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22/06/2021

KR'TNT ! 516 : BIBLE & TIRE RECORDING CO / SPIRIT / CHRIS BARBER / HOT RAM / STARSPAWN OF CTHULHU / JACQUES BENOIT + JONI MITCHELL

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 516

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

24 / 06 / 2021

 

BIBLE & TIRE RECORDING CO

SPIRIT / CHRIS BARBER

HOT RAM / STARSPAWN OF CTHULHU

JACQUES BENOIT + JONI MITCHELL

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

L’avenir du rock - Barnes to lose

 

L’avenir du rock est plié de rire.

— Ha ha ha ha !

Assis en face de lui à cette table de brasserie, Pandemic peine à dissimuler son irritation.

— Rira bien qui rira le dernier...

— Tu es comme tout le monde, mon pauvre Pandemic, tu n’aimes pas te faire baiser la gueule. Mais dans la vie, il faut des baisés, et cette fois c’est ton tour.

— Peut-on savoir ce qui te rend tellement arrogant ?

— Il ne s’agit pas d’arrogance, mais de joie. Comme tous les malveillants, tu mélanges tout, comme tous les fouteurs de merde, t’es amputé du cerveau. Et tu veux savoir ce qui me rend si joyeux ?

— Vas-y accouche !

— Figure-toi que Bruce Watson qui est déjà manager de Fat Possum et de Big Legal Mess vient de lancer un nouveau label, Bible & Tire. Il veut tiens-toi bien promouvoir the roots music, c’est-à-dire le gospel batch ! Et il démarre avec le premier album des Sensational Barnes Brothers ! Là mon vieux, tu vas devoir recommander ton âme à Dieu, si tu en as une !

L’avenir du rock a raison de s’exciter. Cet album des Sensational Barnes Brothers s’appelle Nobody’s Fault But My Own : 11 titres et pas moins de 10 bombes atomiques. C’est tout de même incroyable qu’on puisse encore tomber sur des albums de cette qualité. Et pas que du gospel batch. Ces blackos tapent aussi dans le r’n’b et le Memphis beat. Tu cherches du Memphis beat ? Alors écoute «I Made It Over», cette merveilleuse rasade de Soul moderne. Là-dessus, tout est parfait : le beat, les chœurs de soft, les cuivres et les nappes de Jimbo derrière. Dès «I’m Trying To Go Home», on est embarqué par le swagger et Jimbo Mathus fait partie du pactole. Nouveau shoot de Memphis Soul avec «Why Am I Treated So Bad». Ils ont bien raison de s’appeler the Sensational. Ils sont dans l’esprit Stax mais avec un truc à eux, comme le montre le morceau titre. Ils réactivent Stax en plein et finissent en apothéose de gospel batch. Avec «Let It Be Good», on a un fantastique balladif porté par l’orgue de Jimbo. C’est tellement inspiré qu’on finit par penser que c’est au dessus de nos moyens intellectuels. Il faut les voir ramener des clameurs de gospel dans le Memphis beat d’«I Won’t Have To Cry No More». Ils rivalisent de grandeur avec les Edwin Hawkins Singers, la clameur monte, Jesus comes to carry me home, c’est fabuleux. Le génie des Barnes Brothers se trouve dans le smooth des chœurs, aw Lawd, ces Brothers nous ramènent au point de départ : le gospel des origines du rock, les vraies roots d’Elvis et de Jerry Lee. Et ça continue avec «Here Am I», c’mon Jesus ! I need you ! I want you, ils s’amusent, ils sautent de joie, les chœurs font save me, c’mon Jesus. Nous voilà au cœur du mythe fondateur, la spiritualité. Ils attaquent «Beautiful Mansion» au gospel de r’n’b, avec des filles derrière. Extraordinaire shoot de gospel, yes Lawd, I wanna know, rien d’aussi bombardé, ils chantent avec l’énergie du gospel moderne et passent fièrement tous les caps, take it down, les filles sont terribles, l’église en bois brûle d’un feu sacré et Jimbo tisse ses nappes séculaires.

Alors forcément, au sortir d’un disque pareil, on est dans tous ses états. Il ne reste qu’une seule chose à faire : jeter un œil sur le catalogue Bible & Tire.

Comme par hasard, un petit buzz autour d’Elizabeth King parcourt actuellement la presse anglaise : Bible & Tire propose deux albums de cette reine du Gospel de Memphis, Elizabeth King & The Gospel Souls. The D-Vine Spirituals Recordings, et un truc qu’elle vient d’enregistrer, Living In The Last Days. Sur la pochette du premier, on la voit jeune et sur la pochette du deuxième, c’est vieille dame, mais Gawd, quelle voix ! Dans le petit quatre pages glissé dans le digipack, Nick Loss-Eaton nous explique qu’Elizabeth King a rejoint les Gospel Souls en 1969 et qu’elle est restée 33 ans avec eux. Elle a aussi élevé 15 enfants. L’«I Heard The Voice» enregistré en 1972 fut nous dit le producteur Juan D. Shipp un gros succès. Il avait demandé à Elizabeth King de chanter comme si elle faisait l’amour à Dieu - Nobody could sing like the original - C’est le cut d’ouverture de bal sur The D-Vine Spirituals Recordings. Elle fait du soft r’n’b, de l’Aretha du beginning, elle est fabuleuse de touchy touch, I dooooo, c’est d’une qualité exceptionnelle et derrière, les mecs tartinent des chœurs de rêve. Elizabeth King fait partie des convaincues : «You need joy. If your mind got joy, if you keep your mind set on Jesus, he give you perfect peace.» Le coup de génie de l’album s’appelle «Here Waiting». Elle allume la gueule du gospel et ça tourne à la magie pure, elle détient le power d’Aretha. Si on en pince pour le gospel, on se régalera de «Wait On The Lord» (joué à la guitare électrique, on monte directement au paradis, he’s alright) et de «Stretch Out Down» (elle rentre dans le lard du gospel avec une niaque terrible, elle est parfaite, c’est du big gospel d’église en bois bien axé sur Jésus, les chœurs font Stretch out, c’est énorme !). Avec «I Found Him», elle se barre en heavy groove de gospel jazz. Tout est beau sur cet album miraculé. Elle fait de la Soul de gospel, elle chante à la vie à la mort, comme une lionne, elle est l’Aretha de Memphis, même si on sait qu’Aretha est elle aussi originaire de Memphis. Ces gens font du r’n’b primitivo-spirituel. Elle explose encore «Can’t Do Nothing». Cette Soul Sister vaut toutes les autres, et puis après, c’est un mec qui chante.

Living In The Last Days est un bel album, mais un peu moins intense que le précédent. Elizabeth King n’a plus la même voix. Will Sexton, Mark Stuart et George Sluppick l’accompagnent. L’album décolle avec «He Touched Me». Les Vaughn Sisters font les chœurs, c’est très fin, quasi-chirurgical, tellement précis, à l’ozone près. Elle enfile une série de gospels classiques (gospel d’orgue avec «Living In The Last Days», Memphis beat avec «Mighty Good God» et heavy shuffle avec «A Long Journey»). Puis ça se met à rocker avec «Reach Out And Touch», monté sur un beau bassmatic ballochard. Avec «Walk With Me», elle demande beaucoup au Lawd - Lawd be my friend/ Don’t leave me alone - C’est intense et elle attaque «Cal On Him» à la Sam Cooke. La batteur George Sluppick amène un excellent drumbeat. Elizabeth King termine cet album attachant avec l’a capella de «Blessed Be The Name Of The Lord», la voilà pure et dure, et elle enchaîne sur le plus beau des hommages : «You’ve Got To Move», le vieux classique de Mississippi Fred McDowell. Mister Jag et tous les repreneurs, prenez des notes.

Attention, le festin se poursuit avec une autre bombe, un quatuor qui s’appelle Dedicated Men Of Zion et un premier album, Can’t Turn Me Around, paru l’an passé. Si on ouvre le digi, on les voit en photo, trois jeunes et un vieux, et on s’exclame : quelle classe ! Ils portent tous les quatre des vestes couleur bordeaux à revers de satin noir. C’est encore un album génial, et ce dès «Father Guide Me». On a tout de suite du son. Ils sont accompagnés par les gens qui accompagnent Elizabeth King sur son dernier album. Ils proposent un gospel Soul swingué aux chœurs de belle espèce. Tout le rock est là, dans l’excellence de Zion. On se retrouve au cœur du Memphis Sound avec «I Feel Alright». Ces mecs naviguent au grand large dans une extraordinaire ambiance de good time music, le cœur battant du Memphis Beat. Ils amènent «Can’t Turn Me Around» au heavy blues, aw Lawd comme c’est puissant, ils envoient mine de rien un fabuleux shoot de gospel blues sous le boisseau du can’t turn me around. Et la fête continue avec «You Don’t Know», tout le blues de Muddy et des autres vient de ce heavy beat de gospel batch - You don’t know/ What he done for me - C’est puissant, on est dans l’exubérance du black power, avec une batterie. Ces mecs vont chercher le black power sous toutes ses formes, ils inventent le beat de Gawd. Ils sautent partout, ils sont une absolue bénédiction. Les Dedicated Men Of Zion cherchent les voies du seigneur dans «A Leak In This Old Building» et le leader qui doit être le vieux incendie l’église. C’est à la fois exceptionnel, présent et inspiré. Avec «Down Here Lord», ils proposent du pur jus de gospel. Ils sont dans leur truc et leur truc est beau, bien drivé à l’orgue d’église. Le vieux faufile sa voix dans l’oh yeah de down here Lord et ça monte à la puissance extrême. Ils terminent avec le heavy shuffle de «Work Until My Days Are Gone». En fait, ils inventent un autre truc, le heavy splish splash de gospel batch, c’est pulsé aux chœurs avec un sax in tow et tout le black power au cul du cut, the old man is on fire, il drive ça des hanches, alors tu danses avec lui.

Et pour terminer ce petit panorama de Bible & Tire, voilà une compile encore une fois destinée aux amateur de black power : The Last Shall Be The First. The JCR Records Story. Volume 1. Michael Hurtt nous rebranche sur Pastor Juan D. Shipp, le pape du gospel de Memphis, fondateur des labels D-Vine Spirituals et JCR. Shipp installe son business au Tempo Recording Studio, sur Hernando Street, studio construit par Clyde Leoppard, un Sun Studio drummer qui a joué derrière Warren Smith, Barbara Pitman et quelques autres. Ces groupes de gospels enregistrés en 1972 à Memphis valent tous les grands groupes de Soul de cette époque, simplement, ils sont restés inconnus. Quatre cuts justifient pleinement le rapatriement de cette merveille. Un, the Pilgrimairs avec «Father Guide Me Teach Me». C’est monté sur un heavy beat primitif enluminé aux chœurs de gospel. Voilà un véritable chef-d’œuvre de primitivisme éclairé. Le génie de l’église en bois. Ces blackos rockent mille fois plus que n’importe quel gaga-band. Deux, the Southern Nightingales avec «Every Knee Must Bow» : chœurs déments, les blackettes envoient le cut au firmament, c’est encore une fois de la magie pure, certainement les plus beaux chœurs qu’on puisse entendre. Trois, The Hewlett Sisters avec «In The Last Day». C’est du gospel jazz gorgé d’énergie, ça te bouffe tout cru et ça joue à la stand-up, alors t’as qu’à voir. Quatre, The Stars Of Faith avec «Sitting Down». C’est claqué aux guitares funk et ça vire big Memphis drive, ça joue à l’insistance et on en prend plein la barbe. D’autres choses vont intéresser l’amateur comme ce «You Can’t Hurry God» des Johnson Sisters, les grosses rockent leur gospel et ça tourne vite à la folie. Le «Just Over The Hill» des Spiritual Harmonizers est encore sacrément bien gaulé. Fabuleux heavy blues de gospel avec «What A Meeting» des Vigil Light Of Holly Springs MS, Holly Springs étant comme tu le sais le coin où vivaient Junior Kimbrough et Charlie Feathers - Gawd Gawd Gawd ! - Et voilà un baryton de rêve dans le «Rock My Soul» des Masonic Travelers. Enfin bref, tout ça pour dire qu’il faut avoir Bible & Tire à l’œil.

