Tonton Leon se souvient aussi d’avoir eu le privilège d’accompagner Sam Cooke, Johnny Mathis et l’Aretha de la période Columbia. Il eut aussi la chance de travailler avec Jack Nitzsche, et comme si cela ne suffisait pas, on lui proposa aussi d’accompagner Frank Sinatra. Alors forcément, quand arrivent dans le studio des gens comme Joe Cocker, Clapton ou Delaney Bramlett, Tonton Leon se frotte les mains. Pour lui, c’est de la rigolade.

Il s’associa à une époque avec Denny Cordell, l’Anglais qui avait découvert Procol Harum et les Moody Blues et qui venait de s’installer à Los Angeles. Ensemble, ils montèrent Shelter Records et parmi leurs découvertes, il faut bien sûr noter celle du prestigieux Dwight Twilley Band.

Tonton Leon doit plus sa popularité à la tournée Mad Dogs & Englishmen qu’à son passé dans le Wrecking Crew ou à ses albums solo. Si on a la chance de voir le film qui documente cette tournée historique, on peut le voir faire le chef d’orchestre et jerker dans l’œil du typhon. Mais il est important de rappeler que ses albums valent le détour, car avant d’être un animal de foire et un boute-en-train, Tonton Leon est surtout un auteur/compositeur/interprète de très haut niveau. L’un des géants de son siècle. Il y a d’ailleurs quelque chose de terriblement hugolien dans le personnage.

En 1968, il s’associe avec Marc Benno pour monter l’Asylum Choir et enregistrer un premier album, Look Inside The Asylum Choir. Nos deux amis proposent une petite pop psychédélique doucement mâtinée de folk. On trouve déjà sur ce disque ce qui fera la saveur des futurs albums de Tonton Leon : les chœurs féminins. Mais on sent l’Asylum Choir nettement influencé par la pop anglaise de l’époque et plus spécialement les Beatles. «Death Of The Flowers» est en effet très anglais dans l’approche. Par contre, Tonton Leon et son copain Marc américanisent «Indian Style» en faisant sonner le clairon du 8e de cavalerie. Les tuniques bleues attaquent un village indien et on entend le bruit sourd de la mitrailleuse. La B est un désastre à prétention expérimentale et dans «Black Sheep Boogaloo», ils se prennent pour les Beatles en truffant leurs harmonies vocales de bye bye.

Un an plus tard sort l’Asylum Choir II. Ça reste très passe partout, même si le son se veut travaillé. Leurs compos se tarabiscotent. On trouve un très beau «Straight Brother» en B qui ne demande qu’à déployer ses ailes, mais qui rechigne pourtant à le faire. Tonton Leon chante exactement comme John Lennon dans «Learn How To Boogie». On sent une fixation chez lui. Mais il tape plus dans le côté baroque des Beatles que dans leur côté classique. Ils terminent avec «Lady In Waiting», un balladif country plutôt chaleureux. Ils sont de toute évidence dans leur petit monde et ne semblent pas concernés par l’agitation extérieure, ni par la course au succès. Ce sont des gens sans histoires, de doux hippies.

Le premier album solo de Tonton Leon paraît un an plus tard. En 1970, il est déjà poivre et sel. Il a donc pas mal de kilomètres au compteur, pour parler vulgairement. Ce premier album est une petite merveille pour au moins quatre raisons qui se trouvent toutes en B. Grâce à Joe Cocker, tout le monde connaît «Delta Lady». Tonton Leon n’a pas la voix de Joe mais il pousse bien la mécanique du scream. Il fait ensuite son Dylan pour «Prince Of Peace», un rock US chargé de son et de gratouilles, de chœurs et de fatras. Il passe au gospel batch de choc avec «Give Peace A Chance» et Bonnie Bramlett duette avec lui. Et pour compléter la panoplie, il passe au heavy blues avec «Hurtsome Body». Il y frise le laid-back de génie. En tous les cas, il crée l’événement en maniant ce limon. Tonton Leon sait mener sa barque. N’oubliez pas d’écouter «A Song For You» qui ouvre le bal de l’A, un balladif à vocation océanique, très Procol dans le protocole et très Lennon dans le non-dit. En composant ce hit, Tonton Leon voulait composer un classique digne de Frank Sinatra ou Ray Charles. Il rappelle lors de son interview avec Andy Gill qu’il existe 128 versions d’«A Song For You», dont une par Ray Charles. Il prend aussi un «I Put A Spell On You» qui n’est pas celui de Screamin’ Jay. Il s’agit plutôt d’un boogie rock bien endiablé et chargé de chœurs de filles. Pour l’époque, c’est une belle pétaudière. Les filles amènent une énergie considérable. Avec «Hummingbird», il sonne comme le Richie Heavens de «Motherless Child». C’est là où Tonton Leon excelle, dans les versets océaniques des travailleurs de la mer.

Un an plus tard, il enregistre l’un de ses meilleurs albums, Leon Russell & the Shelter People, sur quatre sites différents : Londres, Muscle Shoals, Tulsa et Los Angeles. Il y fait deux reprises parfaites de Dylan, «It’s A Hard Rain Gonna Fall» et «It Takes A Lot To Laugh It Takes A Train To Cry». Il les prend toutes les deux au nasal de circonstance. Le hit de l’album pourrait bien être «Crystal Closet Queen», à cause de la présence extraordinaire de Claudia Lennear dans les chœurs. Elle et Kathy McDonald foutent le souk dans la médina. On entend jouer David Hood et Roger Hawkins sur «Home Sweet Oklahoma». Quel joli coup de Southern Soul de rock ! En B, Tonton Leon tape son fantastique balladif suspendu, «The Ballad Of Mad Dogs And Englishmen», il y glisse de fantastiques notes de piano, just for myself and forty friends. Retour au big Muscle Shoals sound avec «She Smiles Like A River». Quelle vitalité ! Ces gens jouent comme dans un rêve de rock. Il prend ensuite «Sweet Emily» au balladif inspiré. Tonton Leon est alors au faîte de son âge d’or. Il maîtrise bien sa quadrature du cercle. Il termine avec l’extraordinaire «Beware Of Darkness», cut d’une grande complexité mélodique qui n’en finit plus d’envoûter les clés de voûte.

Pour faire la pochette de Carney, Tonton Leon se grime. Et si on retourne la pochette, on le voit assis devant sa petite caravane. Mais c’est une Rolls qui la tracte. Tonton Leon ne conduit pas n’importe quoi. Par contre, l’album n’est pas très bon. On retrouve les Shelter People sur «Cut In The Wood» et Tonton Leon fait sa petite crise d’Americana avec «Cajun Love Song». Il pose ensuite les jalons d’un rock à venir avec «Roller Derby», boogie rock bardé de chœurs de filles évangéliques. Voilà ce qu’il faut bien appeler du gros rock de bastringue mal fagoté.

On retrouve tous ses hits sur le triple album paru en 1973, Leon Live. C’est une œuvre à la fois attachante et compliquée à écouter. Live, il semble parfois que le talent de Tonton Leon se dilue. Mais en même temps, il fait feu de tous bois avec des reprises de Dylan, des tonnes de chœurs et du gospel en veux-tu en voilà. Dès «Mighty Queen Medley», les sisters rappliquent et chauffent bien le marmiton. On trouve de tout dans ce medley, du heavy blues, du shuffle, du Dylan, mais surtout des exactions de Soul Sisters impénitentes. On trouve aussi une version de «Delta Lady» presque aussi bonne que celle de Joe Cocker dans Mad Dogs. Bel hommage à Dylan avec une version bien pulsée d’«It’s All Over Now Baby Blue». On retrouve aussi «Queen Of The Roller Derby» joué à la bonne franquette et il passe au grand gospel batch avec «Great Day». Son gospel est d’une sincérité à toute épreuve. Il nous en recolle d’ailleurs des louches avec son «Jumping Jack Flash Medley» et rend un hommage spectaculaire à Little Richard avec un «Crystal Closet Queen» emmené ventre à terre. Il faut noter la présence des deux guitaristes, Don Preston et Joey Cooper. Les balladifs de Tonton Leon tiennent bien la route, c’est ce qu’on constate à l’écoute de la version live de «Sweet Emily». Et il termine avec un coup de gospel batch infernal, «Sweeping Through The City». Disons qu’on meurt moins bête quand on a écouté cet album en entier, car Tonton Leon fait partie des très grands artistes américains. Il faut bien sûr le situer à niveau égal avec Doctor John.

