15/05/2019
KR'TNT ! 419 : DICK DALE / MILES KANE / D N O / LOW SUN / MARNOST / SEEDS IN BARREN FIELDS / FILL THE NANE / YETI
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 419
A ROCKLIT PRODUCTION
16 / 05 / 2019
DICK DALE / MILES KANE / D N O / LOW SUN MARNOST / SEED IN BARREN FIELDS FILL THE NAME / YETI |
TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
Tagada, voilà les Dale tones
Plus de surf pour Dick Dale. Il est allé prendre ses quartiers au paradis des Surfers. Son copain Dieu lui a réservé un transat sur la plage au sable d’or. Comme ça, il pourra continuer de mater les belles gonzesses en bikini.
Dick Dale occupe dans l’inconscient collectif la même place que Link Wray : celle d’une centrale atomique à deux pattes. Link et Dick ont pour particularité de s’être imposés avec des instros et un surtout un son. Ces deux-là avaient une vision très claire de ce que peut signifier le mot power. Link et Dick ne jouaient pas de la guitare, ils envoyaient des éclairs.
Dick Dale fait surface au début des années soixante et devient la figure de proue du Surf Sound californien. Il commence par enregistrer quelques albums avec les Deltones dans les early sixties. Ces albums vont fournir ce que les designers appellent the template of the Surf Sonic Boom.
Si on aime bien les albums planplan, alors il faut écouter Surfer’s Choice, paru en 1962. On y sent le rock en pré-chauffe. Le «Surf Beat» d’ouverture est joué à la bonne dégaine surf, mais il manque la niaque. Et en matière le surf, la niaque est indispensable. Le hit du disk s’appelle «Misirlou Twist», un vrai twisting de surf à thème mélodique. C’est du pénultième de crête, une vraie glissade en dérapage contrôlé. Le «Surfing Drums» qu’on trouve en B est monté sur du Diddley beat. Dick sait rocker le Bo. Ils terminent avec l’excellent «Let’s Go Trippin’» délicatement délié au surf sound, mais c’est le sax qui fait tout le boulot.
C’est sur King Of The Surf Guitar que se trouve le plus beau hit de Dick. Eh oui, le morceau titre est une merveille absolue, l’apanage de la phantom guitar mythique. Dick Dale y joue des gimmicks qui s’écroulent comme des falaises de marbre dans le lagon magique. Plus loin, il chante du nez son «Dick Dale Stomp» dans une ambiance early Beach Boys. C’est le même genre de cavalcade. Il mérite bien sa couronne de King of the Stomp. Et puis en B, il fait des ravages avec l’exotica d’«Hava Nagila». Il charge la barque de power. Dick file sous le vent du Pacifique. Admirable rumble de fast running cat. Et puis il faut le voir surfer son «Riders In The Sky», classic surf stomp attaqué au gratté de base et vite schtroumphé jusqu’à la l’os. On assiste à un effarant roller coaster, avec tous les dérapages contrôlés qu’on voudra bien imaginer. Oui, tout ça pour dire qu’on ne s’ennuie pas quand on sort un album du vieux Dick de l’étagère.
Dick s’est mis du cambouis sur la gueule pour la pochette de Checkered Flag, qui reste certainement l’un de ses meilleurs albums. Au moins pour trois raisons. Un : «Big Black Cad» qui sonne exactement comme un hit des early Beach Boys. Deux : «426-Super Stock», pur jus de rock on the Beach serti d’un solo fougueux et couvert d’écume. Trois : «Night Rider», qui referme le cortège de la B et qui s’envole littéralement. Dick pique sa crise, il joue à la bloblotte menaçante, il gratte ses dégelées sous un vent mauvais et crée toutes les conditions d’un suspense qu’on appelle aussi le Surf Sound System. D’autres cuts hantent cet album, comme par exemple «The Scavenger», admirable slab de rockab californien doté d’un vroom de départ en trombe et d’un fervent solo de sax. Ou encore «Mag Wheels», joli shuffle de surf battu à la diable. «The Wedge» vaut aussi le détour car ce diable de Dick joue au débotté de gratté névralgique.
Par contre, il rate complètement la pochette de Summer Surf paru en 1964. C’est là qu’on trouve l’excellent «Banzai Washout», sidérante descente de big bad surf. Quand Dick s’énerve, ça s’entend. Toute la tension maximaliste du Surf Sound est là, il joue à la menace du grand requin blanc. Par contre, le morceau titre de l’album est assez foireux. Dick pompe le riff d’Eddie pour «Feel So Good», mais c’est de bonne guerre, à l’époque, tous les guitariste étaient fascinés par «Summertime Blues». On attend des miracles de «Surfin’ Rebel» qui n’est en fait qu’un joli shoot de tagada, mais avec une belle construction harmonique que scandent voluptueusement de rudes descentes de tiguili. Dick et ses amis finissent ce fier album avec une nouvelle giclée de tagada intitulée «Thunder Wave». Le surf doit tout, absolument tout, à l’énergie.
Dick pilote une voiture de course sur la pochette de l’excellentissime Mr. Eliminator. On trouve du beau classic Surf Sound en A, dans «Flashing Eyes» et du pur jus de Surfin’ USA dans «The Victor», Dick does it right, un brin orientaliste, il gratte ses cordes à la bonne aventure, mais c’est en B que se joue le destin de cet album vroom-vroom, et ce dès «Blond In The 406», merveilleux shoot de California pop encore une fois digne des early Beach Boys. On reste dans le joli son avec «Firing Up», prestance, prestance, oui mais des Panzani ! C’est le son de la Belle Époque, celle des early sixties du sable chaud et pouf, voilà une nouvelle virée avec «My X-KE». Ah on peut dire qu’ils adorent partir en virée ! S’ensuit un pulsatif idéal nommé «Nitro Fuel», ça bassmatique sous la peau du groove, ça profile admirablement bien sous le vent. Toute la belle énergie du Dick Dale Surf bouillonne dans ce coup de Nitro et il boucle avec un «Hot Rod Alley» superbe. Car voilà un fabuleux shoot de good timey rock’n’roll, avec un clin d’œil appuyé au Guitar Man des contes et légendes.
N’allez pas croire que Live At Ciro’s soit l’album live du siècle. C’est pourtant paru en 1965, mais diable, comme c’est mou du genou. Dommage car le «Peter Gunn» d’ouverture de bal donne le ton, mais derrière ça ne suit pas. Dick s’amuse avec «Summertime Blues» et «Bonie Moronie», mais le surf reste au vestiaire. Il chante son «Don’t Stop Now» avec âpreté et «Watusi Jo» est à peine plus surf. Ce n’est donc pas le hot Surf hell dont on peur rêver. Il viendra plus tard.