Signé : Cazengler, Bide & Tare

The Sensational Barnes Brothers. Nobody’s Fault But My Own. Bible & Tire Recording Co. 2019

Elizabeth King. Living In The Last Days. Bible & Tire Recording Co. 2021

Elizabeth King & The Gospel Souls. The D-Vine Spirituals Recordings. Bible & Tire Recording Co. 2019

Dedicated Men Of Zion. Can’t Turn Me Around. Bible & Tire Recording Co. 2020

The Last Shall Be The First. The JCR Records Story. Volume 1. Bible & Tire Recording Co. 2020

 

Spirit in the sky - Part One

 

Dans Record Collector, Kris Needs ne fait qu’une bouchée de Spirit, ce space-rock band californien qui, à la fin des années soixante, captivait tant les French kids assoiffés de mystère. One of the great West Coast bands, nous dit Needs. L’âme du groupe s’appelle Randy California. Avec le temps et quasiment une vingtaine d’albums, il a fini par devenir légendaire. En fait, il eut plus de veine que la plupart d’entre-nous car sa mère Berenice lui colla une guitare dans les pattes à l’âge de cinq ans. Berenice Pearl chantait et jouait du folk et son frère Ed tenait l’Ash Grove, le fameux club de Melrose Avenue où se produisaient à l’époque des gens comme John Lee Hooker, Mississippi John Hurt et Ramblin’ Jack Elliott. Randy peut bicher : «I was very fortunate growing up... I learned from the very best.» Mais sa mère allait mettre trop de pression sur le pauvre Randy qu’elle considérait comme un prodige. C’est à l’Ash Grove, en 1965, que Berenice rencontre Ed Cassidy. Elle est en train de divorcer du père de Randy. Cass est un batteur de jazz professionnel qui pouvait jammer avec Art Pepper, Cannonball Adderley ou Roland Kirk, pardonnez du peu. Il fit partie des Rising Sons de Taj Mahal en 1964. Randy et Cass cliquèrent aussi sec et entamèrent un long voyage au royaume de la psychedelia californienne. À 14 ans, Randy était déjà un slide guitar blues demon. C’est en jouant avec les Red Roosters qu’il rencontre Mark Andes et Jay Ferguson. Quand Randy a 15 ans, Cass et sa mère l’emmènent à New York. Cass y cherche des jazz bookings. C’est au Mammy’s Music Store que Randy rencontre Jimi Hendrix. Ils jouent ensemble plusieurs mois au Cafe Wha, jusqu’au moment où Chas Chandler débarque pour emmener Jimi à Londres. Jimi voulait que Randy vienne avec lui, mais ni Chas, ni ses parents n’étaient d’accord. C’est au retour en Californie que l’idée de Spirit va prendre forme. Tous les mecs du groupe avaient déjà navigué : John Locke avec Robbie Krieger et Mark Andes in the early Canned Heat. Alors monter un groupe n’était plus qu’un jeu d’enfant.

Ils tirent le nom du groupe d’un recueil de nouvelles de Khalil Gibran, Spirit Rebellious, qui fut traduit en Français par Esprits Rebelles. Ils répètent à la fameuse Yellow House de John Locke, située à Topanga Canyon. Quand ils commencent à jouer sur scène au Whisky A Go Go, Jan Berry fait venir Lou Adler qui les signe on the spot sur son label Ode.

Malgré le buzz, le premier album du groupe n’est pas d’un abord facile, même s’il recèle un hit, «Fresh Garbage», joué au joli velouté de son. Ça jazze même sous le vent. John Locke pianote en fast rising jazz cohort man. Ils visent tous les cinq le total freedom et le jazz permet ça. S’ensuit un «Uncle Jack» très inspiré par les Beatles, illuminé par un chant d’unisson et Randy prend un solo en roue libre. C’est à la fois somptueux et délicieux. Il vient ensuite réveiller «Mechanical World» qui s’endormait. Il y passe l’un de ces solos insidieux dont il va se faire une spécialité. Il faut tout de même rappeler qu’à l’époque, ces longs cuts ambianciers pouvaient poser un problème. On voit plus loin Randy jouer la carte Peter Green dans «Girl In Your Eye». La B ne réveillera pas les morts, comme chez George A. Romero. On s’ennuie un peu avec la pop éthérée de «Topanga Windows». Et soudain, en plein milieu du cut, sans raison apparente, ils partent en mode boogie de classe intercontinentale, avec le toucher touchy à la Peter Green. Puis ils finissent enfin par couler l’album avec «Gramophone Man», lancé à la heavyness et qui vire jazz. Un popster n’adhérera jamais à ce type de transgression. Pour la petite histoire, les membres du groupe découvrirent avec une stupeur mêlée de colère qu’on avait rajouté des orchestrations sur l’album sans leur demander leur avis. Travailler avec Lou Adler allait devenir un problème.

Leur deuxième album The Family That Plays Together paraît la même année, en 1968. Ouverture du bal avec le fameux «I Got A Line On You» qui va vraiment définir le son du groupe, c’est-à-dire un rock californien élancé et élégant, gonflé aux harmonies vocales et savamment swingué par ce démon de Cass. Idéal pour vivre sa vie. Soleil, rock et volupté. Voilà un bel emblème de rock californien. L’autre haut fait du disk se trouve au bout de la B : «Aren’t You Glad». Back to the big Spirit rock, joué heavy et surfilé à l’insidieuse par Randy, l’habile serpentin. Dommage que tous les cuts de l’album ne soient pas de ce calibre. Jay grimpe si admirablement dans les étages de son registre ! Et pour Randy, c’est du gâteau au chocolat. Il joue tout à la note grasse qui rampe comme un grosse limace. Quant au reste, ce n’est pas brillant. Ils pataugent dans le smooth. Cut après cut, ils se vautrent dans une sorte de torpeur angelinote. Toutes les compos de Jay s’endorment devant la télé. Randy et Cass tentent de réveiller cet album mou du genou avec «It’s All The Same», en tête de gondole de B, ils jazzent leur groove à gogo et avec un aplomb salvateur qui en dit long sur leur bonté magnanime. Mais Cass flingue tout avec un solo de batterie aussi vain que vil. C’est dingue ce qu’on peut s’ennuyer sur cet album. Il fait partie de ceux qui sont interdits de séjour sur l’île déserte. Par contre, la photo de Cass au bras levé qu’on trouve au dos de la pochette est une merveille : l’extra-terrestre sur cette terre, c’est lui.

Pas de hit sur Clear paru l’année suivante. Ils jouent la carte du smooth bass/percus dans «Dark Eyed Woman», avec un Randy omniscient en arrière-garde. Subtilité, tel est le mot-clé de Spirit. Ils s’installent dans leur groove de rock pour «So Little Time To Fly», tout en smooth avec des petits éclats de Randy. C’est un groove sans histoires, du genre à ne pas laisser de traces. Sans doute est-ce la raison pour laquelle leur smooth est resté inégalé. Ils se situent dans un truc à part. Oh, ce n’est pas de leur faute. Leur vision du rock s’écarte trop du sens commun. Ils sophistiquent leur «Ice» à s’en jazzer l’âme. Randy joue le softah océanique, il peut s’éloigner à la brasse et disparaître à l’horizon, là-bas, sous le soleil couchant. Quand on réécoute «Give A Life Take A Life», on s’ennuie. À l’époque, on n’écoutait ce genre d’album qu’une seule fois, et on n’en gardait aucun souvenir. Pour le morceau titre, Randy revient à son océanique à la noix de coco. Ils terminent avec «New Dope In Town», une attaque en règle de jazz fusion californien qui vire en groove de rock. C’est après ce troisième essai que Spirit arrête les frais avec Lou Adler qui n’a pas voulu les envoyer jouer à Woodstock, les privant ainsi du tremplin que l’on sait. Le groupe signe avec Epic.

Mais des tensions apparaissent entre Randy et Jay. Ils viennent en outre de quitter the Yellow House pour s’installer chacun dans leur coin. Randy se goinfre de LSD et de coke. Pour ne rien arranger, il s’en va cavaler bareback sur son poney Kiowah dans le canyon et bien sûr, il finit par se casser la gueule. Il se fracture le crâne. Pendant sa convalescence, il continue de se goinfrer d’acide. Le seul qui puisse lui adresser la parole, c’est Mark Andes.

Tout le monde s’accorde à dire que Twelve Dreams Of Doctor Sardonicus est le meilleur album de Spirit. Oui, c’est plausible, au moins pour deux raisons : «When I Touch You» et «Morning Will Come». Ils nous claquent «When I Touch You» sur des accords royaux. Mark Andes descend dans le cut à la basse comme on descend à la cave. Il règne dans ce hit spirituel une fabuleuse ambiance de torpeur et de ferveur - I won’t see you anymore - Jay sonne bien l’occiput. «Morning Will Come» préfigure bien Jo Jo Gunne. Même son et même entrain ravageur. Jay adore grimper au sommet de sa gloire, il y va franco de port. Et Randy bien sûr s’exacerbe dans le feu de l’action, on a même des cuivres, c’est dire si Spirit exulte. Joli cut aussi que le «Nothing To Hide» d’ouverture de bal, pur jus de rock spirituel, avec sa heavyness toute en douceur et en profondeur, avec un Randy qui intervient si finement qu’il se fond dans la bruine du Pacifique. Mais le reste des cuts ne sort pas de l’ordinaire smoothy des trois premiers albums. Pas d’excès dans «Animal 200», ce n’est pas le genre de la maison. Ils vont sur du Quicksilver sound pour «Love Has Found A Way» et ils bouclent l’A avec un «Mr Skin» extrêmement élégant, joufflu et cuivré de frais. Avec «Space Child», le jazz de Cass reprend ses droits et Mark Andes drive son bassmatic comme un dieu. N’oublions pas que Spirit est un groupe de surdoués.

Le line-up original éclate quand Randy refuse d’aller jouer au Japon.

Nouvelle équipe pour Feedback paru deux ans plus tard : le Texan Al Staehely (Lead vocals & bass) et son frangin J. Christian (lead guitar) ont remplacé Jay et Randy. On a là un son beaucoup plus agressif. Jay et Mark Andes sont partis former Jo Jo Gunne. Cass bat toujours le beurre. Il aime bien l’idée de Spirit. On trouve sur cet album un joli coup de boogie rock, «Cadillac Cowboys», son très américain, solo parfait et même assez impressionnant. J. Christian Staehely est un fieffé guitariste. Cass joue «Ripe & Ready» au hit hat et les interventions de Staehely brillent toujours par leur présence. Le rock spirituel prend des couleurs, même si l’âme du groupe s’est envolée. En B, on tombe sur un joli «Earth Shaker» bardé de heavyness et de ah ah ah purement spirituels. Franchement, Staehely est un brave mec, il enchante «Right On Time» avec une fantastique partie de guitare et transforme la chose en solide balladif d’Americana inespéré. Ils bouclent cet album passionnant avec «Witch», une sorte de groove de soft rock rocké par le piano de John Locke. Ça reste de l’excellent rock spirituel, admirable d’aisance mid-tempique, ils vont bon train, sans hâte, décontractés et tellement à l’aise.