En 1973, il attaque un cycle country de quatre albums avec Hank Wilson’s Back Vol 1. C’est sa manière de nous révéler sa passion dévorante pour la country-music. Il démarre l’album avec un «Rollin’ In My Sweet Baby’s Arms» monté sur un fantastique beat de rockab. Il swingue sa country avec l’énergie d’un rockab Okie et c’est un véritable coup de génie. Et soudain, ça part en délire de banjo/violon. Franchement, Tonton Leon est un dieu du cirque. Il revitalise l’esprit du country bop. On trouve deux belles reprises d’Hank Williams sur cet album résolument country : «I’m So Lonesome I Could Cry» qu’il chante avec tout le feeling du monde et un «Jambalaya» dansant en diable. Il termine l’A avec un très beau «Six Pack To Go» boppé jusqu’à l’os. En fin de B, on se régalera aussi de sa version du «Lost Highway» jouée au slap de base et de rigueur, sans la moindre faiblesse, et il termine cet album sensible avec un bel hommage à LeadBelly dont il reprend «Goodnight Irene» - Goodnite Irene goodnite/ I’ll see you in my dreams.

Sur Hank Wilson Vol II, on trouve deux perles : «Wasbash Cannon Ball», merveilleux coup de Western swing avec du violon à gogo, chanté à deux voix avec Willie Nelson, et puis une reprise somptueuse du grand classique de Johnny Horton, «I’m Moving On». Il en fait une version dynamique en diable.

Live In Japan est un album live qui vaut le détour, ne serait-ce que pour entendre les filles gueuler sur «Heaven». Elles gueulent tout ce qu’elles peuvent, sans le moindre discernement. Il règne sur cet album une fantastique énergie. On parle ici de best live act of the seventies. Au niveau son, c’est extrêmement chargé. Tout le monde gueule sur scène. Et Tonton Leon commence à enchaîner ses hits, avec «Queen Of The Roller Derby», un boogie réchauffé par la chaleur intrinsèque. C’est du très haut de gamme, comme d’ailleurs le «Roll Away The Stone» qui suit, effarant de hottitude céleste. Les chœurs de filles explosent tout et le backing band sonne comme une machine infernale. Ça se remet en surchauffe avec «Alcatraz». On y entend Wayne Perkins ravager la frontière en pur guitar killer. En voilà un qui sait incendier la sierra. Tonton Leon se paye son heure de gloire avec «A Song For You/Of Thee I Sing», sa chanson fétiche. Il prend ça dans une fantastique ambiance et tout explose !

Il tape encore dans Dylan pour l’album Stop All That Jazz. Il reprend «The Ballad Of Hollis Brown» au gospel batch et en fait une version absolument extraordinaire. Il développe une telle énergie qu’on croit voir un pasteur évangéliste devenir hystérique. Il tape aussi dans Mose Allison avec une superbe jazzerie nommée «Smashed». C’est avec «Leaving Whipporwhill» que Tonton Leon se rapproche vraiment de Doctor John. À travers cette puissante assise pianistique transparaît toute la grandeur de l’Americana, la vraie. Puis il tape dans l’intapable, c’est-à-dire le «Spanish Harlem» de Phil Spector et le joue au piano bar, sur fond de congas des Caraïbes et de trompettes mariachi. Une fois de plus, on se dit qu’il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie. Tonton Leon montre à nouveau qu’il est l’un des cracks du groove océanique avec «Time For Love». Il aime s’étendre à l’infini. Il nappe son balladif de toute l’espérance du Cap de Bonne Espérance. Quel album ! Il termine avec le morceau titre, histoire de nous servir du jazz d’exception sur un plateau. Tonton Leon explose littéralement son jive de jazz. C’est un album hors du temps et surtout hors des modes.

Steve Cropper joue sur Will O’ The Wisp paru en 1975. D’où la richesse du son. Dès «Little Hideway», on retrouve le chant squeezé de Tonton Leon et la magie des chœurs féminins. Une fois encore, il crée de l’événementiel proto-mélodique. Au fil des cuts, on redécouvre ce fantastique créateur d’espaces inusités, d’interstices praticables, d’astuces cabaniques privées de communes mesures. Avec «Can’t Get Over Losing You», il nous plonge dans une sorte d’étrangeté confondante, bien montée au blues de bastringue et hantée par des chants de sirènes à la clé de sol. Le «Stay Away From Sad Songs» confirme cette impression d’étrangeté. Voilà encore un cut russellien en diable - When I sing my love song/ I sing my song for you - Il attaque la B avec un fabuleux balladif intitulé «Back To The Island». Il envoûte par la seule beauté de sa démarche. On entend Tommy Allsup jouer de la jazz guitar sur «Down On Deep River» et ça vaut tout l’or du monde. Il se passe quelque chose d’absolument extraordinaire dans chaque cut. Tonton Leon se montre très au fait des affaires mélodiques : on le constate encore une fois à l’écoute de «Bluebird». Il boucle avec un «Lady Blue» d’allure parfaite. Il laisse sa voix se perdre dans l’horizon. Cet artiste hors normes vise une sorte de perfection, mais sans prétention, il ne se préoccupe que du bon esprit et se contente de jouer ses notes de piano. Il est à la Californie ce que Doctor John est la Nouvelle Orleans, un homme de vision et d’exception, un cajoleur de son et un amoureux du real cool trend.

Les deux meilleurs albums de Leon Russell sont probablement ceux qu’il a enregistrés avec sa femme Mary Russell, en 1976 et 1977. Wedding Album grouille littéralement de coups de génie. «Rainbow In Your Eyes» emporte la bouche. On sent immédiatement la classe et la fabuleuse aisance du jeune marié. C’est joué à la meilleure good time music d’Amérique. On a là dans les pattes une pure merveille d’élégance mélodique et de swing léger. Retour au Southern Foutrack avec «Love’s Supposed To Be That Way». Quelle incroyable vitalité des idées ! Mary apporte des contre-chants de haut vol. On se sent merveilleusement bien dans ce son. «Fantasy» sonne encore à part, comme une sorte de balladif afro-cabanique en forme de sortilège et fantastiquement orchestré. On assiste au développement d’un fouillis de son inéluctable. Leon et Mary chantent «Satisfy You» à deux voix, sur fond de groove délicat et lumineux. Et ça continue en B, avec encore tout un tas de merveilles, à commencer par «You Are On My Mind», une pop de Soul joyeuse et pleine d’allant. Ils battent tous les records d’élégance avec «Lavender Blue». C’est pianoté il faut voir comme. Ce disque sonne comme un miracle permanent. Tout y est dédié, délié, délicat, délibéré et démesurément doux - You’ll be my king I’ll be your queen - Encore un balladif visité par l’ange de bonté avec «Quiet Nights». Ils frisent la perfection de Bobby Womack. Et ça continue avec «Windsong», un balladif choyé par un sax volubile. On ne se lasse pas de cette qualité de chant mélodique. Tiens justement, on parlait du loup : Leon et Mary reprennent le «Daylight» de Bobby Womack pour refermer la marche de ce précieux album. Ils nous plongent dans un groove de magie pure avec de faux airs d’Oh Happy Days des Edwin Hawkins Singers.

Le miracle se poursuit sur Make Love To The Music paru un an plus tard. Au dos de la pochette, Tonton Leon et Mary posent en famille. Ils reviennent à la good time music dès «Easy Love». Ils savent très bien ce qu’ils font. Tonton Leon chante d’une petite voix fêlée et pincée. On peut parler ici de qualité hors d’âge. Avec «Now Now Boogie», ils tapent dans la pop richement orchestrée et Tonton Leon passe au calypso de bon ton pour «Say You Will». Avec le morceau titre, il retape dans le balladif de classe infiniment supérieure. Les hits se trouvent en B, à commencer par «Love Crazy», une pop de Soul admirable de qualité intrinsèque. C’est cuivré à la diable et vraiment digne de Sly Stone. Tonton Leon est comme Swamp Doog, il fait exactement ce qu’il veut du son. Retour à la good time music dynamique avec «Love Is In Your Eyes». Et puis avec «Island In The Sun», on tient un hit inter-galactique. On comprend soudain d’où viennent les grands popsters américains contemporains : de Leon Russell et des gens de son acabit.

Avec Americana, on tombe des nues, car Kim Fowley co-écrit quasiment tout avec Tonton Leon. Ils démarrent avec «Let’s Get Started», un extraordinaire coup de good time music judicieuse et cuivrée de frais. Tonton Leon chante avec sa petite voix de nez, mais aussi avec un feeling extraordinaire. Il enchaîne avec «Elvis & Marylin», un fantastique balladif chanté au timbre fin et unique. Le «From Maine To Mexico» n’et pas le from Maine to San Diego de Joe Hill, mais un balladif d’une élégance sidérante. Il semble que Tonton Leon ne veuille chanter que des cuts d’inspiration divine. Il swingue ensuite le vieux hit de Percy Sledge, «When A Man Loves A Woman» et en B, il continue de taper dans de beaux soft rocks d’obédience américaine. «Shadow And Me» semble visité par la grâce et il boucle cet album incroyablement attachant avec un «Jesus On My Side» de choc.

Paru en 1979, Life And Love amorce une sorte de déclin. Sa pop reste raffinée jusqu’au bout des ongles, mais l’étincelle brille par son absence. «Struck By Lightning» sonne comme du Doctor John et pour «Strange Love», Tonton Leon va chercher des orchestrations de heavy groove paranormal. Il revient à son cher balladif océanique avec le morceau titre - When it comes to life and love/ Baby you can count on me - En gros, on a là un album très romantique et un brin ennuyeux. Il boucle avec «On The Borderline», une pop un peu énervée et chargée d’instrumentation.