Dick Dale refait surface vingt ans plus tard avec The Tiger Losse. C’est un album live enregistré au Golden Bear. Au dos de la pochette, Dick explique que ses albums studio avec les Deltones ne capturaient pas le power du Surf Sound et donc il a arrêté les frais. The Tiger Losse est nettement supérieur au Live At Ciro’s. Cette fois, Dick s’est entouré d’ingés son compétents. On retrouve tous les vieux coucous d’avant, à commencer par «The Wedge». Dick fout la pression et la rythmique fonce dans le tas. Il n’existe rien de pire d’un groupe de Surf en colère. Ces mecs sont effarants de vitalité. Ils savent battre le fer pendant qu’il est chaud. Après avoir pompé goulûment le «Gimme Some Lovin’» du Spencer Davis Group («Pick And Play») et tapé une resucée de «Summertime Blues», Dick tire l’overdrive avec «Miserlou» qu’il charge de toute la grandiloquence du Surf beat. On a là une version spectaculaire. En B, il ressort son vieux «Let’s Go Trippin’» qu’il gratte au déroulé de notes, il diguilite comme une bête et tout explose avec «King Of The Surf Guitar», bien servi par des chœurs de filles, comme dans la version originale. Dick grimpe dans les octaves du big Surf Sound et envoie une dégelée de pâmoison. Il termine cet excellent album avec un shoot de rock classique, «Jessie Pearl». Il y croise le fer avec son guitariste rythmique Richard Smith.
C’est avec Tribal Thunder paru en 1993 que Dick Dale va donner toute sa mesure. On le prend pour un vieux pépère du surf, mais attention, il a dix mille fois plus de niaque que n’en peut rêver toute ta philosophie, Horatio. Tiens commence par écouter «Nitro», tu vas prendre le son en plein dans ta gueule. Bhhham ! Dick joue à la pulsion maximaliste, il envoie dans le circuit du bombast haute pression. Il n’existe rien d’aussi dévastateur sur cette terre. Et derrière, Prairie Prince bat ça si sec ! Cet album est un véritable festival de haute voltige. Dick Dale joue à la folie des manèges, il redonne vie au big bad Surf, il fait son dieu du trebble dans «Esperanza» et shoote ses arpeggios au clair de la lune. Il joue tous ses cuts à la clameur extrême, il survole les villes et n’en finit plus de remonter son manche dans des grooves d’anticipation. C’est avec «Caravan» qu’il explose toutes les expectitudes, il multiplie les dégringolades de manche, il démultiplie les possibilité de la démesure, il les pousse même dans leurs retranchements, ça va loin, cette affaire, monsieur le commissaire. Il passe en mode attaque galactique avec «The Eliminator». Il devient viral et atteint à la démesure transgénique. Il sonne comme un essaim killer, il lâche de grosses grappes et Prairie Prince bat le beurre out of it. On parle ici de violence extrême. Plus rien à voir avec la version studio. Ça dépasse tout ce qu’on peut imaginer en termes de puissance sonique et de battage. Il passe au beat tribal des Indiens d’Amérique avec «Speardance», et les chœurs résonnent dans l’écho du temps. Ça sonne jusque dans la stratosphère et les choses s’enveniment avec «Hot Links», un medley de «Catherine Crawl» et de «Rumble». Eh oui, Dick Dale rend hommage à Link Wray, c’est la rencontre de deux géants sur fond de frappe sèche. Dick ramène toute l’énergie du Surf sound pour la mixer à la délinquance de Link Wray. Et pour ça, il gratte des notes vertigineuses. On reste dans un absolu de violence sonique avec «The Long Ride», véritable exaction de Surfin’ Bird. Dick dalle bien le chemin de l’enfer, il joue tout au vif argent délicatement égrené. Toutes les notes sonnent comme des ducats. Il termine cet album mirobolant avec le morceau titre et rentre dans le lard du Diddley beat à coups de Surf mania. Dick Dale est un démon, il peaufine son univers avec ses doigts velus et étire sa mélasse à l’infini, all over the rainbow. On est dans Bo ! Here we go with Bo ! Dick n’en finit plus d’entrelacer à l’infini. C’est spectaculaire de furioso et d’admirabilis, les mots claquent des doigts, ce mec nous élève avec son énergie, il va jouer là-haut, là où l’air est pur, il connaît les secrets de l’altitude et ses copains jouent comme des fous. Tiens je te donne mille albums de garage pour un Tribal Thunder. Et même deux mille, si tu veux.
L’année suivante, il récidive avec Unknown Territory. Dick rocks it off ! Avec «Scalped», on est scalpé par le wooooz d’intro et ça taillade sec à la suite. On se croirait dans The Revenant au milieu des ours et des Arikaras. Dick joue comme un trappeur, comme un mec rendu dingue par la solitude et dévoré par les poux. Il joue à l’expressivité maximale qui est l’état dans lequel on se retrouve dans les situations extrêmes. Le Surf de Dick Dale atteint des degrés de violence inusités. Derrière, on retrouve Prairie Prince, le batteur fou qui fit un temps partie des Tubes. Véritable coup de génie que de «Terra Dicktyl». La violence de l’attaque constitue l’apanage du Surf rock. Dick Dale explose le son dans l’exercice de son pouvoir. Il l’envoie percuter l’horizon. Complètement dévastateur ! Il dévore les collines, gnac gnac gnac au power de mover. C’est du Terra Dicktyl à dents longues. Dick dales it out ! Il embarque son «Ghostrider In The Sky» à la folie pure. Oui, Dale est dingue. Fou à lier. Il balance des clameurs d’éléphant dans son rumble et les deux autres derrière battent la cavalcade comme ils peuvent. Tagada tagada, c’est Dale qui déboule, garez-vous, il est fou ! Mad ! Stupéfiant ! Il faut aussi se pencher sur le cas de «Mexico», battu à la brèche. Il te tombe encore une fois sur le râble, à coups de regains de forge. Dick Dale démolit tout à coups de flash guitar. Dick Dale is the real deal, the Power king. Il fait une sacrée reprise de «California Sun». Il y ramène tout son power virulent, il ne peut pas s’empêcher de l’exploser, il balance même du vocal dans sa fournaise. C’est complètement extravagant. Même quand il fait du balloche, comme c’est le cas avec «Maria Elena», il le surjoue au power maximalis. Le dernier gros coup de l’album s’appelle «Hava Nagila», un thème connu comme le loup blanc des steppes du Kilimandjaro. Évidemment, il l’explose en plein vol. C’est plus fort que lui. Nouvelle chevauchée infernale avec «The Beast», et on voit encore une fois les colonnes du temple s’écrouler sous les coups de boutoir. Tout est battu à la pire sauvagerie. Dès que Dick ramène sa fraise, on est foutu. Il place plus de chorus dans un seul cut que n’en place Johnny Thunders dans tous ses albums. Il termine en beauté avec une version chantée de «Ring Of Fire». On sort de là épuisé et ravi, comme du lit d’une courtisane.