Aux yeux de Kris Needs, Randy est un personnage très instable. L’emprise oppressante de sa mère et sa chute de cheval n’ont fait qu’aggraver le désordre mental initié par la consommation massive de drogues. Ça allait tellement mal qu’il songeait au suicide et lors d’un séjour en Angleterre, il alla se jeter dans Tamise depuis le pont de Chelsea. Needs ajoute qu’après coup, à l’hôpital, Randy s’inquiétait de savoir s’il n’avait pas avalé trop d’eau polluée. Lors d’un concert à Londres, Randy fit au public un coup à la Syd Barrett : il s’arrêta de jouer pendant 15 minutes pour fixer le public et fila dans la loge se filer des coups de rasoir dans les bras. D’ailleurs il déclara dans le micro de Max Bell : «I’m totally fucked up !». Comme toujours, ces histoires là se terminent en detox et Randy part se reposer un an à Hawaï. Avec sa mère. Il se retape et revient en studio avec Cass et Barry Keen en 1975.

Ils enregistrent Spirit Of 76, juste avant l’arrivée des punks. On a là un double album assez vaporeux, voire légèrement ennuyeux. Randy chante «The Times They Are A Changing» à la glotte blanche. Il vise la pure beauté spirituelle. Pas de meilleur choix que Dylan pour ça. Puis il s’engage dans une série de bluettes à la chlorophylle, son «Maunaloa» se noie dans la bruine du Pacifique. Il réussit même l’exploit de ramollir «Walking The Dog». Comment ? En en le transformant en funk spatial. Personne n’est plus doux que cet homme. Mais il reste remarquablement à l’aise dans les départs en solo. Il revient à Dylan avec «Like A Rolling Stone». Randy l’envoie flotter en l’air et ressort pour l’occasion son toucher de notes à la Peter Green. Cass bat ça avec la subtilité d’un vieux renard du jazz argenté. Randy tente de sauver l’album en C avec «Feeling In Time», un joli groove de bon ton, natural well being. Comme Marvin, Randy préfère l’ouate. Il enchaîne avec un joli clin d’œil à Keef : «Happy». Ah comme ils sont à l’aise avec cette merveille. La Stonesy leur va comme un gant. Randy l’ultra-joue au décontracté californien et ça swingue dans l’éther. Version apaisante, agréable à l’œil et lumineuse. Il finit sa D avec une autre cover magistrale, «Hey Joe». Il est aussi à l’aise qu’un volatile entreprenant. N’oublions pas que Jimi et lui étaient très liés et qu’ils ont joué ensemble à New York. Alors Randy smoothe le blues hendrixien et sculpte le son. Vertigineux ! À l’époque, les critiques évoquaient les noms de Syd Barrett et de Skip Spence pour situer le niveau de légendarité de cet album qu’il faut bien qualifier de mutant, mais avec le recul, force est d’admettre que c’est du pur Randy. On peut même parler de vision.

La même année paraît Son Of Spirit, un album nettement supérieur au précédent. Pour au moins quatre raisons. La première étant «The Other Song». On se croirait sur Electric ladyland, aux grandes heures du Slight Return de «1984». Assez magique - Sneaking down that long lonesome road - Randy s’y livre à superbe exercice de style. Il dérive au loin et ça repart en jive de jazz. Randy, Cass et Barry Keene sont tous les trois parfaitement à l’aise dans l’art de jiver le jazz. La deuxième raison d’adorer cet album s’appelle «Don’t Go Away», un joli balladif joué aux riches heures du Duc de Randy, enluminé par des panaches de notes, joué à l’éclosion du bonheur intimiste et doté d’un extraordinaire pouvoir de persuasion. On peut dire la même chose de «Family», cette espèce de petit miracle psych-folk spirituel. Randy n’en finit plus d’enluminer le jour. C’est un enchantement, cette pop des jours heureux éclate en bouquets de couleurs psychédéliques. La quatrième raison de se prosterner devant cet album se trouve au fond de la B et s’appelle «It’s Time Now». Randy y sonne comme Ronnie Lane, pas moins. Il cherche l’hymne à la Slim Chance et ça s’en rapproche dangereusement car c’est joué aux violons et au banjo, bardé de bon circus sound. Au fil des ans, Randy s’affine. Il est bien meilleur qu’au temps de l’early Spirit. On peut aussi écouter «Looking Into Darkness», car Randy tape ça au chat très perché. Il adore faire le con avec sa glotte. Une vraie gonzesse. Le cut recèle une fois encore de beaux accents de grandeur évangélique. Randy sait charmer un serpent. Et puis «Magic Fairy Princess» ravira les amateurs de pop des jours heureux. Randy n’en finit plus d’éclairer les allées du jardin magique. Il ne fait que des déclarations d’amour. Comme dirait Panisse, il nous fend le cœur. Pour la reprise de l’album, Randy tape cette fois dans les Beatles avec «Yesterday».

Mark Andes est de retour pour Farther Along, paru en 1976. Sur la pochette, ils ont l’air un peu nunuches, surtout Randy, assis devant et coiffé d’un gros bonnet en laine. Spirit revient au rock bon chic bon genre sans véritable identité. C’est tout ce qu’on peut dire d’«Atomic Boogie» - Cosmic disco spoof - Ils s’enlisent dans le soft-rock velouté avec le smooth yatch rock appeal à la Steely Dan de «World Eat World Dog» et se lancent dans la pop de bonne aventure avec «Stoney Night». L’ambiance reste résolument smooth et on sort de l’A avec un léger sentiment de malaise. Mais avec «Mega Star», la magie spirituelle finit enfin par opérer. Randy ramène pour ça les fameux accords obliques dont il a le secret. Cette fois le groupe part pour de bon à l’aventure. Randy mouille bien ses ya ya ya et nous réconcilie avec la vie - How does it feel/ Can you tell what’s real/ With ski poles up your nose - Ils terminent l’album avec «Nature’s Way», un thème orchestral qui reste de toute évidence leur plus grande réussite.

Paru en 1977, Future Games est un album quasi-solo de Randy gorgé de smooth et de transitions qui met beaucoup de temps à décoller - Sci-fi psych & celestial sonics - S’il décolle, c’est grâce à Kim Fowley qui co-écrit «Buried In My Brain» et «Bionic Unit», inspirés par le radio-show de Dr Demento. Ça prend tout de suite du volume. Kim sait écrire des hits de rock californien et il faut voir comme ce «Bionic Unit» sonne bien, swingué aux congas et riffé à la Fowley. Randy boucle l’A avec un clin d’œil à son ami Jimi : «All Along The Watchtower». Randy s’en sort toujours avec des reprises. Il les joue avec une passion dévorante, too much confusion, mais ce n’est pas facile de repasser après Jimi. Randy attaque la B avec un «Star Trek Dreaming» tiré à quatre épingles, et son «China Doll» sonne comme l’«Honey Pie» du White Album, c’est dire le velouté du chant ! On trouve des relents de «Saturday Night Fever» dans «Gorn Attack», bel instro d’anticipation qui finit pas entrer sous la peau. Future Games reste un album infiniment attachant, très personnel.

Joli coup de Trafalgar que cet Adventures Of Kaptain Kopter & Commandant Cassidy In Potato Land. Enregistré en 1973 et jugé trop weird, il ne vit le jour qu’en 1981. Cass et Randy y pondent un joli coup de pop lumineuse avec «We’ve Got A Lot To Learn». C’est tellement chanté à la clameur que ça frise les Mamas & The papas. On même citer George Harrison, tant les échos de «My Sweet Lord» perdurent dans la pérennité. Ils enchaînent avec le «Potato Land Theme», un groove d’une grande élégance californienne - Take my hand/ To Potato Land - C’est Randy qui joue le drive de basse, au cas où on poserait la question. En B, ils passent au mini-opéra et Randy vient nous rocker «Turn To The Right». Il joue ça au fruité d’accords, on a là du high Randy, aérien et énergétique. D’album en album, Randy s’impose comme un guitariste complet et unique à la fois. On finira par vénérer ce mec. Il revient à la charge avec «Donut House», un fantastique rock caoutchouteux, aux frontières du swing de jazz. Et voilà le pompon : «Fish Fry Road», cut quasi-hendrixien chanté à l’extrême hendrixité des choses et comme alerté par les nappes de cuivres. Wow ! Randy nous pulse ça manu-militari, et comme dirait Yves Montand, c’est si bon.

Attention au treizième rêve du Doctor Sardonicus ! The Thirteenth Dream qui date de 1984 réserve bien des surprises, même si le son vire parfois rock FM. Jay et Mark Andes ont rejoint les rangs, c’est donc la formation originale. Randy s’est même rasé la moustache. Jay aussi. Ils ressemblent tous les deux à des playboys californiens. Ils rejouent «Mr Skin» avec un son années quatre-vingt, ce qui n’est pas forcément une bonne idée. On note une pagaille d’invités, Bob Welch, Jeff Baxter et le frère de Mark Andes, Matt, qui est le héros de Jo Jo Gunne. Randy se tape un joli coup de smooth avec «All Over The World». Sans doute est-ce là qu’éclate au grand jour le talent de Randy California, allez savoir ! Il faut ravaler son dégoût pour écouter «1984», à cause de l’orchestration putassière, mais comme c’est Spirit, «1984» prend une certaine ampleur. Ces gens-là ne sont pas nés de la dernière pluie. Avec «Uncle Jack», ils se prennent pour les Who et ce diable de Randy profite de l’occasion pour passer un solo d’une rare finesse techniquoïdale, dans un genre qui lui est propre - Have you met my uncle jack ? - Voilà du rock spirituel solide et bienvenu. Ils retapent à la suite dans l’excellent «Nature’s Way», sans doute le grand hit mélancolique de Spirit. On note l’admirable qualité de l’approche mélodique. C’est même un véritable coup de génie. Ils terminent cet album surprenant avec leurs deux plus gros hits, «Fresh Garbage» et «I Got A Line On You». Wow, Cass nous bat ça sec ! C’est challengé aux chœurs spirituels et tendu à se rompre. Randy s’en donne à cœur joie. Il sur-joue son échappée belle qui s’en va se fondre dans le retour vainqueur des chœurs. Ils étirent en longueur cette magistrale version et c’est si bon que ça vire au coup de génie déflagratoire. «I Got A Line On You» s’étend jusqu’à l’horizon. Fantastique équipe !

On ne pourra hélas pas dire la même chose de Rapture In Chambers paru cinq ans plus tard. Il s’agit là du pire album que Cass et Randy aient enregistré. Dommage, car la pochette est une petite merveille de mystère vampirique. Il faut voir le sourire cruel de Cass dans l’ombre, assis près d’un cercueil ouvert. Mais musicalement parlant, cet album est une catastrophe. Ils font du rock FM de MTV, la pire soupe qui ait jamais existé sur cette terre abandonnée de Dieu. Hormis la pochette, l’album n’a strictement aucun intérêt. Randy y aligne une succession des petits cuts à la con. Tout ce qu’on peut sauver, c’est «Contact». Randy s’y fond royalement. Et en B, ils basculent directement dans la putasserie. Ils se croient même autorisés à faire du Kraftwert avec «Human Sexuality». Immonde.