Le Solid State qui paraît quelques années plus tard confirme le sentiment du déclin. Ses balladifs restent pourtant assez purs, mais ça ne suffit pas à masquer le manque d’inspiration. Tonton Leon crée la sensation avec une reprise de «Good Time Charlie’s Got The Blues» de Danny O’Keefe - Well I got my pills to ease the pain/ Can’t find a thing to stop the rain - Et quand il prend «Rescue My Heart» en tête de B, on croit entendre un curieux mélange de Ten CC et de Steely Dan, quelque chose de doux et de profond comme le Gulf Stream. On sent que Tonton Leon cherche à plaire et pour une fois, il perd un peu de sa grâce naturelle. Il suffit d’ailleurs de voir la pochette : il s’y fait des peintures de guerre.

Une pure merveille se niche sur l’album Anything Can Happen paru en 1992 : «Jezebel», un cut tapé au Diddley beat. Tina, la fille de Leon, fait les chœurs. Leon vit son rêve de family group. On a là une version énorme, d’autant que Tina est une bonne. Just perfect ! Edgar Winter joue du synthé sur «Angel Ways», un cut qui sonne comme un groove de rêve. Tonton Leon adresse aussi un joli clin d’œil à Chuck avec une reprise de «Too Much Monkey Business». Il la prend sur un mode de petite excitation étrange. Voilà un homme qui a des idées nettes et précises. Le hasard n’a pas sa place dans un esprit aussi affermi. C’est son fils Teddy Jack qui passe le solo. Il n’a que 14 ans. Plus loin, Tonton Leon lance «Life Of The Party» d’une voix d’entre-deux absolument tendancieuse et chante du nez, à la dylanesque. On entend son beau-fils Matt Harris prendre un fabuleux solo d’égarement sur «Love Slave». Tonton Leon n’en finit plus de réserver de sacrées surprises. Et son «No Man’s Land» sonne très Dr John, alors que ça joue au meilleur rebondi rythmique qui se puisse imaginer ici bas.

Cet extraordinaire album qu’est Guitar Blues avait un temps disparu des radars et il réapparut par miracle, alors bien sûr, nous allâmes brûler un cierge à Notre-Dame de Lorette. Car enfin, quel album ! Attention, il met un certain temps à décoller. On y trouve «Dark Carousel», une pop-song de charme, et quand on connaît un peu Tonton Leon, on sait qu’il tape là dans son fonds de commerce, c’est toute son éducation et même toute sa moelle, c’est plein de son et d’esprit, il chante dans sa barbe, on sent l’hédonisme du vieux maître. Même chose avec «It’s Impossible», pris au vénérable beat de session, pourtant sombre et peu avenant mais il entre dans sa chanson avec la classe immortelle d’un dieu de l’Olympe. On reste dans l’enchantement avec «Strange Power Of Love». Tonton Leon plonge dans les abysses du blues-rock de haut vol, c’est stupéfiant, car il semble s’exprimer en technicolor. Il s’installe dans une sorte de goove de classe suprême, il transforme un cut d’apparence ordinaire en chef-d’œuvre quasi-cosmique. Pur génie ! Encore un coup de Jarnac avec «The Same Old Song». Ne faites pas l’impasse sur cet album, ce serait une grave erreur. Tonton Leon y explose le groove à sa façon, mais il le fait avec nonchalance, il puise dans ses racines et dans ce que préfèrent les très grands artistes américains : le music-hall, évidemment. Ce disque est énorme jusqu’à la dernière goutte de son. Tiens, encore une merveille avec «Lost Inside The Blues», et son atmosphère d’Arletty, Tonton Leon y va franco de port, il est conseillé d’écouter cet homme chanter, car il y croit dur comme fer. Il gratte son hard blues dans «My Hard Times» avec une abnégation exceptionnelle. Incroyable présence de but what else could I do ? It’s so impossible. Mais qui va aller écouter ce vieux Père Noël aujourd’hui ? Tonton Leon n’a plus rien de sexy depuis longtemps. Et puis ne se contenter que de bonnes chansons, c’est tout de même un peu austère.

Tiens, une belle énormité se planque sur Face In The Crowd, le genre d’album qu’on croise dans les bacs et qui n’inspire rien de particulier. Mais si on écoute «This Heart Of Mine», alors on se félicite de ne pas être si con, car voilà une mélodie à la fois incertaine et déterminante qui remonte bien le moral. C’est même un hit, du pur jus événementiel, une incarnation de l’essor. L’autre merveille planquée dans cet album s’appelle «The Devil Started Talking», qui s’impose par son insistance exceptionnelle. D’autres choses flattent l’intellect, comme ce «Love Is A Battlefield» qui ouvre le bal, un heavy blues à la tontonnade, et dans «Dr Love», on voit Tonton Leon chercher des noises à la noise, et ce de façon à la fois magnifique et passe-partout. Sur cet album, Tonton Leon sonne un peu comme le Dylan des derniers albums, très classique, comme installé dans sa légende, pour ne pas dire endormi sur ses lauriers. Son «Betty Ann» sonne un peu comme «Delta lady», bien boosté du beat. Et puis quand on écoute «Blue Eyes & A Black Heart», on réalise un peu mieux à quel point cet homme connaît toutes les ficelles de la pop, de la Soul et de l’harmonie, du blues, du gospel et du zydeco. Il ne faut donc s’étonner de rien. Il prend «What Will I Do Without You» à l’édentée du heavy blues de l’Oklahoma. Si Dieu chantait, il chanterait exactement comme Tonton Leon. S’ensuit un «Mean And Evil» cuivré à outrance. Et il termine cet album infiniment attachant avec «Don’t Bring The Blues To Bed», pur boogie leonien - Don’t start crying/ We’re not going to work it out - Il swingue son don’t start crying de manière totalement subjuguante.

Si vous recherchez une compile de balladifs de choc, c’est Signature Songs paru en 2001. On y retrouve le fameux «A Song For You» tiré de son premier album solo, un balladif mélodiquement parfait et comme pianoté au panthéon. On tombe plus loin sur «Tight Rope» tiré de l’album Carney, un balladif beau comme un dieu. Tonton Leon multiplie les passades d’accords de Steinway et ça sonne comme un miracle, d’autant qu’il chante avec des poils de barbe dans la bouche. Absolue merveille, d’une stature immobile, comme lévitative et donc imparable. On retrouve aussi le fantastique «Delta Lady», ce vieux classique qui ne prend pas une ride. Il chante ça au maximum des possibilités invétérées.

Son ultime album s’appelle Life Journey. Un gros plan de son visage usé par les ans remplit toute la surface de la pochette. Il y propose des versions de classiques pour le moins extraordinaires, comme ce «Georgia On My Mind» déchirant d’intensité. Tonton Leon appelle Georgia dans la nuit de son déclin, avec la résonance d’un Soul man hors du commun. C’est joué au boom bash de big band et ça monte jusqu’aux neiges du Kilimandjaro. Quelle extraordinaire façon de saluer la compagnie ! Il faut absolument écouter ce dernier spasme du Père Noël. C’est d’une grandiloquence qui dépasse l’entendement. Il tape aussi dans Robert Johnson avec «Come On In My Kitchen». Dans ses bouleversantes notes de pochette, Tonton Leon explique qu’il vaut chanter une dernière fois in the small piece of spacetime which is my life - Quel vertige ! Il est quand même là depuis l’origine des temps. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on l’écoute. Les grands artistes ont la peau dure, ne l’oublions pas. Il chante comme un vieux crocodile, mais il règne sans partage sur son marigot et tant pis pour la gazelle qui vient se désaltérer. Pourquoi aller tenter le diable ? On retrouve toute l’Americana du monde dans sa version de «That Lucky Old Sun» - Nearing the closure of my adventure, I feel that I must be the luckiest guy in the world - et il salue tous les gens, vous y compris - Bless your hearts - Avec «I Got It Bad And That Ain’t Good», il passe au jazz de Broadway. Il cultive tout ça avec une classe qui effare et qui n’appartient qu’aux vieux boucs un peu magiciens. Il chante à l’agonie du swing et n’en finit plus de redonner vie à l’Americana. On retrouve avec un bonheur non feint «The Masquerade Is Over». Il s’y prélasse comme un jeune homme et enchaîne avec un puissant groove, «I Really Miss You». Tonton Leon a du pot, car derrière, ils jouent comme des dingues, oui, ils pulsent le beat de la fin des haricots, on sent l’imminence du départ, la fin d’une époque, la fin d’un temps où les gens avaient encore une certaine culture. Retour au big-bandisme avec «New York State Of Mind», bardé d’énergie mais d’une autre époque, puis il opère un retour radical au heavy blues avec «Fool’s Paradise» et il termine avec l’excellent «Down In Dixieland», un hommage à la Nouvelle Orleans et aux choses de la vie. On ressort de cet album un peu sonné, comme si on venait d’entendre chanter un vieillard génial.