Dick Dale reste sur sa lancée avec Calling Up Spirits, un nouveau festin de son. Ouverture de bal avec «Nitrus», explosé d’entrée de jeu. Au moins, on sait où on met les pieds. On retrouve Prairie Prince, derrière. Il bat «The Pit» à la vie à la mort. Dick Dale part à l’attaque et n’en démord pas. Il joue «Catamount» aux heavy riffs et explose son panoramique à coups de solos déclamatoires. Guitar devil ! Quand il part en solo c’est toujours à la régalade. Il cale son morceau titre sur le riff de «Shaking All Over». Mais il le dégomme à la pression. Prairie Prince bat ça à la diable, mais Dick le double dans les virages en poussant des yeah d’antho à Toto. Ils battent tous les records de violence sonique. Avec «Bandito», il descend un vieux gimmick de desperado avec une fièvre incommensurable. Quelle énergie dans le son ! Il dégringole tous ses thèmes avec un mépris total du qu’en dira-t-on. Cette désinvolture flirte dangereusement avec le génie. Il rend hommage à Jimi Hendrix avec «Third Stone From The Sun». Nouvelle rencontre de deux géants. Dick va chercher les échos de l’ami Jimi, et c’est assez bouleversant de porosité. Il chante ensuite «Peppermint Man» à la revoyure. Il joue à la petite balloche mais il reste avant toute chose un maître de cérémonie irremplaçable. Quand il part en solo, ça redevient dément. Il termine en rush de surf avec «Gypsy Fire». Sacré Dick, il sait rendre ses albums indispensables. Aw, que de son, my son ! Il taille son chemin à travers une fournaise rythmique et vient encore titiller les énergies. Même si on n’aime pas le surf, ce genre d’album s’impose. Non seulement il force l’admiration, mais il envoie aussi au tapis. Mais bien sûr, il faut aimer aller au tapis.
Cinq ans plus tard, Dick Dale nous refait le coup de folie maximalis avec Spacial Disorientation. Cette fois, il crée son label et il faut se lever tôt pour espérer trouver l’album. Il joue son «HMFIC» heavy et sans remords. Dick et ses amis sont toujours aussi fous, ils perpétuent le pilon du Surf. Crank it up ! Dick y va, par vagues. Rien de plus spectaculaire que de voir cet homme envoyer rouler ses vagues de son. Il va même beaucoup plus loin que Wayne Kramer. Il reclaque son vieux «The Eliminator» et le joue dans la chaleur de la nuit. He rocks it off. Ses notes te cueillent à la pointe du menton. Mais c’est avec «Belo Horizonte» qu’il emporte une partie gagnée d’avance. Kitschy kitschy petit bikini, il gratte bien ses conneries et s’en va faire sa mexicana dans les étoiles. Dick se prend pour Doug. On a même deux versions, la version chantée et l’instro, où il tiguilite à la titille faramineuse. Il gratte à l’ongle sec avec des effets surpuissants. Mais globalement, on sent sur cet album une petite baisse de régime. «Haji» sonne comme une petite cavalcade évanescente et avec «3013DD», il part à dos de chameau. Il s’en va forer des tunnels sous le Mont Blanc. C’est un spécialiste, ne l’oublions pas. Il s’amuse aussi à schtroumpher «Smoke On The Water» et repart en mode romantico pour «Oasis Of Mara». Il y gratte sur sa Strato des diguilis de six cordes en enfilade. On le voit aussi démultiplier les pirouettes dans «Front Porch Blues» en l’honneur de John Lee Hooker - It’s the blues tune - Et pouf, violente attaque d’ongle sec, one two three ! Il donne là une sacrée leçon de blues guitar. On le voit aussi gratter dans tous les coins de «Mexico/Esperanza» et se livrer à l’un de ses exercices préférés, l’exotica de coco.
En 2011, Dick Dale s’acoquine avec les Phantom Surfers pour enregistrer Conquer Your World. Mais c’est un pétard mouillé. On sent un peu d’énervement, mais ça reste très sage, même si le batteur bat «Rochambeau» à la diable. On voit aussi le batteur doubler la guitare dans «Battle Of Little Big Hand», mais les autres cuts flirtent avec l’exotica, et on n’est pas là pour ça. Ils relancent la B avec un «Gas Chamber» joué à l’aigrelette, mais ça manque d’exaction. Cet album sonne comme de la dentelle de Calais. Trop trié sur le volet. Rien ne passe la rampe. Pas de faux plis. Tout rentre dans les ordres. Et puis, soudain ça se réveille en fin de B avec trois cuts live enregistrés en 1994 par Liam Watson. Démarrage en trombe avec «Move It» et Dick y descend un solo des enfers. La violence est enfin de retour. Ça se confirme avec «Orbitron». Explosif. Virulence de la fulgurance ! Attaque en biseau, ça fouille au bas du manche et il pleut des stridences.
Avant de tourner la page, il est recommandé d’écouter le Santa Monica. Live On The Pier paru en 2016. C’est un concert enregistré en 1996 et Dick Dale y reprend bien sûr tous ses vieux coucous, à commencer par l’ineffable «Nitro» joué au power surge. L’énergie y sature le son. Ils jouent vite et à la régalade. On retrouve cette énergie dans «Ghostriders In The Sky». Dick Dale y ramone la rondelle des annales et tout explose avec le medley «Caterpillar Crawl/ Rumble» qui sonne comme l’apanage de la heavyness californienne. Pas de cocktail plus explosif que le Dale/Wray. Mais c’est la B qui emporte véritablement la bouche. Il attaque avec l’irrépressible «Miserlou» qui prend vite une autre résonance sur le Santa Monica Pier. Dick Dale y joue de violentes rafales de Surf guitar. Puis il allume la gueule de «Calling Up Spirits» mais avec une élégance assez rare, hey hey hey, et un riff pompé sur «Shaking All Over». Il passe au mad Surf avec «Nitrus», il sait driver the mad sound of the Surf craze all over the rainbow. Ça monte encore d’un cran avec «The Wedge Paradiso», rebaptisé en souvenir d’Amsterdam. On reste dans un beau degré de folie avec des coups de trompette mariachi et un bassmatic enragé. Dick Dale avait du génie, qu’on se le dise.