Mike Nile se joint à Cass et Randy en 1990 pour enregistrer Tent Of Miracles. Le morceau titre sonne comme un bel hommage à Bo Diddley, mais avec le son Quicksilver, c’est-à-dire assez paisible. Délicieusement spirituel. Bo serait fier. C’est même assez astucieux. Se laisse savourer en douceur. Cass bat toujours un peu tribal et Randy joue à petites touches performantes. Le Diddley beat leur va admirablement d’autant que Mike Nile le joue bien grondant sur sa basse. L’autre gros cut de l’album s’appelle «Stuttgart Says Goodbye», tapé au vieux groove garage - Hey I want you tonite/ Hey I need you tonite - C’est assez puissant d’autant que Cass chante d’une voix de vieux renard du jazz argenté. Ces mecs sont vraiment puissants et Randy rôde comme un requin en maraude. On trouve aussi du big sound dans «Love From Here». Cass nous bat ça sec, même si Randy tente d’arrondir les angles. Appelons ça du bâti bien battu. Cass nous bat aussi «Borderline» au heavy stomp des galères, celui qui se précise au moment de l’abordage. Randy joue comme il peut, dans l’enfer du chaos. Ces mecs sont des forces de la nature. «Zandu» frappe aussi les imaginations, car Randy le joue au heavy riffing, il amène un truc si particulier, à la fois smooth et âcre, et ça vire Spirit rock. Randy joue à la ramasse sur le meilleur des beats. Il chante son groove à la traverse et ça devient spectaculairement bon. On est dans le rock Spirituel. Avec «Logical», ils vont plus sur une sorte de country rock, mais avec une belle dégaine. Du son, rien que du son, my son. Ils montent aussi «Old Black Magic» sur un énorme groove de bassmatic. Ils flirtent avec le power-triotisme patenté. Ça ne tient que par le drive de basse que viennent saluer les cuivres. Ils bouclent avec un puissant «Deep In This Land», assez proche du Smoke de Purple.

California Blues paraît un mois avant la mort de Randy, qui, faut-il le rappeler, se noya en tentent de sauver son fils Quinn lors d’une partie de surf à Hawaï. Dans «The River», il chante : «If I happen to drown/ Don’t rescue me.» Prémonitoire, d’autant qu’il tape ça au deep blue sea d’une sorte de delta spirituel. C’est ultra-joué, on se retrouve une fois de plus dans du grand Spirit plein de son. On trouve sur l’album une merveille co-écrite avec l’ami Jimi, «Look Over Yonder». Ça part immédiatement en vrille d’hendrixité, Randy peut vriller sa vrille et Cass suit au beat des galères. Nous voilà dans le monde enchanté de Jimi Hendrix. Robbie Krieger joue sur «Sugar Mama». On reste dans le boogie blues. Pas question d’aller réinventer la poudre ni le fil à couper le beurre. Robbie jazze le jeu au cool breeze. Imparable. Ils font aussi une fantastique take de Cream party avec «Crossroads». Randy la joue en wah suspensive de vrille absolutiste et ce diable de Steve Loria fait le baladin. Quel album ! Tous les cuts captent l’attention. Sacré jive de blues que ce «Song For Clyde» joué au boogie spirituel. Avec «Red House Blues», Randy ose taper dans l’intapable. Il a ce culot extraordinaire. Mais au chant, il a tout faux, car Jimi a beaucoup trop d’avance. Manque de punch. Mal chanté. Même problème avec la reprise de «Gimme Some Loving». Pas de voix. Comment ose-t-il passer après Stevie Winwood ? Dommage. Ses covers ne tiennent pas la route. Pauvre Randy. Il lui manque la fournaise principale. On tombe plus loin sur «One World» qui sonne comme un hit d’Electric Flag. Randy joue comme Bloomy.

Après la mort de Randy, Berenice interdit formellement à Cass, dont elle s’était séparée, d’utiliser le nom de Spirit. Voilà comment se termina cette belle histoire. Malencontreusement.

Signé : Cazengler, spirate (qui s’dilate)

Spirit. Spirit. Ode 1968

Spirit. The Family That Plays Together. Ode 1968

Spirit. Clear. Ode 1969

Spirit. Twelve Dreams Of Doctor Sardonicus. Epic 1970

Spirit. Feedback. Epic 1972

Spirit. Spirit Of 76. Mercury 1975

Spirit. Son Of Spirit. Mercury 1975

Spirit. Farther Along. Mercury 1976

Spirit. Future Games. Mercury 1977

Spirit. The Adventures Of Kaptain Kopter & Commandant Cassidy In Potato Land. Rhino 1981

Spirit. The Thirteenth Dream. Mercury 1984

Spirit. Rapture In Chambers. I.R.S. 1989

Spirit. Tent Of Miracles. Dolphin 1990

Spirit. California Blues. WERC CREW 1996

Kris Needs : California Saga. Record Collector #480 - June 2018

 

Barber please don’t go

 

Nous vivons dans un monde nouveau, et dans ce monde, la disparition d’un homme aussi important que Chris Barber passe complètement inaperçue. C’est un phénomène qui en réalité va choquer très peu de gens, puisque la plupart des contemporains du vieux Chris Barber sont eux aussi en train de sucrer les fraises. Il s’agit de la génération d’avant le baby boom, celle des gens nés dans les années 30. Donc forcément, ça commence à craindre. Seuls les vampires sont éternels et personne ne songerait à les envier.

Quand en 2014 est paru Jazz Me Blues, sa petite autobio, on l’a immédiatement rapatriée. Car Chris Barber fait partie des pionniers de la scène anglaise. C’est donc un témoin capital. Il vient d’un temps où les musiciens anglais jouaient du jazz New Orleans et du skiffle (Lonnie Donegan chantait dans le Chris Barber Band), avant de passer naturellement au blues. Comme chez Sam Phillips ou Phil Spector, le point de départ est une fascination totale pour la musique noire. Et qui retrouve-t-on au point de départ de cette fascination ? Mezz ! Of course, Mezz Mezzrow et Really The Blues. Mezz, l’un des deux écrivains majeurs du XXe siècle, en ce qui nous concerne. C’est-à-dire Mezz Mezzrow et Yves Adrien - The black music was the real thing - Ce que dit Chris Barber de Mezz et du jazz music des années 20 s’applique bien sûr à toute la black music. Elle reste the real thing.

À l’âge où il faut faire des choix pour l’avenir, le jeune Chris barbote et peine à se passionner pour les mathématiques, alors cet homme magnifique qu’est son père lui dit : «Okay, you aren’t doing maths, what about doing music?». Le jeune Chris lui répond qu’il fait déjà de la musique et qu’il passe au Jazz Club de la BBC, et son père lui dit, non, tu dois faire ça sérieusement. «Do it proprerly and go to music school. I’ll pay the fees.» Voilà ce qui s’appelle un destin favorisé. Grâce à son père, Chris Barber va faire du jazz et du blues son métier. Méchant veinard...

Avec son orchestre de Jazz New Orleans, Chris Barber parvient à vivoter. Dans les années 50, le Chris Barber Band joue partout en Angleterre. Il nous raconte tout ça dans le détail, et dans un style bien ronflant, à l’Anglaise, solide, massif et noir comme ces vieux taxis Austin qui émerveillaient tant les lycéens français.

Alors bien sûr, certains objecteront que Chris Barber est une vieille barbe et que le jazz New Orleans, oh la barbe ! Mais ce n’est pas l’époque ni le genre qui importent, c’est le process qui reste le même quelle que soit la génération : le process révélatoire qui peut changer une vie et indiquer la voie. Quand à l’adolescence on découvre Little Richard, on comprend confusément qu’on est fait pour ça et il n’est pas question de faire autre chose. Autrefois dans les romans, on appelait ça une vocation. La vie de Chris Barber en est une magnifique illustration.

À l’époque où Lonnie Donegan chante dans le Chris Barber Band, Chris et lui écoutent Leadbelly. Ils aiment tellement la modernité du vieux Lead qu’ils reprennent «Leaving Blues». En 1958, lorsqu’il tourne avec Sonny Terry et Brownie McGhee en Angleterre, Chris Barber leur fait écouter la version de «Leaving Blues» qu’il a enregistrée avec Lonnie Donegan et bien sûr Sonny Terry reconnaît immédiatement le son de Lead.

C’est en 1954 qu’Ottilie Patterson, fraîchement arrivée d’Ulster, intègre le Chris Barber Band et bien sûr Chris Barber tombe à la fois amoureux de sa voix et de son corps. Il ne l’épousera qu’en 1960, car monsieur qui est déjà marié doit divorcer. Ils s’installent to live in style in Maida Vale.

En même temps qu’Ottilie, Chris Barber rencontre Big Bill Broonzy à Londres. Yanick Bruynoghe et des fans belges l’ont fait venir avec Mahalia Jackson et le Chris Barber Band va l’accompagner sur une tournée de trois semaines. Le voilà confronté au older blues en chair et en os. Puis il va accompagner Sonny Terry & Brownie McGhee, l’un des duos mythiques du blues dont on voyait les pochettes d’albums dans le vitrine de Buis, au temps béni des mid sixties. Ce duo que tous les amateurs de blues chérissent avait joué à Broadway et savait donc gérer un public blanc. Ils étaient donc parfaits pour l’Angleterre. Chris Barber : «Sonny était presque aveugle et Brownie qui marchait lui-même avec une canne et qui avait souffert de la polio étant jeune guidait ses pas. Pour les décrire, on pourrait employer cette formule de la Bible, Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois, mais Brownie était toujours partant, c’mon Sonny let’s do this... Let’s do that!, et Sonny lui répondait : ‘Tu es jaloux de moi car je chante le blues mieux que toi !».

L’autre grand exploit de Chris Barber, c’est bien sûr d’avoir fait venir Sister Rosetta Tharpe en Angleterre. Pareil, elle a joué dans les clubs des blancs, notamment avec le Cab Calloway Orchestra et donc en 1957, Chris Barber et ses amis la font venir pour une tournée. Premier concert à Birmingham. Sister Rosetta a ramené avec elle les partitions de ses chansons, mais les musiciens anglais ne lisent pas les partitions. Alors Chris Barber lui demande : «Sister, pouvez-vous jouer un morceau et nous allons vous accompagner.» Et il poursuit : «C’était absolument mind-bogglingly wonderful. The best, most immediate, unexpecred experience ever. Elle jouait avec un orchestre qu’elle ne connaissait pas, mais on aurait dit qu’elle avait joué avec toute sa vie.» Dans la presse, des cons s’interrogent : peut-on jouer du gospel en public et se faire payer pour ça ? Agacé par tant de cynisme, Chris Barber convoque une conférence de presse à l’hôtel où est descendue Sister Rosetta. Pour répondre aux questions tordues des journalistes, elle sort sa guitare et se met à chanter. Ils comprennent tout de suite qu’elle est authentique, qu’elle est nous dit Barber une personne décente faisant ce qu’elle sait faire et du coup, les fouille-merde laissent tomber l’affaire. Chris Barber garde un souvenir extatique de cette tournée. En plus, Ottilie et Siter Rosetta s’entendent bien, elles chantent ensemble sur scène. Barber les compare au duo mythique que forme aux États-Unis Siter Rosetta avec Marie Knight.

Et puis un jour, Chris Barber devient pote avec John Lewis, du Modern Jazz Quartet. Lewis demande à Chris :

— Qui as-tu déjà fait venir en Angleterre ?

— Sister Rosetta Tharpe, Sonny and Brownie.

— Pourquoi ne fais-tu pas venir Muddy Waters ?

— Je ne sais pas où le joindre. Que faut-il faire, envoyer un carte postale à Stovall’s Plantation or something ?

Lewis éclate de rire :

— No. He’s got a Cadillac and an agent.