Si on dispose d’un peu de temps libre, on peut aussi jeter un petit coup d’œil au film que Les Blank tourna entre 1972 et 1974 : A Poem Is A Naked Person. Il vient d’être réédité sur DVD. Le titre sort d’un texte de Dylan, on s’en doute. Attention, ce film date un peu, mais il réserve des sacrées surprises, comme par exemple ce plan où Tonton Leon arrive sur scène pour chanter «I’m So Lonesome I Could Cry» d’Hank Williams, ou pire encore, ce plan filmé en studio où on peut voir George Jones chanter «Take Me». Et bien pire encore : Willie Nelson sur scène. On voit aussi Sweet Mary Egan accompagner Willie Nelson au violon, et un peu plus loin, Charlie McCoy accompagne Tonton Leon dans une version de «Goodnight Irene». Voilà comment Les Blank a choisi de nous montrer la puissance de l’Americana. On voit aussi un boa bouffer un poussin en direct, un immeuble s’écrouler à Tulsa et un peintre ramasser des scorpions : ce sont des petites métaphores destinées à illustrer le capitalisme. Oh on voit aussi un mec manger du verre. Leon revient sur scène en Californie pour taper dans l’«I’ll Take You Here» des Staple Singers, puis on le voit dans un studio de Nashville jouer avec des pointures du bluegrass. À un moment, son percussionniste Ambrose Campbell glisse une petite leçon de sagesse : «If you take from life, give back to life. If you do that, you’re on the way.» (Si vous empruntez à la vie, rendez à la vie. Si vous faites ça, vous êtes sur le chemin). Leon Russell fut l’un de ceux qui savaient faire le lien entre le gospel, le bluegrass, Hank Williams, les percus africaines et une certaine idée de la grande pop américaine. Tonton Leon tâtait de tout, ce qui le rendait indispensable.

Signé : Cazengler, Léon Recel

Leon Russell. Disparu le 13 novembre 2016

Asylum Choir. Look Inside The Asylum Choir. Smash Records 1968

Leon Russell. Leon Russell. Shelter Records 1970

Leon Russell. Leon Russell & the Shelter People. Shelter Records 1971

Leon Russell & Mark Benno. Asylum Choir II. Shelter Records 1969

Leon Russell. Carney. Shelter Records 1972

Leon Russell. Leon Live. Shelter Records 1973

Leon Russell. Hank Wilson’ Back Vol 1. Shelter Records 1973

Leon Russell. Live In Japan. Shelter Records 1974

Leon Russell. Stop All That Jazz. Shelter Records 1974

Leon Russell. Will O’ The Wisp. Shelter Records 1975

Leon Russell & Mary Russell. Wedding Album. Paradise Records 1976

Leon Russell & Mary Russell. Make Love To The Music. Paradise Records 1977

Leon Russell. Americana. Paradise Records 1978

Leon Russell. Life And Love. Paradise Records 1979

Leon Russell. Hank Wilson Vol II. Paradise Records 1982

Leon Russell. Solid State. Paradise Records 1984

Leon Russell. Anything Can Happen. Virgin Records 1992

Leon Russell. Face In The Crowd. Sagestone Ent 1999

Leon Russell. Signature Songs. Leon Russell Records 2001

Leon Russell. Life Journey. Universal Music 2014

Andy Gill : A Song For You. Uncut #237 - February 2017.

Les Blank. A Poem Is A Naked Person. 1974. Réédité en DVD

 

07 / 10 / 2017 / TROYES

3B

NITE HOWLERS

 

Pas un chat à vingt heures, une cage de SPA surpeuplée à la veille du grand départ des vacances d'été à vingt-deux heures, les Nite Howlers ne pourront pas dire qu'ils ont été boudés au 3B, une chaude ambiance, mise en train par Fab aux platines qui nous bombarde de vieux rockabs de la mort et d'autres plus récents du cimetière. L'a une sacrée collection notre DJ, passe pas de la daube pour grabataire, un incendiaire. Mais la nature humaine est ainsi constituée que l'on en veut toujours plus, et les Hurleurs de la nuit vont se faire un devoir de nous satisfaire.

Une jeune formation, une réunion de vieux renards. De ceux qui vous égorgent un poulailler en moins de cinq minutes. Un carré d'as monumental, jugez-en par vous-mêmes : Franck Abed des Mean Devils, Olivier Laporte des Wild Goners et de Roy Thompson & The Mellow Kings, Jules Moonshiner de Silver Moon, Pedro Pena de Barny & the Rhythm All Stars, le quartet gagnant tous ex-aequo, du cent pour cent bio mijoté à la radiation atomique. La fine fleur du french rockab, une véritable association de malfaiteurs. Comme on les aime.

 

NITE HOWLERS

Le rockab, c'est tout et tout de suite. Du moins pour ceux qui pratiquent le grand jeu, l'ars magna des initiés. Sinon c'est perdu, vous errez dans le désert à longueur de sets insipides. N'a fallu que sept secondes ( je compte très large ) aux Nite pour électriser le public. Jules qui vous envoie deux cling-cling à électrocuter sans rémission tout un pénitencier de hors-la-loi patentés et Pedro qui vous applique la dégelée drumique, un fracas de cymbales digne de ces kaos catastrophiques qui terminaient les prestations des orchestres de la Grèce Antique, ensuite c'est facile, suffit de se mouvoir en orbite selon une courbe spiralée ascendante. Le problème c'est que tous le souhaitent et que très peu y parviennent. Dure loi rockabillyenne qui au contraire du principe de déperdition repositale du système de Carnot énonce que la densité d'énergie produite ne peut-être qu'exponentielle.

De façade, elle est trop bien vernie pour être honnête. A croire qu'il passe sa semaine la peau de chamois dans ses menottes à la lustrer amoureusement, à lui parler pour qu'elle ne se sente pas seule. Lui c'est Franck et elle sa big mama. Franck du collier et tabassage en règle, vous la martèle sans pitié, un bourreau jouissif, un sadique qui ne peut s'empêcher de pousser des hurlements de plaisir à chaque fois qu'il porte un coup plus fort que les autres. L'honnêteté chroniqueuse m'oblige à rapporter que la foule remuante loin de s'offusquer d'un tel traitement inhumain le soutient par des cris de contentements admiratifs. Avec Franck le last slap is not the least, l'a encore une spécialité, n'a pas de main, mais une serre d'oiseau de proie qu'il plante dans les cordes tel un aigle royal qui s'abat sur l'échine d'un mouton et lui casse les reins en rien de temps. L'on n'y peut rien c'est dans sa nature, l'a la contrebasse sauvage comme d'autres sont habités par l'instinct de mort. Mais exprime une telle joie sur son visage que vous lui pardonnez, que vous souhaitez qu'il ne s'arrête jamais.

Jules est, seulement d'apparence, moins exubérant. Faut dire qu'il donne dans la minutie, micro chirurgien qui pratique la trépanation des cerveaux à grands coups de cisailles mortifères. L'a la guitare qui leade naturellement. Pas le genre de gars qui s'enfonce dans des soli de quinze minutes pour vous perdre en pleine campagne. Plus c'est bref, plus c'est meilleur. Un riff snipper. D'une précision diabolique. Faut dire qu'avec Franck et Pedro qui azimutent à ses côtés, il ne lui reste que des fractions de nano-secondes d'intervention. Tout autre refuserait de jouer et demanderait une heure syndicale de concertation. Lui il se contente du haut-voltage. Vous décharge à chaque fois une ligne à haute tension. Le son de Nite, c'est lui le coupable. Ne cherchez pas plus loin. Joue au frisbee avec des étoiles de guerriers ninja. Saupoudre la nitro. Le comble c'est qu'il est encouragé par le public. Jules triomphe à chaque coup, passe les riffs comme César traverse le Rubicon. En vainqueur. Recouvert de la toge impériale.

L'ont caché derrière eux. En pure perte. Trop futé derrière ses fûts pour se faire oublier. De fait, c'est le grand manipulateur. Vous talonne les autres comme cocher de diligence qui fouette son attelage. S'amuse à un petit jeu dangereux. Gagne à tous les coups. Pedro le bonneteau du batteur. Sur quelle timbale, où, quand, comment, pourquoi, vais-je frapper ? Non ce n'est pas de l'interrogation métaphysique. Fait la course. Arrive toujours le premier. Du côté par où on ne l'attend pas. Pousse la pulsation. Ce n'est pas qu'il n'a pas de temps à perdre, c'est qu'il l'a supprimé le contre-temps, un pari qui a le don de plaire à Jules et à Franck. Se retournent sans cesse vers lui, visages rigolards, pour démontrer au maestro es sédition, à ce factieux facétieux, qu'ils ne marchent pas dans la combine, qu'ils y courent, et qu'ils embrayent au quart de tour comme des bouchons de champagne qui pètent et se répandent en milliers de bulles enivrantes. Pedro vous les mènerait en enfer qu'ils ne s'en apercevraient pas.