Signé : Cazengler, crève la dalle
Dick Dale. Disparu le 16 mars 2019
Dick Dale & His Deltones. Surfer’s Choice. Deltone Records 1962
Dick Dale & His Deltones. King Of The Surf Guitar. Capitol Records 1963
Dick Dale & His Deltones. Checkered Flag. Capitol Records 1963
Dick Dale & His Deltones. Summer Surf. Capitol Records 1964
Dick Dale & His Deltones. Mr. Eliminator. Capitol Records 1964
Dick Dale & His Deltones. Live At Ciro’s. Capitol Records 1965
Dick Dale. The Tiger Losse. Balboa Records 1987
Dick Dale. Tribal Thunder. Hightone Records 1993
Dick Dale. Unknown Territory. Hightone Records 1994
Dick Dale. Calling Up Spirits. Beggars Banquet 1996
Dick Dale. Spacial Disorientation. Dick Dale Records 2001
Dick Dale & Os Phantom Surfers. Conquer Your World. Groovie Records 2011
Dick Dale. Santa Monica. Live On The Pier. Floating World 2016
Can the Kane - Part One
C’est littéralement affamé de glam qu’on se rend au concert de Miles Kane. Les dernières traces de glam sur scène remontent aux DeRellas, et avant ça aux Sirens. Ah si tu veux voir du glam sur scène au XXIe siècle, tu vas devoir te lever de bonne heure et compter sur la chance ! Après tout le cirque des accordages et des réaccordages de guitares, Miles Kane arrive enfin sur scène. Oh ce n’est ni Marc Bolan, ni Brian Connolly, on a là un grand brun assez filiforme doté d’une physionomie joviale et d’un très bon sens des relations publiques, puisqu’il inspecte d’un regard scrutateur les bobines alignées au premier rang. Il semble parfaitement à l’aise, au moins autant que le serait une super star. Naturel ou travaillé, son look de grand brun au cheveu taillé court avantage considérablement l’aplati d’un visage en profil d’aigle, qui par l’âpreté rocailleuse de sa construction, pourrait paraître ingrat. Mais là, c’est tout le contraire. Il porte un petit ensemble noir de prêt-à-porter composé d’un blouson marqué Miles Kane dans le dos - comme sur le Port-Salut - et d’un jean noir qui moule bien ses cuisses d’élégante sauterelle. Il porte noué autour du cou un foulard rose qui indique clairement des obédiences de wild cat Kane et sous les yeux deux grandes traces de glitter qui font saliver les connaisseurs. Ce n’est pas de la frime, ne nous méprenons pas, simplement une façon de dire qu’il va Kaner la boutika, comme un guerrier Apache sur le sentier de la guerre. Pour les filles, c’est du gâteau. D’ailleurs, celles du premier rang sont déjà en émoi. Comme à Earl’s Court en mai 1973 ? N’exagérons pas. Miles Kanes est bien gentil, mais ce n’est tout de même pas Ziggy Stardust.
Et Biff bang pow ! Il attaque avec l’un de ses deux hits glam, «Silversreen». Inespéré. On le voit à l’œuvre, et il passe en mode full action, flashy, blasting all over the London Bridge, il n’y qu’un anglais qui puisse sonner les cloches du rock anglais, ce diable de cat Kane fait corps avec sa bête à cornes. Il appartient à une élite, il s’en donne les moyens physiques et spirituels, car aller taper dans le glam, ça relève d’une certaine forme de spiritualité. Et ce mec fait bien le job. Il claque ses accords, vaillamment soutenu par un petit guitariste black nommé Dom John affairé sur une Strato de gaucher, par Nathan Sudders, bassman impassible à l’Anglaise et par une batteuse épouvantablement excitante, Victoria Smith, qui bat la chamade du plâtre derrière ses fûts en grimaçant comme la danseuse balinaise de Barba. On regoûte un peu plus tard à la magie du son anglais quand éclatent les accords bolaniens de «Cry On My Guitar». Oh Kane que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ! La salle entre en lévitation. On voit cette folle de Victotia Smith rebondir sous les coups de beat qu’elle balance dans ses peaux, wham bam bam bam thank you mam mam mam, on n’avait pas d’heavy beat aussi heavyly heavy depuis Jean Genie, et le cat Kane fend l’océan du glam comme l’aileron du requin de Tournesol, ça fuse sous les tropiques en caoutchouc, ça glamme dans la gloire de pacotille, ça sonne des grosses cloches de Tarkovski, ça détrempe les râteliers bien tempérés, le cat Kane dit sa messe en deux cuts parfaits et le reste n’a plus aucune importance. Le monde peut bien s’écrouler, l’avenir s’assombrir, le destin des hommes courir à sa fin, peu importe, le cat Kane pleure sur sa guitare des perles de pluie venues de pays où il ne pleut pas, il nous offre un domaine où le glam est roi - Rolling out the chimney you can see the cracks - oh yeah the Chimney stacks, comme au temps divin de Jean Genie, il brûle encore bien qu’ayant tout brûlé, pour atteindre à s’en écarteler l’inaccessible étoile du glam - I was driving like a ballroom blitz - Il nous Shalalalalate tout ça avec l’effronterie d’un Connolly de sweepstakes sixty-five. Il boucle son set avec l’imparable stomp d’un «Come Closer» tiré de son premier album solo.
Le cat Kane se prévaut déjà une belle carrière. On y reviendra dans un Part Two. Comme il fait la promo de son troisième album solo, on se penche ici sur sa carrière solo qui démarre en 2011 avec l’excellent Colour Of The Trap. L’air de rien, il fait remonter des accents du Lennon de «Cold Turkey» dans «Better Left Invisible». C’est effarant de proximité caractérielle, on peut même parler de pulsasivité caractérielle appuyée. Aw God, quel hommage ! Il excelle dans le aw aw. Et pas que dans le aw aw. Il faut l’entendre ramoner «Telepathy», un cut monté sur un tempo pressé qui ne traîne pas en chemin et fouillé aux guitares psychédéliques. Le cat Kane dispose d’un don pour la pop anglaise. Si on se laissait aller, on pourrait même parler d’un certain génie poppy. Il démarre d’ailleurs avec une sorte de stomp à la Oasis nommé «Come Closer», comme quoi, il n’y a pas de sot métier. Des relents de heavy pop anglaise remontent dans tous ses cuts, le cat Kane est vraiment très brillant. Son «Rearrange» est fait pour défoncer les portes d’airain de la cité. On appelle ça un bélier. Il fonce tête baissée dans l’airain sculpté des bas reliefs byzantins, le son flirte avec le beat diskoïde, tout est parfait, absolument parfait, le thème éclaire les pas, la mélodie règne sans partage, c’est tellement parfait que ça devient louche. Mais avec «Mr Fantasy», il revient au balladif d’Angleterre et s’ancre dans l’essence de la véracité avec un accent magnifique. Il peut se montrer précieux, comme c’est aussi le cas dans «Country Down The Days», où il va chercher le bel élégiaque de morte-lune. Le cat Kane se veut convaincant. Son «Quicksand» n’est hélas pas celui de David Bowie, Il s’agit d’une pop alerte de gracile qui passe comme une lettre à la poste. Jolie débauche d’évasion fiscale, les capitaux fuient en masse à travers les mailles de la maille qui m’aille, ce mec ne recule devant aucun obstacle. On le voit encore faire des miracles dans «Take The Night From Me», il y maîtrise une fois encore l’art du balladif d’Angleterre. Il faut parler d’un bon album.