Chris Barber découvre en effet que le record label Chess lui a acheté une Cadillac, parce que le label rival Dot en avait acheté une à Fats Domino. Et Muddy ne supportait pas l’idée d’être traité inférieurement par son label - In fact he never used the car! - Chris Barber fait venir Muddy en Angleterre en 1958. Il en profite pour corriger un détail : on prétendait que Muddy jouait trop fort lors de cette tournée, ce qui est faux. Chris Barber l’accompagnait sur scène et il n’y avait rien d’anormal. C’est donc là que va naître le British Blues, avec la première tournée de Muddy. Puis Chris Barber rejoindra Muddy en tournée aux États-Unis - Muddy’s band was the best band he ever had : Otis Spann on piano, Pat Hare on guitar, Jimmy Cotton on harp et Francis Clay on drums - En 1960, Muddy héberge Chris Barber et Ottilie chez lui on South Lake Park à Chicago. Barber décrit le détail des tournées dans le van de Muddy en compagnie de Killer (le bodyguard qui n’était pas du tout bodyguard) et Jimmy Oden qui après un grave accident de bagnole avait cessé de se produire en tant que St Louis Jimmy. Il tenait compagnie à Muddy et lui écrivait des chansons. Il est bon de rappeler au passage que dans sa bio (Can’t Be Satisfied: The Life and Times of Muddy Waters), Robert Gordon brosse de Muddy le portrait d’un saint homme.

L’autre grande rencontre est celle de Louis Jordan qu’il fait venir en Angleterre en 1962. Louis Jordan a 55 balais et Barber le compare à un wild horse - His energy and skill and the perfectionnism of his playing were incredible - Ils font même un album ensemble, Louis Jordan & Chris Barber. Pour Barber, Louis Jordan est l’artiste aussi proche de la perfection qu’on peut l’être - He was the best presenter of a song by movement and action that I have ever seen.

Et puis voilà un autre gentleman, Sonny Boy Williamson, qui s’appelle en réalité Rice Miller. Barber indique de Rice a récupéré ce patronyme à la mort du vrai Sonny Boy Williamson. Barber voit Rice Miller comme un fantastique joueur d’harmo, as if it was kind of alto sax. Rice Miller vit quelques temps à Londres, hébergé par Giorgio Gomelski et se fait remarquer car il porte des costumes deux tons : veste blanche à droite, brune à gauche, pareil pour le pantalon, une patte blanche et une patte brune. Et il porte un chapeau melon que les Anglais appellent un derby hat. Barber rappelle aussi qu’il est un prodigieux poivrot. Dans l’ascenseur de l’hôtel, il se retrouve en compagnie d’un serveur. Sur le plateau, quatre grands verres de scotch, des doubles. C’est pour qui ? Et le serveur lui répond : «Sonny Boy’s breakfast.» Barber voit surtout Rice Miller comme un prodigieux chanteur de blues, capable d’installer des atmosphères dans le blues. Sonny Boy a en outre une fâcheuse tendance à se moquer les blanc-becs. Quand les Animals ou les Yardbirds répètent avec lui pour l’accompagner en tournée, il les laisse jouer un peu et les interrompt en plein milieu : «What’s the mater with you? Can’t you play the blues? You’re playing it all wrong.»

Et puis bien sûr, il y a Wolf. En 1964, Wolf débarque en Europe pour l’American Folk Blues Festival. Barber est scié par le show de Wolf qui hante la scène comme un gorille avec son harmo et qui jette le mauvais œil sur le public - But it turned out this was just a bit of fun - Off stage, Wolf est un homme calme, moderate person and one of the loveliest people I ever met - Wolf dîne plusieurs fois avec Barber et Ottilie. Au début de chaque repas, Wolf fait sa prière.

Parmi les pionniers de la British scene, Barber croise bien sûr Joe Meek et Giorgio Gomelski. Quand Giorgio arrive à Londres au début des années 50, c’est pour tourner des jazz movies. Donc il filme le Chris Barber Band. Puis il devient producteur et s’intéresse aux groupes. Il va manager les Stones à leurs débuts, puis les Yardbirds. Il monte le label Marmalade et lance Brian Auger, John McLaughin et Soft Machine. Et il devient l’éminence grise du Chris Barber Band.

L’autre grand pote de Chris Barber n’est autre que Van Morrison. Un Van the Man que Barber compare à Lonnie Donegan, une personnalité entière - He was a bit difficult to deal with because of his own particular attitude to what he had to do - Il veut dire que Van the Man, comme Lonnie, sont des hommes qui font les choses comme ils entendent les faire, et il n’est pas question de les faire autrement. C’est un peu le même genre de portrait que brossait Billy Poore de Charlie Feathers - He knows what he want to do - Comme Lonnie Donegan, Van the Man est un érudit de ce que Barber appelle the older blues and jazz, et il peut en parler des heures.

Tiens encore une rencontre déterminante : Eddie Bo, c’est-à-dire Joseph Bocage - He was very much in the New Orleans keyboard tradition of Professor Longhair, James Booker and Dr John - Mais nous dit Barber, Mac est plus intense, il joue des very full chords. He plays piano like an arranger as much as like a pianist, but both his feel and sense of time are similar - C’est pour Chris Barber une manière de revenir aux sources. Il participe dans les années 80 au Jazz and Heritage Festival de la Nouvelle Orleans et il se retrouve dans l’orchestre de Dr John qui passe après les Neville Brothers et Fats Domino. Pas mal, non ?

Curieusement, la partie la plus intéressante de ce petit book ne concerne pas les musiciens. L’autre grande passion de Chris Barber, ce sont les bagnoles de sport. Il dit adorer conduire : «J’ai eu pas mal de voitures intéressantes, dont deux Jaguars douze cylindres. L’une était un coupé deux portes. Puis j’ai eu une Daimler double six qui avait le même moteur. C’était une bagnole plus soignée, car la chaîne de montage Daimler faisait les choses proprement, alors que ce n’était pas le cas chez Jaguar. Les portes des Jaguars n’étaient pas toujours bien calées, alors qu’elles l’étaient parfaitement chez Daimler. J’ai eu aussi une Alfa Romeo Giulia. Elle était bien au départ, mais pas terrible à la fin. C’était une berline quatre portes 1,6 litre que j’ai eue neuve en 1962. Sur la route, c’était une bonne bagnole, tout était très précis, comme sur une Mini. Mais hélas les Italiens avaient acheté l’acier de la caisse en Russie. En trois ans, elle est devenue un tas de rouille avec une boîte de vitesse et quatre roues. Je l’avais achetée car John Bolster en disait grand bien dans Autosport, en termes de design. Mais la qualité n’était pas à la hauteur.»

Au soir d’une vie bien remplie, Chris Barber s’est aussi fendu d’une antho hautement recommandable : Memories Of My Trip. Ce double album lui permet de saluer tous les artistes qu’il a aimés et accompagnés, qu’il s’agisse d’artistes de jazz traditionnel ou de blues. C’est un disque qui s’écoute dans une atmosphère de respect passionné. Il attaque avec Brownie McGhee et un heavy «When Things Go Wrong», le modèle de «St James Infirmary», deepy deep in the flesh et Sonny Terry file des coups d’harmo. Plus loin, Chris Barber accompagne Muddy Waters dans «Kansas City». Comme il devait être fier d’accompagner cet homme, avec ce son patapouf de carapace bien swingué par Pinetop et Calvin Jones. Chris Barber joue de la basse sur le «Love Me Or Leave Me» de James Cotton. Il est à la racine de l’histoire du rock anglais, car on est à Londres en 1961, et James Cotton qui fut l’harmoniciste de Wolf joue comme un dieu. On passe à un autre dieu avec Rory Gallagher et un nouvel hommage à Muddy : «Can’t Be Satisfied». C’est un festin de son, un rootsy qui fout la trouille. Ils sont dans l’excellence du raw to the bone. On tombe plus loin sur Jeff Headley avec «Goin’ Up The River». Heavy Headley. On comprend que Barber l’admire. Il fait même un solo de trombone. Van Morrison fait deux incursions, dont un «Oh Didn’t He Ramble» produit par Dr John. On entend la fanfare de la Nouvelle Orléans. On entend aussi pas mal de Dixieland et des gens comme Paul Jones et Andy Fairweather-Low. Ottilie Patterson ouvre le bal du disk 2 et cette petite blanche chante comme une black, c’est très impressionnant. On entend aussi Keith Emerson faire du ELP au jazz boom easy. Puis Barber nous embarque dans une série de cool barroom jazz et de heavy dixieland, avec John Slaughter à la guitare et une clarinette qui se faufile partout. Chris Barber défend l’idée d’un swing intrinsèque, et il a raison. Même non féru de ce son, on se régale. Il n’en finit plus de nous embarquer dans des variations de jazz superbes. Il revient au boogie avec «Tailgate Boogie» et du sax in tow. Vers la fin, il fait jouer Mark Knopfler. Bon d’accord, Knopfler sait jouer, on le sait, mais ce n’est pas une raison pour nous l’imposer. Le beau voyage à travers les styles et les temps se termine avec «Til The Next Time I’m In Town», mais Chris Barber s’est acoquiné avec les m’as-tu-vu de service, Clapton et Knopfler, c’est assez dur à avaler, quand on sait que des tas de grands guitaristes grouillent sous le rocher de l’underground. Dommage. Il n’empêche qu’on a adoré le Trip de Chris Barber et principalement sa passion pour les artistes noirs et le dixieland de la Nouvelle Orléans.

Adios amigo et merci pour ta passion.

Signé : Cazengler, Chris barbant.

Chris Barber. Disparu le 2 mars 2021

Chris Barber. Memories Of My Trip. Proper Records 2011

Chris Barber. Jazz Me Blues. Equinox Publishing 2014

 

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L'important, Héraclite nous l'a signalé voici vingt-cinq siècles, c'est d'abord que le signe fasse signe. Un signe qui ne se remarque pas est raté, nul et non advenu. Hot Ram n'encourt aucunement ce reproche, n'avais même pas eu le temps de déchiffrer le nom du groupe, que l' image m'avait déjà arraché les yeux. Chez Hot Ram manifestement quand ils envoient la marmelade, elle vous arrive direct, brûlante, et en pleine gueule. Evidemment si vous êtes né de la dernière pluie, vous trouverez l'icône bizarre, mais vous avez déjà remarqué que les rockers sont des gens étranges. Donc vous n'êtes pas surpris. Par contre si vous êtes un rescapé de l'avant-dernier déluge vous réagissez immédiatement. Si vous faites partie de la commune et stupide race moutonnière d'Abel, vous montez sur les grands chevaux de la morale, ce n'est pas bien, ils l'ont volée, c'est honteux, je vais les dénoncer, j'espère que les avocats vont leur tomber sur le dos, les accuser de plagiat et leur demander des millions de dollars de dédommagements, avec un peu de chance ils finiront leur vie en prison... Mais si vous appartenez à la tribu maudite de Tubal-Caïn chantée par Baudelaire et louangée par Leconte de Lisle, bref vous correspondez à que le vulgus pecum désigne d'une moue méprisante sous le nom infamant de rocker, vous jubilez, vous comprenez que c'est un signe. Illico le coquelicot vous entreprenez de le décrypter.

Soyons francs, ne faut pas être diplômé de l'ENA pour en reconnaître l'origine, les Hot Ram ne se mouchent pas avec la manche de la modestie, pour leur troisième opus, z'ont carrément ( ou rondement, selon vos affinités géométriques ) pompé la pochette du Led Zeppe V, The House of Holy. Tout de suite une question nous taraude : les Hot Ram seraient-ils à ce point dépourvus d'imagination qu'ils ont emprunté en douce - du genre pas vu, pas pris - le premier truc qui leur est tombé sous la main. Style le mec qui a volé la Joconde et qui s'aperçoit qu'il ne peut pas la revendre car la toile est connue comme le loup blanc. D'évidence vous rejetez au rebut cette hypothèse, ils ont donc commis leur ignoble forfait en toute connaissance de cause. Vous refile le nom du faussaire : Steven Yoyada, un tour sur son site prouve à l'excès qu'il ne manque pas d'idées, l'a créé des dizaines de pochettes pour des groupes hard-doom, des créations originales sorties tout droit de son cerveau.