Laissons les garnements jouer ensemble comme portée de tigrons affamés déjà reconnus comme les rois de la jungle rockab. Olivier est à la guitare rythmique. L'est là pour la vitesse de croisière. Qui est aussi celle de pointe. Car le mystère du rockab c'est cela : chaque instrument possède son rôle irremplaçable, irrémédiable. Musique interventive par excellence. Faut être là où l'on doit être à l'instant précis exigé par la loi du genre. Ce qui n'exclut pas toute latitude au génie – ils en ont à revendre - de chacun de batifoler à sa guise, tout en jouant tous ensemble. Comme un seul homme. Le paradoxe de la glace chaude, de la tornade immobile, qui n'est autre que la transcription de la vie mortelle dans laquelle nous nous débattons. Et les Nite Howlers sont les champions de ces galops à fond de train, joliment, salement balancés, une cavalcade qui va s'amplifiant à l'infini mais qui au bout de deux minutes maximum de folie jubilatoire s'arrête brusquement comme la balle de tennis stoppée net sur la raquette pour repartir à l'inverse selon un aiguillage différent. Autres temps, autres heurts. Nous feront deux instrumentaux. Juste pour montrer ce dont ils sont capables, ce wild rock électrique pré-sixties dont ils sont les garagistes en chef. Mais que serait le rockab sans vocaliste ? Le vocal rockab équivaut au cinquième élément, le fluide hyper volatile et étherien, la dimension qui vous permet d'accéder à un autre univers. Réservé aux happy fews comme disait Stendhal, car vous avez beau ouvrir la porte de l'empyrée beaucoup passent devant sans s'en apercevoir. D'ailleurs de temps en temps Olivier en oublie sa guitare, la rejette dans son dos et approche la braise de sa bouche au plus près du micro. C'est qu'il s'attaque à des Himalayas du genre, l'on prend toujours un risque lorsque l'on s'entiche de torches vivantes que sont les pépites de Bob Luman, de Carl Perkins, de Charlie Feathers, de Benny Joy et ce soir le plus beau de tous Ronnie Dawson. Faut la fougue, la foudre et le foutre. Conjugaison de maniérisme et de bestialité. Le rockab respire le sexe et expire le feu. Brûlure et sulfure. Ce miraculeux équilibre Olivier le funambulise sur ses cordes vocales. Une inflexion de trop et c'est la chute libre sans petite branche où se rattraper. Court les pieds nus sur le fil tranchant de la difficulté suprême comme Lancelot sur le pont de l'épée.

Je n'en rajoute pas plus. Vous avez compris que vous avez raté quelque chose. Ne sont pas seul Benny aux manettes qui assura le son et le reste qui fait la différence. Le public galvanisé. Chaud chaud, chaud, devant et derrière. Le troisième set s'apparentant à une foule maraboutée par des sorciers. Un entremêlement de corps sous tensions prêts de l'explosion. Guys and girls au bord de la crise sexuelle. Béatrice dispensatrice de nos plus folles soirées, une fois n'est pas coutume, demandant à Fab de relancer la sono, comme l'on arrête les réacteurs d'une centrale atomique pour éviter la surchauffe irradiante. Et vous qui n'étiez pas là et dormiez paisiblement, si vous avez entendu des hurlements de sang retentir dans vos cauchemars, ne cherchez pas les vampires. Ils s'appellent les Nite Howlers.

Damie Chad.

 

08 / 09 / 2017 / CHATENAY-SUR-SEINE

BLUE'SKAÏ GRASS

 

Chatenay perdu au fin-fond de la Brie, une longue rue de village et de l'herbe autour. Mais rien n'arrête le chiendent du rock'n'roll, s'infiltre partout... Des manifestations artistiques sont prévues dans tous les patelins alentour, à Chatenay ils ont choisi de supporter leur local rock band. Initiative des plus louables. Accueil des plus sympathiques, vaste table surchargée de gâteaux et de bonbons en accès libre à l'entrée de la salle des fêtes. Un ancien corps de ferme réaménagé. Vous pourriez y entasser quatre cents personnes, le plafond, avec ses caissons semi-voûtés agrémentés de dizaines de grilles d'aération, d'une hauteur sidérante, traversé à mi-hauteur de longues poutres solitaires qui devaient à l'origine supporter le plancher des greniers, rappelle les carènes de navire renversé qui coiffent les nefs des églises de campagne briarde, m'inquiète un peu... allez équilibrer le son dans un tel volume...

Blue'Skaï Grass est entouré d'amis. Le groupe s'est formé autour d'Anthony Dean qui fut guitar-mercenaire au Golf-Drouot dans les années d'or et préhistoriques du rock français. Un grand gaillard sympathique pas du tout figé dans la nostalgie. L'est en première ligne, au micro et à la guitare. Hélas, trois fois hélas, n'a pas ouvert la bouche que l'écho s'empare de sa voix et la transforme en un brouhaha assourdissant qui couvre le reste de l'orchestre. Enfer et malédiction ! Basse, deuxième guitare, clavier sont noyés en un charivari dantesque. Il aurait été plus judicieux de jouer dehors, le temps s'y prêtant, que sur cette scène intérieure, dont la maîtrise phonique aurait demandé un sonorisateur plus expérimenté... Mais les rockers sont têtus. Rendez-vous de principe est pris avec Jean-Michel le bassiste pour assister à une répétition un des jeudis soir prochains.

Un coup pour rien ? Pas du tout, passé l'après-midi à discuter avec des gens passionnants férus de musique, je ne citerai que Jean Rey avec qui il y a quelques années nous avions activement participé à une manifestation peinture-poésie des plus explosives. Bref, vous l'avez compris, nous reviendrons à Chatenay, écouter pousser l'herbe bleue.

Damie Chad.

 

LONELY BOY

MA VIE DE SEX PISTOLS

STEVE JONES

( Editions : E / P / ASeptembre 2017 )

 

Z'avons surtout donné la parole à John Lydon jusqu'ici dans KR'TNT ! Pas tout à fait de notre faute. La prend souvent. Peut-être une habitude de chanteur posté en première ligne. Sans doute aussi un caractère plus vindicatif que ses collègues. Mais c'est au tour de Steve Jones de s'en emparer. Les fans risquent d'être déçus. Certes le livre est articulé sur trois segments, Avant / Pendant / Après - le lecteur kr'nteur aura deviné que chez notre pistolier il n'y a aucune allusion christologique en ce découpage temporel – mais les Pistols n'ont droit qu'à la portion congrue. Très logiquement si l'on s'en tient à la sainte trinité des rockers, sex prédomine, drugs viennent en deuxième position et le rock'n'roll en est réduit aux acquêts. Serait plus rapide de dire que dans son livre ( écrit en collaboration avec Ben Thompson ) Steve Jones ne parle que de lui. Conçoit l'établissement de son bilan existentiel non pas comme l'on pourrait s'y attendre dans la colonne faits et gestes héroïques fièrement accomplis mais comme le solde de tout compte d'un lourd passif de départ durement apuré. Sans vouloir être méchant ou cynique disons que Steve Jones se la joue un peu Calimero. Le poussin qui n'a pas eu de chance dont la coquille s'est cassée à peine tombé du cul de sa mère.

Sa daronne il ne la porte pas dans son cœur. L'a mis au monde et a été incapable de retenir le géniteur. Un teddy ted qui s'en est allé fonder une autre famille plus loin... Deuxième crime impardonnable : l'a arraché du cocon douillet de l'affection de sa grand-mère pour emménager avec celui qui sera son beau-père. Le gamin est la troisième portion de la vache. Pas celle qui rit. Pas celle qui brame non plus. N'est pas du genre à pleurnicher. Réceptionne les coups dans la gueule sans moufter. Intériorise tout. Ce serait mieux s'il était battu pour de vrai, mais non la souffrance est morale. Destruction mentale. Se sent de trop. Moqué, rabaissé, méprisé. Steve perd confiance en lui. Assimile le message. Ne parviendra pas à apprendre totalement à lire et à écrire. L'école l'ennuie et le décourage. Trouve quelque réconfort affectif dans la famille d'un copain du quartier, un certain Paul Cook qui deviendra son meilleur ami.

Retenez l'eau par un barrage elle finira par trouver un endroit pour s'écouler. Les individus adoptent des stratégies de survie et de compensation. Puisqu'il n'est rien le petit Steve va accumuler du côté de l'avoir. L'est pour l'appropriation directe : par le vol. Commencera comme tout un chacun par les bonbons mais il ne s'arrêtera pas en si piètre chemin. L'est comme un de mes chats qui ne pouvait sortir dans le jardin sans ramener quelque chose à la maison : lézards, taupes, oiseaux, serpents. Une sale habitude dont il ne se débarrassera qu'au bout de trente ans. Les larcins évolueront avec l'âge : trains électriques, bicyclettes, voitures... Ne peut s'aventurer quelque part sans revenir avec un trophée quelconque. Plus tard il équipera les Pistols en sono, micros, guitares, des Small Faces à Bowie il mettra le rock anglais à contribution...