Deux ans plus tard paraît Don’t Forget Who You Are. Les photos de pochette sont peut-être plus importantes que les cuts du cat. Une première image le montre adossé dans l’angle d’une porte : c’est bien sûr un clin d’œil à la pochette du Rock’n’Roll de John Lennon. Seulement le cat Kane ne porte pas de cuir. Il est sapé comme un London Mod, costard sombre, cravate, pochette blanche et mèches dans les yeux. Wow ! Une autre image le montre assis sur des marches en pierre : petit manteau trois-quart brun, pantalon blanc skinny legs, boots noires et une gueule à la Pete Townshend, avec les mèches noires sur les yeux. Il suffit de voir l’image pour savoir que l’album est bon. C’est exactement la même chose que la pochette du EP «My Generation» des Who. Il suffit simplement de regarder l’image pour entendre le son. Et bien sûr, on prend «Taking Over» en pleine poire, d’autant plus en pleine poire que le cat Kane l’a co-écrit avec Ian Broudie. Le cat Kane a un truc, c’est indéniable. Un sens aigu du big sound. Il joue son cut à la grosse sature et nous sert le meilleur cocktail de rock anglais. C’est quasi glam, très présent, pop et suburbain. Belle ampleur, tellement belle ampleur que c’en est presque inespéré. Pour «Don’t Forget Who You Are», il monte un wall of sound qui vibre sous les coups de boutoir. Le cat Kane chante divinement, comme une sorte de Liam Gallagher sucré. Quand on écoute «Better Than That», on croit rêver. Son rock développe une puissance qui rivalise avec celle de Slade et un aplomb qui évoque celui Carter. La stature anglaise. Si ce n’est pas le hit du pilon des forges, alors qu’est-ce ? Avec «You’re Gonna Get It», il passe au glam, il met toute la pression glam sur un bass-drum dévastateur - I’m gonna show you/ I’m gonna show you now - C’est excellent, au-delà de toute attente. Il termine cet album de bonne fulgure avec un absolute Mod stomper intitulé «Darkness In Our Hearts». Il chante ça à la pure adrénaline de kid Mod - I’m not like everybody else - Il a raison de le préciser. Dans «Out Of Control», il va droit sur Lennon. Son balladif revêt une fois de plus l’ampleur beatlemaniaque. On voit aussi planer l’ombre d’Oasis. Liverpool & Manchester même combat ! Il bourre «Tonight» comme une dinde, par le troufignon, jusqu’à la faire exploser de farce de son. Vas-y Miles, bourre-là ! Il adore bourrer sa dinde. Il bourre tant et tant que le son chevrote. Voilà encore une pop qui va hanter les remparts d’Elseneur jusqu’à la fin des temps.
Curieusement, son troisième album solo baisse d’un ton. Coup De Grace nous révèle un cat Kane devenu un homme d’âge mur. Il reste sur son trente-et-un, mais on visage s’est émacié. Il revient à son cher glam dès «Cry On My Guitar». C’est vraiment digne de Marc Bolan - I said yeah/ I come undone - Le glam marche à tous les coups. Il faut aussi l’entendre chanter «Loaded» d’une voix précieuse et intrusive. Il retrouve de beaux accents bolaniens. Encore un balladif entreprenant avec «Killing The Joke». Ce diable de cat Kane sait ménager la chèvre et le chou. C’est là qu’il excelle, dans l’art du deep atmospherix. Avec «Silverscreen», il semble balayer la surface de la terre. On pourrait qualifier ça de pseudo-tornade glam très mal intentionnée. Il repend la main à coups de Silverscreen/ You won’t leave alone. Admirable. On se régalera aussi de «Wrong Side Of Life», qu’il s’en va crier sur tous les toits - Wherever you love/ Whatever you love/ It’s such a dirty dirty story - Il tape son truc jusqu’au bout du bout. Quel album ! Tout est avancé en première ligne ! C’est exceptionnel de pop-rock à l’anglaise, saturé de son et savamment produit. On note une extravagante débauche de moyens. Il boucle son bouclard avec «Shavambacu» - I have a way my love/ My little darling Shavambacoooo - Il retombe ici dans l’excellence d’un rock anglais cravaté de frais et rehaussé d’une pointe d’exotisme, my little darling Shavambacoooo. Le cat Kane perpétue la tradition d’une grande pop anglaise.
Signé : Cazengler, Miles Kon
Miles Kane. Le 106. Rouen (76). 10 mai 2019
Miles Kane. Colour Of The Trap. Columbia 2011
Miles Kane. Don’t Forget Who You Are. Columbia 2013
Miles Kane. Coup De Grace. Virgin EMI Records 2018
MONTREUIL / 06 – 05 – 2019
LA COMEDIA
D N O / LOW SUN
A lundi à dit Lenda. Qui oserait poser un lapin – fût-il extirpé d'un chapeau de prestidigitateur – à Lenda, la grande prêtresse des libations de la Comedia. Pas moi, surtout qu'elle distribue généreusement des crocodiles versicolores et généreusement gélatineux à tous les fins-gourmets d'une clientèle affamée. En plus ce soir faudrait se lever tôt pour voir les groupes programmés près de chez soi, l'un qui vient de l'autre côté de l'Océan et l'autre situé aux confins orientaux de L'Europe. Soirée internationale et même intercontinentale, la Comedia nous gâte !
DNO
Quatre grands gaillards montent sur scène. Etonnant cette manière d'empoigner leurs instruments et d'effectuer les ultimes réglages, chacun à sa façon et tous en même temps, émerge un ruissellement quadriphonique discordant de toute beauté, une pluie torrentielle de sonorités chaotiques dans lesquelles se distingue l'avenante rondeur des guitares. Une panthère n'y retrouverait pas ses petits mais cette espèce d'éparpillement dodécaphonique doit les satisfaire puisque au bout de deux minutes, les voici prêts à se lancer dans un des plus impressionnants concerts jamais entendus à la Comedia.
Pas plus de trente-cinq minutes mais d'une folle énergie. Une tornade d'une force inouïe déferle sur vous, numérotez vos abattis quand le crust s'incruste. Pas un seul instant de repos. Une mer furieuse s'abat sur les récifs et les déplace comme des bouchons de liège. Micro en main, Mana a rejoint ses frères d'armes, il campe au bas de l'estrade, incapable de rester sur place. Rien à voir avec un quelconque jeu de scène, l'est simplement poussé par la terrible compression dégagée par l'éruption volcanique propagée par ses camarades. Va et vient tel un fauve prêt à l'attaque qui délimite de ses incessantes allées et venues l'espace infrangible au-delà duquel vous pénétrez dans la zone de défense dont vous ne ressortirez pas vivant. Attention, subitement mû par une espèce de fureur sacrée s'il se rapproche de la horde qui attise la fournaise, s'il se penche, s'incline et se plie en deux, vous êtes sûr que la musique devient encore plus violente, et c'est en ces moments-là de plus forte accélération et de plus brutale amplification qu'il porte à ses lèvres de chaman en transe le cromi dans lequel il déglutit un growl de fureur sans équivalent et il revient vers le public éructer la haine de notre monde si décevant, si menaçant. Sa diatribe terminée il se tait, n'en continuant pas moins d'arpenter son territoire en proie à la monstrueuse tension d'une adrénaline hécatienne.