Autre interrogation, pourquoi le V et pas une autre. D'autant plus que de toutes les pochettes de Led Zeppe la seule qui à l'époque ait fait quelque peu tiquer les bonnes consciences est justement the fith cover. La Une quelconque, la Deux mégalomaniaque, la Trois ingénieusement sans sens, la Quatre mystique, etc... bref des pochettes comme des milliers d'autres albums, mais la Cinq, avec ces gamins nus à l'assaut de la chaussée des géants, aujourd'hui personne n'oserait la présenter, notre triste époque puritaine n'admettrait pas... in the seventies ce n'est pas la nudité des gamins qui dérangeait mais leurs cheveux blonds et l'on ne s'est pas privé de déclarer ( pas trop fort tout de même ) que le dessin présentait des aspects crypto-fachistes... N'y a pas qu'à Cambrai que l'on rencontre des bêtises !

Nous avons vu le comment, reste à expliquer le pourquoi. Pour cela ne reste plus qu'à écouter le disque. Electric Medicine, un beau titre très ambigu, l'expression ''médecine électrique'' nous oblige à penser aux thérapies à base d'électrochocs dont on a longtemps abusé dans les asiles d'aliénés pour rendre à la raison des patients récalcitrants... Aujourd'hui seuls les rockers adorent que leurs groupes préférés leur fasse subir live de telles commotions EDFiques. Z'aiment l'empire des ampères. D'un autre côté le mot électrique permet aux amateurs de rock'n'roll de comprendre que le disque n'appartient pas à la catégorie folk acoustique. Quant à medicine, le vocable évoque les medicine men des tribus indiennes, l'on est sûr que l'on est parti pour une transe chamanique des plus plus crues, des plus sauvages. Le rock présente un aspect poteau de torture des plus gratifiants. Plus vous supportez, plus vous êtes un brave.

Enfin pour que vous ayez toutes les pièces en main, blablatons un peu autour du V Zéplinesque. Avec le Un, le Dirigeable prend son envol sur l'aérodrome du British Blues, se classe d'emblée dans les meilleurs, avec le Deux ils mettent au point la recette du hard-rock, z'atteignent le zénith, avec le Trois prennent les fans par surprise, l'on attendait la tonitruance, ils accouchent d'un trente-trois de folk-rock électrique – dans le style à mon humble avis personne n'a fait mieux - avec le Quatre c'est le retour au rock, deux titres qui cartonnent à mort et une ballade à vous pendre de désespoir. En quatre albums ils ont fait le tour du domaine rock. Pourraient prendre leur retraite. Mais non, Page a envie d'aller plus loin. Voici le Cinq, c'est le disque du Led que j'aime le moins. Mais c'est le plus abouti et le plus novateur. Tout ce qui viendra par la suite ne sera que surenchère, Page entasse les riffs les uns sur les autres, les chrome et les cisèle à l'or fin. C'est beau, c'est sublime mais aussi un peu toc. Le Cinq pour en entrevoir la portée faut le mettre en parallèle avec ces concepts dont on ne sait pas trop ce qu'ils veulent dire, du genre ''postmodernité'', l'on se situe sûrement après la modernité tout en restant totalement englué dans cette maudite modernité. A cette aune-là le Cinq est un disque postrock'n'roll, ce n'est plus du rock mais c'est encore du rock'n'roll. Point de non-retour ou cul-de-sac. Les deux mon général. Musicalement cela se traduit comment : le projet est d'une simplicité biblique, faut tuer le riff. Page qui n'est pas tout à fait un idiot, tourne et retourne la question dans son esprit. L'on ne peut pas tuer le Riff comme l'on a tué Dieu. Sans quoi l'on n'est pas sorti de l'auberge. Quand on pense que les trois-quarts de nos contemporains ont applaudi à la mort de Dieu, et que depuis ils tirent une sale mine, n'ont rien trouvé pour le remplacer, l'absence de Dieu les émeut, leur vie manque de sens, c'est que l'on appelle le retour du refoulé dans la conscience humaine ou le retour du politique en tant que remodélisation du politique... L'a compris le Page que si l'on tue le Riff, les fans le regretteront jusqu'à la fin de leur existence. Page trouve la solution pour tourner la page, ne s'agit pas de trucider le Riff mais de veiller à son extinction. Comme pour les dinosaures. Le concept d'aprèsdinosaurité n'existe pas, Y a eu les dinosaures. Puis y a eu autre chose. Pour Page une seule solution, on ne supprime pas le Riff on le noie sous un déluge de riffs à tel point que vous vous trouvez face à un énorme amas de riffs tellement entremêlés que vous êtes incapables d'en reconnaître un seul. Il pleut des riffs à tout berzingue dans le V, exactement comme un nuage de sauterelles, vous ne voyez plus les sauterelles mais le nuage vous recouvre et vous oubliez l'existence des orthoptères verdâtres... Bref dans le Cinq le Zeppelin vous en donne plus pour que vous en ayez moins. Désormais vous êtes aptes à écouter cette Electric Medicine !

ELECTRIC MEDICINE

HOT RAM

( Mai 2021 / The swamp records )

 

Billy Kondel : guitar, vocals / Gordon White : drum / Dee Flores : bass.

Le groupe est originaire d'Atlanta, le disque a été enregistré entre février et septembre 2020. Avec entrecoupements pandémiques et les émeutes générées par l'assassinat de George Floyd. Si l'on ne peut plus trucider un noir en toute tranquillité, c'est à se demander, chère Madame, où va le monde. Je ne vous le fais pas dire cher Monsieur.

The hunter lies : profitons-en, le son vient de loin, un frétillement de cymbale qui se prend pour des écailles de crotales et des espèces de sifflements qui s'accentuent sans fin, enfin avec une faim décibellique poussée par la basse qui s'enferme en elle-même de plus en plus fort et une batterie qui pulse et s'affole toute seule, c'est maintenant que vous réalisez que vous êtes emporté par un flot diluvien emmené par le chant de Kondel, ne hurle pas, une voix monocorde presque enrouée qui chante bien en dessous de sa puissance, l'on entre dans quelque chose d'ouaté , le morceau file un sale coton, les lyrics prophétisent des horreurs sur notre monde, vous ne vous en apercevez pas, l'ascenseur vers le paradis s'élève doucement, une basse étouffante, une guitare incessante, une batterie qui pousse le roulement beaucoup qu'elle ne l'entraîne, le riff se déploie et vous submerge, l'on a bifurqué vers on ne sait où mais il est certain que  l'on a délaissé les contrées édéniques loin derrière nous. Conamara kaos : belle résonance de guitare, la batterie tapie par dessous tel un cobra royal colérique qui s'élève, le riff arrive et ne revient pas, l'est immédiatement remplacé par lui-même et le véhicule d'exploration des contrées froides prend de la vitesse, le barrissement d'éléphant enrhumé de Kondel occupe malgré sa féline modestie toute la place et l'on accélère encore une fois, l'on passe des paliers de compression, à chaque étape vous jugez qu'il est, non pas impossible, mais inutile de se propulser plus loin, la machine repart, il est évident que le retour obstiné du même riff n'est pas le retour du même, la fin devient précipitée, une machine haletante et pulvérisante. Trans am : on the road again, presque en pays connu, un bon hard des familles qui shuffle à mort, c'est la voix de cambouis kondélique qui se répand sur la graisse des illusions, attention les gars, vous faites la course avec le plus grand groupe du monde, alors ils astiquent les riffs et surtout ils s'interdisent les jolies bouclettes de voix de Plant, cette manière de faire des ronds de jambes, et la rythmique se charge du boulot à bras-le-corps, c'est le moment de montrer qui l'on est, et ce qu'on l'on a dans le ventre, tout ce que le Zéplin fait, on le décale, on le recale, on le décolle et on le recolle, ici ce n'est pas le bal des débutantes, là où le dirigeable fait sonner ses salves trompettes l'on se déplace à la manière d'une monstrueuse colonne de chenilles processionnaires qui coule sans éclats, qui se confond avec la braise irradiante des riffs, elles ne mordent pas mais elles vous brûle telle une tunique de Nessus mouvante que rien ni personne ne peut arrêter. Riding on the wind : sont tellement sûrs d'eux qu'ils brouillent les cartes, vous pensez au Zeppe, bien tiens une reprise de Judas Priest, rien que pour le plaisir de la trahison des analyses trop faciles. C'est ce que l'on appelle avoir deux sorties à son terrier. C'est qu'il existe une grande différence entre Judas et le le Dirigeable, deux grands groupes mais les natifs d'Atlanta City visent avant tout à l'efficacité, tactiquement sont comme les armées révolutionnaires, z'attaquent en masse quand ils sont sûrs de vaincre, le Led c'est pareil mais le Page joue le rôle de Napoléon, l'aime bien promener l'ennemi d'abord, toute la différence entre le terrier, le toutou de son maître qui se jette sur le mulot et vous le tue net d'un coup de dent et le chat libre et cruel qui s'amuse d'abord avec sa victime, qui l'envoie valser de ses pattes agiles aux quatre coins du monde pour que vous jouissiez du spectacle et puis qui se retire pour vous laisser nettoyer la boucherie... le Ram vont-ils se la jouer subtil, à première ouïe ils repiquent tous les plans du Priest, n'y a que la voix qui n'atteint pas la beauté cisaillante du modèle, alors ils se rattrapent sur la sonorité des riffs, les font plus clinquants, les repeignent, passent le polish sur la carrosserie. Au final c'est un peu un coup pour rien. Z'ont voulu réaliser l'alliage de deux métaux lourds précieux mais ils n'ont pas réussi l'orichalque mythique que les groupes de Metal recherchent, souvent sans même le savoir. The grave of Arch Stanton : l'on parlait de métal, n'oubliez jamais que l'or est enchâssé dans la mort, les amateurs de Sergio Leone comprendront l'allusion aux scènes dernières de Le Bon, la Brute et le Truand. Perso je pense qu'ils auraient plutôt dû se référer à la Fistfull de dollards, vous la jouent trop mélodramatique, trop emphatique, une rythmique pesante et insistance aussi lourde qu'une pierre tombante, de quoi ravir ceux qui aiment les bouillabaisses bien grasses, mais le Zepplin vous aurait traité le duel final sans tricher comme dans le film. Non au tueur, oui au viseur d'élite. Binary sunset : les deux titres précédents nous déçoivent un peu, ne sont pas au niveau du projet initial, il s'agit de prouver que question résolution des problèmes, l'Hot peut proposer une solution à laquelle Page n'avait pas pensé. L'heure est sérieuse ce coup-ci il faut savoir se dépatouiller de ce bâton merdeux qu'est le sceptre mental de la Force, montrez que l'on peut le manipuler sans s'en mettre plein les doigts. Eveil vocal, arpège de guitare, ne pas confondre avec l'art Page, au titre précédent nous étions dans un triel, nous voici dans le duel final. Un peu longuet et répétitif dans les débuts, faut attendre quatre minutes avant que ne se déploie un de ces riffs arabisants qui sont comme le secret caché du Led, avec en plus ce ronronnement de quadrimoteur qui précède Friends sur le 3, c'est d'ailleurs à partir de ce moment que le morceau acquiert toute sa beauté, clameurs riffiques et avancées inéluctables, montées progressives vers l'octave suprême de l'orgasme. Le Bélier en Chaleur maîtrise son sujet, toute agonie se doit d'être une apogée ( grande leçon zéplinesque ), vous vous saisissez de la fiole de ce médicament électrique, et vous l'avalez d'un seul coup sans même prendre le temps de l'ouvrir. C'est ainsi que l'on survit aux poisons les plus dangereux.