L'a de la chance, des juges et des policiers peu féroces – il remarque qu'en nos jours moins permissifs la surveillance vidéo l'aurait en quelques semaines jeté en prison – se fie à cette cape d'invisibilité psychologique qui le protège et lui permet de rentrer dans les endroits les plus défendus le plus simplement possible en passant en toute innocence devant les gardiens qui n'y prennent pas garde. Crowley a théorisé et expérimenté cette manière de faire : ne s'agit point de devenir invisible mais d'agir en sorte – par un rituel d'auto-persuasion psychique - que vous ne soyez plus visible aux yeux des tiers. Essayez et vous verrez.

Puisque vous rentrez du commissariat je continue. L'on en arrive au passage pédophilique obligatoire. C'est fou le nombre de biographies qui depuis vingt ans s'arrêtent à la case inceste. A croire que c'est une mode. Pour Steve c'est le beau-père qui lui demande – une seule fois – de le masturber. Fait tout de même amende honorable Steve, précise qu'il aurait peut-être été par la suite victime de sa future addiction sexuelle si la scène ne s'était pas déroulée. Admet qu'auparavant l'avait été déstabilisé par des personnages équivoques du quartier. Et qu'après l'a même sauté le pas tout seul. L'homosexualité ne fut qu'une mise en bouche, trouve vite le bon branchement : les filles.

Grandit en touche à tout, un peu supporter de foot, un peu skinhead. N'aime pas le baston denrée de base des skins. L'a un goût prononcé pour la sape. Ne porte pas n'importe quoi. Son art de la fauche lui permet de se fringuer de cap en pied sans rien débourser. La musique aussi. Small Faces, James Brown, Queen, Stooges, David Bowie et Roxy Music... et puis plus tard New York Dolls... L'avenir ne s'annonce guère brillant. Aucune envie de rentrer dans le rang des vies ternes et grises. Une seule échappatoire : former un groupe. Quelques copains, Paul Cook bien sûr, lui au chant. Reconnaît qu'il n'est pas brillant derrière un micro, mais comme il est trop instable pour se concentrer sur l'acquisition et la mémorisation d'un ultra-minimum de bases musicales... le combo qui répond au doux nom de Strand puis de Swankers ( les Frimeurs ) n'est pas en route vers la gloire... Futur incertain...

Steve Jones finira par trouver sa bonne étoile. Une boutique de fringues. Y vient pour piquer mais s'y trouve bien. Malcolm Mclaren et Vivienne Westwood se prennent de sympathie pour ce jeune garçon paumé. Jouent père et mère de substitution. Jones est fasciné par le couple, est accueilli, dort chez eux, apprend qu'il existe autre chose que l'univers étroit et prolétarien dont il est issu. Malcolm a une revanche à prendre sur son expérience ratée avec les New York Dolls, l'a l'intuition que quelque chose est à faire avec un groupe de rock. Ne sait pas trop quoi. Il tâtonne. Plus tard il parlera d'un plan d'action concertée de A à Z, froidement appliquée, un peu comme Edgar Poe se vantera d'avoir méthodiquement fabriqué son poème Le Corbeau. Steve Jones n'en croit pas un mot, par contre il ne remet pas en question l'art d'improviser et de manipuler du pygmalion des Sex Pistols. L'accouchement sera difficile. Pour le bassiste, l'employé de la boutique Glen Matlock sera désigné d'office. Paul Cook officie à la batterie, Jones chante trop mal, sera rétrogradé à la guitare, pour les lyrics ce sera un client repéré par Vivienne. Malcolm se trompe d'individu : au lieu de proposer le job à Sid Vicious, il l'offre à John Lidon que Steve surnomme Johnny Rotten.

Jusque là tout concorde avec l'histoire officielle. Steve Jones nous donne son interprétation de la saga pistolienne. Au début sont nuls, mais ils s'améliorent. Lui-même se met à taquiner sa guitare toutes les nuits. N'est pas frappé par la grâce, l'avale tant de speed qu'il ne peut dormir. Passe ses blanches nuitées à s'exercer pour exorciser sa nervosité, deviendrait fou s'il n'arrivait à canaliser ses angoisses. Rotten se débrouille au micro et est doué pour écrire des morceaux originaux. Les premiers concerts sont calamiteux mais ils parviennent à produire un son bien à eux. Si les rares essais en studio ne sont pas catastrophiques, il leur manque le déclic et la maîtrise d'un véritable producteur. S'inscrivent tout de même dans l'évolution logique du rock anglais commencé avec le pub-rock, z'ont un son plus crade, moins rhytm'n'blues davantage rock'n'roll et surtout ce qui fait la différence un public qui se reconnaît en eux, et les suit, le fameux Bromley Contingent. Le single Anarchy in the UK leur permet de toucher un public plus vaste.

Pour Steve Jones les Sex Pistols sont sur la bonne voie. Empruntent le parcours classique de tous les groupes de rock qui ont su émerger. L'est heureux comme un pape, baise les nanas à la pelle mécanique. Ne lui en faut pas plus pour être au top. Toutes ses belles promesses sont balayées en quelques secondes. Leur première télé tourne mal, tombent dans le panneau tendu par l'animateur Bill Grundy, provoqué Rotten lâchera le mot shit, mais Steve Jones le doublera par un fuck retentissant !

Du jour au lendemain, les Pistols sont honnis par l'Angleterre qui y pense très mal. Concerts interdits. La presse se déchaîne. Mais un malheur ne vient jamais seul. Matlock est éjecté de la formation, trop bourgeois, trop poli, trop classe moyenne pour ses comparses. Ne correspond pas à l'image du groupe. Sera remplacé par Sid Vicious. Jones ne mâche pas ses mots. Un crétin absolu. Qui ne sait même pas jouer de la basse. Ne regrettera pas sa disparition. Pour les Pistols les carottes sont cuites. Malgré la sortie de Never Mind the Bollocks. Grandiose mais trop tard. La tentative de repli vers l'Amérique sera un fiasco. Le groupe implosera. Trop de tension, trop d'alcool, trop de dope, trop d'animosité, formé de bric et de broc, trop vite, trop rapidement... Dégomme la légende punk, abomine les crachats et abhorre l'idée aberrante des musiciens géniaux qui n'ont jamais touché un instrument...

Pour le dernier tiers du bouquin Steve Jones ne s'attarde guère sur sa carrière musicale. Expédie en quelques paragraphes les Professionals et Chequered Past, quelque fierté à avoir joué sur le So Alone de Johnny Thunders, et d'avoir été demandé pour une session par Bob Dylan. Parle sans aménité des reformations des Sex Pistols qui ramènent du fric, qui procurent des satisfactions mais qui ne reprisent pas tout à fait les vieilles chaussettes trouées. Chacun reste en fin de compte de son côté du trou. L'a eu d'autres chats et chattes à fouetter. Ses addictions à l'héroïne et au sexe. Raconte ses galères. Ce n'est pas l'argent qui pose problème, réfugié aux States, les connaissances ne le laisseront pas tomber. Ce nouvel état de fait lui permettra de se débarrasser de son indéracinable propension à la kleptomanie. Pour l'héro, le combat sera plus difficile, mais il parviendra au bout de plusieurs années à ne plus y toucher. Pour les filles ce sera très dur. Rechutera souvent. Peut-être en consomme-t-il moins parce l'âge venant... Ces trois écueils passés, lui restait encore quelques problèmes originels : revoir sa mère et son beau-père, toujours aussi décevants, et son père une rencontre plus réconfortante... L'a acquis un équilibre, appris à lire et à écrire... L'a trouvé sa place dans le monde. Mène depuis plusieurs années sur les ondes calforniennes une émission radio, passe les disques qu'il aime et interviewe qui il veut... de Bowie à Jerry Lee Lewis...

Steve Jones est heureux. Chaque Homme dans sa Nuit s'en va vers sa lumière rappelait Julien Green – l'avait piqué la formule à Victor Hugo – oui mais dans le rock souvent la nuit est plus ensorcelante que le jour.

Damie Chad.

 

SUMMER'S GONE / ABK6

 

SUMMER'S GONE / WORK AND WORK / LET ME GO AGAIN / WIND AND DUST / BRAND NEW TAMBOURINE / THE THINGS I WILL NEVER SEE / THAT'S WHAT I NEED / MY SILVER RING / THUNDER / HEAR A WHISPER / CALL ME ANYTIME / THE BRIDGE.

 

Hypno 005 / Octobre 2017 /

Daniel Abecassis : Guitars, vocals, keyboards, bass, percussion, bohemianand acoustic guitars, guitar, harp.

Julien Francomano : drums.

Artwork : Alan Abecassis.