Les dispensateurs de l'ouragan ont fort à faire. Vilda est aux drums comme l'émeute embrase les rues. Les trois guitares sont collées à lui. Alors que sa frappe pourrait être qualifiée de strombolienne et de vésuvienne, s'impose le souvenir de sa jambe gauche qui actionne la charley. Donne l'impression d'un urgentiste dans un hôpital de fortune qui pompe sans faillir l'oxygène vital nécessaire à la survie d'un blessé. Rien à voir avec le cha-ba-cha subtilement feutré des jazzmen, il sonne sans fin le tocsin pour réveiller les consciences endormies dans le confort de la lâcheté. La basse de Patrik est une cavale folle en cavalcade qui ricane dans les herbages de la liberté. Jamais loin du troupeau, mais en tête qui donne le rythme du galop. Et les deux guitares ! Quel son ! Dans cette tonitruance généralisée à laquelle elles participent grandement, dans cette furia dévastatrice qu'elles attisent moultement, elles parviennent à garder une limpidité stupéfiante, étrangement le nom qui m'est venu à l'esprit - et j'en suis le premier stupéfait - est celui d'Hank Marvin au style pourtant si éloigné de cette razzia fracassante, à croire qu'ils les ont accordées selon les modalités pythagoriciennes du nombre d'or.
Un set fulgurant, évidemment trop court mais l'implication énergétique de cette musique extrême ne peut être trop longtemps soutenue par les ( in)capacités physiques d'un corps humain. Le set de DNO, venu de la lointaine Tchéquie, fut reçu par l'assistance comme un présent mirifique.
LOW SUN
Après le set de DNO, Low Sun n'a pas fait profil bas. Soleil Rasant vient du Canada. Nous a offert l'apaisement. Crescendo tout de même. Une musique de plus en plus complexe. Une ambiance chevronnée. Guitare, basse et batterie. Pas besoin de plus. Après les fractales de DNO, Low Sun nous a proposé son tapis volant crépusculaire. Vol lent. Elévation millimétrée. Ce n'est qu'au bout d'un grand moment que l'on s'aperçoit que l'on a pris de l'altitude, pas de panique, la descente se fera en douceur, ce qui n'empêche pas de sentir que les moteurs de l'engin sont puissants. Low Sun ne compte pas sur les hasards de la force du vent pour se diriger. Au début l'on pense qu'ils vont nous promener dans l'univers macrocosmique que l'on est pris par la main pour une ballade intergalactique sur la voie lactée, mais petit à petit l'on ne sait plus si la promenade étoilée débouche dans l'infiniment petit ou s'il s'agit simplement d'un changement d'échelle qui relativise tout ordre de grandeur terrestre. Voyage de Gulliver musical.
La musique de Low Sun est comme une volute de fumée, de prime abord d'une légèreté insignifiante mais au fur et à mesure que l'on se rapproche, l'on est obligé de reconnaître que cette gaze de brouillard évanescente est arquée selon une structure d'une très grande complexité. Votre esprit se perd dans l'étendue gazeuse de ces particules, vous voici confronté à un labyrinthe insidieux aux corridors mouvants. Le haut, le bas, la gauche et la droite se mélangent et deviennent indiscernables. Le temps s'effiloche comme les montres molles de Salvador Dali. Certes nul monstre ne surgit pour vous attaquer, mais l'état d'apesanteur psychique dans laquelle Low Sun vous promène, est encore plus déstabilisant. Vous n'avez plus de problème pour la seule et unique raison que face à la légèreté diaphane de l'Être, vous comprenez que le seul problème auquel vous avez à vous confronter c'est vous, votre lourdeur, votre épaisseur, vous prenez confiance que votre tas de viande humaine est le seul obstacle, le seul écran, que pourra rencontrer la lumière du dernier rayon de soleil agonique. Lorsque le concert s'arrête il vous semble que vous venez de vivre une expérience unique, durant un moment vous avez eu la sensation d'être la face sombre d'un trou noir décidé à avaler la beauté du monde.
Damie Chad.
D N O
Korobushka Records / Salto Mortale Music / Rosa Punx Collective / Parution : 15 mars 2019.
Wilda : drums / Jakub : guitare / Dogma : guitare / Patrik : bass / Mana : Vocal
Titres tchèques :
KRYS / OSOBNOST V ZAJET / KDYZ NEDJE O LIDSKY / ZIVOT V MLZE / LOUTKY / NEMOC SEBEKLAMU / ZARE LZI / NOVODOBé OTROVTVI.
Hide out : marée haute sonore implacable destinée à recouvrir toute velléité, mais la voix survient comme une incitation au crime, une objurgation à tout quitter, à se réfugier ailleurs, à desserrer l'emprise de ce monde qui t'attire en ses profondeurs mortifères, le rêve est à portée de main cliquettement de cymbale, interlude d'un monde paisible au-delà des horizons, vocal de rage terminal, ne pas s'endormir, éviter l'engloutissement final, ils ne peuvent rien contre toi si tu le décides. Imprisoned personality : débâcle interne, chaos montant, l'onde sonore écrase tout, ce n'est plus le monde qui est attaqué mais l'intérieur de vous qui s'écroule, les guitares sonnent comme des sirènes annonçant les apocalypses imminentes, vents de destruction et pluies de larmes, le vocal devient cri de rage, vous êtes cerné par le feu et pendant que votre esprit s'effondre votre âme brûle. Moins de trois minutes, mais implacables, les ailes noires du malheur définitif se referment sur vous. Terrible, beau et puissant. Magnifique. Brûlot définitif. When it's not about human... : rage et condamnation sans appel, tuer un animal est un crime qui retranche ton être de l'humanité. Mur de sons et de honte pressant, obsédant, colère noire et honte subliminale qui devrait vous empêcher de dormir. Musique comme une tuerie, l'écoute laisse du sang sur vos main. Vocal coutelas de boucher planté dans votre bonne conscience. Frères animaux qui selon nous mourrez... Life in the mist : déclaration des contradictions humaines. Pas de cadeau. Nous ne sommes que mélange de désirs et de renoncements à nous-même. L'onde sonore vous écrase, les guitares vous scient en deux pour que vous puissiez enfin porter vos yeux sur l'intérieur de cette boule de désirs stupides et de lâchetés merdiques dont vous êtes pétris. Sans appel. Sans rémission. Regardez-vous ! Hideux spectacle. Puppets : belle et bonne conscience des automates que nous sommes. Ce n'est pas de l'auto-culpabilisation, mais une dénonciation de nos lâchetés qui claque définitivement comme le feu du peloton d'exécution dont les fusils sont pointés sur nous mais auxquels nous donnons l'ordre de tirer. Car il est temps de se faire justice. Déflagration létale. Aucune rémission possible. Exécution immédiate. Self-delussion : D N O n'en a pas fini avec vous-mêmes, toujours plus loin dans l'abjection humaine, le background rampe à la manière du cobra de la réalité qui se bientôt se dressera tel le miroir de votre propre mensonge. Faites le fort et le brave tant que vous voulez, dans un instant vous serez ce minable en larmes dans son coin qui s'apitoie sur son sort. Musique lourde et vocal-crachats d'auto-condamnation, que vous fermiez ou ouvriez les yeux sur vous même cela revient au même, vous êtes passé à côté de vous-même. Peu réjouissant. Glow of lies : concassage musical. Croyez-vous vous en tirer en vous dissimulant dans la foule. Peine perdue. Le monde est un brasier de mensonges, la réalité de vos congénères n'est qu'une fiction de plus dans laquelle vous vous complaisez. New age slavery : ultima verba. Violence sonore, voix de rage sans appel, condamnation et relevé cadastral de toutes vos lâchetés, le monde va mal, il n'est qu'un système d'oppression sans faille. Ne faites pas semblant de pleurer, de dénoncer ou de vous lamenter. Cette situation est ce à quoi à vous aspirez au plus profond de vous, en fait vous aimez ce nouvel esclavage dont vous êtes les victimes. Il correspond totalitairement à vos désirs les plus intimes.