Ne faut pas se le cacher, un des disques doom-stoner-hard-metal les plus fascinants de cette période-covidique. Des gars qui ne cherchent pas à vous écrabouiller, mais qui ont compris qu'un style, et surtout une forme musicale, se doit d'évoluer et se surpasser, sinon elle se sclérose et il ne reste plus qu'à coller une étiquette dessus. Avec la mention : Affaire Classée.

Un disque qui fait du bien au rock ne peut que vous faire du bien.

Damie Chad.

*

Il est des personnes dont il faut se méfier. Ne riez pas, je ne cherche pas à vous faire peur. Juste à vous faire prendre conscience. Ces deux-là, ne sont ni des radicaux, ni des extrémistes, ni des terroristes. S'ils pouvaient être des individus de ce genre, ce ne serait rien. Je ne les signalerais pas à votre attention. Non, ils sont pires que tout. Ce sont des italiens. Ne me traitez pas d'italophobique ou de racisme anti-italien. Je suis persuadé qu'il existe quelques dizaines de millions d'Italiens qui ne sont ni meilleurs, ni pires que nous. Mais ce binôme malfaisant ne fait pas partie du lot. Je me hâte de vous donner leurs noms au cas où un malheureux hasard vous mettrait en rapport avec eux. Roberto Biasin et Domenico Groppo. Sont originaires de Vicenza. Si vous les rencontrez n'hésitez pas à les poignarder dans le dos, à les arroser d'essence pour les brûler vivants, à leur arracher les yeux et de les donner à manger à votre chien. Vous ne me remercierez jamais assez de ce sage conseil. Kr'tntreaders toutes ces lignes vous concernent très précisément. Passé le trois juillet 2021, il sera trop tard. Sont en train de fomenter un piège diabolique ( adjectif bien faible ) pour vous emprisonner. Songez que ces deux individus se présentent d'une manière fort avenante pour un amateur de rock, à eux deux ils forment un groupe de Metal. Nous avons pu nous procurer un terrible document qui démontre à l'excès que nous ne plaisantons pas. Il n'est pas ultra-secret, il traîne sur YT sous l'innocente apparence d'un clip, l'image de présentation est si confuse, qu'elle vous inspirera pitié, vous mettrez en marche la vidéo le cœur empli de sollicitude, qu'ils aient au moins quelques personnes qui aient visionné leur opus, il faut encourager les artistes débutants, au fait vous demanderez-vous, comment se nomment-ils, quel drôle de lettrage illisible.

Bien sûr que c'est fait exprès, ne cliquez pas dessus, la musique n'est pas particulièrement violente, tous deux sont à la guitare et se chargent du vocal, Roberto trafique en plus au synthé et à la basse. Trop tard, c' est une vieille histoire, regardez-la et lisez-la ( les lyrics s'affichent ), elle est plus vieille que notre monde, ne la racontez pas à vos enfants, leur imagination pourrait s'enfiévrer...

FATE OVER SARNATH

Oui nous sommes à Sarnath la cité mythique enfouie sous les eaux depuis si longtemps, une légende immémoriale que les grands-mères racontent aux petits enfants pour leur apprendre à être sages, mais les voix qui chuchotent ce soir à nos oreilles ne se parent pas des timbres chevrotants des douces mamies, c'est un chœur angoissant qui psalmodie l'histoire de Sarnath, les vues de la vidéo ressemblent à ces images piquées de parasites des tout premiers films, écoutez plutôt ceux qui parlent, Sarnath la glorieuse recouverte par les eaux et sa population noyée, depuis des siècles et des siècles, mais parfois la mort elle-même peut mourir et les morts revivent, la musique se densifie et nous plongeons dans les profondeurs de Sarnath, un murmure grandiose s'élève, et la prophétie s'énonce, ils ressortiront du lac, qui donc ? Comment donc ? Mais avec l'aide de ceux qui ont signé l'artwork sous le pseudonyme de :

STARSPAWN OF CTHULHU

Les laitances de Cthutlhu, Cthulhu le dieu maudit, le monstre a-humain sortis des imaginations malades d'August Derlerth et de H. P. Lovecraft, qui attend son retour, prisonnier dans des abysses incommensurables... riez tant que vous voulez mais les rêves du Dieu entrent dans les cerveaux humains et toute une frange dépravée de l'humanité se regroupe afin de décadenasser les portes de l'abîme et d'acter a sa délivrance... sous le nom de Starspawn of Cthulhu, Roberto Biasin et Domenico Groppo œuvrent à cette horreur qui signera la disparition de l'espèce humaine.

Cette vidéo est le premier titre de leur prochain EP, Tales Of The Unknown à paraître le 3 juillet. Choisissez votre camp.

Damie Chad.

P. S. : En fait chez Kr'tnt nous adorons Cthulhu, ne le répétez pas, cela pourrait vous attirer des ennuis...

 

FAN ! FAN ! FAN !

JACQUES BENOIST

 

Parfois la nuit j'ai des remords. J'ai du mal à m'endormir. Le fils du Chef devait se marier. J'avertis tout de suite les Kr'tntreaders amateurs de notre série Rockambolesques, il ne s'agit pas du même Chef. Facile de les reconnaître, celui-ci ne fumait pas de Coronados. Donc son fils sympa se préparait à convoler en justes noces. Un mec qui aimait la musique. D'où le cadeau de mariage tout trouvé, une pile de 33 tours. Ai-je commis un crime irréparable. En tout cas, je plaide non coupable et j'ai des circonstances atténuantes. Je ne connaissais rien de lui, je n'avais entendu qu'un seul de ses titres, Crocodile Rock – oui j'ai honte, d'Elton John, j'en avais déduit que ce devait être un gars qui s'inscrivait dans la mouvance de Sha-Na-Na. Erreur lamentablement manifeste. Attention, l'était bien accompagné l'Elton, entre autres un Bowie, un Velvet, un Doors, et si ma mémoire ne me trompe pas un MC 5... Oui mais tout de même cette faute de goût...

    • Courage Damie, c'était en 1972, faute avouée, faute à moitié pardonnée, par contre si tu pouvais expliquer pourquoi tu nous racontes cette ancienne histoire !

    • A cause de Jacques Benoit !

    • Inconnu au bataillon, Damie, éclaire notre lanterne !

    • C'est un peintre !

    • All right Damie, explique-toi davantage, quel rapport avec le mariage du fils du Chef ?

    • Aucun, c'est avec Elton John que ça coince, figure-toi que ce cancrelat a commis une série de tableaux sur Elton John !

    • Damie tu ne trouves pas que tu te montres un peu intransigeant, ce n'est pas parce que tu n'aimes pas Elton John que ce mec n'a pas le droit d'être inspiré par Elton John !

    • C'est que tu ne connais pas les dessous de l'affaire !

LES DESSOUS DE L'AFFAIRE

Evidemment, il y a une fille au début de l'embrouille. Et pas n'importe laquelle. Lorsque j'ai eu fini les deux chroniques précédentes, j'étais en train de me demander à quel autre groupe de Doom j'allais m'attaquer lorsqu'une idée lumineuse m'a traversé l'esprit. Et si je faisais quelque chose de plus original. Une chronique rock sans disque de rock. Petit moment que je tournais autour de Joni Mitchell, une grande dame, elle n'a pas besoin de moi, et puis j'ai dit pas de disques, certes justement Joni a toujours expliqué que la musique ce n'était pas tout à fait son truc, oui elle aimait gratouiller sa guitare, mais ce qui lui plaisait le plus c'était le dessin et la peinture. Toutefois il est plus facile de gagner un peu d'argent en chantant dans un café que de vendre un tableau pour payer son loyer. Super banco, une chro sur les tableaux de Joni ! Peut-être pas l'idée du siècle, mais nous ne vivons pas non plus dans le siècle de l'idée !

J'ai tout de suite écarté la tentation d'un laïus sur les nombreuses pochettes de ses albums illustrées par une de ses œuvres. Faudrait obligatoirement mettre en rapport avec le contenu sonore, j'ai dit pas de disques ! Première opération, cliquer sur Images et repérer une dizaine de toiles de la chanteuse qui m'inspirerait. C'est-là que les difficultés ont commencé. Des repros de toiles de Joni, l'écran en regorgeait. Z'oui, mais je ne parvenais pas à saisir une ligne directrice, trop de styles différents, je m'y mélangeais un peu les pinceaux...

Bref au bout d'une heure je n'avais réussi qu'à formuler un vague projet de tocard, commenter les portraits de quelques idoles du rock, Bob Dylan, Neil Young, et consorts, pas folichon ! J'étais prêt à abandonner quand en désespoir de cause je me suis rabattu sur le site officiel Joni Mitchell. Je me méfie généralement de ces auto-monuments de haute glorification et de basse commercialisation... Mais là, chapeau bas. Des centaines de documents, triés, commentés, chronologisés, une merveille... des heures et des heures de lecture. Instructive... Qui m'ont conduit à un triste constat, difficile de tirer de cette caverne d'Ali-Baba une ligne de force quant à la compréhension du travail pictural de l'artiste. Entre nous soit dit, il me semble que le temps a manqué à Joni pour s'engager dans une véritable démarche créatrice graphique. Pas facile de concilier en même temps deux activités artistiques qui engagent l'être en ses tréfonds. Pour la petite histoire au tout début de ma recherche j'ai débarqué sans trop de jugeote sur un article consacré à la peinture de Joan Anderson , jeune fille Joni Mitchell se dénommait ainsi, facile de profiter de cette homonymie pour mesurer la force de l'engagement d'un peintre résolu par rapport au dilettantisme de Joni en la matière.

Les ordis sont peut-être plus intelligents que nous, à moins que ce ne soit uniquement le mien dopé par les subtils effluves du génie qui s'échappe de mon cerveau, toujours est-il qu'il m'a proposé de lui-même une drôle de triangulation, Joni, Jaques Benoit, Elton John, la deuxième occurrence d'une banalité écœurante ne m'évoque rien, je clique tout de même, et hop je me retrouve sur le site de Joni – l'est aussi vaste que le palais labyrinthique de Knossos en Crète – et je tombe sur un début de texte, si vous vous y risquez, au minimum une heure de lecture, un fan inconditionnel de Joni qui passe sa discographie en revue, disque par disque, totalement dithyrambique, c'est à la deuxième partie que ça se corse ( année Napoléon oblige ) et que ça se gâte ( Sainte Agathe priez pour nous ), nous parle de lui, c'est une copine d'école d'art – il est peintre - qui lui conseille d'écouter Blue d'une certaine Joni Mitchell qu'il ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam, l'achète, l'est subjugué, court au magasin et rafle la dizaine d'albums de sa nouvelle idole qui à l'époque sont déjà sortis. Ne fait pas mystère du pourquoi de ce coup de foudre pour Joni. Qui se ressemble, s'assemble, dans sa jeunesse Joni n'hésitait pas à chanter ses désespoirs amoureux, or lui-même Jacques Benoit est en train de vivre une tragique histoire d'amour. Trois ans au fond du trou. L'important dans la vie ce n'est pas d'être malade mais d'avoir le bon médicament. Va vite trouver la prescription adéquate.