 

Summer's gone : rythmique imparable, terriblement américaine, la pochette ne ment pas, ABK6 qui vole sur fond de ciel bleu au-dessus des gratte-ciels, les grands espaces et l'occupation des sols, l'azur célestial et la lie terrestre, cloaque estival dont sont pétris les hommes qui courent au-devant d'eux-mêmes. Un millier de références discographiques – un lyrisme musical à la Neil Young pour ceux qui ont besoin que l'aiguille de leur boussole indique une direction incertaine – mais l'été des illusions s'achève et les pistes qui s'ouvrent sont inexplorées, ABK6 fonce la tête en avant sur ses chemins de traverse, l'on pressent que l'aventure solitaire sera douce et amère. Country électrifié et blues mélodique. Pour le moment les guitares mènent le train et s'accélèrent, la voix s'affirme péremptoire. Nous sommes à l'orée de possibles. Work and work : batterie appuyée, la guitare commente, la voix proclame, la vie n'est pas de l'apple pie, mais cela fait aussi partie de votre fierté, optimisme de virilité appliquée aux choses de la vie qui ne se passent jamais comme il se devrait, guitares s'exacerbent comme chignoles et gonflent et débordent en grondements de milliers de voitures sur la highway. Let me go again : mieux vaut être seul que mal accompagné, assurance tous risques, oser lutter, oser vaincre, partir sans se retourner, enthousiasme de guitares, allégresses drumiques, la voix claironne et assume. Wind and Dust : les trois premiers morceaux comme entrée fracassante, ici le ton change, la voix module d'un cran au-dessous, se charge d'une gravité expérimentale car l'on est déjà de l'autre côté de la rivière que l'on voulait traverser, les guitares font encore le gros dos et foncent droit devant. Pour combien de temps ? Brand new tambourine : nouvelles sonorités, narquoises, voix en ballade mais plus creuses, optimisme de façade, rupture avec ce qui précède, intrusion dylanienne, le temps des révolutions intérieures est survenu. These things I will never see : les introspections ne sont guère joyeuses, l'on oscille en sourdine entre folk et blues, velours moiré de l'orchestration entremêlée de quelques fils d'or. That's what I need : retour du tonus, chat dans la gorge, inflexions jagueriennes idéales pour régler les comptes et remettre les pendules à l'heure. Guitares incisives qui tire-bouchonnent les oreilles. My silver ring : la guitare s'insinue, l'aurait des sonorités de pedal-steel, faudrait savoir à quoi l'on va se décider, prêt à partir ou à rester. La musique se fait tendresse de coton feutré, la voix s'inflexionne sur ce qu'on sait ne pas vouloir. Thunder : cristaux de guitares font mieux que bourrasques de violence, la voix s'affirme, c'est elle qui gronde et emmène la caravane jusqu'à résonner dans le lointain. Hear a wisper : cordes lugubres et la voix qui déclame. L'est des chuchotements qui claquent comme des proclamations, mais l'orchestration mange les mots. Call me anytime : Lassitude et espérances. Décrochages et promesses. La partition se fait douce comme un appel qui résonne dans le vide. The bridge : les ponts mènent bien quelque part peut-être bien là où l'on ne voudrait pas. Mieux vaut se taire et laisser le pont dérouler ses arches et se perdre au loin dans la brume. Piste 13 : pas prévue au programme, pas annoncée sur la bande-annonce. Un cadeau. Rien à voir avec un bonus pour les heureux acheteurs. Le bout de la piste est à portée. Suffit de le décider. L'errance est terminée. Joie champêtre. Piste 14 : marche en avant. La boucle d'optimisme se referme. Juste deux couplets pour résumer et conclure la pérégrination. Plaisir de jouer, de laisser la musique remplir la bande. Satiété. Le but n'était que le chemin.

 

Ne pas se fier à la beauté des guitares. A première écoute ça ronronne comme un matou exposé au soleil sur son épais coussin. Ça emporte l'adhésion. Bien foutu, bien balancé. Idéal en arrière-fond pour amadouer la copine qui vient chez vous pour la première fois. Erreur dont vous ne tarderez pas à vous repentir. Trop beau pour être vrai. Agit comme ses fleurs carnivores dont le suave parfum vous empoisonne. Ne touchez pas avec votre âme, poisseux de blues. Caché sous des arrangements à la Bruce Springteen, à la Gram Parson. Sachez écouter entre les notes bleues et dorées, Daniel Abecassis nous raconte la sempiternelle histoire des loosers que nous sommes. Porteurs de rêves si simples qu'ils en deviennent monstrueux. Nous tend un miroir américain à notre effigie. La copine s'est débinée. Plan foireux. Mais l'on n'est jamais au mieux ( ou au pire ! ) qu'avec soi-même. Entre intensité et juste milieu le choix n'est pas difficile. C'est ainsi que l'on apprend à se connaître. Daniel Abecassis nous convie à un itinéraire secret, intimiste, empli de guitares juteuses et généreuses. Un ovni dans le rock français. A découvrir.

Damie Chad.

 

FOLLES DE DJANGO

ALEXIS SALATKO

( Robert Laffont / Août 2013 )

 

Roman. Spécifié dès la couverture. Pour qu'il n'y ait pas tromperie sur la marchandise ? Pour ne pas avoir à se justifier auprès des esprits tatillons ? Ou peut-être pour signifier que la vie de Django Reinhardt était déjà un roman à elle toute seule et que, puisque l'on n'attrape pas plus les mouches avec du vinaigre que l'on ne capture point l'âme gitane en la mettant en fiches, il importait avant tout d'en saisir quelques reflets avec cet outil miroir de mots kaléidoscopiques que serait le roman littéraire ?

Trois femmes pour Django. Trois générations. Grand-mère, fille, petite-fille. Maggie, Jenny, Dinah. Par ordre chronologique. Ne comptèrent guère pour Django. Sentimentalement parlant. La dernière n'était qu'une enfant lorsqu'il mourut. L'était le mur et elles la vigne vierge qui s'accroche au moindre interstice. Le tronc tolère le lierre mais s'en soucie peu. Hiatus profond. Entre elles et lui. Sont d'un monde civilisé, rationnel. Lui d'un peuple des marges. Méprisé et méprisant. Si éloigné des représentations romantiques de la psyché européenne. Vit à part. Dans la zone des fortifs. Qu'il transporte toujours et partout dans sa tête. Qu'il reconstitue à chaque étape, dans chaque chambre d'hôtel, dans chaque appartement. Un joyeux foutoir, peuplé de rires, de cousins, d'amis, de musique, d'alcool, de fêtes sans fin. L'instant présent. Passé annihilé. Le futur n'existe pas. ( Un no future très éloigné de celui des Sex Pistols ). L'argent n'a aucune valeur, se boit, se mange, se perd au billard, sans compter, tout de suite. L'aurait peut-être été plus heureux si tout avait pu continuer ainsi, mais il n'en fut rien. Trop doué, ne sait ni lire ni écrire mais saisit d'instinct la musique. L'entend une fois, et est capable tout de suite de broder dessus. Virtuose mais qui ne se répète pas. C'est là son secret qui deviendra sa malédiction. Les gens sont des enfants qui aiment qu'on leur relise chaque soir le même conte. Cela leur permet de dormir debout.

Un profond malentendu. Django n'a pas que des qualités. L'est attiré par tout ce qui brille. Surtout les babioles et les bagnoles. Se contente de peu : joyeuse assistance dans un bar, boisson offerte par le patron, pourboires et cachet minimal. Avec en plus, dans son imagination, le rêve qui clignote de l'Amérique... Ce sont les rencontres qui font la différence, Maggie, jeune veuve d'un as de l'aviation mort en mission, qui le découvre par hasard et qui a prescience de son génie. Qui le pousse, qui le présente à Maurice Alexander accordéoniste star qui l'emmène en tournée. La belle vie pour Django... Mais au-delà des circonstances qui l'ont fomenté et formaté, reste la musique et le parcours de l'artiste. Le temps a passé et aujourd'hui Django pour le grand public n'est plus que le roi du jazz manouche, une catégorie étiquetable figée en elle-même, comme la mentalité française aime bien en créer, sœur cousine du jazz New Orleans. Le jazz fut la chance inouïe de Django, ne pouvait mieux rêver que surgissement de ce type de musique qui était en train de déferler depuis les Etats Unis sur le monde. Le jazz lui ressemble, rassemble en lui les postulations essentielles qui participent de l'âme de Django. Liberté et virtuosité. Deux qualités assez antinomiques quand on y réfléchit. L'improvisation est l'âme du jazz, fonctionne comme une métamorphose incessante qui n'est pas sans rappeler les ronds de fumée mallarméens abolis en d'autres ronds. Mutation et renaissance perpétuelle. Une chaîne dont les anneaux se détachent du précédent plutôt qu'ils ne s'y cadenassent. Tout en assurant une continuation formelle des plus structurées. Nous ne sommes pas loin de la transcription de ce qui plus tard prendra pour nom en mathématique théorie des catastrophes, selon laquelle la répétition d'une structure donnée peut du seul fait de sa répétition à l'identique engendrer de monstrueuses mutations comme si la matière procédait par d'incompréhensibles ruptures afin d'assurer son devenir. Une manière de concevoir le monde très éloignée de l'algébrique vision prédictive du triomphe algorithmique, algorythmique, de notre binaire modernité, en fait très proche du mythe de l'éternel retour nietzschéen du même qui induit une telle tension dramatique que la perpétuation cyclique débouche immanquablement sur une rupture catharsique aristotélicienne, ce qu'en rugby l'on nomme l'art du dégagement conclusif de l'essai en cours. La virtuosité vous enferme dans le cercle du chien qui tourne de plus en plus vite sur lui-même pour attraper sa queue, sous l'enthousiasme communicatif des spectateurs, elle est un piège redoutable qui se referme sur vous-même et vous empêche de progresser.