Un disque aussi noir que sa pochette. L'arbre mort et sec qui l'illustre n'est que l'image symbolique de notre humanité. En posant le vinyle sur la platine j'avais peur d'être déçu, le set avait été si intense que je me demandais comment l'enregistrement reproduirait cet impact convulsif de la scène. Un peu moins de sauvagerie brute, mais le groupe gagne en cohésion et en puissance éruptive. Pas l'ombre d'un doute, D N O est un grand groupe.
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Un disque peut en cacher un autre. La pochette noire de DNO sans autre annotation que le nom du groupe sur ce carré de papier blanc arborant la silhouette décharnée d'un arbre mort ( serait une parfaite illustration de la Trilogie Noire d'Emile Verhaeren ) suintant de désespoir. N'ai pas eu à chercher bien loin pour m'apercevoir qu'il s'agit en fait de la pochette retournée d'un autre disque paru le 12 décembre 2011, un split-vinyl, une face consacrée à Marnost et l'autre à Seeds In Barren Fields. Pour les collectionneurs sachez qu'un tirage de 525 exemplaires sur vinyl noir a été réalisé en février 2012 pour les labels : Spelling Trouble, Anarchist Black Cross Records, Carpath Bears, Véva, Music For Liberation And Alex.
Marnost – Vanité en notre langue – ce groupe tchèque rassemble plusieurs musiciens issus du Black Metal mais relativement proches du punk hardcore. Se définissent en tant qu'anarchistes, se déclarent antifacistes, antinationalistes, antiracistes, sont aussi végétaliens. Ils se sont retrouvés pour tenter une musique différente du Black Metal, travaillant surtout à la création d'atmosphères sombres, lentes et lourdes, sur lesquelles ils récitent des poèmes de William Blake et de poètes tchèques tels Jiri Wolker et SK Neumann dont les textes furent récupérés par les bolchéviques après la deuxième guerre mondiale pour asseoir leur idéologie. L'on sent que Marnost aime à provoquer les débats en attisant les contradictions. Dans une assez longue interview facilement accessible ( et très bien traduite ) sur le net, Marnost crie sa haine des régimes populistes de l'est-européen et explique le mécanisme mental qui permet aux classes populaires de retrouver un semblant de dignité en accusant les Roms, les immigrés et les sans-abris de coûter cher à la collectivité. Toute ressemblance avec certaines dérives de la société française ne saurait relever d'un pur hasard.
Seeds In Barren Fields est un groupe suédois. Eux aussi entremêlent black death metal et punk hardcore. Eux aussi essaient d'analyser la montée des idéologies d'extrême-droite dans toute l'Europe. S'intéressent particulièrement à la manière dont les états-nations canalisent la venue des immigrants pour créer chaos et confusion dans les esprits, rappelant cette idée forte que les Etats ne détestent pas les situations chaotiques en tant que telles, mais les situations chaotiques dont l'organisation et le contrôle leur échappent.
MARNOST
B* ( Blum ) / H* ( Honka ) / Mx* ( Morek Zeman )
S* ( Simona Poustkova ) / Sh* ( Saman )
Svudcove Lidstva : morceau de treize minutes, intitulé Juges de l'Humanité. Une mise en musique d'un extrait de La Chanson de Los de William Blake. Le thème en est d'une simplicité biblique, la famine ne servirait-elle pas aux Rois pour rendre les peuples plus obéissants. Mais ici le texte n'est qu'un prétexte symbolique pour signifier une vision du monde. La musique se déploie en un magnifique oratorio. Une gradation incessante et monumentale. J'ai été surpris lorsque le morceau s'est terminé. Une belle voix féminine qui énonce le premier vers du poème et puis l'intumescence grondeuse d'une musique lyrique et de larsens mélodieux qui enfle sans fin pour se répandre dans l'infini des cieux. Des accélérations intérieures ménagée par une surpuissance électrique, un grondement de chœurs électroniques qui soufflent comme rafales de vents infinis. Cris et hurlements le morceau bascule sur lui-même et vous emporte sur les chevaux d'une révolte fondationnelle et métaphysique. Beaucoup de compositeurs contemporains de musique classique devraient écouter et s'en inspirer pour créer des œuvres à la démesure de leur siècle...
SEEDS IN BARREN FIELDS
Bass : David / Drums : Niclas / Bv : Austin Lunn / Vocal : Jens
Orgue : Jonas Ivarsson / guitars : Kalle ( 27 ) & Svante
Beneath the somber halls : suite musicale de plus de seize minutes. Bruissements de pluie et lointain orage, suivis d'une longue psalmodie de guitares jusqu'à ce que l'orchestration s'élève majestueuse comme un arbre solitaire sur un paysage désolé. Accélération et growlements accusateurs qui déroulent un vaste poème diatribe et un réquisitoire écologique sans appel. La nature dévastée par la monoculture, la terre mortifère, et le crime de la plante humaine coupée de ses racines terrestres. Tout ce que vous tuez en abattant un seul arbre, tous les miracles contenus en une seule graine, ces trésors délaissés dont l'homme ne prend aucun soin. N'ayez crainte vous en mourrez un jour ou l'autre, lorsque vous aurez épuisé la glèbe nourricière et protectrice. La musique la met en sourdine et l'on n'entend plus qu'une voix humaine qui prêche dans le désert. Mais la colère retrouve sa hargne et retentit en un long appel à vous retrouver sous les cimes ombreuses de la sauvagerie originelle.
Il faut l'avouer ce Benath The Somber Halls n'atteint pas à la splendeur de la face de Marnost. Parfois l'énonciation du message tue le message. Les mots qui ne gardent pas une part de mystère sont moins percutants que ceux qui offrent une zone érogène de rêverie. L'orchestration reste très proche d'un groupe de metal habituel. Mais comme le proclame Marnost, arrêtez de critiquer ( en bien ou en mal ) formez votre propre groupe !