L'a eu une chance dans sa vie, par l'entremise d'un tiers une de ses œuvres est parvenue aux yeux d'Elton John, qui lui a commandé toute une série de panneaux publicitaires pour sa prochaine tournée, lorsque l'on est jeune, ça ne fait pas mal sur un curriculum vitae. Ça l'étoffe grave. Se décide donc à consacrer toute une série de tableaux à Joni Mitchell. L'a des morceaux qui lui plaisent particulièrement, les traduit ( tant bien que mal, pas si mal que cela ) et décide d'en tirer un petit livre, texte d'un côté, l'illusse sur l'autre page. Son rêve serait de présenter l'artwork à la Diva, n'y serait jamais parvenu si ses amis ne l'avaient pas poussé... Les deux entrevues avec Joni sont à lire, la première à Paris, à l'hôtel après le tour de chant, avec le mari qui finit par s'endormir sur le canapé, une Joni toute simple, disponible, accueillante, intelligente, rieuse... je vous laisse les découvrir, pas souvent qu'une star se révèle conforme à sa légende... Mais il est temps d'en venir à Jacques Benoit. Quand je pense qu'il va falloir que je dise du bien d'un gars qui s'est commis avec Elton John, la vie est pleine de contradictions !

JACQUES BENOIT

L'est né en 1955. On a pris l'habitude d'inscrire son œuvre dans la mouvance de la Figuration Narrative. Groupe de peintres qui au début des années soixante réagissent contre la suprématie culturelle de l'abstraction... Figuration parce que l'on retrouve des sujets humains en chair et en os si j'os dire, Narrative parce que le décor autour, la mise en avant et l'attitude des personnages, tout concourt à faire comprendre au spectateur qu'il se passe quelque chose, que l'on est en pleine action, qu'une histoire est en train de se dérouler, très logiquement la Figuration Narrative induit sur notre modernité un regard critique voire politique. Je rajouterai qu'il existe des accointances formelles entre la Figuration Narrative et le traitement exponentiel des ''héros'' dans la bande dessinée à forte expressivité. Je n'engage que moi dans cette dernière assertion. Merci les Comix. La barrière infrangible entre l'art populaire et la culture savante est de plus en plus évanescente... Ce dernier mot pour ne pas offusquer un lectorat qui serait trafalgarisé par l'expression ''totalement illusoire''.

Si vous vous promenez dans la partie que je nommerai brésilienne de Jacques Benoit, gare à vos yeux, l'occasion de vous cogner l'œil sur un mur de béton ne manquera pas de survenir. Vous comprendrez vite la notion prééminente du décor. Jacques Benoit aime l'architecture. Pas n'importe laquelle, la petite maison dans la prairie ce n'est pas son dada. L'aime les gros coffrages, le précontraint, chez lui pas contraint du tout, en totale liberté, une espèce en expansion indéfinie. Ce n'est pas qu'il empile les cubes pour le plaisir. Tout entassement doit être porteur de sens. L'est un admirateur d'Oscar Niemeyer. Pour situer ce dernier selon une référence française, c'est à lui que le Parti Communiste ( au temps où il raflait entre vingt et vingt-cinq pour cent des électeurs ) avait confié la tâche de dessiner le bâtiment destiné à abriter le siège du Parti Communiste Français. Niemeyer est un disciple de Le Corbusier, il est célèbre pour avoir conduit la construction de Brasilia, la nouvelle capitale du Brésil. Le tableau le plus célèbre de Jacques Benoit est sans aucun doute la toile intitulée Orly ( Sud ) vol 14 The landing de 1964.

JONI MITCHELL / JACQUES BENOIT

Jacques Benoit a consacré une bonne soixantaine de toiles à Joni Mitchell. Elles sont en partie visibles sur son site Jacquesbenoit.com. Attention il s'est aussi intéressé à Ricky Lee Jones, David Bowie, Véronique Sanson, et Elton John... Je n'en ai choisi que quelques unes. Parce que tel est mon bon plaisir. Je n'ai même pas cherché à donner un aperçu '' objectif'' de cette production. J'ai privilégié un seul type de support, j'ai dédaigné l'acrylique, la gouache, l'huile, je me suis focalisé sur les linogravures - ai toujours eu un faible pour cette technique qui me semble être la continuation de la gravure sur bois, qui a été longtemps utilisée pour illustrer les livres de poésie - et les monotypes. Toutes ces œuvres portent des titres provenant d'un morceau de Joni Mitchell, je ne me suis guère enquis de ce rapport, je conçois l'art du peintre au pire comme une évocation libre du réel mais surtout pas comme une reproduction photographique d'une réalité quelconque, je reste tout de même conscient que l'origine américaine – elle est née au Canada - de la chanteuse qui a motivé ces peintures a induit le travail de Jacques Benoit et infléchit le regard curieux de l'amateur. Placer ces tableaux dans le cheminement de l'artiste Jacques Benoit ne me convient guère, je ne suis pas critique d'art. Soyons franc au travers de Joni, de Jacques et de tout autre éventuel intercesseur i(ni)maginable, ce que je cherche à voir, c'est avant tout mon propre reflet. Contrairement à ce que raconte la légende, Narcisse n'a pas obligatoirement besoin d'un miroir, l'opacité des choses accomplit le même office.

LAKOTA

( 01 / 1988 – 1989 )

L'artiste nous en propose deux tirages. L'indien enfermé dans une boîte synonyme de réserve. Son corps en épouse la forme. L'on aime que le guerrier résiste encore, qu'il tienne fermement son coutelas. Fausse piste. Mauvaise interprétation. Le guerrier est vaincu. Gît à terre, c'est le godillot de l'homme klu-klux-klanesque qui le piétine, le roi dollar a gagné la guerre. Ne subsiste du Lakota que deux bras qui coulent tels des ruisseaux de sang. Le dernier des Lakotas regarde une dernière fois le soleil, avant d'être égorgé, ou de subir l'outrage du scalp de ses plumes. L'est déjà dans son cercueil, l'est autant emmuré par sa revendication de fierté lakotienne que par les planches dont les clous délivrent un dernier message : sympity me ! Humour noir. Ou rouge. Vous avez eu la thèse et l'antithèse, voici la synthèse. L'interprétation de la peinture se doit d'être dialectique, sans quoi l'on ne peut rendre compte du mouvement. Sont tous les deux vaincus. Le rouge et le blanc. Tuer l'un entraînera la mort de l'autre. Symboliquement le peau-rouge éteint la lumière de la vie. Il débranche le soleil de l'interdépendance universelle.

DOG EAT DOG

( 03 / 1986 )

Titre d'un album de Joni. En français nous avons la même expression, mais sous un autre angle : Les chiens ne font pas de chats. Nous regardons la dernière version des trois présentées. Ce n'est pas la plus forte, nous préférons la première, mais en petite dimension c'est celle qui est la plus explicite. Si l'on veut la situer dans la mythologie, ce serait l'équivalent du combat des Centaures contre les Lapithes. Ici c'est moins discernable. Sont-ce des chiens, des taureaux, des centaures, des hommes ? En tout cas l'ambiance est électrique. Prise mâle et prise femelle enchevêtrées. Chassons la bête qui est en nous. Affirmons que ce sont des êtres humains. L'on a envie de ressortir la vieux dicton d'Horace, l'homme est un loup pour l'homme. Et si ces deux individus étaient du sexe opposé, faudrait-il dire que le loup est un loup pour la louve ou bien que la louve est un loup pour le loup. Les deux premières versions vous épargnent toute complication, les deux individus qui font la guerre ou l'amour sont en monochrome bleu sur la première et en monochrome rouge sur la deuxième. Toutes deux se valent. Le désir de dévoration est également partagé dans le couple. Grande mort ou petite mort, c'est toujours la mort que l'on recherche lorsque l'on se précipite l'une vers l'autre... Cet artwork possède la force de certains tableaux de Picasso. Le mastoc mastique.

THE JUNGLE LINE

( 02 / Monotype / 1985 )

Encore une série de trois. Ici nous avons pris l'option contraire, z'avons élu la plus sombre, la plus indistincte. Faut rajuster la focale de la pupille pour discerner le dessin, l'on y voit que du noir, ou du gris éléphant. Dans un documentaire de nuit sur les animaux de la jungle, les yeux des bêtes sauvages clignotent. Ici ce n'est pas le cas. Ce sont les fenêtres des gratte-ciel qui tiennent ce rôle. La jungle est partout. Depuis les temps primitifs, une pyramide mastabienne vous le confirme, ça dure depuis longtemps et ce n'est pas près de s'arrêter même avec le progrès technique. C'est un peu la même chose que sur la linogravure précédente. Avec Dog eat dog, l'on était en petit comité, on s'occupait de ses affaires entre soi, mais là c'est étendu à la planète entière. L'on ne voit qu'un couple qui s'affronte mais au vu et au de tout le monde, y a même des musicos qui jouent du djembé pour attirer l'attention des esprits distraits. L'homme et la femme ne valent pas mieux que les bestioles sauvages, l'appel du sang rouge est partout, Schopenhauer nous parlerait du vouloir vivre. Ici c'est table ouverte et grande bouffe collective. Homme espèce primitive. Pas de mal pour identifier Joni en grande prêtresse du désir.

PAPRIKA PLAINS

( Monotype / 1985 )

La revoici. La prêtresse du vril. Elle survole. L'effigie de l'indien des plaines. La chamane, l'esprit du grand serpent darde la dague du désir de vaincre, l'homme est rouge et la femme s'amuse à se déguiser en ce continent noir qui angoissait tant papa Freud. Ici tout se joue au niveau du symbole. Du totem sans tabou. Elle amène le soleil et l'hymen de sang. Pas de règles. Pas d'interdits. Tableau empreint d'un paganisme outrancier. Coiffure d'aigle et anneau de serpent, reconnaissez l'héraldique de Zarathoustra. S'il existe un Surhomme c'est qu'il a été engendré par une Surfemme.

BLACK CROW

( 02 / Monotype / 1984 )

La version 3 est azuréenne, presque une promesse de bonheur ? La version 1 est davantage explicite. La deux est noire. Darkly. Poesque. Ce n'est pas le dessin d'un corbeau mais l'apparition de l'esprit du corbeau. Nous avons changé de dimension. Mais le corvidé n'est pas seul. Une femme le chevauche. Rien à voir avec le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède. Ressemble davantage à la Mort sur sa Rossinante étique. Elle n'a pas sa faux. Parce qu'elle est vraie. Elle est la forme qui donne la vie mais dans le même cadeau vous offre en supplément gratuit le décès garanti. Elle se lamente de désespoir, mais elle est la femme-corbeau et elle est aussi le corbeau, cet animal mystérieux, compagnon d'Odin, qui détient la sagesse et les gènes de l'outre-mort. Pourquoi cette femme si blonde et au sourire si fin s'est-elle transformée en oiseau de malheur. Je me permets de vous répondre uniquement à la première question de ce paragraphe. Parce que les symboles sont réversibles.

SWEET BIRD

( Linogravure / 1984 )

Nous avons remonté le temps. S'il n'était signé de Jacques Benoit, il mériterait d'être nommé Autoportrait. L'est bien sombre pour correspondre au titre attribué par l'auteur. Femme-oiseau certes, nous l'acceptons. Si noir que le blond de ses cheveux est devenu blanc. Obligatoirement, car la noirceur ne supporte pas le soleil. Non pas du tout. Ce n'est pas une chevelure, mais une blanche colombe au bec rouge qui vient baiser les lèvres écarlates de la femme. Nous n'avons pas à faire avec une oie blanche, le secret des connaissances et du savoir est enfermé dans les pyramides. Sans doute est-elle la gardienne du seuil.

Nous arrêterons-là. Nous n'avons établi qu'un parcours. Ceux qui connaissent quelque peu la vie et l'œuvre de Joni Mitchell, la reconnaîtront. Les autres chercheront et écouteront ses disques. Ce qui est sûr c'est qu'au travers de ses linogravures et ses linotypes, Jacques Benoit a su saisir l'âme tourmentée de cette femme dont les éclats les plus noirs brillent comme des diamants et les éclairs les plus translucides se teintent de noir lorsqu'elle se mire dans le soleil de l'existence .

Damie Chad.