La guerre amputa Django de sa carrière. En traître. Sa carrière culmina sous l'Occupation. Un sommet de contradictions, le métèque est l'empereur du Paris by-night. Toute situation de crise vous pousse à chercher des sorties de secours, même si elles conduisent dans les impasses des arrières-cours où l'on entasse les poubelles de l'Histoire. Le swing sera le dérivatif de la capitale occupée. Musique entraînante qui vous tourne la tête et qui permet à Django de laisser libre-cours à son imagination rythmique débridée. Le retour du bâton ne se fera pas attendre. Les allemands n'apprécient guère ni la musique de nègre ni la sous-race des tsiganes. Django tente de fuir, et dans l'impossibilité de quitter la France, se fait discret... La Libération le trouve vivant. Le plus dur est passé. Semble-t-il. Car en Amérique une profonde mutation est en train de germer. Charlie Parker casse les patterns reproductifs du jazz, la révolution Be-Bop change radicalement le visage du cette musique. Le livre décrit à merveille le déchirement du jazz français ( qui par ricochet aura une grosse et néfaste influence sur la naissance du rock par chez nous ) : coupés durant une demi-décade de l'Amérique nos musiciens par la force des choses ont ossifié leur style, eux qui durant des années ont suivi plus ou moins bien le mouvement venu d'outre-Atlantique se retrouvent dix ans plus tard dans la totale incapacité de comprendre l'impérieuse nécessité d'évoluer. Se mettent au diapason du public, tout heureux à la Libération de retrouver la joyeuse ambiance du jazz d'avant-guerre mais qui peu à peu se détournera de cette musique qui commence à dater... Seul Django comprend le danger, ces nouveaux enregistrements dans lesquels il parvient à une plus grande maturité rythmique qui l'éloigne des galopades débridées du début ne ravissent que les connaisseurs. Le jazz devient une musique branchée pour intellectuels... Les masses se détourneront de lui. De nombreux musiciens à court de contrats guignent vers la variété. Les pages sur Grappelli sont d'une sévérité exemplaire... Alexis Salatko ne prend même pas la peine de citer les galéjades d'un Boris Vian. En dernier recours Django aura tenté l'aventure américaine, qui tournera mal, les ténors du Be Bop qu'il brûle de rencontrer sont en tournée très loin de New York, sa programmation dans l'orchestre de Duke Ellington le déçoit, terrible impression d'être exhibé en tant que singe savant dans le quart d'heure des célébrités exotiques... Un soir, mais pas deux. Retourne en France. Jouer ne l'intéresse plus, l'est passé à l'essentiel : créer.

L'est déçu et terriblement conscient que pour lui les épinards sont hachés. Quitte la guitare qu'il suspend au mur de sa maison de Samois. Va à la pêche, s'occupe de son gamin et de Dinah... S'est trouvé un autre hobby : la peinture. Qui n'est pas sans lui poser de graves problèmes : la culture tsigane exclut la représentation de la nudité sexuelle de la femme... Contradictions intimes. Ses amis insistent pour qu'il reprenne le flambeau, ce seront les derniers enregistrements, les plus aboutis, mais le cœur n'y est pas, est passé à autre chose, l'a accompli ce qu'il avait à faire en ce bas-monde, inutile en quelque sorte, s'effondre brutalement au mois de mai 1953, coda brutale.

Folles de Django est à lire. Une approche oblique d'un musicien englué comme tout un chacun dans le piège de l'existence. Alexis Salatko nous décrit Django du dehors, mais nous permet de le connaître du dedans. Django le viveur, Django le flambeur, Django le noceur, Django l'inconséquent. N'en fait qu'à sa tête. L'a voulu la célébrité et la liberté. A obtenu les deux. Ne les a jamais monnayées. Ni entassées. Des colifichets que l'on exhibe fièrement sur sa poitrine comme des décorations sur la veste des militaires mais dont on se débarrasse dédaigneusement arrivé à la maison. L'insouciance du gamin et le poids indu de la maturité comme un cadeau empoisonné. N'y a qu'à comparer sa vie avec celle d'Elvis Presley pour comprendre lequel des deux fut le plus heureux. Le pire c'est que dans leur grande majorité nos contemporains n'ont d'yeux que pour le colonel Parker.

Damie Chad.

CUIRTUREL !

FILE-MOI TON CUIR

( 4 / 10 ) CUIRS ROCK

REALISATION STEPHANE GARREL

CULTURE ET pop / ARTE TV

 

Christian Eudeline fait le buzz sur le net. L'a participé à une mini-série, six minutes maximum l'épisode, consacrée au cuir sur la télé. Lui est échu de présenter l'épisode 4 sur les cuirs rock. Surprise, première image sur Djivan des Howlin' Jaws, comme tout Howlin' qui se respecte entreprend de recoiffer sa banane, aussitôt imité par Lucas – un Jaws sans peigne c'est aussi invraisemblable qu'un alligator sans dents – plus modestement Baptiste Crac Boum Hue se contente de faire tournoyer ses baguettes entre ses doigts, commencent à jouer, profitez-en, c'est court, ne pleurez pas ils reviendront, en coups de vent. Patrick Eudeline prend la parole et là c'est le délice, images mouvantes et émouvantes de Vince Taylor sur scène, beau comme un Dieu Grec, félin échappé du zoo... Vince a-t-il été le premier à porter du cuir sur scène ? Christian Eudeline le pense. D'autres opinent pour Gene Vincent. M'étonnerait que dans les fifties un pionnier ignoré des grandes anales au fond d'une salle perdue dans un bled paumé n'ait pas une fois franchi le pas... On est toujours le second de quelqu'un d'autre... L'est vrai qu'avec Vince et Gene l'on accède au seuil symbolique de la représentation signifiante. Pochette Barclay de Vince – nous l'avons plus d'une fois exhibée sur KR'TNT ! pédagogiquement expliquée et entrecoupée de la prestation impeccable des Jaws qui comin'on on the speed. Hélas tout a une fin, voici les détestables yéyés qui surgissent et font passer les rockers «  pour des vieux cons ». Nous sortons nos mouchoirs pour pleurer, mais rien ne nous sera épargné, l'on doit s'enquiller vingt secondes, de trop, l'annonce du prochain épisode, Renaud tout jeune qui nous parle de provocation. L'a bien changé depuis, s'est bien renié, appelle à voter pour les représentants du capital et embrasse les flics que pourtant tout le monde déteste. Comme quoi si l'habit ne fait pas le moine zen, le cuir ne fait pas le samouraï.

Damie Chad.

P. S. : reste les neuf autres épisodes d'intérêts variables. Yan Morvan ( photographe ), Ramones, l'arrière-petit-fils Schott dont l'ancêtre inventa le perfecto, pour le meilleur, pour le pire toute la récupération mode et marchande déclinée sous toutes ses formes, haute-couture, vintage, fashion, spécial totale dépouille en quelque sorte.

 

ATTITUDE ROCK'N'ROLL

ANNE ET jULIEN / HYPPOLYTE ROMAIN

( Editions Plume / Février 1993 )

 

Ne suffit pas d'avoir la dégaine. Faut les mots qui marchent avec. Objets transactionnels des plus utiles mais si vous n'avez pas l'esprit, cause perdue... Joli format allongé avec couverture cartonnée. Si vous tenez à l'emporter avec vous, discrétion peu assurée, dépassera de votre poche. N'était pas donné à l'époque. L'équivalent de quinze euros, rajoutez vingt-cinq ans d'inflation. Ne vous ruinez pas. N'est pas indispensable non plus. Je doute fort que vous séchiez avant de lire les définitions. Beaucoup d'anglais, beaucoup de verlan à la mode à l'époque, un soupçon de manouche, bonjour les narvalos, du simili argot. Pour ceux qui n'aiment pas lire quelques silhouettes d'encre noire, traits épais. Pour retrouver la mémoire de ses vingt ans qu'ils écrivent en quatrième de couve. Comme quoi déjà à l'époque c'était un bouquin pour les retours d'âge.

Damie Chad.