Damie Chad.
10 – 05 – 2019 / MONTREUIL
LA COMEDIA
FILL THE NAME / YETI
Pluie diluvienne sur la route, vous pourriez construire une cité lacustre sur les immenses flaques qui squattent la chaussée, la teuf-teuf rame un peu, surtout quand les gerbes d'eau soulevées par les voitures de la file à contresens vous immergent totalement, il serait peut-être plus prudent de s'arrêter, mais non l'appel du rock est plus fort. En plus sur l'auto-radio Europe 1 fête les quarante ans de la sortie de Crache Ton Venin, de Téléphone. Le genre de rappel qui ne vous rajeunit pas, grattez les écailles du rock'n'roll, le blues n'est jamais loin. Vite, vite, à la Comedia, écouter le futur et le présent du rock.
FILL THE NAME
J'arrive alors qu'ils viennent de démarrer leur premier morceau, je ne les vois pas encore mais je les entends et cela me plaît. A première oreille, bien en place, ils ont de la bouteille. Et ben non, me suis trompetté d'éléphant sur toute la ligne, sont jeunes mais ils n'ont pas attendu le nombre des années pour se débrouiller comme des chefs. Augustin Letellier cadence son drumin' comme un maître-horloger le balancier d'une horloge, les baguettes pile sur la face des toms, en voilà un qui ne perd pas son temps, l'a compris qu'il ne se rattrape jamais, alors il pousse le groupe, le presse d'un battement incessant méchamment chaloupé. Enchaînent sur Born To Be Wild, vous le rident de bien belle manière. Valentin Guyard est à la fête, sur ce titre faut lui faire épouser les reptations d'un alligator qui sort de son marais, un peu lourdement, et puis c'est l'attaque fulgurante et vous repartez avec une jambe en moins, mais ce gaillard de Valentin va nous refaire le coup de la gambette amputée autant de fois que nécessaire, tout en gardant son regard flegmatique sous son bonnet noir qui lui serre la tête à la manière d'un casque gaulois qui laisse échapper de chaque côté deux ailes de cheveux blonds.
Porter un T-shirt d'Hendrix est à la portée de tout le monde. Mais lorsque l'on tient une guitare sur scène, faut assurer et s'en montrer digne, et Quentin Moayedpour est de ce calibre-là. Ne démérite pas. Certes le groupe ne fait pratiquement que des reprises mais il faut bien s'aiguiser les dents sur des babioles qui ont fait leur preuve. Preuve d'intelligence, il a compris que l'on n'imite pas Jimi, mais ses doigts ont médité sur les manières de jouer, vous passent les riffs rock de La Grange comme les détrousseurs de cadavres dépiautent les cadavres les nuits sans lunes pour leur faucher les dents en or, vous étire jusqu'à leur ultime scintillance les résonances les accords de Wish You Were Here, et comble du comble s'aventure dans un funk de bon augure des Artic Monkeys. L'évite la dance-musique, lévite plutôt sur la frappe élastique des cordes. Ce garçon explore sa guitare, l'est évident qu'il est sur la piste de nouveaux trésors esthétiques, laissons-lui encore deux ans. En plus il a une voix, n'a chanté que sur un seul morceau, mais il possède un timbre particulier, un son qui n'appartient qu'à lui.
N'est pas seul à la guitare. Emilien Lethellier ne joue pas non plus dans les inutilités publiques. Tous deux se partagent les solo, et tous deux décollent. Mais Emilien est avant tout au chant. Sort la voix. Si bien que souvent il abandonne sa guitare et se contente du chant. L'a les intonations et les poses. Saute haut. L'on devine que si l'estrade était plus étendue il remuerait davantage. Se sort hardiment de tous les registres, tire les companeros en avant. Lorsque le combo est lancé, l'on aimerait qu'ils ne s'arrêtent jamais. On ne leur laisse même pas le temps d'expliquer les circonstances, le pourquoi et le comment, on leur crie, on les prie, on les supplie de jouer sans attendre, le public est en manque se conduit en enfant gâté que l'on interrompt en plein milieu de sa feuilleton télévisé. Terminent sous une pluie d'applaudissements, ne sont pas tous descendus de scène que déjà on leur propose un autre concert.
YETI
N'ont pas été abominables. Jeunes certes eux aussi, mais déjà au compteur un peu plus de ces quatorze années et demi qui selon Aristote - notre maître à tous - sépare deux générations. Trio minimaliste. On les sent sûrs d'eux-mêmes et rompus à toutes les surprises. Laurent est à la basse, Chris s'occupe de la batterie et Seb officie au chant et à la guitare. Mais le plus important c'est qu'ils jouent ensemble. Une mécanique bien huilée, une machine de guerre inébranlable. Sont les adeptes d'une musique complice. Rien de calculé à l'avance, mais s'entendent si bien, se connaissent tant, que chacun peut s'immiscer dans le jeu de ses congénères sans jamais le troubler. Echangent mais ne donnent pas le change. Rien de factice, mais une extraordinaire entente. Chris donne le rythme, et ses deux acolytes s'y collent et tricotent dessus avec une régularité perverse. La basse accompagne tout en louvoyant entre les battements, la guitare fracture la porte-entrouverte et le vocal fait le pont par-dessus. Réussissent cet exploit de filocher comme sur une autoroute tout en avançant de guingois cahin-caha. Vous emmènent avec eux. Z'ont le rock jovial, z'avez lestement envie de vous asseoir sur la banquette arrière et de vous laisser mener à cent à l'heure. Fermez les yeux, malgré les cahots vous ne risquez aucune surprise mais l'ambiance vous grise.
Rock and punk. Rock pour l'énergie et punk pour la dynamique. Pulsent et tressautent, la joie et tout le tremblement. Qui vous brinqueballe le corps et vous secoue les ossements. Le set prend toute sa dimension avec I Fought The Law de Bobby Fuller L'a bien combattu la loi le jeune Bobby, et l'a bien perdu puisqu'on l'a retrouvé assis dans sa voiture les os brisés. Yeti nous en offre une version bien plus suavement sardonique que celle de Clash, Yéti renoue d'instinct avec la transe hypnotique et voodooïque de ce morceau qui s'inscrit dans la légende noire des pionniers. Yeti surprend aussi avec cette version tambour battant de Video Killed The Radio Star des Buggles, remettent la new wawe dans le lit de Procuste du punk pour lui enlever tout ce qui dépasse. Tout sur quoi Yeti jette son dévolu se doit de se plier à ses propres mensurations.
Possèdent aussi leurs propres morceaux comme The Maze, Yeti Song, ou cet Ouga sur lequel ils termineront le set laissant un public exultant qui les a frénétiquement accompagnés sans arrêter de danser de toute la soirée. Les boys ont tenu leur promesse, nous ont plongé dans l'insouciance rock. Antidote et sérum de survie.
Damie Chad.
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